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22 novembre. Sainte Cécile de Rome, vierge et martyre, avec saint Tiburce et saint Valérien, martyrs. 177 - 180.

- Sainte Cécile de Rome, vierge et martyre, avec saint Tiburce et saint Valérien, martyrs. 177, 180.

Pape : Saint Eleuthère. Empereur romain d'Occident : Marc-Aurèle.

" Plurima cum sponso generavit pignora virgo."
" Vierge avec un épous vierge, elle a enfanté à l'Eglise une famille nombreuse."
Hugues Vaillant, Fasta Sacri.


Sainte Cécile. Anonyme. XVIIe. Chambéry.

Pour prévenir tout malentendu, nous répéterons que dire de certains actes qu'ils sont interpolés, ce n'est pas rejeter du même coup l'existence ou le martyre d'un saint. Prenons pour exemple sainte Cécile ; nous ne pensons pas qu'un seul historien admette aujourd'hui l'authenticité de ses actes ; on peut s'en rapporter là-dessus à son plus illustre historien, Dom Guéranger. Mais ce n'est pas à dire que l'existence ou le martyre de la sainte patricienne, ni même que certains éléments de son procès ne soient pas authentiques.

Les Actes de sainte Cécile ne sont, à première vue, qu'un fatras de discours insérés dans les intervalles de quelques faits assez bien circonstanciés. L'étude attentive de cette pièce conduit aux conclusions suivantes : Le martyrologe d'Adon donne d'abord la date du martyre qu'il a dû emprunter à un document ancien : " Passa est beata virgo Marco Aurelio et Commodo imperatoribus ", ce qui nous limite aux années emprises entre l'élévation de Commode à la dignité d'Auguste et la mort de Marc-Aurèle (177-180).

En ce qui concerne l'épisode lui-même du martyre, il se réduit à ceci : Une jeune clarissime épouse un patricien à qui elle persuade de garder la continence, puis le convertit et lui fait donner le baptême. Le frère du mari se convertit également et reçoit le baptême. Les deux jeunes hommes pleins de zèle, s'ingénient à procurer la sépulture aux corps des martyrs. Dénoncés de ce chef au préfet urbain, ils refusent de sacrifier et sont décapités.


Sainte Cécile et deux anges. Antiveduto Grammatica. XVIIe. Italie.

On les conduit à quatre milles de Rome ; eux, en chemin, convertissent le greffier et plusieurs employés. Le greffier se déclare chrétien et on l'assomme à coups de fouets plombés. Les trois martyrs sont enterrés sur la voie Appienne par Cécile, qui elle-même est arrêtée peu après. Mais elle était prévenue et avait pris ses dispositions touchant ses biens. L'interrogatoire contient plusieurs traits probablement authentiques. Le préfet lui rappela le texte des rescrits impériaux alors en vigueur :
" Ignores-tu que nos seigneurs, les invincibles princes, ont ordonné de punir ceux qui ne renieraient pas la religion chrétienne et de renvoyer absous ceux qui la renieraient ?"

Ce sont les propres termes du rescrit adressé en 177 au légat de la Lyonnaise.
" Voici, ajouta-t-il, les accusateurs qui déposent que tu es chrétienne. Nie-le, et les conséquences de l'accusation retomberont sur eux."
Allusion très claire au rescrit d'Hadrien à Minucius Fundanus, qui n'avait pas cessé de faire loi. Cécile fut condamnée à être asphyxiée dans la salle de bains de sa maison ; mais la sainte survécut à ce supplice ; un licteur, envoyé pour lui couper la tête, lui entailla le cou par trois fois et la laissa respirant encore ; elle agonisa pendant trois jours. On l'enterra dans un domaine funéraire de la voie Appienne.

Plusieurs traits de ce récit démontrent quelles Actes contiennent une part sérieuse de vérité. La formule du pluriel pour désigner les empereurs, le refus de sépulture aux martyrs, la citation des rescrits d'Hadrien et de Marc-Aurèle dont le règne et celui de Commode devaient voir disparaître la jurisprudence à laquelle il est fait allusion ici.

Huit épisodes de la vie de sainte Cécile.
Le Maître de Sainte-Cécile. Florence. XIVe

La découverte et la reconnaissance des restes apporta un témoignage décisif. En 822, le pape Pascal Ier trouva le corps intact dans le cercueil de cyprès dont parlent les Actes; les vêtements, les compresses qui avaient étanché le sang confirmaient le récit des Actes.

En 1599, une seconde reconnaissance donna lieu aux mêmes constatations. On découvrit alors un autre sarcophage qui contenait deux corps du sexe masculin, tous deux décapités, et un troisième dont la chevelure brune collée de sang recouvrait encore un crâne fracturé en divers endroits, ce qui est d'accord avec le récit des Actes touchant le supplice des plumbatae infligé à Maxime.

Par contre, les Actes ont confondu un évêque du nom d'Urbain avec le pape Urbain, postérieur d'un demi-siècle ; de plus, ils racontent à rebours tout ce qui a trait à l'inhumation de Cécile dans la crypte où furent dans la suite déposés les papes, lorsque ce domaine fut devenu propriété ecclésiastique.


Sainte Cécile. Raphaël. XVIe.

Cécile avait entendu la voix qui nous dit dans l'Évangile :
" Venez à moi vous tous qui travaillez, et qui êtes accablés, et je vous soulagerai."

Aussi portait-elle toujours sur sa poitrine les saints Évangiles, qu'elle lisait et relisait nuit et jour au cours d'une prière ininterrompue. Elle avait un tout jeune fiancé nommé Valérien, épris de sa beauté. Le jour des noces était fixé. Sous sa robe tissée d'or elle portait un cilice. Quand vint le jour du mariage, Cécile disait pendant le concert :
" Seigneur, faites que mon coeur et mon âme demeurent immaculés, qu'ils soient tout entiers à vos préceptes, afin que je ne sois pas confondue."

Elle jeûna pendant deux ou trois jours, se recommandant à Dieu, invoquant les Anges, suppliant les Apôtres et implorant toutes les saintes servantes de Jésus-Christ afin qu'ils l'aidas-sent ; elle remettait sa chasteté entre les mains de Dieu.

La nuit arriva, elle se trouva seule avec son mari et réclama d'abord un secret absolu sur la confidence qu'elle voulait lui faire ; il s'y engagea. Alors Cécile lui confia qu'elle était vierge et que celui qui attenterait à sa chasteté, fût-il son mari, serait frappé de Dieu. Le mari, vivement intrigué de tout ce mystère, consentit à aller en chercher l'explication chez un évêque qui habitait Rome et qui avait nom Urbain. Ce personnage catéchisa séance tenante le visiteur, le baptisa, lui apprit le symbole et le renvoya à Cécile. Dans sa ferveur de converti, il tenta d'amener à la foi son propre frère Tiburce, dont le même évêque Urbain acheva l'instruction et consomma la régénération.


Psautier cistercien. Besançon. XIIIe.

Turcius Almachius était alors préfet de la ville ; il ne se passait pas de jour qu'il ne fit mourir quelque chrétien. Il était défendu de prendre soin de leur sépulture. Néanmoins Tiburce et Valérien s'y employaient tous les jours, ainsi qu'à l'aumône et à la prière. Tandis qu'ils s'adonnaient à ces oeuvres, il arriva — les bons ne sont-il pas toujours à charge aux méchants ? — qu'on dénonça leur conduite au préfet ; on exposa ce que Dieu, par leur entremise faisait aux pauvres, et le soin qu'ils prenaient d'enterrer ceux que le préfet avait condamnés à mort. Ils furent arrêtés et comparurent.

[Tiburce fut interrogé le premier, ce fut ensuite le tour de Valérien.] Almachius ordonna que Valérien fût flagellé. Pendant le supplice, il disait doucement :
" Voilà l'heure que je désirais tant, voilà un jour plus beau que tous les jours de fête."
Tandis qu'on le battait, le héraut criait :
" Ne blasphème pas les dieux et les déesses."

Valérien criait aux spectateurs :
" Romains, que cette misère ne vous détourne pas de la vérité, tenez bon, piétinez les idoles de bois et de pierre d'Almachius, car leurs adorateurs iront au supplice éternel."


Cathédrale Sainte-Cécile d'Albi.

Tarquinius, assesseur du préfet — on l'appelait quelquefois Laccas — dit à l'oreille d'Almachius :
" Saisis l'occasion par les cheveux, commence par débarrasser la terre de cette femme. Si tu tardes encore, remettant d'un jour à l'autre, ils auront dissipé toute leur fortune pour les pauvres, et une fois morts, on ne trouvera plus rien."


Sainte Cécile. Demi-relief.
Cathédrale Saint-Pierre de Beauvais. Picardie.

Le préfet jugea l'avis bon à suivre et ordonna aux licteurs d'emmener les condamnés, et s'ils refusaient de sacrifier l'un et l'autre à Jupiter, de leur couper la tête. Les confesseurs partirent, le greffier Maxime les escortait, on se rendit au Pagus Triopius. [Pendant la route, le greffier fut touché de la grâce et se convertit, ainsi que plusieurs appariteurs.]

Arrivés à quatre milles de Rome, il fallait passer devant le portail d'un temple devant lequel tous les passants étaient tenus de brûler de l'encens à Jupiter. Quand Tiburce et Valérien arrivèrent, ils furent invités à offrir l'encens ; ils refusèrent, s'agenouillèrent, et on leur coupa la tète...

Almachius, prévenu de ce qui s'était passé, ordonna de casser la tète à Maxime à coups de fouet plombé. Cécile, qui avait enseveli près de là Tiburce et Valérien, leur adjoignit Maxime et fit sculpter un phénix sur son tombeau. [Quelque temps après, on arrêta Cécile, qui avait eu le temps de céder sa maison à un sénateur nommé Gordien, à charge de remettre la propriété à l'Église de Rome.]


Sainte Cécile et saint Valérien.
Legenda aurea. J. de Voragine. Mâcon. XVe.
 
Almachius fit comparaître Cécile :
" Jeune fille, ton nom ?
— Cécile.
— De quelle condition ?
— Libre, noble, clarissime.
— Je t'interroge sur ta religion et non pas sur ta famille.
— Ta question n'est donc pas bien faite, puisqu'on peut y faire deux réponses.
— Qu'est-ce qui te rend si audacieuse ?
— Le repos de ma conscience et la pureté de ma foi.
— Ignores-tu l'étendue de mes pouvoirs ?
— C'est toi qui ignore ton pouvoir. Si tu m'avais interrogée sur ton pouvoir, je t'aurais répondu en toute vérité.
— Explique-toi.
— Toute puissance humaine ressemble à une outre gonflée vent, une piqûre d'aiguille et elle s'affaisse, et tout ce qui semblait avoir consistance s'est évaporé.
— Tu as commencé par des insolences, tu continues.
— Il n'y a d'insolence qu'à tromper. Ai-je trompé ? montre-le, alors je conviendrai de l'insolence, sinon, repens-toi, tu en as menti.
— Ne sais-tu pas que nos maîtres, les invincibles empereurs, ont ordonné que tous ceux qui ne voudront pas nier qu'ils sont chrétiens soient punis, et que ceux qui consentiront à le nier soient élargis ?
— Vous vous valez, les empereurs et ton Excellence. L'ordre qu’ils ont porté prouve leur cruauté et notre innocence. Si le nom de chrétien était criminel, ce serait à nous de le nier et à vous de nous le faire confesser, même par force.
— C'est dans leur clémence que les empereurs ont pris cette disposition, ils ont voulu vous fournir un moyen de sauver votre vie.
— Y a-t-il rien d'aussi scélérat et de plus funeste aux innocents que d'employer, à l'égard des malfaiteurs, toutes les tortures afin de leur faire avouer leur crime et leurs complices, vous nous savez innocents et c'est notre nom seul que vous punissez. Mais nous savons ce que vaut le nom du Christ et nous nous ne pouvons le renier. Mieux vaut mourir pour le bonheur que vivre pour la douleur. Nous ne mentons pas et ainsi nous vous punissons, parce que vous voudriez nous faire mentir.
— Choisis entre les deux, sacrifie ou bien nie que tu es chrétienne, et tout sera pardonné.


Statue de sainte Cécile. XVIIe.
Cathédrale Notre-Dame de Tulle. Limousin.

