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dimanche, 18 février 2024

Ier dimanche de Carême.

- Ier dimanche de Carême.



La tentation au désert. Duccio di Buoninsegna. XIVe.

Ce dimanche, le premier de ceux qui se rencontrent dans la sainte Quarantaine, est aussi l'un des plus solennels de Tannée. Son privilège, qu'il partage avec le Dimanche de la Passion et celui des Rameaux, est de ne cédera aucune fête, pas même à celle du Patron, du Saint titulaire de l'Eglise, ou de la Dédicace. Sur les anciens Calendriers, il est appelé Invocabit, à cause du premier mot de l'Introït de la Messe. Au moyen âge on le nommait le Dimanche des brandons, par suite d'un usage dont le motif ne semble pas avoir été toujours ni partout le même ; en certains lieux, les jeunes gens qui s'étaient trop laissé aller aux dissipations du carnaval devaient se présenter ce jour-là à l'église, une torche à la main, pour faire satisfaction publique de leurs excès.

C'est aujourd'hui que le Carême apparaît dans toute sa solennité. On sait que les quatre jours qui précèdent ont été ajoutés assez tardivement, pour former le nombre de quarante jours de jeûne, et que, le Mercredi des Cendres, les fidèles n'ont pas l'obligation d'entendre la Messe. La sainte Eglise, voyant ses enfants rassemblés, leur adresse la parole, à l'Office des Matines, en se servant de l'éloquent et majestueux langage de saint Léon le Grand :



Notre Seigneur Jésus-Christ au désert. Alessandro Boncivino. XVIIe.

" Très chers fils, ayant a vous annoncer le jeûne sacré et solennel du Carême, puis-je mieux commencer mon discours qu'en empruntant les paroles de l'Apôtre en qui Jésus-Christ parlait, et en répétant ce qu'on vient de vous lire : Voici maintenant a le temps favorable ; voici maintenant les jours du salut. Car encore qu'il n'y ait point de temps dans l'année qui ne soient signalés par les bienfaits de Dieu, et que, par sa grâce, nous ayons toujours accès auprès de sa miséricorde ; néanmoins nous devons en ce saint temps travailler avec plus de zèle à notre avancement spirituel et nous animer d'une nouvelle confiance. En effet, le Carême, nous ramenant le jour sacré dans lequel nous fûmes rachetés, nous invite à pratiquer tous les devoirs de la piété, afin de nous disposer, par la purification de nos corps et de nos âmes, à célébrer les mystères sublimes de la Passion du Seigneur.

Il est vrai qu'un tel mystère mériterait de notre part un respect et une dévotion sans bornes, et que nous devrions toujours être devant Dieu tels que nous voulons être dans la fête de Pâques ; mais comme cette constance n'est pas le fait du grand nombre; que la faiblesse de la chair nous oblige à relâcher l'austérité du jeûne. et que les diverses occupations de cette vie divisent et partagent nos sollicitudes : il arrive que les cœurs religieux sont sujets à contracter quelque peu de la poussière de ce monde. C'est donc avec une grande utilité pour nous qu'a été établie cette institution divine qui nous donne quarante jours pour recouvrer la pureté de nos âmes, en rachetant par la sainteté de nos œuvres et par le mérite de nos jeûnes les fautes des autres temps de l'année.



Saint Léon le Grand allant au devant d'Attila.
Raphaël, Basilique Saint-Pierre. Rome. XVIe.

A notre entrée, mes très chers fils, en ces jours mystérieux qui ont été saintement institués pour la purification de nos âmes et de nos corps, ayons soin d'obéir au commandement de l'Apôtre, en nous affranchissant de tout ce qui peut souiller la chair et l'esprit, afin que le jeûne réprimant cette lutte qui existe entre les deux parties de nous-mêmes, l'âme recouvre la dignité de son empire, étant elle-même soumise à Dieu et se laissant gouverner par lui. Ne donnons à personne l'occasion de se plaindre de nous ; ne nous exposons point au juste blâme de ceux qui veulent trouver à redire.

Car les infidèles auraient sujet de nous condamner, et nous armerions nous-mêmes, par notre faute, leurs langues impies contre la religion, si la pureté de notre vie ne répondait pas à la sainteté du jeûne que nous avons embrassé. Il ne faut donc pas s'imaginer que toute la perfection de notre jeûne consiste dans la seule abstinence des mets ; car ce serait en vain que l'on retrancherait au corps une partie de sa nourriture, si en même temps on n'éloignait pas son âme de l'iniquité."



Notre Seigneur Jésus-Christ au désert.
Ivan Kramskoy. XIXe.

 A LA MESSE

La Station, à Rome, est dans la Basilique patriarcale de Saint-Jean-de-Latran. Il était juste qu'un Dimanche aussi solennel fût célébré dans l'Eglise Mère et Maîtresse de toutes les Eglises. non seulement de la ville sainte, mais du monde entier. C'est là que les Pénitents publics étaient réconciliés le Jeudi saint ; là aussi, dans le Baptistère de Constantin, que les Catéchumènes recevaient le saint Baptême, dans la nuit de Pâques ; nulle autre Basilique ne convenait autant pour la réunion des fidèles, en ce jour où le jeûne quadragésimal fut promulgué tant de fois par la voix des Léon et des Grégoire.

EPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. II, Chap. VI.



Saint Paul prêchant. Joseph-Benoît Suvée. XVIIIe.

" Mes Frères, nous vous exhortons de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu ; car il est dit : " Je t'ai exaucé au temps favorable, et je t'ai aidé au jour du salut ". Voici maintenant ce temps favorable ; voici maintenant les jours du salut. Prenons garde de ne blesser personne, afin que notre ministère ne soit point un sujet de blâme ; mais agissons en toutes choses comme des serviteurs de Dieu, et avec une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes; par la chasteté, par la science, par la longanimité, par la douceur, par le Saint-Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la force de Dieu, par les armes de la justice dont nous combattons à droite et à gauche ; dans l'honneur et dans l'ignominie, dans la bonne et la mauvaise renommée ; comme des séducteurs, quoique sincères el véritables ; comme des inconnus, quoique très connus ; comme toujours à la mort, et vivant néanmoins ; comme châtiés, mais non jusqu'à en mourir ; comme tristes, et cependant sans cesse dans la joie ; comme pauvres, et toutefois enrichissant plusieurs ; comme n'ayant rien, et possédant tout."



Saint Paul. Lorenzo di Niccolò di Martino. XVe.

Ce passage de l'Apôtre nous montre la vie chrétienne sous un aspect bien différent de celui sous lequel l'envisage ordinairement notre mollesse. Pour en éviter la portée, nous serions aisément disposés à penser que de tels conseils convenaient au premier âge de l'Eglise, où les fidèles, sans cesse exposés à la persécution et à la mort, avaient besoin d'un degré particulier de renoncement et d'héroïsme. Cependant ce serait une grande illusion de croire que tous les combats du chrétien sont finis. Reste toujours la lutte avec les démons, avec le monde, avec la chair et le sang ; et c'est pour cela que l'Eglise nous envoie au désert avec Jésus-Christ pour y apprendre à combattre.

C'est là que nous comprendrons que la vie de l'homme sur la terre est une milice (Job, VII, 1.), et que si nous ne luttons pas courageusement et toujours, cette vie que nous voudrions passer dans le repos finira par notre défaite. C'est pour nous faire éviter ce malheur que l'Eglise nous dit aujourd'hui, par l'organe de l'Apôtre : " Voici maintenant le temps favorable ; voici maintenant les jours du salut ". " Agissons donc en toutes choses comme des serviteurs de Dieu " ; et tenons ferme jusqu'à la fin de cette sainte carrière. Dieu veille sur nous, comme il a veillé sur son Fils au désert.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. IV.



La Tentation de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Sandro Boticcelli. XVIe.

" En ce temps-là, Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert pour y être tenté par le diable. Et après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Et le tentateur, s'approchant, lui dit :
" Si tu es le Fils de Dieu, commande que ces pierres deviennent des pains."
Jésus répondit :
" Il est écrit : " L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu"."
Alors le diable le transporta dans la ville sainte, et l'ayant posé sur le sommet du temple, lui dit :
" Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : " Il a commandé à ses Anges de prendre soin de toi ; ils te soutiendront de leurs mains, de peur que tu ne heurtes du pied contre la pierre "."
Jésus lui dit :
" Il est écrit aussi : " Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu "."
Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, et, lui montrant tous les royaumes du monde avec leur pompe, il lui dit :
" Je te donnerai tout cela, si tu veux te prosterner devant moi et m'adorer."
Alors Jésus lui dit :
" Arrière ! Satan ; car il est écrit : " Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul "."
Alors le diable le laissa, et aussitôt les Anges s'approchèrent de lui, et le servaient."



