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14 septembre. Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, après Sa délivrance du joug des Perses. 627.

- Fête de l'exaltation de la Sainte Croix, après sa délivrance du joug des Perses. 627.

Pape : Honorius Ier. Empereur romain d'Orient : Héraclius Ier. Roi des Francs : Clotaire II.

" Dieu a glorifié la Croix en faisant l'autel de Son Sacrifice, le trône de Son amour, Son lit de justice, la chaire de Son enseignement, le siège de Sa royauté, le trophée de Sa gloire; nous devons la glorifier à notre tour en lui rendant un culte de respect et de reconnaissance, un culte de confiance et d'amour."
M. l'abbé C. Martin, Panégyriques.

Sous le règne de l'empereur d'Orient Héraclius Ier (610-641), Chosroès II (590-628), roi des Perses, entra dans la Syrie, prit la ville de Jérusalem, la pilla, la brûla, et emmena en Perse Zacharie, qui en était patriarche. Ce qu'il y eut de plus déplorable dans ce pillage, ce fut la prise et l'enlèvement de la principale partie de la vraie Croix de Notre-Seigneur, que sainte Hélène, mère de l'empereur saint Constantin le Grand, avait laissée en ce lieu de notre Rédemption.

Chosroès néanmoins lui rendit ce respect, qu'il ne la voulut point voir à découvert, ni permettre qu'elle fût tirée de l'étui où elle était enfermée et cachetée ; et les Perses furent aussi divinement frappés d'une terreur religieuse à son égard ; ils la conservèrent précieusement, disant que le Dieu des Chrétiens était arrivé dans leur pays.


Invention de la Sainte Croix par sainte Hélène. Détail.
Agnolo Gaddi. XVe.

Héraclius, pour réparer de si grands malheurs et délivrer les Chrétiens d'Orient du joug des Perses, résolut de porter à son tour la guerre au coeur de la Perse, non-seulement par des levées de troupes, mais par plusieurs actions de piété. Avant de partir de Constantinople, il vint à la grande église, les pieds couverts de noir et non d'écarlate, pour montrer sa pénitence. Il se prosterna devant le saint autel et pria Dieu ardemment de bénir ses bonnes intentions.

Georges Pisidès lui prédit alors, qu'au lieu des chaussures noires qu'il avait prises par humilité, il reviendrait avec des chaussures rougies du sang des Perses : ce que l'événement vérifia. Il recommanda la ville à Dieu et à la sainte Vierge, et son fils Constantin au patriarche Sergius. Enfin, il emporta avec lui une image miraculeuse de Notre-Seigneur, protestant qu'il combattrait avec elle jusqu'à la mort.


Chosroès II. Drachme perse.

En cet état, Héraclius, plus fort encore par la confiance qu'il avait en Dieu que par le nombre de ses soldats, entra dans la Perse et battit Chosroès, qui fut obligé de prendre honteusement la fuite. Plus il était victorieux, plus il implorait le secours du Ciel, auquel il attribuait de si heureux succès, faisant faire à son armée des processions solennelles pour demander à Dieu la continuation de Sa protection et de Sa bénédiction. Il marcha de victoire en victoire.


Héraclius. Monnaie d'or byzantine.

Chosroês, craignant de tomber entre les mains de son vainqueur, prit le parti de la fuite, et se retira avec ses femmes et ses trésors à Séleucie, au-delà du Tigre ; là, son fils aîné Siroès se saisit de lui et le mit en prison où il mourut de faim, de mauvais traitements et d'outrages. Ainsi finit Chosroès, qui avait désolé tout l'Orient et fait aux Chrétiens la plus inhumaine et la plus sanglante guerre qu'ils eussent jamais soufferte, enlevé et emporté la Croix du Fils de Dieu, pillé Ses églises, profané Ses autels et commis un nombre infini de sacrilèges.


Héraclius décapitant Chosroès II. Peinture sur cuivre d'un reliquaire.
Atelier de Godefroy de Huy. XIIe.

Siroès, se voyant élevé sur le trône de Perse par des voies si condamnables et si tyranniques, ne demanda pas mieux que de faire la paix avec les Romains : il envoya donc des dépêches à Héraclius pour l'obtenir. Ce prince la lui accorda volontiers ; mais entre les conditions du traité, il l'obligea surtout de rendre la Croix de Notre-Seigneur dans le même état que son père l'avait emportée, et de mettre en liberté le patriarche Zacharie et tous les esclaves Chrétiens.

Il revint ensuite tout triomphant à Constantinople, où il fut reçu avec de grandes acclamations du peuple ; on applaudissait celui qui avait réparé l'honneur de l'empire romain par la défaite des barbares. On alla au-devant de lui avec des rameaux d'olivier et des flambeaux, et on n'oublia rien qui pût témoigner l'allégresse et la joie publiques de voir la Croix du Sauveur entre les mains des Chrétiens.


Le triomphe d'Héraclius rapportant la Sainte Croix de Perse.
Peinture sur cuivre d'un reliquaire. Atelier de Godefroy de Huy. XIIe.

Héraclius, pour rendre à Dieu des actions de grâces solennelles des grandes et insignes victoires qu'il avait remportées, voulut conduire lui-même à Jérusalem le bois de la vraie Croix qui avait été 14 ans sous la puissance des barbares. Lorsqu'il y fut arrivé, il la chargea sur ses propres épaules, pour la reporter avec plus de pompe sur le Calvaire, d'où elle avait été enlevée ; mais, quand il fut à la porte qui mène à cette sainte montagne, il se trouva tellement immobile qu'il ne put avancer un seul pas.
Cette merveille, dont on ne connaissait point la cause, étonna tout le monde ; il n'y eut que la patriarche Zacliarie qui, jugeant d'où cela provenait, lui dit : " Prenez garde, Ô empereur, qu'avec cet habit impérial dont vous êtes revêtu, vous ne soyez pas assez conforme à l'état pauvre et humilié qu'avait Jésus-Christ lorsqu'Il portait Sa Croix ".


Héraclius rapportant la Sainte Croix à Jérusalem.
Bréviaire à l'usage de Besançon. XIVe.

Héraclius, touché de ces paroles et en reconnaissant la vérité, quitta aussitôt son habit couvert d'or et de pierreries, ôta ses souliers et se revêtit de la robe d'un homme pauvre, après quoi il marcha sans difficulté et alla jusqu'au Calvaire, où il replaça la Croix au même endroit d'où on l'avait enlevée.

Héraclius rapportant la Sainte Croix à Jérusalem. Sur l'avis de
Zacharie, patriarche de Jérusalem, il s'est dépouillé de ses
vêtements impériaux. Bréviaire romain. XVe.

Enfin, pour rendre ce triomphe encore plus mémorable et exalter davantage la gloire de la Croix, il se fit, ce jour-là, plusieurs miracles par la vertu de ce bois sacré : un mort fut ressuscité, 4 paralytiques furent guéris, 10 lépreux purifiés, 15 aveugles illuminés, quantité de possédés délivrés et une infinité de malades remis en parfaite santé.

Dans la suite, il fut ordonné que tous les ans on ferait la fête solennelle de ce rétablissement, et l'Eglise la célèbre encore, le 14 septembre, sous le nom de l'Exaltation de la sainte Croix. Elle fut très célèbre en Orient, et, ce jour-là, il accourait à Jérusalem des pèlerins de tous les endroits du monde.

Voilà pour ce qui regarde l'institution de cette fête, en mémoire du recouvrement de la Croix fait par Héraclius ; mais longtemps auparavant on faisait, dans l'Eglise grecque et dans l'Eglise latine, une solennité en l'honneur de la Croix, sous le nom d'Exaltation, pour se remémorer les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa mort :
" Lorsque Je serai exalté, c'est-à-dire élevé au-dessus de la terre, J'attirerai toutes choses à Moi. Tout ainsi que Moïse a exalté le serpent dans le désert, de même il faut que le Fils de l'homme soit exalté. Lorsque vous aurez exalté le Fils de l'Homme, vous connaîtrez qui Je Suis."

Le cardinal Baronius, dans ses Notes sur le martyrologe, dit que cette fête fut établie au temps de l'empereur Constantin, pour remercier Dieu de ce qu'alors la Croix fut exaltée dans tout l'univers par la liberté qu'eurent les fidèles de prêcher l'Evangile et de bâtir des églises. Peut-être le fut-elle après que la vraie Croix eut été trouvée par sainte Hélène, et lorsqu'elle fut placée sur le Calvaire.
Mais cette fête peut se fêter tous les jours et à tous moments dans le coeur du Chrétien. C'est l'endroit où Jésus-Christ veut principalement que sa Croix soit exaltée. L'exaltation extérieure qui se fait ou sous les voûtes des temples, ou sur les portes des villes, ou même sur la tête des souverains, n'est qu'un signe de ce qui se doit faire dans ce sanctuaire vivant et animé.

Nous l'exalterons par une haute estime que nous concevrons de son mérite, par un grand zèle à la porter comme Jésus-Christ l'a portée, par un profond respect pour les souffrances que cet aimable Sauveur a endurées, par un soin particulier de la glorifier en toutes nos actions, et par une sainte application à la faire triompher dans le coeur de nos frères. Et qu'y a-t-il de plus noble et de plus salutaire que la dévotion envers ce précieux instrument de notre salut ?

Car la Croix est l'espérance des chrétiens, le soutien des désespérés, le port de ceux qui sont agités par La tempête, et la médecine des infirmes. C'est elle qui éteint le feu des passions, rend la santé aux âmes malades, donne la vie de la grâce à ceux qui étaient morts par le péché, et ruine l'empire du vice et de l'impiété.
Elle nous sert d'épée et de bouclier pour combattre nos adversaires, de sceptre pour triompher de leur malice, de diadème pour nous orner, de boulevard pour défendra notre Foi, de bâton pour nous soutenir dans nos faiblesses, de flambeau pour nous éclairer dans nos ténèbres, de guide pour nous redresser dans nos égarements, et de leçon pour nous apprendre les vérités du salut.
Elle efface les péchés, excite à la pénitence, amortit les flammes de la cupidité, arrête l'ambition, dissipe la vanité, condamna le luxe, réprouve la délicatesse, porte à la confiance en Dieu, nous ouvre le Ciel, nous fortifie contre les tentations, nous préserve des périls, nous assiste dans nos infortunes, nous console dans nos afflictions, nous délasse dans nos travaux, rassasie les faméliques, nourrit ceux qui jeûnent, couvre ceux qui sont dépouillés, enrichit les pauvres, châtie les riches, secourt les nécessiteux, accompagne les voyageurs, protège les veuves, défend les orphelins, garde les villes, conserve les maisons, unit les amis, résiste aux ennemis, est l'honneur des magistrats, la puissance des rois, la victoire des généraux d'armée, la gloire des prêtres, le refuge des religieux, la retraite des vierges et le sceau inviolable de la chasteté.

Les pieux habitants du Liban célèbrent avec une dévotion et une solennité particulière la fête de l'Exallation de la sainte Croix. La veille, à la tombée de la nuit, cent mille feux brillent sur toutes les hauteurs, rivalisant d'éclat avec les étoiles du ciel, et se réfléchissant dans l'azur de la mer. Il n'y a pas une colline, pas un rocher, pas une anse du rivage, pas une habitation, depuis le pied des montagnes jusqu'à leurs cimes les plus élevées, de Sidon jusqu'à Tripoli, partout où bat un coeur chrétien, qui ne rende gloire à Dieu. Toutes les cloches unissent leurs voix aux chants des fidèles, au murmure des ondes, à la joie de la terre, pour exalter l'arbre de vie qui a porté le Salut du monde.

On peut voir les autres effets miraculeux de la Sainte Croix dans les sermons de saint André de Crête et de saint Pierre Damien, rapportés par Surius. Nous en avons traité plus amplement le 3 mai, jour de son invention. Voir aussi la vie de sainte Radegonde.

Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger :


Vitrail de l'Exaltation de la Sainte Croix. Eglise de
l'Exaltation-de-la-Sainte-Croix. Portieux. Dicèse d'Epinal.

" Par vous la Croix sainte est honorée et adorée dans toute la terre." (1)
Ainsi, au lendemain du jour où fut vengée à Ephèse la divine maternité, Cyrille d'Alexandrie saluait Notre-Dame. L'éternelle Sagesse a voulu que l'Octave de la naissance de Marie n'eût pas de plus bel ornement que celui qu'elle reçoit aujourd'hui de cette fête du triomphe de la Croix. C'est qu'en effet, la Croix est l'étendard de ces milices de Dieu dont Marie est la Reine ; c'est par la Croix qu'elle brise la tête du serpent maudit, et remporte contre l'erreur et les ennemis du nom chrétien tant de victoires.

Tu vaincras par ce signe. Les siècles où Satan avait eu loisir d'essayer contre l'Eglise l'épreuve des tortures, touchaient à leur fin ; par l'édit de Sardique rendant aux chrétiens la liberté, Galère mourant venait d'avouer l'impuissance de l'enfer. Au Christ maintenant de prendre l'offensive ; à sa Croix de revendiquer l'empire. L'année 311 incline vers son terme. Au pied des Alpes, une armée romaine s'apprête à passer des Gaules en Italie ; provoqué par Maxence, son rival politique, Constantin qui la commande ne songe qu'à venger son injure.


Crucifixion. Cosimo Rossetti. XVe.

Mais ses soldats, sans le savoir plus que leur chef, sont d'ores et déjà dévolus au vrai Dieu des batailles : le Fils du Très-Haut, devenu comme homme au sein de Marie Roi de ce monde, va se révéler à son premier lieutenant et du même coup montrer à sa première armée l'étendard qui doit la guider à l'ennemi. Au-dessus des légions, dans un ciel sans nuage, la Croix proscrite trois siècles a soudain resplendi ; les yeux de tous la voient, faisant du soleil qui penche vers l'horizon son piédestal, avec ces mots en traits de feu qui l'entourent : " IN HOC VINCE !", " Par cela sois vainqueur !"

Quelques mois plus tard, 27 octobre 312, du haut des sept collines tous les faux dieux dans la stupeur contemplaient, débouchant sur la voie Flaminienne, au delà du pont Milvius, le labarum au monogramme sacré devenu l'enseigne des armées de l'empire, en attendant la décisive bataille qui, le lendemain, ouvrait au Christ seul Dieu, à jamais Roi, les portes de la Ville éternelle.


La Crucifixion - Les très riches heures du duc de Berry. XIVe.

" Salut, Ô Croix, redoutable aux ennemis, boulevard de l'Eglise, force des princes; salut dans ton triomphe ! La terre cachait encore le bois sacré, et il se montrait dans le ciel, annonçant la victoire ; et un empereur, devenu chrétien, l'arrachait aux entrailles de la terre." (2).

Ainsi dès hier chantait l'Eglise grecque, préludant aux joies de ce jour ; c'est pour l'Orient, qui ne connaît pas notre fête spéciale du trois Mai, tout l'objet de la solennité présente, à savoir : la défaite des idoles par le signe du salut manifesté à Constantin et à son armée, la découverte de la sainte Croix quelques années après dans la citerne du Golgotha.

Mais une autre solennité, dont la mémoire annuelle demeure fixée par le Ménologe au treize septembre, vint en l'année 335 compléter heureusement les souvenirs attachés à ce jour ; ce fut la dédicace des sanctuaires élevés par Constantin sur le Calvaire et le Saint Sépulcre, à la suite des découvertes sans prix qu'avait dirigées la sagace piété de sa mère sainte Hélène.


Crucifixion. Matthias Grünewald. XVIe.

Dans le siècle même de ces événements, une pieuse voyageuse, sainte Silvia, croit-on, la sœur de Rufin ministre de Théodose et d'Arcadius, atteste que l'anniversaire de cette dédicace se célébrait avec les honneurs des fêtes de Pâques et de l'Epiphanie ; on y voyait un concours immense d'évêques et de clercs, de moines et de séculiers de tout sexe et de toute province : et la raison en est, dit-elle, que la Croix fut trouvée ce jour-là ; motif qui fit choisir ledit jour pour celui de la consécration primitive, afin qu'une même date réunît l'allégresse et de cette consécration et de ce souvenir (3)

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jeudi, 14 septembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (2)

13 juin. Saint Antoine de Padoue, Apôtre et thaumaturge. 1231.

- Saint Antoine de Padoue, apôtre et thaumaturge. 1231.

Papes : Célestin III ; Grégoire IX. Rois de Portugal : Sanche Ier ; Sanche II.

" Si par les mérites de saint Antoine on retrouve, quand on les a perdues, les choses qui regardent la fortune matérielle, à combien plus forte raison ne retrouvera-t-on point par son intervention celles qui regardent le salut !"


Statue de saint Antoine de Padoue.
Eglise Saint-Cyr et Sainte-Juliette de Cahors.

Soulignons encore ce que dit le commentateur. Si l'on invoque à juste titre ce très grand saint pour retrouver ce que l'on a pu perdre et se réjouir des innombrables prières exaucées par sa puissante intercession, il faut pas perdre de vue que notre saint fut exceptionnel dans un nombre exceptionnel de vertus et de registres. Il prêcha, gouverna, lutta contre les hérétiques (albigeois) et les Juifs, se dévoua aux pauvres " ses maîtres ", eut pour Notre Dame une dévotion toute divine. C'est une injustice de " réduire " saint Antoine de Padoue à une piété certes honorable mais qui négligerait l'amplitude et de sa sainteté et de son intercession.

Saint Antoine de Padoue naquit en 1195, à Lisbonne, le jour de l'Assomption. Ferdinando de Bulhõnes (Bouillon) naquit dans une famille illustre et militaire. Son père était Martin de Bouillon d'une branche de la famille de Godefroy, premier Avoué du Saint-Sépulcre (roi de Jérusalem), et sa mère était Marie-Thérèse de Tavera, descente de Fruela, roi des Asturies au VIIIe siècle. Les Tavera donnèrent entre autres Dicadus de Tavera, archevêque de Séville et Jean de Tavera, cardinal-archévêque de Tolède.


Saint Antoine de Padoue. Cosme Tura. XVe siècle.

Les fonds sur lesquels le petit Ferdinand furent baptisés existent toujours dans l'église Notre-Dame de Lisbonne. Ses parents étaient d'une grande piété et ils prirent un soin remarquable de leur enfant qu'ils élevèrent dans la piété, la crainte de Dieu et dans la science. Sa vertueuse mère, par dévotion, l'avait offert au Seigneur à sa naissance. Non seulement notre saint répondait aux attentes religieuse de ses parents mais encore était-il aussi brillant que travailleur.

Il suivit des études brillantes chez les chanoines Réguliers de saint Augustin à Saint-Vincent de Fora puis au monastère de Sainte-Croix de Coimbra, un important centre d'études et de vie religieuse, où il fut ordonné prêtre.

En 1220, les restes d'un groupe de Franciscains martyrs furent ramenés du Maroc. Cet événement le conduisit à joindre l'ordre de François d'Assise, où il reçut le prénom Antoine. Il partit en mission, à sa demande, au Maroc mais dut être rapatrié en Europe dès 1221 pour des problèmes de santé. Son bateau fut dévié par les vents sur la côte de Sicile où il rencontra les frères de Messine et se rendit avec eux au Chapitre général en 1221, et passa ensuite près d'un an en retraite au couvent de Montepaolo, pratiquement isolé du reste de la communauté.


Saint Antoine de Padoue guérissant un malade.
Sébastiano Ricci. XVIIe siècle.

En 1222, lors de l'ordination de plusieurs franciscains, il dut prendre la parole et montra un grand talent d'orateur et d'érudit. Saint François d'Assise l'envoya alors prêcher en Italie et en France. Il prêcha et enseigna la théologie en Italie, notamment à Bologne, puis alla s'établir dans le sud de la France entre autre à Toulouse et Montpellier. Antoine connaissait très bien la théologie et ses prédications rencontrèrent un succès important, favorisant la conversion de nombreux hérétiques. Il fonda un monastère à Brive, où il fit de nombreuses conversions.
Il fut d'ailleurs, comme saint Vincent Ferrier et Torquemada, surnommé le marteau des hérétiques.

En 1226, il fut custode de Limoges et en 1227, après la mort de François d'Assise, puis élu Provincial d'Italie du nord, tout en continuant ses prêches et ses controverses avec les Albigeois. En 1230, au chapitre, il renonca à sa charge de ministre provincial et fut envoyé à Rome où il fut conseiller de Grégoire IX dans le problème de la validité du Testament de François d'Assise.