Cécile se mit à rire :
" Ô piteux magistrat ! Il veut que je nie afin d'être innocente, et c'est cela qui me rendra coupable. Si tu veux condamner, il ne faut pas me faire nier ; si tu veux me renvoyer, renseigne-toi.
— Voici les témoins ; ils déposent que tu es chrétienne. Nie-le et tout sera dit. Si tu ne nies pas, ne t'en prends qu'à ta sottise quand tu seras condamnée.
— Je désirais cette dénonciation et la peine à laquelle tu me condamneras sera ma victoire.
— Malheureuse, j'ai le droit de vie et de mort ; les empereurs me l'ont donné. Comment oses-tu me parler avec cet orgueil ?
— L'orgueil est un, la fermeté est autre. J'ai parlé avec fermeté mais sans orgueil, car, nous autres, nous condamnons l'orgueil. Si tu ne craignais pas d'entendre une vérité de plus, je te montrerais encore une fois que tu as menti.
— En quoi ai-je menti ?
— Tu as dit que les empereurs t'ont accordé le droit de vie et de mort.
— Et j'en ai menti ?
— Oui, et si tu veux, je te le ferai voir.
— Parle.
— Tu as dit que les empereurs t'ont donné le droit de vie et de mort. Or, tu n'as que le droit de mort Tu peux faire perdre la vie aux vivants, mais tu ne peux pas donner la vie aux morts. Vante-toi d'avoir reçu des empereurs un ministère de mort. Si tu en dis plus, tu mens, et cela ne tient pas debout.
— Assez de bavardages, madame, assez de fanfaronnades, approche, sacrifie.
— As-tu perdu les yeux ? A la place des dieux, je vois — et tous ceux qui ont bonne vue en sont là — je vois des pierres, de l'airain, du plomb.
— En philosophe, je méprisais tes impertinences à mon égard, maintenant il s'agit des dieux, c'en est plus que je ne puis souffrir.
— Depuis que tu parles, tu n'as dit que mensonges, folies et sottises. Je te l'ai fait voir. Maintenant te voilà aveugle, là où il y a une pierre bonne à rien, tu appelles cela : dieu. Je vais te donner une idée : prends-les en mains, tu verras si ce n'est pas de la pierre. C'est honteux de faire rire tout le monde de toi. Tout le monde sait que Dieu est au ciel, mais pour ces pierres, on en pourrait bien faire de la chaux, elles se détériorent à ne rien faire et ne peuvent te défendre ni elles-mêmes si on en fait de la chaux, ou si tu péris toi-même."


Martyre de sainte Cécile. Urbain et le cercueil de la sainte martyre.
Legenda aurea. J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Le préfet ordonna que Cécile fût reconduite chez elle et asphyxiée dans la salle de bains de sa maison. Elle y demeura enfermée un jour et une nuit, pendant qu'on y entretenait grand feu, mais elle s'y trouvait comme dans un lieu bien aéré et, Dieu aidant, sans aucun mal, son corps ne portait même pas trace de sueur.
Almachius, prévenu, envoya un licteur pour lui couper la tête dans cette même salle de bains. Le bourreau lui donna trois coups d'épée et s'en alla ; la tête tenait encore à moitié. Tous ceux que Cécile avait convertis vinrent tremper du linge et des éponges dans son sang.
Elle survécut trois jours encore, pendant lesquels elle ne cessa de

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mercredi, 22 novembre 2023 | Lien permanent

4 novembre 2007. XXIIIe dimanche après la Pentecôte.

- XXIIIe dimanche après la Pentecôte.

Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.


Résurrection de la fille de Jaïre. Véronèse. XVIIe.

A LA MESSE

L'Antiphonaire se termine aujourd'hui ; l'Introït, le Graduel, l'Offertoire et la Communion ci-après, devront être repris en chacun des Dimanches qui peuvent se succéder encore plus ou moins nombreux, suivant les années, jusqu'à l'Avent. On se rappelle qu'au temps de saint Grégoire, l'Avent étant plus long que de nos jours (Avent, Historique.), ses semaines avançaient dans la partie du Cycle occupée maintenant par les derniers Dimanches après la Pentecôte. C'est une des raisons qui expliquent la pénurie de composition des Messes dominicales après la vingt-troisième.

En celle-ci même autrefois, l'Eglise, sans perdre de vue le dénouement final de l'histoire du monde, tournait déjà sa pensée vers l'approche du temps consacré à préparer pour ses enfants la grande fête de Noël. On lisait pour Epître le passage suivant de Jérémie, qui servit plus tard, en divers lieux, à la Messe du premier Dimanche de l'Avent :
" Voici que le jour arrive, dit le Seigneur, et je susciterai à David une race juste. Un roi régnera, qui sera sage et qui accomplira la justice et le jugement sur la terre. En ces jours-là Juda sera sauvé, et Israël habitera dans la paix ; et voici le nom qu'ils donneront à ce roi : Le Seigneur notre juste ! C'est pourquoi le temps " vient, dit le Seigneur, où l'on ne dira plus :
" Vive le Seigneur qui a tiré les enfants d'Israël de la terre d'Egypte ! mais : Vive le Seigneur qui a tiré et ramené la postérité de la maison d'Israël de la terre d'aquilon et de tous les pays » dans lesquels je les avais dispersés et chassés ! Et ils habiteront dans leur terre
(Jerem. XXIII, 5-8.)."


Le saint prophète Jérémie (détail). Rembrandt. XVIIe.

Comme on le voit, ce passage s'applique également très bien à la conversion des Juifs et à la restauration d'Israël annoncée pour les derniers temps. C'est le point de vue auquel se sont placés les plus illustres liturgistes du moyen âge, pour expliquer toute la Messe du vingt-troisième Dimanche après la Pentecôte. Mais pour bien les comprendre, il faut observer aussi que, primitivement, l'Evangile du vingt-troisième Dimanche était l'Evangile de la multiplication des cinq pains. Cédons la parole au pieux et profond Abbé Rupert qui, mieux que personne, nous apprendra le mystère de ce jour où prennent fin les accents, si variés jusqu'ici, des mélodies grégoriennes.

" La sainte Eglise, dit-il, met tant de zèle à s'acquitter des supplications, des prières et des actions de grâces pour tous les hommes demandées par l'Apôtre (I Tim. II, 1.), qu'on la voit rendre grâces aussi pour le salut à venir des fils d'Israël, qu'elle sait devoir être un jour unis à son corps. Comme, en effet, à la fin du monde leurs restes seront sauvés (Rom. IX, 27.), dans ce dernier Office de l'année elle se félicite en eux comme en ses futurs membres.
Dans l'Introït, elle chante tous les ans, rappelant ainsi sans fin les prophéties qui les concernent : Le Seigneur dit : Mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction. Ses pensées sont toutes de paix en effet, puisqu'il promet d'admettre au banquet de sa grâce les Juifs ses frères selon la chair, réalisant ce qui avait été figuré dans l'histoire du patriarche Joseph. Les frères de ce dernier, qui l'avaient vendu, vinrent à lui poussés par la faim, lorsqu'il étendait sa domination sur toute la terre d'Egypte ; ils furent reconnus, reçus par lui, et lui-même fit avec eux un grand festin : ainsi notre Seigneur, régnant sur tout le monde et nourrissant abondamment du pain de vie les Egyptiens, c'est-à-dire les Gentils, verra revenir à lui les restes des fils d'Israël ; reçus en la grâce de celui qu'ils ont renié et mis à mort, il leur donnera place à sa table, et le vrai Joseph s'abreuvera délicieusement avec ses frères.


Le bienfait de cette table divine est signifié, dans l'Office du Dimanche, par l'Evangile, où l'on raconte du Seigneur qu'il nourrit avec cinq pains la multitude. Alors, en effet, Jésus ouvrira pour les Juifs les cinq livres de Moïse, portés maintenant comme des pains entiers et non rompus encore, par un enfant, à savoir ce même peuple resté jusqu'ici dans l'étroitesse d'esprit de l'enfance.

Alors sera accompli l'oracle de Jérémie, si bien placé avant cet Evangile; on ne dira plus : Vive le Seigneur qui a tiré les enfants d'Israël de la terre d'Egypte ! mais : Vive le Seigneur qui les a ramenés de la terre d'aquilon et de toutes celles où ils étaient dispersés !



Le saint prophète Jérémie. Plaque de reliquaire. XIIe.

Délivrés donc de la captivité spirituelle qui les retient maintenant, ils chanteront du fond de l'âme l'action de grâces indiquée au Graduel : Vous nous avez délivrés, Seigneur, de ceux qui nous persécutaient.

La supplication par laquelle nous disons, dans l'Offertoire : Du fond de l'abîmej'aicrié vers vous, Seigneur, répond manifestement, elle aussi, aux mêmes circonstances. Car en ce jour-là, ses frères diront au grand et véritable Joseph : " Nous vous conjurons d'oublier le crime de vos frères "
[/b] (Gen L, 17.).

La Communion : En vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez dans vos prières, et le reste, est la réponse de ce même Joseph disant, comme autrefois le premier (Ibid. 19-21.) : " Ne craignez point. Vous aviez formé contre moi un dessein mauvais ; mais Dieu l'a fait tourner au bien, afin de m'élever comme vous voyez maintenant " et de sauver beaucoup de peuples. Ne craignez donc point : je vous nourrirai, vous et vos a enfants "." (Rup. De div. Off. XII, 23).

EPITRE


Saint Paul écrivant. Valentin de Bourgogne. XVIIe.

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Philippiens. Chap. III.

" Mes Frères, soyez mes imitateurs, et observez ceux qui se conduisent suivant le modèle que vous avez en nous. Car il y en a plusieurs dont je vous ai parlé souvent, dont je vous parle encore avec larmes, qui sont les ennemis de la croix du Christ. Ils ont pour fin la mort, pour dieu leur ventre ; ils placent la gloire pour eux dans leur honte, n'ayant de goût que pour les choses de la terre. Mais pour nous, déjà nous vivons dans les cieux ; c'est de là aussi que nous attendons pour Sauveur notre Seigneur Jésus-Christ, qui reformera le corps de notre bassesse et le rendra conforme à son corps glorieux, par la puissance qui lui permet de s'assujettir aussi toutes choses. C'est pourquoi, mes frères très chers et très désirés, ma joie et ma couronne, demeurez ainsi fermes dans le Seigneur, Ô mes bien-aimés. Je prie Evodia et je conjure Syntychès de s'unir et d'avoir les mêmes sentiments dans le Seigneur.
Je vous prie aussi, vous mon fidèle compagnon, d'aider celles qui ont travaillé avec moi pour l'Evangile, ainsi que Clément et les autres qui ont été mes aides, dont les noms sont au livre de vie."


Le nom de Clément, qui vient d'être prononcé par l'Apôtre, est celui du second successeur de saint Pierre. Assez souvent, le vingt-troisième Dimanche après la Pentecôte ne précède que de fort peu la solennité de ce grand pontife et martyr du premier siècle. Disciple de Paul, attaché depuis à la personne de Pierre, et désigné par le vicaire de l'Homme-Dieu comme le plus digne de monter après lui sur la chaire apostolique, Clément, nous le verrons au 23 novembre, était l'un des saints de cette époque primitive les plus vénérés des fidèles. La mention faite de lui à l'Office du Temps, dans les jours qui précédaient son apparition directe au cycle de la sainte Eglise, excitait la joie du peuple chrétien et ranimait sa ferveur, à la pensée de l'approche d'un de ses plus illustres protecteurs et amis.

Au moment où saint Paul écrivait aux Philippiens, Clément, qui devait longtemps encore survivre aux Apôtres, était bien des hommes dont parle notre Epître, imitateurs de ces illustres modèles, appelés à perpétuer dans le troupeau confié à leurs soins (I Petr. V, 3.) la règle des mœurs, moins encore par la fidélité de l'enseignement que par la force de l'exemple. L'unique Epouse du Verbe divin se reconnaît à l'incommunicable privilège d'avoir en elle, par la sainteté, la vérité toujours vivante et non point seulement lettre morte. L'Esprit-Saint n'a point empoché les livres sacrés des Ecritures de passer aux mains des sectes séparées ; mais il a réservé à l'Eglise le trésor de la tradition qui seule transmet pleinement, d'une génération à l'autre, le Verbe lumière et vie (Johan. I, 4.), par la vérité et la sainteté de l'Homme-Dieu toujours présentes en ses membres, toujours tangibles et visibles en l'Eglise (I Johan. I, 1.).

