jeudi, 30 juin 2022
30 juin. Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.
- Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.
Papes : Saint Pierre ; saint Lin (successeur). Empereur romain : Néron.
" Ô Paul ! Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce."
Saint Pierre Damien.

Sebastiano Torriggiani. Basilique Saint-Pierre. Rome. XVIe.
Les Grecs unissent aujourd'hui dans une même solennité la mémoire des illustres saints, les douze Apôtres, dignes de toute louange (Menées, 3o juin.). Rome, tout absorbée hier par le triomphe que le Vicaire de l'Homme-Dieu remportait dans ses murs, voit le successeur de Pierre et sa noble cour aller porter au Docteur des nations, couché d'hier, lui aussi, en sa tombe glorieuse, l'hommage reconnaissant de la Ville et du monde. Suivons par la pensée le peuple romain qui , plus heureux que nous, accompagne le Pontife et fait retentir de ses chants de victoire la splendide Basilique de la voie d'Ostie.
Au vingt-cinq janvier, nous vîmes l'Enfant-Dieu, par le concours d'Etienne le protomartyr, amener à sa crèche, terrassé et dompté, le loup de Benjamin (Gen. XLIX, 27.) qui, dans la matinée de sa jeunesse fougueuse, avait rempli de larmes et de sang l'Eglise de Dieu. Le soir était venu, comme l'avait vu Jacob, où Saul le persécuteur allait plus que tous ses devanciers dans le Christ accroître le bercail, et nourrir le troupeau de l'aliment de sa céleste doctrine (de nouveau, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter les traits qui suivent à dom Prosper Guéranger, en son ouvrage : " Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles.").
Par un privilège qui n'a pas eu de semblable, le Sauveur déjà assis à la droite du Père dans les cieux, daigna instruire directement ce néophyte, afin qu'il fût un jour compté au nombre de ses Apôtres. Mais les voies de Dieu n'étant jamais opposées entre elles, cette création d'un nouvel Apôtre ne pouvait contredire la constitution divinement donnée à l'Eglise chrétienne par le Fils de Dieu. Paul, au sortir des contemplations sublimes durant lesquelles le dogme chrétien était versé dans son âme, dut se rendre à Jérusalem, afin de " voir Pierre ", comme il le raconta lui-même à ses disciples de Galatie. Il dut, selon l'expression de Bossuet, " conférer son propre Evangile avec celui du prince des Apôtres " (Sermon sur l'unité.).

La conversion de saint Paul sur le chemin de Damas.
Le Caravage. XVIe.
Agréé dès lors pour coopérateur à la prédication de l'Evangile, nous le soyons, au livre des Actes, associé à Barnabé, se présenter avec celui-ci dans Antioche après la conversion de Cornélius, et l'ouverture de l'Eglise aux gentils par la déclaration de Pierre. Il passe dans cette ville une année entière signalée par une abondante moisson. Après la prison de Pierre à Jérusalem et son départ pour Rome, un avertissement d'en haut manifeste aux ministres des choses saintes qui présidaient à l'Eglise d'Antioche, que le moment est venu d'imposer les mains aux deux missionnaires, et on leur confère le caractère sacré de l'ordination.
A partir de ce moment, Paul grandit de toute la hauteur d'un Apôtre, et l'on sent que la mission pour laquelle il avait été préparé est enfin ouverte. Tout aussitôt, dans le récit de saint Luc, Barnabé s'efface et n'a plus qu'une destination secondaire. Le nouvel Apôtre a ses disciples à lui, et il entreprend, comme chef désormais, une longue suite de pérégrinations marquées par autant de conquêtes. Son premier pas est en Chypre, et c'est là qu'il vient sceller avec l'ancienne Rome une alliance qui est comme la sœur de celle que Pierre avait contractée à Césarée. En l'année 43, où Paul aborda en Chypre, l'île avait pour proconsul Sergius Paulus, recommandable par ses aïeux, mais plus digne d'estime encore pour la sagesse de son gouvernement. Il désira entendre Paul et Barnabé. Un miracle de Paul, opéré sous ses yeux, le convainquit de la vérité de l'enseignement des deux Apôtres, et l'Eglise chrétienne compta, ce jour-là, dans son sein un héritier nouveau du nom et de la gloire des plus illustres familles romaines. Un échange touchant eut lieu à ce moment. Le patricien romain était affranchi du joug de la gentilité par le Juif, et en retour, le Juif, qu'on appelait Saul jusqu'alors, reçut et adopta désormais le nom Paul, comme un trophée digne de l'Apôtre des gentils.
De Chypre, Paul se rend successivement en Cilicie, dans la Pamphylie, dans la Pisidie, dans la Lycaonie. Partout il évangélise, et partout il fonde des chrétientés. Il revient ensuite à Antioche, en l'année 47, et il trouve l'Eglise de cette ville dans l'agitation. Un parti de Juifs sortis des rangs du pharisaïsme consentait à l'admission des gentils dans l'Eglise, mais seulement à la condition qu'ils seraient assujettis aux pratiques mosaïques, c'est-à-dire à la circoncision, à la distinction des viandes, etc. Les chrétiens sortis de la gentilité répugnaient à cette servitude à laquelle Pierre ne les avait pas astreints, et la controverse devint si vive que Paul jugea nécessaire d'entreprendre le voyage de Jérusalem, où Pierre fugitif de Rome venait d'arriver. Il partit donc avec Barnabé, apportant la question à résoudre aux représentants de la loi nouvelle réunis dans la ville de David.
Diego Velázquez. XVIIe.
Outre Jacques qui résidait habituellement à Jérusalem comme évêque, Pierre, ainsi que nous l'avons dit, et Jean, y représentèrent en cette circonstance tout le collège apostolique. Un décret fut formulé où toute exigence à l'égard des gentils relativement aux rites judaïques était interdite, et cette disposition était prise au nom et sous l'influence de l'Esprit-Saint. Ce fut dans cette réunion de Jérusalem que Paul fut accueilli par les trois grands Apôtres comme devant exercer spécialement l'apostolat des gentils. Il reçut de la part de ceux qu'il appelle les colonnes, une confirmation de cet apostolat surajouté à celui des douze. Par ce ministère extraordinaire qui surgissait en faveur de ceux qui avaient été appelés les derniers, le christianisme affirmait définitivement son indépendance à l'égard du judaïsme, et la gentilité allait se précipiter en foule dans l'Eglise.
Paul reprit le cours de ses excursions apostoliques à travers les provinces qu'il avait déjà évangélisées, afin d'y confirmer les Eglises. De là, traversant la Phrygie, il vit la Macédoine, s'arrêta un moment à Athènes, d'où il se rendit à Corinthe, où il séjourna un an et demi. A son départ, il laissait dans cette ville une Eglise florissante, non sans avoir excité contre lui la fureur des Juifs. De Corinthe, Paul se rendit à Ephèse, qui le retint plus de deux ans. Il y obtint un tel succès auprès des gentils, que le culte de Diane en éprouva un affaiblissement sensible. Une émeute violente s'ensuivit, et Paul jugea que le moment était venu de sortir d'Ephèse. Durant son séjour dans cette ville, il avait révélé à ses disciples la pensée qui l'occupait déjà depuis longtemps :
" Il faut, leur dit-il, que je voie Rome."
La capitale de la gentilité appelait l'Apôtre des gentils.
L'accroissement rapide du christianisme dans la capitale de l'Empire avait mis en présence, d'une manière plus frappante qu'ailleurs, les deux éléments hétérogènes dont l'Eglise d'alors était formée. L'unité d'une même foi réunissait dans le même bercail les anciens juifs et les anciens païens. Il s'en rencontra quelques-uns dans chacune de ces deux races qui, oubliant trop promptement la gratuité de leur commune vocation, se laissèrent aller au mépris de leurs frères, les réputant moins dignes qu'eux-mêmes du baptême qui les avait tous faits égaux dans le Christ. Certains Juifs dédaignaient les Gentils, se rappelant le polythéisme qui avait souillé leur vie passée de tous les vices qu'il entraînait à sa suite. Certains Gentils méprisaient les Juifs, comme issus d'un peuple ingrat et aveugle, qui, abusant des secours que Dieu lui avait prodigués, n'avait su que crucifier le Messie.
Flagellation de saint Paul et de saint Silas.
En l'année 53, Paul, qui fut à même de connaître ces débats, profita d'un second séjour à Corinthe pour écrire aux fidèles de l'Eglise romaine la célèbre Epître dans laquelle il s'attache à établir la gratuité du don de la foi, Juifs et Gentils étant indignes de l'adoption divine et n'ayant été appelés que par une pure miséricorde ; Juifs et Gentils, oubliant leur passé, n'avaient qu'à s'embrasser dans la fraternité d'une même foi, et à témoigner leur reconnaissance à Dieu qui les avait prévenus par sa grâce les uns et les autres. Sa qualité d'Apôtre reconnu donnait à Paul le droit d'intervenir en cette manière, au sein même d'une chrétienté qu'il n'avait pas fondée.
En attendant qu'il pût contempler de ses yeux l'Eglise reine que Pierre avait établie sur les sept collines, l'Apôtre voulut accomplir encore une fois le pèlerinage de la cité de David. Mais la rage des Juifs de Jérusalem se déchaîna à cette occasion jusqu'au dernier excès. Leur orgueil en voulait surtout à cet ancien disciple de Gamaliel, à ce complice du meurtre d'Etienne, qui maintenant conviait les Gentils à s'unir aux fils d'Abraham sous la loi de Jésus de Nazareth. Le tribun Lysias l'arracha des mains de ces acharnés qui allaient le mettre en pièces. La nuit suivante, le Christ apparut à Paul et lui dit :
" Sois ferme ; car il te faudra rendre de moi à Rome le même témoignage que tu me rends en ce moment à Jérusalem."
Ce ne fut pourtant qu'après une captivité de plus de deux années que Paul, en ayant appelé à l'empereur, aborda l'Italie au commencement de l'année 56. Enfin l'Apôtre des Gentils fit son entrée dans Rome. L'appareil d'un triomphateur ne l'entourait pas : c'était un humble prisonnier juif que l'on conduisait au dépôt où s'entassaient les prévenus qui avaient appelé à César. Mais Paul était ce Juif qui avait eu le Christ lui-même pour conquérant sur le chemin de Damas. Il n'était plus Saul le Benjamite ; il se présentait sous le nom romain de Paul, et ce nom n'était pas un larcin chez celui qui, après Pierre, devait être la seconde gloire de Rome et le second gage de son immortalité. Il n'apportait pas avec lui, comme Pierre, la primauté que le Christ n'avait confiée qu'à un seul ; mais il venait rattacher au centre même de l'évangélisation des gentils, la délégation divine qu'il avait reçue en leur faveur, comme un affluent verse ses eaux dans le cours du fleuve qui les confond avec les siennes et les entraîne à l'océan Paul ne devait pas avoir de successeur dans sa mission extraordinaire ; mais l'élément qu'il venait déposer dans l'Eglise mère et maîtresse représentait une telle valeur que, dans tous les siècles, on entendra les pontifes romains, héritiers du pouvoir monarchique de Pierre, faire appel encore à un autre souvenir, et commander au nom des " bienheureux Apôtres Pierre et Paul ".
Saint Paul rend aveugle le faux prophète Barjesu
Au lieu d'attendre en prison le jour où sa cause serait appelée, Paul eut la liberté de se choisir un logement dans la ville, obligé seulement d'avoir jour et nuit la compagnie d'un soldat représentant la force publique, et auquel, selon l'usage en pareil cas, il était lié par une chaîne qui l'empêchait de fuir, mais laissait libres tous ses mouvements. L'Apôtre continuait ainsi de pouvoir annoncer la parole de Dieu. Vers la fin de l'année 57, on accorda enfin à Paul l'audience à laquelle lui donnait droit l'appel qu'il avait interjeté à César. Il comparut au prétoire, et le succès de son plaidoyer amena l'acquittement.
Paul, devenu libre, voulut revoir l'Orient. Il visita de nouveau Ephèse, où il établit évoque son disciple Timothée. Il évangélisa la Crète, où il laissa Tite pour pasteur. Mais il ne quittait pas pour toujours cette Eglise romaine qu'il avait illustrée par son séjour, accrue et fortifiée par sa prédication ; il devait revenir pour l'illuminer des derniers rayons de son apostolat, et l'empourprer de son sang glorieux.
L'Apôtre avait achevé ses courses évangéliques dans l'Orient ; il avait confirmé les Eglises fondées par sa parole, et les épreuves, pas plus que les consolations, n'avaient manqué sur sa route. Tout à coup un avertissement céleste, semblable à celui que Pierre lui-même devait recevoir bientôt, lui enjoint de se rendre à Rome où le martyre l'attend. C'est saint Athanase (De fuga sua, XVIII.) qui nous instruit de ce fait, rapporté aussi par saint Astère d'Amasée. Ce dernier nous dépeint l'Apôtre entrant de nouveau dans Rome, " afin d'enseigner les maîtres du monde, de s'en faire des disciples, et par eux de lutter avec le reste du genre humain ". " Là, dit encore l'éloquent évêque du quatrième siècle, Paul retrouve Pierre vaquant au même travail. Il s'attèle avec lui au char divin, et se met à instruire dans les synagogues les enfants de la loi, et au dehors les gentils." (Homil. VIII.).

