mardi, 02 janvier 2024
2 janvier. L'Octave de saint Etienne, premier diacre, premier martyr.
- Octave de saint Etienne, Ier diacre, Ier martyr.
Nous avons achevé hier l'Octave de la Naissance du Sauveur ; nous finirons aujourd'hui l'Octave de saint Etienne ; mais nous ne perdrons pas de vue, un seul instant, le divin Enfant dont Etienne, Jean le Bien-Aimé et les Innocents forment la cour. Dans cinq jours, nous verrons arriver les Mages au berceau du Roi nouveau-né ; ils sont en marche, et l'étoile commence à approcher de Bethléhem. Durant ces heures d'attente, glorifions l'Emmanuel, en proclamant les grandeurs de ceux qu'il a choisis pour ses favoris les plus chers, et admirons encore une fois Etienne dans ce dernier jour de l'Octave que l'Eglise lui a dédiée. Sur une autre partie du Cycle, nous le retrouverons avec allégresse ; sous les feux d'Août, il apparaîtra réjouissant l'Eglise par la miraculeuse Invention de ses Reliques, et répandra sur nous de nouvelles faveurs.
Saint Etienne. Charles Van Loo. XVIIIe.
Un antique Sermon attribué longtemps à saint Augustin nous apprend que saint Etienne était dans la fleur d'une brillante jeunesse, lorsqu'il fut appelé par les Apôtres à recevoir, dans l'imposition des mains, le caractère sacré du Diaconat. Six compagnons lui furent donnés ; et cet auguste septénaire, chargé de veiller autour de l'autel de la terre, représentait les sept Anges que saint Jean a vus assistant près de l'Autel sublime du ciel. Mais Etienne était le chef de cette compagnie sacrée ; et le titre d'Archidiacre lui est donné par saint Irénée, dès le second siècle.
Or, la vertu du Diacre est la fidélité ; et c'est pour cette raison que les trésors de l'Eglise lui sont confiés ; trésors qui ne consistent pas seulement dans les deniers destinés au soulagement des pauvres, mais dans ce qu'il y a de plus précieux au ciel et sur la terre : le Corps même du Rédempteur, dont le Diacre, par l'Ordre qu'il a reçu, est le dispensateur. Aussi l'Apôtre, dans sa première Epître à Timothée, recommande-t-il aux Diacres de garder le Mystère de la Foi dans une conscience pure.
Prédication de saint Etienne. Charles-Joseph Natoire. XVIIIe.
Le Diaconat étant donc un ministère de fidélité, il convenait que le premier Martyr appartînt à l'ordre des Diacres, puisque le martyre est une épreuve de fidélité ; et cette merveille est déclarée dans toute l'Eglise par la glorieuse Passion de ces trois magnifiques athlètes du Christ qui, couverts de la dalmatique triomphale, éclatent à la tête de l'armée des Martyrs : Etienne, la gloire de Jérusalem ; Laurent, les délices de Rome ; Vincent, l'honneur du royaume Catholique. Dans cet heureux Temps de Noël, le 22 Janvier, nous célébrerons Vincent, associé à Etienne pour la garde du berceau du Sauveur. Août nous donnera à la fois Etienne dans l'Invention de ses reliques, et Laurent avec sa palme victorieuse.
Afin d'honorer le Diaconat dans son premier représentant, l'usage d'un grand nombre d'Eglises est de faire remplir aux Diacres, dans la fête de saint Etienne, tous les offices qui ne sont point incompatibles avec leur caractère. Ainsi, dans plus d'une Cathédrale, le Chantre cède à un Diacre son bâton cantoral, d'autres Diacres assistent comme choristes sous leurs dalmatiques ; l'Epître même de la Messe est chantée par un Diacre, parce qu'elle contient le récit du martyre de saint Etienne.
L'établissement de la fête du premier des Martyrs, et son assignation au lendemain de la Naissance du Sauveur, se perd dans la plus sacrée et la plus haute antiquité. Les Constitutions Apostoliques, recueil compilé au plus tard à la fin du IIIe siècle, nous la montrent déjà établie, et fixée au lendemain de Noël. Saint Grégoire de Nysse et saint Astère d'Amasée, antérieurs l'un et l'autre à l'époque où les reliques du grand Diacre furent révélées au milieu de tant de prodiges, célèbrent sa solennité dans des Homélies spéciales, et la relèvent entre autres par cette circonstance qu'elle a l'honneur d'être fêtée le jour même qui suit la Naissance du Christ. Quant à son Octave, elle est moins ancienne ; toutefois, on ne saurait donner la date de son institution. Amalaire, au IXe siècle, en parle comme déjà établie, et le Martyrologe de Notker, au Xe siècle, la porte expressément.
On ne doit pas s'étonner que cette fête d'un simple Diacre ait reçu tant d'honneurs, tandis que la plupart de celles des Apôtres demeurent privées d'une Octave. La règle de l'Eglise, dans la Liturgie, est d'affecter les distinctions de son culte dans la proportion des services qu'elle a reçus des Saints. Ainsi honore-t-elle saint Jérôme, simple prêtre, d'un culte supérieur à celui qu'elle défère à un grand nombre de saints Pontifes. La place et le degré d'élévation qu'elle accorde sur le Cycle, sont en rapport avec sa gratitude envers les amis de Dieu qu'elle y admet ; c'est ainsi qu'elle dirige les affections du peuple fidèle envers les célestes bienfaiteurs qu'il devra vénérer dans les rangs de l'Eglise triomphante. Etienne, en frayant la voie aux Martyrs, a donné le signal de ce sublime témoignage du sang qui fait la force de l'Eglise, et ratifie les vérités dont elle est dépositaire et les espérances éternelles qui reposent sur ces vérités. A Etienne donc gloire et honneur jusqu'à la consommation des siècles, sur cette terre fécondée de son sang qu'il a mêlé à celui du Christ !