Placé à la cuisine d'un couvent, il fut un jour appelé par son supérieur pour prêcher, sans préparation, à la communauté. Il commença simplement ; mais bientôt il s'éleva à une telle hauteur de doctrine et d'éloquence, qu'il émerveilla toute l'assemblée. L'Esprit-Saint, qui transforma les Apôtres, avait rempli l'humble Antoine. Dès lors il occupe les grandes charges de l'Ordre, il évangélise les villes et les campagnes, enseigne dans les universités de Montpellier, de Toulouse, de Bologne et de Padoue. Par ses prédications accompagnées de prodiges, il mérite le surnom de Marteau des hérétiques. Parmi les innombrables miracles de ce grand Thaumaturge, remarquons ceux qui suivent.


Saint Antoine de Padoue et Notre Seigneur. Zurbaran. XVIIe siècle.

Son père avait été injustement condamné à mort, à Lisbonne, pour un meurtre qu'il n'avait pas commis. L'esprit de Dieu transporta Antoine en son pays natal ; il alla tirer le mort de sa tombe et lui fit proclamer l'innocence de l'accusé. A la même heure, Antoine, de retour à Padoue, se rendait à l'office où la cloche appelait les religieux.

Une autre fois, prêchant sur le bord de la mer, il vit venir une multitude de poissons pour l'entendre, et donner une leçon aux hérétiques qui se bouchaient les oreilles ; ils ne partirent qu'après s'être inclinés sous sa bénédiction.

Saint Antoine est célèbre aussi par l'apparition de l'Enfant Jésus, qui vint un jour Se mettre entre ses bras.

En 1231, il fut envoyé à Padoue où il poursuivit ses prêches durant le Carême mais il mourut d'épuisement le 13 juin suivant à Arcelle, près de Padoue.

DEUX SERMONS DE SAINT ANTOINE DE PADOUE

1. Sermon pour l'Annonciation de la Vierge Marie :

Comme le soleil resplendissant sur le Temple du Très-Haut

Le soleil possède trois propriétés : la splendeur, la blancheur et la chaleur. Ces trois propriétés répondent aux trois paroles de l'Ange : Ave, pleine de grâce ; Ne crains pas ; L'Esprit Saint surviendra sur toi.

- La splendeur

« Ave, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ; tu es bénie entre toutes les femmes ».
Voilà la splendeur du soleil, voilà les vertus dont elle a brillé.
- Elle eut la tempérance, la modestie dans les paroles, l'humilité dans le coeur.
- Elle fut prudente lorsque, troublée, elle se tut, comprit ce qu'on lui avait dit, répondit à ce qui lui fut proposé.
- Elle fut juste lorsqu'elle donna a chacun son dû.
- Elle fut forte dans ses fiançailles, lors de la circoncision de son Fils et de la purification légale.
- Elle fut compatissante envers les affligés, lorsqu'elle dit : « Ils n'ont plus de vin » (Johan. II, 3.).
- Elle fut en communion avec les saints lorsqu'elle était assidue dans la prière, au cénacle, avec les apôtres et quelques femmes (Act. I, 14.).

- La blancheur

" Voici que tu concevras et tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus."
Voici la blancheur du soleil.
Comment aurait-elle pu concevoir la lumière éternelle et le miroir sans tache, si elle n'avait été elle-même toute blanche ?
De cette blancheur, son Fils dit dans le Cantique : " Ton ventre est une masse d'ivoire, couverte de saphirs " (Ct. V, 14.). L'ivoire, blanc et froid, désigne la double pureté de l'esprit et du corps. La pierre du saphir, de couleur céleste, désigne la contemplation.

Le ventre de la Vierge Marie fut d'ivoire et couvert de saphirs parce qu'elle avait la blancheur de la virginité dans son corps et la beauté de la contemplation dans son âme.

- La chaleur

Le Saint-Esprit surviendra sur vous. Voici la chaleur.
La chaleur est l'aliment et la nourriture de tous les vivants ; lorsqu'elle manque, c'est la chute et la mort.
La chaleur est la grâce du Saint-Esprit. Si elle se retire du coeur de l'homme, la sève de la componction vient à manquer et l'âme malheureuse tombe dans la mort du péché. Mais si la chaleur revient, si le Saint-Esprit survient, Marie conçoit et enfante le fruit béni qui ôte toute malédiction.

Comme l'arc-en-ciel brillant dans un nuage de gloire

L'arc-en-ciel se forme lorsque le soleil entre dans un nuage.
Il a quatre couleurs : fuligineux, azur, doré et de feu. Ainsi, lorsque le soleil de justice, le Fils de Dieu, est entré dans la glorieuse Vierge, elle est devenue comme un arc-en-ciel brillant, un signe d'alliance, de paix et de réconciliation, entre " nuages de gloire " c'est-à-dire entre Dieu et le pécheur.
Remarquez encore que la couleur fuligineuse de l'arc désigne la pauvreté de Marie ; l'azur, son humilité ; le doré, sa charité ; le feu, dont la flamme ne peut ni être partagée ni endommagée par l'épée, sa virginité intacte.

Venez donc, ô Notre Dame, unique espérance !
Eclairez, nous vous en supplions, notre esprit par la splendeur de votre grâce, purifiez-le par la candeur de votre pureté, réchauffez-le par la chaleur de votre présence.
Réconciliez-nous tous avec votre Fils, afin que nous puissions parvenir à la splendeur de Sa gloire.
Que nous l'accorde Celui qui, aujourd'hui, à l'annonce de l'ange, a voulu prendre de vous Sa chair glorieuse et rester enfermé pendant neuf mois dans votre sein.
A Lui, honneur et gloire pour les siècles éternels ! Amen !


Comme la rose au printemps

L'enfantement de Marie est comparé à la rose et au lis. De même que ces fleurs, tout en répandant un parfum très agréable, ne se détériorent jamais, Marie a gardé intacte sa virginité lorsqu'elle a donné le jour au Fils de Dieu.

« Comme la rose au printemps ».
Le printemps (en latin ver) est ainsi appelé parce il verdoie. Au printemps, la terre se revêt d'herbe et se colore de fleurs bariolées, la température s'adoucit, les oiseaux jouent de la cithare et tout semble sourire.

Nous vous rendons grâce, Père saint, parce qu'au milieu des grands froids, vous nous avez donné un temps printanier dans la naissance de votre Fils Jésus. Aujourd'hui la Vierge, terre bénie et remplie des bénédictions du Seigneur, a enfanté l'herbe verdoyante, le Fils de Dieu, pâturage des pénitents. Aujourd'hui les anges chantent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Aujourd'hui sont rétablies sur terre la tranquillité et la paix.

Que cherches-tu encore ? Tout sourit, tout se réjouit. " Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple, dit l'ange aux bergers : aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche "
(Luc II, 10-12.).

Comme un lis près d'une source

De même que les lis le long d'un cours d'eau conservent leur fraîcheur, leur beauté et leur parfum, la Vierge Marie garda la fraîcheur et la beauté de sa virginité, lorsqu'elle donna le jour à son Fils.

Nous vous prions donc, ô Notre Dame, Mère nourricière de Dieu :
Dans la Nativité de votre Fils, que vous avez engendré en demeurant vierge, que vous avez enveloppé de langes et déposé dans une crèche, obtenez-nous Son pardon, guérissez les brûlures de notre âme, que nous avons provoquées par le feu du péché ; guérissez-les avec le baume de votre miséricorde, par laquelle nous méritions de parvenir au bonheur du festin éternel.
Que nous l'accorde Celui qui, aujourd'hui, a daigné naître de vous, ô Vierge glorieuse, et à qui soit honneur et gloire pour tous les siècles des siècles. Amen !



2. Les signes de la lune et le second avènement (premier dimanche de l'Avent) :

Il y aura des signes dans la lune… Saint Jean dit dans l’apocalypse (VI, 12.) : la lune devint toute de sang. Et Joël (II, 31.) : la lune se changera en sang.

Dieu fit deux luminaires, un grand et un petit (Gen., I, 16.). Ces deux luminaires représentent les deux créatures raisonnables : le grand luminaire est l’esprit angélique, le petit luminaire est l’âme humaine, créée pour goûter les choses du ciel, pour louer le créateur parmi les esprits bienheureux, pour tressaillir de joie avec les fils de Dieu. Mais au voisinage de la terre où elle vit, l’âme s’est obscurcie, elle a perdu de son éclat. Si elle veut recouvrer cet éclat, il faut que d’abord elle se change toute en sang.

Le sang, c’est la contribution du cœur. L’Apôtre dit aux Hébreux (IX, 19-22.) : Moïse prit le sang avec de l’eau, de la laine pourpre et de l’hysope ; il en aspergea le livre et tout le peuple en disant : C’est le sang du testament que Dieu nous a donné. Il aspergea de même le tabernacle et tous les vases sacrés. Tout est purifié dans le sang, et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon. Voilà comment la lune se change en sang. Voyons ce que signifient moralement Moïse, le sang, l’eau, la laine pourpre, l’hysope, le livre, le peuple, le tabernacle et les vases.

Quand Jésus-Christ, qui est miséricorde et pitié (Ps. CX, 4), vient dans l’âme du pécheur, alors Moïse prend le sang… Moïse est le pécheur converti sauvé des eaux de l’Egypte. Le pécheur doit prendre le sang de la contrition douloureuse ; l’eau de la confession baignée de larmes ; la laine de l’innocence, mais empourprée par la charité fraternelle ; enfin, l’hysope de la véritable humilité. Il doit asperger le livre, le secret de son coeur ; tout le peuple de ses pensées ; le tabernacle qui est son cœur ; les vases du tabernacle qui sont ses cinq sens. Dans le sang de la contrition, tout est purifié, tout est pardonné, si toutefois on a la volonté de se confesser. Sans la contrition, il n’y a pas de rémission du pécher.

Donc il y aura des signes dans la lune. Les signes intérieurs de la contrition sont manifestés par les signes extérieurs de la pénitence. Quand la chasteté resplendit dans le corps, l’humilité dans les actions, l’abstinence dans la nourriture, la pauvreté dans le vêtement, alors s’annonce la sanctification intérieure… Ces quatre vertus ornent le sanctuaire du seigneur (Is., LX, 13.), L’âme du pénitent, en laquelle Dieu se repose. " Nous viendrons à lui, dit il, et nous ferons en lui notre demeure. " (Jean, XIV, 23.).

C’est le second avènement du Seigneur. Il en est aussi question dans la seconde partie de l’épître de ce dimanche : la nuit est passée, le jour est venu. Comme le dit Isaïe (XXVI, 3), l’erreur ancienne s’en est allée ; tu nous garderas la paix : la paix, car en toi, Seigneur, nous espérons. La nuit et l’erreur signifient l’aveuglement du péché ; le jour et la paix signifient l’illumination de la grâce. Le mot " paix " est répété, pour marquer le repos intérieur et extérieur que possède l’homme, quand Dieu siège sur son trône haut et élevé (Is., VI, 1.).

Rejetons donc les œuvres des ténèbres. Dans le même sens, Isaïe nous dit (II, 20.) : en ce jour, l’homme rejettera les idoles d’or et d’argent, qu’il s’était faites quand il adorait les taupes et les chauves-souris.

L’argent c’est l’éloquence ; l’or, la sagesse ; les taupes, l’avarice ; les chauves souris, la vaine gloire. La taupe, aveugle, creuse la terre. La chauve souris ne voit pas en plein jour, car son œil manque de l’humeur cristalline ; elle a les ailes liées aux pieds. L’homme charnel, qui a le goût de la terre, se fait des idoles de l’argent et de l’or, de son éloquence et de sa sagesse. Ces idoles sont les taupes et les chauves souris, l’avarice et la vaine gloire. Telles sont les œuvres des ténèbres. L’avarice en effet, n’a pas la lumière de la sainte pauvreté ; elle creuse la terre, elle aime les biens terrestres. La vaine gloire, qui se complaît dans le jour humain, ne voit pas le jour divin ; elle a les ailes qui pourraient l’emporter vers le ciel, mais ces ailes sont liées aux pieds, aux affections charnelles ; elle n’a d’autre désir que d’être vue, et louée par les hommes… Mais au jour où la grâce l’éclaire, au jour qui est arrivé, l’homme rejette taupes et chauves souris, ces animaux qui ne voient pas les œuvres des ténèbres.

Alors on en vient à ce que dit l’Apôtre ensuite : Revêtez vous des armes de la lumière ; et à ce que dit Isaïe (LII, 1.) : lève-toi, lève-toi ; revêts-toi de ta force, Ô Sion ; prends les vêtements de ta gloire, ô Jérusalem, cité du Saint ! Sion et Jérusalem signifient l’âme : quand elle pêche, elle est captive du diable ; quand elle fait pénitence, elle se redresse et se lève. Levez-vous par la contrition ; levez-vous par la confession ; revêtez-vous de force par la persévérance ; prenez vos vêtements de gloire, la double charité ; alors vous serez la cité du Saint Esprit.

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mardi, 13 juin 2023 | Lien permanent | Commentaires (8)

4 mai. Sainte Monique, veuve. 332-387.

- Sainte Monique, veuve. 332 - 387.

Papes : Saint Sylvestre Ier ; saint Sirice. Empereurs : Constantin II ; Théodose Ier.

" Ceux qui sèment dans les larmes, récoltent dans l'allégresse."
Ps. CXXV, 6.

Saint Augustin & sainte Monique. Ary Scheffer. 1855.

Aujourd'hui, aux côtés de Marie et de Salomé, se présente une autre femme, une autre mère, éprise aussi de l'amour de Jésus, et offrant à la sainte Eglise le fruit de ses entrailles, le fils de ses larmes, un Docteur, un Pontife, un des plus illustres saints que la loi nouvelle ait produits. Cette femme, cette mère, c'est Monique, deux fois mère d'Augustin. La grâce a produit ce chef-d'œuvre sur la terre d'Afrique ; et les hommes l'eussent ignoré jusqu'au dernier jour, si la plume du grand évoque d'Hippone, conduite par son cœur saintement filial, n'eût révélé à tous les siècles cette femme dont la vie ne fut qu'humilité et amour, et qui désormais, immortelle même ici-bas, est proclamée comme le modèle et la protectrice des mères chrétiennes.

L'un des principaux attraits du livre des Confessions est dans les épanchements d'Augustin sur les vertus et le dévouement de Monique. Avec quelle tendre reconnaissance il célèbre, dans tout le cours de son récit, la constance de cette mère qui, témoin des égarements de son fils :
" Elle pleurait avec plus de larmes que d'autres mères n'en répandent sur un cercueil !" (Confessionum Lib. III, cap. XI.).

Scènes de la vie de sainte Monique et de saint Augustin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Le Seigneur, qui laisse de temps en temps luire un rayon d'espérance aux âmes qu'il éprouve, avait dans une vision montré à Monique la réunion future du fils et de la mère ; elle-même avait entendu un saint évêque lui déclarer avec autorité que le fils de tant de larmes ne pouvait périr ; mais les tristes réalités du présent oppressaient son cœur, et l'amour maternel s'unissait à sa foi pour la troubler au sujet de ce fils qui la fuyait, et qu'elle voyait s'éloigner infidèle à Dieu autant qu'à sa tendresse. Toutefois les amertumes de Ce cœur si dévoué formaient un fonds d'expiation qui devait plus tard être appliqué au coupable ; une prière ardente et continue, jointe à la souffrance, préparait le second enfantement d'Augustin. Mais " combien plus de souffrances, nous dit-il lui-même, coûtait à Monique le fils de son esprit que l'enfant de sa chair " ! (Confessionum Lib. V, cap. IX.).

Après de longues années d'angoisses, la mère a enfin pu retrouver à Milan ce fils qui l'avait si durement trompée, le jour où il fuyait loin d'elle pour s'en aller courir les hasards de Rome. Elle le trouve incertain encore sur la foi chrétienne, mais déjà dégoûté des erreurs qui l'avaient séduit. Augustin avait fait un pas vers la vérité, bien qu'il ne la reconnût pas encore.

Sainte Monique. Eglise Saint-Luczot et Saint-Nicolas.
Pipriac. Pays de Redon, Bretagne. XVIIe.

" Dès lors, nous a dit-il, l'âme de ma mère ne portait plus le deuil d'un fils perdu sans espoir ; mais ses pleurs coulaient toujours pour obtenir de Dieu sa résurrection. Sans être encore acquis à la vérité, j'étais du moins soustrait à l'erreur. Certaine que vous n'en resteriez pas à la moitié du don que vous aviez promis tout entier, Ô mon Dieu ! Elle me dit, d'un grand calme et d'un cœur plein de confiance, qu'elle était persuadée dans le Christ, qu'avant de sortir de cette vie, elle me verrait catholique fidèle." (Ibid. Lib. VI, cap. 1).

Sainte Monique avait rencontré à Milan le grand Ambroise, dont Dieu voulait se servir pour achever le retour de son fils. " Elle chérissait le saint évêque, nous dit encore Augustin, comme l'instrument de mon salut ; et lui, l'aimait pour sa vie si pieuse, son assiduité à l'église, sa ferveur dans les bonnes oeuvres ; il ne pouvait se taire de ses louanges lorsqu'il me voyait, et il me félicitait d'avoir une telle mère." (Ibid., cap. II .).

Enfin le moment de la grâce arriva. Augustin, éclairé de la lumière de la foi, songea à s'enrôler dans l'Eglise chrétienne ; mais l'attrait des sens auquel il avait cédé si longtemps le retenait encore sur le bord de la fontaine baptismale. Les prières et les larmes de Monique obtinrent de la divine miséricorde ce dernier coup qui abattit les dernières résistances de son fils.

Vision de sainte Monique. Saint Augustin et saint Valérien
combattant des hérétiques. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. XVe.

Mais Dieu n'avait pas voulu laisser son ouvrage imparfait. Transpercé par le trait vainqueur, Augustin se relevait, aspirant non plus seulement à la profession de la foi chrétienne, mais à la noble vertu de continence. Le monde avec ses attraits n'était plus rien pour cette âme, objet d'une intervention si puissante. Dans les jours qui avaient précédé, Monique s'occupait encore avec sollicitude à préparer une épouse pour son fils, dont elle espérait fixer ainsi les inconstances ; et tout à coup ce fils se présentait à elle, accompagné de son ami Alypius, et venait lui déclarer que, dans son essor vers le souverain bien, il se vouait désormais à la recherche de ce qui est le plus parfait. Mais écoutons encore Augustin lui-même.

" A l'instant nous allons trouver ma mère, nous lui disons ce qui se passe en nous ; elle est dans la joie ; nous lui racontons en quelle manière tout s'est passé ; elle tressaille de bonheur, elle triomphe. Et elle vous bénissait, Ô vous qui êtes puissant à exaucer au delà de nos demandes, au delà de nos pensées ! Car vous lui aviez bien plus accordé en moi que ne vous avaient demandé ses gémissements et ses larmes. Son deuil était changé par vous en une allégresse qui dépassait de beaucoup son espérance, en une joie plus chère à son cœur et plus pure que celle qu'elle eût goûtée à voir naître de moi des enfants selon la chair." (Confessionum Lib. VIII, cap. XII.).

Peu de jours s'écoulèrent, et bientôt un spectacle sublime s'offrit à l'admiration des Anges et des hommes dans l'Eglise de Milan : Ambroise baptisant Augustin sous les yeux de Monique.

Baptême de saint Augustin. Détail. Fresque. Benozzo Gozzoli.
Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.