Lucas Cranach. XVIe.
Rome possède donc enfin réunis ses deux princes : l'un assis sur la Chaire éternelle, et tenant en mains les clefs du royaume des cieux ; l'autre entouré des gerbes qu'il a cueillies dans le champ de la gentilité. Ils nése sépareront plus, même dans la mort, comme le chante l'Eglise. Le moment qui les vit rapprochés fut rapide ; car ils devaient avoir rendu à leur Maître le témoignage du sang, avant que le monde romain fût affranchi de l'odieux tyran qui l'opprimait. Leur supplice fut comme le dernier crime, après lequel Néron s'affaissa, laissant le monde épouvanté de sa fin aussi honteuse qu'elle fut tragique.
C'était en l'année 65 que Paul était rentré dans Rome. Il y signala de nouveau sa présence par toutes les œuvres de l'apostolat. Dès son premier séjour, sa parole avait produit des chrétiens jusque dans le palais de César. De retour sur le grand théâtre de son zèle, il retrouva ses entrées dans la demeure impériale. Une femme qui vivait dans un commerce coupable avec Néron, se sentit ébranlée par cette parole à laquelle il était dur de résister. Un échanson du palais fut pris aussi dans les filets de l'Apôtre. Néron s'indigna de cette influence d'un étranger jusque dans sa maison, et la perte de Paul fut résolue. Jeté en prison, l'Apôtre ne laissa pas refroidir son zèle, et continua d'annoncer Jésus-Christ. La maîtresse de l'empereur et son échanson abjurèrent, avec l'erreur païenne, la vie qu'ils avaient menée, et leur double conversion hâta le martyre de Paul. Il le sentait, et on s'en rend compte en lisant ces lignes qu'il écrit à Timothée :
" Je travaille, dit-il, jusqu'à porter les fers, comme un méchant ouvrier ; mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée : à cause des élus, je supporte tout. Me voici à cette heure comme la victime déjà arrosée de l'eau lustrale, et le temps de mon trépas est proche. J'ai vaillamment combattu, j'ai achevé ma course, j'ai été le gardien de la foi ; la couronne de justice m'est réservée, et le Seigneur, juge équitable, me la donnera." (II Tim.).
Le 29 juin de l'année 66, tandis que Pierre traversait le Tibre sur le pont Triomphal et se dirigeait vers la croix dressée dans la plaine Vaticane, un autre martyre se consommait sur la rive gauche du fleuve. Paul, entraîné le long de la voie d'Ostie, était suivi aussi par un groupe de fidèles qui s'étaient joints à l'escorte du condamné. La sentence rendue contre lui portait qu'il aurait la tête tranchée aux Eaux Salviennes. Après avoir suivi environ deux milles la voie d'Ostie, les soldats conduisirent Paul par un sentier qui se dirigeait vers l'Orient, et bientôt on arriva sur le lieu désigné pour le martyre du Docteur des gentils. Paul se mit à genoux et adressa à Dieu sa dernière prière ; puis, s'étant bandé les yeux, il attendit le coup de la mort. Un soldat brandit son glaive, et la tête de l'Apôtre, détachée du tronc, fit trois bonds sur la terre. Trois fontaines jaillirent aussitôt aux endroits qu'elle avait touchés. Telle est la tradition gardée sur le lieu du martyre, où l'on voit trois fontaines sur chacune desquelles s'élève un autel.
Saint Paul et ses disciples. Plaque de piété. France. XIIe.
SEQUENCE
Adam de Saint-Victor nous a fourni le thème de nos chants dans une admirable Séquence. Le Missel de Liège de l'an 1527 nous donnera aujourd'hui la suivante, dont la simplicité ne manque ni de charmes, ni de profondeur :
" Au Docteur des nations, nations, applaudissez , et, de la voix, publiez vos vœux.
Au pasteur appartient de conduire le troupeau ; aux brebis d'honorer le pasteur.
Vase d'élection, rempli d'honneur, sans vaine enflure, à bon droit recherché de quiconque se plaît au pâturage qu'arrosent les eaux de la vraie fontaine !
Du Docteur des nations la conversion sainte donne la joie en cet exil : exemple à suivre, objet de louange.
Au matin , ravisseur ; sur le soir, magnifique : ce ne fut pas en vain que de Benjamin la figure nous fournit un présage.
La mère enfante un fils de douleur ; le père l'appelle l'élu de la droite, pénétrant le mystère.
Ce que Saul a ravi, Paul en fait le partage ; il distribue les dépouilles de la loi sous la grâce.
Celui qu'Anne établit chef de perversité, le Christ en fait un ministre de la grâce.
Il ne rêve que carnage, et tombe aveuglé ; une voix le reprend, descendant des nues :
" Pourquoi persécuter celui que tu dois suivre ? pourquoi, Saul, regimber contre l'aiguillon ?"
" Tu me poursuis, et l'on croit que tu me rends hommage ! Et c'est contre mes frères que tes sanglantes mains tournent le glaive !"
" C'en est fait de la lettre ; les figures ont cessé : dès cette heure, je te fais le héraut de ma grâce ; lève-toi maintenant, je te l'ordonne."
Ô grâce vraiment pleine, dont l'abondance déborde à flots sur le monde desséché !
Fortunée vocation, non provenue du mérite ; largesse immense, nullement due !
Par le chemin de l'eau, par le feu de l'Esprit, il passe de ses ardeurs fiévreuses à la divine fraîcheur.
Son nom change, et ses mœurs ont changé : deuxième en dignité, premier pour le labeur.
Egal aux Apôtres appelés d'abord, lui dont l'appel est venu des cieux prévaut par ses Epitres.
Trois fois il est battu de verges, une fois lapidé ; trois fois la mer l'engloutit, sans qu'il meure dans ses flots.
Au troisième ciel son esprit est ravi : du regard de l'âme il contemple le mystère de Dieu, mais, empêché de parler, ne sait le redire.
Ô Pasteur illustre, des Pasteurs la gloire, par un heureux sentier, tes troupeaux, amène, conduis, établis-les au lieu du pâturage éternel.
Amen."

Saint-Paul prêchant. Eustache Le Sueur. XVIIe.
HYMNE
Saint Pierre Damien a consacré les accents de son énergique piété au Docteur des nations dans cette Hymne :
" Paul, docteur incomparable trompette éclatante de l'Eglise, nuée qui voles et promènes le tonnerre par tout l'immense circuit des cieux :
Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce.
Oh ! Combien grand est le mérite de Paul ! Il monte au troisième ciel : il entend des paroles mystérieuses qu'il n'ose redire à personne.
Il sème le Verbe en tous lieux ; la moisson se lève abondante ; le grenier du ciel se remplit des fruits des bonnes œuvres.
Comme une lampe au vif éclat, il illumine de ses rayons l'univers ; il chasse les ténèbres de l'erreur, pour que règne seule la vérité.
Louange soit au Père non engendre ; gloire soit au Fils unique ; à l'Esprit qui les égale tous deux soit grandeur souveraine !
Amen."
HYMNE
Enfin, pour nous conformer à la tradition liturgique, qui ne veut pas qu'on célèbre jamais l'un des princes des Apôtres, sans faire aussi mémoire de son glorieux compagnon : nous donnerons ici, dégagée des retouches survenues plus tard, l'œuvre entière d'Elpis, à laquelle l'Hymne des Vêpres d'hier n'empruntait que les deux premières strophes. La troisième est employée par l'Eglise aux autres fêtes de saint Pierre, la quatrième à celles de saint Paul ; les deux réunies formaient hier l'Hymne des Laudes :
" De lumière d'or, de rayons empourprés, vous baignez le monde, Ô Lumière de lumière, embellissant les cieux par un glorieux martyre en ce jour sacré qui donne aux coupables la grâce.
Le portier du ciel, le docteur de l'univers, juges du siècle et vraies lumières du monde, triomphent ensemble, l'un par la croix, l'autre par le glaive; ceints du laurier de la victoire., ils font leur entrée au sénat de la vie.
Bon Pasteur, Ô Pierre, reçois maintenant avec clémence les vœux de ceux qui t'implorent ; dénoue les liens du péché par cette puissance à toi confiée, qui pour tous ouvre ou ferme les cieux.
Docteur illustre, Ô Paul, forme nos mœurs, élève nos pensées par tes soins jusqu'au ciel, en attendant le jour où, le bien dans sa plénitude étant devenu notre partage, tout l'imparfait disparaîtra.
Double olivier où coule la sève d'un unique amour, tous deux rendez-nous dévoués à la foi, fermes dans l’espérance, et, sur toutes choses, pleins de la double charité découlant de sa source ; après la mort de cette chair, obtenez-nous de vivre.
Soit à la Trinité gloire éternelle, honneur, puissance et joie, en l’Unité qui garde l'empire, depuis lors et maintenant, dans les siècles sans fin.
Amen."
ses souffrances à Jérusalem. Louis Chéron.
Cathédrale Notre-Dame. Paris. XVIIe.
" Ô Paul, à vous aujourd'hui nos vœux ! Etablis heureusement sur la pierre qui porte l'Eglise, pourrions-nous oublier celui dont les travaux, plus que ceux d'aucun autre (I Cor. XV, 10.), ont amené les Gentils nos pères à composer la cité sainte ? Sion, la bien-aimée des premiers jours, a rejeté la pierre, et s'est brisée contre elle (Rom. IX, 32.) : quel est le mystère de cette autre Jérusalem descendue des cieux (Apoc. XXI, 2.), dont cependant tous les matériaux furent tirés des abîmes ? Leurs inébranlables assises proclament la gloire de l'architecte sage (I Cor. III, 10.) qui les posa sur la pierre d'angle : elles-mêmes pierres sans prix, et dont l'éclat dépasse incomparablement la splendeur des parures de la fille de Sion. Qui vaut à la nouvelle venue cette beauté, ces honneurs d'Epouse (Apoc. XXI, 2.) ? Comment les fils de la délaissée sont-ils sortis des retraites impures où leur mère habitait, en la compagnie des dragons et des léopards (Cant. IV, 8.) ? La voix de l'Epoux s'est fait entendre, et elle disait :
" Viens, ma fiancée, viens du Liban ; descends des sommets d'Amana, des hauteurs de Sanir et d'Hermon." ( Ibid.).
Pourtant, de sa personne sacrée, l'Epoux, quand il vivait, ne quitta point l'antique terre des promesses, et sa voix mortelle ne pouvait parvenir à celle qui habitait au delà des confins de Jacob. O Paul, vous l'avez dit : comment donc invoquer, comment croire celui qu'on n'a pas entendu (Rom. X, 14.) ? Mais, à qui sait votre amour de l'Epoux, il suffit, pour enlever toute crainte, que vous-même, Ô Apôtre, ayez signalé le problème.
Nous chantions, au jour de l'Ascension triomphante, et c'était la réponse : Quand la beauté du Seigneur s'élèvera par delà les cieux, il montera sur la nue, et l'aile des vents sera son coursier rapide, et, vêtu de lumière, d'un pôle à l'autre il parcourra les cieux, faisant ses dons aux fils des hommes (Répons des Mat. de l'Asc.). La nuée, l'aile des vents portant aux nations le message de l'Epoux, c'était vous, Ô Paul, choisi d'en haut plus spécialement que Pierre lui-même pour instruire les gentils, ainsi qu'il fut reconnu, et par Pierre, et par Jacques et Jean, ces colonnes de l'Eglise (Gal. II, 7-9.). Qu'ils furent beaux vos pieds, quand, sortant de Sion, vous apparûtes sur nos montagnes, et dîtes à la gentilité : " Ton Dieu va régner." ( Isai. LII, 7.). Qu'elle fut douce votre voix, murmurant à l'oreille de la pauvre abandonnée le céleste appel : " Ecoute, Ô ma fille, et vois, et incline l'oreille de ton cœur." ( Psalm. XLIV, 11.).
Le Ravissement de saint Paul. Domenico Zampieri. XVIIe.
Quelle tendre pitié vous témoigniez à celle qui, si longtemps, vécut étrangère à l'alliance, sans promesse, sans Dieu dans ce monde (Eph. II, 12.) ! Et cependant elle était loin (Ibid. 13.), celle qu'il fallait amener si près du Seigneur Jésus, qu'elle ne formât plus avec lui qu'un seul corps (Ibid. I, 23.) ! Vous connûtes, en cette œuvre immense, et les douleurs de l'enfantement (Gal. IV, 19.), et les soins de la mère allaitant son nouveau-né (I Cor. III, 1-2.) ; vous dûtes porter les longs délais de la croissance de l'Epouse (Eph. IV, 11.), éloigner d'elle toute tache (Ibid. V, 27.), l'illuminer progressivement des clartés de l'Epoux (II Cor. III, 18.) : jusqu'à ce qu'enfin, affermie dans l'amour (Eph. III, 17.), et parvenue à la mesure du Christ même (Ibid. IV, 13.), elle fût vraiment sa gloire (Ibid. V, 23 ; I Cor. XI, 7.), et pût par lui être remplie de toute la plénitude de Dieu (Eph. III, 19.). Que de labeurs pour conduire cette nouvelle création, du limon primitif (Gen. II, 7.), au trône de l'Adam céleste, à la droite du Père (I Cor XV, 45-50 ; Eph. I, 20 ; II, 6.) !
Souvent, repoussé, trahi, mis aux fers (II Tim. II, 9.), méconnu dans les sentiments les plus délicats de votre cœur d'Apôtre (I Cor. IV, IX ; II Cor. I, II, VI, X, XII, 11-21 ; Gal. IV, 11-20 ; Philip. L, 15-18 ; II Tim. IV, 9-16 ; etc.), vous n'eûtes pour salaire que d'indicibles angoisses et des souffrances sans nom. Mais la fatigue, les veilles, la faim, le froid, le dénuement, l'abandon, violences ouvertes, attaques perfides, dangers de toutes sortes (II Cor. XI.), loin de l'abattre, excitaient votre zèle (Ibid. XII, 10.) ; la joie surabondait en vous (Ibid. VII, 4.) ; car ces souffrances étaient le complément de celles mêmes que Jésus avait endurées (Col. I, 24 ; Eph. V, 25.), pour acheter l'alliance que depuis si longtemps l’éternelle Sagesse ambitionnait de conclure (Eph. III, 8-10.). Comme elle vous n'aviez qu'un but, où passaient toute votre force et votre douceur (Sap. VIII, 1.) : sur le pavé poudreux des voies romaines, au fond des mers où vous jetait la tempête, à la ville, au désert, au troisième ciel où vous portait l'extase, sous les fouets des Juifs ou le glaive de Néron (II Cor. XI, XII.), gérant partout l'ambassade du Christ (Ibid. VI, 20 : Eph. VI, 20.), vous jetiez à la vie comme au trépas, à toutes les puissances de la terre et des cieux, le défi d'arrêter la puissance du Seigneur (II Cor. XIII, 3.), ou son amour (Rom. VIII, 35-38.) qui vous soutenait dans la grande entreprise. Et, comme sentant le besoin d'aller au-devant des étonnements que pouvait susciter l'enthousiasme de votre grande âme, vous lanciez aux nations ce cri sublime :
" Taxez-moi de folie, mais, par pitié, supportez-moi : je suis jaloux de vous, jaloux pour Dieu ! C'est qu'en effet, je vous ai fiancées à l'unique Epoux : laissez-moi faire que vous soyez pour lui une vierge très pure !" ( II Cor.II, XI, 1-2.).