Nous avons relevé le caractère de ce premier des Martyrs, pardonnant à ses bourreaux, à l'exemple du Christ ; et nous avons vu la sainte Eglise puiser dans ce grand fait la matière de son principal éloge envers saint Etienne. Nous appuierons aujourd'hui sur une circonstance du drame si émouvant qui s'accomplit sous les murs de Jérusalem. Parmi les complices de la mort sanglante d'Etienne, était un jeune homme nommé Saul. Fougueux et plein de menaces, il gardait les vêtements de ceux qui lapidaient le saint Diacre ; et comme disent les Pères, il le lapidait par les mains de tous. Un peu après, ce même Saul était renversé par une force divine sur le chemin de Damas, et il se relevait disciple de ce Jésus que la voix éclatante d'Etienne avait proclamé Fils du Père céleste, jusque sous les coups de ses bourreaux. La prière d'Etienne n'avait pas été stérile ; et une telle conquête n'annonçait rien moins que celle de la gentilité, dont le sang d'Etienne enfanta l'Apôtre.
" Sublime tableau ! S'écrie saint Augustin. Vous y voyez Etienne qu'on lapide ; vous y voyez Saul gardant les vêtements de ceux qui le lapident. Or, voici que Saul devient Apôtre de Jésus-Christ, tandis qu'Etienne est serviteur de Jésus-Christ. Tu as été renversé, Ô Saul ! tu t'es relevé prédicateur de Celui que tu poursuivais. En tous lieux, on lit tes Epîtres ; en tous lieux, tu convertis au Christ les cœurs rebelles ; en tous lieux, devenu bon Pasteur, tu formes de grands troupeaux. Avec le Christ tu règnes, en la compagnie de celui que tu as lapidé. Tous deux vous nous voyez ; tous deux vous entendez ce que nous disons ; tous deux vous priez pour nous. Celui-là vous exaucera, qui tous deux vous a couronnés. D'abord, l'un était un agneau et l'autre un loup ; maintenant tous deux sont agneaux. Qu'ils nous protègent donc de leurs regards ; qu'ils nous recommandent dans leurs prières ! Qu'ils obtiennent une vie paisible et tranquille à l'Eglise de leur Maître."
Le temps de Noël ne se terminera pas non plus sans que nous ayons réuni dans notre culte Etienne et Paul ; le 25 janvier, nous célébrerons la Conversion de l'Apôtre des Gentils ; il appartenait à sa glorieuse victime de le présenter au berceau de leur commun Sauveur.
Enfin, la piété catholique, émue par cette mort du premier des Martyrs, cette mort que l'écrivain sacré appelle un sommeil, et qui fait un si frappant contraste avec la rigueur du supplice qui l'occasionne, la piété catholique, disons-nous, a désigné saint Etienne comme un de nos intercesseurs pour la grâce d'une heureuse mort. Implorons donc le secours du saint Diacre, pour l'heure où nous aurons à rendre à notre Créateur cette âme qu'il nous a confiée ; et disposons dès maintenant notre cœur à offrir, lorsque le Seigneur le demandera, le sacrifice entier de cette vie fragile qui nous est donnée comme un dépôt, que nous devons être prêts à représenter au moment où il nous sera réclamé.
HYMNE
L'Hymne suivante, remarquable par l'onction et la simplicité, se trouve dans la plupart des Bréviaires Romains-Français :
Lapidation de saint Etienne. Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.
" Saint ami de Dieu, Protomartyr Etienne, qui, richement paré de la vertu de charité, avez prié le Seigneur pour un peuple ennemi.
Vous êtes le premier porte-étendard de la milice céleste, le héraut de la vérité, le premier témoin de la grâce, la pierre fondamentale et vivante, le modèle de patience.
Immolé par les pierres, non par le glaive, vous voyez les membres de votre corps déchirés cruellement par le tranchant des cailloux ; ces pierres, teintes de votre sang, sont l’ornement de votre couronne.
Le premier, vous avez frayé le chemin laborieux du ciel ; le premier, vous avez affronté le glaive déjà émoussé par la mort du Christ ; vous êtes le premier froment foulé dans l'aire du Christ.
Pour vous le premier, les portes du ciel s'ouvrent : vous y découvrez, dans sa puissance, Jésus pour qui vous combattez vaillamment; debout, dans la majesté de son Père, il vous assiste fidèlement.
Versez vos prières pour cette assemblée qui se voue à votre culte ; et que le Seigneur, touché par votre entremise, daigne nous purifier de nos péchés et nous réunir aux habitants du ciel.
Gloire et honneur à Dieu, qui vous a couronné de roses, et vous a placé sur un trône dans les cieux ; qu'il daigne sauver les pécheurs, en les délivrant de l'aiguillon de la mort.
Amen."
SEQUENCE
Nous empruntons cette Séquence au recueil de Saint-Gall ; elle est de la composition de Notker :
" D'un zèle unanime, célébrons cette solennité.
Recueillons l'exemple de charité que nous donne celui que nous fêtons,
Lorsqu'il prie pour de perfides ennemis.