La pieuse femme avait accompli sa mission ; son fils était né à la vérité et à la sainteté, et elle avait doté l'Eglise du plus grand de ses docteurs. Le moment approchait où, après le labeur d'une longue journée, elle allait être appelée à goûter le repos éternel en celui pour l'amour duquel elle avait tant travaillé et tant souffert. Le fils et la mère, prêts à s'embarquer pour l'Afrique, se trouvaient à Ostie, attendant le navire qui devait les emporter l'un et l'autre :
" Nous étions seuls, elle et moi, dit Augustin, appuyés contre une fenêtre d'où la vue s'étendait sur le jardin de la maison. Nous conversions avec une ineffable douceur et dans l'oubli du passé, plongeant dans les horizons de l'avenir, et nous cherchions entre nous deux quelle sera pour les saints cette vie éternelle que l'œil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendue, et où n'atteint pas le cœur de l'homme. Et en parlant ainsi, dans nos élans vers cette vie, nous y touchâmes un instant d'un bond de notre cœur; mais bientôt nous soupirâmes en y laissant enchaînées les prémices de l'esprit, et nous redescendîmes dans le bruit de la voix, dans la parole qui commence et finit. Alors elle me dit :
" Mon fils, pour ce qui est de moi, rien ne m'attache plus à cette vie. Qu'y ferais-je? Pourquoi y suis-je encore ? mon espérance est désormais sans objet en ce monde. Une seule chose me faisait désirer de séjourner quelque peu dans cette vie: c'était de te voir chrétien catholique avant de mourir. Cette faveur, mon Dieu me l'a accordée avec surabondance, à cette heure où je te vois dédaigner toute félicité terrestre pour le servir. Que fais-je encore ici ?"
(Confessionum Lib. IX, cap. X.).

L'appel d'une âme si sainte ne devait pas tarder ; elle s'exhala comme un parfum céleste, peu de jours après ce sublime épanchement, laissant un souvenir ineffaçable au cœur de son fils, dans l'Eglise une mémoire toujours plus aimée, aux mères chrétiennes un modèle achevé de l'amour maternel dans ce qu'il a de plus pur.

Baptême de saint Augustin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Sainte Monique, deux fois mère de saint Augustin, puisqu'elle l'enfanta pour le monde et pour le ciel, ayant perdu son mari, qu'elle avait converti à Jésus-Christ dans son extrême vieillesse, embrassa la continence des veuves, et se livra à la pratique des oeuvres de miséricorde. Ses prières ainsi que ses larmes étaient continuelles auprès de Dieu en faveur de son fils, qui était tombé dans l'hérésie des Manichéens. Elle le suivit jusqu'à Milan, et là elle ne cessait de l'exhorter à entretenir des relations avec l'évêque Ambroise. Augustin s'y détermina, et ayant connu la vérité de la foi catholique, tant par les discours publics du saint prélat que par des entretiens particuliers, il reçut de lui le baptême.

Ils partirent peu après pour retourner en Afrique; mais la sainte ayant été atteinte de la fièvre, ils s'arrêtèrent à Ostie. Durant cette maladie, il lui arriva un jour de tomber en défaillance ; étant revenue à elle, elle dit : " Où étais-je ?" puis, regardant ses fils : " Ensevelissez ici votre mère ; je vous prie seulement de vous souvenir de moi à l'autel du Seigneur."

Le neuvième jour, cette bienheureuse femme rendit son âme à Dieu. Son corps fut enseveli dans l'Eglise de Sainte-Aure à Ostie ; transféré depuis à Rome, sous le pontificat de Martin V, il a été placé avec honneur dans l'Eglise de Saint-Augustin.

Mort de sainte Monique. Détail. Fresque. Benozzo Gozzoli.
Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.

SÉQUENCE

Le moyen âge a consacré à sainte Monique plusieurs compositions liturgiques ; mais la plupart sont assez faibles. La Séquence que nous donnons ici est meilleure : on l'a même attribuée à Adam de Saint-Victor :

" Célébrons les louanges, redisons les mérites d'Augustin le grand docteur et de Monique sa pieuse mère ; fêtons en ce jour une solennité qui nous est chère.

Mère chaste, pleine de foi, comblée de mérites, aimée du Christ, l'heureuse Monique, dont le fils était sorti d'une source païenne, l'a enfanté à la foi catholique.

Heureuses larmes qui , dans leur abondance, ont été cause qu'une si éclatante lumière a brillé dans l'Eglise ! Elle a semé longtemps dans les pleurs, celle qui aujourd'hui moissonne avec tant d'allégresse.

Elle a reçu au delà de ce qu'elle avait demandé; mais quel bonheur inonda son âme, lorsqu'elle vit son fils établi dans la foi, voué au Christ de toute l'ardeur de son cœur !

Elle fut la servante des indigents, et nourrit en eux le Christ, ayant mérité le nom de Mère des pauvres ; elle se livra au soin des malades, lavant et nettoyant leurs plaies, préparant leurs lits.

Ô matrone pleine de grâce, dont les blessures du Christ excitèrent l'amour ; en les méditant, elle versa tant de larmes que le pavé en fut arrosé.

Nourrie du pain céleste, ses pieds ne touchent déjà plus la terre ; son âme ravie tressaille et s'écrie : " Prenons notre vol pour les hauteurs du ciel ".

Ô mère, Ô matrone, sois l'avocate et la protectrice de tes enfants à d’adoption ; et lorsque notre âme se dégagera des liens de la chair, réunis-nous à ton fils dans les joies du paradis.

Amen."

Basilique Saint-Augustin, où l'on vénère les reliques
de sainte Monique. Rome. XVIIe.

PRIERE

" Ô mère, illustre entre toutes les mères, la chrétienté honore en vous l'un des types les plus parfaits de l'humanité régénérée par le Christ. Avant l'Evangile, durant ces longs siècles où la femme fut tenue dans l'abaissement, la maternité ne put avoir qu'une action timide et le plus souvent vulgaire sur l'homme; son rôle se borna pour l'ordinaire aux soins physiques ; et si le nom de quelques mères a triomphé de l'oubli, c'esl uniquement parce qu'elles avaient su préparer leurs fils pour la gloire passagère de ce monde. On n'en rencontre pas dans l'antiquité profane qui se soient donné la tâche de les enfanter au bien, de s'attacher à leurs pas pour les soutenir dans la lutte contre l'erreur et les passions, pour les relever dans leurs chutes ; on n'en trouve pas qui se soient vouées à la prière et aux larmes continuelles pour obtenir leur retour à la vérité et à la vertu. Le christianisme seul a révélé à la mère et sa mission et sa puissance.

Quel oubli de vous-même, Ô Monique, dans cette poursuite incessante du salut d'un fils ! Après Dieu, c'est pour lui que vous vivez ; et vivre de cette manière pour votre fils, n'est-ce pas vivre encore pour Dieu qui daigne s'aider de vous pour le sauver ? Que vous importent la gloire et les succès d'Augustin dans le monde, lorsque vous songez aux périls éternels qu'il encourt, lorsque vous tremblez de le voir éternellement séparé de Dieu et de vous ? Alors il n'est pas de sacrifice, il n'est pas de dévouement dont votre cœur de mère ne soit capable envers cette rigoureuse justice dont votre générosité n'entend pas frustrer les droits. Durant de longs jours, durant de longues nuits, vous attendez avec patience les moments du Seigneur ; votre prière redouble d'ardeur ; et espérant contre toute espérance, vous arrivez à ressentir, au fond de votre cœur, l'humble et solide confiance que le fils de tant de larmes ne périra pas.

Saint Augustin accueilli par saint Ambroise à Milan. Détail. Fresque.
Benozzo Gozzoli. Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.

C'est alors que le Seigneur, " touché de compassion " pour vous, comme il le fut pour la mère éplorée de Naïm, fait entendre sa voix à laquelle rien ne résiste. " Jeune homme, s'écrie-t-il, je te le dis, lève-toi " (Luc, VII, 13.) ; et il rend plein de vie à sa mère celui dont elle pleurait le trépas, mais dont elle n'avait pas voulu se séparer.

Mais quelle récompense pour votre cœur maternel, Ô Monique ! Le Seigneur ne s'est pas contenté de vous rendre Augustin plein de vie ; du fond des abîmes de l'erreur et des passions, voici qu'il l'élève sans intermédiaire jusqu'au bien le plus parfait. Vos instances demandaient qu'il fût chrétien catholique, qu'il rompît enfin des liens humiliants et funestes ; et voici que d'un seul bond la grâce l'a porté jusque dans la région sereine des conseils évangéliques. Votre tâche est plus que remplie, heureuse Mère! Montez au ciel : c'est de là qu'en attendant l'éternelle réunion, vous contemplerez désormais la sainteté et les œuvres de ce fils dont le salut est votre ouvrage, et dont la gloire si éclatante et si pure entoure dès ici-bas votre nom d'une douce et touchante auréole.

Du sain de la félicité que vous goûtez avec ce fils qui vous doit la vie du temps et celle de l'éternité, jetez un regard, Ô Monique, sur tant de mères chrétiennes qui accomplissent en ce moment sur la terre la dure et noble mission que vous avez remplie vous-même. Leurs fils aussi sont morts de la mort du péché, et elles voudraient à force d'amour leur rendre la seule vie véritable. Après la Mère de miséricorde, c'est à vous qu'elles s'adressent, Ô Monique, à vous dont les prières et les larmes furent si puissantes et si fécondes. Prenez en main leur cause ; votre cœur si tendre et si dévoué ne peut manquer de compatir à des angoisses dont il éprouva si longtemps lui-même toute la rigueur.

Daignez joindre votre intercession à leurs vœux ; adoptez ces nouveaux fils qu'elles vous présentent, et elles seront rassurées. Soutenez leur courage, apprenez-leur à espérer, fortifiez-les dans les sacrifices au prix desquels Dieu a mis le retour de ces âmes si chères. Elles comprendront alors que la conversion d'une âme est un miracle d'un ordre plus élevé que la résurrection d'un mort ; elles sentiront que la divine justice, pour relâcher ses droits, exige une compensation, et que cette compensation, c'est à elles de la fournir. Leur cœur se dépouillera de l'égoïsme secret qui se mêle si souvent dans les sentiments en apparence les plus purs. Qu'elles se demandent à elles-mêm

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jeudi, 04 mai 2023 | Lien permanent | Commentaires (2)

22 septembre. Saint Maurice et ses compagnons, martyrs à Agaune (Saint-Maurice), en Valais. 286.

- Saint Maurice et ses compagnons, martyrs à Agaune (Saint-Maurice), en Valais. 286.
 
Pape : Saint Caïus. Empereur romain d'Orient : Dioclétien. Empereur romain d'Occident : Maximien-Hercule.
 
" Caeditur ergo phalanx invicta, jubente tyranno,
Et cruor effusus fluminis instar iit.
Prodigium Alpino natura in culmine vidit,
Spectavit rubeas nam stupefacta nives."

" Sur l'ordre du tyran, la phalange invincible tombe foudroyée,
Et des fleuves de sang courent annoncer au monde son héroïque martyre.
Stupéfaite, la nature contemple un spectacle inouï :
Des neiges rouges au sommet des Alpes !"
P. Hugues Vaillant, Fast Sacri.
 
Saint Maurice. XIIe. Abbaye de Saint-Maurice-en-Valais.
 
Sous Maximien-Hercule, qui partageait avec Dioclétien, et comme son collègue, l'empire de la république romaine, presque toutes les provinces virent déchirer et massacrer des peuples entiers de martyrs. Car non-seulement ce prince se livrait avec une sorte de fureur à l'avarice, à la débauche, à la cruauté, en un mot à tous les vices ; mais encore il était passionné pour les rites abominables des gentils, et dans la rage de son impiété contre le Roi du Ciel, il s'était armé pour détruire le nom Chrétien.

Tous ceux qui osaient faire profession de la Foi au vrai Dieu, des corps de troupes qu'il envoyait partout à leur recherche les enlevaient pour les traîner au supplice et à la mort. On eût dit qu'il avait fait trève avec les peuples barbares, afin de tourner toutes ses forces contre la Foi.

Il y avait alors dans les armées romaines une légion de soldats qu'on appelait les Thébains. La légion était un corps de 6.600 hommes sous les armes. On les avait fait venir du fond de l'Orient pour renforcer l'armée de Maxirnien. C'étaient des guerriers intrépides dans les combats, d'un courage magnanime, d'une Foi plus magnanime encore ; ils se montraient avec une noble émulation, pleins de générosité pour l'empereur et de dévouement au Christ ; car ils n'avaient point oublié dans les camps le précepte de l’Évangile, rendant fidèlement à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César.
 
Comme les autres soldats de l'armée, ils reçurent la mission de se livrer à la poursuite des Chrétiens et de les amener devant l'empereur. Seuls ils osèrent refuser de prêter leurs bras à ce ministère de cruauté, et répondirent qu'ils n'obéiraient point à de pareils ordres. Maximien n'était pas loin ; fatigué de la route, il s'était arrêté à Octodurum, aujourd'hui Martigny, à l'entrée de l'Entremont, sur la Dranse. Quand on vint lui annoncer dans cette ville qu'une légion rebelle à ses ordres avait suspendu sa marche et s'était arrêtée à Tarnade, appelé depuis Agaune, et enfin Saint-Maurice en Valais, il s'emporta tout à coup à un violent accès de fureur. Mais avant de continuer notre récit, nous croyons utile de donner ici une exacte description des lieux.
 
Martyre de saint Maurice et de la légion thébaine.
Ils refusent tous d'adorer l'empereur.
 
Nous n'avons pas oublié que c'est pour protéger nos concitoyens, et non pour les frapper, que nous avons pris les armes. Toujours nous avons combattu pour la justice, pour la piété, pour le salut des innocents. Jusqu'ici, au milieu des dangers que nous avons affrontés, nous n'avons pas ambitionné d'autre récompense. Nous avons combattu, par respect pour la foi que nous vous avons promise ; mais comment pourrions-nous la garder, si nous refusions à notre Dieu celle que nous Lui avons donnée ?
 
Nos premiers serments, c'est à Dieu que nous les avons faits ; et ce n'est qu'en second lieu que nous vous avons juré de vous être fidèles. Ne comptez pas sur notre fidélité à ces seconds serments, si nous venions à violer les premiers. Ce sont des Chrétiens que vous ordonnez de rechercher pour les punir ; mais nous sommes Chrétiens, nous, et nous voici ; vos voeux sont satisfaits, et vous n'avez plus besoin d'en chercher d'autres ; vous avez en nous des hommes qui confessent Dieu le Père, l'Auteur de toutes choses, et qui croient en Jésus-Christ Son Fils comme en un Dieu.
 
Nous avons vu tomber sous le glaive les compagnons de nos travaux et de nos dangers, et leur sang a rejailli jusque sur nous. Cependant nous n'avons point pleuré la mort, le cruel massacre de ces bienheureux frères ; nous n'avons pas même plaint leur sort ; au contraire, nous les avons félicités de leur bonheur, nous avons accompagné leur sacrifice des élans de notre joie, parce qu'ils ont été trouvés dignes de souffrir pour leur Seigneur et leur Dieu.
 
Quant à nous, nous ne sommes pas des rebelles que l'impérieuse nécessité de vivre a jetés dans la révolte ; nous ne sommes pas armés contre vous par le désespoir, toujours si puissant dans le danger. Nous avons des armes en main, et nous ne résistons pas. Nous aimons mieux mourir que de donner la mort, périr innocents que vivre coupables. Si vous faites encore des lois contre nous, s'il vous reste de nouveaux ordres à donner, de nouvelles sentences à prononcer, le feu, la torture, le fer ne nous effraient pas ; nous sommes prêts à mourir.
 
Nous confessons hautement que nous sommes Chrétiens et que nous ne pouvons pas persécuter des Chrétiens." (cf. Rq).
 
Martyre de saint Maurice et de la légion thébaine. El Greco. XVIIe.
 
En recevant cette réponse, Maximien comprit qu'il avait à lutter contre des cœurs inflexibles dans la Foi du Christ. C'est pourquoi, désespérant de triompher de leur généreuse constance, il résolut de faire périr d'un seul coup la légion tout entière. De nombreux bataillons de soldats reçurent l'ordre de l'entourer pour la massacrer. Arrivés devant la bienheureuse légion, les impies qu'envoyait l'empereur tirèrent leurs glaives contre ces milliers de saints que l'amour de la vie n'avait point fait fuir devant la mort. Le fer les moissonnait dans tous les rangs, et il ne leur échappait pas une plainte, pas un murmure.
 
Ils avaient déposé leurs armes ; les uns tendaient le cou, les autres présentaient la gorge à leurs persécuteurs ; tous offraient aux bourreaux un corps sans défense. Malgré leur nombre et leur puissante armure, ils ne se laissèrent point emporter au désir de faire triompher la justice et leur cause par le fer. Une seule pensée les animait : le Dieu qu'ils confessaient S'était laissé traîner à la mort sans un murmure ; comme un agneau, Il n'avait point ouvert la bouche.
 
Eux de même, les brebis du Seigneur, ils se laissèrent déchirer par des loups furieux.
 
La terre fut couverte des cadavres de ces saintes victimes, et leur noble sang y coulait en longs ruisseaux. Jamais, en dehors des combats, la rage d'un barbare entassa-t-elle tant de débris humains ? Jamais la cruauté frappa-t-elle par une seule sentence tant de victimes à la fois, même en punissant des scélérats ? Pour eux, ils étaient punis, malgré leur innocence et leur multitude, quoique souvent on laisse des crimes sans vengeance, à cause du grand nombre des coupables. Ainsi l'odieuse cruauté d'un tyran sacrifia tout un peuple de saints, qui dédaignaient les biens de cette vie présente dans l'espérance du bonheur futur. Ainsi périt cette légion vraiment digne des Anges. C'est pour cela que notre Foi nous les montre aujourd'hui réunis aux légions des Anges, et chantant éternellement avec eux dans le Ciel le Seigneur, le Dieu des armées.
 

Retable représentant le martyr de la légion thébaine. XIVe.
Église Saint-Pierre de Crozon. Crozon. Bretagne.
 
Quant au martyr Victor, il ne faisait pas partie de cette légion ; même il n'était plus soldat, ayant obtenu, après de longs services, son congé de vétéran. Mais dans un voyage qu'il faisait, il tomba, sans le savoir, au milieu des bourreaux qui, joyeux de leur butin, se livraient aux orgies d'un grand festin. Ils l'invitèrent à partager avec eux les joies de la fête. Quand il eut appris de ces malheureux, dans l'exaltation de l'ivresse, la cause qui les réunissait, il refusa avec horreur et méprisa le festin et les convives. On lui demanda alors s'il était Chrétien ; à peine eut-il répondu qu'il l'était et le serait toujours, que tout aussitôt on se jeta sur lui et on le massacra. Ainsi frappé au même lieu que les autres martyrs, il partagea avec eux et leur mort et leurs honneurs. De ce grand nombre de saints, 4 noms seulement nous sont connus : les saints martyrs Maurice, Exupère, Candide et Victor.
 
Un vitrail de la cathédrale de Strasbourg représente saint Maurice vêtu en chevalier. On le peint tenant un étendard crucifère, une grande épée et la couronne d'épines. Dans la collection des Saints du cabinet des estampes de Paris, on le voit tantôt représenté à cheval ; tantôt en tête des officiers de sa légion ; tantôt avec ses compagnons d'armes, refusant de sacrifier aux idoles, puis massacré par ordre de l'empereur.
 
ORAISON
 
" Dieu tout-puissant, daignez nous entendre : que la solennité festive de vos saints Martyrs Maurice et ses compagnons soit pour nous source d'allégresse ; comme leur suffrage est notre appui, que leur naissance au ciel soit notre gloire. Par Jésus-Christ Notre Seigneur..."
 
CULTE ET RELIQUES
 
Les corps des bienheureux martyrs d'Agaune furent découverts par révélation à saint Théodore, évêque de Sion en Valais. Il fit élever en leur honneur une basilique adossée d'un côté à un énorme rocher. Or, pendant qu'on la bâtissait, il arriva un miracle que nous ne pouvons passer sous silence.
 
Parmi les ouvriers qui, sur la convocation de l'évêque, s'étaient réunis pour ce grand travail, il y en avait un qui était encore païen. Un dimanche que les autres avaient quitté leurs travaux à cause de la solennité du jour, il était resté seul à continuer son travail. Tout à coup, au milieu de cette solitude où il se trouve, les saints, environnés de lumière, l'enlèvent et l'étendent par terre pour le soumettre au châtiment de son impiété. Il voyait de ses yeux la foule des Martyrs ; il sentait les coups dont ils le frappaient et entendait leurs reproches, parce que seul, au Jour du Seigneur, il avait manqué à l'église, et, de plus, osé, quoique païen, travailler à la construction d'un édifice sacré. Ces châtiments et ces reproches étaient de la part des saints une miséricordieuse bonté ; car l'ouvrier, tremblant et consterné, voulut aussitôt demander qu'on invoquât sur lui le Nom du Salut et se fît Chrétien.
 