Saint Paul prêchant. Joseph-Benoît Suvée. XVIIIe.
Hier, Ô Paul, s'est consommée votre œuvre : ayant tout donné, vous vous êtes donné par surcroît vous-même (Ibid. XII, 15.). Le glaive, abattant votre tête sacrée, achève, comme vous l'aviez prédit, le triomphe du Christ (Philipp. I, 20.). La mort de Pierre fixe en son lieu prédestiné le trône de l'Epoux ; mais c'est à vous surtout que la gentilité, prenant place comme Epouse à sa droite (Psalm. XLIV, 10.),doit de pouvoir dire en se tournant vers la Synagogue sa rivale :
" Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem ; c'est pourquoi le Roi m'a aimée, et m'a choisie pour reine." ( Cant I, 4 ; IV, 8.).
Louange donc à vous, Ô Apôtre, et maintenant et toujours ! L'éternité ne saurait épuiser notre reconnaissance à nous, nations. Achevez votre œuvre en chacun de nous pour ces siècles sans fin ; ne permettez pas que, par la défection d'aucun de ceux qu'appelait le Seigneur à compléter son corps mystique, l'Epouse soit privée d'un seul des accroissements sur lesquels elle pouvait compter. Soutenez contre le découragement les prédicateurs de la parole sainte, tous ceux qui, par la plume ou à un titre quelconque, poursuivent votre œuvre de lumière; multipliez les vaillants apôtres qui reculent sans fin les limites de la région des ténèbres sur notre globe. Vous promites autrefois de rester avec nous, de veiller toujours au progrès de la foi dans nos âmes, d'y faire germer sans fin les très pures délices de l'union divine (Philip. I, 25-26.). Tenez votre promesse; en allant à Jésus, vous n'en laissez pas moins votre parole engagée à tous ceux qui, comme nous, ne purent ici-bas vous connaître (Col. II, 1.). Car c'est à eux que, par l'une de vos Epîtres immortelles, vous laissiez l'assurance de pourvoira " consoler leurs cœurs, les ordonnant dans l'amour, versant en eux dans sa plénitude et ses richesses immenses la connaissance du mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ". (Ibid. 2-3.).
Dans cette saison du Cycle où règne l'Esprit qui fait les saints (Rom. VIII.), faites comprendre aux chrétiens de bonne volonté que leur seul baptême suffit à les investir de cette vocation sublime, où trop souvent ils ne voient que la part du petit nombre. Puissent-ils pénétrer la grande, et pourtant si simple notion, que vous leur donnez du mystère où réside le principe le plus universel, le plus absolu de toute vie chrétienne (Rom. VI.) : ensevelis avec Jésus sous les eaux, incorporés à lui par le seul fait, comment n'auraient-ils pas tout droit, tout devoir, d'être saints, de prétendre s'unir à Jésus dans sa vie comme ils l'ont fait dans sa mort ? " Vous Êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu " (Col. III. 3.), disiez-vous à nos pères. Ce que vous proclamiez pour tous alors sans distinction, répétez-le à tous, Ô grand Apôtre ! Docteur des nations, ne laissez pas dévier en elles la lumière, au grand détriment du Seigneur et de l'Epouse.

Le Ravissement de saint Paul. Nicolas Poussin. XVIIe.
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mardi, 28 juin 2022
28 juin. Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
- Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
Pape : Saint Zéphirin. Empereur romain : Septime Sévère.
" Irénée, successeur du martyr saint Pothin, donné pour évêque à la ville de Lyon par saint Polycarpe, m'apparaît avec une brillante auréole de vertus."
Saint Grégoire de Tours.
" Ô Bon Dieu, pour quels temps m'as-tu réservé, faut-il que je supporte de telles choses !"
Saint Polycarpe.

Saint Irénée. Fresque d'Auguste Cornu.
L'Eglise de Lyon présente à la reconnaissante admiration du monde, en ce jour où l'on fête saint Léon II pape, son grand docteur, le pacifique et vaillant Irénée, lumière de l'Occident (Theodoret. Haeretic. fabul. I, 5.). A cette date qui le vit confirmer dans son sang la doctrine qu'il avait prêchée, il est bon de l'écouter rendant à l'Eglise-mère le témoignage célèbre qui, jusqu'à nos temps, a désespéré l'hérésie et confondu l'enfer ; c'est pour une instruction si propre à préparer nos cœurs aux gloires du lendemain, que l'éternelle Sagesse a voulu fixer aujourd'hui son triomphe. Entendons l'élève de Polycarpe, l'auditeur zélé des disciples des Apôtres, celui que sa science et ses pérégrinations, depuis la brillante Ionie jusqu'au pays des Celtes, ont rendu le témoin le plus autorisé de la foi des Eglises au second siècle. Toutes ces Eglises, nous dit l'évêque de Lyon, s'inclinent devant Rome la maîtresse et la mère.
" Car c'est avec elle, à cause de sa principauté supérieure, qu'il faut que s'accordent les autres ; c'est en elle que les fidèles qui sont en tous lieux, gardent toujours pure la foi qui leur fut prêchée. Grande et vénérable par son antiquité entre toutes, connue de tous, fondée par Pierre et Paul les deux plus glorieux des Apôtres, ses évêques sont, par leur succession, le canal qui transmet jusqu'à nous dans son intégrité la tradition apostolique : de telle sorte que quiconque diffère d'elle en sa croyance, est confondu par le seul fait." (Cont. Haeres. III, III, 2.).
La pierre qui porte l'Eglise était dès lors inébranlable aux efforts de la fausse science. Et pourtant ce n'était pas une attaque sans périls que celle de la Gnose, hérésie multiple, aux trames ourdies, dans un étrange accord, par les puissances les plus opposées de l'abîme. On eût dit que, pour éprouver le fondement qu'il avait posé, le Christ avait permis à l'enfer d'essayer contre lui l'assaut simultané de toutes les erreurs qui se divisaient alors le monde, ou même devaient plus tard se partager les siècles. Simon le Mage, engagé par Satan dans les filets des sciences occultes, fut choisi pour lieutenant du prince des ténèbres dans cette entreprise. Démasqué à Samarie par le vicaire de l'Homme-Dieu, il avait commencé, contre Simon Pierre, une lutte jalouse qui ne se termina point à la mort tragique du père des hérésies, mais continua plus vive encore dans le siècle suivant, grâce aux disciples qu'il s'était formés.
Saturnin, Basilide, Valentin ne firent qu'appliquer les données du maître, en les diversifiant selon les instincts que faisait naître autour d'eux la corruption de l'esprit ou du cœur. Procédé d'autant plus avouable, que la prétention du Mage avait été de sceller l'alliance des philosophies, des religions, des aspirations les plus contradictoires de l'humanité. Il n'était point d'aberrations, depuis le dualisme persan, l'idéalisme hindou, jusqu'à la cabale juive et au polythéisme grec, qui ne se donnassent la main dans le sanctuaire réservé de la Gnose ; là, déjà, se voyaient formulées les hétérodoxes conceptions d'Arius et d'Eutychès ; là par avance prenaient mouvement et vie, dans un roman panthéistique étrange, les plus bizarres des rêves creux de la métaphysique allemande. Dieu abîme, roulant de chute en chute jusqu'à la matière, pour prendre conscience de lui-même dans l'humanité et retourner par l'anéantissement au silence éternel : c'était tout le dogme de la Gnose, engendrant pour morale un composé de mystique transcendante et de pratiques impures, posant en politique les bases du communisme et du nihilisme modernes.
Combien ce spectacle de la Babel gnostique, élevant ses matériaux incohérents sur les eaux de l'orgueil ou des passions immondes, était de nature à faire ressortir l'admirable unité présidant aux accroissements de la cité sainte ! Saint Irénée, choisi de Dieu pour opposer à la Gnose les arguments de sa puissante logique et rétablir contre elle le sens véritable des Ecritures, excellait plus encore, quand, en face des mille sectes portant si ouvertement la marque du père de la division et du mensonge, il montrait l'Eglise gardant pieusement dans l'univers entier la tradition reçue des Apôtres. La foi à la Trinité sainte gouvernant ce monde qui est son ouvrage , au mystère de justice et de miséricorde qui, délaissant les anges tombés, a relevé jusqu'à notre chair en Jésus le bien-aimé, fils de Marie, notre Dieu, notre Sauveur et Roi : tel était le dépôt que Pierre et Paul, que les Apôtres et leurs disciples avaient confié au monde (Cont. Haeres. I, X, 1.).

Eglise Saint-Irénée telle qu'elle fut laissée après avoir été
" L'Eglise donc, constate saint Irénée dans son pieux et docte enthousiasme, l'Eglise ayant reçu cette foi la garde diligemment, faisant comme une maison unique de la terre où elle vit dispersée : ensemble elle croit, d'une seule âme, d'un seul cœur ; d'une même voix elle prêche, enseigne, transmet la doctrine, comme n'ayant qu'une seule bouche. Car, encore bien que dans le monde les idiomes soient divers, cela pourtant n'empêche point que la tradition demeure une en sa sève. Les églises fondées dans la Germanie, chez les Ibères ou les Celtes, ne croient point autrement, n'enseignent point autrement que les églises de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ou celles qui sont établies au centre du monde. Mais comme le soleil, créature de Dieu, est le même et demeure un dans l'univers entier : ainsi l'enseignement de la vérité resplendit, illuminant tout homme qui veut parvenir à la connaissance du vrai. Que les chefs des églises soient inégaux dans l'art de bien dire, la tradition n'en est point modifiée : celui qui l'expose éloquemment ne saurait l'accroître ; celui qui parle avec moins d'abondance ne la diminue pas." (Cont. Haeres. I, X, 2.).
Unité sainte, foi précieuse déposée comme un ferment d'éternelle jeunesse en nos cœurs, ceux-là ne vous connaissent point qui se détournent de l'Eglise. S'éloignant d'elle , ils perdent Jésus et tous ses dons.
" Car où est l'Eglise, là est l'Esprit de Dieu ; et où se trouve l'Esprit de Dieu, là est l'Eglise et toute grâce. Infortunés qui s'en séparent, ils ne puisent point la vie aux mamelles nourrissantes où les appelait leur mère, ils n'étanchent point leur soif à la très pure fontaine du corps du Sauveur ; mais, loin de la pierre unique, ils s'abreuvent à la boue des citernes creusées dans le limon fétide où ne séjourne point l'eau de la vérité." (Cont. Haeres. III, XXIV, 1-2.).
Sophistes pleins de formules et vides du vrai, que leur servira leur science ?
" Oh ! Combien, s'écrie l'évêque de Lyon dans un élan dont l'auteur de l’Imitation semblera s'inspirer plus tard (De Imitatione Christi, L. 1, cap. 1-5.), combien meilleur il est d'être ignorant ou de peu de science, et d'approcher de Dieu par l'amour ! Quelle utilité de savoir, de passer pour avoir beaucoup appris, et d'être ennemi de son Seigneur ? Et c'est pourquoi Paul s'écriait : La science enfle, mais la charité édifie (I Cor. VIII, 1.). Non qu'il réprouvât la vraie science de Dieu : autrement, il se fût condamné lui-même le premier ; mais il voyait que quelques-uns, s'élevant sous prétexte de science, ne savaient plus aimer. Oui certes, pourtant, mieux vaut ne rien du tout savoir, ignorer les raisons des choses, et croire à Dieu et posséder la charité. Evitons la vaine enflure qui nous ferait déchoir de l'amour, vie de nos âmes ; que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, crucifié pour nous, soit toute notre science." (Cont. Haeres. II, XXVI, 1.).
Plutôt que de relever ici, à la suite d'illustres auteurs, le génie de l'éminent controversiste du second siècle, il nous plaît de citer de ces traits qui nous font entrer dans sa grande âme, et nous révèlent sa sainteté si aimante et si douce.
" Quand viendra l'Epoux, dit-il encore des malheureux qu'il voudrait ramener, ce n'est pas leur science qui tiendra leur lampe allumée, et ils se trouveront exclus de la chambre nuptiale." (Ibid. XXVII, 2.).
En maints endroits, au milieu de l'argumentation la plus serrée, celui qu'on pourrait appeler le petit-fils du disciple bien-aimé trahit son cœur ; il montre sur les traces d'Abraham la voie qui conduit à l'Epoux : sa bouche alors redit sans fin le nom qui remplit ses pensées. Nous reconnaîtrons, dans ces paroles émues, l'apôtre qui avait quitté famille et patrie pour avancer le règne du Verbe en notre terre des Gaules :
" Abraham fit bien d'abandonner sa parenté terrestre pour suivre le Verbe de Dieu, de s'exiler avec le Verbe pour vivre avec lui. Les Apôtres rirent bien, pour suivre le Verbe de Dieu, d'abandonner leur barque et leur père. Nous aussi, qui avons la même foi qu'Abraham, nous faisons bien, portant la croix comme Isaac le bois, de marcher à sa suite. En Abraham l'humanité connut qu'elle pouvait suivre le Verbe de Dieu, et elle affermit ses pas dans cette voie bienheureuse (Cont. Haeres. IV, V, 3, 4.). Le Verbe, lui, cependant, disposait l'homme aux mystères divins par des figures éclairant l'avenir (Ibid. XX, II.). Moïse épousait l'Ethiopienne, rendue ainsi fille d'Israël : et par ces noces de Moïse les noces du Verbe étaient montrées, et par cette Ethiopienne était signifiée l'Eglise sortie des gentils (Ibid. 12.) ; en attendant le jour où le Verbe lui-même viendrait laver de ses mains, au banquet de la Cène, les souillures des filles de Sion (Ibid. XXII, 1.). Car il faut que le temple soit pur, où l'Epoux et l'Epouse goûteront les délices de l'Esprit de Dieu ; et comme l'Epouse ne peut elle-même prendre un Epoux, mais doit attendre qu'elle soit recherchée : ainsi cette chair ne peut monter seule à la magnificence du trône divin ; mais quand l'Epoux viendra, il l'élèvera, elle le possédera moins qu'elle ne sera possédée par lui (Cont. Haeres. V, IX, 4.). Le Verbe fait chair se l'assimilera pleinement, et la rendra précieuse au Père par cette conformité avec son Verbe visible (Ibid. XVI, 2.). Et alors se consommera l'union à Dieu dans l'amour. L'union divine est vie et lumière; elle donne la jouissance de tous les biens qui sont à Dieu ; elle est éternelle de soi, comme ces biens eux-mêmes. Malheur à ceux qui s'en éloignent : leur châtiment vient moins de Dieu que d'eux-mêmes et du libre choix par lequel, se détournant de Dieu, ils ont perdu tous les biens." (Ibid. XXVII, 2.).