Ô Etienne ! Porte-étendard suprême du Roi de bonté, exaucez-nous ;
Vous qui fûtes pleinement exaucé pour vos ennemis.
Par vos prières, Ô Etienne !
Paul, d'abord votre persécuteur, a cru dans le Christ ;
Et avec vous il gaudit, au royaume céleste , duquel n'approche aucun persécuteur.
Nous donc, nous suppliants, nous qui crions vers vous, et vous sollicitons de nos instances,
Que votre très sainte prière nous réconcilie toujours à notre Dieu.
Pierre vous établit ministre du Christ ; vous découvrez à Pierre lui-même un nouveau fondement de la foi, en montrant à la droite du Père souverain Celui qu'un peuple a crucifié.
C'est vous que le Christ s'est choisi, Ô Etienne ! vous par qui il fortifie ses fidèles ; vous qu'il vient consoler par sa vue à travers le choc des pierres qui pleuvent sur vous.
Aujourd'hui, au milieu des bataillons empourprés des Martyrs, vous resplendissez couronné.
Amen."
" Grâces vous soient rendues, Ô glorieux Etienne ! Pour le secours que vous nous avez apporté dans la célébration de la Naissance de notre Sauveur. Il vous appartenait de nous initier à ce haut et touchant mystère d'un Homme-Dieu. Le céleste Enfant nous apparaissait dans votre compagnie, et l'Eglise vous chargeait de le révéler aux fidèles, comme autrefois vous le révélâtes aux Juifs.
Votre mission est remplie : nous l'adorons, cet Enfant, comme le Verbe de Dieu ; nous le saluons comme notre Roi ; nous nous offrons à lui pour le servir comme vous, et nous reconnaissons que cet engagement va jusqu'à lui donner notre sang, s'il le demande. Faites donc, Ô Diacre fidèle ! que nous lui abandonnions, dès aujourd'hui, notre coeur ; que nous cherchions tous les moyens de lui plaire, et de mettre toute notre vie et toutes nos affections en harmonie avec ses volontés. Par là, nous mériterons de combattre son combat, sinon dans l'arène sanglante, du moins dans la lutte avec nos passions.
Nous sommes les fils des Martyrs, et les Martyrs ont vaincu le monde, comme l'Enfant de Bethléhem ; que le monde ne remporte donc plus la victoire sur nous. Obtenez pour notre cœur cette charité fraternelle qui pardonne tout, qui prie pour les ennemis, qui obtient la conversion des âmes les plus rebelles. Veillez sur nous, Martyr de Dieu, à l'heure de notre trépas ; assistez-nous quand notre vie sera au moment de s'éteindre ; montrez-nous alors ce Jésus que vous nous avez fait voir Enfant ; montrez-le-nous glorieux, triomphant, et surtout miséricordieux, tenant en ses mains divines la couronne qui nous est destinée ; et que nos dernières paroles, à cette heure suprême, soient les vôtres : Seigneur Jésus, recevez mon esprit."
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Saint Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et sa circoncision. L'an 1. Octave de Noël.
" Qu'au nom de Jésus, tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et aux enfers."
Saint Paul. Lettre aux Philippiens. II.
" Il n'a pas été donné sous le ciel d'autre nom qui ait la vertu de sauver les hommes."
Actes des Apôtres. III.
Le huitième jour de la Naissance du Sauveur est arrivé ; l'étoile qui conduit les Mages approche de Bethléhem ; encore cinq jours, et elle s'arrêtera sur le lieu où repose l'Enfant divin. Aujourd'hui, ce Fils de l'Homme doit être circoncis, et marquer, par ce premier sacrifice de sa chair innocente, le huitième jour de sa vie mortelle. Aujourd'hui, un nom va lui être donné ; et ce nom sera celui de Jésus, qui veut dire Sauveur. Les mystères se pressent dans cette grande journée ; recueillons-les tous, et honorons-les dans toute la religion et toute la tendresse de nos coeurs.
Mais ce jour n'est pas seulement consacré à honorer la Circoncision de Jésus ; le mystère de cette Circoncision fait partie d'un plus grand encore, celui de l'Incarnation et de l'Enfance du Sauveur ; mystère qui ne cesse d'occuper l'Eglise, non seulement durant cette Octave, mais pendant les quarante jours du Temps de Noël. D'autre part, l'imposition du nom de Jésus doit être glorifiée par une solennité particulière, que nous célébrerons demain. Cette grande journée offre place encore à un autre objet digne d'émouvoir la piété des fidèles. Cet objet est Marie, Mère de Dieu. Aujourd'hui, l'Eglise célèbre spécialement l'auguste prérogative de cette divine Maternité, conférée à une simple créature, coopératrice du grand ouvrage du salut des hommes.
Autrefois la sainte Eglise Romaine célébrait deux Messes au premier janvier : l'une pour l'Octave de Noël, l'autre en l'honneur de Marie. Depuis, elle les a réunies en une seule, de même qu'elle a mélangé dans le reste de l'Office de ce jour les témoignages de son adoration envers le Fils, aux expression de son admiration et de sa tendre confiance envers la Mère.
Pour payer son tribut d'hommages à celle qui nous adonné l'Emmanuel, l'Eglise Grecque n'attend pas le huitième jour de la Naissance de ce Verbe fait chair. Dans son impatience, elle consacre à Marie le propre lendemain de Noël, le 26 décembre, sous le titre de Synaxe de la Mère de Dieu, réunissant ces deux solennités en une seule, en sorte qu'elle n'honore saint Etienne que le 27 décembre.