La sainteté inhérente à l'Eglise est la tradition à sa plus haute expression, parce qu'elle est la vérité non seulement proférée, mais agissante (I Thess. II, 13.), comme elle l'était en Jésus-Christ, comme elle l'est en Dieu (Johan. V, 17.). C'est là le dépôt (I Tim. VI, 20.) que les disciples des Apôtres recevaient la mission de transmettre à leurs successeurs, comme les Apôtres eux-mêmes l'avaient reçu du Verbe descendu en terre.

Aussi saint Paul ne se bornait point à confier l'enseignement dogmatique à son disciple Timothée (II Tim. III, 2.) ; il lui disait : " Sois l'exemple des fidèles dans la parole et la conduite " (I Tim. IV, 12.). Il redisait à Tite : " Montre-toi un modèle, en fait de doctrine et d'intégrité de vie " (Tit. II, 7.). Il répétait à tous : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ " (I Cor. II, 16.).

Il envoyait aux Corinthiens Timothée, pour leur rappeler, pour leur apprendre au besoin, non les dogmes seulement de son Evangile, mais ses voies en Jésus-Christ, sa manière de vivre ; car cette manière de vivre de l'Apôtre était, pour une part, son enseignement même en toutes les Eglises (Ibid. 17.) ; et il louait les fidèles de Corinthe de ce qu'en effet ils se souvenaient de lui pour l'imiter en toutes choses, gardant ainsi la tradition de Jésus-Christ (I Cor. XI, 1-2.).

Les Thessaloniciens étaient si bien entrés dans cet enseignement tiré de la vie de leur Apôtre, que, devenus ses imitateurs, et par là même ceux de Jésus-Christ, ils étaient, dit saint Paul, la forme de tous les croyants ; cet enseignement muet de la révélation chrétienne, qu'ils donnaient en leurs mœurs, rendait comme inutile la parole même des messagers de l'Evangile (I Thess. I, 5-8.).

L'Eglise est un temple admirable qui s'élève à la gloire du Très-Haut par le concours des pierres vivantes appelées à entrer dans ses murs (Eph. II,20-22.). La construction de ces murailles sacrées sur le plan arrêté par l'Homme-Dieu est l'œuvre de tous. Ce que l'un fait par la parole (I Cor. XIV, 3.), l'autre le fait par l'exemple (Rom. XIV, 19.) ; mais tous deux construisent, tous deux édifient la cité sainte ; et, comme au temps des Apôtres, l'édification par l'exemple l'emporte sur l'autre en efficacité, quand la parole n'est pas soutenue de l'autorité d'une vie conforme à l'Evangile.

Mais de même que l'édification de ceux qui l'entourent est, pour le chrétien, une obligation fondée à la fois sur la charité envers le prochain et sur le zèle de la maison de Dieu, il doit, sous peine de présomption, chercher dans autrui cette même édification pour lui-même. La lecture des bons livres, l'étude de la vie des saints, l'observation, selon l'expression de notre Epître, l'observation respectueuse des bons chrétiens qui vivent à ses côtés, lui seront d'un immense secours pour l'œuvre de sa sanctification personnelle et l'accomplissement des vues de Dieu en lui.

Cette fréquentation de pensées avec les élus de la terre et du ciel nous éloignera des mauvais, qui repoussent la croix de Jésus-Christ et ne rêvent que les honteuses satisfactions des sens. Elle placera véritablement notre conversation dans les cieux. Attendant pour un jour qui n'est plus éloigné l'avènement du Seigneur, nous demeurerons fermes en lui, malgré la défection de tant de malheureux entraînés par le courant qui emporte le monde à sa perte.
L'angoisse et les souffrances des derniers temps ne feront qu'accroître en nous la sainte espérance ; car elles exciteront toujours plus notre désir du moment solennel où le Seigneur apparaîtra pour achever l'œuvre du salut des siens, en revêtant notre chair même de l'éclat de son divin corps. Soyons unis, comme le demande l'Apôtre, et, pour le reste : " Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ", écrit-il à ses chers Philippiens ; " je le dis de nouveau, réjouissez-vous : le Seigneur est proche " (Philip, IV, 4-5.).

ÉVANGILE


Résurrection de la fille de Jaïre. Gustave Doré. XIXe.

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. IX.

" En ce temps-là, comme Jésus parlait au peuple, voici qu'un prince de la synagogue s'approcha, et l'adorant, il lui disait :
" Seigneur, ma fille vient de mourir ; mais venez, imposez votre main sur elle, et elle vivra."
Et Jésus, se levant, le suivait avec ses disciples. Or voici qu'une femme qui souffrait d'un flux de sang depuis douze années s'approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. Car elle disait en elle-même : " Si je touche seulement son vêtement, je serai sauvée ".
Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit :
" Aie confiance, ma fille ; ta foi t'a sauvée."
Et de cette heure même, la femme fut guérie. Jésus venant ensuite à la maison du prince, et voyant les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit, leur dit :
" Retirez-vous, car la jeune fille n'est pas morte, elle n'est qu'endormie."
Et ils se moquaient de lui. Mais lorsqu'on eut mis tout ce monde à la porte, il entra, prit la main de la jeune fille, et elle se leva. Et le bruit s'en répandit dans tout le pays."


Quoique le choix de cet Evangile pour aujourd'hui ne remonte pas partout à la plus haute antiquité, il entre bien dans l'économie générale de la sainte Liturgie, et confirme ce que nous avons dit du caractère de cette partie de l'année. Saint Jérôme nous apprend, dans l'Homélie du jour, que l'hémorroïsse guérie par le Sauveur figure la gentilité, tandis que la nation juive est représentée par la fille du prince de la synagogue (Matth. IX.). Celle-ci ne devait retrouver la vie qu'après le rétablissement de la première ; et tel est précisément le mystère que nous célébrons en ces jours, où, la plénitude des nations avant reconnu le médecin céleste, l'aveuglement dont Israël avait été frappé cesse enfin lui-même (Rom. XI, 25.).

De cette hauteur où nous sommes parvenus, de ce point où le monde, ayant achevé ses destinées, ne va sembler sombrer un instant que pour se dégager des impies et s'épanouir de nouveau, transformé dans la lumière et l'amour : combien mystérieuses et à la fois fortes et suaves nous apparaissent les voies de l'éternelle Sagesse (Sap. VIII, 1.) !

Le péché, dès le début, avait rompu l'harmonie du monde, en jetant l'homme hors de sa voie. Si, entre toutes, une famille avait attiré sur elle la miséricorde, la lumière, en se levant sur cette privilégiée, n'avait fait que manifester plus profonde la nuit où végétait le genre humain. Les nations, abandonnées à leur misère épuisante, voyaient les attentions divines aller à Israël, et l'oubli s'appesantir sur elles au contraire. Lors même que les temps où la faute première devait être réparée se trouvèrent accomplis, il sembla que la réprobation des gentils dût être consommée du même coup ; car on vit le salut, venu du ciel en la personne de l'Homme-Dieu, se diriger exclusivement vers les Juifs et les brebis perdues de la maison d'Israël (Matth. XV, 24.).


Résurrection de la fille de Jaïre. Gravure de Schnorr. XIXe.

Cependant la race gratuitement fortunée, dont les pères et les premiers princes avaient si ardemment sollicité l'arrivée du Messie, ne se trouvait plus à la hauteur où l'avaient placée les patriarches et les saints prophètes. Sa religion si belle, fondée sur le désir et l'espérance, n'était plus qu'une attente stérile qui la tenait dans l'impuissance de faire un pas au-devant du Sauveur ; sa loi incomprise , après l'avoir immobilisée , achevait de l'étouffer dans les liens d'un formalisme sectaire. Or, pendant qu'en dépit de ce coupable engourdissement, elle comptait, dans son orgueil jaloux, garder l'apanage exclusif des faveurs d'en haut, la gentilité que son mal, toujours grandissant lui aussi, portait au-devant d'un libérateur, la gentilité reconnaissait en Jésus le Sauveur du monde, et sa confiante initiative lui méritait d'être guérie la première. Le dédain apparent du Seigneur n'avait servi qu'à l'affermir dans l'humilité, dont la puissance pénètre les cieux (Eccli. XXXV, 21.).

Israël devait donc attendre à son tour. Selon qu'il le chantait dans le psaume, l'Ethiopie l’avait prévenu en tendant ses mains vers Dieu la première (Psalm. LXVII, 32.). Désormais ce fut à lui de retrouver, dans les souffrances d'un long abandon, l'humilité qui avait valu à ses pères les promesses divines et pouvait seule lui en mériter l'accomplissement. Mais aujourd'hui la parole de salut a retenti dans toutes les nations, sauvant tous ceux qui devaient l'être. Jésus, retardé sur sa route, arrive enfin à la maison vers laquelle se dirigeaient ses pas dès l'abord, à cette maison de Juda où dure toujours l'assoupissement de la fille de Sion.

Sa toute-puissance compatissante écarte de la pauvre abandonnée la foule confuse des faux docteurs, et ces prophètes de mensonge qui l'avaient endormie aux accents de leurs paroles vaines ; il chasse loin d'elle pour jamais ces insulteurs du Christ, qui prétendaient la garder dans la mort. Prenant la main de la malade, il la rend à la vie dans tout l'éclat de sa première jeunesse; prouvant bien que sa mort apparente n'était qu'un sommeil, et que l'accumulation des siècles ne pouvait prévaloir contre la parole donnée par Dieu à Abraham son serviteur (Luc. 1, 54-55.).

Au monde maintenant de se tenir prêt pour la transformation dernière. Car la nouvelle du rétablissement de la fille de Sion met le dernier sceau à l'accomplissement des prophéties. Il ne reste plus aux tombeaux qu'à rendre leurs morts (Dan. XII, 1-2.). La vallée de Josaphat se prépare pour le grand rassemblement des nations (Joël, III, 1.) ; le mont des Oliviers va de nouveau (Act. I, 11.) porter l'Homme-Dieu, mais cette fois comme Seigneur et comme juge (Zach. XIV, 4.).

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dimanche, 04 novembre 2007 | Lien permanent

16 novembre. Saint Eucher, évêque de Lyon. 450.

- Saint Eucher, évêque de Lyon. 450.

Pape : Saint Léon Ier, le Grand. Empereur romain d'Occident : Valentinien III. Roi des Francs : Mérovée.

" Que la modestie soit l'ornement de votre sagesse, et que la pudeur domine en vous toutes les vertus."
Saint Jérôme.


Saint Eucher. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Monbaston. XIVe.

Bien qu'il ait laissé un grand renom de sainteté, Eucher n'a pas eu la chance de trouver un biographe, de sorte que sa vie, d'ailleurs peu mouvementée, est assez mal connue.

Il appartenait certainement à une grande famille gauloise ; il nomme au nombre de ses parents un certain Priscus Valerianus qui semble bien avoir été préfet du prétoire des Gaules et cousin de l'empereur Avitus. On ignore le nom et la résidence de son père et de sa mère; il est probable qu'ils étaient Chrétiens, puisque Eucher ne se présente jamais comme un converti. Devenu évêque de Lyon, Eucher parlait des gloires locales comme pouvait en parler un Lyonnais de naissance ; on ne peut tout même pas en conclure qu'il était né dans cette ville.

Eucher serait né vers 380-390. Il fit sûrement d'excellentes études ; ses écrits montrent qu'il maniait la langue latine avec une perfection presque classique, peu commune à cette époque.

Il se maria avec une jeune fille de son sang, Galla, dont il eut deux fils, Salonius et Veranus. On ne sait pas si Eucher occupa des charges importantes, on ignore tout de son activité.

Eucher et Galla étaient encore assez jeunes quand ils résolurent de quitter le monde - l'aîné de leurs fils, Salonius, n'avait guère que 10 ans. Eucher se rendit tout d'abord à Lérins, dans l'île qui porte aujourd'hui le nom de Saint-Honorat ; il passa 2 ans dans ce monastère déjà célèbre, sous la direction de saint Honorat, pour s'initier aux pratiques de la perfection ; puis il alla se fixer dans l'île voisine de Léro, aujourd'hui Sainte-Marguerite, où Galla vint le rejoindre.

Pour se sanctifier, sans se séparer, les deux époux avaient résolu de vivre comme frère et soeur, en surveillant l'éducation de leurs enfants qui furent confiés aux maîtres illustres de Lérins, Hilaire et Salvien.