Saint Polycarpe. Mosaïque. Basilique Saint-Apollinaire. Ravenne. VIe.
La perte de la foi étant, de toutes les causes de l'éloignement de Dieu, la plus radicale et la plus profonde, on ne doit pas s'étonner de l'horreur qu'inspirait l'hérésie, dans ces temps où l'union à Dieu était le trésor qu'ambitionnaient toutes les conditions et tous les âges. Le nom d'Irénée signifie la paix ; et, justifiant ce beau nom, sa condescendante charité amena un jour le Pontife Romain à déposer ses foudres dans la question, pourtant si grave, de la célébration de la Pâque. Néanmoins, c'est Irénée qui nous rapporte de Polycarpe son maître, qu'ayant rencontré Marcion l'hérétique, sur sa demande s'il le connaissait, il lui répondit :
" Je te reconnais pour le premier-né de Satan." (Ibid. III, 4.).
C'est lui encore de qui nous tenons que l'apôtre saint Jean s'enfuit précipitamment d'un édifice public, à la vue de Cérinthe qui s'y trouvait, de peur, disait-il, que la présence de cet ennemi de la vérité ne fît écrouler les murailles :
" Tant, remarque l'évêque de Lyon, les Apôtres et leurs disciples avaient crainte de communiquer, même en parole, avec quelqu'un de ceux qui altéraient la vérité." (Cont. Hœres. III, III,4.).
Celui que les compagnons de Pothin et de Blandine nommaient dans leur prison le zélateur du Testament du Christ (Ep. Martyr. Lugdun. et Vienn. ad Eleuther. Pap.), était, sur ce point comme en tous les autres, le digne héritier de Jean et de Polycarpe. Loin d'en souffrir, son cœur, comme celui de ses maîtres vénérés, puisait dans cette pureté de l'intelligence la tendresse infinie dont il faisait preuve envers les égarés qu'il espérait sauver encore. Quoi de plus touchant que la lettre écrite par Irénée à l'un de ces malheureux, que le mirage des nouvelles doctrines entraînait au gouffre :
" Ô Florinus, cet enseignement n'est point celui que vous ont transmis nos anciens, les disciples des Apôtres. Je vous ai vu autrefois près de Polycarpe ; vous brilliez à la cour, et n'en cherchiez pas moins à lui plaire. Je n'étais qu'un enfant, mais je me souviens mieux des choses d'alors que des événements arrivés hier ; les souvenirs de l'enfance font comme partie de l'âme, en effet ; ils grandissent avec elle. Je pourrais dire encore l'endroit où le bienheureux Polycarpe s'asseyait pour nous entretenir, sa démarche, son abord, son genre de vie, tous ses traits, les discours enfin qu'il faisait à la multitude. Vous vous rappelez comment il nous racontait ses relations avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur, avec quelle fidélité de mémoire il redisait leurs paroles ; ce qu'il en avait appris touchant le Seigneur, ses miracles, sa doctrine, Polycarpe nous le transmettait comme le tenant de ceux-là mêmes qui avaient vu de leurs yeux le Verbe de vie ; et tout, dans ce qu'il nous disait, était conforme aux Ecritures. Quelle grâce de Dieu que ces entretiens ! j'écoutais avidement, transcrivant tout, non sur le parchemin, mais dans mon cœur ; et à l'heure qu'il est, parla même grâce de Dieu, j'en vis toujours. Aussi puis-je l'attester devant Dieu : si le bienheureux, l'apostolique vieillard, eût entendu des discours tels que les vôtres, il eût poussé un grand cri, et se serait bouché les oreilles, en disant selon sa coutume :
" Ô Dieu très bon, à quels temps m'avez-vous réservé !" Et il se fût levé aussitôt pour fuir ce lieu de blasphème." (Ep. ad Florinum.).

Au 2 juin, nous fêtions les saints martyrs de Lyon, saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons, immolés en 177. Les survivants, émus du trouble que suscitait le mouvement prophétique montaniste (1), né en Asie Mineure, envoyèrent des lettres aux Eglises d'Asie et de Phrygie (2), et au pape Eleuthère.
Ils demandèrent à Irénée d’être leur ambassadeur auprès du Pape ; Irénée était muni de cette recommandation :
" Nous avons chargé de te remettre cette lettre notre frère et compagnon, Irénée, et nous te prions de lui faire bon accueil, comme à un zélateur du testament du Christ. Si nous pensions que le rang crée la justice, nous le présenterions d'abord comme prêtre d'Eglise, car il est cela."
Le nom d'Irénée dérive du mot grec qui veut dire " paix ". Irénée recevait une mission de paix. Il serait toujours agent de liaison, d'union, de paix. A son retour, le vieil évêque Pothin était mort martyr (3), et Irénée fut élu pour lui succéder.
Irénée naquit en Asie proconsulaire , non loin de la ville de Smyrne. Il s'était mis dès son enfance à l'école de Polycarpe , disciple de saint Jean l'Evangéliste et évêque de Smyrne. Sous un si excellent maître, il fit des progrès merveilleux dans la science de la religion et la pratique des vertus chrétiennes. Il était embrasé d'un incroyable désir d'apprendre les doctrines qu'avaient reçues en dépôt tous les disciples des Apôtres ; aussi, quoique déjà maître dans les saintes Lettres, lorsque Polycarpe eut été enlevé au ciel dans la gloire du martyre , il entreprit de visiter le plus grand nombre qu'il put de ces anciens , tenant bonne mémoire de tous leurs discours. C'est ainsi que, par la suite, il lui fut possible de les opposer avec avantage aux hérésies. Celles-ci, en effet, s'étendant toujours plus chaque jour, au grand dommage du peuple chrétien, il avait conçu la pensée d'en faire une réfutation soignée et approfondie.

Saint Pothin et saint Irénée. Fresque.
Venu dans les Gaules, il fut attaché comme prêtre à l'église de Lyon par l'évêque saint Pothin, et brilla dans cette charge par le zèle,la parole et la science. Vrai zélateur du testament du Christ, au témoignage des saints martyrs qui combattirent vaillamment pour la foi sous l'empereur Marc-Aurèle, ces généreux athlètes et le clergé de Lyon ne crurent pouvoir remettre en meilleures mains qu'en les siennes l'affaire de la pacification des églises d'Asie, que l'hérésie de Montan avait troublées ; dans cette cause donc qui leur tenait à cœur, ils choisirent Irénée entre tous comme le plus digne , et l'envoyèrent au Pape Eleuthère pour le prier de condamner par sentence Apostolique les nouveaux sectaires, et de mettre ainsi fin aux dissensions.
Le saint évêque Pothin était mort martyr. Irénée lui fut donné pour successeur. Son épiscopat fut si heureux, grâce à la sagesse dont il fit preuve, à sa prière, à ses exemples, qu'on vit bientôt, non seulement la ville de Lyon tout entière , mais encore un grand nombre d'habitants d'autres cités gauloises, renoncer à l'erreur de leurs superstitions et donner leur nom à la milice chrétienne. Cependant une contestation s'était élevée au sujet du jour où l'on devait célébrer la Pâque ; les évêques d'Asie étaient en désaccord avec presque tous leurs autres collègues, et le Pontife Romain, Victor, les avait déjà séparés de la communion des saints ou menaçait de le faire, lorsque Irénée se fit près de lui le respectueux apôtre de la paix : s'appuyant de la conduite des pontifes précédents, il l'amena à ne pas souffrir que tant d'églises fussent arrachées à l'unité catholique, pour un rit qu'elles disaient avoir reçu de leurs pères.
Il écrivit de nombreux ouvrages , qui sont mentionnes par Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. Une grande partie a péri par injure des temps. Mais nous avons toujours ses cinq livres contre les hérésies, composés environ l'an cent quatre-vingt, lorsqu'Eleuthère gouvernait encore l'Eglise. Au troisième livre , l'homme de Dieu, instruit par ceux qui furent sans conteste les disciples des Apôtres, rend à l'église Romaine et à la succession de ses évêques un témoignage éclatant et grave entre tous : elle est pour lui la fidèle, perpétuelle et très sûre gardienne de la divine tradition. Et c'est, dit-il, avec cette église qu'il faut que toute église, c’est-à-dire les fidèles qui sont en tous lieux, se tiennent d'accord à cause de sa principauté supérieure. Enfin il fut couronné du martyre, avec une multitude presque innombrable d'autres qu'il avait amenés lui-même a la connaissance et pratique de la vraie foi ; son passage au ciel eut lieu l'an deux cent deux ; en ce temps-là, Septime Sévère Auguste avait ordonné de condamner aux plus cruels supplices et à la mort, tous ceux qui voudraient persévérer avec constance dans la pratique de la religion chrétienne.

Martyre de saint Irénée et de ses compagnons.
L’esprit d’Irénée, formé à l'admiration " des témoins du Verbe de vie ", avait donc reçu à un haut degré le culte de la tradition. On comprend que les nouveautés gnostiques aient trouvé en lui un adversaire implacable et toujours victorieux. La gnose (ce mot grec signifie science, connaissance) prétendait offrir à une élite des connaissances supérieures sur Dieu et l'univers. Le passage difficile de l'infini au fini se faisait dans ce système grâce à des émanations d'êtres intermédiaires, les éons, dont les accouplements étranges faisaient revivre les théogonies mythologiques.
Saint Irénée écrivit contre la gnose (4) " La réfutation de la fausse science " qu'on appelle aussi " Adversus hœreses " (Contre les hérésies). Il s'excusait de son mauvais style grec :
" Nous vivons chez les Celtes, et dans notre action auprès d'eux, usons souvent de la langue barbare."
Mais le contact avec ces barbares, qui portaient, gravé dans leur cœur le message du salut, était salutaire. Pour vaincre les novateurs, il suffisait presque de révéler leurs doctrines. L'emploi de l'ironie, à propos de tous ces enfantements d'éons, eût été facile. Mais Irénée cherchait surtout à convertir les gnostiques :
" De toute notre âme, nous leur tendons la main, et nous ne nous lasserons pas de le faire."
En face des rêveries morbides de ses adversaires, comme sa théologie apparaît simple, saine et optimiste :
" Le Verbe de Dieu, poussé par l'immense amour qu'il vous portait, s'est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu'il est lui-même."

Gravure du XVIIe.
Sans négliger la théologie rationnelle, Irénée a exposé avec bonheur l'argument de la tradition :
" La tradition des apôtres est manifeste dans le monde entier : il n'y a qu'à la contempler dans toute église, pour quiconque veut voir la vérité. Nous pouvons énumérer les évêques qui ont été institués par les apôtres, et leurs successeurs jusqu'à nous : ils n'ont rien enseigné, rien connu qui ressemblât à ces folies. Car si les apôtres avaient connu des mystères cachés dont ils auraient instruit les parfaits, en dehors et à l'insu du reste (des chrétiens), c'est surtout à ceux auxquels ils confiaient les Églises qu'ils les auraient communiqués. Ils exigeaient la perfection absolue, irréprochable, de ceux qui leur succédaient et auxquels ils confiaient, à leur place, la charge d'enseigner... Il serait trop long... d'énumérer les successeurs des apôtres dans toutes les Églises ; nous ne nous occuperons que de la plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ; nous montrerons que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous, par des successions régulières d'évêques... C'est avec cette Église, en raison de l'autorité de son origine, que doit être d'accord toute Eglise, c'est-à-dire tous les fidèles venus de partout ; et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition apostolique." (St Ir. Adversus hœreses, III, III, 1-2.)
Irénée a écrit aussi un petit livre, " Démonstration de la prédication apostolique ". Il était perdu. On l'a découvert en 1904, dans une traduction arménienne. Dans la controverse sur la date de Pâques, Irénée penchait pour l'usage de l'Asie, qui fêtait la résurrection du Christ le dimanche, et non un autre jour. Mais il tenait aussi à sauvegarder la charité, la tolérance. Il essayait de retenir le pape Victor sur le point d'excommunier les dissidents. Il avait écrit :
" Il n'y a pas de Dieu sans bonté."

Nécropole Saint-Irénée. Lyon.
Avec le martyrologe hiéronymien, saint Grégoire de Tours et les anciens bollandistes (Tillemont, Ruinart), on peut affirmer qu'il fut martyrisé à l'occasion des fêtes des decennales du règne de Septime-Sévère. Saint Irénée, d'après saint Grégoire de Tours, fut enterré dans la crypte de la basilique Saint-Jean, sous l'autel. A cette basilique, succéda une église Saint-Irénée, qui a donné son nom à un quartier de Lyon (rive droite de la Saône, sud-ouest de l'ancienne cité). En 1562, les bêtes féroces calvinistes dispersèrent les reliques du saint. Un antique calendrier de marbre, retrouvé à Naples, marque la passion d'Irénée au 27 juin.
PRIERE
" Quelle couronne est la vôtre, illustre Pontife ! Les hommes s'avouent impuissants à compter les perles sans prix dont elle est ornée. Car dans l'arène où vous l'avez conquise, un peuple entier luttait avec vous ; et chaque martyr, s'élevant au ciel, proclamait qu'il vous devait sa gloire. Versé vingt-cinq années auparavant, le sang de Blandine et de ses quarante-six compagnons a produit, grâce à vous, plus que le centuple. Votre labeur fit germer du sol empourpré la semence féconde reçue aux premiers jours, et bientôt la petite chrétienté perdue dans la grande ville était devenue la cité même. L'amphithéâtre avait suffi naguère à l'effusion du sang des martyrs ; aujourd'hui le torrent sacré parcourt les rues et les places : jour glorieux, qui fait de Lyon l'émule de Rome et la ville sainte des Gaules !
Rome et Lyon, la mère et la fille, garderont bonne mémoire de l'enseignement qui prépara ce triomphe : c'est aux doctrines appuyées par vous sur la fermeté de la pierre apostolique, que pasteur et troupeau rendent aujourd'hui le grand témoignage. Le temps doit venir, où une assemblée d'évêques courtisans voudra persuader au monde que l'antique terre des Gaules n'a point reçu vos dogmes ; mais le sang versé à flots en ce jour confondra la prétentieuse lâcheté de ces faux témoins. Dieu suscitera la tempête, et elle renversera le boisseau sous lequel, faute de pouvoir l'éteindre, on aura dissimulé pour un temps la lumière ; et cette lumière, que vous aviez placée sur le chandelier, illuminera tous ceux qui habitent la maison (Matth. V, 15.).
Les fils de ceux qui moururent avec vous sont demeurés fidèles à Jésus-Christ ; avec Marie dont vous exposiez si pleinement le rôle à leurs pères (Cont. Haeres. V, XIX.), avec le Précurseur de l'Homme-Dieu qui partage aussi leur amour, protégez-les contre tout fléau du corps et de l'âme. Epargnez à la France, repoussez d'elle, une seconde fois, l'invasion de la fausse philosophie qui a tenté de rajeunir en nos jours les données de la Gnose. Faites de nouveau briller la vérité aux yeux de tant d'hommes que l'hérésie, sous ses formes multiples, tient séparés de l'unique bercail. O Irénée, maintenez les chrétiens dans la seule paix digne de ce nom : gardez purs les intelligences et les cœurs de ceux que l'erreur n'a point encore souillés. En ce moment, préparez-nous tous à célébrer comme il convient les deux glorieux Apôtres Pierre et Paul, et la puissante principauté de la mère des Eglises.

Eglise Saint-Irénée aujourd'hui. Lyon.
NOTES
(1). Montan, prêtre païen converti, qui se mit à prophétiser la fin du monde et à prêcher la pénitence, vers 172, aux confins de la Mysie et de la Phrygie, et envoya des missionnaires dans toute l'Asie Mineure. Il en vint à prétendre être le Paraclet lui-même, venu compléter la révélation du Christ. Montan était mort avant 179. Le Montanisme est donc un mouvement de prophétisme et d'ascétisme. Il conservait à l'origine la foi commune, les Ecritures, l'attachement à l’Eglise, mais sa prétention à incarner la seule véritable Eglise de l'Esprit, comme son prophétisme incontrôlé, amenèrent une vive réaction de l'épiscopat, qui eut pour conséquence la séparation de Montan et de ses partisans d'avec l'Eglise. La propagande montaniste s'étendit dès le deuxième siècle jusqu’en Occident ; en Afrique au troisième siècle, elle entraîna Tertullien. La secte qui survécut plusieurs siècles, n’avait pas encore entièrement disparu au neuvième siècle.
(2). " Lettre des serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères qui sont en Asie et en Phrygie, ayant la même foi et la même espérance de la rédemption."
(3). Le vénérable évêque de Lyon, Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, avait dû être porté jusqu'au tribunal où, interrogé par le légat sur ce qu'était le Dieu des chrétiens, il répondait :
" Tu le connaîtras, si tu en es digne."
Cette réponse lui valut d'être accablé d'injures, de coups de pieds et de coups de pierres, puis il fut de nouveau jeté en prison où il rendit l'âme quarante-huit heures plus tard.
(4). La gnose (d'un mot grec signifiant connaissance) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s'opposa à la gnose pour les principales raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l'Ancien Testament ; elle évacuait l'attente chrétienne de l'accomplissement eschatologique.
Rq : On lira et méditera Le traité contre les hérésies, lequel, faut-il insister, n'a rien perdu de son actualité, en particulier quant à la gnose, cette putréfaction intellectuelle, à l'origine d'un nombre effrayant d'hérésies :
http://www.jesusmarie.com/irenee_de_lyon.html
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lundi, 27 juin 2022
27 juin. Saint Ladislas Ier, roi de Hongrie. 1095.