Pour nous, fils aînés de la sainte Eglise Romaine, épanchons aujourd'hui tout l'amour de nos cœurs envers la Vierge-Mère, et conjouissons-nous à la félicité qu'elle éprouve d'avoir enfanté son Seigneur et le nôtre. Durant le saint Temps de l'Avent, nous l'avons considérée enceinte du salut du monde ; nous avons proclamé la souveraine dignité de cette Arche de la nouvelle alliance qui offrait dans ses chastes flancs comme un autre ciel à la Majesté du Roi des siècles. Maintenant, elle l'a mis au jour, ce Dieu enfant ; elle l'adore ; mais elle est sa Mère. Elle a le droit de l'appeler son Fils ; et lui, tout Dieu qu'il est, la nomme en toute vérité sa Mère.
Ne nous étonnons donc plus que l'Eglise exalte avec tant d'enthousiasme Marie et ses grandeurs. Comprenons au contraire que tous les éloges qu'elle peut lui donner, tous les hommages qu'elle peut lui offrir dans son culte, demeurent toujours beaucoup au-dessous de ce qui est dû à la Mère du Dieu incarné. Personne sur la terre n'arrivera jamais à décrire, pas même à comprendre tout ce que cette sublime prérogative renferme de gloire. En effet, la dignité de Marie provenant de ce qu'elle est Mère d'un Dieu, il serait nécessaire, pour la mesurer dans son étendue, de comprendre préalablement la Divinité elle-même.
C'est à un Dieu que Marie a donné la nature humaine ; c'est un Dieu qu'elle a eu pour Fils ; c'est un Dieu qui s'est fait gloire de lui être soumis, selon l'humanité ; la valeur d'une si haute dignité dans une simple créature ne peut donc être estimée qu'en la rapprochant de la souveraine perfection du grand Dieu qui daigne ainsi se constituer sous sa dépendance. Anéantissons-nous donc en présence de la Majesté du Seigneur ; et humilions-nous devant la souveraine dignité de celle qu'il s'est choisie pour Mère.
Que si nous considérons maintenant les sentiments qu'une telle situation inspirait à Marie à l'égard de son divin Fils, nous demeurons encore confondus par la sublimité du mystère. Ce Fils, qu'elle allaite, qu'elle tient dans ses bras, qu'elle presse contre son cœur, elle l'aime, parce qu'il est le fruit de ses entrailles ; elle l'aime, parce qu'elle est mère, et que la mère aime son fils comme elle-même et plus qu'elle-même ; mais si elle vient à considérer la majesté infinie de Celui qui se confie ainsi à son amour et à ses caresses, elle tremble et se sent près de défaillir, jusqu'à ce que son coeur de Mère la rassure au souvenir des neuf mois que cet Enfant a passés dans son sein, et du sourire filial avec lequel il lui sourit au moment où elle l'enfanta. Ces deux grands sentiments de la religion et de la maternité se confondent dans ce cœur sur ce seul et divin objet. Se peut-il imaginer quelque chose de plus sublime que cet état de Mère de Dieu ; et n'avions-nous pas raison de dire que, pour le comprendre tel qu'il est en réalité, il nous faudrait comprendre Dieu lui-même, qui seul pouvait le concevoir dans son infinie sagesse, et seul le réaliser dans sa puissance sans bornes ?
Une Mère de Dieu! tel est le mystère pour la réalisation duquel le monde était dans l'attente depuis tant de siècles ; l'œuvre qui, aux yeux de Dieu, dépassait à l'infini, comme importance, la création d'un million de mondes. Une création n'est rien pour sa puissance ; il dit, et toutes choses sont faites. Au contraire, pour qu'une créature devienne Mère de Dieu, il a dû non seulement intervertir toutes les lois de la nature en rendant féconde la virginité, mais se placer divinement lui-même dans des relations de dépendance, dans des relations filiales, à l'égard de l'heureuse créature qu'il a choisie. Il a dû lui conférer des droits sur lui-même, accepter des devoirs envers elle ; en un mot, en faire sa Mère et être son Fils.
Il suit de là que les bienfaits de cette Incarnation que nous devons à l'amour du Verbe divin, nous pourrons et nous devrons, avec justice, les rapporter dans un sens véritable, quoique inférieur, à Marie elle-même. Si elle est Mère de Dieu, c'est qu'elle a consenti à l'être. Dieu a daigné non seulement attendre ce consentement, mais en faire dépendre la venue de son Fils dans la chair. Comme ce Verbe éternel prononça sur le chaos ce mot FIAT, et la création sortit du néant pour lui répondre ; ainsi, Dieu étant attentif, Marie prononça aussi ce mot FIAT, qu'il me soit fait selon votre parole, et le propre Fils de Dieu descendit dans son chaste sein. Nous devons donc notre Emmanuel, après Dieu, à Marie, sa glorieuse Mère.