La Tentation de Notre Seigneur Jésus-Christ (détail).
Sandro Boticcelli. XVIe.

Admirons l'ineffable bonté du Fils de Dieu qui, non content d'expier par la croix tous nos pèches, a daigné, pour nous encourager à la pénitence, s'imposer un jeûne de quarante jours et de quarante nuits. Il n’a pas voulu que la justice de son Père pût exiger de nous un sacrifice qu'il n'eût offert lui-même le premier en sa personne, et toujours avec des circonstances mille fois plus rigoureuses que celles qui peuvent se rencontrer en nous. Que sont nos œuvres de pénitence, si souvent encore disputées à la justice de Dieu par notre lâcheté, si nous les comparons à la rigueur de ce jeûne du Sauveur sur la montagne ? Chercherons-nous encore à nous dispenser de ces légères satisfactions dont le Seigneur daigne se contenter, et qui sont si loin de ce qu'ont mérite nos fautes ? Au lieu de plaindre une légère incommodité, une fatigue de quelques jours, compatissons plutôt à ce tourment de la faim qu'éprouve notre Rédempteur innocent, durant ces longs jours et ces longues nuits du désert.

La prière, le dévouement pour nous, la pensée des justices de son Père le soutiennent dans ses défaillances ; mais, à l'expiration de la quarantaine, la nature humaine est aux abois. C'est alors que la tentation vient l'assaillir ; mais il en triomphe avec un calme et une fermeté qui doivent nous servir d'exemple. Quelle audace chez Satan d'oser approcher du Juste par excellence ! Mais aussi quelle patience en Jésus ! Il daigne souffrir que le monstre de l'abîme mette la main sur lui, qu'il le transporte par les airs d'un lieu à un autre. L'âme chrétienne est souvent exposée à de cruelles insultes de la part de son ennemi ; quelquefois même, elle serait tentée de se plaindre à Dieu de l'humiliation qu'elle souffre. Qu'elle songe alors à Jésus, le Saint des Saints, donné, pour ainsi dire, en proie à l'esprit du mal. Il n'en est pas moins le Fils de Dieu, le vainqueur de l'enfer ; et Satan n'aura recueilli qu'une honteuse défaite.



La Tentation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ary Scheffer. XIXe.

De même, l'âme chrétienne, sous l'effort de la tentation, si elle résiste de toute son énergie, n'en reste pas moins l'objet des plus tendres complaisances de Dieu, à la honte et au châtiment éternel de Satan. Unissons-nous aux Anges fidèles qui, après le départ du prince des ténèbres, s'empressent de reparer les forces épuisées du Rédempteur, en lui présentant de la nourriture. Comme ils compatissent a ses divines fatigues ! Comme ils réparent, dans leurs adorations, l'horrible outrage dont Satan vient de se rendre coupable envers le souverain Maître de toutes choses! Comme ils admirent cette charité d'un Dieu qui, dans son amour pour les hommes, semble avoir oublié jusqu'à sa dignité, pour ne plus songer qu'aux malheurs et aux besoins des enfants d'Adam !

18 février. Saint Siméon, évêque de Jérusalem et martyr. 106.

- Saint Siméon, évêque de Jérusalem et martyr. 106.
 
Pape : Saint Alexandre Ier. Empereur romain : Trajan.

" La plus vénérable de toutes les vieillesses n'est pas celle qui compte le plus d'années ; mais celle qui, à ses cheveux blancs, joint l'honneur d'une vie sans reproche et sans faiblesse ; car, dit encore le Seigneur, il est trois choses que je déteste par-dessus toutes : un pauvre orgueilleux, un riche vaniteux et un vieillard fat et insensé."
Sap., IV, 8 ; Eccli., XXV, 4.
 

Vincenzo Camucci. XVIIIe.

Le Cycle nous amène aujourd'hui un vieillard de cent vingt ans, un Evêque, un Martyr. Siméon est l'Evêque de Jérusalem, le successeur de l'Apôtre tint Jacques sur ce siège ; il a connu le Christ, il a été son disciple ; il est son parent selon la chair, de la même maison de David ; fils de Cléophas, et de cette Marie que les liens du sang unissaient de si près à la Mère de Dieu qu'on l'a appelée sa sœur. Que de titres de gloire dans cet auguste vieillard qui vient augmenter le nombre des Martyrs dont la protection encourage l'Eglise, dans cette partie de l'année où nous sommes ! Un tel athlète, contemporain de la vie mortelle du Christ, un pasteur qui a répété aux fidèles les leçons reçues par lui de la propre bouche du Sauveur, ne devait remonter vers son Maître que par la plus noble de toutes les voies. Comme Jésus, il a été attaché à une croix ; et à sa mort, arrivée en l'an 106, finit la première période de l'Histoire Chrétienne, ce que l'on appelle les Temps Apostoliques.

Honorons ce majestueux Pontife en qui se réunissent tant de souvenirs, et prions-le d'étendre sur nous cette paternité dont les fidèles de Jérusalem se glorifièrent si longtemps. Du haut du trône éclatant où il est arrivé par la Croix, qu'il jette un regard sur nous, et qu'il nous obtienne les grâces de conversion dont nos âmes ont tant besoin.


Martyr de saint Siméon. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Siméon, fils ou petit-fils de Cléopas, et cousin du Sauveur, était àgé de cent vingt ans. Depuis quelques mois on avait provoqué dans diverses villes de Judée des mouvements populaires dirigés contre les chrétiens. A Jérusalem, la haine des Juifs fit cause commune avec celle des hérétiques ébionites, esséens, elkasaïtes, dont plusieurs étaient à peine chrétiens.

Ces malheureux dénoncèrent l'évêque au double titre de chrétien et de descendant de David. Déjà, sous Domitien, l'autorité romaine avait poursuivi quelques pauvres gens apparentés à l'ancienne famille royale, mais ces poursuites s'étaient vite arrêtées devant l'inanité de l'accusation; sous Trajan, on reprit l'affaire, et la double accusation intentée contre le vieil évêque fut accueillie par le légat consulaire de la Palestine Tiberius Claudius Atticus.

Parmi ces hérétiques, il s'en trouva qui accusèrent Siméon, fils de Cléophas, d'appartenir à la famille de David et d'être chrétien. Siméon subit le martyre à l'âge de cent vingt ans, sous le règne de Trajan Auguste et l'administration d'Atticus, légat consulaire pour la Syrie. Siméon fut donc appelé à comparaître devant Atticus, et torturé pendant plusieurs jours de la façon la plus cruelle, Il ne laissa pas un instant de confesser sa foi, à ce point qu'Atticus lui-même et tous les assistants admirèrent grandement son courage. étonnés qu'un homme âgé de cent vingt ans pût supporter de si nombreuses tortures. On finit par le mettre en croix.


Martyr de saint Siméon. Gravure de Jacques Callot. XVIIe.
 
PRIERE
 
" Recevez l'humble hommage de la Chrétienté, sublime vieillard, qui surpassez en grandeur toutes les illustrations humaines. Votre sang est celui même du Christ ; votre doctrine, vous l'avez reçue de sa bouche ; votre charité pour les fidèles, vous l'avez allumée à son cœur ; votre mort n'est que le renouvellement de la sienne. Nous n'avons point l'honneur de pouvoir nous dire, comme vous, les frères du Seigneur ; mais rendez-nous, Ô Siméon , attentifs à cette parole qu'il a dite lui-même :
" Celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les deux, est pour moi un frère, une sœur, une mère." (Matth.XII, 50.).

Nous n'avons point reçu immédiatement, comme vous, de la bouche de Jésus, la doctrine du salut ; mais nous ne la possédons pas moins pure, au moyen de cette tradition sainte dont vous êtes l'un des premiers anneaux ; obtenez que nous y soyons toujours dociles, et que nos infractions nous soient pardonnées. Une croix n'a pas été dressée pour que nous y soyons cloués par nos membres ; mais ce monde est semé d'épreuves auxquelles le Seigneur a donné lui-même le nom de Croix. Il nous faut les subir avec constance, si nous voulons avoir part avec Jésus dans sa gloire. Demandez, Ô Siméon, que nous nous montrions plus fidèles, que notre cœur ne se révolte pas, que nous réparions les fautes que souvent nous avons commises, en voulant nous soustraire à l'ordre de Dieu."