Cathédrale Saint-Maurice de Vienne. Dauphiné. France.
 
Parmi les miracles des saints Martyrs, nous ne devons point oublier un fait qui a eu du retentissement, et que tous ont connu. Une dame, épouse de Quincius, personnage d'un rang distingué, était atteinte d'une paralysie qui lui avait enlevé l'usage de ses pieds. Elle sollicita son mari de la faire conduire à Agaune, quoique la distance fût considérable. A son arrivée, des serviteurs la portèrent dans leurs bras jusqu'à la basilique des saints martyrs ; elle revint à pied à son hôtellerie. Et aujourd'hui, dans ces mêmes membres que la mort avait déjà frappés, elle porte partout le témoignage du miracle qui l'a guérie.
 
Aux miracles racontés par saint Eucher (évêque de Lyon, célèbre saint et ascète), nous ajouterons celui qui arriva à saint Martin. Ce grand prélat, qui portait une singulière dévotion à nos glorieux martyrs, se rendit à Agaune pour tâcher d'avoir de leurs reliques ; mais n'ayant pu en obtenir des moines qui possédaient ce lieu, il se transporta à l'endroit où ils avaient enduré la mort. Et là, après avoir fait une oraison très-fervente, il prit un couteau et en enleva, en forme de couronne, un morceau de terre, et aussitôt, ô prodige admirable il en sortit du sang en abondance, qu'il reçut dans un vase apporté exprès pour cela, et en laissa une partie à Agaune avec ce même couteau ; il apporta le reste à Tours, et le distribua ensuite à plusieurs églises, particulièrement à sa cathédrale et à celle d'Angers. Il en conserva seulement pour lui une petite fiole, qu'il porta toujours depuis par dévotion, et avec laquelle il voulut être enterré.
 
La mémoire de saint Maurice et de ses compagnons a toujours été très-célèbre dans l'Église. Les fidèles ont coutume, dans les guerres contre les ennemis de la Foi, de l'invoquer avec saint Georges, pour en obtenir la victoire par la force de leur intercession.
 
Les Grecs ont eu aussi un martyr du nom de saint Maurice, qui souffrit dans Apamée, le 4 juillet, et dont Métaphraste a décrit le combat. Plusieurs l'ont confondu avec celui dont nous parlons, et le cardinal Baronius confesse qu'il avait suivi cette opinion ; mais il l'a rétractée dans ses Notes sur le martyrologe romain, au 22 septembre.
 

Cathédrale Saint-Maurice d'Angers. France.
 
Le culte de Saint-Maurice et de ces compagnons, né en Valais sous les yeux des témoins de leur martyre, passa dans les Gaules vers la fin du IVe siècle ; il s'étendit plus tard en Italie ; aujourd'hui il est connu et répandu dans toute la Chrétienté. Déjà vers l'an 390, saint Théodore, évêque de Sion, envoie des ossements des Thébéens [ou Thébains] à saint Victrice, évêque de Rouen. Saint Germain, évêque d'Auxerre, fait bâtir en 420, dans sa ville épiscopale, une église en l'honneur de saint Maurice et de ses compagnons.
 
Les églises paroissiales élevées sous le vocable de saint Maurice et de ses illustres frères d'armes, soit dans les diocèses voisins, soit à l'étranger, sont innombrables ; il y a en Suisse peu d'églises où l'on n’aperçoive quelque part la statue de Maurice ou le signe qui le rappelle, la croix tréflée qui porte son nom figure partout; on la voit peinte aux voûtes des sanctuaires sur les vieux drapeaux, gravée sur les armoiries des villes et jusque sur les monnaies anciennes et modernes qui ont subsisté jusque dans ces derniers temps.
 
L'église actuelle de l'abbaye de Saint-Maurice-en-Valais, dans laquelle les reliques des martyrs thébéens furent transférées solennellement au milieu d'un concours immense de peuple, possède :
- 1. Une grande châsse plaquée en argent, ornée de nombreuses pierres précieuses, renfermant plusieurs parties du corps de saint Maurice ;
- 2. 2 bustes, l'un en argent, renfermant la tête de saint Candide, un des lieutenants de saint Maurice ; l'autre en argent doré, surmonté des armes de la maison de Savoie, renferme la tête de saint Victor, vétéran romain martyrisé avec les Thébéens ;
- 3. une statue équestre, de 50 centimètres, en argent, représentant saint Maurice ;
- 4. 2 bras en argent, enrichi de pierres précieuses, dont l'un renferme une côte et un ossement de saint Bernard de Menthon ; l'autre, les reliques de saint Innocent, martyr thébéen ;
- 5. 2 châsses plaquées argent, plus petites que celle de saint Maurice. L'une renferme des ossements des martyrs thébéens ; l'autre, les reliques des enfants de saint Sigismond, patron de la paroisse ;
- 6. 2 coupes en argent, renferment des reliques de saint Séverin, premier abbé de Saint-Maurice (478), des Thébéens, de saint François de Sales, etc. ;
- 7. un vase d’agate d'une seule pièce, don de saint Charlemagne, travail Grec de l'ère païenne, très-remarqué des connaisseurs, contenant de la terre imbibée du sang des martyrs thébéens ;
- 8. une aiguière, travail arabe non moins précieux que l’agate, présent aussi de l'empereur saint Charlemagne ; c'est émail sur or, orné de superbes saphirs ; elle contient aussi du sang de nos Martyrs ;
- 9. l'anneau de saint Maurice, véritable anneau des chevaliers romains du IIIe au IVe siècle ; c'est un saphir brut monté sur or ;
- 10. un reliquaire renfermant 127 dents des martyrs thébéens, et un autre renfermant des reliques du chef de la légion.
 
Les reliques de ces glorieux martyrs furent distribuées en divers endroits de la Chrétienté. Le diocèse de Troyes en possède une partie. L'église de l'abbaye de Larrivour avait une châsse dans laquelle se trouvaient des restes de saint Maurice et de ses compagnons. Cette châsse est actuellement dans l'église de Lusigny, à la muraille de la chapelle Saint-Nicolas, du côté de l’Évangile. Une relique de saint Maurice est également dans une des châsses qui proviennent de l'abbaye de Montiéramey et qui sont exposées dans l'église paroissiale.
 
Saint Maurice est le patron de plusieurs paroisses da

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vendredi, 22 septembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)

28 mai. Saint Germain, évêque de Paris. 576.

- Saint Germain, évêque de Paris. 576.

Papes : Saint Gélase ; Benoît Ier. Rois de France : Clovis Ier ; Childebert II.

" Tout pontife pris d'entre les hommes est étabi pour les hommes dans les choses qui ont rapport à Dieu... Il faut qu'il soit capable de compassion à l'égard de ceux qui sont dans l'ignorance et l'égarement, parce qu'il est lui-même environné de faiblesse."
Ad. Haeb., V, 1 et 2.


Saint Germain. Bréviaire à l'usage de Paris. Maître de Bedford. XVe.

Fortunat, évêque de Poitiers, qui a écrit le premier les actions admirables de saint Germain, évêque de Paris, en parle en des termes si avantageux, qu'il ne fait point difficulté de l'égaler aux plus illustres Martyrs, et même de le comparer aux plus grands Apôtres. Il naquit en Bourgogne, au diocèse d'Autun, de parents riches et " sociologiquement " chrétiens. Un hagiographe précise même davantage en disant :
" Le glorieux et bien-aimé de Dieu, monsieur saint Germain, natif d'Autun, au faubourg Saint-Blaise, de la grande rue, autrement la rue Sainte-Anastasie..."

Sa mère fit ce qu'elle put pour lui faire perdre la vie dans ses propres entrailles. Elle prit pour cela beaucoup de poisons, et ne négligea pas les moyens les plus violents. Mais la Providence, infaillible dans ses décrets, ne permit pas qu'elle vint à bout d'un dessein si criminel ; la fureur de cette mère dénaturée contre son enfant ne cessa pas avec sa naissance ; et si elle ne le fit pas mourir, elle continua toujours de le maltraiter et de lui être impitoyable.


Germain échappant au poison abortif que prit sa mère.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

La cause de cette étrange aversion était, dit-on, la crainte de voir sa maison trop chargée d'enfants. La grand'mère de Germain ne fut pas moins cruelle envers lui que sa mère : car aimant passionnément un autre de ses petits-fils, nommé Stratide, cousin de notre Saint, elle ne pouvait souffrir que celui-ci partageât son héritage avec lui. Afin de s'en défaire, elle donna 2 bouteilles à sa servante, l'une de vin et l'autre de poison, et lui marqua celle de vin pour Stratide, et celle de poison pour Germain; mais Dieu dissipa les artifices de cette marâtre, en permettant que la servante se trompât, et que Germain ayant pris le bon vin, Stratide avalât le poison, dont il fût mort sans un prompt secours.

Saint Germain échappant au poison donné par
sa grand-mère et mort de son cousin Stratide.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Ce pauvre enfant, étant ainsi exposé à de continuelles persécutions dans la maison même de son père, fut obligé d'en sortir et de se retirer auprès de Scopilion, son oncle, personnage de très-sainte vie, qui habitait Lusy.

C'est là qu'il reçut cette éducation forte qui accoutume à mettre le devoir au-dessus du plaisir, et qu'il jeta les fondements de cette haute perfection à laquelle il est arrivé depuis : car son oraison était continuelle, et, quoiqu'il fût éloigné de mille pas de l'église, il s'y rendait néanmoins toutes les nuits avec ce saint oncle, pour dire les Matines et ensuite assister aux saints Mystères. Saint Agrippin, évêque d'Autun, étant informé de sa vertu, lui conféra l'ordre de diacre, et, trois ans après, il l'ordonna prêtre. Saint Nectaire, son successeur, le nomma abbé de Saint-Symphorien, hors les murs d'Autun. Germain se rendit, par ses veilles, ses abstinences et son assiduité à la prière, le modèle de tous les religieux.

L'amour divin embrasait tellement son coeur, qu'on en voyait reluire la splendeur sur son visage. Il était si sensible aux misères des pauvres, qu'il n'en pouvait jamais renvoyer aucun sans assistance : il leur a souvent donné tout ce qu'il avait de provisions dans le monastère, sans rien réserver. Plusieurs de ses religieux, n'approuvant pas cette conduite, se plaignirent hautement de l'excès de sa libéralité, qui les mettrait, disaient-ils, dans la dernière indigence.

Un jour, en effet, il arriva que même le pain du jour manqua dans l'abbaye : mais Germain s'étant mis en prières, on vit aussitôt arriver au monastère deux chevaux chargés de pains, que la femme du seigneur Ebron envoyait, et, le lendemain, deux charrettes pleines de vivres vinrent d'un autre côté. Ces secours extraordinaires et miraculeux devaient suffire pour apaiser les murmures et les injustes plaintes. Néanmoins, les religieux de Saint-Symphorien diffamèrent si fort leur saint abbé auprès de l'évêque diocésain, que ce prélat, ajoutant foi trop légèrement à leurs rapports, le fit arrêter et mettre dans ses prisons, comme s'il eût été coupable de prodigalités ; mais à peine y fut-il entré, que les portes se rouvrirent d'elles-mêmes ; néanmoins Germain ne voulut pas sortir sans la bénédiction de celui qui l'avait fait emprisonner. L'évêque, mieux informé, reconnut sa sainteté et le traita avec beaucoup de respect.

Un autre miracle augmenta la vénération qu'on lui portait. Le feu prit au monastère : un embrasement général semblait inévitable. Mais notre Saint arrêta en un instant cet incendie par un peu d'eau bénite qu'il jeta dessus, et par le Signe de la Croix qu'il fit en chantant " Alleluia !".


Lectionnaire de l'office de l'abbaye Saint-Pierre
de la Couture du Mans. XIIe.

La charité était la vertu dominante, le trait le plus fortement accusé de l'admirable physionomie de Germain. En voici une nouvelle preuve.

Un certain Sabaricus, homme dur et violent, avait un esclave nommé Aesarius. Celui-ci, cruellement maltraité par son impitoyable maître et n'y tenant plus, courut un jour se réfugier au monastère de Saint-Symphorien, priant Germain de vouloir bien le racheter à tout prix. L'esclavage était devenu pour lui dans cette maison un supplice vraiment intolérable. Le Saint, ému de pitié et plein de l'esprit de l'Eglise qui travaillait de tout son pouvoir à l'abolition de la servitude, entra aussitôt en négociation avec Sabaricus.

Cet homme, furieux de la démarche de son esclave, exigea 80 pièces d'or pour le rachat de ce pauvre malheureux, de sa femme et de son enfant. La somme était exorbitante : où la trouver ? Mais la charité ne se rebute point et ne désespère jamais. Germain consola donc Aesarius, lui promettant la liberté quand même et sans trop savoir comment en payer le prix. Enfin il vint à bout de recueillir la somme exigée. Sabaricus, dont l'âme ne s'ouvrait point à la douce commisération parce qu'elle était fermée à la piété Chrétienne, principe et aliment de toutes les vertus, osa bien venir en personne toucher son argent, maudite rançon du sang, des soupirs et des larmes. Bien plus, ce misérable, sans respect pour lui-même, pour les hommes ni pour Dieu, ne daigna seulement pas en passant devant la basilique de Saint-Symphorien y entrer pour y faire une prière. Mais sa barbarie et son impiété ne demeurèrent pas impunies.

Dès lors la vue d'une église lui inspira de l'horreur ; il abandonna tout exercice de religion et tomba dans une sorte de frénésie. On fut même obligé de l'enchaîner. Germain auquel on le conduisit, - car quel autre aurait pu le guérir ? - oubliant ses torts et ne voyant en lui qu'un malheureux, fit à Dieu devant le tombeau de saint Symphorien une ardente prière que la Foi et la charité portèrent au Ciel. Aussitôt, par un double miracle, le malade recouvra avec la santé des sentiments plus Chrétiens et la tranquillité de l'âme : il était guéri et son coeur changé. Plein de regret et de douleur pour le passé, mais aussi de joie et de reconnaissance, il ajouta 20 pièces d'or aux 80 qu'il avait reçues en échange de la liberté de son esclave, et fit faire avec cet or une belle croix que l'on suspendit comme un mémorial de l'événement au-dessus du tombeau de saint Symphorien. " Cette croix, dit le biographe, existe encore aujourd'hui et atteste le prodige que nous venons de raconter " (Fortunat.).

Alors les bénédictions célestes entrèrent dans la maison de Sabaricus. Ses fils et ses filles, vivement impressionnés d'un miracle qui les touchait de si près et cédant à l'impression de la Grâce divine, voulurent, afin de se consacrer entièrement à Dieu, s'enrôler dans les diverses phalanges de la milice sacrée et gouvernèrent même plusieurs monastères. N'est-ce pas là un éloquent témoignage du zèle avec lequel l'Eglise travailla à détruire peu à peu l'esclavage, à protéger le faible contre le fort, à changer les moeurs des barbares ?


Sacre de saint Germain. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Le bruit de ces merveilles et de beaucoup d'autres s'étant répandu par tout le royaume, et étant venu jusqu'à Childebert, roi des Francs, il voulut avoir un si saint personnage dans sa ville de Paris, et lui manda de le venir trouver. Saint Germain n'osa pas s'opposer à sa volonté, parce qu'il apprit qu'elle était conforme à celle de Dieu : car, s'étant un jour endormi après sa prière, il lui apparut en songe un vénérable vieillard qui lui présente les clefs des portes de Paris. Le Saint lui demanda ce qu'il voulait qu'il en fît : " Je vous donne ces clefs afin que vous sauviez cette ville."

C'était lui prédire qu'il en serait évêque ; mais Germain, ne faisant pas cette réflexion, comprit seulement que sa présence était nécessaire à Paris ; il se mit donc en chemin avec quatre de ses moines, dont trois, Auctaire, saint Doctrovée et Scubilion, ont été successivement abbés de Saint-Vincent, depuis, Saint-Germain des Prés. Ces 5 moines, après avoir salué le roi et reçu ses ordres, se retirèrent dans un oratoire dédié sous le nom de Saint-Jean-Baptiste, qui, dans la suite, a été appelé Saint-Germain le Vieux, où ils pratiquèrent si parfaitement tous les exercices du cloître, que toute la cour en était ravie.

Quatre ans après, le siège épiscopal de Paris vint à vaquer par le décès d'Eusèbe, qui avait été substitué à Saffaracus, déposé au second Concile de la même ville, en 565. Saint Germain fut élevé sur ce trône par la Providence divine, et à la demande de Childebert, qui le souhaita ainsi. Cette charge ne changea rien en lui que le seul titre d'abbé en celui d'évêque, et il y garda les mêmes pratiques d'une vie d'austère ascète qu'il avait observées dans son monastère.

Il allait à l'église à 21h et n'en sortait qu'à la pointe du jour, pour prendre en son palais un moment de repos, et vaquer ensuite au soulagement des pauvres, des malades, des prisonniers et de tous ceux qui avaient recours à lui. Sa table, où se trouvaient ordinairement les pauvres, n'était couverte que de mets fort communs ; et, comme il n'y manquait rien, de même ou n'y servait rien de superflu. Il voulait que l'âme fût nourrie en même temps que le corps, et faisait faire pour cela, durant le repas, la lecture de quelque bon livre. Ses prédications eurent un tel succès, que Paris changea bientôt de face. Les vanités cessèrent, les pompes furent modérées, les superfluités retranchées, le luxe aboli, et enfin le vice y perdant son empire, la vertu prit sa place et commença à s'y pratiquer.


Translatio et miracula s. Germani. XIe.

La réputation de sa vertu croissant de plus en plus, il fut supplié de se trouver à Bourges pour assister à la consécration de l'évêque Félix : il ne manqua pas de s'y rendre ; et ayant, par occasion, parlé à un Juif, appelé Sigeric, il le convertit parfaitement et le baptisa ; mais sa femme étant demeurée fermée à l'illumination de la Foi, sans vouloir profiter de l'exemple de son mari, fut bientôt punie de son obstination ; car le démon entra dans son corps, et ne cessa point de la tourmenter jusqu'à ce que le saint évêque, ému de compassion, l'eût délivrée d'un si mauvais hôte par l'imposition des mains ; elle reconnut ainsi la vérité, et reçut enfin le saint Baptême.

Il eut une adresse merveilleuse pour gagner l'esprit de Childebert ; il le gouverna si bien, que, quoique ce prince eût toujours quelques restes de cette férocité, alors naturelle à la nation, il modéra néanmoins ses moeurs, réforma sa cour, et s'appliqua à la fondation de beaucoup d'églises et de monastères. Il envoya un jour 6.000 livres à saint Germain pour les distribuer aux pauvres ; mais le saint évêque n'en ayant pas trouvé assez pour recevoir toute cette aumône, voulut lui en rendre la moitié. Le roi, bien loin de la prendre et de ne plus rien envoyer, fit rompre sa vaisselle d'argent, ôta les chaînes d'or de son cou, et pria l'évêque de ne point cesser de donner, assurant que, de son côté, il ne se lasserait point de fournir.

Childebert étant mort sans enfants mâles, Clotaire, son cadet, lui succéda. Ce prince, qui, ayant vécu jusque-là loin de Paris, ne connaissait pas assez les vertus de saint Germain, le fit un jour si longtemps attendre à la porte de son palais, qu'il fut contraint de s'en aller. Mais le roi souffrit, la nuit suivante, de si grandes douleurs par tout le corps, en punition de cette faute, que, reconnaissant l'injustice du mépris qu'il avait fait au saint évêque, il l'envoya chercher à l'heure même, se jeta à ses pieds, et baisa humblement le bord de sa robe ; le Saint porta la main sur les endroits qui lui faisaient mal, et, par cet attouchement, il apaisa entièrement sa douleur.

Il fit ensuite éclater son zèle contre le roi Caribert, qui avait répudié Ingoberge, sa femme légitime, et épousé une suivante, nommée Marcovèse, dont il entretenait en même temps la soeur. Saint Germain lui fit là-dessus plusieurs remontrances ; et voyant qu'elles étaient inutiles et qu'il ne se corrigeait point, il prononça son excommunication, conséquence logique puisque Caribert ne vivait pas en communion avec la Foi de l'Eglise. De plus, comme la noblesse Franque avait alors à nouveau usurpé des biens de l'Eglise, ce qui avait fait abandonner le service de Dieu dans plusieurs paroisses, il fit assembler un Concile à Paris, dans lequel on fulmina des anathèmes contre ceux qui s'étaient emparés des biens temporels utilisés par le peuple de l'Eglise de Jésus-Christ.


