dimanche, 09 juin 2024
9 juin. Saint Prime et saint Félicien, frères, martyrs. 286.
Cassiodor. sub psalm. XCIII.
Saint Prime et saint Félicien avec les attributs de leur martyre,
Les roses et les lis alternent sans fin dans la couronne tressée, par les siècles à l'Epouse du Fils de Dieu. En ce monde qui le sait si peu, tout n'a qu'un but : donner dès ici-bas les attraits du ciel à l'Eglise, agencer sa parure pour l'éternité ; parure sublime, faite des vertus des saints, qui doit rendre l'élue du Verbe digne de s'asseoir à la droite de l'Epoux au plus haut des cieux (Apoc. XIX, 7-8 ; Psalm. XLIV, 10.).
Le Cycle sacré, en sa révolution annuelle, nous donne l'image du travail incessant par lequel l'Esprit-Saint, diversifiant les mérites des serviteurs de Dieu, compose ainsi pour les noces éternelles l'admirable variété des ornements de l'Eglise dont ils sont les membres. Deux martyrs, empourprés de leur sang, viennent aujourd'hui relever la blancheur éclatante des œuvres de Norbert ; leur gloire est de celles que n'éclipse aucune autre ; mais ils n'en disposent pas moins nos yeux, par cette variété merveilleuse, à contempler délicieusement aussi la douce lumière que Marguerite, la perle de l'Ecosse, projettera demain sur le monde.
Prime et Félicien, Romains opulents, étaient déjà parvenus à la maturité de l'âge, quand la voix du Seigneur se fit entendre à eux pour les retirer de la vanité des idoles. Frères par le sang, ils le devinrent plus encore par leur commune fidélité à l'appel de la grâce. Ensemble ils se montrèrent les intrépides soutiens des confesseurs du Christ, au milieu des atroces persécutions qui sévirent sur l'Eglise dans la seconde moitié du troisième siècle de notre ère. Un même combat devait aussi terminer leur vie ici-bas, et les engendrer le même jour au ciel. Ils méritèrent de devenir, dans leurs précieux restes, le trésor principal du célèbre sanctuaire consacré sur le mont Cœlius au premier des martyrs.
Martyre de saint Prime et saint Félicien.
Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard, comblé de félicité. Le premier est souverain et grand en dignité pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité pour la gloire dont il jouit. Le second est appelé vieillard, non à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect qu'inspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour la gravité de ses moeurs.
Les deux frères Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclétien et de Maximien par les prêtres des idoles qui prétendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux, si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l’ordre des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un ange les vint visiter, délia leurs chaînes ; alors ils se promenèrent librement dans leur prison où ils louaient le Seigneur à haute voix.
Peu de temps après on les amena de nouveau devant les empereurs ; et là ayant persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à coups de fouets, puis séparés l’un de l’autre. Le président dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et d'immoler aux dieux. Félicien lui répondit :
" Me voici parvenu à l’âge de 80 ans, et il y en a 30 que je connais la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu : il peut me délivrer de tes mains."
Alors le président commanda de le lier et de l’attacher avec des clous par les mains et par les pieds :
" Tu resteras ainsi, lui dit-il, jusqu'à ce que tu consentes à nous obéir."
Comme le visage du martyr était toujours joyeux, le président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on ne lui servît aucun aliment.
Après cela, il se fit amener saint Prime, et lui dit :
" Eh bien ! Ton frère a consenti à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il est vénéré comme un grand personnage dans un palais : fais donc comme lui !
- Quoique tu sois le fils du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un point, quand tu avançais que mon frère avait consenti à exécuter les ordres de l’empereur du ciel."
Vies de saints. J. de Montbaston. XIVe.
Les conseillers d'impiété virent bientôt que leurs paroles ne pourraient rien obtenir ; on cloua ses pieds et ses mains à un tronc d'arbre, et on le laissa ainsi suspendu durant trois jours, sans lui donner à manger ni à boire. Le lendemain, Prime fut appelé devant le préteur qui lui parla ainsi :
" Vois combien la prudence de ton frère est supérieure à la tienne ; il a obéi aux empereurs, et il est comblé d'honneurs auprès d'eux. Toi-même, si tu veux l'imiter, tu partageras les mêmes honneurs et les mêmes grâces."
Prime répondit :
" J'ai connu par un ange ce qui est arrivé à mon frère. De même que je suis étroitement lié à lui par la volonté, puissé-je n'en pas être séparé non plus dans le martyre !"
Peu après, il les fit conduire à l'amphithéâtre, et on lâcha deux lions sur eux ; mais ces animaux se prosternèrent aux pieds des martyrs, et ils les caressaient de la tête et de la queue. Plus de douze mille hommes étaient venus à ce spectacle ; cinq cents embrassèrent la religion chrétienne avec leurs familles.
Le président irrité fit lâcher encore deux ours cruels qui devinrent doux comme les lions. Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Seigneur.
Le préteur, ému de ces faits, donna ordre de frapper les martyrs de la hache et de faire jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de proie qui les laissèrent intacts. Les Chrétiens leur donnèrent alors une honorable sépulture.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.
C'était la prière alimentée par les paroles des psaumes qui soutenait en vous un tel héroïsme, ainsi qu'en témoignent les actes de votre martyre. Réveillez parmi nous la foi dans la parole de Dieu ; ses promesses nous feront, comme à vous, mépriser la vie présente. Rappelez la piété aux sources vraies qui fortifient rame, à la connaissance, à l'usage quotidien des formules sacrées qui rattachent si sûrement la terre au ciel d'où elles sont descendues."
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samedi, 08 juin 2024
8 juin. Saint Médard et saint Gildard, frères, évêque de Noyon et archevêque de Rouen. 545.
- Saint Médard et saint Gildard, frères. Evêque de Noyon et archevêque de Rouen. 545.
Papes : Saint Léon Ier, le Grand ; Vigile. Roi des Francs Saliens : Childéric Ier. Roi des Francs : Clovis Ier ; Clotaire Ier.
" Sanguinis fraternitas similitudinem tantum corporis refert, Christi autem fraternitas unanimitatem cordis animaeque demonstrat."
" La fraternité du sang produit seulement une ressemblance corporelle, mais la fraternité de Jésus-Christ produit l'union de sentiments dans le coeur et dans l'âme."
Saint Augustin.
Saint Médard et saint Gildard. Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.
Puisque la divine Providence a joint si étroitement ces deux frères, nés et baptisés ensemble, ordonnés prêtres et sacrés évêques ensemble, et morts le même jour pour aller jouir ensemble de la couronne immortelle due à leurs mérites, il n'est pas raisonnable de les séparer. Ils naquirent en Picardie, au village de Salency, à une lieue de Noyon, à une époque où les Francs, conquérants d'une partie des Gaules, étaient encore idolâtres ; c'était vers le commencement du règne de Childéric, père de Clovis.
Leur père, Nectard, franc d'origine, était l'un des principaux seigneurs qui environnaient le roi ; et leur mère, qui se nommait Protagie, c'est-à-dire, selon l'étymologie grecque, première sainte, était gallo-romaine et de naissance aussi très-illustre. Nectard, quoique idolâtre, avait toutes les vertus morales capables de faire un honnête homme. Protagie était chrétienne, et avait même résolu de demeurer vierge et de n'avoir jamais d'autre époux que Jésus-Christ ; mais Dieu, qui la voulait rendre mère de deux grands saints, lui fit connaitre, par un Ange, qu'il se contentait de sa bonne volonté et qu'elle devait épouser Nectard, selon le désir et l'engagement de ses parents.
Ce mariage eut pour premier effet la conversion de Nectard ; il ne put résister aux puissantes raisons de Protagie : elle le fit renoncer au culte des idoles pour adorer le Dieu souverain, créateur de toutes choses. La ressemblance de leur foi fut suivie d'une parfaite ressemblance dans les moeurs, et la superstition ayant été bannie de leur maison, on y vit régner la piété, la dévotion, la miséricorde envers les pauvres, la continence, la frugalité, la modestie et toutes les autres vertus chrétiennes.
D'après saint Ouen et plusieurs autres auteurs, Médard et Gildard étaient jumeaux. Les tables de l'Eglise de Rouen ajoutent qu'on ne différa point leur baptême, comme on le faisait souvent en ce temps-là ; mais qu'aussitôt après leur naissance, ils furent régénérés en Jésus-Christ. Leur enfance fut toute sainte, et leurs actes en rapportent des exemples admirables, qui ne doivent pas être passés sous silence. Ce qui brilla le plus en ce jeune saint, ce fut sa grande compassion envers les pauvres et les malheureux.
Retable de saint Médard. Eglise Saint-Médard de Torcé. Bretagne.
Il s'assujétissait à des jeûnes rigoureux, afin de leur distribuer le pain qu'il devait manger, et se privait de toutes les douceurs dont on le gratifiait pour leur en faire largesse. Il se dépouillait lui-même pour les revêtir ; et, un jour qu'on lui avait fait faire un manteau de grand prix, pour paraître avec honneur parmi les jeunes gens de son rang, ayant rencontré un aveugle qui n'avait pas de quoi se couvrir, il lui en fit présent : ce qui causa plus d'admiration que de peine à sa pieuse mère qui, heureuse de lui voir de si excellentes qualités, s'efforçait de les développer dans son jeune coeur.
Un autre jour, son père étant revenu de la campagne avec beaucoup de chevaux, le chargea de les conduire dans le pré et de les y garder quelque temps, parce que tous ses gens étaient occupés à divers ministères. Comma il s'acquittait de cet humble emploi, il aperçut un homme qui, ayant perdu son cheval par quelque accident, emportait sur sa tête, avec beaucoup de peine, la selle, la bride, les étriers et les sangles. Il lui demanda pourquoi il se chargeait tant, puisque même sans charge il avait beaucoup de peine à marcher. Le passant lui répondit que son cheval venait de mourir, et que c'était pour lui un grand malheur, parce qu'il n'avait pas de quoi s'en procurer un autre. Alors le coeur du Saint fut touché de compassion, et, considérant que son père avait plusieurs chevaux, et qu'il lui était aisé d'en avoir encore d'autres, il prit un des chevaux confiés à sa garde et le lui donna. Dieu lui fit connaltre aussitôt que cette action lui était agréable ; car une grosse pluie étant survenue, un aigle vint au-dessus de la tète de Médard et le mit à l'abri de ses ailes: ce qui fut vu, non-seulement d'un valet qui alla le chercher pour diner, mais aussi de son père, de sa mère et de toutes les personnes de la maison, qui accoururent pour admirer cette merveille. L'écuyer de Nectard se plaignit qu'il manquait un de ses chevaux; mais, dès que Médard eut déclaré son action, le nombre des chevaux fut rempli : il se trouva qu'il n'en manquait plus, sans qu'on pût dire comment cela s'était fait.
Après un miracle si éclatant, Nectard et Protagie donnèrent à leur fils toute liberté de faire l'aumône, ne doutant pas que, faite d'une si bonne main, elle n'attirât la bénédiction du Ciel sur leur personne et sur leur famille.
Médard apaisa aussi un grand différend qui était survenu entre des paysans pour le bornage de leurs héritages ; car, s'étant transporté sur le lieu, il mit le pied sur un caillou qui était en terre, leur assurant que c'était là la vraie borne ; pour les en convaincre entièrement, il imprima le vestige de son pied sur ce caillou, aussi facilement que si c'eût été de la cire molle.
Durant toute son enfance, notre Saint mena une vie pieuse, mortifiée, charitable. Quoiqu'il ait passé peu d'années au lieu de sa naissance, il y a laissé des souvenirs édifiants que le temps n'a pas effacés. Bientôt, il quitta Salency et se rendit aux écoles littéraires de Vermand et de Tournai. Son père habitait souvent cette dernière ville que Childéric, roi des Francs, avait choisie pour sa résidence.
Sous des maîtres recommandables par leur science et par leur piété, Médard avança rapidement dans la connaissance des lettres profanes, et surtout dans celle des divines Ecritures. Il fit des progrès plus merveilleux encore dans la pratique des vertus chrétiennes. Evitant la fréquentation des grands et les divertissements de la cour, il mettait tout son bonheur à étudier, à prier, à visiter et à soulager les pauvres. Au don des miracles qu'il possédait déjà, Dieu daigna ajouter le don de prophétie: ce fut alors qu'il prédit à Eleuthère, son condisciple et son ami, la future élévation de ce saint jeune homme au siège de Tournai.
Bannière de procession de saint Médard.