Il ne descendait pas en ligne directe de saint Etienne, roi et apôtre de Hongrie, dont nous donnerons la vie au 20 août, mais de Ladislas, dit le Chauve, son cousin-germain, dont il était petit-fils. Béla, son père, fut quelque temps fugitif en Pologne, pour éviter la cruauté de Pierre le Germanique, gendre du même saint Etienne, que les Hongrois avaient fait leur roi. Mais André, son frère aîné et oncle de notre Saint, étant monté sur le trône, ce dernier revint en son pays, où il eut la qualité de duc, qui était la seconde de tout le royaume. Il avait épousé, en Pologne, pendant son exil, la fille de Mesco, duc de ce royaume, et il en avait eu deux fils : Geiza, l'aîné, et Ladislas, notre illustre confesseur ; il les amena tous deux avec lui.
L'éducation de ces enfants, tant en Pologne qu'en Hongrie, fut si avantageuse, qu'ils donnèrent, dès leur enfance, de grands présages de la vertu qu'ils ont fait paraître toute leur vie. Notre Saint était si chaste, si modeste, si dévot et si plein de tendresse et de charité pour les pauvres, qu'il était admiré de tout le monde.
Ce ne fut qu'avec douleur qu'il vit son père monter sur le trône, parce qu'il n'y monta qu'en faisant la guerre au roi, son frère, et en gagnant une victoire signalée contre lui car ce saint jeune homme était si éloigné de l'amour des grandeurs de la terre, qu'il eût mieux aimé vivre banni de son pays et dans la disette de toutes choses, que de posséder un royaume par des voies si peu légitimes. Il est vrai qu'André avait attenté à la vie de Béla, pour mieux assurer la couronne à Salomon, son fils, âgé seulement de douze ans ; mais Ladislas ne pensait pas que ce fût un sujet suffisant à son père pour prendre les armes contre son souverain, et il croyait qu'en cette rencontre il devait faire seulement comme David qui, poursuivi par Saùl, se contenta de fuir et de se cacher, sans jamais attenter à sa couronne ni à sa vie.

Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.
Aussi, après sa mort, il ne se laissa nullement aller à l'ambition de régner en sa place; au contraire, il céda très-volontiers cet honneur, premièrement à Salomon, flls d'André, son cousin-germain, et en second lieu à Geiza II, son frère aîné, quoique, le royaume étant en quelque manière électif, il eût pu y prétendre par la faveur de tous les gens de bien qui avaient une affection singulière pour lui.
Mais Geiza ayant chassé Salomon, prince cruel et sanguinaire, qui mutait tout à feu et à sang dans ses Etats, et lui-même étant mort depuis, dans la troisième année de son règne, tous les prélats, les seigneurs et les magistrats des principales villes de Hongrie, qui s'assemblèrent pour lui donner un successeur, supplièrent unanimement Ladislas d'accepter la couronne et de prendre le gouvernement du royaume. Il avait en effet toutes les qualités du corps et de l'esprit que l'on peut souhaiter dans un grand prince.
Il n'y avait personne dans toute la Hongrie, ni plus grand, ni d'un port plus majestueux que lui ; il était capable de toutes les affaires, tant de la paix que de la guerre, et il en supportait aisément toutes les fatigues. Il recevait tout le monde avec tant d'affabilité, que le moindre de ses vassaux avait la liberté de l'approcher et de lui représenter son droit. Il montrait tant de modération dans ses jugements, qu'on le regardait plutôt comme un père qui accommodait quelque différend de ses enfants, que comme un prince qui jugeait souverainement les causes de ses sujets ce qui lui avait fait donner le surnom de Pieux. La qualité de fils et de frëre de rois, ni celle de duc du premier duché du royaume, ne l'empêchèrent pas de se rendre familier avec les moins considérables de ses sujets, et de donner en toute occasion des marques d'une humilité vraiment chrétienne.
Dans tous les besoins de l'Etat, qui fut souvent attaqué par les barbares, on le voyait toujours le premier à cheval pour le défendre, et, allant lui-même à la tête des armées sans rien craindre, il y remplissait le devoir du plus brave soldat et du plus intrépide capitaine ; il n'avait pas même fait difficulté, pour épargner le sang humain, d'appeler les généraux des armées ennemies en des combats singuliers dont il était toujours sorti victorieux.
Il demeura toujours très-chaste, malgré les dangers auxquels sa vertu fut exposée dans les cours. La sobriété était en lui la compagne inséparable de la continence, et, si sa qualité de prince l'obligeait ordinairement d'avoir une table bien servie, il n'y prenait que ce qui lui était absolument nécessaire pour vivre. Il jeûnait même souvent, couchait sur la dure et faisait d'autres mortifications pour dompter son corps et l'empêcher de se révolter contre l'esprit. S'il était si sévère à l'égard de lui-même, personne n'était plus doux et plus charitable que lui envers les nécessiteux.
Sa maison passait pour l'asile commun de tous les misérables, et, en effet, pas un n'en sortait sans y avoir reçu quelque soulagement à sa misère. Les pauvres montraient de tous côtés les habits dont il les avait revêtus et l'argent qu'il leur avait donné. Il prenait le soin de la subsistance des veuves, des pupilles et des orphelins, et leur faisait distribuer de grandes aumônes. Il mariait les pauvres filles qu'il voyait en danger de perdre leur honneur ; il relevait les familles ruinées par de fâcheux accidents ; et, pour tout dire en un mot, on trouvait auprès de lui un. secours assuré pour toute sorte de besoins. Les églises magnifiques qu'il avait fait construire après la défaite de Salomon, étaient une marque évidente de sa piété envers Dieu ; mais il l'avait fait paraître encore davantage en soutenant constamment par toute la Hongrie la religion chrétienne, pour laquelle la plus grands partie du peuple, et surtout des paysans accoutumés à leurs idoles, n'avaient pas grande inclination.

Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.
Ce furent sans doute ces rares qualités qui obligèrent les seigneurs hongrois à lui présenter la couronne avec tant d'instance. Cependant il leur résista autant qu'il lui fut possible. Il considérait, d'un côté, que les rois sont exposés à une infinité de dangers de se perdre, parce que leurs obligations sont très-grandes et qu'ils ont devant les yeux mille attraits qui les empêchent de s'en acquitter ; et, d'autre part, il avait de la peine à prendre la qualité de roi pendant que Salomon, son cousin, à qui cette couronne semblait appartenir légitimement, était en vie ; et, en effet, Geiza, son frère, avant de mourir, avait tenté un accommodement avec ce prince, et n'était mort que dans la résolution de le faire s'il était possible.
Mais les Hongrois lui soutinrent que, ce royaume étant plutôt électif qu'héréditaire, ils avaient eu le droit de le donner à Geiza plutôt qu'à Salomon, et qu'ils avaient encore le droit de le préférer lui-même à ce prince cruel, qui ne pouvait monter sur le trône sans mettre toute la Hongrie en combustion ; d'ailleurs, ils lui protestèrent qu'ils n'auraient point d'autre roi que lui ; il fut donc enfin contraint de se rendre et d'accepter le gouvernement qu'ils lui offraient. Mais il garda encore en cela une modération digne d'un grand prince ; car, tant qu'il sut que son cousin était en vie, il ne voulut point être couronné ni porter le diadème montrant par là que, s'il était chargé de l'administration de l'Etat, il ne l'avait pas fait par un désir ambitieux de régner, mais seulement par nécessité et pour le grand amour qu'il portait à sa patrie.
Aussi, dès qu'il eut établi la paix et la piété dans le royaume, il n'épargna aucun moyen, ni divin, ni humain, pour gagner l'esprit de Salomon, et pour lui faire quitter cette humeur farouche et cruelle qui le faisait redouter de tout le monde ; il lui donna des pensions suffisantes pour entretenir, un train royal ; il lui envoya souvent des prélats et des hommes d'Etat qui devaient avoir du crédit sur son esprit, pour essayer de l'adoucir et de lui faire prendre des inclinations de père pour les peuples, et il était prêt à lui céder la couronne, s'il eût vu du changement dans ses moeurs.

Statue de saint Ladislas. Place des Héros. Budapest.
Mais ce prince, bien loin de correspondre aux saintes inclinations de Ladislas, fit ce qu'il put pour le détruire et lui dressa même des embûches où, sous prétexte d'un pourparler, il devait le tuer. Cela obligea notre Saint, averti de sa perfidie, de s'assurer de sa personne, et de le mettre en prison dans Vizzegrad, place forte de Hongrie; mais ce ne fut pas pour longtemps ; car, ayant appris d'une sainte religieuse que cette conduite n'était pas agréable à Dieu, et que c'était pour cela que la pierre du tombeau de saint Etienne, qu'il avait voulu faire lever pour transférer son corps sacré, était demeurée immobile, il le mit en liberté et le traita avec toute sorte d'humanité.
Depuis, ce roi dépouillé entra en diverses guerres contre les princes voisins, plutôt en chef de bandits qu'en grand capitaine ; mais, ayant un jour été entièrement défait, il fut contraint de s'enfuir tout seul dans une épaisse forêt, d'où il ne revint point. Les historiens disent qu'il y fut si puissamment touché de l'esprit de pénitence, qu'il y passa plusieurs années en solitude dans les larmes et des gémissements continuels, et sans avoir d'autre lit que les feuilles des arbres, d'autre vêtement qu'un cilice et quelques peaux de bêtes sauvages, ni d'autre nourriture que des herbes qu'il trouvait dans les bois, ou quelques pommes sauvages avec l'eau croupie des marais ; et qu'enfin il y mourut fort saintement et fut enterré à Pola, ville de l'Istrie. Cela nous donne sujet d'admirer la bonté infinie de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui abaisse les hommes pour les élever, qui les blesse pour les guérir, et qui les réduit à l'extrémité de la misère pour les faire entrer dans le chemin du véritable bonheur.
Salomon étant disparu de cette manière, Ladislas n'eut plus rien dans ses Etats qui pût s'opposer aux bons règlements qu'il y voulait établir. Ainsi il fit assembler un synode, où on fit en sa présence plusieurs belles ordonnances pour contenir ses sujets dans la justice et dans l'observance de la loi divine et elles furent ensuite réduites en trois livres que nous avons à la fin de l'Histoire de Hongrie, par Bonfinius. Son exemple fut encore plus efficace pour maintenir les Hongrois dans leur devoir, que toutes ses lois ; car il n'ordonnait rien qu'il ne fît le premier, et il était si fidèle observateur de tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'on pouvait l'appeler lui-même une loi vivante, qui représentait à chacun ce qu'il était obligé de faire. Son palais était si bien réglé, qu'on entendait ni jurement, ni blasphème, ni paroles déshonnëtes les jeûnes ecclésiastiques y étaient exactement gardés, et on y vivait avec tant de retenue, qu'il ressemblait plutôt à une maison religieuse qu'à la cour d'un roi.
Il avait été fort zélé à bâtir des églises, où les louanges de Dieu fussent chantées continuellement il en fonda encore d'autres depuis son avénement à la couronne, surtout la célèbre basilique de Notre-Dame de Varadin, qui fut érigée en évêché ; il assistait fort assidûment aux divins offices, et passait souvent plusieurs heures en prières en ces lieux de dévotion. Sa miséricorde pour les nécessiteux, bien loin de diminuer par son exaltation, s'augmenta au contraire notablement, et non-seulement il s'étudia a n'en point faire de nouveaux par la multiplication des impôts et des subsides, mais il s'appliqua aussi de tout son pouvoir à soulager ceux qui l'étaient ou qui le devenaient par le malheur de leurs affaires.
Il eut de grandes guerres pendant son règne il fut attaqué par les Huns, les Russes, les Polonais, les Bohémiens, et d'autres peuples voisins. Mais il les repoussa toujours, et remporta même sur eux des victoires signalées, principalement sur les Huns qu'il défit deux fois entièrement, et sur les Polonais, à qui il prit Cracovie, qui était la capitale du royaume. Avant de partir pour la guerre, il faisait toujours faire des prières publiques et un jeûne de trois jours; et, quoiqu'il eût soin d'assembler de bonnes troupes, qu'il marchât toujours à la tête et qu'il se jetât lui-même courageusement sur les ennemis, il ne mettait pas néanmoins sa confiance en ses forces, mais seulement dans le secours de Dieu, qu'il implorait avec de grandes instances. Il avait en particulier une grande dévotion à Notre Dame qui fut toujours sa meilleure alliée. Avant chaque bataille, il faisait toujours des prières publiques et les faisaient précéder de trois jours de jeûne.
Après tant de généreux exploits, son plus grand désir était de conduire une armée contre les infidèles, pour reprendre sur eux la Terre sainte, et délivrer de leurs mains le tombeau de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'espérance qu'il avait de répandre son sang pour la gloire de son Maître, et de devenir martyr l'animait principalement à cette expédition. Il s'en présenta une occasion très favorable car le célèbre Pierre l'Ermite avait prêché de-tous côtés la croisade par l'ordre du pape Urbain II. Les princes de France, d'Espagne et d'Angleterre, qui s'étaient croisés, envoyèrent une célèbre ambassade à notre saint roi, pour le prier d'être le chef de l'armée qu'ils préparaient, et qui ne devait pas être moindre de trois cent mille hommes.