Saint Germain reprenant vigoureusement le roi Caribert.
Guillaume Crétin. Chroniques françaises. XVe.

Il se trouva aussi au second Concile de Tours, qui fut tenu pour réformer la discipline de l'Eglise, déchue presque partout, et pour condamner les scandaleux mariages incestueux, qui étaient assez ordinaires entre les grands, et destinés à conserver les biens terrestres au sein d'une même lignée.

Le démon ne souffrant qu'avec dépit ces heureux progrès, fit ce qu'il put pour les arrêter, en troublant la tranquillité de sa dévotion ; en effet, il le tenta en toutes manières, soit en l'effrayant durant son oraison, soit en criant à ses oreilles, soit en lui apparaissant sous des formes horribles, soit enfin en le maltraitant et en le battant ; mais son humilité et sa constance le rendirent victorieux de tous ces assauts, et il en triompha si glorieusement, que cet esprit d'orgueil ne put jamais rien gagner sur sa volonté.

Il ne faut pas attendre que nous racontions tous les miracles de saint Germain : le grand Fortunat, évêque de Poitiers, après en avoir composé un livre entier, avoue qu'il en laisse beaucoup à dire. La paille de son lit, les pièces et les fils de sa robe, sa salive, ses larmes, ses paroles, l'eau qui avait servi à laver ses mains, son regard, son attouchement, les songes qui le faisaient paraître durant le sommeil, les lettres qu'il écrivait, étaient autant de remèdes pour toutes sortes de maladies. Les habitants de Meudon, près de Paris, étant affligés de la contagion, en furent délivrés avec du pain qu'il leur envoya, après l'avoir bénit.

Saint Germain, qui avait vécu à Autun près des lieux remplis du souvenir vénéré de saint Martin, aimait à se rendre à Tours, pour célébrer la fête de ce grand évêque. La réputation l'y accompagnait ; et les malades ne manquaient pas de se présenter sur son passage, soit qu'il entrât dans la basilique, soit qu'il en sortît. Un jour il guérit, en les frottant d'un peu d'huile et de salive, deux femmes estropiées du bras.


Saint Germain et un saint moine de l'abbaye Saint-Symphorien.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Dans un de ces pèlerinages, il se trouva fortuitement à Tours avec Clotaire. Le roi, sous prétexte d'aller vénérer les

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dimanche, 28 mai 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)

8 octobre. Sainte Brigitte de Suède, veuve, fondatrice de l'Ordre du Sauveur. 1373.

- Sainte Brigitte de Suède, veuve, fondatrice de l'Ordre du Sauveur. 1373.

Pape : Grégoire XI. Roi de Suède : Albert Ier de Mecklembourg. Roi de France : Charles V le Sage.

" Quand le sixième jour ramène le souvenir de la passion du Christ, c'est en vain, âme généreuse, que vous voudriez vous associer à Ses douleurs. Vaincue par l'amour que vous portez à votre époux, l'herbe amère que vous pressez sous vos dents perd son fiel dans votre bouche et se change en un miel délicieux."
Hugues Vaillant. Fasti sacri.

Sainte Brigitte de Suède. Le maître d'Ehenheim. XVe.

Brigitte, née en Suède d'illustres et pieux parents, eut une vie très sainte. Comme sa mère la portait encore, elle fut à cause de son enfant sauvée d'un naufrage. Brigitte était dans sa dixième année, lorsqu'ayant entendu prêcher sur la passion du Seigneur, elle vit, la nuit suivante, Jésus en croix, couvert d'un sang fraîchement répandu, et qui s'entretenait avec elle de cette même passion. Depuis lors, la méditation des souffrances du Sauveur l'affectait tellement, qu'elle n'y pouvait penser sans verser des larmes.

Mariée à Ulf prince de Néricie, elle l'amena à imiter la piété de sa vie par ses exemples et la persuasion de ses discours. Elle mit tout son cœur à élever ses enfants, tout son zèle à secourir les pauvres et surtout les malades, qu'elle servait dans une maison destinée à cette fin, ayant coutume de laver et de baiser leurs pieds. Comme elle revenait avec son mari de Compostelle, où ils avaient visité le tombeau de l'Apôtre saint Jacques, Ulf tomba gravement malade à Arras ; saint Denys apparut alors une nuit a Brigitte, lui prédit le retour en santé du malade et d'autres événements à venir.

Le château de Vadstena, transformé pour partie
en monastère par sainte Brigitte de Suède. Suède.

Ulf, s'étant fait moine sous la règle de Cîteaux, mourut peu après, et Brigitte entendit en songe le Christ qui lui demandait d'embrasser un genre de vie plus austère. Sa fidélité fut récompensée d'en haut par de nombreuses révélations. Elle fonda le monastère de Vadstena, sous la règle du saint Sauveur que le Seigneur lui-même lui avait dictée. Elle vint à Rome par l'ordre de Dieu, et y embrasa beaucoup de monde des ardeurs de l'amour divin. Elle fit aussi le pèlerinage de Jérusalem ; et ce fut dans son voyage de retour à Rome que la fièvre la saisit. Après avoir supporté durant un an des souffrances aiguës, elle passa au ciel comblée de mérites, au jour qu'elle avait prédit. Son corps fut porté au monastère de Vadstena ; ses miracles déterminèrent Boniface IX à la mettre au nombre des Saints.

Femme forte, appui de l'Eglise en des temps malheureux, soyez bénie par tous les peuples à cette heure. Quand la terre, appauvrie de vertus, n'acquittait plus ses redevances au Seigneur suprême, vous fûtes le trésor dont la découverte aux extrêmes frontières, ainsi que dit l'Ecriture, compensa l'indigence de plusieurs. Par vous, jadis suspect et délaissé, le septentrion connut les complaisances du ciel. Bientôt l'Esprit, sollicité par les Apôtres et les saints Martyrs, vous amenait aux plages que leur sang ne suffisait plus à féconder pour l'Epoux ; vous apparûtes alors comme le navire apportant des lointains horizons nourriture et vie aux contrées que désole la stérilité. A votre voix, Rome épuisée retrouva l'espérance ; à votre exemple, elle expia les fautes d'où provenait son abandon ; vos communes supplications lui ramenèrent, avec le cœur de l'Epoux, celui de son Vicaire ici-bas.

Mais votre part était celle de la souffrance et du labeur. Au jour où votre œuvre se consommait dans l'allégresse de tous, vous aviez quitté la terre ; pareille à ces héros de l'ancienne alliance saluant de loin les promesses dont la réalisation était pour d'autres, et confessant qu'ils n'étaient qu'étrangers et pèlerins sur la terre. Comme eux, vous cherchiez une patrie, non celle que vous aviez quittée et où il vous restait loisible de retourner, mais la seule vraie, celle des deux. Aussi Dieu se fait-il gloire d'être appelé votre Dieu.

De l'éternelle cité où finit votre exil, gardez en nous le fruit de vos exemples et de vos enseignements. Malgré sa situation diminuée, votre Ordre du Sauveur les perpétue dans les contrées qui le possèdent encore ; puisse-t-il revivre un jour à Vadstena dans sa splendeur première Par lui et ses émules, ramenez la Scandinavie à la foi si malheureusement perdue d'Anschaire son apôtre, d'Eric et d'Olaf ses rois martyrs. Enfin protégez Rome, dont les intérêts vous furent si spécialement confiés par le Seigneur ; épargnez-lui de connaître à nouveau la terrible épreuve que votre vie se consuma à détourner.

" Seigneur, qui vous a ainsi traité ?
- Ceux qui Me méprisent et oublient Mon amour."


Première révélation du Fils de Dieu à Brigitte de Suède. François d'Assise, levant l'étendard de la Croix sur le monde, avait annoncé la rentrée du Christ en la voie douloureuse : du Christ, non par lui-même, mais dans l'Eglise, chair de sa chair. Combien l'annonce était justifiée, Brigitte l'éprouva dès l'aurore de ce fatal siècle quatorzième avec lequel elle devait grandir, et où tous les désastres, amenés par tous les crimes, fondirent à la fois sur notre Occident.

Sainte Brigitte de Suède. XVIe.

Née l'année même où, valet d'un nouveau Pilate, Sciarra Colonna souffletait le Vicaire de l'Homme-Dieu, son enfance voit se multiplier les défaillances livrant l'Epouse aux mépris de ceux qui oublient l'Epoux. La chrétienté n'a plus de Saints qu'on puisse comparer à leurs grands devanciers ; on dirait qu'au siècle précédent, les races latines ont épuisé leur sève en fleurs : où sont les fruits que promettait la terre ? La vieille Europe n'a plus qu'affronts pour le Verbe ; cette fête, apparition de Jésus dans la froide Scandinavie, marque-t-elle donc la fuite de l'Epoux loin du centre habituel de ses prédilections ? C'est en la dixième année de Brigitte, que le divin chef de l'Eglise sollicite sous les traits de l'homme des douleurs asile en son âme ; et c'est dans le même temps, que la mort de Clément V et l'élection de Jean XXII en terre étrangère vont consommer pour soixante-dix ans l'exil de la papauté.

Rome cependant, veuve de ses Pontifes, apparaît la plus misérable des cités dont elle fut la reine. Ses rues sont en pleurs ; car personne ne vient plus à ses Solennités. Mise à sac par ses fils, elle perd quotidiennement quelque débris de son antique gloire ; le meurtre ensanglante ses carrefours; la solitude s'étend parmi les ruines de ses basiliques effondrées ; les troupeaux paissent au pied des autels de Saint-Pierre et du Latran. Des sept collines l'anarchie a gagné l'Italie, transformant ses villes en repaires de brigands, ses campagnes en déserts. La France va expier dans les atrocités d'une guerre de cent ans la captivité du Pontife suprême.

Hélas ! captivité trop aimée : la cour d'Avignon ne redit pas le cantique des Hébreux sur les fleuves de Babylone. Heureuse si, plus riche d'or que de vertus, elle n'ébranlait pour longtemps au milieu des nations le prestige du premier Siège. L'empire germanique, avec Louis de Bavière, a beau jeu pour refuser l'obéissance au protégé des Valois ; les Fratricelles accusent d'hérésie le successeur de Pierre, tandis que, soutenu par les légistes du temps, Marsille de Padoue s'attaque au principe même du pontificat. Benoît XII néanmoins, découragé par les troubles d'Italie, abandonne la pensée qu'il avait eue de rentrer dans ia Ville éternelle ; il fonde sur le rocher des Doms le château fameux, forteresse et palais, qui semble fixer pour jamais aux bords du Rhône le séjour du chef de la chrétienté. Le deuil de Rome, la splendeur d'Avignon sont au comble sous Clément VI, dont le contrat passé avec Jeanne de Naples, comtesse de Provence, acquiert définitivement à l'Eglise la possession de l'usurpatrice capitale. A cette heure, l'entourage du Pontife égale en luxe, en mondanité, toutes les cours du monde. La justice de Dieu déchaîne sur les nations le fléau de la peste noire. Sa miséricorde fait parvenir au Pape Clément les avertissements du ciel :
" Lève-toi ; fais la paix entre les rois de France et d'Angleterre, et viens en Italie prêcher l'année du salut, visiter les lieux arrosés du sang des Saints. Songe que, dans le passé, tu as provoqué ma colère, faisant ta volonté, non ton devoir ; et je me suis tu. Mais mon temps est proche. Si tu n'obéis, je te demanderai compte de l'indignité avec laquelle tu as franchi tous les degrés par lesquels j'ai permis que tu fusses exalté en gloire. Tu me rendras raison de la cupidité, de l'ambition qui, de ton temps, ont fleuri dans l'Eglise : tu pouvais beaucoup pour la réforme ; ami de la chair, tu ne l'as pas voulu. Répare ton passé par le zèle de tes derniers jours. Si ma patience ne t'avait gardé, tu serais descendu plus bas qu'aucun de tes prédécesseurs. Interroge ta conscience, et vois si je dis la vérité."

Sainte Brigitte de Suède. Bréviaire à
l'usage de l'Ordre de Sainte-Brigitte. XVe.

L'austère message venait de cette terre d'aquilon où, depuis un demi-siècle, la sainteté semblait réfugiée. Brigitte de Suède, en qui la lumière prophétique croissait au milieu des honneurs que lui attirait sa naissance, l'avait écrit sous la dictée du Fils de Dieu. Malgré tant de reproches encourus, la foi du Pape était grande ; elle s'unit à la courtoisie du grand seigneur qu'était resté Pierre Roger sous la tiare, pour ménager près de sa personne un accueil plein d'égards aux mandataires de la princesse de Néricie. Mais, s'il promulgua le jubilé célèbre qui devait marquer ce milieu de siècle, Clément VI laissa lui-même passer l'année sainte,sans qu'on le vît prosterné devant ces tombeaux des Apôtres à la visite desquels il convoquait l'univers. La patience divine était lassée : Brigitte connut le jugement de cette âme ; elle vit son châtiment terrible, qui pourtant n'était pas celui de l'abîme, et que tempérait l'espérance.

Toute jusque-là aux intérêts surnaturels de son pays, Brigitte subitement voyait sa mission embrasser le monde. Vainement, par ses prières à Dieu, par ses avertissements aux princes, la grande maîtresse du palais de Stockholm avait tenté d'arracher la Suède aux épreuves qui devaient aboutir à l'union de Calmar. Ni Magnus II, ni Blanche de Dampierre qui partageait son trône, ne s'étaient appliqué les menaces de leur illustre parente :
" J'ai vu le soleil briller avec la lune dans les cieux, jusqu'à ce que l'un et l'autre ayant donné au dragon leur puissance, le ciel pâlit, les reptiles remplirent la terre, le soleil glissa dans l'abîme et la lune disparut sans laisser nulles traces."

Sainte Brigitte rédigeant la règle de l'Ordre du Sauveur,
inspirée par l'archange saint Gabriel. Détail. Retable.
Eglise de Tjällmo. Suède. XIVe.

Ô Nord, la froideur criminelle du Midi t'avait valu d'augustes avances ; dans ces jours qui te furent donnés, tu n'as point su mettre à profit la visite de l'Epoux. Brigitte va te quitter pour toujours. Elle fut à l'Homme-Dieu sa cité de refuge ; visitant Rome et l'habitant désormais, elle doit, en y ramenant la sainteté, préparer la rentrée du Vicaire du Christ en ses murs.

Labeur de vingt ans, où personnifiant la Ville éternelle, elle en subira les misères poignantes, en connaîtra toutes les ruines morales, en présentera les prières et les larmes au Seigneur. Apôtres, martyrs romains, titulaires des sanctuaires fameux de la péninsule, la veulent sans cesse à leurs autels trop longtemps délaissés ; tandis que, sous la dictée d'en haut, sa plume continue de transmettre aux pontifes et aux rois les missives de Dieu.

Eglise abbatiale de l'abbaye de Vadstena. Suède.

Mais l'horizon a semblé s'éclaircir enfin. Pendant que l'inflexible et juste Innocent VI réformait l'entourage du successeur de Pierre, Albornoz pacifiait l'Italie. En 1367, Brigitte transportée s'incline au Vatican sous la bénédiction d'Urbain V. Hélas ! trois ans n'étaient pas écoulés que, regrettant sa patrie terrestre, Urbain derechef abandonnait les tombeaux des Apôtres. La Sainte l'avait prédit : il ne revoyait Avignon que pour y mourir. Roger de Beaufort, neveu de Clément VI, lui succéda et s'appela Grégoire XI ; c'était lui qui devait mettre fin sans retour à l'exil et briser les chaînes de la papauté.

Cependant le temps de Brigitte va finir. Une autre moissonnera dans la joie ce qu'elle a semé dans les larmes ; Catherine de Sienne, lorsqu'elle n'y sera plus, ramènera dans la Cité sainte le Vicaire de l'Epoux. Quant à la vaillante Scandinave, toujours déçue dans ses missions sans que jamais ait fléchi son courage ou vacillé sa foi, l'Epoux, finissant avec elle en la manière qu'il commença, la conduit aux saints Lieux, témoins de sa passion douloureuse ; et c'est au retour de ce pèlerinage suprême que, loin de la terre de sa naissance, en cette Rome désolée dont elle n'a pu faire cesser le veuvage, il lui redemandera son âme. Fille de la Sainte, et sainte comme elle, une autre Catherine ramènera aux rivages de Scandinavie le corps de la descendante des seigneurs de Finstad.

Reliquaire de sainte Brigitte de Suède.
Eglise abbatiale de l'abbaye de Vadstena. Suède.

Il fut déposé au monastère encore inachevé de Vadstena, chef-lieu projeté de cet Ordre du Sauveur dont le dessein, comme toutes les entreprises imposées à Brigitte de par Dieu, ne devait parvenir à terme qu'après sa mort. Presque simultanément, vingt-cinq ans plus tôt, elle avait reçu l'ordre de fonder et celui d'abandonner le pieux asile ; comme si le Seigneur n'en voulait évoquer à ses yeux la sereine tranquillité, que pour la crucifier d'autant mieux dans la voie si différente où il entendait l'introduire à l'heure même. Rigueur de Dieu pour les siens ! souveraine indépendance de ses dons : ainsi déjà laissant la Sainte s'éprendre en ses premières années du beau lis, attribut des vierges, lui avait-il soudainement signifié que la fleur de ses prédilections était pour d'autres.
" En vain j'ai crié vers lui, disait le prophète au temps de la captivité qui figurait celle dont Brigitte avait à savourer toutes les amertumes; en vain j'ai crié vers lui, et je l'ai supplié : il a repoussé ma prière ; il m'a barré la route avec des pierres de taille, il a renversé mes sentiers "(Thren. III, 8, 9.).

En prélude au récit liturgique de l'Eglise, rappelons que Brigitte s'envola vers la vraie patrie le 23 juillet 1373 ; le VIII octobre est l'anniversaire du jour où pour la première fois, au lendemain de la canonisation, la Messe de sainte Brigitte fut célébrée par Boniface IX. Martin V confirma depuis les actes de Boniface IX en son honneur ; il approuva comme lui ses Révélations ; vivement attaquées aux conciles de Constance et de Bâle, elles n'en sortirent que mieux recommandées à la piété des fidèles. On connaît également les indulgences précieuses attachées au chapelet qui porte le nom de la Sainte ; par la faveur du Siège apostolique, elles sont fréquemment appliquées de nos jours aux chapelets ordinaires; mais il est bon de rappeler que le vrai chapelet de sainte Brigitte se composait pour elle de soixante-trois Ave Maria, sept Pater et sept Credo, en l'honneur des années présumées de Notre-Dame ici-bas, de ses allégresses et de ses douleurs. C'est cette même pensée d'honorer Marie qui lui fit déférer la supériorité à l'Abbesse, dans les monastères doubles de son Ordre du Sauveur.

Sainte Brigitte de Suède. Détail. Hermann Rode. Suède. XVe.

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dimanche, 08 octobre 2023 | Lien permanent | Commentaires (3)

27 juillet. Les sept dormants d'Ephèse, frères, martyrs. 250.

- Les sept dormants d'Ephèse, frères, martyrs. 250.

Papes : Saint Fabien ; saint Damase. Empereurs romains : Dèce ; Théodose.

" La mort se relèvera en présentant sa victime, et, comme au sortir d'un long assoupissement, l'âme s'avancera pour rejoindre son corps."
Saint Ambroise.

Les sept saints dormants d'Ephèse. Icône grecque du Xe.

Les sept dormants étaient originaires d'Ephèse. L'empereur Dèce qui persécutait, les chrétiens, étant venu en cette ville  fit construire des temples dans l’enceinte de cette cité, afin que tous se réunissent à lui pour sacrifiée aux idoles. Or, il avait ordonné qu'on cherchât tous les chrétiens ; et quand ils avaient été pris, il les forçait à sacrifier où à mourir ; on éprouva donc généralement une si grande crainte des supplices que l’ami reniait son ami, le père son fils, et le fils son père. Alors se trouvaient dans cette ville sept chrétiens, qui furent saisis d'une grande douleur quand ils virent ce qui se passait.