Pour saint Gildard, les tables de l'église de Rouen témoignent que, dans l'enfance même, il était extrêmement assidu à l'église, et qu'il y trouvait toutes ses délices ; qu'ayant la gravité d'un vieillard, il fuyait tous les jeux et les divertissements qui sont l'amusement de ce premier âge, qu'après ses devoirs envers Dieu, il se faisait un devoir capital d'obéir en toutes choses à ses parents, et qu'il ne cédait en rien à son frère pour la charité envers les pauvres, jeûnant aussi pour les nourrir et se dépouillant pour les revêtir.
Nos deux Saints, offrant dans leur vie toutes les marques de la vocation ecclésiastique, furent tonsurés dans une église dédiée sous le nom de saint Etienne, où l'on a longtemps conservé les ciseaux qui avaient servi à leur couper les cheveux. On croit que cette église était aux portes de Soissons, et que c'est celle-là même qui, ayant été beaucoup augmentée par les rois Clotaire et Sigebert, a pris le nom de Saint-Médard. Ce que nous pouvons savoir de leurs études, c'est qu'ils furent mis sous la conduite des évéques de Tournai et de Vermand, qui eurent soin de leur apprendre la doctrine sacrée, afin qu'ils devinssent capables d'enseigner le peuple chrétien, de travailler à la conversion des infidèles et de confondre les hérétiques. La docilité de leur esprit, la beauté de leur mémoire et la solidité de leur jugement, firent qu'ils acquirent en peu de temps ce que d'autres n'eussent acquis qu'en beaucoup d'années, et qu'ils furent jugés dignes, dans un âge peu avancé, d'être promus aux Ordres de l'Eglise.
Statue de saint Médard. Eglise Saint-Médard de Blénod-les-Toul.
Ils reçurent même la prêtrise des mains de Sophrone, évêque de Vermand. Ce fut dans cet Ordre que parut admirablement le concert précieux de toutes les vertus dont leur âme était douée. Leurs jeûnes étaient fréquents et leur oraison continuelle ; ils passaient les nuits entières dans la méditation des nos mystères, et ils y trouvaient tant de délices, qu'ils ne la quittaient qu'avec une sainte impatience de la reprendre.
Modestes et humbles, ils portaient beaucoup d'honneur à leurs supérieurs ; mais ils n'en voulaient pas recevoir de leurs égaux ni de leurs inférieurs, qu'ils traitaient comme leurs frères. Leur douceur et leur affabilité les faisaient aimer de tout le monde, et on ne parlait de tous côtés que de ces 2 frères, qui, comme 2 beaux soleils, éclairaient les églises de Picardie.
L'archevêché de Rouen étant venu à vaquer vers la fin du Ve siècle, par la mort de Crescence, l'un de ses plus dignes prélats, le clergé et le peuple élurent saint Gildard en sa place. Ce saint Prêtre n'apprit qu'avec douleur cette élection ; mais, comme il était évident qu'elle s'était faite par l'inspiration de Dieu, et sans nulle faveur humaine, il fut obligé de s'y soumettre. Etant arrivé à Rouen, où il y avait encore beaucoup d'idolâtres, il travailla avec un zèle infatigable à les gagner à Jésus-Christ, et il eut la consolation de voir la synagogue de Satan diminuer de jour en jour, et son troupeau prendre à tous moments un accroissement nouveau par la conversion de ces infidèles : la douceur, l'honnêteté et la tendresse paternelle avec lesquelles il les visitait et leur parlait, contribuèrent extrêmement à cet heureux résultat. Mais ce qui y aida davantage, ce furent les prières continuelles qu'il adressait à Dieu pour ce peuple qui lui était confié, et la célébration continuelle du Sacrifice de nos autels. Il assistait les pauvres, il rachetait les captifs, il visitait et secourait les malades dont il avait toujours les noms imprimés dans sa mémoire; il consolait les affligés, et, pour dire tout en un mot, avec les Actes de sa vie, qui se trouvent dans les archives de Rouen, il pourvut en toutes choses à l'utilité de tout le monde.
Il y a surtout 3 événements qui l'ont rendu célèbre dans l'histoire ecclésiastique :
- il coopéra, avec saint Remi, saint Médard, son frère, saint Waast et saint Solène à l'entière conversion et au baptême de Clovis, notre premier roi chrétien, comme il est rapporté dans les anciennes Leçons de l'église qui porte son nom à Rouen ;
- il assista, l'an 511, au premier Concile d'Orléans, un des plus célèbres de France ; il y souscrivit en ces termes :
" Gilderadus, episcopus ecclesiae Rothomagensis metropolis, subscripsi." " Gildard, évêque de l'église métropolitaine de Rouen, j'ai souscrit."
Statue de saint Médard. Eglise Saint-Médard d'Arsy. Picardie.
- enfin, il consacra saint Lô, pour évêque de Coutances. Ce n'était qu'un enfant de douze ans et qui n'avait pa même la première tonsure ; mais Possesseur, évêque de ce siége, étant décédé, Dieu fit connaltre, par des signes manifestes, qu'il l'avait choisi pour pasteur de son troupeau. L'Ange, qui avait révélé ce choix à deux prètres de sainte vie de la même Eglise, le révéla aussi au roi Childebert, qui donna son consentement.
Cependant saint Gildard, à qui, comme métropolitain, il appartenait de confirmer l'élection du clergé, et de donner l'imposition des mains, y trouva de grandes difficultés. Il avait devant les yeux la défense que fait saint Paul d'élever trop tôt aux dignités ecclésiastiques ; il connaissait aussi les Canons de l'Eglise qui ne permettaient pas de consacrer prêtre et évêque avant l'âge de 30 ans. On lui disait que Dieu pouvait dispenser de ces lois, et que la déclaration que l'Ange avait faite de sa divine volonté en était une dispense suffisante ; mais il savait qu'il ne fallait pas croire à tout esprit, et que le meilleur moyen de reconnaître la vérité d'une révélation était d'en douter d'abord et de l'avoir pour suspecte. Il vint donc trouver le roi pour lui exposer son embarras, et lui dire que c'était une chose si inouïe de faire un évêque à 12 ans, qu'il n'osait s'attirer le reproche d'avoir donné un exemple si dangereux. Mais le roi l'ayant assuré de la vision qu'il avait eue ci-dessus, il eut recours à la prière, et alors Dieu lui fit connaître qu'étant au-dessus de toutes les lois, il avait des coups privilégiés, et que, comme il voulait donner à cet enfant la prudence et la maturité d'un vieillard, il voulait aussi qu'il fit, par un choix extraordinaire, l'évêque de la ville de Coutance. Ainsi, notre Saint l'embrassa comme son confrère, et le consacra par l'imposition des mains, qui, en lui donnant la Saint-Esprit, lui donna en même temps la sagesse et la vigueur épiscopales.
Peu d'années après, ce bienheureux archevêque, consumé de travaux et de pénitences, tomba dans une maladie mortelle qui lui fit connaître que l'heure de son départ et de sa récompense approchait ; il s'y prépara par la réception des Sacrements et par un renouvellement de ferveur, et rendit enfin son esprit à Dieu au milieu d'une grande lumière et sous la forme d'une colombe, comme le dit une leçon de son office. Son corps fut enterré dans sa cathédrale, qui porte son nom, et, depuis, il a été transporté à Soissons et déposé dans l'abbaye de Saint-Médard, comme nous le dirons bientôt. Le jour de sa mort est marqué au 8 juin et vers l'année 545.
Revenons maintenant à saint Médard : ce saint Prêtre, jusqu'au temps de sa promotion à l'épiscopat, assista son père, son évêque et nos rois de ses sages conseils, et édifia merveilleusement tout le Vermandois par la sainteté de sa vie et par la force de ses discours et de ses exhortations.
Statue de saint Médard à Salency (sa ville natale).
Sa charité envers les pauvres ne se bornait pas à leur distribuer du pain, des vêtements, toutes les choses nécessaires à la vie ; dans son zèle pour leur salut, il en arracha un grand nombre à l'ignorance, au péché, à des habitudes criminelles.
Pour accomplir une tâche souvent si difficile et si rude, il ne recula devant aucun péril, devant aucun sacrifice. Cependant, notre Saint n'oubliait pas de visiter souvent ses chers Salenciens. Ce fut, dit-on, dans une de ces courses apostoliques aux environs de Noyon, qu'il les dota de la belle et touchante institution connue sous le nom de fête de la Rosière. Si aucun document positif ne vient appuyer cette opinion, elle trouve un argument assez puissant en sa faveur dans la tradition ancienne et constante du pays.
Saint Médard fit aussi de grands miracles, qui lui donnèrent une si haute réputation, qu'on le regardait lui-même comme un prodige de grâce et comme l'un des plus saints personnages de son siècle. Dieu prit sa défense et sa protection en toutes choses. Un voleur étant entré le soir dans sa vigne, et y ayant fait un grand dégât, il n'en put trouver l'issue durant toute la nuit, ni se décharger de son butin ; on le trouva, le lendemain matin, son vol entre ses mains, et dans un effroi merveilleux à cause de l'étrange nuit qu'il avait passée. On voulait le punir comme larron ; mais le Saint lui pardonna et lui donna même, par grâce, ce qu'il avait voulu enlever contre la justice. Un autre, lui ayant dérobé ses ruches, fut tellement poursuivi par les abeilles, qu'il fut contraint de se jeter à ses pieds et de lui demander pardon pour en être délivré, ce qu'il obtint sans difficulté. Un troisième, qui avait emmené un taureau de son troupeau, fut obligé de le ramener, parce que la clochette, qui était pendue au cou de cet animal, en quelque lieu qu'il la mit, sonnait continuellement d'elle-même, et rendait témoignage de son larcin.
L'armée du roi Clotaire Ier ayant fait de grands ravages dans le Vermandois, les chariots sur lesquels les soldats avaient chargé leur butin, demeurèrent immobiles, et ne purent jamais avancer jusqu'à ce qu'ils eussent fait restitution et que le saint Prêtre leur eut donné sa bénédiction. Il délivra aussi un nommé Tosion d'un démon très-cruel qui le tourmentait, en faisant seulement sur lui le signe de la Croix.
Cathédrale Notre-Dame de Noyon.
Ses travaux, ses vertus et ses miracles avaient rendu son nom célèbre, même dans des contrées éloignées ; mais sa mission n'était pas remplie, et il ne lui fut pas encore permis de se préparer dans la retraite au voyage de l'éternité : il dut combattre les combats du Seigneur jusqu'à son dernier soupir. Appelé à gouverner l'église de Vermand, devenue veuve de son pasteur par la mort d'Abuser, il essaya de se soustraire à cet honneur, alléguant son âge avancé et la diminution de ses forces. Toutes ses résistances échouèrent devant les efforts réunis du roi, du clergé, du peuple et du saint pontife Remi : la volonté de Dieu était manifeste ; il fallut qu'il se résiguat à recevoir l'onction épiscopale. Il fut sacré évêque de Vermand par saint Remi, qui était alors à la fin de sa glorieuse carrière.
Vermand, qui n'est plus aujourd'hui qu'un chef-lieu de canton du département de l'Aisne, n'a jamais pu recouvrer son ancienne importance. Il possède actuellement environ 1280 habitants [en 1876].
A peine élevé sur la chaire épiscopale, il fit paraître plus que jamais sa charité envers les pauvres, son soin pour la conversion des pécheurs, sa compassion pour tous les misérables, et sa véritable dévotion envers Dieu. Mais comme, un peu avant son élection, tout le pays autour de l'Oise, et de la Somme avait été misérablement pillé et dévasté par les Huns, les Vandales et d'autres barbares, et que sa ville épiscopale était continuellement exposée à de semblables insultes, il prit la résolution de transférer son siège et de faire venir la plupart de son peuple à Noyon, forteresse considérable, où il aurait moins sujet de craindre les courses des ennemis. Dieu bénit admirablement ce dessein, et Noyon devint une grande ville et un des beaux évêchés de France, auquel la comté-pairie était attachée.
Saint Médard donnant son vêtement à un aveugle.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Jean Le Tavernier. XVe.
Quelques années après, saint Eleuthère, à qui saint Médard avait prédit, étant écolier avec, lui, qu'il serait évêque, laissa l'évêché de Tournai vacant par sa mort; tous les catholiques de cette ville demandèrent instamment notre Saint pour prélat. Cette proposition lui parut inadmissible, n'étant permis à personne, selon les Canons, de posséder ensemble deux évêchés. Mais le roi, les évêques de la province, saint Rémi même, le métropolitain, et enfin le bienheureux pape Hormisdas, considérant les besoins du diocèse de Tournai, qui était encore plongé, partie dans l'idolàtrie et partie dans les vices infâmes que le mélange des barbares y avait attirés, jugèrent nécessaire de lui accorder cet excellent pasteur. Il unit donc ensemble ces deux diocèses, mais sans ôter, ni à Noyon, ni à Tournai, la qualité de ville épiscopale, et il se consacra à travailler en l'une et en l'autre au salut des âmes et à la ruine de la puissance du démon qui y exerçait sa tyrannie.