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samedi, 17 février 2024

17 février. Saint Polychrone, évêque de Babylone, et ses compagnons, martyrs. 251.

- Saint Polychrone, évêque de Babylone, et ses compagnons, martyrs. 251.

Pape : Saint Corneille. Empereur romain : Trajan Dèce.

" Je vous donnerai des paroles et une sagesse à laquelle vos ennemis ne pourront résister et à laquelle il leur sera impossible de contredire."
Saint Luc ; XXI, 25.


Martyre de saint Polychrone et de saint Parménius.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Saint Polychrone, dont le martyrologe fait aujourd'hui mémoire, fut évêque de Babylone, en Chaldée, au IIIe siècle sous l'empire de Dèce. Cet empereur, s'étant rendu maître de ce pays par la force des armes, persécuta cruellement les Chrétiens, et, sachant que Polychrone en était le père, et comme le chef, il le fit prendre avec Parménius, Elymas et Chrysotèle, prêtres, Luc et Muce, diacres.

Tous ces siants furent conduits au temple des idoles pour leur offrir de l'encens et pour reconnaître leur divinité ; mais Polychrone, prenant la parole pour tous les autres, répondit :
" Pour nous, nous nous offrons nous-mêmes en sacrifice à Notre Seigneur Jésus-Christ, et nous ne nous inclinerons jamais devant le démon, ni devant ces idoles, qui sont travaillées par les mains des hommes."
L'empereur, transporté de colère, les fit jeter en prison et remit leur affaire au jugement d'un de ses prêteurs, appelé Appolo Valérien.

Celui-ci, faisant comparaître les Martyrs devant son tribunal, s'adressa au saint évêque et lui parla en ces termes :
" Es-tu ce Polychrone sacrilège qui méprise les dieux et les commandements des princes ?"
Le saint prélat ne lui répondit rien ; l'empereur, qui assitait à cet interrogatoire, dit au clergé de Polychrone :
" Quoi ! Votre prince se tait ?"
Alors le prêtre Parménius répondit :
" Notre Père ne s'est pas tu sans raison, mais il l'a fait pour obéir au commandement de Notre Seigneur Jésus-Christ qui a dit à ses Apôtres ; " Gardez-vous de jeter des perles devant les pourceaux, de crainte que, les foulant aux pieds, ils ne se jettent sur vous-mêmes " (Matth., VII, 6.)."

Le tyran, entendant cela, fut vivement irrité ; il commanda qu'on arrachât la langue à celui qui avait parlé de la sorte : ce qui fut exécuté, et néanmoins le prêtre, quoiqu'il eût la langue coupée, ne laissa pas de crier au saint prélat :
" Mon bienheureux Père Polychrone, priez pour moi, parce que je vois le Saint-Esprit qui règne en vous et qui, scellant votre bouche sacrée, répand dans la mienne une douceur de miel."

Dèce commanda à Polychrone de sacrifier aux dieux, afin de jouir par ce moyen, de son amitié et de se rendre digne de ses faveurs ; mais comme le saint évêque ne lui répondait pas un mot, il le fit frapper si cruellement sur la bouche que ce bienheureux martyr, élevant les yeux au ciel, rendit l'âme à Dieu dans les douleurs de ce supplice. Dèce fit jeter son corps devant le temple de Saturne. La nuit suivante, deux illustres seigneurs persans, saint Abdon et saint Sennen, qui étaient secrètement chrétiens, l'enlevèrent et l'ensevelirent avec honneur auprès de la ville de Babylone.


Saint Abdon et saint Sennen. Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.

Pour les autres Saints, prêtres et diacres, l'empereur les fit traîner après lui, chargés de fers et de chaînes ; mais comme elles se brisèrent toutes d'elles-mêmes, ce prince, attribuant ce miracle aux prestiges de l'art magique, les fit tourmenter sur le chevalet. Tandis que l'on étendait leurs membres, ils criaient à Parménius qu'il priât Notre Seigneur Jésus-Christ de leur donner la patience. Alors ce saint prêtre, bien que privé de sa langue, répondit :
" Que Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, vous donne la consolation de son divin Esprit, qui règne par tous les siècles."
Et ils répondirent :
" Ainsi soit-il."
Dèce, entendant cela, s'irrita plus que jamais, et commanda qu'on les jetât dans le feu ; mais ce fut sans effet, et l'on entendit une voix du ciel qui disait :
" Venez à moi, humbles de coeur."

Enfin, il furent décapités, et leurs corps jetés à la voierie ; on les fit garder par des soldats, et défense très expresse fut faote de leur donner la sépulture. Mais cela n'empêcha pas les courageux seigneurs Abdon et Sennen de leur rendre les mêmes devoirs qu'ils avaient rendus au saint évêque Polychrone ; ce qui leur mérita eux-mêmes quelques temps plus tard la couronne du martyre.


Martyre de saint Abdon et de saint Sennen.
Dessin. Etienne Parrocel. XVIIIe.

Rq : Le martyre de saint Polychrone et de ses compagnons est rapporté par Surius, en son quatrième tome, au 10 août. Le cardinal Baronius en fait une mémoire en ses Remarques sur le martyrologe, le 17 février, jour auquel saint Polychrone endura la mort pour Notre Seigneur Jésus-Christ. Le vénérable Bède, Usuard et Adon ne l'ont pas oublié en leurs Catalogues des Saints. Il y a diverses opinions touchant l'année de son triomphe ; Baronius le marque en l'année 253, Bollandus veut que ce soit 251.

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vendredi, 16 février 2024

16 février. Saint Grégoire X, pape. 1275.

- Saint Grégoire X, pape. 1276.

Papes : Clément IV (prédécesseur) ; Innocent V (successeur). Roi de France : Philippe III le Hardi. Empereur du Saint Empire : Rodolphe Ier de Habsbourg. Roi d'Aragon : Jacques Ier le Conquérant. Roi de Castille : Alphonse X le Sage. roi d'Angleterre : Edouard Ier Plantagenêt.

" Bous avons vécu en ce monde avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu ; non selon la sagesse de la chair, mais selon la grâce de Dieu."
Saint Paul ; IIe aux Cor., chap. I, 12.


Saint Grégoire X. Gravure. XVIe.

Théobald, depuis Grégoire X, naquit à Plaisance, de la noble famille des Visconti. On remarqua en lui, dès sa jeunesse, une vertu peu commune et une application extraordinaire à l'étude ; il acquit surtout une connaissance parfaite du droit canon.

Ayant entendu parler de la sainteté de Jacques de Pécoraria, cardinal-évêque de Préneste, il alla le trouver et se mit humblement à son service. Il en eut d'autant plus de joie que le cardinal lui parut encore plus saint que ne le disait la renommée.

Il le suivit dans la légation de France, l'an 1239, sous le pape Grégoire IX. Il y fut successivement chanoine de Lyon et archidiacre de Liège. Il refusa l'évêché de Plaisance, que lui offrait le pape Innocent IV. Il revenait de Rome, quand l'archevêque de Lyon, Philippe, le supplia instamment de rester auprès de lui pendant le concile général, afin de lui apprendre comment se conduire à l'égard du pape et des cardinaux.


Grace aux révélations de Nicolas Donin, Juif converti à la vraie foi,
Grégoire IX, célèbre notamment pour ses décrétales, donne ordre de
bruler tous les exemplaires du Talmud que les rois de France,
d'Angleterre et d'Espagne, et tous les évêques de la Chrétienté
pourront récupérer.

Le pieux archidiacre de Liège passait une partie de son temps à l'Université de Paris, pour s'y perfectionner dans les sciences convenables à son état. Le roi saint Louis lui témoignait une affection et une vénération si grandes, que beaucoup s'étonnaient qu'un si excellent roi honorât tant un ecclésiastique qui n'occupait point une haute dignité (Théobald n'était pas prêtre et ne le deviendra qu'à l'occasion de son élection sur le siège de Pierre). Mais le saint roi savait bien ce qu'il faisait ; il avait appris de lui et vu lui-même tant de choses merveilleuses, qu'il le regardait comme un temple de Dieu et un sanctuaire de l'Esprit-Saint.

Le cardinal-légat Ottobon, passant en Angleterre pour rétablir la paix entre le roi et barons, emmena Théobald avec lui à cause de son amour de la paix et de sa grâce particulière pour y amener les autres.