C'étaient Maximien, Malchus, Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Comme ils étaient les premiers officiers du palais, et qu'ils méprisaient les sacrifices offerts aux idoles, ils restaient cachés dans leur maison, se livrant aux jeûnes et aux oraisons.

Accusés et traduits devant Dèce ; puis convaincus d'être chrétiens, on leur donna le temps de revenir à résipiscence et il  furent relâchés, jusqu'au retour de l’empereur. Mais dans cet intervalle, ils distribuèrent leur patrimoine entre les pauvres, et prirent la résolution de se retirer sur le mont Célion, où ils se décidèrent à rester cachés. Pendant longtemps, l’un d'eux se procurait ce qui leur était nécessaire, et chaque fois qu'il entrait dans la ville, il se déguisait en mendiant.

La grotte des sept dormants d'Ephèse aujourd'hui.
Ionie. Empire romain d'Orient. Actuelle Turquie.

Or, quand Dèce fut revenu dans Ephèse, il ordonna de les chercher pour les obliger à sacrifier. Malchus, qui les servait, revint effrayé trouver ses compagnons et leur faire part de la fureur de l’empereur. Ils furent saisis de crainte ; alors Malchus leur présenta les pains qu'il avait apportés, afin que, fortifiés parla nourriture, ils en devinssent plus braves pour le combat. Après leur repas du soir, ils s'assirent et s'entretinrent avec tristesse et larmes, et à l’instant, par la volonté de Dieu, ils s'endormirent.

Quand vint le matin, on les chercha et on ne put les trouver, Or, Dèce était désolé d'avoir perdu de pareils jeunes gens; on les accusa de s'être cachés jusqu'alors sur le mont Célion, et de persister dans leur résolution. On ajouta qu'ils avaient donné leurs biens aux pauvres. Dèce ordonna donc de faire comparaître leurs parents qu'il menaça de mort, s'il  ne déclaraient tout ce qui était venu à leur connaissance au sujet des absents. Leurs parents les accusèrent comme les autres et se plaignirent de ce qu'ils avaient distribué leurs richesses aux pauvres. Alors Dèce réfléchit à la conduite. qu'il tiendrait à leur égard, et par l’inspiration ; de Dieu, il fit boucher avec des pierres l’entrée de la caverne afin qu'y étant renfermés, ils y mourussent de faim et de misère. On exécuta ses ordres et deux chrétiens, Théodore et Rufin, écrivirent la relation de leur martyre qu'ils placèrent avec précaution entre les pierres.

Or, quand Dèce, et toute la génération qui existait alors eut disparu, cent soixante-douze ans après, la trentième année de l’empire de Théodose, se propagea l’hérésie de ceux qui niaient la résurrection des morts. Théodose, qui était un empereur très chrétien, fut rempli de tristesse devoir la foi indignement attaquée. Il se revêtit d'un cilice ; et s'étant retiré dans l’intérieur de son palais, il pleurait tous les jours Dieu, qui vit cela dans Sa miséricorde, voulut consoler ces affligés et affermir l’espérance de la résurrection des morts ; il ouvrit les trésors de sa tendresse et ressuscita les sept martyrs, comme il suit.


Martyre des sept dormants d'Ephèse. Vies de saints. XIVe.

Il inspira à un citoyen d'Ephèse l’idée de faire construire sur le mont Célion des étables pour les bergers. Les maçons ayant ouvert la grotte, les saints se levèrent et se saluèrent, dans la pensée qu'ils n'avaient dormi qu'une nuit ; puis se rappelant leur tristesse de la veille, ils demandèrent à Malchus, qui les approvisionnait, ce que Dèce avait décrété à leur égard. Il répondit :
" Comme je vous l’ai dit hier soir, on nous a cherchés pour nous contraindre à sacrifier aux idoles : voilà les pensées de l’empereur par rapport à nous."
Maximien répondit :
" Et Dieu sait que nous ne sacrifierons pas."

Après avoir encouragé ses compagnons, il dit à Malchus de descendre à-la ville pour acheter du pain, en lui recommandant d'en prendre plus qu'il n'avait fait la veille, et de leur communiquer à son retour les ordonnances de l’empereur. Malchus prit cinq sols, sortit de la caverne. En voyant les pierres il fut étonné ; mais comme il pensait à autre chose, l’idée des pierres fit peu d'impression sur lui. Alors qu'il arrivait, non sans une certaine appréhension, à la porte de la ville, il fut singulièrement surpris de la voir surmontée du signe de la croix ; de là il alla à une autre porte. Quand il vit le même signe, il fut très étonné de voir une croix au-dessus de toutes les portes, et de trouver la ville changée ; il se signa, et revint à la première porte en pensant qu'il rêvait.


Les sept dormants d'Ephèse. Legenda aurea.
J. de Voragine. R. de Monbaston. XIVe.

Enfin il se rassure, se cache le visage et pénètre dans la ville. Comme il entrait chez les marchands de pain, il entendit qu'on parlait de il fut stupéfait : " Qu'est ceci, pensait-il ? hier personne n'osait prononcer le nom de J.-C., et aujourd'hui ils se confessent tous chrétiens ? Je crois que ce n'est pas là la ville d'Ephèse : d'ailleurs elle est autrement bâtie ; c'est une autre ville, mais je ne sais laquelle."
Alors il prit des informations : on lui répondit que c'était Ephèse. Se croyant le jouet d'une erreur, il songea à venir retrouver ses compagnons. Cependant il entra chez ceux qui vendaient du pain, et ayant donné son argent, les marchands étonnés se disaient l’un à l’autre que ce jeune homme avait trouvé un vieux trésor.

Or, Malchus, en les voyant se parler en particulier, pensait qu'ils voulaient le mener à l’empereur, et, dans son effroi, il les pria de le laisser aller et de garder les pains et les pièces d'argent. Mais les boulangers le retinrent et lui dirent :
" D'où es-tu ? Puisque tu as trouvé des trésors des anciens empereurs ; indique-les-nous ; nous partagerons avec toi et nous te cacherons, car autrement tu ne peux t'en retirer."


Malchus ne savait quoi leur répondre, tant il avait peur. Alors les marchands, voyant qu'il se taisait, lui jetèrent une corde au cou, le traînèrent par les rues jusqu au milieu de la ville. C'était une rumeur générale qu'un jeune homme avai  trouvé des trésors. Tout le monde s'assemblait autour de lui, et le regardait avec admiration. Malchus voulait faire comprendre qu'il n'avait rien trouvé. Il examinait tout le monde et personne ne pouvait le connaître ; il regardait au milieu : de la foule pour distinguer quelqu'un de ses parents (il les croyait vraiment encore en vie), et ne trouvant personne, il restait comme un hébété au milieu du peuple de la ville.

La grotte des sept dormants d'Ephèse aujourd'hui.
Ionie. Empire romain d'Orient. Actuelle Turquie.

Le fait vint aux oreilles de saint Martin, évêque ; et du proconsul Antipater, nouvellement arrivé dans la ville Ils commandèrent aux citoyens de leur mener ce jeune homme avec précaution et d'apporter en même temps son argent. Pendant que les officiers le conduisaient à l’église, il pensait qu'on le menait à l’empereur. L'évêque donc et l’empereur  surpris de voir cet argent ; lui demandèrent où il avait trouvé un trésor, inconnu. Il répondit qu'il n'avait rien trouvé, mais qu'il avait en ces deniers dans la bourse de ses parents. On lui demanda alors de quelle ville il était. Il répondit :
" Je sais bien que je suis de cette ville, si tant est que cette ville soit Ephèse."
Le proconsul dit :
" Fais venir tes parents, afin qu'ils répondent pour toi."
Quand il eut cité leurs noms, personne ne les connaissant, on lui dit qu'il mentait pour pouvoir échapper, n'importe de quelle manière.
" Comment te croire, dit le proconsul ? tu prétends que cet argent vient de tes parents, et l’inscription a plus de 377 ans ; elle date des premiers temps de l’empereur Dèce, et ces pièces ne sont pas du tout pareilles à celles qui ont cours chez nous. Et comment tes parents vivaient-ils à cette époque, quand tu es si jeune ? Tu veux donc tromper les savants et les vieillards d'Ephèse ? Eh bien ! je vais te livrer à la rigueur des lois, jusqu'à ce, que tu fasses l’aveu de ta découverte." Alors Malchus se jeta à leurs pieds en disant :
" Pour Dieu, seigneurs, dites-moi ce que je vous demande, et je vous dirai ce qui est dans mon coeur. L'empereur Dèce, qui se trouvait dans cette ville, ou est-il à présent ?"
L'évêque lui répondit :
" Mon fils, il n'y a plus aujourd'hui ici-bas d'empereur qui s'appelle Dèce ; il y a longtemps qu'il l’était."
Mais Malchus dit :
" C'est pour cela, seigneur, que je suis bien étonné et que personne ne. me croit : or, suivez-moi, et je vous montrerai mes compagnons qui sont au mont Célion, et vous les croirez. Ce que je sais, c'est que nous avons fui quand Dèce s'est présenté ici ; et, hier soir, j'ai vu entrer Dèce dans cette ville, si tant est que ce soit Ephèse."
Alors l’évêque ayant réfléchi, dit au proconsul :
" C'est une vision que Dieu veut montrer par le ministère de ce jeune homme."

Ils le suivirent donc avec une grande multitude de citoyens. Malchus pénétra le premier dans le lieu où étaient, ses compagnons : l’évêque, qui entra après lui, trouva entre les pierres la relation scellée de deux sceaux d'argent. Il assembla le peuple, la lut, à l’admiration de tous ceux qui l’entendirent; et en voyant les saints de Dieu assis dans la caverne avec un visage qui avait la fraîcheur des roses, ils se prosternèrent en glorifiant Dieu. Aussitôt l’évêque et le proconsul envoyèrent prier l’empereur de venir de suite voir les miracles qui venaient de s'opérer.

Les sept dormants d'Ephèse. Vies de Saints.
R. de Monbaston. XIVe.

Aussitôt l’empereur quitta le sac qu'il portait, se leva et vint de Constantinople à Ephèse en rendant gloire à Dieu. On alla au-devant de lui et on l’accompagna à la grotte. Les saints n'eurent pas plutôt vu l’empereur que leur visage brilla,, comme le soleil ; ensuite l’empereur entra, se prosterna devant eux en glorifiant Dieu, se leva, les embrassa et pleura sur chacun d'eux en disant :
" Je vous vois, comme si je voyais le Seigneur ressuscitant Lazare."
Alors saint Maximien lui dit :
" Croyez-nous ; c'est pour vous que Dieu nous a ressuscités avant le jour de la grande résurrection, afin que vous croyiez indubitablement à la résurrection certaine des morts ; car nous sommes vraiment ressuscités et nous vivons : or, de même que l’enfant dans le sein de sa mère vit sans ressentir de lésion, de même, nous aussi , nous avons été vivants, reposant, dormant et n'éprouvant pas de sensations."


Quand il eut dit ces mots, les sept hommes inclinèrent la tête sur la terre, s'endormirent et rendirent l’esprit selon l’ordre de Dieu. Alors l’empereur se leva, se jeta sur eux avec larmes et les embrassa. Il ordonna ensuite de faire des cercueils d'or pour les renfermer ; mais cette nuit-là même, ils lui apparurent et lui dirent que jusqu'alors ils avaient reposé sur la terre et qu'ils étaient ressuscités de dessus la terre, qu'il les y fallait laisser, jusqu'à ce que le Seigneur le  ressuscitât la seconde fois.

L'empereur ordonna donc qu'on ornât ce lieu. de pierres dorées, et que tous les évêques qui confessaient la résurrection fussent absous. Qu'ils aient dormi 377 ans, comme on le dit, la chose peut être douteuse, puisqu'ils ressuscitèrent l’an du Seigneur 418. Or, Dèce régna seulement un an et trois mois, en l’an 252 ; ainsi, ils ne dormirent que cent quatre-vingt-seize ans.

Le dolmen dans lequel les sept Saints dormants d'Ephèse
sont vénérés à Plouaret-Vieux-Marché. Bretagne. Ve-VIe.

CULTE

Notons que le culte des sept saints dormants d'Ephèse pénétra très tôt et très rapidement en Occident dont la Bretagne ne fut pas la dernière et la moins fervente à l'embrasser.  Nos Saints sont notamment vénérés à Plouaret-Vieux-Marché, non loin de Lannion dès la fin du Ve siècle grâce à la venue en mission de moines grecs. Pour cette paroisse, on peut lire et télécharger la Guerz (chant psalmodique breton) que la piété populaire à dédié à nos Saints : http://www.vieux-marche.net/IMG/pdf/GUERZ-_20texte-2.pdf

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jeudi, 27 juillet 2023 | Lien permanent | Commentaires (3)

9 novembre. Dédicace de l'église du Sauveur, aujourd'hui archibasilique Saint-Jean de Latran. 324.

- Dédicace de l'église du Sauveur, aujourd'hui archibasilique Saint-Jean de Latran. 324.

Pape : Saint Sylvestre Ier. Empereur romain d'Occident : Constantin Ier. Empereur romain d'Orient : Licinius.

" Domus Dei nos ipsi ; nos in hoc saeculo aedificamur, ut in fine saeculi edificemur."
" Nous sommes les temples de Dieu, nous avons été édifiés dans le temps pour être dédiés à la fin des temps."
Saint Augustin. Serm. CCCXXXVI in dedicat.


Archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

Le Maître-autel, sur lequel seul le pape peut offrir le saint sacrifice de la messe, est l'autel sur lequel saint Pierre disait la messe lorsqu'il était à Rome. C'est l'unique autel sous lequel il n'y ait point de relique.
Au trésor de lapremière église du monde, on trouve entre autre la table sur laquelle Notre Seigneur institua le saint sacrifice de la Messe, un morceau du linge de pourpre dont les soldat le revêtirent lors de Sa Passion, les crânes de saint Pierre et de saint Paul, etc.
Jean Sobieski, après sa victoire à Vienne contre les Mahométans, insista pour que sa bannière fut exposée dans la première église du monde en signe de son dévouement à l'Eglise de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Au quatrième siècle de notre ère, la fin des persécutions sembla au monde un avant-goût de sa future entrée dans la cité de la paix sans fin. " Gloire au Tout-Puissant ! gloire au Rédempteur de nos âmes !" s'écrie, en tête du dixième et dernier livre de son Histoire, le contemporain Eusèbe. Et témoin du triomphe, il décrit l'admirable spectacle auquel donna lieu partout la dédicace des sanctuaires nouveaux.

De villes en villes, s'assemblaient les évêques et s'empressaient les foules. De peuples à peuples, une telle bienveillance de mutuelle charité, de commune foi, d'allégresse recueillie harmonisait les cœurs, que l'unité du corps du Christ apparaissait aux yeux, dans cette multitude animée d'un même souffle de l'Esprit-Saint ; c'était l'accomplissement des anciennes prophéties : cité vivante du Dieu vivant où tout sexe et tout âge exaltaient l'auteur de tous biens. Combien augustes apparurent alors les rites de notre Eglise ! La perfection achevée qu'y déployaient les Pontifes, l'élan de la psalmodie, les lectures inspirées, la célébration des ineffables Mystères formaient un ensemble divin (Euseb. Hist. eccl. X, I-IV.).


Frontispice de l'archibasilique Saint-Jean de Latran (détail). Rome.

Constantin avait mis les trésors du fisc à la disposition des évêques, et lui-même stimulait leur zèle pour ce qu'il appelait dans ses édits impériaux l'œuvre des églises (Euseb. De Vita Constantini, II, XLV, XLVI.). Rome surtout, lieu de sa victoire par la Croix et capitale du monde devenu chrétien, bénéficia de la munificence du prince. Dans une série de dédicaces à la gloire des Apôtres et des saints Martyrs, Silvestre, Pontife de la paix, prit possession de la Ville éternelle pour le vrai Dieu.

Aujourd'hui fut le jour natal de l'Eglise Maîtresse et Mère, dite du Sauveur, Aula Dei (Palais de Dieu.), Basilique d'or ; nouveau Sinaï (Inscriptio vetus olim in apside majori.), d'où les oracles apostoliques et tant de conciles notifièrent au monde la loi du salut. Qu'on ne s'étonne pas d'en voir célébrer la fête en tous lieux.


Choeur de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

Si depuis des siècles les Papes n'habitent plus le palais du Latran, la primauté de sa Basilique survit dans la solitude à tout abandon. Comme au temps de saint Pierre Damien, il est toujours vrai de dire qu'" en la manière où le Sauveur est le chef des élus, l'Eglise qui porte son nom est la tête des églises ; que celles de Pierre et de Paul sont, à sa droite et à sa gauche, les deux bras par lesquels cette souveraine et universelle Eglise embrasse toute la terre, sauvant tous ceux qui désirent le salut, les réchauffant, les protégeant dans son sein maternel ". (Petr. Dam. Epist. L. II, 1.).

Et Pierre Damien appliquait conjointement au Sauveur et à la Basilique, sacrement de l’unité, les paroles du prophète Zacharie : Voici l’ homme dont le nom est Orient ; il germera de lui-même, et il bâtira un temple au Seigneur ; il bâtira, dis-je, un temple au Seigneur, et il aura la gloire, et il s'assiéra : et sur son trône il sera Roi, et sur son trône il sera Pontife (Zach. VI, 12, 13.).


Abside de saint Jean. Archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

C'est au Latran que, de nos jours encore, a lieu la prise de possession officielle des Pontifes romains. Là s'accomplissent chaque année en leur nom, comme Evêques de Rome, les fonctions cathédrales delà bénédiction des saintes Huiles au Jeudi saint et, le surlendemain, de la bénédiction des fonts, du baptême solennel, de la confirmation, de l'ordination générale.

Prudence, le grand poète de l'âge du triomphe, reviendrait en nos temps qu'il dirait toujours :
" A flots pressés le peuple romain court à la demeure de Latran, d'où l'on revient marqué du signe sacré, du chrême royal ; et il faudrait douter encore, Ô Christ, que Rome te fût consacrée !" (Prudent. Lib. I contra Symmachum, 586-588.).

Ce fut le bienheureux Pape Silvestre qui établit le premier les rites observés par l'Eglise romaine dans la consécration des églises et des autels. Il y avait bien dès le temps des Apôtres, en effet, certains lieux voués à Dieu, et nommés Oratoires par les uns, Eglises par d'autres ; on y tenait l'assemblée le premier jour de la semaine, et le peuple chrétien avait la coutume d'y prier, d'y entendre la parole de Dieu, d'y recevoir l'Eucharistie : cependant on ne les consacrait pas avec autant de solennité ; on n'y élevait pas d'autel fixe qui, oint du chrême, exprimât le symbole de notre Seigneur Jésus-Christ, pour nous autel, hostie et pontife.


Abside de saint Jean (détail).
Archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

Mais lorsque l'empereur Constantin eut par le sacrement du baptême obtenu la santé du corps et le salut de l'Âme, une loi émanant de lui fut portée qui pour la première fois permettait dans tout l'univers aux Chrétiens de bâtir des églises. Non content de cet édit, le prince voulut même leur donner l'exemple et inaugurer les saints travaux. C'est ainsi que dans son propre palais de Latran, il dédia une église au Sauveur, et fonda le baptistère contigu sous le nom de saint Jean-Baptiste, dans le lieu où lui-même, baptisé par saint Silvestre, avait été guéri de la lèpre.

C'est cette église que le Pontife consacra le cinq des ides de novembre ; et nous en célébrons la mémoire en ce même jour où pour la première fois à Rome une église fut ainsi publiquement consacrée, où l'image du Sauveur apparut visible sur la muraille aux yeux du peuple romain.


Baldaquin de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

Plus tard, ayant à consacrer l'autel du Prince des Apôtres, le bienheureux Silvestre ordonna que les autels ne fussent plus désormais que de pierre. Si cependant l'autel de la basilique de Latran fut de bois, on ne doit pas s'en étonner : de saint Pierre à Silvestre, en effet, les persécutions ne laissaient pas aux Pontifes de demeure stable ; partout donc où les amenait la nécessité, soit dans les cryptes ou les cimetières, soit dans les maisons des chrétiens, c'était sur cet autel de bois, creux en forme de coffre, qu'ils offraient le Sacrifice.