Il eut surtout des maux incroyables à souffrir dans Tournai ; il y fut chargé d'injures et couvert d'opprobres ; il se vit souvent menacé de la mort, et condamné par des furieux aux derniers supplices ; mais comme il était inébranlable au milieu de ces tempètes, et qu'il souffrait tous ces mauvais traitements avec une constance qui ne put jamais être altérée ; il dompta enfin la dureté des infidèles et des libertins, et, en peu de temps, il fit tant de conversions et régénéra tant d'idolâtres dans les fonts sacrés du Baptême, que tout le diocèse changea de face, et qu'on y vit reluire, avec grand éclat, la lumière du Christianisme.
Fortunat remarque, en sa vie, qu'il y fit spirituellement tout ce que Notre-Seigneur promet dans l'Evangile aux prédicateurs apostoliques : il chassa les démons au nom de Jésus-Christ, parce qu'il les bannit de l'âme de ceux qui se convertirent et reçurent la foi ; il parla des langues nouvelles, parce qu'il annonça aux infidèles des vérités qui leur étaient inconnues, dont ils n'avalent jamais ouï parler ; il extermina les serpents, parce qu'il munit les chrétiens contre toutes les tentations du grand dragon et du serpent infernal ; il but du poison sans en être offensé, parce que, recevant la confession de tous les pécheurs, il se remplit, pour ainsi dire, du venin de leur crime, sans que la pureté de son âme en fût altérée ; il guérit enfin les malades en leur imposant les mains, parce qu'ayant trouvé presque tous ses diocésains spirituellement malades par la violence de leurs mauvaises habitudes et de leurs passions, il les fit revenir en santé en leur imprimant la haine du vice et l'amour de la vertu.
Bannière de saint Médard. Eglise Saint-Médard.
De retour dans le diocèse de Noyon, saint Médard consacra le reste de ses forces à cette portion si chère de son troupeau. Un des plus remarquables événements de son épiscopat fut l'arrivée à Noyon de sainte Radegonde, qui se retirait, avec l'assentiment du roi, des honneurs de la cour, et venait demander au saint évêque le voile qui devait la consacrer à la vie religieuse. Saint Médard fit d'abord quelques difficultés, dans la crainte que Clotaire, se repentant plus tard de la liberté laissée à la vertueuse princesse, ne fit retomber sur la religion une séparation qu'elle eût rendue irrévocable.
Mais la sainte éloquence de Radegonde, l'inspiration qui brillait dans ses instances triomphèrent enfin de cette louable prudence. Le prélat imposa les mains à la jeune reine, et ajouta une gloire de plus à toutes celles de son illustre épiscopat. Les traditions du Moyen-âge ont conservé le souvenir de ce fait dans les peintures murales de l'ancienne collégiale poitevine, où saint Médard figure sur la voûte du sanctuaire parmi les évêques dont Radegonde avait eu l'estime et l'amitié.
Sur ces entrefaites, une grave maladie, jointe à une grande vieillesse, lui donna des gages comme assurés de sa prochaine délivrance. Le roi Clotaire, l'ayant appris, vint trouver le saint prélat pour recevoir sa bénédiction. Ce prince, repentant de la cruauté qu'il avait exercée envers Chramne et la famille de ce fils rebelle, confessa publiquement son crime. Son aveu, ses regrets, la pénitence à laquelle il se soumit, lui en méritèrent l'absolution. Puis il lui demanda où il voulait être enterré ; Médard dit que ce devait être dans sa cathédrale, selon l'usage des autres évêques ; mais le roi insista fortement pour que son corps fût transporté à Soissons, où il ferait une basilique magnifique pour lui servir de tombeau : le Saint fut obligé de céder. Peu de temps après, il exhala son âme toute pure ; quelques-uns de ceux qui étaient présents la virent monter dans le ciel ; il parut aussi, durant deux heures, des lumières célestes auprès de son corps, qui firent assez voir qu'il était sorti des ténèbres de cette vie mortelle pour entrer dans la lumière de la vie immortelle.
Dès le lendemain, les évêques qui étaient à Noyon ayant célébré la messe des morts en présence du saint corps, on vit arriver une foule nombreuse, tant du peuple que de la noblesse, pour assister à ses obsèques. Ils demandaient tous qu'on ne leur arrachât pas un si précieux trésor pour le transporter en un autre diocèse ; mais le roi demeura ferme dans sa résolution, et chargea lui-même ce précieux fardeau sur ses épaules royales ; les évêques et les premiers de la cour l'aidèrent en cet office de piété; et, se relevant ainsi les uns et les autres, ils passèrent la rivière d'Aisne à Attichy, et vinrent jusqu'au bourg de Crouy, à deux cents pas de Soissons, lieu où le roi avait résolu de bâtir sa nouvelle église.
Chevet de la cathédrale Notre-Dame de Noyon.
Quand on fut en ce lieu, le cercueil devint entièrement immobile, sans qu'on le pût lever ni de côté ni d'autre, jusqu'à ce que le roi eut fait don de la moitié de ce bourg de son domaine, qui était de la mense royale, pour l'entretien de ceux qui y célébreraient les divins Offices.
Mais comme après cette donation le cercueil se laissait lever d'un côté et restait si pesant de l'autre, qu'il était impossible de le remuer, il fit le don tout entier, et en fit expédier sur-le-champ des lettres patentes, scellées de son sceau ; alors, le saint corps se hissa aisément transporter où on voulut. Avant qu'on fermât entièrement son tombeau, on vit deux belles colombes descendre du ciel, et une troisième, plus blanche que la neige, sortir de sa bouche : signe manifeste que les Anges étaient venus au-devant de son âme, et qu'elle était sortie de son corps avec une innocence et une pureté angéliques.
Tant de merveilles portèrent encore le roi à presser la construction de la basilique. Il en prépara donc tous les matériaux ; mais, étant mort bientôt après dans son château de Compiègne, il laissa ce soin à son fils, Sigebert, qui s'en acquitta très-dignement. Les rois qui le suivirent, comme Clotaire, père de Dagobert, Louis le Débonnaire et Charles le Chauve, rendirent encore cette église plus magnifique. On y ajouta aussi un monastère qui fut donné aux religieux de Saint-Benoit, et qui a été si illustre, que saint Grégoire, pape, l'ayant soumis immédiatement au Saint-Siège, et l'ayant doté d'autres grands privilèges, le fit chef de tous les monastères de France. On y a vu jusqu'à 400 religieux qui y chantaient jour et nuit, l'un après l'autre, les louanges de Dieu, comme faisaient ces religieux d'Orient qu'on appelait les Acémètes. Grand nombre de bourgs, de fiefs, de prieurés et de prévôtés en dépendaient, et l'abbé avait même autrefois pouvoir de battre monnaie.
Saint Médard mourut vers l'an 543, le 8 juin. Le Père Giry est obligé de reculer sa mort au-delà de 560, parce que, d'après lui, saint Médard donna à Clotaire l'absolution du crime qu'il avait commis en faisant brûler son fils naturel Chramne, pour révolte, faits se rapportant à l'an 560.
On représente ordinairement saint Médard avec un aigle qui étend ses ailes au-dessus de sa tète, et le garantit de la pluie. Cela rappelle le fait qu'on a lu au commencement de sa vie. On le représente aussi avec un cheval à ses côtés.
CULTE ET RELIQUES - ABBAYE DE SAINT-MÉDARD
La célèbre abbaye de Saint-Médard, dit M. Lequeux, ancien vicaire général de Soissons, dans ses Antiquités religieuses du diocèse de Soissons et de Laon, fut fondée en 547, par Clotaire Ier, roi de Soissons. Si ce prince était très-vicieux, il appréciait la vertu : il prouva son estime pour le saint évêque Médard, en allant le visiter à Noyon, dans sa dernière maladie ; et, dès qu'il connut sa mort (545), il voulut qu'on le transportât dans le palais qu'il avait près de Soissons, au-delà de l'Aisne, sur le territoire de Crouy. C'est là que, peu d'années après, il jeta les fondements d'un grand monastère, où il appela des moines bénédictins qu'il tira de Glanfeuil. (C'était à Glanfeuil, en Anjou, que saint Maur, envoyé en France par saint Benoît lui-même, en 543, avait formé le premier établissement où fut suivie la Règle adoptée depuis par la plupart des monastères).
Après la mort de Clotaire, Sigebert, roi d'Austrasie, à qui appartenait Crouy, comme étant au-delà de l'Aisne, continua l'oeuvre de son père et acheva l'église. On rapporte à cette première époque la crypte ou église souterraine qui se voit encore à Saint-Médard, et qui est un des monuments les plus curieux de la contrée.
L'abbaye fut comblée de biens par les rois de la première et de la seconde race ; on compta dans la suite jusqu'à 220 fiefs qui en dépendaient ; les évêques de Soissons, et même ceux d'autres diocèses, lui confièrent un grand nombre d'autels ou de paroisses ; elle reçut de plusieurs papes tous les privilèges auxquels on attachait alors le plus d'importance, surtout celui de l'exemption de la juridiction épiscopale : elle arriva bientôt à un tel point de splendeur, que 400 moines, se partageant entre eux la nuit et le jour, et se succédant sans interruption, y accomplissaient une psalmodie perpétuelle, en même temps qu'ils tenaient les écoles publiques pour l'enseignement des sciences divines et humaines.
On est obligé de choisir parmi les traits les plus remarquables de l'histoire de ce lieu célèbre. Hilduin, qui en était abbé vers 826, et qui avait à la fois beaucoup de crédit à la cour des rois de Francs et à celle de Rome, obtint du pape Eugène II une portion considérable des reliques de l'illustre martyr saint Sébastien et de saint Grégoire le Grand, et d'autres saints très-célèbres dans toute l'Eglise.
On honore présentement à Rome les reliques de saint Grégoire le Grand dans l'église de Saint-Pierre, et celles de saint Sébastien dans l'église de ce nom ; ce qui prouve que les corps entiers ne furent pas donnés à Hilduin.
La dévotion des grands et du peuple fut tellement ranimée par cette précieuse acquisition, que l'abbé put facilement rebâtir, sur un plan plus vaste, la principale église du monastère : la consécration s'en fit en 841, avec la plus grande pompe ; le roi Charles le Chauve ne se contenta pas d'y assister, environné de 72 archevêques et évêques, et de presque tous les grands de son royaume ; mais, aidé des seigneurs les plus distingués, il transporta lui-même le corps de saint Médard de la crypte inférieure dans la nouvelle basilique.
Parmi les abbés qui gouvernèrent le monastère dans les siècles suivants, on doit surtout remarquer saint Arnould, qui fut élevé dans la suite sur le siège de Soissons en 1080, et saint Géraud.
L'église du monastère ayant été détruite par un désastre dont la cause est ignorée, elle fut rebâtie au commencement du XIIe siècle ; la consécration fut faite le 15 octobre 1131 par le pape de Rome Innocent II.
Outre l'église principale, le monastère renfermait dans son enceinte six autres églises ; la plus remarquable était celle de sainte Sophie, où Hilduin avait placé des chanoines ou ecclésiastiques vivant en communauté, en les chargeant d'administrer les Sacrements aux pèlerins et aux hôtes, afin de laisser plus de liberté aux moines. Les autres églises étaient vraisemblablement des chapelles extèrieures pour les gens qui dépendaient du monastère, ou des oratoires intérieurs servant à quelques exercices de la communauté.
On compte jusqu'à dix conciles qui se sont tenus à Saint-Médard ; le premier eut lieu en l'an 744, et le cinquième, en l'an 862. Plusieurs roi, et plusieurs reines y furent couronnés. Il s'y passa aussi des scènes qui eurent une gravité déplorable : c'est à Saint-Médard que Louis le Débonnaire fut enfermé, après qu'il eut été déposé contrairement à toutes les règles et soumis à la pénitence publique ; mais il parvint bientôt à rentrer dans l'exercice des droits de la souveraineté.
Aux temps de prospérité succédèrent, pour l'abbaye de Saint-Médard, les jours de tribulations et d'angoisse. Plusieurs fois dévastée par les Normands, dans le cours du IXe siècle, dépouillée d'une partie de ses biens, durant ce siècle et le suivant, par de puissants seigneurs, elle avait triomphé de ces épreuves. Les guerres civiles du XVe siècle lui furent ensuite plus funestes : cependant elle parvint encore à se relever, et, dans le milieu du XVIe siècle, elle semblait avoir repris son éclat.