Cette nécessité indispensable d'une Mère de Dieu, dans le plan sublime du salut du monde, devait déconcerter les artifices de l'hérésie qui avait résolu de ravir la gloire du Fils de Dieu. Selon Nestorius, Jésus n'eût été qu'un homme ; sa Mère n'était donc que la mère d'un homme : le mystère de l'Incarnation était anéanti. De là, l'antipathie de la société chrétienne contre un si odieux système. D'une seule voix, l'Orient et l'Occident proclamèrent le Verbe fait chair, en unité de personne, et Marie véritablement Mère de Dieu, Deipara, Theotocos, puisqu'elle a enfanté Jésus-Christ. Il était donc bien juste qu'en mémoire de cette grande victoire remportée au concile d'Ephèse, et pour témoigner de la tendre vénération des chrétiens envers la Mère de Dieu, des monuments solennels s'élevassent qui attesteraient aux siècles futurs cette suprême manifestation. Ce fut alors que commença dans les Eglises grecque et latine le pieux usage de joindre, dans la solennité de Noël, la mémoire de la Mère au culte du Fils. Les jours assignés à cette commémoration furent différents ; mais la pensée de religion était la même.
A Rome, le saint Pape Sixte III fit décorer l'arc triomphal de l'Eglise de Sainte-Marie ad Praesepe, de l'admirable Basilique de Sainte-Marie-Majeure, par une immense mosaïque à la gloire de la Mère de Dieu. Ce précieux témoignage delà foi du cinquième siècle est arrivé jusqu'à nous ; et au milieu du vaste ensemble sur lequel figurent, dans leur mystérieuse naïveté, les événements racontés par les saintes Ecritures et les plus vénérables symboles, on peut lire encore la noble inscription par laquelle le saint Pontife dédiait ce témoignage de sa vénération envers Marie, Mère de Dieu, au peuple fidèle : XISTUS EPISCOPUS PLEBI DEI.
Des chants spéciaux furent composés aussi à Rome pour célébrer le grand mystère du Verbe fait homme par Marie. De sublimes Répons, de magnifiques Antiennes, ornés d'un chant grave et mélodieux, vinrent servir d'expression à la piété de l'Eglise et des peuples, et ils ont porté cette expression à travers tous les siècles. Entre ces pièces liturgiques, il est des Antiennes que l'Eglise Grecque chante avec nous, dans sa langue, en ces mêmes jours, et qui attestent l'unité de la foi en même temps que la communauté des sentiments, en présence du grand mystère du Verbe incarné.
Considérons, en ce huitième jour de la Naissance du divin Enfant, le grand mystère de la Circoncision qui s'opère dans sa chair. C'est aujourd'hui que la terre voit couler les prémices du sang qui doit la racheter ; aujourd'hui que le céleste Agneau, qui doit expier nos péchés, commence à souffrir pour nous. Compatissons à notre Emmanuel, qui s'offre avec tant de douceur à l'instrument qui doit lui imprimer une marque de servitude.
Marie, qui a veillé sur lui dans une si tendre sollicitude, a vu venir cette heure des premières souffrances de son Fils, avec un douloureux serrement de son coeur maternel. Elle sent que la justice de Dieu pourrait ne pas exiger ce premier sacrifice, ou encore se contenter du prix infini qu'il renferme pour le salut du monde ; et cependant, il faut que la chair innocente de son Fils soit déjà déchirée, et que son sang coule déjà sur ses membres délicats.
Elle voit avec désolation les apprêts de cette dure cérémonie ; elle ne peut ni fuir, ni considérer son Fils dans les angoisses de cette première douleur. Il faut qu'elle entende ses soupirs, son gémissement plaintif, qu'elle voie des larmes descendre sur ses tendres joues.
" Mais lui pleurant, dit saint Bonaventure, crois-tu que sa Mère pût contenir ses larmes ? Elle pleura donc quant et quant elle-même. La voyant ainsi pleurer, son Fils, qui se tenait debout sur le giron d'icelle, mettait sa petite main à la bouche et au visage de sa Mère, comme la priant par signe de ne pas pleurer ; car celle qu'il aimait si tendrement, il la voulait voir cesser de pleurer. Semblablement de son côté, cette douce Mère, de qui les entrailles étaient totalement émues par la douleur et les larmes de son Enfant, le consolait parle geste et les paroles. Et de vrai, comme elle était moult prudente, elle entendait bien la volonté d'icelui, jaçoit qu'il ne parlât encore. Et elle disait : " Mon Fils, si vous me voulez voir cesser de pleurer, cessez vous-même ; car je ne puis, vous pleurant, ne point pleurer aussi ". Et lors, par compassion pour sa Mère, le petit Fils désistait de sangloter. La Mère lui essuyait alors les yeux, et aussi les siens à elle, et puis elle appliquait son visage sur le visage de son Enfant, l'allaitait et le consolait de toutes les manières qu'elle pouvait (Méditations sur la Vie de Jésus-Christ, par saint Bonaventure. Tome Ier, page 51.)."
Maintenant, que rendrons-nous au Sauveur de nos âmes, pour la Circoncision qu'il a daigné souffrir, afin de nous montrer son amour ? Nous devrons suivre le conseil de l'Apôtre (Coloss. II, II), et circoncire notre cœur de toutes ses mauvaises affections, en retrancher le péché et ses convoitises, vivre enfin de cette nouvelle vie dont Jésus enfant nous apporte du ciel le simple et sublime modèle. Travaillons à le consoler de cette première douleur ; et rendons-nous de plus en plus attentifs aux exemples qu'il nous donne.
SEQUENCE
A la louange du Dieu circoncis, nous chanterons cette belle Séquence empruntée aux anciens Missels de l'Eglise de Paris :
" Aujourd'hui, est apparue la merveilleuse vertu de la grâce, dans la Circoncision d'un Dieu.
Un Nom céleste, un Nom de salut, le Nom de Jésus lui est donné.