Saint Louis et les barons de France s'étant croisés pour la seconde fois, le pieux Théobald regarda comme une honte pour les clercs et les prélats de ne pas suivre l'exemple des laïques. Il prit donc la croix avec beaucoup de dévotion, et se rendit en Palestine. Le prince Edouard d'Angleterre et sa soeur Béatrice, comtesse de Bretagne, l'y reçurent avec beaucoup de joie. Et de fait sa présence n'y fut pas inutile. Il ranima le courage des pusillanimes, apaisa les différends et confirma un grand nombre dans leurs sainte résolution.


Hommage d'Edouard Ier Plantagenêt, roi d'Angleterre à
Philippe III le Hardi, roi de France. Grandes chroniques de France.
Jean Fouquet. XVe.

C'était en 1271. Tout à coup, l'on apprit en Palestine que le saint archidiacre de Liège avait été élu pape. Il y avait près de trois ans que la chaire apostolique était vacante, les cardinaux assemblés à Viterbe n'ayant pu s'accorder sur le choix d'un pontife. Ennuyés, à la fin, de ne pouvoir rien terminer, jeûnant au pain et à l'eau, ils eurent recours à un compromis, et les six cardinaux, auxquels tous les autres avaient remis leurs pouvoirs, élurent à l'unanimité notre Saint, le 1er septembre 1271. C'est après cet épisode de vacance long et difficile que fut institué le conclave pour ordonner plus précisément l'élection des papes.

Le nouveau pape reçut l'acte de son élection à Saint-Jean d'Acre (ou Ptolémaïde) ; il y acquiesça le 27 octobre et prit le nom de Grégoire X. La nouvelle de son élection donna beaucoup de joie aux Chrétiens de la Terre-Sainte ; ils espéraient qu'il leur enverrait un grand secours. Lui-même, dans un sermon qu'il fit au moment de partir, s'écria avec le Psalmistes :
" Si je t'oublie, Ô Jérusalem ! Que ma main droite soit mise en oubli ! Que ma langue s'attache à mon palais, si je ne te garde pas dans mon souvenir, si je ne mets pas Jérusalem au commencement de toutes mes joies !"

La première chose que le nouveau pape, saint Grégoire X, eut à faire, ce fut de répondre, comme chef de l'Eglise catholique, et d'envoyer des nonces au grand khan des Tartares, l'empereur de Chine, Koubilaï (ou Chi-Tsou).


Koubilaï khan, empereur des Tartares et de la Chine. Estampe. XIVe.

Ce puissant monarque, de l'avis de ses princes, envoya au Pape les deux frères vénitiens Paolo, avec un seigneur de l'empire chinois nommé Gogak. Ces trois ambassadeurs devaient demander au Pontife suprême cent hommes savants et bien instruits dans la loi chrétienne, qui pusse montrer que la foi des Chrétiens doit être préférée à toutes les sectes diverses, qu'elle est l'unique voie du salut et que les dieux des Tartares sont des démons qui en imposent aux Orientaux.

En effet, l'empereur, ayant beaucoup entendu parler de la foi catholique, mais voyant avec quelle témérité les savants de la Tartarie et de la Chine soutenaient leur créance, ne savait de quel côté pencher, ni quelle voie embrasser comme la véritable. Il pria, de plus, les ambassadeurs de lui apporter un peu d'huile de la lampe qui brûlait devant le Seigneur au Saint Sépulcre, persuadé qu'elle ne lui serait pas peu utile si Notre Seigneur Jésus-Christ était le Sauveur du monde.

Après trois ans de voyage, le seigneur tartare étant demeuré en route pour maladie, les deux autres ambassadeurs arrivèrent à Saint-Jean-d'Acre. Y ayant appris la mort du pape Clément IV (franc originaire d'Auvergne, Guy Foucault, ancien évêque du Puy, ami de saint Thomas d'Aquin et conseiller de saint Louis, avait règné du 5 février 1265 au 29 novembre 1268), ils s'adressèrent à l'archidiacre Théobald, qui faisait les fonctions d'internonce apostolique en Palestine. Il leur conseilla d'attendre qu'il y eut un nouveau pape. Dans l'intervalle, ils allèrent à Venise, leur patrie, et, après deux ans d'attente, repassèrent à Saint-Jean d'Acre, avec le fils de l'un d'eux, le célèbre Marco Paolo qui fit une relation de leur voyage. Le nonce Théobald leur donna des lettres avec une exposition de la foi chrétienne.

Saint Grégoire X envoyant les frères Paolo, les célèbres marchands,
munis de lettres et accompagnés de plusieurs théologiens à
l'empereur des Tartares et de la Chine, Koubilaï khan.
Livres des merveilles. Maître de la Mazarine. XVe.

A peine s'étaient-ils mis en route, que Théobald, devenu Grégoire X, les rappela, leur donna d'autres lettres pour le suprême empereur des Tartares, et leur adjoignit deux Frères Prêcheurs, Nicolas et Guillaume de Tripoli. Après leur long périple, ils furent reçus avec une extrême bienveillance par l'empereur des Tartares et de la Chine. Ils lui présentèrent les lettres du nouveau Pape, ainsi que l'huile de la lampe du Saint Sépulcre, qu'il fit placer dans un lieu honorable. C'est ce que témoigne Marco Paolo qui était présent.

Saint Grégoire X s'embarqua au milieu de l'hiver, à Saint-Jean-d'Acre. Le prince Edouard d'Angleterre le fournit abondamment de toutes choses. L'empereur grec, Michel Paléologue, se plaignit amicalement de ce qu'il n'avait point passé par Constantinople, où il eût été reçu avec la pompe et la joie les plus grandes. Enfin, il arriva heureusement au port de Brindes (Brindisi), le 1er janvier 1272. Son arrivée répandit la joie dans toutes l'Italie et dans toute la Chrétienté. A Bénévent, le roi Charles de Sicile vint à sa rencontre et l'accompagna par tout son royaume, lui servant d'écuyer. A Cépérano, il trouva plusieurs cardinaux qui venaient au-devant de lui, entra avec eux à Viterbe le 10 février, y revêtit le manteau papl, et prit solennellement le nom de Grégoire, tant à cause de sa dévotion pour saint Grégoire le Grand, que parce que sa fête était proche.


Charles Ier de Sicile. Tombeau dans la basilique de Saint-Denis.

Etant encore sur les terres du roi de Sicile, il avait reçu une députation des plus grands de Rome, qui le priaient instamment d'y venir. Mais il considéra qu'à Rome, il pourraient trouver d'autres affaires qui le détourneraient de celle de la Terre-Sainte, à laquelle il voulait donner ses premiers soins. Il étaiot donc allé à Viterbe où résidaient les cardinaux et la cour de Rome. Là, sans se donner le temps de se reposer après un si long voyage, et fermant la porte à toutes les autres affaires, il travailla uniquement, pendant huit jours, au secours de la Terre-Sainte, qu'il avait laissée réduite à l'extrémité. Il engagea Pise, Gênes, Marseille et Venise, à fournir chacune trois galères armées ; et, pour subvenir aux frais de la guerre, il donna ordre au recouvrement des legs pieux qui étaient destinés à cet effet et qui étaient considérables.

Il envoya ensuite l'archevêque de Corinthe en France, avec une lettre au roi Philippe III le Hardi, où il parle avec effusion du roi saint Louis qu'il témoigne avoir aimé de tout son coeur, et où il rapelle au fils le zèle de son père pour la délivrance de la Terre-Sainte. Il ajoute aussi :
" Quand nous y étions, nous avons conféré avec les chefs de l'armée chrétienne, avec les Templiers, les Hospitaliers et les grands du pays, sur les moyens d'en empêcher la ruine totale. Nous en avons encore traîté depuis avec nos frères les cardinaux, et nous avons trouvé qu'il faut y envoyer dès à présent une certaine quantité de troupes et de galères, en attendant un plus grand secours, que nous espérons de lui procurer par un concile général."


Philippe le Hardi au début du procès de canonisation de saint Louis.
Vie de saint Louis. Guillaume de Saint-Pathus. XIVe.

Saint Grégoire X fut sacré à Rome, dans la basilique Saint-Pierre, le 27e jour de mars 1272 qui était le troisième dimanche de Carême. Il fut reconduit avec pompe de la basilique au palais de Latran ; le roi Charles de Sicile marchait à sa droite, faisant les fonctions d'écuyer. Au repas qui eut lieu ensuite, le même prince voulut servir au Pape le premier plat. A la fin de la solennité, le roi fut au Pape l'hommage et le serment de fidélité qu'il devait pour le royaume de Sicile.