Ces jours d'un dernière magnificence furent bientôt suivis de la désolation. Ce que l'abbaye souffrit, en 1567, de la part des Calvinistes, surpassa toutes les calamités des âges précédents : les hérétiques y commirent d'horribles dévastations. Nous empruntons ici le récit de l'auteur de l'Histoire de Soissons, presque contemporain :
" Dès le dimanche 28 septembre, pendant que les soldats étaient occupés au pillage de la ville, quelques gentilhommes sortirent sans bruit et vinrent à cette abbaye pour en emporter ce qu'il y avait de plus précieux. Ils trouvèrent les châsses de saitn Sébastien, saint Grégoire et saint Médard, avec trois croix d'argent embellies d'or et de pierreries, et des chandeliers de même métal ; ils emportèrent les châsses et jetèrent les os dans les fossés. Dieu ne permit pas que ces saintes reliques fussent ensevelies sous les ondes : le tailleur des religieux les recueillit, avec le secours d'une veuve qui les porta à la princesse de Bourbon, abbesse de Notre-Dame de Soissons ; depuis, un vigneron de Crouy trouva dans une vigne un sac de damas blanc dans lequel étaient les os de saint Grégoire. (Plus tard ces reliques furent rendues à l'abbaye ; on peut voir dans Dormay les précautions qui furent prises pour les reconnaître).
Le mardi suivant, lorsque le butin commençait à faillir dans la ville, les soldats en sortirent et s'attaquèrent premièrement au monastère de Saint-Médard. Vous eussiez cru que c'était autant de démons emportés de fureur contre les choses les plus saintes. Les uns démolissaient les autels, en jetaient par terre les colonnes et les balustres ; d'autres s'employèrent à briser les images de l'église, du cloître et du chapitre, à renverser les orgues ou à remuer les tombes : on n'entendait que des voix confuses, des coups de marteau et de hache et un fracas épouvantable des pierres, du bois, du fer et autres métaux qui tombaient sur le pavé. On en vit monter au clocher pour briser les cloches qui étaient d'une grosseur extraordinaire. Les plus fins trouvèrent le lieu où avait été caché le reste des châsses et des ornements, et ils firent un grand feu dans lequel ils jetèrent toutes les reliques qu'ils trouvèrent. Ainsi, l'on perdit en une heure un grand nombre de corps saints que l'on gardait depuis des siècles. Après avoir déchargé leur haine sur les objets qu'ils pouvaient détruire avec moins de travail, ils se prirent à la galerie qui était au-dessus du portail, aux combles de l'église, aux dortoirs, au réfectoire et aux autres bâtiments qui étaient d'une ancienne sculpture, et la plupart d'une merveilleuse beautés."
Une partie des ruines qu'on voit encore à Saint-Médard se rapportent au temps de cette catastrophe. L'abbaye fut dès lors réduite à un état fort médiocre. L'église, ébranlée par tant de coups, tomba en 1621, et on fut obligé de recourir à la munificence de Louis XIII pour la relever.
Saint-Médard entra, en 1637, dans la congrégation de Saint-Maur, et cette union lui fut profitable. Toutefois, l'antique monastère n'avait plus que 12 à 13 religieux, lorsque la Révolution vint fermer cet asile vénérable.
Pour complèter cette notice sur l'abbaye Saint-Médard, M. Henri Congnet, doyen du Chapitre de Soissons, nous écrivait le 15 août 1866 :
Des constructions qui existaient au moment de la Révolution française, il reste :
1. le bâtiment assez moderne de l'abbatiale ;
2. une vaste crypte très-remarquable et parfaitement conservée ; elle date peut-être du règne de Clotaire 1er ou du moins de celui de son fils Sigebert. Dans le compartiment du fond on trouve le tombeau du charitable abbé Dupont, couvert d'une pierre funéraire ;
3. un cachot appelé " prison de Louis le Débonaire " ; mais sa construction accuse l'époque ogivale, et l'inscription n'est pas du IXe siècle. La duchesse de Berry a visité cette prison en 1621.
4. la tour où Abélard fut renfermé après sa condamnation, prononcée dans un concile tenu à Saint-Médard en 1122. Sur cette tour on a récemment bâtit une chapelle à Notre-Dame de la Salette, qui en forme le couronnement.
Saint Médars et saint Gildard. Gravure de Basset. XVIIIe.
L'abbaye tout entière a été vendue en 1763 à divers particuliers, et son enceinte partagée en plusieurs lots. En l'année 1840, un prêtre dévoué, M. l'abbé Dupont, alors curé de Saint-Germain-Villeneuve, après avoir fait, pendant quelque temps, de son presbytère une école de sourds-muets, eut l'heureuse pensée d'acheter de la famille Geslin la principale portion des bâtiments de Saint-Médard. Il l'obtint pour une somme de 40,000 francs. Son patrimoine personnel n'était que de 10,000 francs ; il le donna en accompte aux vendeurs et se voua à la Providence pour l'aider à payer le reste. Dès lors il transporta ses élèves dans l'ancienne abbaye de Saint-Médard et mit en oeuvre toute l'activité dont il était doué pour recueillir des secours dans tout le diocèse et achever ainsi l'admirable fondation que le Seigneur lui avait inspirée. Tant de soucis, de travaux, de démarches eurent bientôt usé les forces de ce nouvel Abbé de Lépée ; il mourut à la peine en 1843, n'étant âgé que de 43 ans. Etendu sur son lit de douleur, il fit prier Mgr de Simony de venir écouter l'expression de ses dernières volontés ; le pieux évêque se rendit aux désirs du mourant et accepta sans hésiter sa succession, c'est-à-dire ses chers sourds-muets, et la maison de Saint-Médard avec toutes ses charges. Les dettes étaient de 80.000 francs. Mgr de Simony vendit immédiatement des rentes qu'il avait sur l'état, et put ainsi satisfaire les créanciers les plus pressés. Ensuite par le moyen de quêtes, de loteries, et aussi par ses propres revenus, le pieux évêque parvint à libérer entièrement l'établissement ; il le légua en mourrant à ses successeurs.
Longtemps, l'institut des sourds-muets et aveugles de Saint-Médard tint le premier rang, après celui de Paris, parmi tous les établissements de ce genre. Il fut dirigé, pour les filles, par les soeurs de la Sagesse, et pour les garçons, par les frères de Saint-Gabriel.
La maison contenait environ 200 enfants. Des bourses y furent fondées par le Conseil général de l'Aisne et par les départements limitrophes.
Le culte de Saint Médard s'est répandu rapidement ; les fidèles se rendaient de toutes parts au tombeau du saint, qu'ils invoquaient comme associé à la gloire des élus. Déjà, en l'année 563, on lui rendait un culte public. La célébration solennelle de sa fête fut fixée au 8 juin, jour anniversaire de sa mort. Des églises s'élevèrent en son honneur, non seulement dans les diocèses de Noyon, de Tournai et de Soissons, mais sur tous les points de la France. On l'invoqua même en Angleterre, jusqu'au moment où ce pays eut le malheur de se séparer de Rome.
Saint Géri, qui fut presque son contemporain, lui dédia le monastère qu'il bâtit sur le Mont-des-Boeufs à Cambrai. Il portait toujours sur lui des reliques de ce pontife. On en trouve plus tard dans un grand nombre d'églises. Jogoigne, dans le Brabant, possédait une machoire du Saint ; Douai, Tournai, et l'abbaye de Liessies, avaient également quelques parcelles de ses ossements, ainsi que les villes de Cologne, Trèves, Prague, de Noyon et de Dijon. On compte dans le diocèse de Cambrai 6 paroisses qui reconnaissent saint Médard pour leur patron. A Paris, dans le faubourg saint-Marceau, une église lui est dédiée. Elle n'était dans l'origine qu'une chapelle, dans laquelle les religieux de sainte Geneviève avaient placé des reliques de ce saint évêque après l'invasion des Normands.
Les reliques du Bienheureux ont subit aussi de tristes vicissitudes. Transportées en divers lieux, elles n'ont échappé à la fureur des Normands et des Hongrois que pour tomber au pouvoir des sectaires impies qui les ont livrées aux flammes. Par une faveur bienveillante de la Providence, de pieuses mains ont pu en recueillir les cendres et les ont déposées avec respect dans l'église de Saint-Médard. Heureusement aussi, des portions considérables en avaient été distraites à diverses époques, et distribuées à un grand nombre d'églises. La cathédrale de Noyon a le bonheur d'en posséder quelques-unes. En l'année 1852, Mgr Joseph-Armand Gignoux, évêque de Beauvais, Noyon et Senlis, les a solennellement reconnues et renfermées dans une magnifique châsse due à la libéralité d'un pieux noyonnais, M. Michaux Hannonet. Cette châsse en cuivre doré se trouve dans la chapelle de Saint-Médard. L'église paroissiale de Sainte-Vertu (Yonne), au diocèse de Sens, possède également, depuis le 11 octobre 1874, quelques reliques du saint évêque de Noyon.
On attribue à saint Médard l'institution de la fête de la Rosière. Ce bon évêque avait imaginé de donner tous les ans à celle des filles de sa terre de Salency qui jouirait de la plus grande réputation de vertu, une somme de 25 livres, et une couronne ou chapeau de roses. On dit qu'il donna lui-même ce prix glorieux à l'une de ses soeurs, que la voix publique avait nommée pour être Rosière.
On voyait au-dessus de l'autel de la chapelle de Saint-Médard, située à l'une des extrémités du village de Salency, un tableau où ce saint prélat est représenté en habits pontificaux, et mettant une couronne de roses sur la tête de sa soeur, qui est coiffée en cheveux et à genoux.
Cette récompense devint pour les filles de Salency un puissant motif de sagesse. Saint Médard, frappé de cet avantage, en perpétua l'établissement. Il détacha des domaines de sa terre 11 à 12 arpents, dont il affecta les revenus au paiement des 25 livres et des frais accessoires de la cérémonie de la Rosière.
Par le titre de la fondation, il faut non-seulement que la Rosière ait une conduite irréprochable, mais que son père, sa mère, ses frères, ses soeurs et autres parents, en remontant jusqu'à la quatrième génération, soient eux-mêmes irrépréhensibles ; la tache la plus légère, le moindre soupçon, le plus petit nuage dans la famille serait un titre d'exclusion.
Le seigneur de Salency a toujours été en possession du droit de choisir la Rosière entre trois filles natives du village de Salency, qu'on lui présente un mois d'avance. Lorsqu'il l'a nommée, il est obligé de la faire annoncer au prône de sa paroisse, afin que les autres filles, ses rivales, aient le temps d'examiner ce choix et de le contredire, s'il n'était pas conforme à la justice la plus rigoureuse. Cet examen se fait avec l'impartialité la plus sévère, et ce n'est que d'après cette épreuve que le choix du seigneur est confirmé.
Saint Médard couronnant la première Rosière.
Le 8 juin, jour de la fête de saint Médard, ou bien le dimanche le plus rapproché de ce jour, vers les 2 heures de l'après-midi, la Rosière, vêtue de blanc, frisée, poudrée, les cheveux flottants en boucles sur ses épaules, accompagnée de sa famille et de douze filles aussi vêtues de blanc, avec un large ruban bleu en baudrier, se rend au château de Salency au son de divers instruments. Le seigneur ou son préposé et son bailli, précédés des mêmes instruments, et suivis d'un nombreux cortège, la mènent à la paroisse, où elle entend les Vêpres sur un prie-Dieu placé au milieu du choeur.
Les Vêpres finies, le clergé sort processionnellement avec le peuple pour aller à la chapelle de Saint-Médard. C'est là que le curé ou l'officiant bénit la couronne ou le chapeau de roses qui est sur l'autel. Ce chapeau est entouré d'un ruban bleu et garni sur le devant d'un anneau d'argent. Après la bénédiction et un discours analogue au sujet, le célébrant pose la couronne sur la tête de la Rosière, qui est à genoux, et lui remet en même temps les 25 livres, en présence du seigneur et des officiers de sa justice. La Rosière ainsi couronnée, est reconduite à la paroisse, où l'on chante le Te Deum et une antienne à saint Médard.