C'est le Nom qui sauve l'homme, le Nom que la bouche du Seigneur a prononcé dès l'éternité.
Dès longtemps, à la Mère de Dieu, dès longtemps, à l'époux de la Vierge, un Ange l'a révélé.
Nom sacré, tu triomphes de la rage de Satan et de l'iniquité du siècle.
Jésus, notre rançon, Jésus, espoir des affligés, guérissez nos âmes malades.
A tout ce qui manque à l'homme suppléez par votre Nom, qui porte avec lui le salut.
Que votre Circoncision épure notre cœur, cautérise ses plaies.
Que votre sang répandu lave nos souillures, rafraîchisse notre aridité, qu'il console nos afflictions.
En ce commencement d'année, pour étrennes fortunées, préparez notre récompense, Ô Jésus !
Amen."
SEQUENCE
Adam de Saint-Victor nous offre, pour louer dignement la Mère de Dieu, cette gracieuse composition liturgique qui a été longtemps un des plus beaux ornements des anciens Missels Romains-Français :
" Salut ! Ô Mère du Sauveur ! Vase élu, vase d'honneur, vase de céleste grâce.
Vase prédestiné éternellement, vase insigne, vase richement ciselé par la main de la Sagesse.
Salut ! Mère sacrée du Verbe, fleur sortie des épines, fleur sans épines ; fleur, la gloire du buisson.
Le buisson, c'est nous ; nous déchirés par les épines du péché ; mais vous, vous n'avez pas connu d'épines.
Porte fermée, fontaine des jardins, trésor des parfums, trésor des aromates,
Vous surpassez en suave odeur la branche du cinnamome, la myrrhe, l'encens et le baume.
Salut ! la gloire des vierges, la Médiatrice des hommes, la mère du salut.
Myrte de tempérance, rose de patience, nard odoriférant.
Vallée d'humilité, terre respectée par le soc, et abondante en moissons.
La fleur des champs, le beau lis des vallons, le Christ est sorti de vous.
Paradis céleste, cèdre que le fer n'a point touché, répandant sa douce vapeur.
En vous est la plénitude de l'éclat et de la beauté, de la douceur et des parfums.
Trône de Salomon, à qui nul trône n'est semblable, pour l'art et la matière.
En ce trône, l'ivoire par sa blancheur figure le mystère de chasteté, et l'or par son éclat signifie la charité.
Votre palme est à vous seule, et vous demeurez sans égale sur la terre et au palais du ciel.
Gloire du genre humain, en vous sont les privilèges des vertus, au-dessus de tous.
Le soleil brille plus que la lune, et la lune plus que les étoiles ; ainsi Marie éclate entre toutes les créatures.
La lumière sans éclipse, c'est la chasteté de la Vierge ; le feu qui jamais ne s'éteint, c'est sa charité immortelle.
Salut ! Mère de miséricorde, et de toute la Trinité l'auguste habitation.
Mais à la majesté du Verbe incarné vous avez offert un sanctuaire spécial.
Ô Marie ! Etoile de la mer, dans votre dignité suprême, vous dominez sur tous les ordres de la céleste hiérarchie.
Sur votre trône élevé du ciel, recommandez-nous à votre Fils ; obtenez que les terreurs ou les tromperies de nos ennemis ne triomphent pas de notre faiblesse.
Dans la lutte que nous soutenons, défendez-nous par votre appui ; que la violence de notre ennemi plein d'audace et de fourberie cède à votre force souveraine ; sa ruse, à votre prévoyance.
Jésus ! Verbe du Père souverain, gardez les serviteurs de votre Mère ; déliez les pécheurs, sauvez-les par votre grâce, et imprimez sur nous les traits de votre clarté glorieuse.
Amen."
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lundi, 01 janvier 2024
Octave de la Nativité.
- Octave de la Nativité.
Nicolas d'Ypres. XVe.
De tous les jours de l'Octave de Noël, c’est Ie seul occupé régulièrement par une fête. Dans les Octaves de l'Epiphanie, de Pâques et de la Pentecôte, l'Eglise est tellement absorbée de la grandeur du mystère, qu'elle écarte tous souvenirs qui l'en pourraient distraire ; dans celle de Noël, au contraire, les fêtes abondent, et l'Emmanuel ne nous est montré qu'environné du cortège de ses serviteurs. Ainsi l'Eglise, ou plutôt Dieu même, le premier auteur du Cycle, nous a voulu faire voir combien, dans sa Naissance, l'Enfant divin, Verbe fait chair, se montre accessible à l'humanité qu'il vient sauver.
Nous avons démontré que la Nativité du Sauveur s'est opérée le jour du Dimanche, qui est celui où Dieu créa la lumière. Ce sera aussi le Dimanche que nous verrons le Christ ressusciter. Ce premier jour de la création, qui est, en même temps, le premier jour de la semaine, était consacré au Soleil chez les peuples anciens ; il est devenu sacré à jamais par le double lever du Soleil de justice : Noël et Pâques le réclament tour à tour. Mais, pour des raisons particulières que nous avons exposées, si Pâques est toujours célébré le Dimanche, Noël doit sanctifier successivement tous les jours de la semaine. Toutefois, le mystère de la divine Naissance est mieux exprimé dans les années où son glorieux anniversaire tombe le Dimanche ; dans les autres où cette coïncidence n'a pas lieu, les fidèles doivent du moins un honneur particulier à celui des jours de l'Octave qui se trouve dévolu à la célébration expresse du Dimanche. La sainte Eglise a décoré celui-ci d'une Messe et d'un Office particuliers, que nous allons reproduire ici, pour l'usage des fidèles.