Deux jours après, le Pape fit expédier une lettre circulaire à tous les évêques, pour leur faire part de son ordination, suivant la coutume. Cette lettre fut suivi de près d'une autre, également adressée aux évêques, afin d'assembler un concile général. Le saint Pape en marque principalement trois causes :
- le schisme des Grecs ;
- le mauvais état de la Terre-Sainte ;
- les vices et les erreurs qui se multipliaient dans l'Eglise.

Saint Grégoire X arrivant en procession au château
Saint-Ange à Rome après son sacre. Giovanni di Paolo. XVe.

Dans cette bulle, qui est datée du dernier jour de mars 1272, saint Grégoire y précise notamment :
" Voulant donc remédier à tant de maux par un concile commun, nous vous demandons de vous trouver le 1er mai de l'an 1274 au lieu que nous vous indiquerons dans le temps convenable. Nous voulons qu'en chaque province demeurent un ou deux évêques pour exercer les fonctions épiscopales, et que ceux qui demeureront envoient des députés au concile, aussi bien que les Chapîtres, tant des cathédrales que des collégiales. Cependant, vous examinerez et mettrez par écrit ce qui a besoin de correction pour l'apporter au concile."

Pour prendre soin du spirituel dans la Terre-Sainte, le pape Grégoire donna le titre de patriarche de Jérusalem au frère Thomas de Lentini, en Sicile, dominicain, précédemment évêque de Béthléem. Il le fit encore son légat en Arménie, en Chypre, dans la principauté d'Antioche, les îles voisines et toute a côte d'Orient. Il lui recommanda surtout de travailler à la réformation des moeurs des chrétiens latins de ces provinces. Voici comme il lui en parle dans une de ses lettres :
" Vous savez par vous-mêmes les crimes énormes qui s'y commettent, et que les malheureux esclaves de la volupté, s'abandonnent aux mouvements de la chair, ont attiré la colère de Dieu sur Antioche et tant d'autres lieux que les ennemis ont détruits. Il est étonnant que nos frères soient si peu touchés de ces exemples qu'ils continuent les mêmes désordres, sans s'en repentir, jusqu'à ce qu'ils périssent eux-mêmes."


Le frères Paolo remettant les lettres de saint Grégoire X
à Koubilaï khan. Voyage de Marco Paolo. XIIIe.

En attendant le concile général qui devait se tenir à Lyon, le pape Grégoire travaillait à pacifier les villes d'Italie. Sa sainte vie était bien propre à gagner les coeurs. Tous les jours il lavait les pieds à plusieurs pauvres avec une humilité qui tirait les larmes des yeux de tous les assistants. Il avait des officiers pour aller à la découverte des malheureux et leur distribuer des aumônes. Il ne fit jamais qu'un repas par jour, uniquement pour soutenir la faiblesse du corps, non pour aucun plaisir. A table, il était si attentif à la lecture, qu'en sortant il n'aurait pu dire ce qu'il avait mangé. Tout le temps que lui laissaient ses affaires, il le consacrait à la prière et à la contemplation.

De son vivant, on rapporte de lui ce miracle : étant à Lyon pendant une inondation de la Saône, il vit de saa fenêtre une pauvre femme tombée dans le fleuve et submergée par les flots, à tel point que des mariniers partis à son secours s'en revinrent sans aucun espoir ; mais dès le premier moment, le saint pontife avait prié la Miséricorde divine, qui a soutenu saint Pierre marchant sur les flots et sauvé trois fois saint Paul du naufrage, de tendre une main secourable à cette pauvre femme et de la délivrer d'une mort aussi fâcheuse. Bientôt la femme reparaît sur les eaux ; les mariniers surpris retournent à son secours et la sauvent dans leur barque, n'ayant pas plus de mal que si elle avait pris un bain. Le Pape envoya un de ses chambellans (ou camériers) interroger la femme, qui lui raconta qu'elle été délivrée par un personnage vénérable qu'elle ne connaissait pas.


Edouard Ier Plantagenêt, roi d'Angleterre. Gravure. XVIIIe.

A cette tendre charité pour les pauvres, saint Grégoire X joignait une fermeté invincible envers les grands coupables. Le roi Edouard d'Angleterre lui avait demandé justice du meurtre commis sur la personne d'Henri d'Allemagne, son cousin, par Guy de Montfort. Voici comment le saint Pape lui rendit compte, le 29 novembre 1273, de ce qui s'était passé en cette affaire :

" Quand nous fûmes à Florence, Guy de Montfort nous envoya sa femme et plusieurs autres personnes demander instamment la permission de venir en notre présence, assurant qu'il était prêt à obéir à nos ordres ; mais nous voulûmes prendre du temps pour éprouver la sincérité de son repentir. Au sortir de Florence, environ à deux milles, il se présenta à nous, accompagné de quelques autres, tous nu-pieds, en tunique, la corde au cou, prosternés à terre et fondant en larmes. Comme plusieurs de notre suite s'arrêtèrent à ce spectacle, Guy de Montfort s'écria qu'il se soumettait sans réserve à nos commandements, et demandait instamment d'être emprisonné en tel lieu qu'il nous plairait, pourvu qu'il obtînt son absolution.

Toutefois, nous ne voulûmes pas alors l'écouter ; nous ne lui fîmes aucune réponse ; au contraire, nous adressâmes une réprimande à ceux qui l'accompagnaient, comme prenant mal leur temps. Mais ensuite, de l'avis de nos frères, nous avons mandé à nos cardinaux-diacre résidant à Rome, de lui assigner en quelque forteresse de l'Eglise romaine un lieu pour sa prison, et de la faire garder pendant notre absence par les ordres du roi Charles de Sicile."

Guy de Montfort se soumit à tous les ordres du Pape, qui, l'année suivante, en tempéra la sévérité en permettant au patriarche d'Aquilée de le rendre à la communion des fidèles, mais sans préjudice du reste de sa peine.


Ouverture du 2e concile de Lyon par saint Grégoire X.
Toison d'or. Guillaume Fillastre. XVe.

Saint Grégoire X étant arrivé à Lyon, le roi Philippe de France l'y alla visiter, et lui laissa pour sa garde une troupe choisie de gens de guerre pour sa garde commandée par Imbert de Beaujeu, son parent. Ce monarque avait remis au Pape le comtat Venaissin, qui avait été cédé au Saint-Siège sous le pontificat de Grégoire IX, et que néanmoins Alphonse, comte de Toulouse, dont le roi Philippe venait d'hériter, avait retenu jusqu'alors.

Cependant les prélats et les ambassadeurs arrivaient de toutes part pour le concile. Il s'y trouva cinq cents évêques, soixante-dix abbés et mille autres prélats. Parmi les cardinaux, on distinguait saint Bonaventure, évêque d'Albano, et Pierre de Tarantaise, évêque d'Ostie, depuis pape sous le nom d'Innocent V. Saint Thomas d'Aquin avait reçu ordre du Pape de s'y trouver, mais il mourut en chemin. Saint Bonaventure mourut quelques temps après, avant la quatrième et dernière session du concile, trois jours avant la fin du concile. On lui fit des funérailles magnifiques, auxquelles tous les membres du concile, le pape lui-même et des rois assistèrent.

Le Concile, deuxième de Lyon, s'ouvrit le 2 mai 1274, après un jeûne de trois jours. Le 24 arrivèrent les ambassadeurs de l'empereur grec, Michel Paléologue, pour travailler à la réunion des Grecs schismatiques avec l'Eglise romaine, ce qui eut lieu le jour de saint Pierre et de saint Paul, 29e jour de juin 1274.


Saint Bonaventure au concile de Lyon. Francisco de Zurbaran. XVIIe.

Le 4 juillet vit un spectacle plus étonnant encore, des Tartares arrivant au Concile. C'étaient seize ambassadeurs du khan Abaga, arrière-petit-fils de Gengis khan. Le Pape Grégoire X, pour leur faire honneur, voulut que les officiers des cardinaux et des prélats allassent au-devant d'eux. On les lui amena dans son appartement, où se trouvait des cardinaux pour parler des affaires du concile. Cette ambassade n'avait pour but qu'un traîté d'alliance avec les chrétiens contre les musulmans. Après le concile, on lut la lettre du khan dans la quatrième session ; le Pape répondit à ce prince qu'il enverrait ses légats en Tartarie pour traîter avec lui non seulement des propositions qu'il faisait, mais aussi d'autres affaires touchant son salut. Notons qu'un des ambassadeurs reçut le saint baptême pendant le concile.