La couronne de saint Etienne.
On ne peut exprimer la douleur dont toute la Hongrie fut remplie lorsque la nouvelle de sa mort y fut répandue chacun le regrettait comme le père des pauvres, comme le soutien de l'Etat, comme le restaurateur de la piété et de la justice, comme le défenseur de la virginité, comme l'appui de l'Eglise et comme le modèle de toute sainteté. On en porta le deuil pendant trois ans, et, durant tout ce temps, on ne fit aucune réjouissance ni publique ni particulière dans tout le royaume.
Son corps fut porté solennellement à Varadin, pour y être enterré dans l'église Notre-Dame, qu'il avait fondée. Deux miracles rendirent le convoi fort célèbre. Ceux qui le conduisaient s'endormirent si profondément dans le dernier gîte, par la grande lassitude où ils étaient, qu'ils ne se levèrent qu'à trois heures de jour ; le chariot où était le saint corps marcha tout seul vers Varadin, sans être traîné par aucun cheval, et se rendit si vite au lieu que le bienheureux roi avait marqué pour sa sépulture, qu'il y arriva avant que les conducteurs le pussent atteindre. Quelqu'un de la troupe ayant dit que le même corps sentait mauvais, contre le témoignage de tous les autres, qui assuraient qu'il exhalait une odeur très agréable, la bouche lui tourna aussitôt, et son menton s'attacha tellement à son épaule, qu'il lui fut impossible de se lever jusqu'à ce qu'il eût reconnu sa faute et demandé pardon au Saint.
prêchant la première croisade. Châtillon-sur-Marne.
On représente ordinairement notre Saint avec deux anges à ses côtés ce sont les deux anges protecteurs que Salomon, parent du jeune prince, vit auprès de Ladislas quand il lui faisait la guerre. On rapporte d'ailleurs que Ladislas étant mort, son cercueil fut porté par deux anges jusqu'à l'église que ce Saint avait fait bâtir en l'honneur de la très-sainte Vierge.
On le voit parfois tenant de la même main son chapelet et son sabre ; c'était sa manière ordinaire de charger l'ennemi ; heureuse et salutaire inspiration qui trouverait aujourd'hui bien des critiques, mais dont il n'eut jamais à se repentir. Assez ordinairement on le peint avec l'étendard hongrois, pour montrer que sa charité, ses prières et ses fondations pieuses ne l'empêchaient pas d'être un redoutable et vaillant prince. Rien n'empêche de lui mettre une église dans les mains, puisqu'il est le fondateur de nombreuses basiliques et notamment de la cathédrale dédiée à Notre-Dame dans la ville de Varadin. Les estampes hongroises nous le présentent fréquemment faisant jaillir d'une roche abrupte, avec sa lance, une fontaine d'eau vive dont il désaltère ses soldats qu'il conduit à la guerre.
Les artistes ne dédaignent pas de le peindre quelquefois avec le globe impérial timbré de la croix, parce qu'il refusa l'empire que lui offraient les princes allemands. Enfin, la hache d'armes ou la lance qu'on lui met assez souvent à la main est une allusion soit à son duel avec un chef ennemi, soit au coup de lance qui fit jaillir la fontaine miraculeuse dont nous avons parlé, soit, en général, à ses vertus guerrières.
Saint Ladislas. Statue. Budapest. Royaume de Hongrie.
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dimanche, 26 juin 2022
26 juin. Saint Jean et saint Paul, frères, martyrs. 362.
- Saint Jean et saint Paul, frères, martyrs. 362.
Pape : Saint Libère*. Empereur romain : Julien l'Apostat.
" Ils étaient frères déjà et par le sang et par la naissance ; une même foi, une même mort, voilà ce qui a mis le dernier sceau à cette fraternité."
M. l'abbé C. Martin.

Bréviaire franciscain. XVe.
Parmi les sanctuaires nombreux qui décorent la capitale de l'univers chrétien, l'Eglise des Saints-Jean-et-Paul est restée, depuis sa lointaine origine, un des centres principaux de la piété romaine. Du sommet du Cœlius elle domine le Colisée. On a retrouvé dans ses substructions les restes primitifs de la maison même qu'habitaient nos deux saints. Derniers des martyrs, ils achevèrent la couronne glorieuse offerte au Christ par cette Rome qu'il avait choisie pour siège de sa puissance. La lutte où leur sang fut versé consomma le triomphe dont l'heure avait sonné sous Constantin, mais qu'un retour offensif de l'enfer semblait compromettre.
Aucune attaque ne fut plus odieuse à l'Eglise, que celle du César apostat qu'elle avait nourri. Néron et Dioclétien, violemment et dans toute la franchise de leur haine, avaient déclaré au Dieu fait homme la guerre du glaive et des supplices ; et, sans récrimination, les chrétiens étaient morts par milliers, sachant que le témoignage ainsi réclamé d'eux était dans l'ordre, non moins que ne l'avait été, devant Ponce Pilate et sur la croix, celui de leur Chef (I Tim. VI, 13.).
Avec l'astucieuse habileté des traîtres et le dédain affecté du faux philosophe, Julien se promit d'étouffer le christianisme dans les réseaux d'une oppression savamment progressive, et respectueuse du sang humain : écarter les chrétiens des charges publiques, les renvoyer des chaires où ils enseignaient la jeunesse, c'était tout ce que prétendait l'apostat. Mais le sang qu'il eût voulu éviter de répandre, devait couler quand même sur ses mains hypocrites ; car l'effusion du sang peut seule, selon le plan divin, dénouer les situations extrêmes, et jamais plus grand péril n'avait menacé l'Eglise : elle qu'on avait vue garder sa royale liberté devant les bourreaux, on la voulait esclave, en attendant qu'elle disparût d'elle-même dans l'impuissance et l'avilissement.
Aussi les évêques d'alors trouvèrent-ils à l'adresse de l'apostat, dans leur âme indignée, des accents que leurs prédécesseurs avaient épargnés aux princes dont la violence avait inondé de sang chrétien tout l'empire. On rendit au tyran mépris pour mépris ; et le dédain, dont les témoignages arrivaient de toutes parts au fat couronné, finit par lui arracher son masque de fausse modération : Julien n'était plus qu'un vulgaire persécuteur, le sang coulait, l'Eglise était sauvée.
Ainsi nous est expliquée la reconnaissance que cette noble Epouse du Fils de Dieu n'a point cessé de manifester, depuis lors, aux glorieux martyrs que nous célébrons : parmi les chrétiens généreux dont l'indignation amena le dénouement de la terrible crise, il n'en est point de plus illustres. Julien eût été fier de les compter parmi ses familiers ; il les sollicitait dans ce sens, nous dit la Légende, et on ne voit pas qu'il y mît pour condition de renoncer à Jésus-Christ. N'auraient-ils donc pu, dira-t-on, se rendre au désir impérial, sans blesser leur conscience ? Trop de raideur devait fatalement indisposer le prince ; tandis que l'écouter, c'était l'adoucir, l'amener, peut-être, à relâcher quelque chose de ces malheureuses entraves administratives que son gouvernement prévenu imposait à l'Eglise. Et, qui sait ? la conversion possible de cette âme, le retour de tant d'égarés qui l'avaient suivie dans sa chute, tout cela ne méritait-il pas, tout cela n'imposait-il. pas quelque ménagement ?

Saint Jean et saint Paul avec Constance, fille de Constantin.
Eh ! oui : ce raisonnement eût paru à plusieurs d'une sage politique ; cette préoccupation du salut de l'apostat n'eût rien eu, sans doute, que d'inspiré par le zèle de l'Eglise et des âmes ; et, véritablement, le casuiste le plus outré n'aurait pu faire un crime à Jean et à Paul, d'habiter une cour où l'on ne leur demandait rien de contraire aux préceptes divins. Telle ne fut point pourtant la résolution des deux frères ; à la voie des ménagements, ils préférèrent celle de la franche expression de leurs sentiments qui mit en fureur le tyran et causa leur mort. L'Eglise jugea qu'ils n'avaient point tort; et il est, en conséquence, peu probable que la première de ces voies les eût conduits au même degré de sainteté devant Dieu.
Les noms de Jean et de Paul, inscrits au diptyque sacré, montrent bien leur crédit près de la grande Victime, qui ne s'offre jamais au Dieu trois fois Saint sans associer leur souvenir à celui de son immolation. L'enthousiasme excité par la noble attitude des deux vaillants témoins du Seigneur, a prolongé jusqu'à nous ses échos dans les Antiennes et Répons propres à la fête.
Autrefois précédée d'une Vigile avec jeûne, cette fête remonte au lendemain même du martyre des deux frères, ainsi que le sanctuaire qui s'éleva sur leur tombe. Par un privilège unique, exalté au Sacramentaire Léonien, tandis que les autres martyrs dormaient leur sommeil en dehors des murs de la ville sainte, Jean et Paul reposaient dans Rome même, dont la conquête définitive était acquise au Dieu des armées grâce à leurs combats. Un an jour pour jour après leur trépas victorieux (26 juin 363), Julien mourait, lançant au ciel son cri de rage :
" Tu as vaincu, Galiléen !"
De la cité reine de l'univers, leur renommée, passant les monts, brilla aussitôt d'un éclat presque égal en notre terre des Gaules. Au retour des luttes que lui aussi avait soutenues pour la divinité du Fils de Dieu, Hilaire de Poitiers propagea leur culte. A peine cinq années s'étaient écoulées depuis leur martyre, que le grand évêque s'en allait au Seigneur ; mais il avait eu le temps de consacrer sous leur nom l'église où ses mains pieuses avaient déposé la douce Abra et celle qu'elle avait eue pour mère, en attendant que lui-même vînt, entre elles deux, attendre la résurrection.
C'est de cette Eglise des Saints-Jean-et-Paul, devenue bientôt après Saint-Hilaire-le-Grand, que Clovis, à la veille de la bataille de Vouillé, vit sortir et se diriger vers lui la mystérieuse lumière, présage du triomphe qui devait chasser l'arianisme des Gaules et fonder l'unité monarchique. Les saints martyrs continuèrent de montrer, dans la suite, l'intérêt qu'ils prenaient à l'avancement du royaume de Dieu par les Francs ; lorsque l'issue de la seconde croisade abreuvait d'amertume saint Bernard qui l'avait prêchée, ils apparurent ici-bas pour relever son courage, et lui manifester par quels secrets le Roi des cieux avait tiré sa gloire d'événements où les hommes ne voyaient que désastres et fautes (Bern. Ep. 386, al. 333, Joannis Casae-Marii ad Bern.).

Missel romain. XIVe.
Jean et Paul étaient deux frères de haute famille ; ils demeuraient à Rome et remplissaient des emplois fort honorables dans la maison princière de Constance, fille de Constantin. Ils se faisaient remarquer par leurs oeuvres de piété et par une grande charité envers les pauvres.
Quand Julien l'Apostat fut monté sur le trône, ils renoncèrent à toutes leurs charges et se retirèrent dans leur maison du mont Coelius, dont on a retrouvé récemment des parties fort intéressantes et bien conservées, sous l'antique église construite en leur honneur et administrée encore aujourd'hui par les pseudo-Passionistes.
Julien n'était pas moins altéré de l'or que du sang des chrétiens, il résolut de s'emparer des biens des deux frères, qui avaient méprisé de le servir. Il leur fit demander de venir à sa cour, comme du temps de Constantin et de ses fils ; mais ils refusèrent de communiquer avec un apostat. Dix jours de réflexion leur sont accordés ; ils en profitent pour se préparer au martyre par les oeuvres de charité.
Ils vendent tout ce qu'ils peuvent de leurs propriétés, et distribuent aux pauvres argent, vêtements, meubles précieux, plutôt que de voir tous ces biens tomber entre les mains d'un homme aussi cupide qu'impie ; ils passent ensuite le reste de leur temps à prier et à fortifier les fidèles dans la résolution de mourir pour Jésus-Christ plutôt que d'abandonner la religion.
Le dixième jour, l'envoyé de l'empereur les trouve en prière et disposés à tout souffrir pour leur foi :
" Adorez Jupiter !", leur dit-il en leur présentant une petite idole de cette divinité.
" A Dieu ne plaise, répondent-ils, que nous adorions un démon ! Que Julien nous commande des choses utiles au bien de l'État et de sa personne : c'est son droit ; mais qu'il nous commande d'adorer les simulacres d'hommes vicieux et impurs, cela dépasse son pouvoir. Nous le reconnaissons pour notre empereur, mais nous n'avons point d'autre Dieu que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui sont un seul Dieu en trois personnes."
Le messager, voyant qu'il ne pourrait ébranler leur courage invincible, ordonna de creuser une fosse dans leur jardin ; il les fit décapiter pendant la nuit dans leur propre maison, et ensuite enterrer secrètement.

Décollation de saint Jean et saint Paul par Julien l'Apostat.
L'empereur, craignant que cette exécution ne soulevât la réprobation de Rome, répandit le bruit qu'il les avait envoyés en exil ; mais les démons publièrent leur mort et leur triomphe, et l'exécuteur des ordres de Julien, après avoir vu son fils délivré du démon par l'intercession des martyrs, se convertit avec sa famille.
ANTIENNES ET RÉPONS
Nous donnons à la suites Antiennes et Répons propres dont il est pairlé plus haut, et qui se trouvent quant à l'ensemble, avec quelques variantes, dans les plus anciens Responsoriaux et An-tiphonaires parvenus jusqu'à nous. Le personnage mentionné dans l'une de ces Antiennes,sous le nom de Gallicanus , est un consulaire qui fut amené par les deux frères à la foi et à la sainteté ; sa mémoire était célébrée hier même au Martyrologe :
" Paul et Jean dirent à Julien : Nous adorons un seul Dieu, qui a fait le ciel et la terre.
Paul et Jean dirent à Térentianus : Si Julien est votre maître, ayez la paix avec lui ; pour nous, il n'en est point d'autre que le Seigneur Jésus-Christ.
Jean et Paul, connaissant bien la tyrannie de Julien, se mirent à distribuer leurs richesses aux pauvres.
Esprits célestes et âmes des justes, chantez un hymne à Dieu. Alléluia.
Jean et Paul dirent à Gallicanus : " Faites un vœu au Dieu du ciel, et vous serez vainqueur mieux que vous ne l'avez été."
Ant. de Magnificat aux premières Vêpres :
" Les justes se sont tenus devant le Seigneur, et n'ont point été séparés l'un de l'autre ; ils ont bu le calice du Seigneur, et on les a appelés amis de Dieu."
Ant. de Magnificat aux deuxièmes Vêpres :
" Ce sont là les deux oliviers et les deux chandeliers allumés qui sont devant le Seigneur ; ils ont la puissance d'empêcher le ciel de pleuvoir, et d'ouvrir ses portes ; car leurs langues sont devenues les clefs du ciel."
A Benedictus :
" Ce sont là les saints qui, pour l'amour du Christ, ont méprisé les menaces des hommes ; saints martyrs, ils tressaillent avec les anges dans le royaume des cieux ; oh ! qu'elle est précieuse la mort des saints, qui toujours se tiennent devant le Seigneur et ne sont point sépares l'un de l'autre !"
R/. Ce sont là les deux hommes de miséricorde, qui se tiennent devant le Seigneur " Souverain de toute la terre ".
V/. Ce sont là les deux oliviers et les deux chandeliers allumés, présents devant le Seigneur " Souverain de toute la terre ".
R/. J'ai vu, près l'un de l'autre, des hommes couverts de vêtements resplendissants ; et un ange du Seigneur m'a dit :
" Ce sont là les hommes pleins de sainteté, devenus les amis de Dieu."
V/. J'ai vu un ange de Dieu, plein de force, volant par le milieu du ciel, criant d'une voix retentissante et disant :
" Ce sont là les hommes pleins de sainteté, devenus les amis de Dieu."

Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.
PRIERE
" Un double triomphe éclate au ciel et renvoie une double joie à la terre, en ce jour où votre sang répandu proclama la victoire du Fils de Dieu. C'est par le martyre de ses fidèles, en effet, que le Christ triomphe. L'effusion de son propre sang marqua la défaite du prince du monde ; le sang de ses membres mystiques garde toujours, et possède seul, la vertu d'établir son règne. La lutte ne fut jamais un mal pour l'Eglise militante ; la noble Epouse du Dieu des armées se complaît dans les combats ; car elle sait que l'Epoux est venu apporter sur terre, non la paix, mais le glaive (Matth. X, 34.). Aussi, jusqu'à la fin des siècles, proposera-t-elle en exemple à ses fils votre chevaleresque courage, et la franchise qui ne vous permit pas de dissimuler votre mépris au tyran apostat, de songer même aux considérations par lesquelles peut-être, en l'écoutant d'abord, votre conscience se fût tenue sauve.
Malheur aux temps où le mirage décevant d'une paix trompeuse égare les intelligences ; où, parce que le péché proprement dit ne se dresse pas devant elle, l'âme chrétienne abaisse la noblesse de son baptême à des compromis que répudierait l'honneur même d'un monde redevenu païen ! Illustres frères, écartez des enfants de l'Eglise l'erreur fatale qui les porterait à méconnaître ainsi les traditions dont ils ont reçu l'héritage ; maintenez la race des fils de Dieu à la hauteur de sentiments que réclament leur céleste origine, le trône qui les attend, le sang divin dont ils s'abreuvent chaque jour ; loin d'eux toute bassesse, et cette vulgarité qui attirerait, contre leur Père qui est aux cieux, le blasphème des habitants de la cité maudite ! Nos temps ont vu s'élever une persécution qui rappelle en tout celle où vous avez remporté la couronne : le programme de Julien est remis en honneur ; si les émules de l'apostat ne l'égalent point en intelligence, ils le dépassent dans sa haine et son hypocrisie. Mais Dieu ne fait pas plus défaut à l'Eglise maintenant qu'autrefois ; obtenez que de notre part la résistance soit la même qu'en vos jours, et le triomphe aussi sera le même.
Jean et Paul, vous nous rappelez par vos noms et l'Ami de l'Epoux dont l'Octave poursuit son cours, et ce Paul de la Croix qui fit revivre au dernier siècle l'héroïsme de la sainteté dans votre maison du Coelius. Unissez votre protection puissante à celle que le Précurseur étend sur l'Eglise mère et maîtresse, devenue, en raison de sa primauté, le but premier des attaques de l'ennemi ; soutenez la milice nouvelle que les besoins des derniers temps ont suscitée près de votre tombe, et qui garde dans une commune vénération vos restes sacrés et le corps de son glorieux fondateur. Vous souvenant enfin du pouvoir que vous reconnaît l'Eglise d'ouvrir et de fermer les portes du ciel, pour répandre ou arrêter la pluie sur les biens de la terre: bénissez les moissons prêtes à mûrir; soyez propices aux moissonneurs, allégez leurs pénibles travaux ; gardez du feu du ciel l'homme et ses possessions, la demeure qui l'abrite, les animaux qui le servent. Ingrate, oublieuse, trop souvent criminelle, l'humanité n'aurait droit qu'à votre colère ; montrez-vous les fils de Celui dont le soleil se lève pour les méchants comme pour les bons, et qui fait pleuvoir également sur les justes et les pécheurs (Matth. V, 45.)."
* Rappelons toujours et encore que le pape saint Libère - ainsi de saint Marcelin et d'Honorius d'ailleurs - ne fut jamais hérétiques car un pape ne peut pas l'être, ne l'a jamais été et ne le sera jamais.
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samedi, 25 juin 2022
25 juin. Saint Salomon, roi et martyr en Bretagne. 874.
Nicolas Ier, pape. Lettre à saint Salomon.

Saint Salomon était de la race des anciens princes Bretons. Il était fort jeune, quand Rivallon, son père, mourrut, et son oncle Nominoé eut pour lui des soins et des bontés dont Salomon resta toujours reconnaissant.
Après la mort de Nominoé, en 851, il n'eut pas les mêmes égards ni le même attachement pour Erispoé, son successeur. Sous prétexte qu'il descendait du frère aîné de Nominoé, et qu'il avait plus de droits sur la Bretagne que son cousin, il se mit à caballer contre lui, et obtint du roi Charles-le-Chauve, en 853, le tiers de la Bretagne, sous la suzeraineté d'Erispoé.
Cette première satisfaction le rendit paisible pendant quelques années. Mais en 857, craignant de voir passer la couronne sur une autre tête, par le mariage de la fille de son rival, il ourdit une noire conspiration, et ne craignit pas de poursuivre Erispoé jusque dans une église, et de l'assassiner sur l'autel même.
Les Bretons, ignorant ce crime, acceptèrent Salomon pour roi, et l'aidèrent à repousser les Francs qui cherchaient à envahir la Bretagne. A part son crime, Salomon avait toutes les qualités que l'on peut souhaiter dans un prince : une taille majestueuse, la science de la guerre, un courage intrépide; il fît aussi paraître depuis beaucoup de justice et de piété.
Mais Dieu, qui ne laisse jamais le crime impuni, suscita à Salomon une foule d'affaires et d'épreuves qui servirent à expier son péché et à sanctifier son âme. Sans parler des guerres qu'il eût à soutenir contre les Francs et contre les Normands, il dût s'occuper des évêques injustement déposés, en 847, par Nominoé, et cette épineuse affaire lui occasionna bien des correspondances et bien des embarras, soit avec les évêques, soit avec le pape lui-même.

Eglise Saint-Salomon de Mezzer-Salün (" martyr de Salomon ")
Sans compter les pénitences qu'il accomplissait, Salomon, pour se purifier de plus en plus, multipliait les bonnes oeuvres, bâtissait le monastère de Plélan ou de saint-Maixent, et le comblait de dons magnifiques.
Cependant, une conspiration se trâmait aussi contre Salomon : la peine du Talion lui était réservée. Surpris par les conjurés et incapable de résister, il prit la fuite et se réfugia dans un petit monastère aux confins du Poher et du Léon, dans une paroisse appelée jadis Mezzer-Salün (" martyr de Salomon "), et aujourd'hui " La Martyre " (Finistère).
Les rebelles investirent sa retraite le 23 juin 874. Un reste de religion les empêcha de rien entreprendre contre lui le jour suivant, fête de la nativité de saint Jean Baptiste. Ils lui envoyèrent seulement un évêque pour l'engager à quitter son asile et à se rendre volontairement pour éviter la profanation possible du lieu saint. Salomon, résigné à tout, se munit du Sacrement de l'Eucharistie et se présenta devant ses ennemis avec un courage magnanime. Les Bretons, frappés de respect, n'osèrent tirer l'épée contre lui, et ils le livrèrent à Fulcoald, et à quelques autres Français qui lui firent crever les yeux par son propre filleul.
Le vieux roi ne pût survivre à ce cruel supplice et fût trouvé mort le lendemain, 25 juin 874. C'est encore le jour où l'Eglise de Vannes honore sa mémoire.
Le corps du roi Salomon fût inhumé dans le monastère de Plélan ou de Saint-Maixent, conformément aux désirs qu'il avait exprimés de reposer auprès de la reine Wembrit. Plus tard, ce corps fut enlevé, probablement pendant les ravages des Normands, et transporté, paraît-il, jusqu'à Pithiviers, au diocèse d'Orléans, où une église fût érigée en son honneur. Cependant une partie de ses reliques resta ou revint en Bretagne, car l'église de Saint-Salomon, à Vannes, possédait quelques ossements de ce saint roi jusqu'à la révolution. Depuis la destruction de l'église de Saint-Salomon en 1793, les reliques ont été transférées à la cathédrale, où elles sont encore l'objet de la vénération des fidèles.
Rq : On lira avec fruit la conséquente notice que dom Lobineau consacre à saint Salomon dans " Les vies des saints de Bretagne " (pp 193 et suiv.) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114592x.pagination
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25 juin. Saint Guillaume de Verceil, abbé, fondateur de la congrégation du Monte-Vergine. 1142.
Saint Jean Chrysostome. Hom. XXXIII sup Gen.
Ce n'est pas seulement dans la gloire incomparable du martyre, que l'Emmanuel fait éclater la puissance de sa grâce et la force victorieuse des exemples laissés par son Précurseur au monde. Voici que s'offre tout d'abord à nos hommages, un de ces innombrables athlètes de la pénitence qui suivirent Jean au désert ; fuyant comme lui, dès le plus jeune âge, une société où leur âme pressent qu'elle ne trouverait que froissements et périls, consacrant leur vie au triomphe complet du Christ en eux sur la triple concupiscence, ils rendent témoignage au Seigneur par des œuvres que la terre ignore, mais qui réjouissent les anges et font trembler l'enfer. Guillaume fut un des chefs de cette milice sainte. L'Ordre du Mont-Vierge, qui lui doit l'existence, a bien mérité de l'institut monastique et de l'Eglise, en ces régions de l'Italie méridionale où Dieu voulut, à diverses reprises, opposer comme une digue à l'entraînement des sens le spectacle des plus austères vertus.
Personnellement et par ses disciples, Guillaume eut pour mission d'infuser au royaume de Sicile, qui se fondait alors, l'élément de la sainteté que tout peuple chrétien réclame à sa base. Au Midi comme au Nord de l'Europe, la race normande venait d'être providentiellement appelée à promouvoir le règne de Jésus-Christ. C'était le moment où Byzance, impuissante à protéger ses dernières possessions d'Occident contre l'invasion sarrasine, n'en prétendait pas moins garder les églises de ces contrées dans les liens du schisme, où l'avait récemment engagée l'intrigante ambition de Michel Cérulaire. Le Croissant s'était vu contraint de reculer devant les fils de Tancrède de Hauteville ; et la perfidie grecque fut déjouée à son tour parla rude simplicité de ces hommes, qui apprirent vite à n'opposer d'autre argument que celui de leur épée aux fourberies byzantines. La papauté, un instant hésitante, comprit bientôt également de quel secours lui seraient les nouveaux venus, dans les querelles féodales qui s'agitaient depuis deux siècles autour d'elle, et préparaient la longue lutte du sacerdoce et de l'empire.

C'était l'Esprit-Saint qui, comme toujours depuis les temps de la Pentecôte, dirigeait ici les événements au plus grand bien de l'Eglise. Il inspirait aux Normands d'établir leurs conquêtes sur la fermeté de la Pierre apostolique, en se reconnaissant les feudataires du Saint-Siège. Mais en même temps, pour récompenser la fidélité de ce début, pour les rendre aussi plus dignes de la mission qui eût continué de faire leur honneur et leur force, s'ils eussent continué de la comprendre, il leur donnait des saints. Roger Ier avait vu saint Bruno intercéder pour son peuple dans les solitudes de Calabre, et le sauver miraculeusement lui-même des embûches dressées par la trahison; Roger II eut pour le ramener dans les sentiers de la justice, dont il s'écartait trop souvent, l'exemple et les exhortations du fondateur du Mont-Vierge.
Guillaume naquit de parents nobles, à Verceil en Piémont. A peine avait-il achevé sa quatorzième année, qu'embrasé des ardeurs d une merveilleuse piété, il entreprit le pèlerinage de Compostelle au célèbre temple de saint Jacques. Vêtu d'une seule tunique, ceint d'un double cercle de fer, nu-pieds, en butte aux rigueurs du froid et de la chaleur, de la faim et de la soif, il accomplit sa route en grand danger de la vie. De retour en Italie, il médite un nouveau pèlerinage au saint tombeau du Seigneur ; mais diverses sortes d'obstacles très graves s'opposent à son projet.
La divine Providence tournait à des desseins plus hauts et plus parfaits les religieux penchants du jeune homme. C'est alors qu'il passa deux ans au mont Solicchio, priant sans interruption, jeûnant, veillant, couchant sur la dure, soutenu du seul secours divin.
Ayant rendu la vue à un aveugle, le bruit du miracle se répandit, et Guillaume, qui ne pouvait plus rester caché, songea de nouveau à se rendre à Jérusalem. Plein d'ardeur, il se mit en route.
Mais Dieu, qui voulait de lui une vie plus utile et plus fructueuse pour l'Italie et d'autres contrées, lui apparut et l'avertit de renoncer à sa résolution. Gagnant donc le mont Virgilien, appelé depuis Mont-Vierge, il bâtit avec une rapidité étonnante un monastère au sommet, en dépit des difficultés que présente ce lieu inaccessible. Des compagnons, touchés de la grâce, s'adjoignent à lui, voulant vivre conformément aux préceptes et aux conseils de l'Evangile. Des règles empruntées en grande partie à saint Benoit, et, d'autre part, la parole de Guillaume et l'exemple de sa vie très sainte les aident admirablement à atteindre ce but.