Cette touchante cérémonie, interrompue pendant la révolution, a été rétablie en 1812, et depuis cette époque elle se renouvelle chaque année ; mais le temps y a apporté quelques modifications. La Rosière reçoit actuellement une somme de 300 francs [français de 1866], dont le conseil municipal fournit la moitié. On voit dans la chapelle de Saint-Médard, située à l'entrée du village et dans le llieu même où le Saint était né, un tableau qui contient les noms des Rosières ; un ou deux de ces noms ont été effaçés, parce que celles qui les portaient se sont rendues indignes du titre honorable qu'elles avaient reçu.
On ne saurait croire combien cet établissement a excité à Salency l'émulation des moeurs et de la sagesse. Quoique les habitants de ce village soient au nombre d'environ 500, on assure qu'il n'y a pas un seul exemple de crime commis par un naturel du lieu, pas même d'un vice grossier, encore moins d'une faiblesse de la part du sexe.
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vendredi, 07 juin 2024
Sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
- Fête du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
Pape : Clément XIII. Roi de France : Louis XV.
" Le Sacré Cœur de Jésus est un abîme d’amour où il faut abîmer tout l’amour-propre qui est en nous, et toutes ses mauvaises productions qui sont le respect humain et les désirs de nous satisfaire."
Sainte Marguerite-Marie.
Sacré Coeur de Jésus. Batini. XVIIIe.
Fêtée 19 jours après la Pentecôte, la sollennité du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ est un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Eglise, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l'Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d'abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l'essence infinie. Puis, d'un seul bond, l'Esprit impétueux de la Pentecôte (Act. II, 2.), entraînant nos âmes à d'autres aspects delà vérité qu'il a pour mission de rappeler au monde (Johan. XIV, 26.), les a laissées un long temps prosternées au pied de l'Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur (Psalm. CX, 4.). Aujourd'hui c'est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu'il propose à nos adorations.
Partie noble entre toutes du corps de l'Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l'hommage réclamé par l'union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Eglise, il convient ici que nous la demandions de préférence à l'histoire de ce culte lui-même et à la place qu'occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.
Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l'Esprit n'est pas autre, en chacune d'elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste parla seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d'une fête à l'autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s'est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l'a portée l'inépuisable activité d'un amour sans bornes ? Le Cœur de l'Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l'explication du plan divin tout entier.
Nous savions que cette félicité souveraine du premier Etre, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l'Esprit dans la lumière et l'amour, les trois divines personnes avaient résolu d'en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l'homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l'âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l'homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l'Esprit sanctificateur, s'unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; " bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l'Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu'il se montrera, nous lui serons semblables " (I Johan. III, 2.), étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles (Ibid. 1, 3.).
Mais l'amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n'a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l'intermédiaire obligé d'un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d'une âme humaine, manifesté dans les battements d'un cœur de chair pareil au nôtre. L'Ange du grand conseil, chargé d'annoncer au monde les desseins miséricordieux de l'Ancien des jours, a revêtu, dans l'accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu'à nous (Ibid. 1-2.).
Paray-le-Monial.
Docile instrument de l'amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s'unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l'abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l'influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l'âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu'aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde (Johan, I, 9.), et pénétrant par la claire vision dans l'essence divine, saisit d'un seul regard la beauté absolue du premier Etre, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l'être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s'émut pour l'homme et pour Dieu d'un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l'Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.
A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l'organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu'à ce que les émotions, s'éveillant avec l'intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l'Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l'origine à la loi d'un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu'il l'est maintenant dans les cieux. Car l'amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l'exquise sensibilité de son divin Cœur.
Quand il parut ici-bas, l'homme avait désappris l'amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n'était plus qu'un chemin par où l'âme s'enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors (Luc. XV, 13.). A ce monde matériel que l'âme de l'homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l'Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l'ineffable expression d'un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l'Esprit d'amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l'unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C'est l'unique organum, ainsi l'appelait Gertrude la Grande (Legatus divinae pietatis. Lib. II, ch. 23 ; Lib. III, ch. 25.) ; c'est l'instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l'humble hommage de l'inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l'homme à Dieu, l'échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.
L'Esprit divin, dont il est le chef-d'œuvre, en a fait sa vivante image. L'Esprit-Saint, en effet, bien qu'il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l'amour, en est le terme ou l'expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c'est par lui que s'épanche à flots sur les créatures avec l'être et la vie cet amour éternel. Ainsi l'amour de l'Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l'eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.
" Un des soldats, dit l'Evangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l'eau." (Johan. XIX, 34.).
Arrêtons-nous sur ce fait de l'histoire évangélique qui dotine à la fête d'aujourd'hui sa vraie base ; et comprenons l'importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l'insistance du disciple de l'amour non moins qu'il la solennité des expressions qu'il emploie.
" Celui qui l'a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l'Ecriture fût accomplie." (Ibid. 35-36.).
L'Evangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l'effusion de l'Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem (Zach. XII, 10.). " Et ils verront dans celui qu'ils ont percé " (Ibid. ; Johan. XIX, 37.), ajoutait le prophète.
Mais qu'y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l'Ecriture et de l'histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Johan. III, 16.) ?"
Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l'attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain (Luc. III, 21-22.), quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l'Elu du Père et l'objet des divines complaisances (Isai. XLII, I.). Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu'à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. " Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n'en font qu'un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu'elle est dans son Fils." (I Johan. V, 7, 8, 11.). Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l'Homme-Dieu le dénouement de l'œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l'accomplissement des desseins éternels.
Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l'Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu'apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l'eau et le sang, Jésus-Christ ; et l'Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité (I Johan. V, 6.), quand il dit de lui-même que la vie est en lui (Johan. V, 26, etc.). Car c'est l'Esprit, nous dit l'Evangile (Ibid. VII, 37-39.), qui sort avec Veau du Cœur sacré, des sources du Sauveur (Isai. XII, 3.), et nous rend dignes du sang divin qui l'accompagne. L'humanité, renaissant de l’eau et de l'Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu (Johan. III.) ; et, préparée pour l'Epoux dans les flots du baptême, l'Eglise s'unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l'os de ses os et la chair de sa chair (Gen. II, 23 ; Eph. V, 30.), associés pour l'éternité à sa vie divine dans le sein du Père.
Va donc, Ô Juif ! Ignorant les noces de l'Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l'Epoux au lit nuptial ; qu'il s'étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l'alliance ; et que de son Cœur sorte l'Epouse, avec l'eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Epouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s'est élancé comme un géant dans la voie de l'amour; la soif du désira consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l'Epouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s'est endormi dans sa soif brûlante. Mais l'Epouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l'effort, s'est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s'est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l'humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?
Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l'Eglise naissante s'écrier à Dieu, dans l'ivresse de son cœur débordant : " Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, Ô ma gloire ! Ô réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion." (Psalm. CVII, 1-4.). Et le Seigneur s'est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Eglise. Car le Cœur de l'Epoux appartient à l'Epouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair (Gen. II, 24 ; Eph. V, 31.).
Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur (Cant. IV, 9.), le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d'où elle est sortie. Là sera pour l'Eglise le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l'origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l'Eglise (Eph. V, 32.), l'homme est le chef (I Cor. XI, 3.), et il n'appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu'elle s'adresse au cœur, et que rien ne résiste à l'amour. Si Adam a péché, c'est qu'Eve a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l'Eglise a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s'appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l'Eglise, puisqu'elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l'Epoux et l'Eglise l'Epouse.
Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n'exposaient point autrement que nous ne l'avons fait le mystère de la formation de l'Eglise du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent :
- " Les initiés connaissent l'ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l'Eglise a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t'approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ." (In Johan. Hom. 84.).
- " L'Evangéliste, explique saint Augustin, a usé d'une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu'elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C'était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l'ordre d'ouvrir au côté de l'arche, pour l'entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l'Eglise." (In Johan. Tract, CXX.).
" Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée (Isai. II, 10.), dans le côté du Christ ", interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le bienheureux Guerric, abbé d'Igny (In Domin. Palm. Serm. IV.). Et l'Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : " Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille " (Cant. II, 14.) :
" Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l'oiseau de proie volant à l'entour ! Que verrons-nous par l'ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu'à son Cœur, a voici qu'est révélé l'arcane, l'arcane du Cœur, le mystère de l'amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu'y a-t-il en vous, Ô Seigneur, que des trésors d'amour, des richesses a de bonté ? J'irai, j'irai à ces celliers d'abondance ; docile à la voix du prophète (Jerem. XLVIII, 28.), j'abandonnerai les villes, j'habiterai dans la pierre, j'aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse (Exod. XXXIII, 22.) à l'entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur." (In Cant. Serm. LXI.).
Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Eve du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille (I Reg. XVIII, 10-11.), comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n'était que la figure, dans la pierre qui est le Christ (I Cor. X, 4.), la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes (Lignum vitœ.).
Mais nous ne pouvons qu'effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l'ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l'amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l'intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Eglise.
Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d'Helfta, près Eisleben, en Saxe, l'Epoux divin se révélait à l'épouse qu'il avait choisie pour l'introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre :
" Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l'Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l'éditeur du Legatus divinœ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu. entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d'absinthe, et ce qu'elle a pris à longs traits, elle l'a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s'en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l'action du Cœur divin dans l'économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d'elle sainte Mechtilde, sa compagne.
L'une et l'autre, à l'égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l'Eglise. Nous n'en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur Jésus-Cherit a voulu qu'un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur Sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l'Eglise ; mais ils n'en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l'insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.
Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l'avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu'elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu'il avait senti lorsqu'il reposait sur ce Cœur sacré :
" Ma mission, dit-il, fut d'écrire pour l'Eglise encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu'à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l'amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères." (Le Héraut de l'amour divin, Liv. IV, ch. 4.).
Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu'elle en a dit dépasse tout ce que l'imagination de l'homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c'est une lyre touchée par l'Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c'est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s'enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C'est un encensoir d'or, d'où s'élèvent autant de divers parfums d'encens qu'il y a de races diverses d'hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c'est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s'immole lui-même. C'est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c'est une coupe où s'abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d'hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c'est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s'ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d'ineffables délices pour l'éternité." (Préface des Révélations de sainte Gertrude traduites sur la nouvelle édition latine des Bénédictins de Solesmes.).
En découvrant à Gertrude l'ensemble merveilleux que présente la traduction de l'amour infini dans le Cœur de l'Homme-Dieu, l'Esprit divin prévenait l'enfer au lieu même d'où devait surgir, deux siècles plus tard, l'apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l'odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu'avaient connu ses pères l'auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel (Apoc. XII, 4.). Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l'ennemi tenta de pénétrer au sein même de l'Eglise et d'y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d'affirmer les droits du domaine souverain du premier Etre, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s'éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.
Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l'avait aimée d'amour, qu'il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d'Adam le premier père, tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d'accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?
Image du Sacré Coeur de Jésus que sainte Marguerite-Marie
donnait à ses novices lorsqu'elle était maître de celles-ci.
Laissant de côté tant d'illustrations d'éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l'Eglise de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts (I Cor. I, 27.) avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d'un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l'institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l'humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd'hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l'adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s'emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l'âge, l'appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l'amour méconnu du Christ Sauveur.
" Etant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de Jui rendre amour pour amour, il me dit :
" Tu ne m'en peux rendre un plus grand qu'en faisant ce que je t'ai déjà tant de fois demandé."
Alors me découvrant son divin Cœur :
" Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu'il n'a rien épargné, jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce Sacrement d'amour. Mais ce qui m'est encore a le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C'est pour cela que je te demande que le premier vendredi d'après l'Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d'honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu'il lui soit rendu ." (Vie de la Bienheureuse écrite par elle-même.).
En appelant sa servante à être l'instrument de la glorification de son divin Cœur, l'Homme-Dieu faisait d'elle un signe de contradiction, comme il l'avait été lui-même (Luc. II, 34.). Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d'humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre. Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l'Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d'une couronne d'épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d'une chapelle en l'honneur du Sacré-Cœur; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l'an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d'une fête proprement dite, et à sa célébration dans l'Eglise entière.
Châsse qui renferme les saintes reliques de
sainte Marguerite-Marie. Paray-le-Monial.
Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l'amour du Cœur de l'Homme-Dieu qu'il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l'église du Très-Sainct Cœur de Jésus et de Marie (" Le Cœur admirable de la Très Sacrée Mère de Dieu ", épître dédicatoire. Le séminaire des Eudistes à Caen, pour lequel fut bâtie cette église ou chapelle, est aujourd'hui l'Hôtel-de-Ville) ; et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s'être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu'il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l'honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L'Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l'évêque de Rennes et les évêques de Normandie.
Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l'abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu'il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l'Homme-Dieu, telle qu'elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C'était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu'il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d'amener sa célébration dans l'Eglise universelle.
Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l'humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l'un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l'Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l'apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d'abord, et jusqu'en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l'Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s'organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l'honneur de ce Cœur sacré. Mais l'enfer s'indigna de cette grande prédication d'amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l'humanité du Dieu Sauveur (Tit. III, 4.), qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l'idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l'humanité du Christ ; et pendant que s'entassaient à grands frais d'érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues , des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu'on appelait les Cordicoles.
Cependant l'année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l'on ne savait où s'arrêterait le progrès toujours croissant de l'affreuse contagion, quand l'évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l'héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s'engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu'à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.
Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l'Office de saint Jean Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu'il fût nécessaire de recourir à l'autorité du Souverain Pontife pour l'établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l'Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.
Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d'innombrables confréries , lorsqu'en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l'archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur delà fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d'autres Eglises particulières, jusqu'à ce qu'enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l'Episcopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l'Eglise universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.
La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu'elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.
Depuis lors, la connaissance et l'amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu'ils n'avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l'envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l'Eglise en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s'élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu'a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Eglise.
Promesses faites par Notre Seigneur Jésus-Christ à sainte Marguerite-Marie en faveur des personnes qui pratiquent la dévotion à son Sacré-Cœur :
1. Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
2. Je mettrai la paix dans leur famille.
3. Je les consolerai dans toutes leurs peines.
4. Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à la mort.
5. Je répandrai d'abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises.
6. Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l'océan infini de la miséricorde.
7. Les âmes tièdes deviendront ferventes.
8. Les âmes ferventes s'élèveront à une grande perfection.
9. Je bénirai moi-même les maisons où l'image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
10. Je donnerai aux prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis.
11. Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom écrit dans mon Cœur, où il ne sera jamais effacé.
12. Je te promets, dans l'excès de la miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf fois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce, ni sans recevoir leurs Sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré à cette dernière heure.
Saint Jean Eudes. Gravure. XVIIIe.
Les communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois :
En 1688, au cours d'une apparition à sainte Marguerite-Marie, Notre-Seigneur Jésus-Christ daigna lui adresser ces paroles :
" Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf mois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce ni sans recevoir leurs sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré aux derniers moments."
La plus ancienne archiconfrérie
dévouée au Sacré Coeur de Jésus. Rome.
Par l'insertion intégrale de cette promesse dans la Bulle de canonisation de sainte Marguerite-Marie (Acta Apostolicæ Sedis 1920, p. 503), en date du 13 mai 1920, le Pape Benoît XV a encouragé la pratique des communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois, en l'honneur du Sacré-Cœur.
PRIERE
" Ô Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Eglise et la France ; et qu'unies aujourd'hui dans l'épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !"
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7 juin. Saint Mériadec, évêque de Vannes. VIIe.
" L'homme juste ne craint point l'exil, et il n'appelle terre d'exil que celle où il n'y a point de place pour la vertu."
Ciceron, Orat. 38, pro Milone.
Statue de saint Mériadec. Chapelle Saint-Rivalain. Melrand. Bretagne.
Sa mémoire est encore très vivace. L'église du XVIe siècle à Plougasnou possède un reliquaire contenant ce qui pourrait bien être une partie du crâne de Meriadec. A Stival, on conserve ce qui serait sa cloche. Placée sur la tête des sourds et de ceux qui souffrent de la migraine, on dit qu'elle les soignerait.
Chapelle Saint-Mériadec. Stival. Bretagne.
Meriadec était de la race royale des Conan-Mériadec, du nom du premier qui porta le nom de roi de Bretagne ? Dès l'enfance, il avait une gravité de conduite et de tenue qui pouvait laisser prévoir quelle serait un jour sa ssainteté. Son coeur était toute charité. Les maux des autres le touchaient plus que les siens. Avant de devenir ermite, il donna tout son argent à de pauvres clercs, distribua ses terres aux nécessiteux. Sa réputation de sainteté devint si grande qu'il craignit tomber dans la vanité, et se retira plus loin encore du monde. Au lieu de la soie et de la pourpre qu'il portait autrefois, Meriadec se mit à porter des loques, mangeant simplement, vivant dans une totale pauvreté.
La " cloche de saint Mériadec ". Conservée à Stival,
Lorsque ses proches tentèrent de le faire quitter cette nouvelle vie et de revenir dans le monde, il répondit au vicomte de Rohan qui était venu avec eux qu'il ferait mieux de s'occuper de chasser les voleurs et les bandits des environs. Le vicomte le prit au mot, et un grand mal fut chassé hors de Bretagne.
Bien que Meriadec fut unanimement élu évêque de Vannes, Gueganton, évêque de son clergé l'avait agrégé à son clergé malgré ses fortes résistances, il accepta difficilement son épiscopat. Il fallut le conduire de force à Vannes Après sa consécration, il continua à mener une vie d'abstinence et d'amour pour les pauvres. Il mourrut en embrassant ses frères, et criant : " Entre Tes mains, Seigneur, je remet mon esprit."
Il se fit sur la tombe de saint Mériadec et par l'intercession de ce saint en général un nombre considérable de miracle. On peut dire que l'éclat de sa sainteté est plus connue des Bretons que les détails de son existence.
Eglise Saint--Mériadec à Mériadec. Bretagne.
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jeudi, 06 juin 2024
6 juin. Saint Norbert, archevêque de Magdebourg, fondateur des Prémontrés. 1134.
- Saint Norbert, archevêque de Magdebourg, fondateur des Prémontrés. 1134.
Papes : Saint Grégoire VII ; Innocent II. Empereurs d'Allemagne : Henri IV ; Lothaire II.
" L'ordre de Prémontré a fourni à l'Eglise un grand nombre de ses évêques."
Bonniface VIII.
Norbert, issu de nobles parents, naquit près de Cologne en 1080. Il reçut dans sa jeunesse une éducation distinguée. Placé ensuite à la cour de l'empereur, il se laissa attiré par les honneurs et les plaisirs.
Il avait déjà trente-trois ans, quand, traversant à cheval une belle prairie, accompagné d'un seul serviteur, il fut assailli par une soudaine et horrible tempête. La scène de saint Paul sur le chemin de Damas se renouvela ; car Norbert entendit une voix céleste lui dire :
" Pourquoi Me fuis-tu ? Je te destinais à édifier Mon Église, et tu scandalises Mon peuple."
En même temps, la foudre éclate et le renverse par terre, où il demeure évanoui pendant une heure entière. Quand il eut recouvré ses sens, il dit à Dieu :
" Seigneur, que demandez-Vous de moi ?"
Et la réponse à sa question lui fit comprendre qu'il devait quitter le monde et vivre dans la pénitence.
La conversion fut immédiate et complète, et bientôt l'on put voir, non sans étonnement, le brillant gentilhomme échanger ses riches vêtements contre la bure du moine. Il se prépara pendant quarante jours, dans un monastère, à offrir pour la première fois le Saint Sacrifice de la Messe.
Il méprisa dès lors les attraits du monde, et voulut être enrôlé dans la milice ecclésiastique. Après avoir reçu les saints Ordres, il renonça au luxe et il se livra tout entier à la prédication de la parole de Dieu. Ayant renoncé pareillement aux revenus ecclésiastiques dont il jouissait et qui étaient considérables, il distribua de plus son patrimoine aux pauvres, et entreprit un genre de vie d'une austérité admirable, ne faisant qu'un seul repas par jour qu'il prenait sur le soir et qui ne consistait qu'en mets permis pour le carême, marchant nu-pieds et ne portant que des habits usés dans les rigueurs même de l'hiver.
Saint Norbert. Laurent de La Hyre. XVIIe.
Norbert obtint du Pape les pouvoirs de missionnaire apostolique et commença à prêcher la pénitence. Ses oeuvres étaient plus éloquentes encore que sa prédication : il marchait nu-pieds, même en plein hiver, au milieu de la neige, n'avait pour vêtement qu'un rude cilice en forme de tunique et un manteau de pénitent ; il observait perpétuellement le carême selon la rigueur des premiers siècles, et y ajoutait de ne manger presque point de poisson et de ne boire du vin que très rarement : on eût dit un nouveau Jean-Baptiste, par son zèle et ses austérités.
Cependant Dieu réservait à Norbert la gloire de fonder l'Ordre des Prémontrés, ainsi nommé parce que le Saint avait eu révélation du lieu où il devait l'établir. Saint Augustin lui ayant apparu, une Règle d'or à la main, il comprit qu'il devait adopter pour son Ordre la règle de ce grand docteur. Il fut lui-même la règle vivante de ses frères.
En 1126, se réalisa une vision que sa mère avait eue avant sa naissance : Norbert fut obligé d'accepter l'archevêché de Magdebourg, et il eut désormais outre le souci de son Ordre, le soin de son diocèse, où son apostolat fut traversé par de grandes persécutions et couronné d'abondants fruits de salut. Rien du reste, n'avait changé dans sa vie, et jusqu'à sa mort il mena dans son palais la vie d'un moine dans sa cellule.
Vue de l'église Sainte-Marie du Strahof sur le Mont-Sion de Prague.
Ayant été appelé à Anvers, Norbert détruisit dans cette ville la coupable hérésie de Tanquelin. Il fut illustré par le don de prophétie et celui des miracles. A la fin, ayant été élevé, malgré ses refus, sur le siège archiépiscopal de Magdebourg, il y soutint avec constance la discipline ecclésiastique , principalement le célibat. Au concile de Reims, il se montra un excellent appui d'Innocent II, et, se rendant à Rome avec d'autres évêques il réprima le schisme de Pierre de Léon.
Enfin cet homme de Dieu, rempli du Saint-Esprit et chargé de mérites, s'endormit dans le Seigneur à Magdebourg, l'an du salut onze cent trente-quatre, le six de juin.
Son corps, après avoir été transféré dans l'église Notre-Dame du monastère de son ordre à Magdebourg, fut transféré en 1627 à Prague par ordre de Ferdinand II après que la ville de Magdebourg fût tombée aux mains des bêtes féroces luthériennes. Il est toujours dans l'église Sainte-Marie du couvent des prémontrés de cette ville, le Strahof.
PRIERE
" Vous sûtes racheter le temps (I Petr. IV, 2.) comme il convenait, Ô Norbert, en ces jours mauvais où vous-même, entraîné par l'exemple de la multitude insensée, aviez frustré Dieu si longtemps dans ses desseins d'amour. Les années refusées par vous d'abord au service du seul vrai Maître du monde lui sont revenues multipliées à l'infini, augmentées de toutes celles que lui ont données vos fils et vos filles. En vingt ans, vos oeuvres personnelles ont, elles aussi, rempli le monde. Le schisme abattu, l'hérésie terrassée pour la plus grande gloire du divin Sacrement qu'elle attaquait dès lors, les droits de l'Eglise revendiqués intrépidement sur les princes de ce monde et tous les détenteurs injustes, le sacerdoce rendu à sa pureté première, la vie chrétienne affermie sur ses véritables fondements qui sont la prière et la pénitence : tant de triomphes en si peu d'années, sont dus à la générosité qui vous empêcha de regarder en arrière, même un instant, du jour où l'Esprit-Saint toucha votre cœur.
Faites donc comprendre aux hommes qu'il n'est jamais trop tard pour commencer à servir Dieu. Fût-on, comme vous, déjà sur le soir de la vie, ce qu'il reste de temps suffit à faire de nous des saints, si nous donnons pleinement ce reste au ciel (Eph. V, 16.).
Foi et patience furent vos vertus chéries ; répandez-les sur notre triste siècle, qui ne sait plus que douter et que jouir en allant stupidement à l'abîme. N'oubliez point dans le ciel, Ô apôtre, les contrées que vous avez évangélisées, malgré leur oubli, malgré leur retour aux tromperies de l'enfer. Saint pontife, Magdebourg a perdu l'antique foi, et avec elle le dépôt qu'elle ne méritait plus de votre saint corps ; Prague possède aujourd'hui vos reliques sacrées ; en bénissant l'hospitalière cité, priez pour la ville ingrate qui n'a pas su garder son double trésor.
Saint Norbert flanqué des rois de Bohème
Enfin, Ô fondateur de Prémontré, souriez à la France qui se réclame de votre plus pure gloire. Obtenez de Dieu que, pour le salut de nos temps malheureux, il rende à votre puissant Ordre quelque peu de son ancienne splendeur. Bénissez dans leur trop petit nombre, ceux de vos fils et de vos filles qui cherchent, en dépit des hostilités ridicules et odieuses du pouvoir, à faire revivre chez nous vos bienfaits. Maintenez en eux votre esprit : qu'ils sachent trouver dans la paix avec eux-mêmes le secret du triomphe sur les forces de Satan ; que les splendeurs du culte divin soient toujours pour eux la montagne aimée d'où, comme Moïse, ils rapportent au peuple chrétien, nouvel Israël, la connaissance des volontés du Seigneur."