Saint Grégoire X publia plusieurs constitutions importantes qui font partie du droit canon. Un article défend à l'évêque nommé d'un diocèse de s'ingérer à l'administration sous couleur quelconque, jusqu'à ce que sa nomination soit confirmée par le Saint-Siège. Le 17 juillet, le saint Pontife termina le concile en donnant sa bénédiction à tous les assistants. Il congédia les ambassadeurs grecs, comblés de présents et enchantés de la manière honorable et cordiale dont ils avaient été reçus. Il congédia de même les ambassadeurs tartares, avec des lettres pour le khan Abaga. Il adressa des lettres et admonitions aux Chrétiens d'Europe, pour les obliger à gouverner chrétiennement leurs peuples.

A Lausanne, en 1275, il eut une entrevue avec le nouveau roi des Romains, Rodolphe de Habsbourg, qui lui prêta serment comme défenseur de l'Eglise romaine et futur empereur.


Rodolphe Ier, roi des Romains. Statue. Musée du mausolée
de Maximilien Ier de Habsbourg. Insbrück. Autriche. XVIIe.

Le saint Pape s'en retournait ainsi à Rome, faisant le bien partout, lorsqu'il tomba malade à Arezzo, en Toscane, et mourut le 10 janvier 1276, après avoir tenu le Saint-Siège trois ans, neuf mois et quinze jours. Il mourut comme il avait vécu, en Saint. Quand il sentit approcher sa dernière heure, il demanda le crucifix, baisa dévotement les pieds du Sauveur, les arrosant de larmes, adressa la Salutation angélique à la Sainte Vierge, recommanda son âme à Dieu et rendit si tranquillement l'esprit qu'il avait l'air de s'endormir d'un doux sommeil. Sa fête est marquée au 16 février dans le martyrologe romain de Benoît XIV.

Tous les historiens parlent de Grégoire X comme d'un saint. Les Grecs eux-mêmes, dans le concile qu'ils tinrent à Constantinople après sa mort, l'appellent un homme bienheureux et très-saint : si toutefois, ajoutent-ils, on doit l'appeler un homme et non pas un ange.

Exposition du corps de saint Bonaventure après son décès
au concile de Lyon, en présence de saint Grégoire X.
F. de Zurbaran. XVIIe siècle.

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16 février. Saint Onésime, disciple de saint Paul, évêque d'Ephèse et martyr. 95.

- Saint Onésime, disciple de saint Paul, évêque d'Ephèse et martyr. 95.
 
Pape : Saint Clément. Empereur romain : Domitien.
 
" Nous avons vécu en ce monde avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu ; non selon la sagesse de la chair, mais selon la grâce de Dieu."
IIe aux Cor., I, 12.
 

Saint Philémon accueillant saint Onésime.
Bible historiale. Guiard des Moulins. XIVe.
 
Onésime eut le bonheur de saluer à Smyrne, saint Ignace d'Antioche qui se rendait à Rome pour y être exposé aux bêtes. Dans sa lettre aux Éphésiens, le martyr loue la charité de l'évêque d'Éphèse.

Le procureur d'Asie, voyant qu'Onésime, malgré la persécution, prêchait avec courage, le fit arrêter et l'envoya à Tertulle, gouverneur de Rome, ennemi personnel d'Onésime. Comme saint Onésime refusait de sacrifier aux idoles, le gouverneur le fit étendre sur le dos, lui fit rompre les jambes et les cuisses avec des leviers et le fit lapider.


Eglise Saint-Onésime. Donchéry près de Sedan. Ardennes françaises.

Saint Onésime est le patron des serviteurs et des domestiques. Son attribut est le bâton avec lequel on lui rompit les jambes, ou bien la lapidation.

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jeudi, 15 février 2024

15 février. Saint Faustin et saint Jovite, frères, martyrs. 122.

- Saint Faustin et saint Jovite, frères, martyrs. 122.

Pape : Saint Sixte Ier. Empereur romain : Hadrien.

" Mon esprit, dit le Seigneur, se plaît en trois choses : la concorde entre frères, l'amour des proches, un mari et une femme qui n'ont qu'un coeur et qu'une âme."
Eccli., XXV, 1.


Saint Faustin et saint Jovite aux pieds de Notre Dame.
Vincenzo Foppa. XVe.

Les deux frères martyrs que nous honorons aujourd'hui souffrirent au commencement du second siècle de l'ère chrétienne ; leur mémoire s'est cependant conservée avec honneur dans l'Eglise. La gloire des conquérants et des hommes d'Etat passe rapidement, et bientôt leurs noms décolorés s'effacent de la mémoire des peuples ; on interroge les savants pour savoir s'ils ont existé, à quelle époque, et quelles ont été leurs actions. Brescia, la capitale de la Cénomanie italienne, se souvient à peine de ceux qui l'ont régie ou illustrée au IIe siècle ; mais voici deux de ses citoyens dont le souvenir durera autant que le monde. L'univers entier proclame leur gloire et célèbre leur invincible courage. Glorifions-les en ces jours où leurs exemples nous parlent si éloquemment de la fidélité que le chrétien doit à Dieu.

Saint Faustin et saint Jovite étaient frères et appartenaient à une famille distinguée de la ville de Brescia en Lombardie. Dès leur jeunesse, ils furent remarquables par leur piété et par leur zèle, non moins que par leur amitié mutuelle : on ne vit jamais deux frères si unis de sentiments et d'inclinations.

Faustin, l'aîné, avait été ordonné prêtre par Apollonius, l'évêque de Brescia, et Jovite était diacre. Quand l'empereur Adrien raviva la persécution contre les chrétiens, ils furent les premiers dénoncés, à cause de leur ardeur à prêcher Jésus-Christ. Italique, qui fut chargé par Adrien d'appliquer la persécution à Brescia, n'arrivait pas à faire adorer les idoles par nos deux saints. Conduits près de l'empereur qui passait par Brescia pour se rendre en France, dans un temple du soleil, pour assister au sacrifice, celui-ci leur dit :
" Adorez le soleil, leur dit-il, si vous voulez continuer de vivre et d'être heureux.
- Nous n'adorerons que le Dieu vivant qui a créé le soleil pour éclairer le monde."


Maître-autel de l'église Saint-Faustin Saint-Jovite de Brescia.
Stefano Bolognini. Italie. XVIIe.

La statue que leur montrait l'empereur était fort brillante et environnée de rayons d'or. Jovite, la fixant, s'écria :
" Oui, nous adorons le Dieu qui règne dans le Ciel et le Créateur du soleil. Pour toi, vaine statue, deviens à l'instant même toute noire, pour la confusion de ceux qui t'adorent."

A sa parole, la statue perdit son éclat et devint noire, comme l'avait demandé le saint martyr. L'empereur commanda de la nettoyer ; mais à peine les prêtres païens y eurent-ils touchée, qu'elle tomba en cendres. Irrité, il ordonna alors de jeter les deux frères aux bêtes féroces.

A peine étaient-ils entrés dans l'amphithéâtre, que quatre lions, lâchés pour les dévorer, vinrent se coucher à leurs pieds, et qu'ensuite les ours et les léopards s'approchèrent d'eux avec la douceur des agneaux.

Attribuant ce prodige à Saturne, Italique et des prêtres apportèrent en procession une statue du faux dieu dans l'amphithéâtre afin de la leur faire adorer. Les bêtes féroces se jettèrent sur eux et les tuèrent tous.

La femme d'Italique, Affre dit alors à l'empereur :
" Quels dieux adorez-vous ô empereur ? des dieux qui be sauraient garantir leurs sacrificateurs ni eux-mêmes ; et votre cruauté et votre superstition sont cause que je suis veuve aujourd'hui."

Ainsi Affre se convertit-elle à la vraie foi avec sa suite, mais aussi Calocère, un des premiers de la cour de l'empereur, avec tous ses gens.


Martyre de saint Faustin et de saint Jovite.
Vies de saints. R. de Monbaston. XIVe.

Jetés dans un sombre cachot, ils y furent laissés sans nourriture. Les anges descendirent du Ciel, éclairèrent leurs ténèbres et leur rendirent la force et la joie pour de nouveaux combats. Adrien était très inquiet de l'exemple que donnait saint Faustin et saint Jovite et des conversions qu'il provoquait jusque dans son entourage proche. Il fit massacrer un certain nombre d'entre eux et fit conduire nos deux saints et Calocère à Milan.