Luca Giordano. XVIIe.
A LA MESSE
Ce fut au milieu de la nuit que le Seigneur délivra son peuple de la captivité, par le Passage de son Ange, armé du glaive, sur la terre des Egyptiens ; c'est pareillement au sein du silence nocturne que l'Ange du grand Conseil est descendu de son trône royal, pour apporter la miséricorde sur la terre.
EPITRE
Lecture de l’Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. IV.
" Mes Frères, tant que l'héritier est encore enfant, il n'est pas différent du serviteur, quoiqu'il soit le maître de tout ; mais il est sous la puissance des tuteurs et des curateurs, jusqu'au temps marqué par son père. Ainsi, lorsque nous étions encore enfants, nous étions assujettis aux premiers éléments de ce monde ; mais lorsque la plénitude du temps a été venue, Dieu a envoyé son Fils formé de la femme, et assujetti à la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, et pour nous rendre enfants d'adoption. Or, parce que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : " Père ! Père !" Chacun de vous n'est donc plus serviteur, mais fils. Que s'il est fils, il est aussi héritier par la bonté de Dieu."
Maitre de Sainte-Catherine. XVe.
L'enfant, né de Marie, couché dans la crèche de Bethléhem, élève sa faible voix vers le Père des siècles, et il l'appelle mon Père ! Il se tourne vers nous, et il nous appelle mes Frères ! Nous pouvons donc aussi, en nous adressant à son Père éternel, le nommer notre Père. Tel est le mystère de l'adoption divine, déclarée en ces jours. Toutes choses sont changées au ciel et sur la terre : Dieu n'a plus seulement un Fils, mais plusieurs fils ; nous ne sommes plus désormais, en sa présence, des créatures qu'il a tirées du néant, mais des enfants de sa tendresse. Le ciel n'est plus seulement le trône de sa gloire ; il est devenu notre héritage ; et une part nous y est assurée à côté de celle de notre frère Jésus, fils de Marie, fils d'Eve, fils d'Adam selon l'humanité, comme il est, dans l'unité de personne, Fils de Dieu selon la divinité. Considérons tour à tour l'Enfant béni qui nous a valu tous ces biens, et l'héritage auquel nous avons droit par lui. Que notre esprit s'étonne d'une si haute destinée pour des créatures ; que notre cœur rende grâces pour un bienfait si incompréhensible.
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. II.
" En ce temps-là, Joseph et Marie, mère de Jésus, étaient dans l'admiration de ce qu'on disait de lui. Et Siméon les bénit, et il dit à Marie sa mère : Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël. Et il sera un signe de contradiction ; et un glaive transpercera votre âme, afin que les pensées de plusieurs, qui sont cachées au fond de leur cœur, soient découvertes. Il y avait aussi une Prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser ; elle était fort avancée en âge, et après avoir vécu sept ans avec son mari, qu'elle avait épousé étant vierge, elle était demeurée veuve jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne sortait pas du temple, servant Dieu nuit et jour, dans les jeûnes et les prières. Etant donc survenue à la même heure, elle se mit à louer le Seigneur et à parler de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption d'Israël. Et après qu'ils eurent accompli toutes choses selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur cité de Nazareth. Or, l'enfant croissait et se fortifiait, étant rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui."
Anonyme. Flandres. XVIe.
La marche des récits du saint Evangile contraint l'Eglise à nous présenter déjà le divin Enfant entre les bras de Siméon, qui prophétise à Marie les destinées de l'homme qu'elle amis au jour. Ce cœur de mère, tout inondé des joies d'un si merveilleux enfantement, sent déjà le glaive annoncé par le vieillard du temple. Le fils de ses entrailles ne sera donc, sur la terre, qu'un signe de contradiction ; et le mystère de l'adoption du genre humain ne devra s'accomplir que par l'immolation de cet Enfant devenu un homme. Pour nous, rachetés par ce sang, n'anticipons pas trop sur l'avenir. Nous aurons le temps de le considérer, cet Emmanuel, dans ses labeurs et dans ses souffrances ; aujourd'hui, il nous est permis de ne voir encore que l'Enfant qui nous est né, et de nous réjouir dans sa venue. Ecoutons Anne, qui nous parlera de la rédemption d'Israël. Voyons la terre régénérée par l'enfantement de son Sauveur ; admirons et étudions, dans un humble amour, ce Jésus plein de sagesse et de grâce qui vient de naître sous nos yeux.
ORAISON
" Considérons, dans ce sixième jour de la Naissance de notre Emmanuel, le divin Enfant étendu dans la crèche d'une étable, et réchauffé par l'haleine de deux animaux. Isaïe l'avait annoncé : " Le bœuf, avait-il dit, connaîtra son maître, et l'âne la crèche de son seigneur ; Israël ne me connaîtra pas " (I, 3.). Telle est l'entrée en ce monde du grand Dieu qui a fait ce monde. L'habitation des hommes lui est fermée par leur dureté et leur mépris : une étable lui offre seule un abri hospitalier, et il vient au jour dans la compagnie des êtres dépourvus de raison.