Eucher et Galla voulaient chercher Dieu ; la solitude leur permettait de prier à loisir ; ils étudiaient les saintes Ecritures, non pour élucider des problèmes d'exégèse, mais pour y chercher des règles de vie. Ils n'auraient pas voulu se contenter de vieillir à la façon calme et tranquille des braves gentilshommes campagnards, mais Eucher n'était nullement désireux de pratiquer des austérités effrayantes; parlant de son " désert ", il écrit qu'il " abonde en eaux vives, en ombrages verdoyants, en fleurs parfumées. Agréable aux yeux comme aux narines, il s'offre à ceux qui l'habite comme un vrai paradis ". Il n'excluait ni une certaine douceur de vivre, ni surtout de chaudes amitiés.


Le monastère de l'île Saint-Honorat (une des îles de Lérins)
où saint Eucher se retira.

Cassien, qui fut justement un de ses amis, semble pourtant insinuer dans sa préface à sa deuxième série de Conférences qu'Eucher avait eu l'intention de se rendre en Égypte pour s'édifier au spectacle des vertus des ascètes, et que c'est pour lui éviter les fatigues et les périls d'un si long voyage que lui, Cassien, se décida à reprendre la plume. On peut penser plus simplement que si le destinataire n'avait pas de goûts aventureux, l'auteur savait tourner une dédicace, et que l'un et l'autre savouraient les aimables insinuations que suggère l'amitié.

Ce n'est que pressé par le besoin de témoigner son amitié à Eucher et à Galla que Paulin de Nole correspondait avec eux ; la dernière lettre que nous ayons de lui, écrite vers 423-426, ne veut que leur exprimer son affection en insistant sur la solidité de l'amitié fondée sur le Christ. Eucher lui-même n'écrivait que par amitié ou par amour paternel. Le premier ouvrage d'Eucher qui nous soit parvenu est une longue lettre qu'il adressa à Hilaire en 427.

Quand Honorat de Lérins avait été nommé évêque d'Arles, Hilaire l'avait accompagné (426), mais il ne tarda guère à regretter son île. Eucher s'empressa de le féliciter en lui envoyant un " éloge de la solitude ". Peu après, il composait à l'intention de son parent Valérien une démonstration fort pressante pour le persuader de mépriser le monde et la philosophie du siècle, mais son argumentation ne suffit pas à convaincre son correspondant.

Vers 435, Eucher fut élu évêque de Lyon. Ce choix n'avait rien de surprenant ; on avait alors l'habitude de désigner pour l'épiscopat de grands personnages qui souvent n'étaient pas même clercs, ce qui n'allait pas toujours sans inconvénient ; ce n'était pas le cas d'Eucher : son séjour à Lérins, monastère fort renommé, garantissait la profondeur de sa Foi et l'étendue de sa science théologique.

L'évêché de Lyon était fort important, mais nous ne pouvons nous faire aucune idée de l'activité épiscopale d'Eucher. Il s'occupa des moines de l'Ile-Barbe et dans une période difficile leur fit envoyer du blé, du vin, du fromage et de l'huile. Il assista en 441 au 1er concile d'Orange, qui dirigé de main de maître par son ami Hilaire, devenu évêque d'Arles, édicta un certain nombre de mesures disciplinaires.

De tempérament calme, Eucher évita de s'engager dans des affaires épineuses. Dans les controverses au sujet de la grâce, il semble avoir gardé une prudente neutralité. Son ami Cassien lui avait dédié, entre autres, sa fameuse XIIIe Conférence. Or dans ceux de ses écrits qui nous sont parvenus, Eucher ne discute pas la question. On se demande quelle place il lui avait faite dans le résumé des Conférences qu'il avait arrangé et qui est perdu, une bien petite sans doute, car il ne s'intéressait guère, semble-t-il, aux spéculations abstraites.

Les deux ouvrages qu'il composa avec ses fils pendant son épiscopat nous montrent bien sa manière. Le premier, Formulae spiritalis intelligentiae, est dédié à son fils cadet Veranus ; le second, Instructiones, à l'aîné, Salonius. Ce sont les réponses à des questions posées par ses fils qui l'avaient sans doute accompagné à Lyon et qui aimaient à chercher avec lui l'explication des passages difficiles de l'Écriture.


L'église Saint-Nizier de Lyon fut fondée par saint Eucher.

Le premier livre des Instructiones, sous forme de questions et de réponses, n'a pas seulement l'aspect extérieur d'un catéchisme, il en a aussi la clarté et la brièveté, quelquefois aux dépens de la profondeur théologique. Le deuxième livre explique le sens de mots hébreux et grecs d'une façon également didactique. Quant aux Formulae, ce sont les règles pour découvrir le sens spirituel des Écritures et, après les avoir énoncées, Eucher fournit nombre d'exemples. Dans tout cela, rien d'original ; Eucher a emprunté à ses devanciers, surtout à l'Ambrosiaster, à saint Jérôme et à saint Augustin, leurs conclusions en laissant tomber les discussions qui n'allaient pas à son but : donner une explication aux difficultés classiques. Et on peut dire qu'Eucher a parfaitement réussi : ses ouvrages connurent au Moyen Age une très grande vogue, ils furent inlassablement recopiés et complétés. Le renouveau des études à partir du XIIIe siècle les fit rentrer dans l'ombre assez rapidement.

Hagiographe à ses heures, Eucher nous a légué une homélie sur sainte Blandine, une autre sur les martyrs lyonnais Epipode et Alexandre, qui témoignent de la vénération dont ils jouissaient déjà. Surtout c'est lui qui a composé la plus ancienne Passion des martyrs d'Agaune (voir au 22 septembre, t. IX, p. 451-458) ; elle est fort bien écrite, intéressante, sans pouvoir être acceptée aveuglément dans tous ses détails.

Eucher mourut un 16 novembre, probablement en 450 (les bénédictins donne sa mort en 449). Son nom figure dans les additions gauloises au martyrologe hiéronymien. Au IXe siècle, les compilateurs de martyrologes, presque tous lyonnais, reprirent naturellement le nom de saint Eucher, mais ils utilisèrent pour lui composer un éloge un texte apocryphe connu sous le nom de Vie de sainte Consortia ou de Conversion d'Eucher.

D'après ce récit, Eucher ayant eu deux filles, Tullia et Consortia, se retira dans une caverne sur le bord de la Durance et y vécut dans la prière et les jeûnes jusqu'à ce qu'un Ange eût révélé sa retraite aux Chrétiens de Lyon qui devaient élire un évêque. L'auteur et la date de ce roman assez tardif sont inconnus; nous savons qu'Eucher a eu deux fils, il n'a sans doute jamais eu de fille. Bien que le martyrologe romain se fasse encore l'écho de la légende, il n'y a aucun crédit à lui accorder.

Le diocèse de Lyon fête saint Eucher depuis une époque très ancienne. Dès le XIIe siècle l'ordre de Cluny, qui avait une grande dévotion à sa pseudo-fille sainte Consortia dont on prétendait posséder les reliques à Cluny, adopta aussi la fête du père. A la fin du Moyen Age, elle se répandit dans plusieurs diocèses du Sud-Est, Mâcon, Vienne, Grenoble, Valence, Le Puy, Viviers et Digne, ainsi qu'au monastère de Lérins qui se souvint de son séjour. Lyon, Digne, Fréjus et Grenoble l'honorent encore de nos jours.

Rq : Sont disponibles :
- Du mépris du monde et de la philosophie du siècle : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/mepris.htm ;
- Eloge de la solitude : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/eloge.htm ;
- Introduction à l'interprétation spirituelle des écritures : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/inter.htm ;
- Formulae minores 1 : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/euc1.htm ;
- Formulae minores 2 : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/euc2.htm.

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jeudi, 16 novembre 2023 | Lien permanent

25 novembre 2007. XXVIe et dernier dimanche après la Pentecôte.

- XXVIe et dernier dimanche après la Pentecôte.

Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.


Résurrection de la fille de Jaïre. Véronèse. XVIIe.

A LA MESSE

L'Antiphonaire se termine aujourd'hui ; l'Introït, le Graduel, l'Offertoire et la Communion ci-après, devront être repris en chacun des Dimanches qui peuvent se succéder encore plus ou moins nombreux, suivant les années, jusqu'à l'Avent. On se rappelle qu'au temps de saint Grégoire, l'Avent étant plus long que de nos jours (Avent, Historique.), ses semaines avançaient dans la partie du Cycle occupée maintenant par les derniers Dimanches après la Pentecôte. C'est une des raisons qui expliquent la pénurie de composition des Messes dominicales après la vingt-troisième.

En celle-ci même autrefois, l'Eglise, sans perdre de vue le dénouement final de l'histoire du monde, tournait déjà sa pensée vers l'approche du temps consacré à préparer pour ses enfants la grande fête de Noël. On lisait pour Epître le passage suivant de Jérémie, qui servit plus tard, en divers lieux, à la Messe du premier Dimanche de l'Avent :
" Voici que le jour arrive, dit le Seigneur, et je susciterai à David une race juste. Un roi régnera, qui sera sage et qui accomplira la justice et le jugement sur la terre. En ces jours-là Juda sera sauvé, et Israël habitera dans la paix ; et voici le nom qu'ils donneront à ce roi : Le Seigneur notre juste ! C'est pourquoi le temps " vient, dit le Seigneur, où l'on ne dira plus :
" Vive le Seigneur qui a tiré les enfants d'Israël de la terre d'Egypte ! mais : Vive le Seigneur qui a tiré et ramené la postérité de la maison d'Israël de la terre d'aquilon et de tous les pays » dans lesquels je les avais dispersés et chassés ! Et ils habiteront dans leur terre
(Jerem. XXIII, 5-8.)."


Le saint prophète Jérémie (détail). Rembrandt. XVIIe.

Comme on le voit, ce passage s'applique également très bien à la conversion des Juifs et à la restauration d'Israël annoncée pour les derniers temps. C'est le point de vue auquel se sont placés les plus illustres liturgistes du moyen âge, pour expliquer toute la Messe du vingt-troisième Dimanche après la Pentecôte. Mais pour bien les comprendre, il faut observer aussi que, primitivement, l'Evangile du vingt-troisième Dimanche était l'Evangile de la multiplication des cinq pains. Cédons la parole au pieux et profond Abbé Rupert qui, mieux que personne, nous apprendra le mystère de ce jour où prennent fin les accents, si variés jusqu'ici, des mélodies grégoriennes.

" La sainte Eglise, dit-il, met tant de zèle à s'acquitter des supplications, des prières et des actions de grâces pour tous les hommes demandées par l'Apôtre (I Tim. II, 1.), qu'on la voit rendre grâces aussi pour le salut à venir des fils d'Israël, qu'elle sait devoir être un jour unis à son corps. Comme, en effet, à la fin du monde leurs restes seront sauvés (Rom. IX, 27.), dans ce dernier Office de l'année elle se félicite en eux comme en ses futurs membres.
Dans l'Introït, elle chante tous les ans, rappelant ainsi sans fin les prophéties qui les concernent : Le Seigneur dit : Mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction. Ses pensées sont toutes de paix en effet, puisqu'il promet d'admettre au banquet de sa grâce les Juifs ses frères selon la chair, réalisant ce qui avait été figuré dans l'histoire du patriarche Joseph. Les frères de ce dernier, qui l'avaient vendu, vinrent à lui poussés par la faim, lorsqu'il étendait sa domination sur toute la terre d'Egypte ; ils furent reconnus, reçus par lui, et lui-même fit avec eux un grand festin : ainsi notre Seigneur, régnant sur tout le monde et nourrissant abondamment du pain de vie les Egyptiens, c'est-à-dire les Gentils, verra revenir à lui les restes des fils d'Israël ; reçus en la grâce de celui qu'ils ont renié et mis à mort, il leur donnera place à sa table, et le vrai Joseph s'abreuvera délicieusement avec ses frères.


Le bienfait de cette table divine est signifié, dans l'Office du Dimanche, par l'Evangile, où l'on raconte du Seigneur qu'il nourrit avec cinq pains la multitude. Alors, en effet, Jésus ouvrira pour les Juifs les cinq livres de Moïse, portés maintenant comme des pains entiers et non rompus encore, par un enfant, à savoir ce même peuple resté jusqu'ici dans l'étroitesse d'esprit de l'enfance.