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mercredi, 05 juin 2024
5 juin. Saint Boniface, archevêque de Mayence, Apôtre de l'Allemagne et Martyr. 754.
- Saint Boniface, archevêque de Mayence, Apôtre de l'Allemagne et Martyr. 754.
Papes : Saint Agathon ; Etienne II. Rois de France : Thierry III ; Pépin le Bref.
" Vae mihi si non evangelisavero."
" Malheur à moi si je ne prêche pas l'évangile !"
I Cor. IV, 17.
Saint Boniface, appelé d'abord Winfrid, naquit à Kirton, dans le Devonshire, de parents considérables, et qui eurent un grand soin de son éducation. Dès l'age de 5 ans, ayant vu dans la maison paternelle quelques moines qui faisaient des missions dans le pays, il demanda à les suivre dans leur monastère ; toutefois, son père, prenant ses souhaits pour des fantaisies d'enfant, lui refusa absolument ce qu'il demandait.
Mais il eut beau faire, l'aspiration à la vie monastique croissait dans le coeur de son fils, et, comme il s'y opposait, il tomba dangereusement malade ; il y vit un signe de la volonté de Dieu, et permit à Winfrid de suivre sa vocation.
Notre Saint passa 13 ans dans le monastère d'Adesean-Castre, aujourd'hui Exeter, qui était sous la conduite d'un saint abbé nommé Wolphard. Il passa ensuite dans l'abbaye de Nutcell, dont le vénérable Winbert était abbé ; il n'y fit pas un moindre progrès dans les lettres humaines que dans la vertu. Après avoir été écolier, il devint maître, et enseigna aux autres ce qu'il avait appris avec tant de soin. Beaucoup d'élèves, de couvents éloignés, accouraient à ses leçons. A l'age de 30 ans, il fut ordonné prêtre. Peu de temps après, le roi Ina et le clergé, réunis dans un synode, le chargèrent d'une ambassade auprès de Britkwald, archevêque de Cantorbéry, qui devait approuver les décisions de ce synode ; il s'acquitta de cette négociation avec tant d'habilité et de prudence, qu'il jouit dès lors de la plus grande considération ; on l'invitait à presque tous les synodes.
Mais Winfrid était destiné par la Providence à une plus grande mission. La Grande-Bretagne travailla pendant un siècle à christianiser la Germanie : notre Saint devait achever cette sainte entreprise et organiser définitivement l'Eglise chez les peuples germaniques. Il vint d'abord dans la Frise, et s'avança jusqu'à Utrecht, la capitale de ce pays ; mais le roi Radbod, qui persécutait le Christianisme, rendit inutiles tous les efforts de l'Apôtre. Il fut obligé de revenir en Angleterre, où on le nomma abbé de son monastère.
Après un séjour de 2 ans (718), il résolut de recommencer son apostolat. Muni de lettres de recommandation de son évêque, le sage Daniel, de Winchester, il partit pour Rome, afin de recevoir l'appui du pape. Grégoire II, après avoir éprouvé sa foi, sa vertu et la pureté de ses intentions, l'encouragea par de sages conseils et confirma sa mission, le 15 mai 719. Il lui donna aussi des saintes reliques et des lettres de recommandation pour les souverains christianisés qui se trouveraient sur sa route.
Comblé de faveurs et muni d'utiles recommendations, le Saint partit de Rome ; et, après avoir visité en passant Luitprand, roi des Lombards, qui lui fit très-bon accueil, il entra en Germanie, et alla jusqu'en Thuringe, où il séjourna quelque temps, exhortant les princes et les notables de la province à embrasser la Foi de Jésus-Christ. Il y réforma aussi quelques prêtres qui s'étaient abandonnés à plusieurs déréglements. Mais ayant entendu dire que Radbod, roi des Frisons et ennemi juré de la Foi chrétienne, était mort, il monta sur un bateau pour passer en Frise ; et, y étant arrivé, il travailla glorieusement à la conversion des infidèles.
Il obéissait, en tous ses travaux, à saint Willibrod, archevêque d'Utrecht. Celui-ci voulait l'avoir pour coadjuteur et comme successeur mais le Saint refusa cette dignité, disant qu'il devait évangéliser les idolâtres de toute la Germanie. Après être resté 3 ans dans la Frise, il parcourut de nouveau la Thuringe et la Hesse, que les armes de Charles-Martel lui avaient ouvertes, en délivrant les 2 pays des Saxons. Il fonda le couvent de Hamelbourg, sur la Saale.
Ensuite, il envoya au pape Grégoire un de ses disciples et de ses associés, pour lui annoncer les progrès de l'Evangile, et pour lui demander conseil sur quelques difficultés touchant la discipline ecclésiastique, et sur la manière dont il se devait comporter avec les nouveaux convertis. Le Pape de Rome lui répondit article par article ; mais voulant être plus amplement informé du succès de cette grande mission, il lui manda de le venir trouver à Rome. Winfrid s'y rendit aussitôt, et lui fit connaître de vive voix ce qu'il lui avait mandé dans ses lettres. Il lui donna aussi, par écrit, sa profession de Foi ; après quoi Winfrid y fut consacré évêque régionnaire, le 30 novembre 723.
De plus, il lui changea le nom de Winfrid, qu'il avait porté jusqu'alors, en celui de Boniface, et lui fit présent d'un livre contenant les règles et les institutions canoniques et des ordonnances, tirées des saints Conciles. Il lui mit encore entre les mains des lettres, non-seulement pour Charles-Martel, qui gouvernait alors le royaume des Francs, mais aussi pour les ecclésiastiques et les princes de Germanie ; il exhortait les uns à le favoriser et à le secourir dans ses besoins, et les autres à la persévérance dans la Foi Chrétienne. Il y en avait aussi pour le peuple de Thuringe, où il l'instruisait de quelques points de la foi et lui recommandait de rendre toute sorte d'obéissance à Bouiface, son père évêque, et de le recevoir comme celui qui lui était envoyé, non pas pour profiter de ses biens temporels, mais pour gagner les âmes à Jésus-Christ. Il n'y eut pas même jusqu'aux Saxons nouvellement convertis que ce vigilant Pape n'honorât d'une lettre, pour les exhorter à demeurer constants dans la Foi qu'ils venaient d'embrasser.
Boniface étant muni de ces lettres et recommandations, s'en vint en Austrasie pour présenter les lettres du Pape à Charles-Martel, qui lui en donna en même temps d'autres de faveur et de protection pour les souverains de Germanie. Cependant, avec toutes ces puissantes recommandations, il ne manqua pas de difficultés dans l'exécution de ses desseins, particulièrement lorsqu'il prêcha aux Hessois et aux Goths qui étaient extrêmement attachés aux superstitions du paganisme : il osa entreprendre d'abattre le principal sanctuaire païen de la contrée : c'était le chêne de Thor ou du Tonnerre, arbre gigantesque, près du village de Geismar. Les idolâtres menaçaient Boniface de le massacrer ; mais le chêne s'étant fendu en 4, et étant tombé au premier coup de cognée qu'il lui donna, ils en furent si épouvantés, que, plusieurs ouvrant les yeux à la lumière de l'Evangile, se convertirent à la Foi. A la suite de ce miracle, il fit bâtir, dans le même endroit, du bois même de cet arbre, une petite chapelle qu'il consacra en l'honneur du prince des Apôtres, et ce fut la première église de ces pays.
On vit sortir aussi des couvents de la Grande-Bretagne un essaim de veuves et de vierges, mères, soeurs, parentes des missionnaires, jalouses de partager leurs vertus et leurs périls. Chunihild et Berathgit, sa fille, s'arrêtèrent en Thuringe. Chunidrat fut envoyée en Bavière ; Thecla demeura à Kitzingen, sur le Mein. Lioba, " belle comme les Anges, ravissante dans ses discours, savante dans les Ecritures et les saints Canons ", gouverna l'abbaye de Bischofsheim. Les farouches Germains, qui autrefois aimaient le sang et se mêlaient aux batailles, venaient maintenant s'agenouiller au pied de ces douces maîtresses. Le silence et l'humilité ont caché leurs travaux aux regards du monde ; mais l'histoire marque leur place aux origines de la civilisation germanique : la providence a mis des femmes auprès de tous ces berceaux.
Au bout de quelques années, l'Apôtre comptait 100.000 convertis.
Tandis que saint Boniface était occupé en Germanie, non-seulement à prêcher aux infidèles, mais aussi à corriger les moeurs déréglées des néo-Chrétiens de Thuringe, qui, par la négligence des pasteurs, commençaient à chanceler en la Foi, Grégoire II passa de cette vie à une meilleure, et Grégoire III fut élu en sa place pour remplir le Siège de Rome. Notre Saint envoya à Rome des délégués pour rendre ses respects au nouveau Patriarche d'Occident ; et il le consulta, par le même moyen, sur quelques doutes qui concernaient sa mission. Le Pontife romain lui fit une réponse très-favorable, et lui accorda même le Pallium pour marque de sa dignité archiépiscopale, et lui permettant ainsi de créer de nouveaux évêques, selon qu'il le jugerait plus nécessaire pour le progrès de la diffusion de la Foi.
L'an 738, il vint effectuer un 3e pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres Pierre et Paul. Il en profita pour s'entretenir avec l'évêque de Rome sur plusieurs articles importants pour le Salut des âmes. Il reçut un très bon accueil, et pareil à celui que ses prédécesseurs avaient fait autrefois à saint Athanase, à saint Epiphane et à d'autres grands personnages qui avaient bien servi l'Eglise. A son départ, il lui donna plusieurs reliques qu'il lui avait demandées ; il lui donna aussi Wilibaud, religieux Anglais du Mont-Cassin, pour l'aider dans ses fonctions apostoliques. Boniface se dirigea vers la ville de Pavie, tant pour visiter Luitprand, roi des Lombards, que pour y vénérer les saintes reliques de saint Augustin d'Hippone, apportées depuis quelques années de l'lle de Sardaigne, par les soins de ce prince.
Il passa ensuite en Bavière ; après avoir délivré la province de plusieurs faux ministres, qui usurpaient l'office des prêtres, et de quelques autres qui se disaient évêques, il érigea 3 évêchés : celui de Salzbourg, celui de Freisingen et celui de Ratisbonne, ou aussi celui de Passau qui était déjà établi. Il en avertit le pontife Romain, qui approuva, avec ce bel éloge : qu'après Dieu, la conversion de 100.000 païens lui était due, à lui et à Charles-Martel, prince des Francs, qui l'avait beaucoup assisté dans cette entreprise.
Pépin le Bref. Amiel, XIXe siècle.
L'an 742, il assembla, à la demande de Grégoire III, le Concile de Germanie, dans lequel il fit faire plusieurs saints décrets pour l'heureux établissement de ces nouvelles églises. Il présida, en 744, le concile de Soissons, où l'on rétablit l'autorité des métropolitains, ébranlée en quelques endroits. Il présida encore d'autres conciles. Il était puissamment soutenu par Carloman et Pépin, qui avaient succédé à Charles-Martel leur père, en 741. Dans l'année 744, il posa les bases du couvent de Fulda, ce grand monastère qui fut pour la Germanie centrale ce que furent le Mont-Cassin pour l'Italie, Saint-Gall pour la Germanie méridionale, la nouvelle Corbie pour la Saxe et le nord de la Germanie.
Gewilied, évêque de Mayence, ayant été déposé, le pape de Rome Zacharie fit nommer Boniface archevêque de Mayence. Il devenait ainsi le métropolite, primat de toute la Germanie (747), et des certains diocèses se trouvant actuellement en France et Belgique. En cette qualité il sacra, à Soissons, en 752, roi des Francs, Pépin le Bref, tige de nos rois appelés Carlovingiens, à cause de Charlemagne, fils aîné de ce prince, comme la première s'appelait des Mérovingiens, à cause de Mérovée, fils de Pharamond.
Il est important de noter que par la suite, en 754, le pape Etienne II octroya, par un second sacre, à la royauté de Pépin le caractère religieux indispensable.