Saint Guillaume de Verceil dirigeant les travaux du
D'autres monastères s'élevèrent dans la suite ; de jour en jour, éclatait davantage la sainteté du fondateur ; de toutes parts on venait à lui, attiré par le parfum de cette sainteté et la renommée de ses miracles. Car, à son intercession, les muets recouvraient la parole, les sourds l'ouïe ; la vigueur était rendue aux membres desséchés, la santé à tous ceux qu'affligeaient les plus diverses et les plus irrémédiables maladies.
Il changea l'eau en vin, et accomplit une multitude d'autres merveilles, entre lesquelles il faut citer la suivante : une femme perdue ayant été envoyée pour éprouver sa chasteté, il se roula sur des charbons ardents étendus à terre sans en éprouver aucun mal.
Roger, roi de Naples, ayant eu connaissance de ce fait, conçut une vénération profonde pour l'homme de Dieu. Il prédit au roi et à d'autres le temps de sa mort, et, illustre par ses vertus et miracles sans nombre, il s'endormit enfin dans le Seigneur, l'an du salut mil cent quarante-deux.
Bien des révolutions sont venues depuis lors montrer en cette contrée, dans laquelle vous aviez souffert et prié, l'instabilité des royaumes et des dynasties qui ne cherchent pas avant tout le royaume de Dieu et sa justice. Malgré l'oubli où trop souvent, depuis que vous avez quitté la terre, ont été mis vos enseignements et vos exemples, protégez le pays où Dieu vous accorda des grâces si grandes, et qu'il daigna confier à votre intercession puissante. La foi reste vive en ces peuples : conservez-la, malgré les efforts de l'ennemi contre elle en nos jours ; faites-lui produire ses fruits dans le champ des vertus. A travers bien des épreuves, votre descendance monastique a pu, jusqu'en notre siècle de persécution, se propager et servir l'Eglise : obtenez qu'avec toutes les autres familles religieuses, elle se montre jusqu'au bout plus forte que la tempête. Notre-Dame, dont vous avez bien mérité, se tient prête à seconder vos efforts : du sanctuaire dont le nom a prévalu sur les souvenirs du poète qui, sans le savoir, avait chanté ses grandeurs (Virg. Egl. IV.), puisse-t-elle sourire toujours aux foules qui chaque année gravissent la sainte montagne, célébrant le triomphe de sa virginité ; puisse-t-elle, à nous qui ne pouvons que de cœur accomplir le sacré pèlerinage, tenir compte du désir et de l'hommage que nous lui présentons par vos mains !"
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vendredi, 24 juin 2022
24 juin 2022. Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
- Fête du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
Pape : Clément XIII. Roi de France : Louis XV.
" Le Sacré Cœur de Jésus est un abîme d’amour où il faut abîmer tout l’amour-propre qui est en nous, et toutes ses mauvaises productions qui sont le respect humain et les désirs de nous satisfaire."
Sainte Marguerite-Marie.
Sacré Coeur de Jésus. Batini. XVIIIe.
Fêtée 19 jours après la Pentecôte, la sollennité du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ est un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Eglise, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l'Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d'abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l'essence infinie. Puis, d'un seul bond, l'Esprit impétueux de la Pentecôte (Act. II, 2.), entraînant nos âmes à d'autres aspects delà vérité qu'il a pour mission de rappeler au monde (Johan. XIV, 26.), les a laissées un long temps prosternées au pied de l'Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur (Psalm. CX, 4.). Aujourd'hui c'est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu'il propose à nos adorations.
Partie noble entre toutes du corps de l'Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l'hommage réclamé par l'union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Eglise, il convient ici que nous la demandions de préférence à l'histoire de ce culte lui-même et à la place qu'occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.
Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l'Esprit n'est pas autre, en chacune d'elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste parla seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d'une fête à l'autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s'est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l'a portée l'inépuisable activité d'un amour sans bornes ? Le Cœur de l'Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l'explication du plan divin tout entier.
Nous savions que cette félicité souveraine du premier Etre, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l'Esprit dans la lumière et l'amour, les trois divines personnes avaient résolu d'en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l'homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l'âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l'homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l'Esprit sanctificateur, s'unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; " bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l'Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu'il se montrera, nous lui serons semblables " (I Johan. III, 2.), étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles (Ibid. 1, 3.).
Mais l'amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n'a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l'intermédiaire obligé d'un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d'une âme humaine, manifesté dans les battements d'un cœur de chair pareil au nôtre. L'Ange du grand conseil, chargé d'annoncer au monde les desseins miséricordieux de l'Ancien des jours, a revêtu, dans l'accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu'à nous (Ibid. 1-2.).
Paray-le-Monial.
Docile instrument de l'amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s'unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l'abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l'influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l'âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu'aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde (Johan, I, 9.), et pénétrant par la claire vision dans l'essence divine, saisit d'un seul regard la beauté absolue du premier Etre, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l'être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s'émut pour l'homme et pour Dieu d'un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l'Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.
A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l'organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu'à ce que les émotions, s'éveillant avec l'intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l'Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l'origine à la loi d'un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu'il l'est maintenant dans les cieux. Car l'amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l'exquise sensibilité de son divin Cœur.
Quand il parut ici-bas, l'homme avait désappris l'amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n'était plus qu'un chemin par où l'âme s'enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors (Luc. XV, 13.). A ce monde matériel que l'âme de l'homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l'Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l'ineffable expression d'un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l'Esprit d'amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l'unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C'est l'unique organum, ainsi l'appelait Gertrude la Grande (Legatus divinae pietatis. Lib. II, ch. 23 ; Lib. III, ch. 25.) ; c'est l'instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l'humble hommage de l'inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l'homme à Dieu, l'échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.
L'Esprit divin, dont il est le chef-d'œuvre, en a fait sa vivante image. L'Esprit-Saint, en effet, bien qu'il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l'amour, en est le terme ou l'expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c'est par lui que s'épanche à flots sur les créatures avec l'être et la vie cet amour éternel. Ainsi l'amour de l'Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l'eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.
" Un des soldats, dit l'Evangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l'eau." (Johan. XIX, 34.).
Arrêtons-nous sur ce fait de l'histoire évangélique qui dotine à la fête d'aujourd'hui sa vraie base ; et comprenons l'importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l'insistance du disciple de l'amour non moins qu'il la solennité des expressions qu'il emploie.
" Celui qui l'a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l'Ecriture fût accomplie." (Ibid. 35-36.).
L'Evangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l'effusion de l'Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem (Zach. XII, 10.). " Et ils verront dans celui qu'ils ont percé " (Ibid. ; Johan. XIX, 37.), ajoutait le prophète.
Mais qu'y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l'Ecriture et de l'histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Johan. III, 16.) ?"
Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l'attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain (Luc. III, 21-22.), quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l'Elu du Père et l'objet des divines complaisances (Isai. XLII, I.). Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu'à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. " Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n'en font qu'un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu'elle est dans son Fils." (I Johan. V, 7, 8, 11.). Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l'Homme-Dieu le dénouement de l'œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l'accomplissement des desseins éternels.
Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l'Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu'apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l'eau et le sang, Jésus-Christ ; et l'Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité (I Johan. V, 6.), quand il dit de lui-même que la vie est en lui (Johan. V, 26, etc.). Car c'est l'Esprit, nous dit l'Evangile (Ibid. VII, 37-39.), qui sort avec Veau du Cœur sacré, des sources du Sauveur (Isai. XII, 3.), et nous rend dignes du sang divin qui l'accompagne. L'humanité, renaissant de l’eau et de l'Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu (Johan. III.) ; et, préparée pour l'Epoux dans les flots du baptême, l'Eglise s'unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l'os de ses os et la chair de sa chair (Gen. II, 23 ; Eph. V, 30.), associés pour l'éternité à sa vie divine dans le sein du Père.
Va donc, Ô Juif ! Ignorant les noces de l'Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l'Epoux au lit nuptial ; qu'il s'étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l'alliance ; et que de son Cœur sorte l'Epouse, avec l'eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Epouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s'est élancé comme un géant dans la voie de l'amour; la soif du désira consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l'Epouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s'est endormi dans sa soif brûlante. Mais l'Epouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l'effort, s'est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s'est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l'humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?
Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l'Eglise naissante s'écrier à Dieu, dans l'ivresse de son cœur débordant : " Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, Ô ma gloire ! Ô réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion." (Psalm. CVII, 1-4.). Et le Seigneur s'est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Eglise. Car le Cœur de l'Epoux appartient à l'Epouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair (Gen. II, 24 ; Eph. V, 31.).
Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur (Cant. IV, 9.), le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d'où elle est sortie. Là sera pour l'Eglise le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l'origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l'Eglise (Eph. V, 32.), l'homme est le chef (I Cor. XI, 3.), et il n'appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu'elle s'adresse au cœur, et que rien ne résiste à l'amour. Si Adam a péché, c'est qu'Eve a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l'Eglise a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s'appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l'Eglise, puisqu'elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l'Epoux et l'Eglise l'Epouse.
Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n'exposaient point autrement que nous ne l'avons fait le mystère de la formation de l'Eglise du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent :
- " Les initiés connaissent l'ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l'Eglise a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t'approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ." (In Johan. Hom. 84.).
- " L'Evangéliste, explique saint Augustin, a usé d'une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu'elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C'était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l'ordre d'ouvrir au côté de l'arche, pour l'entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l'Eglise." (In Johan. Tract, CXX.).
" Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée (Isai. II, 10.), dans le côté du Christ ", interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le bienheureux Guerric, abbé d'Igny (In Domin. Palm. Serm. IV.). Et l'Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : " Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille " (Cant. II, 14.) :
" Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l'oiseau de proie volant à l'entour ! Que verrons-nous par l'ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu'à son Cœur, a voici qu'est révélé l'arcane, l'arcane du Cœur, le mystère de l'amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu'y a-t-il en vous, Ô Seigneur, que des trésors d'amour, des richesses a de bonté ? J'irai, j'irai à ces celliers d'abondance ; docile à la voix du prophète (Jerem. XLVIII, 28.), j'abandonnerai les villes, j'habiterai dans la pierre, j'aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse (Exod. XXXIII, 22.) à l'entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur." (In Cant. Serm. LXI.).
Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Eve du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille (I Reg. XVIII, 10-11.), comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n'était que la figure, dans la pierre qui est le Christ (I Cor. X, 4.), la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes (Lignum vitœ.).
Mais nous ne pouvons qu'effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l'ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l'amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l'intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Eglise.
Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d'Helfta, près Eisleben, en Saxe, l'Epoux divin se révélait à l'épouse qu'il avait choisie pour l'introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre :
" Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l'Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l'éditeur du Legatus divinœ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu. entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d'absinthe, et ce qu'elle a pris à longs traits, elle l'a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s'en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l'action du Cœur divin dans l'économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d'elle sainte Mechtilde, sa compagne.
L'une et l'autre, à l'égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l'Eglise. Nous n'en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur Jésus-Cherit a voulu qu'un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur Sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l'Eglise ; mais ils n'en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l'insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.
Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l'avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu'elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu'il avait senti lorsqu'il reposait sur ce Cœur sacré :
" Ma mission, dit-il, fut d'écrire pour l'Eglise encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu'à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l'amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères." (Le Héraut de l'amour divin, Liv. IV, ch. 4.).
Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu'elle en a dit dépasse tout ce que l'imagination de l'homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c'est une lyre touchée par l'Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c'est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s'enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C'est un encensoir d'or, d'où s'élèvent autant de divers parfums d'encens qu'il y a de races diverses d'hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c'est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s'immole lui-même. C'est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c'est une coupe où s'abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d'hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c'est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s'ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d'ineffables délices pour l'éternité." (Préface des Révélations de sainte Gertrude traduites sur la nouvelle édition latine des Bénédictins de Solesmes.).
En découvrant à Gertrude l'ensemble merveilleux que présente la traduction de l'amour infini dans le Cœur de l'Homme-Dieu, l'Esprit divin prévenait l'enfer au lieu même d'où devait surgir, deux siècles plus tard, l'apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l'odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu'avaient connu ses pères l'auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel (Apoc. XII, 4.). Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l'ennemi tenta de pénétrer au sein même de l'Eglise et d'y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d'affirmer les droits du domaine souverain du premier Etre, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s'éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.
Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l'avait aimée d'amour, qu'il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d'Adam le premier père, tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d'accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?
Image du Sacré Coeur de Jésus que sainte Marguerite-Marie
donnait à ses novices lorsqu'elle était maître de celles-ci.
Laissant de côté tant d'illustrations d'éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l'Eglise de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts (I Cor. I, 27.) avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d'un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l'institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l'humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd'hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l'adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s'emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l'âge, l'appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l'amour méconnu du Christ Sauveur.
" Etant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de Jui rendre amour pour amour, il me dit :
" Tu ne m'en peux rendre un plus grand qu'en faisant ce que je t'ai déjà tant de fois demandé."
Alors me découvrant son divin Cœur :
" Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu'il n'a rien épargné, jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce Sacrement d'amour. Mais ce qui m'est encore a le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C'est pour cela que je te demande que le premier vendredi d'après l'Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d'honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu'il lui soit rendu ." (Vie de la Bienheureuse écrite par elle-même.).
En appelant sa servante à être l'instrument de la glorification de son divin Cœur, l'Homme-Dieu faisait d'elle un signe de contradiction, comme il l'avait été lui-même (Luc. II, 34.). Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d'humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre. Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l'Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d'une couronne d'épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d'une chapelle en l'honneur du Sacré-Cœur; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l'an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d'une fête proprement dite, et à sa célébration dans l'Eglise entière.
Châsse qui renferme les saintes reliques de
sainte Marguerite-Marie. Paray-le-Monial.
Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l'amour du Cœur de l'Homme-Dieu qu'il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l'église du Très-Sainct Cœur de Jésus et de Marie (" Le Cœur admirable de la Très Sacrée Mère de Dieu ", épître dédicatoire. Le séminaire des Eudistes à Caen, pour lequel fut bâtie cette église ou chapelle, est aujourd'hui l'Hôtel-de-Ville) ; et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s'être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu'il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l'honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L'Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l'évêque de Rennes et les évêques de Normandie.
Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l'abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu'il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l'Homme-Dieu, telle qu'elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C'était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu'il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d'amener sa célébration dans l'Eglise universelle.
Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l'humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l'un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l'Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l'apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d'abord, et jusqu'en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l'Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s'organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l'honneur de ce Cœur sacré. Mais l'enfer s'indigna de cette grande prédication d'amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l'humanité du Dieu Sauveur (Tit. III, 4.), qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l'idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l'humanité du Christ ; et pendant que s'entassaient à grands frais d'érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues , des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu'on appelait les Cordicoles.
Cependant l'année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l'on ne savait où s'arrêterait le progrès toujours croissant de l'affreuse contagion, quand l'évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l'héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s'engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu'à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.
Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l'Office de saint Jean Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu'il fût nécessaire de recourir à l'autorité du Souverain Pontife pour l'établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l'Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.
Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d'innombrables confréries , lorsqu'en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l'archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur delà fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d'autres Eglises particulières, jusqu'à ce qu'enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l'Episcopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l'Eglise universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.
La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu'elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.
Depuis lors, la connaissance et l'amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu'ils n'avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l'envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l'Eglise en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s'élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu'a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Eglise.
Promesses faites par Notre Seigneur Jésus-Christ à sainte Marguerite-Marie en faveur des personnes qui pratiquent la dévotion à son Sacré-Cœur :
1. Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
2. Je mettrai la paix dans leur famille.
3. Je les consolerai dans toutes leurs peines.
4. Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à la mort.
5. Je répandrai d'abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises.
6. Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l'océan infini de la miséricorde.
7. Les âmes tièdes deviendront ferventes.
8. Les âmes ferventes s'élèveront à une grande perfection.
9. Je bénirai moi-même les maisons où l'image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
10. Je donnerai aux prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis.
11. Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom écrit dans mon Cœur, où il ne sera jamais effacé.
12. Je te promets, dans l'excès de la miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf fois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce, ni sans recevoir leurs Sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré à cette dernière heure.
Saint Jean Eudes. Gravure. XVIIIe.
Les communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois :
En 1688, au cours d'une apparition à sainte Marguerite-Marie, Notre-Seigneur Jésus-Christ daigna lui adresser ces paroles :
" Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf mois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce ni sans recevoir leurs sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré aux derniers moments."
La plus ancienne archiconfrérie
dévouée au Sacré Coeur de Jésus. Rome.
Par l'insertion intégrale de cette promesse dans la Bulle de canonisation de sainte Marguerite-Marie (Acta Apostolicæ Sedis 1920, p. 503), en date du 13 mai 1920, le Pape Benoît XV a encouragé la pratique des communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois, en l'honneur du Sacré-Cœur.
PRIERE
" Ô Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Eglise et la France ; et qu'unies aujourd'hui dans l'épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !"
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