Alors sera accompli l'oracle de Jérémie, si bien placé avant cet Evangile; on ne dira plus : Vive le Seigneur qui a tiré les enfants d'Israël de la terre d'Egypte ! mais : Vive le Seigneur qui les a ramenés de la terre d'aquilon et de toutes celles où ils étaient dispersés !



Le saint prophète Jérémie. Plaque de reliquaire. XIIe.

Délivrés donc de la captivité spirituelle qui les retient maintenant, ils chanteront du fond de l'âme l'action de grâces indiquée au Graduel : Vous nous avez délivrés, Seigneur, de ceux qui nous persécutaient.

La supplication par laquelle nous disons, dans l'Offertoire : Du fond de l'abîmej'aicrié vers vous, Seigneur, répond manifestement, elle aussi, aux mêmes circonstances. Car en ce jour-là, ses frères diront au grand et véritable Joseph : " Nous vous conjurons d'oublier le crime de vos frères "
[/b] (Gen L, 17.).

La Communion : En vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez dans vos prières, et le reste, est la réponse de ce même Joseph disant, comme autrefois le premier (Ibid. 19-21.) : " Ne craignez point. Vous aviez formé contre moi un dessein mauvais ; mais Dieu l'a fait tourner au bien, afin de m'élever comme vous voyez maintenant " et de sauver beaucoup de peuples. Ne craignez donc point : je vous nourrirai, vous et vos a enfants "." (Rup. De div. Off. XII, 23).

EPITRE


Saint Paul écrivant. Valentin de Bourgogne. XVIIe.

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Philippiens. Chap. III.

" Mes Frères, soyez mes imitateurs, et observez ceux qui se conduisent suivant le modèle que vous avez en nous. Car il y en a plusieurs dont je vous ai parlé souvent, dont je vous parle encore avec larmes, qui sont les ennemis de la croix du Christ. Ils ont pour fin la mort, pour dieu leur ventre ; ils placent la gloire pour eux dans leur honte, n'ayant de goût que pour les choses de la terre. Mais pour nous, déjà nous vivons dans les cieux ; c'est de là aussi que nous attendons pour Sauveur notre Seigneur Jésus-Christ, qui reformera le corps de notre bassesse et le rendra conforme à son corps glorieux, par la puissance qui lui permet de s'assujettir aussi toutes choses. C'est pourquoi, mes frères très chers et très désirés, ma joie et ma couronne, demeurez ainsi fermes dans le Seigneur, Ô mes bien-aimés. Je prie Evodia et je conjure Syntychès de s'unir et d'avoir les mêmes sentiments dans le Seigneur.
Je vous prie aussi, vous mon fidèle compagnon, d'aider celles qui ont travaillé avec moi pour l'Evangile, ainsi que Clément et les autres qui ont été mes aides, dont les noms sont au livre de vie."


Le nom de Clément, qui vient d'être prononcé par l'Apôtre, est celui du second successeur de saint Pierre. Assez souvent, le vingt-troisième Dimanche après la Pentecôte ne précède que de fort peu la solennité de ce grand pontife et martyr du premier siècle. Disciple de Paul, attaché depuis à la personne de Pierre, et désigné par le vicaire de l'Homme-Dieu comme le plus digne de monter après lui sur la chaire apostolique, Clément, nous le verrons au 23 novembre, était l'un des saints de cette époque primitive les plus vénérés des fidèles. La mention faite de lui à l'Office du Temps, dans les jours qui précédaient son apparition directe au cycle de la sainte Eglise, excitait la joie du peuple chrétien et ranimait sa ferveur, à la pensée de l'approche d'un de ses plus illustres protecteurs et amis.

Au moment où saint Paul écrivait aux Philippiens, Clément, qui devait longtemps encore survivre aux Apôtres, était bien des hommes dont parle notre Epître, imitateurs de ces illustres modèles, appelés à perpétuer dans le troupeau confié à leurs soins (I Petr. V, 3.) la règle des mœurs, moins encore par la fidélité de l'enseignement que par la force de l'exemple. L'unique Epouse du Verbe divin se reconnaît à l'incommunicable privilège d'avoir en elle, par la sainteté, la vérité toujours vivante et non point seulement lettre morte. L'Esprit-Saint n'a point empoché les livres sacrés des Ecritures de passer aux mains des sectes séparées ; mais il a réservé à l'Eglise le trésor de la tradition qui seule transmet pleinement, d'une génération à l'autre, le Verbe lumière et vie (Johan. I, 4.), par la vérité et la sainteté de l'Homme-Dieu toujours présentes en ses membres, toujours tangibles et visibles en l'Eglise (I Johan. I, 1.).

La sainteté inhérente à l'Eglise est la tradition à sa plus haute expression, parce qu'elle est la vérité non seulement proférée, mais agissante (I Thess. II, 13.), comme elle l'était en Jésus-Christ, comme elle l'est en Dieu (Johan. V, 17.). C'est là le dépôt (I Tim. VI, 20.) que les disciples des Apôtres recevaient la mission de transmettre à leurs successeurs, comme les Apôtres eux-mêmes l'avaient reçu du Verbe descendu en terre.

Aussi saint Paul ne se bornait point à confier l'enseignement dogmatique à son disciple Timothée (II Tim. III, 2.) ; il lui disait : " Sois l'exemple des fidèles dans la parole et la conduite " (I Tim. IV, 12.). Il redisait à Tite : " Montre-toi un modèle, en fait de doctrine et d'intégrité de vie " (Tit. II, 7.). Il répétait à tous : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ " (I Cor. II, 16.).

Il envoyait aux Corinthiens Timothée, pour leur rappeler, pour leur apprendre au besoin, non les dogmes seulement de son Evangile, mais ses voies en Jésus-Christ, sa manière de vivre ; car cette manière de vivre de l'Apôtre était, pour une part, son enseignement même en toutes les Eglises (Ibid. 17.) ; et il louait les fidèles de Corinthe de ce qu'en effet ils se souvenaient de lui pour l'imiter en toutes choses, gardant ainsi la tradition de Jésus-Christ (I Cor. XI, 1-2.).

Les Thessaloniciens étaient si bien entrés dans cet enseignement tiré de la vie de leur Apôtre, que, devenus ses imitateurs, et par là même ceux de Jésus-Christ, ils étaient, dit saint Paul, la forme de tous les croyants ; cet enseignement muet de la révélation chrétienne, qu'ils donnaient en leurs mœurs, rendait comme inutile la parole même des messagers de l'Evangile (I Thess. I, 5-8.).

L'Eglise est un temple admirable qui s'élève à la gloire du Très-Haut par le concours des pierres vivantes appelées à entrer dans ses murs (Eph. II,20-22.). La construction de ces murailles sacrées sur le plan arrêté par l'Homme-Dieu est l'œuvre de tous. Ce que l'un fait par la parole (I Cor. XIV, 3.), l'autre le fait par l'exemple (Rom. XIV, 19.) ; mais tous deux construisent, tous deux édifient la cité sainte ; et, comme au temps des Apôtres, l'édification par l'exemple l'emporte sur l'autre en efficacité, quand la parole n'est pas soutenue de l'autorité d'une vie conforme à l'Evangile.

Mais de même que l'édification de ceux qui l'entourent est, pour le chrétien, une obligation fondée à la fois sur la charité envers le prochain et sur le zèle de la maison de Dieu, il doit, sous peine de présomption, chercher dans autrui cette même édification pour lui-même. La lecture des bons livres, l'étude de la vie des saints, l'observation, selon l'expression de notre Epître, l'observation respectueuse des bons chrétiens qui vivent à ses côtés, lui seront d'un immense secours pour l'œuvre de sa sanctification personnelle et l'accomplissement des vues de Dieu en lui.

Cette fréquentation de pensées avec les élus de la terre et du ciel nous éloignera des mauvais, qui repoussent la croix de Jésus-Christ et ne rêvent que les honteuses satisfactions des sens. Elle placera véritablement notre conversation dans les cieux. Attendant pour un jour qui n'est plus éloigné l'avènement du Seigneur, nous demeurerons fermes en lui, malgré la défection de tant de malheureux entraînés par le courant qui emporte le monde à sa perte.
L'angoisse et les souffrances des derniers temps ne feront qu'accroître en nous la sainte espérance ; car elles exciteront toujours plus notre désir du moment solennel où le Seigneur apparaîtra pour achever l'œuvre du salut des siens, en revêtant notre chair même de l'éclat de son divin corps. Soyons unis, comme le demande l'Apôtre, et, pour le reste : " Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ", écrit-il à ses chers Philippiens ; " je le dis de nouveau, réjouissez-vous : le Seigneur est proche " (Philip, IV, 4-5.).

ÉVANGILE


Résurrection de la fille de Jaïre. Gustave Doré. XIXe.

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. IX.

" En ce temps-là, comme Jésus parlait au peuple, voici qu'un prince de la synagogue s'approcha, et l'adorant, il lui disait :
" Seigneur, ma fille vient de mourir ; mais venez, imposez votre main sur elle, et elle vivra."
Et Jésus, se levant, le suivait avec ses disciples. Or voici qu'une femme qui souffrait d'un flux de sang depuis douze années s'approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. Car elle disait en elle-même : " Si je touche seulement son vêtement, je serai sauvée ".
Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit :
" Aie confiance, ma fille ; ta foi t'a sauvée."
Et de cette heure même, la femme fut guérie. Jésus venant ensuite à la maison du prince, et voyant les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit, leur dit :
" Retirez-vous, car la jeune fille n'est pas morte, elle n'est qu'endormie."
Et ils se moquaient de lui. Mais lorsqu'on eut mis tout ce monde à la porte, il entra, prit la main de la jeune fille, et elle se leva. Et le bruit s'en répandit dans tout le pays."


Quoique le choix de cet Evangile pour aujourd'hui ne remonte pas partout à la plus haute antiquité, il entre bien dans l'économie générale de la sainte Liturgie, et confirme ce que nous avons dit du caractère de cette partie de l'année. Saint Jérôme nous apprend, dans l'Homélie du jour, que l'hémorroïsse guérie par le Sauveur figure la gentilité, tandis que la nation juive est représentée par la fille du prince de la synagogue (Matth. IX.). Celle-ci ne devait retrouver la vie qu'après le rétablissement de la première ; et tel est précisément le mystère que nous célébrons en ces jours, où, la plénitude des nations avant reconnu le médecin céleste, l'aveuglement dont Israël avait été frappé cesse enfin lui-même (Rom. XI, 25.).

De cette hauteur où nous sommes parvenus, de ce point où le monde, ayant achevé ses destinées, ne va sembler sombrer un instant que pour se dégager des impies et s'épanouir de nouveau, transformé dans la lumière et l'amour : combien mystérieuses et à la fois fortes et suaves nous apparaissent les voies de l'éternelle Sagesse (Sap. VIII, 1.) !

Le péché, dès le début, avait rompu l'harmonie du monde, en jetant l'homme hors de sa voie. Si, entre toutes, une famille avait attiré sur elle la miséricorde, la lumière, en se levant sur cette privilégiée, n'avait fait que manifester plus profonde la nuit où végétait le genre humain. Les nations, abandonnées à leur misère épuisante, voyaient les attentions divines aller à Israël, et l'oubli s'appesantir sur elles au contraire. Lors même que les temps où la faute première devait être réparée se trouvèrent accomplis, il sembla que la réprobation des gentils dût être consommée du même coup ; car on vit le salut, venu du ciel en la personne de l'Homme-Dieu, se diriger exclusivement vers les Juifs et les brebis perdues de la maison d'Israël (Matth. XV, 24.).


Résurrection de la fille de Jaïre. Gravure de Schnorr. XIXe.

Cependant la race gratuitement fortunée, dont les pères et les premiers princes avaient si ardemment sollicité l'arrivée du Messie, ne se trouvait plus à la hauteur où l'avaient placée les patriarches et les saints prophètes. Sa religion si belle, fondée sur le désir et l'espérance, n'était plus qu'une attente stérile qui la tenait dans l'impuissance de faire un pas au-devant du Sauveur ; sa loi incomprise , après l'avoir immobilisée , achevait de l'étouffer dans les liens d'un formalisme sectaire. Or, pendant qu'en dépit de ce coupable engourdissement, elle comptait, dans son orgueil jaloux, garder l'apanage exclusif des faveurs d'en haut, la gentilité que son mal, toujours grandissant lui aussi, portait au-devant d'un libérateur, la gentilité reconnaissait en Jésus le Sauveur du monde, et sa confiante initiative lui méritait d'être guérie la première. Le dédain apparent du Seigneur n'avait servi qu'à l'affermir dans l'humilité, dont la puissance pénètre les cieux (Eccli. XXXV, 21.).