Quand la paix fut rendue à l'Eglise, par honneur pour le Prince des Apôtres qu'on dit avoir célébré sur cet autel, et les autres Pontifes qui jusqu'alors s'en étaient servis de même dans les Mystères sacrés, saint Silvestre le plaça dans la première église, au Latran, défendant que nul autre n'y célébrât par la suite, si ce n'est le Pontife romain. Ebranlée et ruinée par les incendies, les incursions ennemies, les tremblements de terre, cette église fut toujours réparée avec grand zèle parles Souverains Pontifes ; à la suite d'une nouvelle restauration, le Pape Benoît XIII, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, la consacra derechef en grande pompe, le vingt-huitième jour d'avril de l'an mil sept cent vingt-six, assignant à la mémoire de cette solennité le présent jour.


Vue du cloître de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. Rome.

De grands travaux que Pie IX avait entrepris furent menés à bonne fin par Léon XIII ; à savoir : l'agrandissement et le prolongement de l'abside qui tombait de vétusté ; la réfection sur le modèle primitif de l'antique mosaïque déjà précédemment renouvelée dans beaucoup de ses parties, et son transfert dans ta nouvelle abside magnifiquement et à grands frais décorée ; le renouvellement delà charpente et des lambris du transept embelli ; œuvre complétée, l'an mil huit cent quatre-vingt-quatre, d'une sacristie, d'habitations pour les chanoines et d'un portique rejoignant les nouvelles constructions au baptistère de Constantin.

Tant de détails courent le risque de sembler superflus aux profanes. En la manière cependant que le Pape est notre premier et propre pasteur à tous, son Eglise de Latran est aussi notre Eglise ; rien de ce qui la concerne ne saurait, ne devrait du moins, laisser le fidèle indifférent. Inspirons-nous à son endroit des belles formules qui suivent, et que nous donne le Pontifical romain au jour de la consécration des Eglises ; elles ne sauraient s'appliquer mieux qu'à l'Eglise Mère.


Entrée de Martin V au château Saint-Ange (détail). Il mit fin au
schisme d'Occident. Son tombeau se trouve dans l'archibasilique
Saint-Jean de Latran. Giovanni di Palolo. XVe.

ANTIENNES ET REPONS

R/. " La maison du Seigneur est fondée au sommet des monts; elle est élevée sur les collines ; toutes les nations viendront à elle. Et elles diront : Gloire à vous, Seigneur !"
V/. " Elles viendront avec transport, portant leurs moissons. Et elles diront."
R/. " Seigneur de toutes choses, qui n'avez nul besoin, vous voulez avoir au milieu de nous votre temple. Gardez pure à jamais cette maison, Seigneur."
V/. " Seigneur, c'est la maison que vous choisîtes pour qu'y fût invoqué votre nom : maison de la prière et des supplications de votre peuple. * Gardez."
Ant. " Paix éternelle à cette maison par l'Eternel! Paix soit à cette maison la Paix sans fin, Verbe du Père ! Paix donne à cette maison le divin Consolateur !"
Ant. " Oh ! combien redoutable est ce lieu ! c'est véritablement ici la maison de Dieu et la porte du ciel."
Ant. " C'est la maison du Seigneur solidement bâtie, bien établie sur la pierre ferme."
Ant. " Jacob vit une échelle dont le sommet atteignait les cieux, et les Anges qui descendaient, et il dit : Ce lieu est vraiment saint."
R/. " Voici Jérusalem, la grande cité, céleste, ornée comme l'Épouse de l'Agneau. C'est le vrai tabernacle. Alléluia."
V/. " Ses portes ne se fermeront point durant le jour ; quant à la nuit, elle y sera inconnue. C'est le vrai."
R/. " Vos places, Jérusalem, seront pavées d'or pur, Alléluia, et l'on chantera en vous le cantique de joie, Alléluia. * Et par vos rues chacun dira : Alléluia, Alléluia."
V/. " Vous brillerez d'une lumière éclatante, et, vous voyant, toute la terre adorera. Et par vos rues."
Ant. " Faites le tour de Sion , parcourez son enceinte , racontez ses merveilles en ses tours."
V/. " Le Seigneur est grand, et digne de toute louange en la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte."
R/. " Le Seigneur vous a revêtue d'un vêtement d'allégresse ; à votre front il a mis le diadème. Il vous a parée de saints ornements."
V/. " Vous brillerez d'une lumière éclatante, et, vous voyant, toute la terre adorera. Il vous a parée."
V/. " Les nations viendront à vous des plus lointains pays, apportant leurs dons et adorant le Seigneur ; votre terre sera pour elles la sainte terre ; elles invoqueront en vous le grand Nom. Il vous a parée."
V/. " Bénis seront vos constructeurs. Pour vous, vos fils seront votre joie ; car la bénédiction sera sur eux tous, et tous ensemble ils viendront au Seigneur. Il vous a parée."

Saint André Corsini (détail). La majeure partie de ses reliques sont
dans la chapelle que le pape Clément XII lui dédia dans l'archibasilique.
Guido Reni. XVIIe.

ORAISON

" Dieu tout-puissant et éternel, qui par Votre Fils, la Pierre d'angle, Avez joint les deux murs divergents de la circoncision et de la gentilité, qui, sous un même et seul pasteur, Avez uni par Lui les deux troupeaux distincts ; Ayez égard à notre dévotion : Donnez à Vos serviteurs l'indissoluble lien de la charité, pour qu'aucune division des âmes, pour qu'aucune perversion d'aucune sorte ne vienne à séparer ceux que rassemble en un troupeau unique la houlette de l’unique pasteur, ceux que gardent sous Votre protection les barrières de l'unique bercail. Par le même Jésus-Christ, ... "


L'obélisque de Saint-Jean de Latran. Rome.

" L'obélisque de Saint-Jean de Latran, destiné à symboliser le triomphe, après trois siècles de combats, du christianisme sur le paganisme, a 99 pieds d'élévation au-dessus du piédestal. Amené d'Egypte par les empereurs Constantin et Constance, son fils, il fut brisé par les barbares, puis réédifier, en 1588, à la place qu'il occupe aujourd'hui, par le génie si puissant et si poétique de Sixte V."
Mgr J.-J. Gaume in " Les trois Rome ".


Rq : On lira avec fruits les lignes superbes d'érudition, de style et de pénétration chrétiennes de Mgr Jean-Joseph Gaume dans le tome I de son livre " Les trois Rome " pages 324 à 354 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105827c/f237.table

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jeudi, 09 novembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)

28 décembre. Les Saints Innocents, martyrs, à Bethléem de Juda et aux environs. L'an 1.

- Les Saints Innocents, martyrs, à Bethléem de Juda et aux environs. L'an 1.
 
Empereur romain : Auguste. Roi de Judée : Hérode le Grand.

" Salvete, flores martyrum,
Quo lucis ipso in limine
Christi insecutor sustulit,
Ceu turbo nascentes rosas."
" Salut, fleurs des martyrs,
Moissonnées au seuil de la vie
Par le glaive de l'ennemi du Christ,
Comme la tempête en fureur brise les roses qui viennent d'éclore."
Prudence.


Massacre des Saints Innocents. Fresque.
Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Coeur. Comté de Nice.

A la fête du Disciple bien-aimé succède la solennité des saints Innocents ; et le berceau de l'Emmanuel, auprès duquel nous avons vénéré le Prince des Martyrs et l'Aigle de Pathmos, nous apparaît aujourd'hui environné d'une troupe gracieuse de petits enfants, vêtus de robes blanches comme la neige, et tenant en main des palmes verdoyantes. Le divin Enfant leur sourit ; il est leur Roi, et toute cette petite cour sourit aussi à l'Eglise de Dieu. La force et la fidélité nous ont introduits auprès du Rédempteur ; l'innocence aujourd'hui nous convie à rester près de la crèche.

Hérode a voulu envelopper le Fils de Dieu même dans un immense massacre d'enfants ; Bethléhem a entendu les lamentations des mères ; le sang des nouveau-nés a inondé toute la contrée ; mais tous ces efforts de la tyrannie n'ont pu atteindre l'Emmanuel ; ils n'ont fait que préparer pour l'armée du ciel une nombreuse recrue de Martyrs. Ces enfants ont eu l'insigne honneur d'être immolés pour le Sauveur du monde ; mais le moment qui a suivi leur immolation leur a révélé tout à coup des joies futures et prochaines, bien au-dessus de celles d'un monde qu'ils ont traversé sans le connaître. Le Dieu riche en miséricordes n'a pas demandé d'eux autre chose qu'une souffrance de quelques instants ; et ils se sont réveillés au sein d'Abraham, francs et libres de toute autre épreuve, purs de toute souillure mondaine, appelés au triomphe comme le guerrier qui a donné sa vie pour sauver celle de son chef.

Leur mort est donc un Martyre, et c'est pourquoi l'Eglise les honore du beau nom de Fleurs des Martyrs, à cause de leur âge tendre et de leur innocence. Ils ont donc droit de figurer aujourd'hui sur le Cycle, à la suite des deux vaillants champions du Christ que nous avons célébrés.


Massacre des Saints Innocents. Dessin. Anonyme italien. XVIIe.

Saint Bernard, dans son Sermon sur cette fête, explique admirablement l'enchaînement de ces trois solennités :
" Nous avons, dans le bienheureux Etienne, l'œuvre et la volonté du Martyre ; dans le bienheureux Jean, nous remarquons seulement la volonté du Martyre ; et dans les bienheureux Innocents, l'œuvre seule du Martyre. Mais qui doutera, néanmoins, de la couronne obtenue par ces enfants ? Demanderez-vous où sont leurs mérites pour cette couronne ? Demandez plutôt à Hérode le crime qu'ils ont commis pour être ainsi moissonnés ? La bonté du Christ sera-t-elle vaincue par la cruauté d'Hérode ? Ce roi impie a pu mettre à mort des enfants innocents ; et le Christ ne pourrait couronner ceux qui ne sont morts qu'à cause de lui ?

Etienne aura donc été Martyr aux yeux des hommes qui ont été témoins de sa Passion subie volontairement, jusque-là qu'il priait pour ses persécuteurs, se montrant plus sensible à leur crime qu'à ses propres blessures. Jean aura donc été Martyr aux yeux des Anges qui, étant créatures spirituelles, ont vu les dispositions de son âme. Certes, ceux-là aussi auront été vos Martyrs, ô Dieu ! dans lesquels ni l'homme, ni l'Ange n'ont pu, il est vrai, découvrir de mérite, mais que la faveur singulière de votre grâce s'est chargée d'enrichir. C'est de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle que vous vous êtes plu à faire sortir votre louange. Quelle est cette louange ?

Les Anges ont chanté : " Gloire à Dieu, au plus haut des cieux ; et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !"
 
C'est là, sans doute, une louange sublime; mais elle ne sera complète que lorsque Celui qui doit venir aura dit : Laissez venir à moi les petits enfants ; car le Royaume des deux est à ceux qui leur ressemblent ; paix aux hommes, même à ceux qui n'ont pas l'usage de leur volonté : tel est le mystère de ma miséricorde."


Massacre des Saints Innocents.
Bréviaire romain à l'usage de Rodez. XVe.

Dieu a daigné faire pour les Innocents immolés à cause de son Fils ce qu'il fait tous les jours par le sacrement de la régénération, si souvent appliqué à des enfants que la mort enlève dès les premières heures de la vie ; et nous, baptisés dans l'eau, nous devons rendre gloire à ces nouveau-nés, baptisés dans leur sang, et associés à tous les mystères de l'enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous devons aussi les féliciter, avec l'Eglise, de l'innocence que cette mort glorieuse et prématurée leur a conservée. Purifiés d'abord parie rite sacré qui, avant l'institution du Baptême, enlevait la tache originelle, visités antérieurement par une grâce spéciale qui les prépara à l'immolation glorieuse pour laquelle ils étaient destinés, ils ont habité cette terre, et ils ne s'y sont point souillés. Que la société de ces tendres agneaux soit donc à jamais avec l'Agneau sans tache ! Et que ce monde, vieilli dans le péché, mérite miséricorde en s'associant, par ses acclamations, au triomphe de ces élus de la terre qui, semblables à la colombe de l'arche, n'y ont pas trouvé où poser leurs pieds !

Néanmoins, dans cette allégresse du ciel et de la ferre, la sainte Eglise Romaine ne perd pas de vue la désolation des mères qui virent ainsi arracher de leur sein, et immoler par le glaive des soldats ces gages chéris de leur tendresse. Elle a recueilli le cri de Rachel, et ne cherche point à la consoler, si ce n'est en compatissant à son affliction. Pour honorer cette maternelle douleur, elle consent à suspendre aujourd'hui une partie des manifestations de la joie qui inonde son cœur durant cette Octave du Christ naissant. Elle n'ose revêtir dans ses vêtements sacrés la couleur de pourpre des Martyrs, pour ne pas rappeler trop vivement ce sang qui jaillit jusque sur le sein des mères ; elle s'interdit même la couleur blanche, qui marque l'allégresse et va mal à de si poignantes douleurs. Elle revêt la couleur violette, qui est celle du deuil et des regrets. Aujourd'hui même, si la fête ne tombe pas le Dimanche, l'Eglise va jusqu'à suspendre le chant du Gloria in excelsis, qui pourtant lui est si cher en ces jours où les Anges l'ont entonné sur la terre ; elle renonce au joyeux Alleluia, dans la célébration du Sacrifice ; enfin elle se montre, comme toujours, inspirée par cette délicatesse sublime et chrétienne dont la sainte Liturgie est une si merveilleuse école.


Massacre des Saints Innocents. Fresque.
Basilique Saint-Martin d'Aime. Savoie.

Mais, après cet hommage rendu à la tendresse maternelle de Rachel, et qui répand sur tout l'Office des saints Innocents une touchante mélancolie, elle ne perd pas de vue la gloire dont jouissent ces bienheureux enfants ; et elle consacre à leur solennelle mémoire une Octave entière, comme elle l'a fait pour saint Etienne et pour saint Jean. Dans ses Cathédrales et ses Collégiales, elle honore aussi, en ce jour, les enfants qu'elle appelle à joindre leurs voix innocentes à celles des prêtres et des autres ministres sacrés. Elle leur accorde de gracieuses distinctions, jusque dans le chœur même ; elle jouit de l'allégresse naïve de ces jeunes coopérateurs qu'elle emploie à rehausser ses pompes mystérieuses ; en eux, elle rend gloire au Christ Enfant, et à l'innocente cohorte des tendres rejetons de Rachel.

A Rome, la Station qui, le jour de saint Etienne, s'est tenue dans l'Eglise de ce premier des Martyrs, sur le Mont Coelius, et le jour de saint Jean, dans la Basilique de Saint-Jean-de-Latran, où le Disciple bien-aimé partage les honneurs de Jean le Précurseur, a lieu aujourd'hui dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, dont le trésor se glorifie de posséder plusieurs des corps des saints Innocents. Au XVIe siècle ; Sixte-Quint en enleva une partie, pour les placer dans la Basilique de Sainte-Marie-Majeure, près de la Crèche du Sauveur.


Massacre des Saints Innocents. Dessin de Paolo Farinati. XVIIe.

Les Innocents furent ainsi nommés pour leur vie, leur châtiment et leur innocence acquise. Leur vie fut innocente, n'ayant jamais nui, ni à Dieu par désobéissance, ni au prochain par injustice, ni à eux-mêmes par malice en péchant. Ils furent innocents dans leur vie et simples dans la foi. Le châtiment, ils le subirent innocemment et injustement, ainsi qu'il est dit au psaume :
" Ils répandirent un sang innocent."
Ils possédèrent l’innocence acquise ; dans leur martyre, ils méritèrent l’innocence baptismale, c'est-à-dire que le péché originel fut effacé en eux. En parlant de cette innocence, le psalmiste dit :
" Conservez l’innocence et considérez la droiture."
C'est-à-dire conservez l’innocence baptismale et considérez la droiture d'une vie pleine de bonnes oeuvres.

Les Innocents furent tués par Hérode l’Ascalonite. La sainte Ecriture fait mention de trois Hérode que leur infâme cruauté a rendus célèbres. Le premier fut Hérode l’Ascalonite, sous lequel naquit le Seigneur et par qui furent massacrés les enfants. Le second fut Hérode Antipas, qui fit décoller saint Jean-Baptiste. Le troisième fut Hérode Agrippa, qui tua saint Jacques et emprisonna saint Pierre. On a fait ces vers à leur sujet :
" Ascalonita necat pueros, Antipa Joannem,
Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum."


Massacre des Saints Innocents. Giotto.
Chapelle des Scrovegni. Padoue. XIVe.

Mais racontons en peu de mots l’histoire du premier Hérode. Antipater l’Icluméen, ainsi qu'on lit dans l’Histoire scholastique (Sozomène, Histoire Tripartite, ch. II.), se maria à une nièce du roi des Arabes. Il en eut un, fils, qu'il appela Hérode et qui plus tard fut surnommé l’Ascalonite. Ce fut lui qui reçut le royaume de Judée de César-Auguste et dès lors, pour la première fois ; le sceptre sortit de Juda. Il eut six fils : Antipater, Alexandre, Aristobule, Archelaüs, Hérode, Antipas. et Philippe.

Il envoya à Rome, pour s'instruire dans les arts libéraux, Alexandre et Aristobule dont la mère était Poldève ; leurs études achevées, ils revinrent. Alexandre se fit grammairien et Aristobule devint un orateur très véhément : déjà ils avaient eu des différends avec leur père pour la possession du trône. Le père en fut offensé et s'attacha à faire prévaloir Antipater. Comme ils avaient comploté la mort de leur père et qu'ils avaient été chassés par lui, ils allèrent se plaindre à César de l’injustice qu'ils avaient subie.

Sur ces entrefaites, les Mages viennent à Jérusalem et s'informent avec grand soin de la naissance d'un nouveau roi. A cette nouvelle, Hérode se trouble, et, craignant que de la race légitime des rois, il ne fût né un rejeton qu'il ne pourrait chasser comme usurpateur, il prie les Mages de l’avertir aussitôt qu'ils l’auraient trouvé, simulant vouloir adorer celui qu'il voulait tuer. Cependant les Mages retournèrent en leur pays par un autre chemin. Hérode, ne les voyant pas revenir, crut qu'ils avaient eu honte de retourner vers lui, parce qu'ils auraient été les dupes de l’apparition de l’étoile et ne s'occupa plus de rechercher l’enfant.


Massacre des Saints Innocents. Josse de Momper. Flandres. XVIIe.

Mais ayant appris le récit des bergers et les prédictions de Siméon et d'Anne, ses appréhensions redoublèrent et il se crut indignement trompé par les Mages. Il pensa donc alors à tuer les enfants qui étaient à Bethléem, pour faire périr avec eux celui qu'il ne connaissait pas. Mais sur les avis de l’Ange, Joseph avec sa mère et l’Enfant s'enfuit en Egypte et demeura sept ans à Hermopolis, jusqu'à la mort d'Hérode. Or, quand le Seigneur entra en Egypte, toutes les idoles furent renversées, selon la prédiction d'Isaïe. Et de même que lors de la sortie des enfants d'Israël de l’Égypte, il n'y eut pas une maison où par la main de Dieu, le premier né, ne fût mort, de même il n'y eut pas de temple dans lequel une idole ne fût renversée. Cassiodore rapporte dans son Histoire Tripartite (Liv. VI, chap. XLII.), qu'à Hermopolis, en Thébaïde, il existe un arbre appelé Persidis qui a la propriété de guérir ceux des malades au cou desquels on attache de son fruit, de ses feuilles ou de son écorce. Or, comme la bienheureuse Marie s'enfuyait en Egypte avec son fils ; cet arbre s'inclina jusqu'à terre et adora humblement Jésus-Christ.

Hérode se préparait à massacrer les enfants, lorsqu'une lettre de César-Auguste le cita à comparaître devant lui pour répondre aux accusations de ses fils. En traversant Tharse, il sut que les mages avaient passé la mer sur des vaisseaux tharsiens, et il fit brûler toute la flotte, selon qu'il avait été prédit :
" D'un souffle impétueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis." (Ps. VI.).
Le père ayant vidé ses différends avec ses enfants devant César, il fut arrêté que ceux-ci obéiraient en tout à leur père, et que celui-là céderait l’empire à qui il voudrait. Hérode, devenu plus hardi à son retour par l’affermissement de son pouvoir, envoya égorger tous les enfants qui se trouvaient à Bethléem, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps qu'il avait supputé d'après les mages.