Mais ces animaux sont son ouvrage. Il les avait assujettis à l'homme innocent. Cette création inférieure devait être vivifiée et ennoblie par l'homme ; et le péché est venu briser cette harmonie. Toutefois comme nous l'enseigne l'Apôtre , elle n'est point restée insensible à la dégradation forcée que le pécheur lui fait subir. Elle ne se soumet à lui qu'avec résistance (Rom. VIII, 20) ; elle le châtie souvent avec justice ; et au jour du jugement, elle s'unira à Dieu pour tirer vengeance de l'iniquité à laquelle trop longtemps elle est demeurée asservie. (Sap. V, 21.).
Aujourd'hui, le Fils de Dieu visite cette partie de son oeuvre ; les hommes ne Payant pas reçu, il se confie à ces êtres sans raison ; c'est de leur demeure qu'il partira pour commencer sa course ; et les premiers hommes qu'il appelle à le reconnaître et à l'adorer, sont des pasteurs de troupeaux, des cœurs simples qui ne se sont point souillés à respirer l'air des cités.
Le bœuf, symbole prophétique qui figure auprès du trône de Dieu dans le ciel, comme nous l'apprennent à la fois Ezéchiel et saint Jean, est ici l'emblème des sacrifices de la Loi. Sur l'autel du Temple, le sang des taureaux a coulé par torrents ; hostie incomplète et grossière, que le monde offrait dans l'attente de la vraie victime. Dans la crèche, Jésus s'adresse à son Père et dit : Les holocaustes des taureaux et des agneaux ne vous ont point apaisé ; me voici. (Hebr. X, 6.).
Un autre Prophète annonçant le triomphe pacifique du Roi plein de douceur, le montrait faisant son entrée dans Sion sur l'âne et le fils de l'ânesse. (Zachar. IX, 9.). Un jour cet oracle s'accomplira comme les autres ; en attendant, le Père céleste place son Fils entre l'instrument de son pacifique triomphe et le symbole de son sacrifice sanglant.
Telle a donc été, Ô Jésus ! Créateur du ciel et de la terre, votre entrée dans ce monde que vous avez formé. La création tout entière, qui eût dû venir à votre rencontre, ne s'est pas ébranlée ; aucune porte ne vous a été ouverte ; les hommes ont pris leur sommeil avec indifférence, et lorsque Marie vous eut déposé dans une crèche, vos premiers regards y rencontrèrent les animaux, esclaves de l'homme. Toutefois, cette vue ne blessa point votre cœur ; vous ne méprisez point l'ouvrage de vos mains ; mais ce qui afflige ce cœur, c'est la présence du péché dans nos âmes, c'est la vue de votre ennemi qui tant de fois est venu y troubler votre repos. Nous serons fidèles, Ô Emmanuel, à suivre l'exemple de ces êtres insensibles que nous recommande votre Prophète : nous voulons toujours vous reconnaître comme notre Maître et notre Seigneur. C'est à nous qu'il appartient de donner une voix à toute la nature, de l'animer, de la sanctifier, de la diriger vers vous ; nous ne laisserons plus le concert de vos créatures monter vers vous, sans y joindre désormais l'hommage de nos adorations et de nos actions de grâces."
SEQUENCE
Pour rendre nos hommages au divin Enfant, insérons ici cette Séquence qui est d'Adam de Saint-Victor, et l'une des plus mystérieuses que l'on rencontre dans les Missels du moyen âge :
" Celui qui est la splendeur du Père et sa forme incréée, a pris la forme de l'homme.
Sa puissance, et non la nature, a rendu féconde une vierge.
Que le vieil Adam se console enfin; qu'il chante un cantique nouveau.
Longtemps fugitif et captif, qu'il paraisse au grand jour.
Eve enfanta le deuil ; une vierge, dans l'allégresse, enfante le fruit de vie.
Et ce fruit n'a point lésé le sceau de sa virginité.
Si le cristal humide est offert aux feux du soleil, le rayon scintille au travers ;
Et le cristal n'est point rompu : ainsi n'est point brisé le sceau de la pudeur dans l'enfantement de la Vierge.
A cette naissance, la nature est dans l'étonnement, la raison est confondue.
C'est chose inénarrable, cette génération du Christ, si pleine d'amour et si humble.
D'une branche aride sont sorties la feuille, la fleur et la noix ; et de la Vierge pudique, le Fils de Dieu.
La toison a porté la rosée céleste, la créature le Créateur, rédempteur de la créature.
La feuille, la fleur, la noix, la rosée : emblèmes mystérieux de l'amour du Sauveur.
Le Christ est la feuille qui protège, la fleur qui embaume, la noix qui nourrit, la rosée de céleste grâce.
Pourquoi l'enfantement de la Vierge est-il un scandale au juif, quand il a vu l'amandier fleurir sur une verge desséchée ?
Contemplons encore la noix ; car la noix, mise en lumière, offre un mystère de lumière.
En elle trois choses sont réunies ; elle nous présente trois bienfaits : onction, lumière, aliment.
La noix est le Christ ; l'écorce amère de la noix est la croix dure à la chair ; l'enveloppe marque le corps.
La divinité, revêtue de chair, la suavité du Christ, c'est le fruit caché dans la noix.
Le Christ, c'est la lumière des aveugles, l'onction des infirmes, le baume des coeurs pieux.
Oh ! qu'il est suave, ce mystère qui change la chair, cette herbe fragile, en divin froment pour les fidèles !
Ceux que, dans cette vie, tu nourris, Ô Jésus ! Sous les voiles de ton Sacrement, rassasie-les un jour de l'éclat de ta face.
Coéternelle splendeur du Père, enlève-nous de ce séjour jusqu'aux joies des clartés paternelles.
Amen."
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