Israël devait donc attendre à son tour. Selon qu'il le chantait dans le psaume, l'Ethiopie l’avait prévenu en tendant ses mains vers Dieu la première (Psalm. LXVII, 32.). Désormais ce fut à lui de retrouver, dans les souffrances d'un long abandon, l'humilité qui avait valu à ses pères les promesses divines et pouvait seule lui en mériter l'accomplissement. Mais aujourd'hui la parole de salut a retenti dans toutes les nations, sauvant tous ceux qui devaient l'être. Jésus, retardé sur sa route, arrive enfin à la maison vers laquelle se dirigeaient ses pas dès l'abord, à cette maison de Juda où dure toujours l'assoupissement de la fille de Sion.

Sa toute-puissance compatissante écarte de la pauvre abandonnée la foule confuse des faux docteurs, et ces prophètes de mensonge qui l'avaient endormie aux accents de leurs paroles vaines ; il chasse loin d'elle pour jamais ces insulteurs du Christ, qui prétendaient la garder dans la mort. Prenant la main de la malade, il la rend à la vie dans tout l'éclat de sa première jeunesse; prouvant bien que sa mort apparente n'était qu'un sommeil, et que l'accumulation des siècles ne pouvait prévaloir contre la parole donnée par Dieu à Abraham son serviteur (Luc. 1, 54-55.).

Au monde maintenant de se tenir prêt pour la transformation dernière. Car la nouvelle du rétablissement de la fille de Sion met le dernier sceau à l'accomplissement des prophéties. Il ne reste plus aux tombeaux qu'à rendre leurs morts (Dan. XII, 1-2.). La vallée de Josaphat se prépare pour le grand rassemblement des nations (Joël, III, 1.) ; le mont des Oliviers va de nouveau (Act. I, 11.) porter l'Homme-Dieu, mais cette fois comme Seigneur et comme juge (Zach. XIV, 4.).

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dimanche, 25 novembre 2007 | Lien permanent

24 novembre. Saint Jean de la Croix, Carme. 1591.

- Saint Jean de la Croix, Carme. 1591.

Papes : Grégoire XIV (+1591) ; Innocent IX (29 oct. 1591, +30 déc. 1591) ; Clément VIII. Roi d'Espagne : Philippe II.

" Quand l'âme n'attend sa consolation que de Dieu, Il est toujours prêt à la lui donner."
Saint Jean de la Croix.


Saint Jean de la Croix. Rubon. XVIIe.

" Pour goûter tout, n'ayez du goût pour aucune chose ;
Pour savoir tout, désirez de ne rien savoir ;
Pour posséder tout, souhaitez ne rien posséder ;
Pour être tout, ayez la bonté de n'être rien en toute chose ;
Pour parvenir à ce que vous ne goûter pas, vous devez passer par ce qui ne frappe point votre goût ;
Pour arriver à ce que vous ne savez pas, il faut passer par ce que vous ignorez ;
Pour avoir ce que vous ne posséder pas, il est nécessaire que vous passiez par ce que vous n'avez pas ;
Pour devenir ce que vous n'êtes pas, vous devez passer par ce que vous n'êtes pas ;
Lorsque vous vous arrêter à quelque chose, vous cessez de vous jeter dans le tout ;
Car pour venir du tout au tout, vous devez le retenir en na voulant rien ;
Car si vous voulez avoir quelque chose dans le tout, vous n'avez pas votre trésor tout pur en Dieu."
Saint Jean de la Croix, La Montée du Carmel.

Suivons l'Eglise se dirigeant vers le Carmel, pour y porter l'hommage reconnaissant du monde. Sur les pas de Thérèse de Jésus, Jean de la Croix s'est levé, frayant aux âmes en quête de Dieu un chemin sûr.

L'évolution qui inclinait les peuples au délaissement de la prière sociale, menaçait de compromettre irréparablement la piété, quand, au XVIe siècle, la divine bonté suscita des Saints dont la parole comme la sainteté répondissent aux besoins de ces temps nouveaux. La doctrine ne change pas ; l'ascétique, la mystique de ce siècle transmirent aux siècles suivants les échos de ceux qui avaient précédé. Leur exposé se fit toutefois plus didactique, leur analyse plus serrée ; leurs procédés se prêtèrent à la nécessité de secourir les âmes que l'isolement livrait au risque de toutes les illusions. C'est justice de reconnaître que, sous l'action toujours féconde de l'Esprit-Saint, la psychologie des états surnaturels en devint plus étendue et plus précise.


Statue de saint Jean de la Croix. Ecole espagnole. XVIIe. Ségovie.

Les chrétiens d'autrefois, priant avec l'Eglise, vivant chaque jour, à toute heure, de sa vie liturgique, gardaient son empreinte en toutes circonstances dans leurs relations personnelles avec Dieu. Et de la sorte il arrivait que, sous l'influence persévérante et transformante de l'Eglise, participant aux grâces de lumière et d'union, à toutes les bénédictions de cette unique bien-aimée, de cette unique agréée de l'Epoux (Cant. VI, 8.), c'était sa propre sainteté qu'ils s'assimilaient sans labeur autre que de suivre docilement leur Mère, ou de se laisser porter dans ses bras très sûrs. Ainsi s'appliquaient-ils la parole du Seigneur : " Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux " (Matth. XVIII, 3.).

Qu'on ne s'étonne pas de ne point remarquer près d'eux, aussi fréquente et assidue que de nos jours, l'assistance de directeurs spéciaux attachés à leurs propres personnes. Les guides particuliers sont moins nécessaires aux membres d'une caravane ou d'une armée : ce sont les voyageurs isolés qui ne peuvent s'en passer ; et même avec ces guides particuliers, la sécurité, pour eux, ne sera jamais comparable à celle de quiconque suit la caravane ou l'armée.

C'est ce que comprirent au cours des derniers siècles les hommes de Dieu qui, s'inspirant des aptitudes multiples des âmes, donnèrent leurs noms à des écoles, unes quant au but, diverses quant aux moyens proposés par elles à l'encontre des dangers de l'individualisme. Dans cette campagne de redressement et de salut, où l'ennemie redoutable entre toutes était l'illusion aux mille formes, aux subtiles racines, aux détours infinis, Jean de la Croix fut la vivante image du Verbe de Dieu, pénétrant mieux qu'un glaive acéré jusqu'à la division de l'esprit et de l'âme, des moelles et des jointures, scrutant, révélateur inexorable, intentions et pensées des cœurs (Heb. IV, 12-13.). Ecoutons-le : bien que moderne, on reconnaît en lui le fils des anciens.

" L'âme, écrit-il, est faite pour parvenir à une connaissance fort étendue, et pleine de saveur, des choses divines et humaines, qui s'élève bien au-dessus de sa science naturelle. Autant le divin est éloigné de l'humain, autant la lumière et la grâce de l'Esprit-Saint diffèrent de la lumière des sens (Vie et Œuvres de saint Jean de la Croix, édition des Carmélites de Paris, La Nuit obscure de l'âme, L. II, ch. IX.). Aussi avant d'arriver à la divine lumière de la parfaite union d'amour, dans la mesure où cela est possible en ce monde, l'âme doit traverser la nuit obscure, affronter ordinairement des ténèbres si profondes que l'intelligence humaine est impuissante à les comprendre et la parole à les exprimer (Ibid. La Montée du Carmel, Prologue.)."


Saint Jean de la Croix et saint Thérèse d'Avila.

" La purification qui conduit l'âme à l'union divine peut recevoir la dénomination de nuit pour trois raisons. La première se rapporte au point de départ ; car, en renonçant à toutes les choses créées, l'âme a dû tout d'abord priver ses appétits du goût qu'ils y trouvaient. Or ceci est indubitablement une nuit pour tous les sens et tous les instincts de l'homme.

La seconde raison est la voie même qu'il faut prendre pour atteindre l'état bienheureux de l'union. Cette voie n'est autre que la foi, nuit vraiment obscure pour l'entendement.

Enfin la troisième raison est le terme où l'âme tend. Terme qui est Dieu, être incompréhensible et infiniment au-dessus de nos facultés, et qu'on peut appeler par là même une nuit obscure pour l'âme durant son pèlerinage ici-bas."

Ces trois nuits à traverser par l'âme sont figurées au Livre de Tobie par les trois nuits que, sur l'ordre de l'Ange, le jeune Tobie laissa écouler avant de s'unir à son épouse (Tob. VI, 18.). L'Ange Raphaël lui commanda de brûler pendant la première nuit le foie du poisson, symbole d'un cœur affectionné et attaché aux choses créées. Quiconque désire s'élever à Dieu doit, dès le début, purifier son cœur dans le feu de l'amour divin et y consumer tout ce qui appartient au créé. Cette purification met en fuite le démon, qui auparavant avait puissance sur l'âme pour la faire adhérer aux plaisirs temporels et sensibles."


Le Christ de saint Jean de la Croix.
Salvador Dali. XXe. Catalogne, Espagne.

" L'Ange dit à Tobie que dans la seconde nuit il serait admis en la compagnie des saints Patriarches, qui sont les pères de la foi. De même l'âme, après avoir traversé la première nuit, figurée par la privation de tout ce qui flatte les sens, pénètre sans obstacle dans la seconde. Là, étrangère à tous les objets sensibles, elle demeure dans la solitude et la nudité de la foi, l'ayant choisie pour son unique guide."

" Enfin, pendant la troisième nuit il fut promis à Tobie une abondante bénédiction. Dans le sens qui nous occupe, cette bénédiction est Dieu lui-même qui, à la faveur de la seconde nuit, c'est-à-dire de la foi, se communique à l'âme d'une manière si secrète et si intime, que c'est un autre genre de nuit plus profonde que les précédentes. L'union avec l'Epouse, c'est-à-dire avec la Sagesse de Dieu, se consomme quand la troisième nuit est écoulée, nous voulons dire, lorsque cette communication de Dieu à l'esprit est achevée (La Montée du Carmel, L. I, ch. II.)."

" Ô âmes spirituelles ! ne vous plaignez pas de sentir vos puissances livrées à l'angoisse des ténèbres, vos affections stériles et paralysées, vos facultés impuissantes à tout exercice de la vie intérieure. En vous enlevant votre manière imparfaite d'agir, le Seigneur vous délivre ainsi de vous-même. Malgré le bon emploi que vous eussiez fait d'ailleurs de vos facultés, leur impureté et leur ignorance ne vous eussent jamais permis d'obtenir un résultat aussi parfait et une sécurité aussi entière. Dieu vous prend parla main, et se fait lui-même votre conducteur au milieu des ténèbres. Il vous guide comme un aveugle par un chemin inconnu, vers le terme où ni vos lumières ni vos efforts n'eussent jamais pu vous conduire (La Nuit obscure, L. II, ch. XVI.)."


Cathédrale de Ségovie. Espagne.

Nous aimons à laisser les Saints décrire eux-mêmes les voies qu'ils parcoururent, et dont ils demeurent, en récompense de leur fidélité, les guides reconnus dans l'Eglise. Ajouterons-nous qu'"il faut prendre garde, dans les peines de ce genre, à ne pas exciter la commisération du Seigneur avant que son œuvre soit achevée ? On ne peut s'y méprendre : telles grâces que Dieu fait à l'âme ne sont pas nécessaires au salut, mais elles doivent être payées d'un certain prix. Si nous nous montrions par trop difficiles, il se pourrait que, pour ménager notre faiblesse, le Seigneur nous laissât retomber dans une voie inférieure, ce qui, au regard de la foi, serait un irréparable malheur ".

" Mais dira-t-on, qu'importe, puisque cette âme se sauvera? Il est vrai, mais notre intelligence ne saurait apprécier la supériorité d'une âme qui pourrait devenir l'émule des chérubins ou des séraphins, sur celle qui ne saurait être assimilée qu'aux hiérarchies inférieures. Une fausse modestie ou l'amour du médiocre ne saurait avoir légitimement cours en ces matières (La Vie spirituelle et l'Oraison d'après la sainte Ecriture et la Tradition monastique, Solesmes, 1899, Ch. XIV.)."