Enfin, Dieu voulant récompenser les illustres travaux de Son serviteur par la couronne du martyre, lui donna l'inspiration de retourner en Frise, où le peuple, qu'il avait converti plusieurs années auparavant, s'était replongé dans l'idolâtrie. Il demanda conseil au pape de Rome, qui l'autorisa à quitter sa métropole pour reprendre la mission en Frise. Ensuite il écrivit à Fulrade, abbé de Saint-Denis, premier aumônier du roi, afin qu'il suppliât Pépin de l'assister de son autorité dans cette entreprise, et de secourir aussi ses disciples qui étaient dans la dernière indigence. Enfin, ayant ordonné en sa place un saint prêtre appelé Lulle, selon son pouvoir de métropolite, et l'ayant prié d'avoir soin, quand il aurait reçu les nouvelles de sa mort, de retirer son corps pour le faire inhumer, il partit de Mayence et s'embarqua sur le Rhin, avec Eoban, évêque, 3 diacres et 4 moines. Ils arrivèrent tous heureusement en Frise où ils baptisèrent en peu de jours plusieurs milliers de personnes.
Un jour, le 5 juin, le pavillon de l'archevêque avait été dressé près de Dockum, au bord de la Burda, qui sépare les Frisons orientaux et les occidentaux. L'autel était prêt et les vases sacrés disposés pour le saint Sacrifice, car une grande multitude était convoquée pour recevoir l'imposition des mains.
Après le lever du soleil, une nuée de barbares, armés de lances et de boucliers, parut dans la plaine et vint fondre sur le camp. Les serviteurs coururent aux armes et se préparèrent à défendre militairement leurs maîtres. Mais l'homme de Dieu, au premier tumulte de l'attaque, sortit de sa tente entouré de ses clercs et portant les saintes reliques, qui ne le quittaient point :
" Cessez ce combat, mes enfants ! s'écria-t-il ; souvenez-vous que l'Ecriture nous apprend à rendre le bien pour le mal. Car ce jour est celui que j'ai désiré longtemps, et l'heure de notre délivrance est venue. Soyez forts dans le Seigneur, espérez en lui, et il sauvera vos âmes."
Puis, se retournant vers les prêtres, les diacres et les autres clercs, il leur dit ces paroles :
" Frères, soyez fermes, et ne craignez point ceux qui ne peuvent rien sur l'âme ; mais réjouissez-vous en Dieu, qui vous prépare une demeure dans la cité des Anges. Ne regrettez pas les vaines joies du monde, mais traversez courageusement ce court passage de la mort, qui sous mène à un royaume éternel."
Aussitôt une bande furieuse de barbares les enveloppa, égorgea les serviteurs de Dieu, et se précipita dans les tentes, où, au lieu d'or et d'argent, ils ne trouvèrent que des reliques, des livres, et le vin réservé pour le saint Sacrifice. Irrités de la stérilité du pillage, ils s'enivrèrent, ils se querellèrent et se tuèrent entre eux. Les Chrétiens, se levant en armes de toutes parts, exterminèrent ce qui était resté de ces misérables. Saint Boniface tenait en mourant le livre des Evangiles entre les mains : ces infidèles le percèrent d'un coup d'épée ; mais ils n'en coupèrent pas une seule lettre : ce qui ne se put faire sans miracle.
Martyre de saint Boniface. Sacramentaire de Fulda. XIe.
Son corps fut d'abord porté à Maastricht, ensuite à Mayence, et, de là, il fut solennellement transféré au monastère de Fulda, comme il l'avait ordonné. Il a fait, depuis, beaucoup de miracles, que l'on peut voir dans ses actes. (l'église collégiale de Saint-Quentin, dans l'Aisne, possède une partie du crâne de saint Boniface. Nous avons fait des recherches pour savoir comment cette relique insigne était arrivée en la possession de cette église sans avoir pu y parvenir).
Nous ne voulons pas omettre ici un très-bel apophthegme qui est attribué à ce saint Apôtre et Martyr, au concile de Tivoli. Faisant allusion à la mauvaise vie de quelques prêtres de son temps, il disait que :
" Autrefois les prêtres étaient d'or, et se servaient de calices de bois ; mais qu'alors ils étaient de bois, et se servaient de calices d'or."
On peint saint Boniface tenant un livre qui est traversé par une épée. Comme cette épée n'endommagea pas le texte sacré, les tailleurs qui ont besoin d'avoir le coup de ciseaux sûr et adroit, ont choisi saint Boniface pour leur patron.
Cathédrale Saint-Martin de Mayence.
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mardi, 04 juin 2024
4 juin. Saint François Caracciolo, fondateur des Clerc régulier Mineur. 1608.
François, de la famille Caracciolo, l'une des plus illustres du royaume de Naples, entra dès son enfance dans le chemin de la perfection, par l'amour de la pénitence et une tendre dévotion à la Sainte Vierge. Il récitait chaque jour le petit Office et le Rosaire et jeûnait tous les samedis en l'honneur de sa bonne Mère. Cependant, jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, il ne songeait point à quitter le siècle. Il fallut l'horrible maladie de la lèpre pour le détacher du monde et le décider à se donner à Dieu dans la vie religieuse. La Providence lui fit rencontrer bientôt deux vertueux prêtres, Jean-Augustin Adorno, jeune homme qui avait renoncé aux vanités du monde après les avoir éprouvées et Frabrice Carraciolo, son oncle, abbé de la collégiale Sainte-Marie Majeure de Naples.
Dès ses premières années il brilla par sa piété ; il était encore dans son adolescence , lorsque pendant une grave maladie il prit la résolution de s'attacher entièrement au service de Dieu et du prochain. Il se rendit à Naples, y fut ordonné prêtre, et ayant donné son nom à une pieuse confrérie, il se livra tout entier à la contemplation et au salut des pécheurs ; il s'adonnait assidûment à la fonction d'exhorter les criminels condamnés au dernier supplice.
François, encore tout jeune, fut bientôt supérieur général de l'Ordre, qui prenait de rapides accroissements. Il profita de la liberté que lui donnait cette charge pour augmenter ses exercices de piété et de mortification. Trois fois la semaine il jeûnait au pain et à l'eau, portait habituellement un rude cilice, prenait toutes les nuits la discipline, et passait le temps du repos partie au pied du Très Saint-Sacrement et partie dans l'étude. Quand le sommeil le pressait, c'était souvent sur le marchepied de l'autel qu'il prenait le peu de repos qu'il accordait à la nature, et qui ne durait jamais plus de trois ou quatre heures. Il donnait sept heures chaque jour à la contemplation et à la méditation de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ami de la pauvreté, si on lui donnait des vêtements neufs, il les changeait avec les habits les plus usés des simples frères ; il évitait avec soin toutes les marques de distinction et d'honneur, disant :
" Je n'en suis pas digne ; la Compagnie ne me supporte que par charité."
Il signait ordinairement ses lettres :
" François, pécheur."
Il arriva un jour qu'une lettre destinée à un autre lui fut remise par erreur de nom ; on y invitait le destinataire à prendre part à la fondation d'un nouvel institut religieux, et l'invitation venait de deux pieux personnages. C'est Jean-Agustin Adorno qui eut le premier l'idée de la fondation d'un nouvel Ordre, c'est Fabrice Carraciolo qui bénit, encouragea et s'associa à la fondation et notre saint qui, recevant par inadvertance une communication entre les deux précédents - ne portaient-ils pas le même patronyme ? - se joignit pour l'établissement des Clercs réguliers Mineurs. Frappé de la nouveauté du fait et admirant les conseils de la volonté divine, François se joignit à eux avec allégresse. Ils se retirèrent dans une solitude des Camaldules pour y arrêter les règles du nouvel Ordre, et se rendirent ensuite à Rome où ils en obtinrent la confirmation de Sixte-Quint. Celui-ci voulut qu'on les appelât Clercs Réguliers Mineurs. Ils ajoutèrent aux trois voeux ordinaires celui de ne point rechercher les dignités.
A la suite de sa profession solennelle, notre saint prit le nom de François à cause de sa dévotion particulière envers saint François d'Assise. Adorno étant venu à mourir deux ans après, il fut mis, malgré lui, à la tète de tout l'Ordre, et, dans cet emploi, il donna les plus beaux exemples de toutes les vertus. Zélé pour le développement de son institut, il demandait à Dieu cette grâce par des prières continuelles, des larmes et de nombreuses mortifications. Il fit trois fois dans ce but le voyage d'Espagne, couvert d'un habit de pèlerin et mendiant sa nouriture de porte en porte.
Le Saint alla lui-même établir son Ordre à Madrid, en Espagne, où il obtint un succès extraordinaire ; il y fit trois voyages et s'acquit une telle réputation, qu'on ne l'appelait que le Prédicateur de l'amour divin. A toutes les instances du Pape Paul V, qui voulait l'élever aux dignités ecclésiastiques, il faisait répondre :
" Je veux faire mon salut dans mon petit coin."
Il eut dans la route grandement à souffrir, mais éprouva aussi d'une façon merveilleuse l'appui du Tout-Puissant. Par le secours de sa prière, il arracha au danger imminent du naufrage le navire sur lequel il était monté. Pour arriver aux fins qu'il s'était proposées dans ce royaume, il dut peiner longtemps ; mais la renommée de sa sainteté et la très large munificence dont il fut favorisé par les rois Catholiques Philippe II et Philippe III, l'aidèrent à surmonter avec une force d'âme singulière l'opposition de ses ennemis, et il fonda plusieurs maisons de son Ordre ; ce qu'il fit également en Italie avec le même succès.
Son humilité était si profonde, que lorsqu'il vint à Rome, il fut reçu dans un hospice de pauvres où il choisit la compagnie d'un lépreux, et qu'il refusa constamment les dignités ecclésiastiques que lui offrait Paul V. Il conserva toujours sans tache sa virginité, et gagna à Jésus-Christ des femmes dont l'impudence avait osé lui tendre des pièges. Enflammé du plus ardent amour envers le divin mystère de l'Eucharistie, il passait les nuits presque entières en adoration devant lui ; et il voulut que ce pieux exercice, qu'il établit comme devant être pratiqué à jamais dans son Ordre, en fût le lien principal. Il fut un propagateur zélé de la dévotion envers la très sainte Vierge Mère de Dieu. Sa charité envers le prochain fut aussi ardente que généreuse.
Il fut doué du don de prophétie et connut le secret des cœurs. Etant âge de quarante-quatre ans, un jour qu'il priait dans la sainte maison de Lorette, il eut connaissance que la fin de sa vie approchait. Aussitôt il se dirigea vers l'Abruzze, et étant arrivé dans la petite ville d'Agnoni, il fut atteint d'une fièvre mortelle dans la maison de l'Oratoire de saint Philippe Néri.
Près de mourir, on l'entendait crier en se soulevant de son lit :
" Seigneur Jésus, que Vous êtes bon. Seigneur, ne me refusez pas ce précieux sang que Vous avez répandu pour moi... Ô Paradis ! Ô Paradis !..."
Après avoir fait ses adieux à ses frères, tenant le crucifix d'une main et l'image de Marie de l'autre, il mourut le 4 juin 1608, à l'âge de quarante-quatre ans, en disant :
" Allons ! Allons !
- Et où ? lui répondit-on.
- Au Ciel ! Au Ciel !"
Ayant donc reçu les sacrements de l'Eglise avec la plus tendre dévotion, il s'endormit paisiblement dans le Seigneur la veille des nones de juin de l'an mil six cent huit, le jour d'avant la fête du Saint-Sacrement. Son saint corps fut porté à Naples et enseveli avec honneur dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, où il avait jeté les premiers fondements de son Ordre. L'éclat de ses miracles détermina le Souverain Pontife Clément XIV à l'inscrire solennellement au nombre des bienheureux ; et de nouveaux prodiges ayant déclaré de plus en plus sa sainteté, Pie VII le mit au nombre des Saints l'an mil huit cent sept.
Sans cesse, sur la terre, vous vous écriiez au Seigneur avec le Psalmiste : " Le zèle de votre maison m'a dévoré " (Psalm. LXVIII, 10.). Ces paroles, qui étaient moins encore les paroles de David que celles de l'Homme-Dieu dont il était la figure (Johan. II, 17.), remplissaient bien réellement votre cœur; après la mort, on les trouva gravées dans la chair même de ce cœur inanimé, comme ayant été la règle unique de ses battements et de vos aspirations. De là ce besoin de la prière continuelle, avec cette ardeur toujours égale pour la pénitence, dont vous fîtes le trait particulier de votre famille religieuse, et que vous eussiez voulu faire partager à tous. Prière et pénitence ; elles seules établissent l'homme dans la vraie situation qui lui convient devant Dieu. Conservez-en le dépôt précieux dans vos fils spirituels, Ô François ; que par leur zèle à propager l'esprit de leur père, ils fassent, s'il se peut, de ce dépôt sacré le trésor de la terre entière."
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