Arrivés à Milan, on les attacha tous trois ensemble, les allongea le visage vers le ciel et leur versa du plomb fondu dans la bouche. Nouveau prodige : le plomb brula cruellement les bourreau sans faire aucun mal à nos trois saints compagnons. Ensuite on les tortura en leur enfonçant dans le côté des lames ardentes. Calocère, qui ressentit l'immense douleur que cette torture produisit leur dit :
" Priez Dieu pour moi, saints Martyrs ! Car je suis extrêmemnt tourmenté par ce feu !
- Bon courage Calocère, cela ne durera pas longtemps, et la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ sera avec vous !"

Alors que l'on faisait un grand feu autour d'eux, les flammes ne leur firent aucun mal et ils n'eurent plus aucune douleur à souffrir. Ce que voyant, un nombre important d'assistant aux supplices se convertirent.

L'empereur donna le soin à Antiochus, gouverneur des Alpes, de faire périr Calocère ainsi que d'autres chrétiens, et retourna à Rome avec saint Faustin et saint Jovite. Là, ils souffrirent à nouveau un grand nombre de tortures. Celles-ci n'eurent à nouveau pour effet que la conversion d'un grand nombre de païens. Nos deux frères reçurent le secours en prison du pape Evariste qui vint les visiter discrètement.


Autel Saint-Faustin Saint-Jovite. Eglise de la Charité. Brescia. Italie.

De là, l'empereur se rendit à Naples, toujours se faisant accompagner de nos saints. Ils y furent jetés dans la mer : en vain... les flots les portèrent jusqu'au rivage.

Enfin, l'empereur les fit reconduire à Brescia, espérant que tous ceux qui s'étaient convertis reviendraient au paganisme à la vue de leur mort. Ils y eurent a tête tranchée, à la porte qui conduit à Crémone, le 15 février de l'an 122 selon Baronius.

Leur martyre dura longtemps car il commenca sous Trajan et finit sous Adrien. Ils sont les saints patrons de la ville de Brescia qui conserve toujours leurs précieuses reliques.

Saint Faustin et saint Jovite sont représentés avec une croix entre eux deux pour signifier leur ardeur à prêcher Notre Seigneur Jésus-Christ jusque dans les pires tourments, mais aussi avec l'épée, l'attribut de leur supplice. Ils sont invoqués comme exemple de concorde et d'amour chrétien entre les frères et plus généralement dans les familles.

PRIERE

" Martyrs de Jésus-Christ, lorsque nous comparons nos épreuves aux vôtres, vos combats avec ceux que nous avons à soutenir, quelle reconnaissance ne devons-nous pas à Dieu qui a tant ménagé notre faiblesse ! Nous qui sommes si prompts à violer la loi du Seigneur, si lents à nous relever quand nous sommes tombés, si faibles dans la foi et dans la charité, comment eussions-nous supporté les tourments qu'il vous a fallu traverser pour arriver au repos éternel ? Cependant, nous sommes en marche vers le même terme où vous êtes déjà parvenus. Une couronne aussi nous attend, et il ne nous est pas libre d'y renoncer. Relevez notre courage, Ô saints Martyrs ; armez-nous contre le monde et contre nos mauvais penchants, afin que non seulement notre bouche, mais nos œuvres et nos exemples confessent Jésus-Christ, et témoignent que nous sommes chrétiens."

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mercredi, 14 février 2024

Mercredi des Cendres.

- Mercredi des Cendres.


Notre Seigneur Jésus-Christ bénissant. Andrea di Bartolo Solari. XVIe.

Hier le monde s'agitait dans ses plaisirs, les enfants de la promesse eux-mêmes se livraient à des joies innocentes ; dès ce matin, la trompette sacrée dont parle le Prophète a retenti (Voir ci-après l'Epître de la Messe.). Elle annonce l'ouverture solennelle du jeûne quadragésimal, le temps des expiations, l'approche toujours plus imminente des grands anniversaires de notre salut. Levons-nous donc, chrétiens, et préparons-nous à combattre les combats du Seigneur.

Mais, dans cette lutte de l'esprit contre la chair, il nous faut être armés, et voici que la sainte Eglise nous convoque dans ses temples, pour nous dresser aux exercices de la milice spirituelle. Déjà saint Paul nous a fait connaître en détail toutes les parties de notre défense : " Que la vérité, nous a-t-il dit, soit votre ceinture, la justice votre cuirasse, la docilité à l'Evangile votre chaussure, la foi votre bouclier, l'espérance du salut le casque qui protégera votre tête " (Eph. VI, 16.). Le Prince des Apôtres vient lui-même, qui nous dit : " Le Christ a souffert dans sa chair ; armez-vous de cette pensée " "(I Petr. IV, 1.). Ces enseignements apostoliques, l'Eglise aujourd'hui nous les rappelle ; mais elle en ajoute un autre non moins éloquent, en nous forçant à remonter jusqu'au jour de la prévarication, qui a rendu nécessaires les combats auxquels nous allons nous livrer, les expiations par lesquelles il nous faut passer.

Deux sortes d'ennemis sont déchaînés contre nous : les passions dans notre cœur, les démons au dehors ; l'orgueil a fait tout ce désordre. L'homme a refusé d'obéir à Dieu ; toutefois, Dieu l'a épargné, mais à la dure condition de subir la mort. Il a dit: " Homme, tu n'es que poussière, et tu rentreras dans la poussière " (Gen. III, 19.). Oh ! Pourquoi avons-nous oublié cet avertissement ? A lui seul il eût suffi pour nous prémunir contre nous-mêmes ; pénétrés de notre néant, nous n'eussions jamais osé enfreindre la loi de Dieu.


Les démons suscitent les vices et sèment la désolation dans le peuple.
La Cité de Dieu. Saint Augustin. Raoul de Presles. XVe.

Si maintenant nous voulons persévérer dans le bien, où la grâce du Seigneur nous a rétablis, humilions-nous ; acceptons la sentence, et ne considérons plus la vie que comme un chemin plus ou moins court qui aboutit au tombeau. A ce point de vue, tout se renouvelle, tout s'éclaire. L'immense bonté de Dieu qui a daigné attacher son amour à des êtres dévoués à la mort, nous apparaît plus admirable encore ; notre insolence et notre ingratitude envers celui que nous avons bravé, durant ces quelques instants de notre existence, nous semble de plus en plus digne de regrets, et la réparation qu'il nous est possible de faire, et que Dieu daigne accepter, plus légitime et plus salutaire.

Tel est le motif qui porta la sainte Eglise, lorsqu'elle jugea à propos, il y a plus de mille ans, d'anticiper de quatre jours le jeûne quadragésimal, à ouvrir cette sainte carrière en marquant avec la cendre le front coupable de ses enfants, et en redisant à chacun les terribles paroles du Seigneur qui nous dévouent à la mort. Mais l'usage de la cendre, comme symbole d'humiliation et de pénitence, est bien antérieur à cette institution, et nous le trouvons déjà pratiqué dans l'ancienne alliance. Job lui-même, au sein de la gentilité, couvrait de cendres sa chair frappée par la main de Dieu, et implorait ainsi miséricorde, il y a quatre mille ans (Job. XVI, 16.). Plus tard, le Roi-Prophète, dans l'ardente contrition de son cœur, mêlait la cendre au pain amer qu'il mangeait (Psalm. CI, 10.) ; les exemples analogues abondent dans les Livres historiques et dans les Prophètes de l'Ancien Testament.


Pénitence. Decretum. Gratianus. XIIIe.

C'est que l'on sentait dès lors le rapport qui existe entre cette poussière d'un être matériel que la flamme a visité, et l'homme pécheur dont le corps doit être réduit en poussière sous le feu de la justice divine. Pour sauver du moins l'âme des traits brûlants de la vengeance céleste, le pécheur courait à la cendre, et reconnaissant sa triste fraternité avec elle, il se sentait plus à couvert de la colère de celui qui résiste aux superbes et veut bien pardonner aux humbles.

Dans l'origine, l'usage liturgique de la cendre, au Mercredi de la Quinquagésime, ne paraît pas avoir été appliqué à tous les fidèles, mais seulement à ceux qui avaient commis quelqu'un de ces crimes pour lesquels l'Eglise infligeait la pénitence publique. Avant la Messe de ce jour, les coupables se présentaient à l'église où tout le peuple était rassemblé. Les prêtres recevaient l'aveu de leurs péchés, puis ils les couvraient de cilices et répandaient la cendre sur leurs têtes.