" Il importe plus qu'on ne saurait le dire aux intérêts de la sainte Église et à la gloire de Dieu que les âmes vraiment contemplatives se multiplient sur la terre. Elles sont le ressort caché et le moteur qui donne l'impulsion sur terre à tout ce qui est la gloire de Dieu, le règne de son Fils, et l'accomplissement parfait de la divine volonté. En vain multipliera-t-on les œuvres, les industries, et même les dévouements : tout sera stérile, si l'Eglise militante n'a pas ses saints qui la soutiennent dans l'état de voie, celui que le Maître a choisi pour racheter le monde. Certaines puissances et certaines fécondité ? sont inhérentes à la vie présente ; elle a, de soi, si peu de charmes, qu'il n'était pas inutile d'en relever ainsi le mérite (Ibid. Ch. XIX.)."


Allégorie du Carmel.
Carmel Notre-Dame-de-l'Incarnation. XIXe. Tours. France.

Saint Jean de la Croix naquit de parents pieux à Hontiveros, en Espagne. On vit clairement, dès ses premières années, combien il serait agréable à la Vierge Mère de Dieu ; car tombé dans un puits à l'âge de cinq ans, il en sortit sain et sauf, soutenu par la main de cette bienheureuse Vierge. Dans son grand désir de souffrir, à neuf ans, il prenait pour s'endurcir l'habitude de coucher sur des sarments.

Adolescent, il se consacra au service des pauvres malades dans l'hôpital de Médina del Campo ; grande s'y montra l'ardeur de sa charité, dans le zèle qui le faisait s'empresser près d'eux aux plus vils offices et excitait, par la force de l'exemple, l'ardeur des autres pour les mêmes œuvres charitables. Cependant appelé plus haut, il embrassa l'institut de la bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel, ou, fait prêtre par obéissance, et désireux d'une discipline plus sévère et d'une vie plus dure, il s'attacha, du consentement de son supérieur, à pratiquer la règle primitive de l'Ordre.

On le vit dès lors, ayant sans cesse en pensée la passion du Seigneur, se déclarer la guerre à lui-même comme a l'ennemi le plus funeste ; veilles, jeûnes, disciplines de fer, tous les genres de tourments, eurent bientôt fait de crucifier en lui la chair avec ses vices et ses passions, le rendant véritablement digne d'être rangé par sainte Thérèse au nombre des âmes les plus pures et les plus saintes qui illustrassent alors l'Eglise de Dieu.

Toutes les vertus, jointes à l'extrême austérité de sa vie, lui formaient comme un rempart ; assidûment plongé dans la contemplation des choses divines, il éprouvait souvent de longues et admirables extases ; si grand était l'amour dont il brûlait pour Dieu, que le feu divin, ne pouvant rester enfermé davantage, s'échappait au dehors et entourait son visage de rayons. Grandement zélé pour le salut du prochain, il s'adonnait à la prédication de la parole de Dieu et à l'administration des sacrements. Tant de mérites, et l'ardent désir qui le consumait d'une plus stricte discipline en son Ordre, le firent donner par Dieu comme compagnon à sainte Thérèse, afin qu'elle pût, aidée de Jean, rétablir la primitive observance du Carmel chez les frères comme elle l'avait fait pour les sœurs.

C'est pourquoi, dans cette œuvre divine, il supporta avec la servante de Dieu d'innombrables travaux, visitant, sans nul souci des fatigues et des dangers, chacun des monastères que la sainte avait fondés dans toute l'Espagne, en établissant nombre d'autres lui-même, et partout propageant l'observance restaurée, l'affermissant par sa parole et son exemple. Aussi est-ce à bon droit qu'il est considéré comme étant, après sainte Thérèse, le père et premier profès de l'Ordre des Carmes déchaussés.


Saint Jean de la Croix. Anonyme. XVIIIe.
Hôpital de Baugé. Maine, France.

Il garda toujours la virginité, et non seulement repoussa, mais gagna au Christ des femmes éhontées qui lui tendaient des pièges. Au jugement du Siège apostolique, éclairé par Dieu comme sainte Thérèse dans l'explication des secrets divins, il écrivit sur la théologie mystique des livres remplis d'une sagesse du ciel. Un jour, interrogé par Jésus-Christ quelle récompense il demandait pour tant de travaux, il répondit :
" Seigneur, souffrir, et être méprisé pour vous."

Célèbre par son empire sur les démons qu'il chassait fréquemment des corps, doué du discernement des esprits, du don de prophétie, de la gloire des miracles, telle fut toujours son humilité que souvent il implorait du Seigneur la faveur de mourir en un lieu où il fût inconnu de tous. Son vœu fut exaucé. En proie à une cruelle maladie, où cinq plaies suppurantes à la jambe donnèrent satisfaction au désir qu'il avait de souffrir et firent voir son inaltérable patience, il s'endormit dans le Seigneur à Ubeda, pieusement et saintement muni des sacrements de l'Eglise, tenant embrassée l'image de Jésus crucifié qu'il avait toujours eu dans le cœur et sur les lèvres, disant :
" Entre vos mains je remets mon esprit."

C'était au jour et à l'heure qu'il avait annoncés, l'an du salut mil cinq cent quatre-vingt-onze, de son âge le quarante-neuvième. Un globe de feu resplendissant reçut son âme ; un parfum très suave se répandit de son corps, que l'on garde toujours sans corruption à Ségovie en grand honneur. Les éclatants et nombreux prodiges qu'il accomplit après sa mort comme de son vivant, portèrent le Souverain Pontife Benoît XIII à le mettre au nombre des Saints.

Puissent au Carmel et sur les monts, comme dans la plaine et les vallées, se multiplier les âmes qui concilient le ciel à la terre, attirent les bénédictions, écartent la foudre ! Saints que nous sommes par vocation, puissions-nous à votre exemple et par votre prière, Ô Jean de la Croix, laisser la divine grâce agir en nous selon toute la mesure de sa vertu purifiante et déifiante ; car alors aussi nous pourrons dire un jour avec vous :

" Ô vie divine qui ne donnez la mort que pour rendre la vie, vous m'avez blessée pour me guérir, vous avez détruit en moi ce qui me retenait dans la mort. Sagesse divine, ô touche délicate, Verbe qui pénétrez si subtilement la substance de mon âme, et la plongez en des douceurs qu'on ne connaît pas dans la terre de Chanaan ni dans celle de Théman (Baruch, III, 22.) : vous renversez les montagnes, vous brisez les rochers d'Horeb par la seule ombre de votre puissance, et au prophète vous vous révélez par le murmure d'une brise légère (III Reg. XIX, II, 12.). Ô souffle divin, si terrible et si

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vendredi, 24 novembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)

7 novembre. Saint Willibrord, apôtre de la Frise, de la Zélande, de la Flandre et du Brabant. 738.

- Saint Willibrord, apôtre de la Frise, de la Zélande, de la Flandre et du Brabant. 738.

Pape : Saint Grégoire III. Roi des Francs : Thierry IV.

" C'est à la moisson qu'ils savent faire des âmes que l'on juge de la vertu des prédicateurs."
Saint Grégoire le Grand.


Saint Willibrord. Peinture sur bois.
Eglise Saint-Willibrord. Gravelines. Flandres.

Né en Northumbrie, Angleterre, 658 ; mort à Echternach, Luxembourg, 739. Son nom indique qu'il est de lignée Saxonne (Willi est une grande divinité de la mythologie nordique ; brord indique " sous la protection de ").

Willibrord, premier archevêque d'Utrecht, est un des missionnaires envoyés par les Chrétiens Anglo-saxons un siècle après qu'ils aient eux-même été christianisés par des missionnaires dans le Sud et l'Est de l'Angleterre, venus de Rome et du Continent, et par le nord et l'ouest via les peuples Celtiques d’Écosse, Irlande et Pays de Galles.

Notre information sur Willibrord provient de Bède le Vénérable (Histoire de l'Eglise et du peuple Anglais, 5, 10-11.) et d'une biographie de son jeune parent, le bienheureux Alcuin, ministre de l'éducation sous l'empereur Charlemagne. Willibrord naquit en Northumbrie vers 658, et étudia en France et en Irlande.

Bien que leur nom de famille était clairement païen, ses parents étaient Chrétiens. Le père de Willibrord était un si pieux Chrétien qu'à ses frais, il fonda un petit monastère près de la mer et partit y vivre.


Basilique Saint-Willibrord : ancienne abbatiale bénédictine fondée
par saint Willibrord. Echternach, Grand-duché de Luxembourg.

Comme beaucoup d'enfants de l'époque, à 7 ans, Willibrord fut envoyé dans un autre monastère, à Ripon, pour y être éduqué sous saint Wilfrid. (La Règle de saint Benoît parle d'oblats offerts au monastère par leurs parents. La mère de Willibrord était soit morte, soit avait pris le voile.

A cette époque, les moines interprétaient fort librement leur vœu d'attachement à une communauté, et nombre d'entre eux partaient complèter leur éducation en Irlande, si célèbre pour son érudition. Durant 12 ans, Willibrord étudia à Rathmelsigi sous les Saints Egbert et Wigbert, et y fut ordonné prêtre en 688.

C'est à Rathmelsigi que commence la véritable histoire de Willibrord, car Egbert avait un but favori qu'il partageait avec nombre de ses moines. Il planifiait d'envoyer des missionnaires sur le Continent, et en particulier auprès des païens Germains en Frise. C'était une excellente opportunité pour gagner un peuple entier à Dieu, et aussi pour gagner la couronne du martyr. Willibrord, âgé de 32 ans, fut choisit par Egbert pour diriger 11 autres moines Anglais, par delà la Mer du Nord jusqu'en Frise.


Saint Willibrord. Troparium epternacense prov. de sacramentarium. Xe.

On décrit Willibrord comme plus petit que la moyenne et joyeux. Il apprenait vite une langue, avait bonne éducation, soif d'aventure, et un grand sens de l'humour. Et surtout, Foi, espérance et charité.

A l'automne 690, les 12 arrivèrent à Katwijk-aan-Zee, à l'une des embouchures du Rhin. De là ils suivirent le fleuve jusque Wij-bij Durstede (Hollande), et cherchèrent Pépin II d'Herstal, maire du palais de Clovis II, roi des Francs. Pépin venait juste d'arracher la Basse Frise au duc païen Radbod, considéré comme un ours sauvage, qui régnait en tyran sur des étendues de boues sablonneuses et empoisonnait ses ennemis.

A peine avait-il rencontré Pépin et reçut son soutien pour la conversion des Frisons, qu'il partit pour Rome afin de demander conseil au pape Serge Ier, et recevoir ses ordres pour la mission. Avant son départ, il fut consacré pour cette oeuvre par ce pape.

Pour sa seconde visite à Rome, en 695, Willibrord arriva à convaincre le pape Serge II que la jeune mission avait besoin d'un évêque indépendant tant de York que de Pépin II ; et Serge, pour sa part, réalisa que la seule personne capable de remplir une telle tâche, qui nécessitait autant de tact que d'énergie, était Willibrord.


Consécration de saint Willibrord. Gravure du XVIIIe.

Et c'est ainsi qu'il fut consacré archevêque le 22 novembre - le jour de la fête de sainte Cécile, dans l'église Sainte-Cécile. Probablement parce qu'un Sicilien ne parvenait pas à prononcer convenablement " Willibrord ", Serge insista pour changer le nom du saint en " Clément ", un choix qui pourrait avoir été influencé par la douceur flegmatique de l'Anglois. Serge le renvoya dans son troupeau, avec quelques reliques et le titre d'archevêque des Frisons.

De retour dans ses brumes nordiques, Clément-Willibrord, qui utilisait rarement son nom latin, créa son siège à Utrecht. Ainsi, il inaugura une colonie anglaise en Europe continentale, qui eut une forte influence religieuse durant 100 ans.

Au contraire des évêchés modernes, remplis d'administrateurs et d'équipement, l'archiépiscopat de Willibrord était vivant. Il était sans arrêt en chemin, comme ses moines missionnaires, prêchant de village en village. Progressivement, il fonda dans chaque hameau une paroisse, avec son propre prêtre et les liturgies illuminées par l'esprit Bénédictin. Willibrord et saint Boniface de Crediton furent ensemble responsables de l'institution de chorepiscopi, " évêques régionnaires ", dans cette partie de l'Europe occidentale, afin de les aider dans leur travail.