Massacre des Saints Innocents. Heures à l'usage des Antonins. XVe.

Ceci a besoin de deux éclaircissements :

- Le premier par rapport au temps, et voici comment on l’explique : âgés de deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, en commençant par les enfants de deux ans jusqu'aux enfants d'une nuit.
Hérode avait en effet appris des mages qu'un prince était né le jour même de l’apparition de l’étoile, et comme il s'était déjà écoulé un an depuis son voyage à Rome et son retour, il croyait que le Seigneur avait un an et quelques jours de plus ; c'est pour cela qu'il exerça sa fureur sur ceux qui étaient plus âgés, c'est-à-dire, qui avaient deux ans et au-dessous, jusqu'aux enfants qui, n'avaient qu'une nuit : dans la crainte que cet enfant, auquel les autres obéissaient, ne subît quelque transformation qui le rendrait ou plus vieux ou plus jeune. C'est le sentiment le plus commun et le plus vraisemblable.

- Le second éclaircissement se tire de l’explication qu'en donne saint Chrysostome. Il entend ainsi l’ordre du nombre d'années ; depuis deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, depuis les enfants de deux ans jusqu'à cinq. Il avance ainsi que l’étoile, apparut aux mages pendant un an avant la naissance du Sauveur. Or, depuis qu'il avait appris cela, Hérode avait été à Rome et son projet fut différé d'un an. Il croyait donc que le Sauveur était né quand l’étoile apparut aux mages.
D'après son calcul, le Sauveur aurait eu deux ans : voilà pourquoi il fit massacrer les enfants de deux à cinq ans, mais pas moins jeunes que de deux ans. Ce qui rend cette assertion vraisemblable, ce sont les ossements des innocents dont quelques-uns sont trop grands pour ne pouvoir appartenir à des corps qui n'auraient eu que deux ans (Histoire scholastique, Ev, C. XI.). On pourrait peut-être encore dire que les hommes étaient de plus haute taille alors qu'aujourd'hui. Mais Hérode en fut bientôt puni. En effet Macrobe rapporte et Méthodien en sa chronique dit que le petit fils d'Hérode était en nourrice et qu'il fut tué avec les autres par les bourreaux. Alors fut accomplie la parole du Prophète :
" Rama, c'est-à-dire les hauts lieux, retentirent des pleurs et des gémissements des pieuses mères."


Massacre des Saints Innocents. Pierre-Paul Rubens. XVIIe.

Mais Dieu dont les desseins sont souverainement équitables (Eusèbe, Histoire-ecclésiastique, livreI1, c. VIII.) ne permit pas que l’affreuse cruauté d'Hérode restât impunie. Il arriva, par le jugement de Dieu, que celui qui avait privé tant de parents de leurs enfants fut aussi privé des siens plus misérablement encore. Car Alexandre et Aristobule inspirèrent de nouveaux soupçons à leur père.

Un de leurs complices avoua que Alexandre lui avait fait de grande

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mardi, 28 novembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (5)

12 février. Saint Saturnin, saint Datif (ou Dative), et leurs compagnons, Martyrs en Afrique. 304.

- Saint Saturnin, saint Datif (ou Dative), et leurs compagnons, Martyrs en Afrique. 304.
 
Pape : Saint Marcellin. Empereur romain d'Occident : Maximien Hercule. Empereur romain d'Orient : Dioclétien.

" J'ai vu les âmes de ceux qui ont été tués pour la parole de Dieu et à cause du témoignage qu'ils lui avaient rendu ; elles se tenaient debout devant le trône de l'Agneau, avec des palmes à la main."
Apoc., VII, 9.


Saint Saturnin saint Dative et leurs compagnons.
Ménologe grec. XIe.

A la suite de l'édit de 303, un grand nombre d'Eglises avaient suspendu l'assemblée des fidèles. Si quelques exceptions passèrent inaperçues grâce, souvent, à la tolérance des fonctionnaires, il n'en allait pas de même dans les provinces où la persécution était conduite avec rigueur, notamment en Afrique. Dans la ville d'Abitène une communauté avait pu se reformer sous la présidence d'un prêtre, car l'évêque avait perdu toute autorité morale depuis qu'il avait livré les saintes Ecritures.

Les Actes très complets que nous possédons dispensent d'entrer ici dans plus de détails. Ces Actes viennent du greffe officiel, un écrivain donatiste y a mêlé de son style dans la seule version que l'on en ait :

" Ici commencent la Confession et les Actes des martyrs Saturnin, prêtre, Félix, Dative, Ampèle, et des autres dont on lira les noms plus bas. Ils ont confessé le Seigneur, à Carthage, le 11 février, sous le proconsul d'Afrique Aurèle, à cause des Collectes et des Écritures divines ; depuis ils ont répandu leur sang bienheureux en divers lieux et à différentes époques pour la défense de leur foi.

Sous le règne de Dioclétien et Maximien, le diable dirigea contre les chrétiens une nouvelle guerre. Il recherchait, pour les brûler, les Livres saints, renversait les églises chrétiennes et interdisait la célébration du culte et des assemblées des fidèles. Mais la troupe du Seigneur ne put supporter un commandant aussi injuste, elle eut horreur de ces défenses sacrilèges, saisit à l'instant les armes de la foi, et descendit au combat moins pour lutter contre les hommes que contre le démon.

Sans doute quelques-uns tombèrent détachés de la foi qui faisait leur appui, en livrant aux païens, pour être brûlés par eux, les Écritures divines et les livres de la liturgie (ce terme est employé pour traduire le mot latin sacrosancta Domini Testamenta et plus bas divina Testamenta, parce que, rapproché les deux fois de Scriptura divina, il me semble pouvoir viser les livres. dans lesquels était consignée la liturgie du sacrifice dont le Sauveur avait dit : " Ceci est le Testament nouveau et éternel.") ; le plus grand nombre cependant surent mourir avec courage et répandirent leur sang pour les défendre. Remplis de Dieu qui les animait, après avoir vaincu et terrassé le diable, ces martyrs ont conquis dans leurs souffrances la palme de la victoire, et écrit de leur sang, contre les traditeurs et leurs congénères, la sentence par laquelle l'Eglise les rejetait de sa communion, parce qu'il n'était pas possible qu'il y eût, à la fois, dans l'Eglise de Dieu, des martyrs et des traditeurs.

On voyait de toutes parts accourir au lieu du combat d'innombrables légions de confesseurs, et partout où chacun d'eux trouvait un adversaire, il y dressait le champ clos du Seigneur.

Lorsque eut sonné la trompette de guerre dans la ville d'Abitène, dans le logis d'Octave Félix, de glorieux martyrs levèrent le drapeau du Christ, leur Seigneur. Tandis qu'ils y célébraient, comme ils avaient coutume de faire, le mystère de l'Eucharistie, ils furent arrêtés par les magistrats de la colonie, assistés des hommes de police.
C'étaient le prêtre Saturnin avec ses quatre enfants, Saturnin le jeune et Félix, tous deux lecteurs, Marie, vierge consacrée, et le petit Hilarion. Venaient ensuite le décurion Dative, trois hommes nommés Félix, Eméritus, Ampèle, trois hommes portant le nom de Rogatien, Quintus, Maximin, Thelique, deux hommes ayant nom Rogatus, Janvier, Cassien, Victorien, Vincent, Cecilien, Givalis, Martin, Dante, Victorin, Peluse, Fauste, Dacien, et dix-huit femmes : Restitute, Prime, Eve, Pomponie, Seconde, deux femmes portant le nom de Januarie, Saturnine, Marguerite, Majore, Honorée, Regiole, deux femmes du nom de Matrone, Cécile, Victoire, Hérectine et Seconde. Tous furent amenés au Forum.
 

Martyre de saint Saturnin et de saint Dative.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
 
Pour ce premier combat Dative, que ses pieux parents avaient engendré pour qu'il portât un jour la robe blanche des sénateurs dans la cour céleste, Dative, dis-je, ouvrait la marche. Saturnin le suivait, escorté de ses quatre enfants comme d'une muraille (faite de sa propre chair) ; deux d'entre eux devaient partager son martyre ; il laisserait les autres à l'Église pour rappeler sa mémoire et son nom. Puis venait la troupe fidèle éblouissante de la splendeur des armes célestes, le bouclier de la foi, la cuirasse de la justice, le casque du salut et le glaive à deux tranchants de la parole sainte.

Invincibles dans cet équipage, ils donnaient aux frères l'assurance de leur prochaine victoire. Enfin, ils arrivèrent sur le Forum, où ils livrèrent leur premier combat, duquel, de l'aveu des magistrats, ils sortirent vainqueurs. C'est sur ce Forum que le ciel s'était déjà révélé. On venait de jeter au feu les Écritures livrées par l'évêque Fundanus ; aussitôt, quoique le ciel fût sans nuage, une averse subite éteignit le feu, tandis que la grêle et les éléments déchaînés, respectueux des Écritures, ravageaient tout le pays.

Ce fut donc à Abitène que les martyrs commencèrent de porter ces chaînes tant souhaitées. On les mena à Carthage au proconsul Anulinus. Pendant la route les confesseurs chantaient des hymnes ; à leur arrivée, afin de leur enlever l'appui qu'ils tiraient de leur réunion, on les fit comparaître séparément.

Ce qui suit contient les propres paroles des martyrs qui feront voir l'impudence de l'ennemi, ses attaques sacrilèges, la patience des frères et, dans leur confession, la toute-puissante vertu du Christ Notre-Seigneur. L'huissier les présenta au proconsul sous le titre de chrétiens envoyés par les magistrats d'Abitène sous l'inculpation d'assemblées illicites pour la célébration de leurs mystères.

Le proconsul demanda à Dative quelle était sa condition et s'il avait pris part à une assemblée. Dative se déclara Chrétien et reconnut avoir assisté aux réunions.
Le proconsul demanda ensuite qui était l'organisateur des réunions ; en même temps on étendit Dative sur le chevalet, et les bourreaux s'apprêtèrent à lui déchirer le corps avec des ongles de fer ; ils mettaient à leur besogne une hâte fiévreuse ; déjà les flancs étaient à nu, les valets prenaient les ongles de fer, lorsque Thélique fendit la foule et, bravant la souffrance, cria :
" Nous sommes chrétiens ! Nous nous sommes assemblés."
Le proconsul rugit, il fit rouer de coups le chrétien, puis le fit mettre sur le chevalet d'où les ongles de fer faisaient voler les lambeaux de sa chair.
Thélique priait :
" Grâces à vous, mon Dieu. Par ton nom, Christ Fils de Dieu, délivre tes serviteurs."
Le proconsul lui demanda :
" Qui fut ton collègue pour l'organisation des assemblées ?"
Les bourreaux redoublaient. Thélique cria :
" C'est Saturnin et tous."
Généreux martyr ! Tous sont au premier rang ! Il ne nomma pas le prêtre sans les frères, mais au prêtre il joint les frères dans une confession commune.
Le proconsul se fit montrer Saturnin. Thélique le lui désigna. Il ne trahissait pas, puisque Saturnin était là, à ses côtés, combattant le diable, mais il tenait à prouver au proconsul qu'il s'agissait réellement d'une assemblée, puisqu'un prêtre était avec eux.
 

Sainte Victoire démasquant le démon.
Vie de saints. R. de Monbaston. XIVe.

Cependant le martyr unissait ses prières à son sang, et, fidèle aux préceptes de l'Évangile, il priait pour ceux qui déchiraient son corps. Pendant la torture il ne cessa de parler et de prier :
" Malheureux, tu agis injustement ; tu combats contre Dieu. Dieu très haut, ne leur impute pas ce péché. Tu pèches, malheureux, tu combats Dieu. Observe les commandements du Dieu très haut. Malheureux, tu agis injustement, tu déchires des innocents. Nous n'avons pas commis d'homicides, ni de fraudes. Mon Dieu, aie pitié ; je te rends grâces, Seigneur. Pour l'amour de ton nom, donne-moi la force de souffrir. Délivre tes serviteurs de la captivité du monde. Je te rends grâces. Je ne suffis pas à te rendre grâces."
Les ongles de fer creusaient dans la chair de plus en plus, le sang ruisselait ; à ce moment le proconsul dit :
" Tu vas commencer à sentir les souffrances qui vous sont réservées."
Thélique riposta :
" C'est pour la gloire. Je rends grâces au Dieu des royaumes. Il apparaît, le royaume éternel, le royaume incorruptible. Seigneur Jésus-Christ, nous sommes Chrétiens, nous te servons ; tu es notre espérance, tu es l'espérance des chrétiens. Dieu très saint, Dieu très haut, Dieu tout-puissant ! Nous louons ton saint nom, Seigneur Dieu tout-puissant."
Le juge, porte-voix du diable, lui dit :
" Il te fallait observer l'ordre des Empereurs et des Césars."
Thélique, malgré son état d'épuisement, répondit :
" Je m'occupe seulement de la loi de Dieu qui m'a été enseignée. C'est elle que j'observe, je vais mourir pour elle, j'expire en elle, il n'y en a pas d'autres.
- Cessez !", dit le proconsul aux tortionnaires.
Thélique fut mis au cachot, réservé à des souffrances plus dignes de lui et de son courage.

Ce fut alors au tour de Dative, resté étendu sur le chevalet d'où il voyait le combat de Thélique. Il répétait souvent :
" Je suis Chrétien ", et il déclarait s'être trouvé à l'assemblée, lorsque l'on vit sortir de la foule Fortunatien, frère de la martyre Victoire.
C'était un grand personnage, qui avait droit de porter la toge, il était encore païen ; il interpella Dative :
" C'est toi qui, pendant que je faisais ici mes études et que mon père était absent, as séduit ma soeur Victoire, et de cette splendide cité de Carthage l'a conduite, en même temps que Seconde et Restitute, dans la colonie d'Abitène. Tu n'es entré chez nous que pour corrompre l'esprit de quelques jeunes filles."

Victoire fut indignée d'entendre ces mensonges contre le sénateur. Prenant la parole avec la liberté d'une chrétienne, elle s'écria :
" Je n'ai eu besoin de personne pour partir. Ce n'est pas avec Dative que je suis venue à Abitène. Qu'on interroge les gens de la ville. Tout ce que j'ai fait, c'est de moi-même, en toute liberté. Oui, j'étais de la réunion, parce que je suis Chrétienne."

Fortunatien continua d'incriminer Dative, qui, du haut de son chevalet, niait, réfutait tout. Anulinus ordonna qu'on reprît les angles de fer, les bourreaux mirent à nu les flancs du martyr et prirent leurs crocs; leurs mains volaient, déchirant la peau, accrochant les entrailles, mettant à jour jusqu'au coeur. Dative demeurait calme : les membres se rompaient, les entrailles sortaient, les côtes volaient en éclats, son coeur restait intact et ferme. Jadis sénateur, il se souvenait du rang qu'il avait occupé dans la cité, et tandis qu'on frappait, il disait :
" Ô Christ Seigneur, que je ne sois pas confondu !
- Cessez !", dit le proconsul tout troublé.
On s'arrêta. Il n'était pas juste que le martyr du Christ fût tourmenté dans une cause qui regardait la seule Victoire.

Un avocat, Pompeianus, entra en scène, apportant contre Dative d'infâmes insinuations, mais le martyr lui dit avec mépris :
" Que fais-tu, démon ? Que tentes-tu contre les martyrs du Christ ?"
On reprit la torture. Cette fois on interrogeait sur la participation à l'assemblée. Dative répéta qu'étant survenu pendant les mystères, il s'était uni à ses frères et que la réunion n'avait pas été organisée par un seul.
Le bourreau redoubla. Dative répétait :
" Je te prie, Ô Christ, que je ne sois pas confondu.
- Qu'ai-je fait ?
- Saturnin est notre prêtre."

On appela Saturnin. Celui-ci, perdu en Dieu, n'avait regardé les tourments de ses frères que comme une chose peu importante.
Le proconsul lui dit :
" Tu as contrevenu aux édits des Empereurs et des Césars en réunissant tous ces gens-là.
- Nous avons célébré en paix les mystères.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'est pas permis de suspendre les mystères du Seigneur."
Le proconsul le fit étendre sur un chevalet en face de Dative, qui assistait comme insensible à l'émiettement de son corps et répétait à Dieu :
" Aide-moi, je t'en prie, Christ, aie pitié. Sauve mon âme, garde mon esprit, que je ne sois pas confondu. Je te prie, Ô Christ, donne-moi la force de souffrir."
Le proconsul dit à Dative :
" Toi, membre du conseil de cette splendide cité, tu devais ramener les autres à de meilleurs sentiments, au lieu de transgresser l'ordre des Empereurs et des Césars.
- Je suis Chrétien ", répondit Dative.
Par ces seuls mots, le démon fut vaincu.
" Cessez !", dit-il, et il fit reconduire le martyr à la prison.

Saturnin, étendu sur un chevalet déjà mouillé du sang des martyrs, trouvait dans ce contact une nouvelle vigueur.
Le proconsul lui demanda s'il était l'organisateur de la réunion.
" J'étais présent ", dit Saturnin.
Un homme bondit, c'était le lecteur Ernéritus :
" L'organisateur c'est moi, la maison c'est la mienne."
Le proconsul continua de s'adresser au vieux prêtre :
" Pourquoi violes-tu le décret des empereurs ?
- Le jour du Seigneur ne peut être omis, c'est la loi.
- Tu n'aurais pas dû mépriser la défense, mais obéir à l'ordre impérial."

La torture commence, les nerfs sont brisés, les entrailles mises à nu, la foule voit les os du martyr ruisselant de sang. Lui craignait que, à cause des lenteurs de la torture, son âme ne s'échappât dans un instant de répit.
" Je t'en prie, dit-il, Christ, exauce-moi. Je te rends grâces, Ô Dieu, ordonne que je sois décapité. Je te prie, Christ, aie pitié ; Fils de Dieu, viens à mon secours."


Martyres des saintes Restitute, Seconde, Pomponie, Januarie.
Vies de saints. R. de Monbaston. XIVe.
 
Le proconsul disait :
" Pourquoi violais-tu l'édit ?"
Le prêtre répondit :
" La loi l'ordonne... le commande.
- Cessez !", dit Anulinus, et il fit emmener le vieux prêtre à la prison.

Ce fut au tour d'Eméritus.
" Des assemblées ont eu lieu chez toi.
- Oui, nous avons célébré le jour du Seigneur.
- Pourquoi permettais-tu à ceux-ci d'entrer ?
- Parce qu'ils sont mes frères et que je ne pouvais le leur défendre.
- Tu aurais dû le faire.
- Je ne pouvais pas, nous ne pouvons vivre sans célébrer le jour du Seigneur."

On l'étendit sur le chevalet et on appela un nouveau bourreau.
" Je t'en prie, Christ, disait Eméritus, viens à mon secours.
- Tu vas contre les commandements de Dieu, malheureux."

Le proconsul l'interrompit :
" Tu n'aurais pas dû les recevoir.
- Je ne puis pas ne pas recevoir mes frères.
- L'ordre des empereurs doit l'emporter sur tout.
- Dieu est plus grand que les empereurs. Ô Christ, je t'invoque reçois mes hommages, Christ, mon Seigneur, donne-moi la force de souffrir.
- Tu as des Écritures dans ta maison ?
- J'en possède, mais dans mon coeur.
- Sont-elles dans ta maison, oui ou non ?
- Je les ai dans mon coeur. Christ, je t'en supplie, à toi mes louanges : délivre-moi, Ô Christ, je souffre pour ton nom. Je souffre pour peu de temps, je souffre volontiers : Christ, Seigneur, que je ne sois pas confondu."
" Cessez !", dit le proconsul, et il dicta le procès-verbal des premiers interrogatoires, puis il ajouta :
" Conformément à vos aveux, vous recevrez tous le châtiment que vous avez mérité."

La rage de cette bête commençait à se calmer, quand un chrétien nommé Félix, qui allait réaliser à l'instant, dans les supplices, la vérité de son nom, s'offrit au combat. Le groupe des accusés était là, toujours invincible.
" J'espère, dit Anulinus s'adressant à Félix et à tous les autres, j'espère que vous prendrez le parti d'obéir, afin de conserver la vie."
Les confesseurs dirent d'une seule voix :
" Nous sommes Chrétiens ; nous ne pouvons que garder la sain

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