La pénitence. Maso di Banco. XIVe.

Après cette cérémonie, le clergé et le peuple se prosternaient contre terre, et on récitait à haute voix les sept psaumes pénitentiaux. La procession avait lieu ensuite, à laquelle les pénitents marchaient nu-pieds. Au retour, ils étaient solennellement chassés de l'église par l'Evêque, qui leur disait :
" Voici que nous vous chassons de l'enceinte de l'Eglise, à cause de vos péchés et de vos crimes, comme Adam, le premier homme, fut chassé du Paradis, à cause de sa transgression."

Le clergé chantait ensuite plusieurs Répons tirés de la Genèse, dans lesquels étaient rappelées les paroles du Seigneur condamnant l'homme aux sueurs et au travail , sur cette terre désormais maudite. On fermait ensuite les portes de l'église, et les pénitents n'en devaient plus franchir le seuil que pour venir recevoir solennellement l'absolution, le Jeudi-Saint.

Après le XIe siècle, la pénitence publique commença à tomber en désuétude ; mais l'usage d'imposer les cendres à tous les fidèles, en ce jour, devint de plus en plus général, et il a pris place parmi les cérémonies essentielles de la Liturgie romaine. Autrefois, on s'approchait nu-pieds pour recevoir cet avertissement solennel du néant de l'homme, et, encore au XIIe siècle, le Pape lui-même, se rendant de l'Eglise de Sainte-Anastasie à celle de Sainte-Sabine où est la Station, faisait tout ce trajet sans chaussure, ainsi que les Cardinaux qui l'accompagnaient. L'Eglise s'est relâchée de cette rigueur extérieure ; mais elle n'en compte pas moins sur les sentiments qu'un rite aussi imposant doit produire en nous.


Joël et les sonneurs de trompes.
Bible historiale. Guiard des Moulins. XVe.

Ainsi que nous venons de le dire, la Station, à Rome, est aujourd'hui à Sainte-Sabine, sur le Mont-Aventin. C'est sous les auspices de cette sainte Martyre que s'ouvre la pénitence quadragésimale.

La fonction sacrée commence par la bénédiction des cendres que l'Eglise va imposer sur nos fronts. Ces cendres sont faites des rameaux qui ont été bénis l'année précédente, au Dimanche qui précède la Pâque. La bénédiction qu'elles reçoivent dans ce nouvel état a pour but de les rendre plus dignes du mystère de contrition et d'humilité qu'elles sont appelées à signifier.

A LA MESSE

Rassurée par l'acte d'humilité qu'elle vient d'accomplir, l'âme chrétienne se laisse aller à la confiance envers le Dieu de miséricorde. Elle ose lui rappeler son amour pour les hommes qu'il a créés, et la longanimité avec laquelle il a daigné attendre leur retour à lui.

EPITRE

Lecture du Prophète Joël. Chap. II. :


Le prophète Joël. Michelangelo Buonarroti.
Chapelle Sixtine. Rome. XVIe.

" Voici ce que dit le Seigneur :
" Convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, dans les larmes et dans les gémissements. Déchirez vos cœurs, et non vos vêtements, et convertissez-vous au Seigneur votre Dieu ; car il est bon et compatissant, patient et riche en miséricorde, et sa bonté surpasse notre malice. Qui sait s'il ne se retournera pas vers vous, s'il ne vous pardonnera pas, et s'il ne laissera pas après lui la bénédiction, afin que vous présentiez au Seigneur votre Dieu des sacrifices et des offrandes ?
Sonnez de la trompette dans Sion, publiez la sainteté du jeûne, convoquez l'assemblée, réunissez le peuple, avertissez-le qu'il se purifie ; faites venir les vieillards ; amenez les enfants, même ceux qui sont encore à la mamelle. Que l'époux sorte de sa couche, et l'épouse de son lit nuptial.
Que les prêtres et les ministres du Seigneur pleurent entre le vestibule et l'autel, qu'ils disent : " Pardonnez , Seigneur, pardonnez à votre peuple ; et ne livrez pas votre héritage à l'opprobre, en laissant dominer sur lui les nations ".
Laisserez-vous dire par les peuples : " Où est leur Dieu ?"
Le Seigneur a été ému de compassion pour sa terre, et il a pardonné à son peuple.
Et le Seigneur a répondu à son peuple :
" Voici que je vais vous envoyer du froment, du vin et de l'huile, et vous en serez rassasiés, et je ne vous abandonnerai plus aux insultes des nations ", dit le Seigneur tout-puissant."


Le prophète Joël. Plaque de dévotion en ivoire. VIIIe.

Ce magnifique passage du Prophète nous révèle l'importance que le Seigneur attache à l'expiation par le jeûne. Quand l'homme contrit de ses péchés afflige sa chair, Dieu se laisse fléchir. L'exemple de Ninive l'a prouvé ; et si le Seigneur pardonna à une ville infidèle, par cela seul que ses habitants imploraient sa pitié sous les livrées de la pénitence, que ne fera-t-il pas en faveur de son peuple, qui sait joindre à l'immolation du corps le sacrifice du cœur ?


Joël s'adressant au peuple. Bible historiale. Petrus Comestor. XVe.

Entrons donc avec courage dans la voie de la pénitence ; et si l'affaiblissement des sentiments de la foi et de la crainte de Dieu semble faire tomber autour de nous des pratiques qui sont aussi anciennes que le christianisme, et sur lesquelles il est pour ainsi dire fondé, gardons-nous d'abonder dans Je sens d'un relâchement qui a porté un terrible préjudice à l'ensemble des mœurs chrétiennes. Songeons surtout à nos engagements personnels avec la justice divine qui ne nous remettra nos fautes et les peines qu'elles méritent, qu'autant que nous nous montrerons empressés à lui offrir la satisfaction à laquelle elle a droit. Nous venons de l'entendre : notre corps que nous flatterions n'est que cendre et poussière, et notre âme, que nous serions si souvent portés à lui sacrifier, a des droits à réclamer contre lui.

ÉVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. VI. :


Notre Seigneur Jésus-Christ enseignant.
Alessandro di Mariano dei Filipepi. XVe.

" En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : " Lorsque vous jeûnez, ne soyez point tristes comme les hypocrites ; car ils se font un visage pâle et défait, afin que les hommes s'aperçoivent qu'ils jeûnent. Je vous le dis en vérité : Ils ont reçu leur récompense. Mais vous, lorsque vous jeûnez, parfumez-vous la tête et lavez votre visage, afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que vous jeûnez, mais seulement à votre Père qui est présent dans le secret, et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers les consument, et où les voleurs fouillent et les dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où il n'y a ni rouille ni vers qui les consument, et où les voleurs ne fouillent ni ne dérobent. Car, où est votre trésor, là est aussi votre coeur."


Notre Seigneur Jésus-Christ enseignant ses disciples.
Legenda aurea. Bx. J. de Voragine. XVe.

Notre Seigneur ne veut pas que nous recevions l'annonce du jeûne expiatoire comme une nouvelle triste et affligeante. Le chrétien qui comprend combien il est dangereux pour lui d'être en retard avec la justice de Dieu, voit arriver le temps du Carême avec joie et consolation. Il sait à l'avance que s'il est fidèle aux prescriptions de l'Eglise, il allégera le fardeau qui pèse sur lui. Ces satisfactions, si adoucies aujourd'hui par l'indulgence de l'Eglise, étant offertes à Dieu avec celles du Rédempteur lui-même, et fécondées par cette communauté qui réunit en un faisceau de propitiation les saintes œuvres de tous les membres de l'Eglise militante, purifieront nos âmes et les rendront dignes de participer aux joies si pures de la Pâque.


Notre Seigneur Jésus-Christ enseignant ses disciples.
Calendrier des bergers. XVe.

Ne soyons donc pas tristes de ce que nous jeûnons ; soyons-le seulement d'avoir, par le péché, rendu notre jeûne nécessaire. Le Sauveur nous donne un second conseil que l'Eglise nous répétera souvent dans tout le cours de la sainte Quarantaine : celui de joindre l'aumône aux privations du corps. Il nous engage à thésauriser, mais pour le ciel. Nous avons besoin d'intercesseurs : cherchons-les parmi les pauvres.