Willibrord était adroit pour traiter avec les puissants du lieu, qui avaient les terres, l'argent et la puissance nécessaire pour soutenir son œuvre. Il utilisa ces grands, en fit des serviteurs de l’Évangile, mais ne leur fut jamais subordonné, ni prêt à donner sa bénédiction pour leurs folies. Il obtint d'eux de grandes étendues de terres qu'il transforma en villages et paroisses, comme Alphen dans le nord Brabant. Avec leur argent, il fonda des monastères qui servirent de centres d'illumination intellectuelle et religieuse.

Willibrord était apparemment opposé au travail des Culdees, qu'il rencontra.

 


Église Saint-Willibrord. Gravelines. Flandres.

Vers 700, il fonda un second important centre missionnaire, à Echternach, sur les bords de la Sure, dans l'actuelle jonction entre le Grand-Duché de Luxembourg et l'Allemagne. Il continua à évangéliser, en particulier la zone nord des pays de l'actuel Benelux, bien qu'il semble qu'il aie aussi exploré le Danemark et peut-être la Thuringe (Haute Frise). Un jour, il faillit mourir en mission - il fut attaqué par un prêtre païen à Walcheren, pour avoir détruit une idole.

C'est en 714 que Willibrord baptisa Charles Martel, le fils de Pépin le Bref.

Durant la période 715-719, Willibrord expérimenta des revers durant la révolte des Frisons contre les Francs. A la mort de Pépin 2, le 16 décembre 714, le duc Radbod, qui lui avait fait allégeance mais n'avait jamais été convertit, envahit les territoires qu'il avait perdus contre Pépin d'Herstal. Il massacra, pilla, brûla et vola tout ce qu'il put trouver portant la marque Chrétienne.


Tombeau de saint Willibrord.
Basilique Saint-Willibrord. Grand-duché de Luxembourg.

Mais bien vite, la querelle de succession interne à la famille de Pépin ayant été résolue par l'habileté de Charlemagne, Radbod et ses alliés de Neustrie furent battus par Charlemagne et ses Austrasiens, dans la forêt de Compiègne, le 26 septembre 715. Il y aura encore d'autres soulèvements jusqu'à la mort de Radbod en 719, mais Willibrord et ses missionnaires seront à même de réparer les dégâts et de renouveler leur œuvre. Vers 719, Boniface les rejoignit et travailla avec eux en Frise durant 3 ans, avant de partir pour la Germanie.

La réussite missionnaire de Willibrord ne fut pas spectaculaire - la rapidité et le nombre des conversions ont été exagérées par les auteurs postérieurs - mais ce furent de solides fondations posées ; " sa charité était manifeste dans son incessant travail quotidien pour l'amour du Christ " (Alcuin). On l'appelle l'Apôtre des Frisons.

Il mourut alors qu'il faisait retraite à Echternach, le 7 novembre 739. Son maigre corps fut placé dans un sarcophage de pierre, que l'on peut toujours y voir.

Durant le début du VIIIe siècle, un moine d'Echternarch composa un calendrier des saints, dont nombre étaient en relation avec les passages de la vie de Willibrord. Le Calendrier de saint Willibrord est à présent à la Bibliothèque Nationale à Paris, manuscrit latin ms. 10.837, et est du plus haut intérêt pour les étudiants en hagiographie ; à la date du 21 novembre 728 (folio 39) on trouve plusieurs lignes autobiographiques rédigées par Willibrord en personne, donnant les dates de son arrivée en France et son ordination comme évêque. (Attwater, Delaney, Encyclopaedia, Grieve, Verbist).


Buste reliquaire de saint Willibrord.
Eglise Saint-Willibrord. Gravelines. Flandres.

Dans l'art, l'emblème de Saint Willibrord est un tonneau sur lequel il pose sa croix. L'abbaye d'Echternach est derrière lui, et il est vêtu de la tenue épiscopale. On trouve aussi les variantes suivantes :
1. en tenue épiscopale, il pose sa croix sur une source, avec un tonneau, 4 flacons, et l'abbaye en arrière-plan ;
2. évêque portant un enfant, ou avec un enfant à proximité ;
3. évêque avec la cathédrale d'Utrecht derrière lui ;
4. en moine, avec un bateau et un arbre.

On l'invoque contre les convulsions et l'épilepsie (Roeder).

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mardi, 07 novembre 2023 | Lien permanent

26 novembre. Saint Pierre, patriarche d'Alexandrie, martyr. 310-311.

- Saint Pierre, patriarche d'Alexandrie, martyr. 310-311.

Pape : Saint Eusèbe. Empereur romain d'Orient : Galère. Empereur romain d'Occident : Licinius.

" Ce saint a combattu jusqu'à la mort pour la loi de son Dieu, et n'a point craint les menaces des impies ; car il était fondé sur la pierre ferme."
Antienne.
 

Maximin Daïa persécutant les Chrétiens.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Saint Pierre succéda à saint Théonas (23 août) vers l'été de l'an 300 comme évêque d'Alexandrie, et mourut martyr de la grande persécution, très probablement le 25 novembre 311. Il aurait versé son sang le dernier, et c'est pour cela qu'on l'appela en Orient le " sceau des martyrs ".

Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique, nous dit :
" Après Théonas qui avait servi 19 ans, Pierre reçoit la succession de l'épiscopat sur Alexandrie ; il se distingue lui aussi pendant 12 années entières. Avant la persécution, il dirigea cette Église pendant 3 ans ; le reste de sa vie, il le passe dans des exercices assez durs et pourvoit, sans se cacher, au bien général des Églises. C'est pourquoi, la IXe année de la persécution, il a la tête coupée et il est paré de la couronne du martyre... " (L. 7, c. 32, 31.).

" Parmi ceux qui moururent glorieusement à Alexandrie, dans toute l'Égypte et la Thébaïde, il faut citer en premier lieu Pierre, l'évêque de cette Alexandrie, l'un de ces docteurs divins de la piété Chrétienne..." (L. 8, c. 13, 7.).
.

Vision de saint Pierre d'Alexandrie. VIIe.
Eglise Comblée d'Ivanovo. Bulgarie.

" Pierre présidait très brillamment aux Églises d'Alexandrie, l'un de ces évêques divins par sa vie vertueuse et ses exercices dans les paroles sacrées. Sans nul motif, il est appréhendé contre toute attente ; subitement, sans jugement, comme sur ordre de Maximin, il est décapité. Avec lui, plusieurs évêques d'Égypte subissent même traitement." (L. 9, c. 6, 2.).

Saint Jérôme, dans sa traduction de la Chronique d'Eusèbe, note qu'il aurait été le XVIe évêque d'Alexandrie. On trouve aussi des indications précieuses dans saint Athanase (Apol. c. Ar., § 59 ; Ep. ad episc., § 22.) et saint Épiphane (Adv. haer., 63.).

En dehors de ces textes trop brefs, la documentation est d'allure légendaire. Par exemple, vers la fin du Xe siècle, dans l'Histoire des patriarches d'Alexandrie, Sévère Ibn al Moqaffa, évêque d'El-Eschmounein (Haute-Égypte), nous conte que Pierre, après avoir banni Arius, fut emprisonné. Mais tous les fidèles d'Alexandrie voulaient mourir avant lui.

La femme d'un apostat nommé Socrate, qui vivait à Antioche, tenait absolument à se rendre à Alexandrie pour faire baptiser ses enfants. Socrate refusait. Elle s'embarqua malgré tout avec ses deux fils. Éclate une tempête. La vaillante Chrétienne se fait une incision au sein droit et avec 3 gouttes de son sang elle trace une croix sur le front et le coeur de ses petits, puis elle les baptise dans l'eau salée en prononçant les paroles sacramentelles, et les embrasse. On atteint enfin Alexandrie. Elle présente ses garçons au baptême. Mais l'eau du baptistère, pour eux, se congèle subitement. Pierre s'informe, et conclut que le Ciel a ratifié le baptême maternel.
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Saint Pierre d'Alexandrie en prison.
Martyre de saint Pierre d'Alexandrie.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Arius est de nouveau repoussé par Pierre, qui est décapité dans sa prison, à travers un trou dans le mur.

Un autre épisode (une vision) que l'on trouve d'abord dans la Passion grecque - du Ve siècle ? - éditée par Viteau, est intéressant parce qu'il a inspiré des artistes byzantins. Pierre est censé parler :
" Je vis un enfant entrer par la porte de cette cellule. Il avait environ 12 ans. Son visage brillait d'un tel éclat que toute la pièce en était éclairée. Il portait un colobium de lin, mais déchiré du cou jusqu'aux pieds ; des 2 mains il en serrait les morceaux sur la poitrine, et couvrait ainsi sa nudité. A cette vue, tout effrayé, je dis :
" Seigneur, qui t'a déchiré ta tunique ?"
Il répondit :
" Arius m'a tout déchiré. Attention ! ne l'admets pas à ta communion. On fera des démarches en sa faveur, ne te laisse pas influencer... Toi, tu es appelé au martyre."

Arius étant le grand hérésiarque du IVe siècle, la légende a fait de lui le grand adversaire de Pierre. Mais c'est Mélèce que Pierre combattit. Mélèce, évêque de Lycopolis, en Haute-Égypte, venait le premier après l'évêque d'Alexandrie. Dès 305 (?), il se permit d'intervenir en maître dans les territoires de quatre évêques emprisonnés et de Pierre, qui était très gêné par la persécution. Sans tenir compte d'une protestation collective des quatre prisonniers, Mélèce se rendit à Alexandrie et substitua ses créatures aux délégués de Pierre. Celui-ci défendit au peuple de communier avec Mélèce, et annonça un synode pour connaître de cette affaire. Mélèce s'installa dans le schisme.

En 306 (?), Pierre écrivit une circulaire pleine de charité concernant les Chrétiens qui avaient plus ou moins renié leur foi durant la persécution. Mélèce se posa en rigoriste. Et pourtant, au dire de saint Athanase, il avait faibli au début de la tourmente. Le conflit entre indulgence et rigueur sévissait jusqu'en prison, jusque dans les mines où les Chrétiens étaient mis aux travaux forcés. Mélèce, Pierre se retrouvaient, avec des clercs, sous les verrous.
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Cathédrale d'Alexandrie.

Saint Épiphane nous raconte que Pierre, au milieu de la prison, étendit par terre un manteau qui lui servait de couverture, et fit crier par un diacre :

" Ceux qui pensent comme moi, qu'ils passent de mon côté ! Ceux qui pensent comme Mélèce, qu'ils passent du côté de Mélèce !"

Le grand nombre fut pour Mélèce.

Au printemps de 311, un édit de Galère libéra les captifs, mais bientôt Maximin Daïa reprit la persécution. Le 25 novembre, Pierre fut décapité. Malheureusement, son oeuvre écrite a péri en très grande partie. Il fut l'adversaire des idées d'Origène, condamna la préexistence des âmes et l'interprétation allégorique de la Genèse. Il n'admettait pas le subordinatianisme.

Le corps de Pierre fut porté non à un tombeau isolé, mais dans un cimetière suburbain. Le bréviaire syriaque a placé la mention de Pierre au 24 novembre. Le martyrologe hiéronymien au 25. Le synaxaire copte au 25. Le martyrologe syriaque de Rabban Sliba (XIVe siècle) l'offre aux 28 octobre, 19 novembre, 20 décembre ; au 29 mai, il a le " couronnement de Pierre qui fut libéré à travers le mur défoncé ".
 
Un papyrus d'Oxyrhynque en Égypte pour l'an 535-536 l'indique au 28 décembre. Rufin (Hist. eccl. d'Eusèbe, 10, 15 = P. L., t. 21, col. 487 A.) note qu'on célébrait la fête de Pierre à Alexandrie sous l'évêque Alexandre (312-328), et Sozomène (Hist. eccl., 2, 17.) dit que le martyr avait en cette ville une panégyrie ou assemblée " officielle et très brillante ". A Antioche on chantait une hymne en son honneur. L'éloge élaboré par Bède d'après Rufin-Eusèbe, transmis par Usuard, a été déplacé dans le martyrologe romain du 25 au 26 à cause de sainte Catherine.

Dans l'iconographie, notre Pierre, avec sa barbe ronde, ressemble fort à son homonyme le grand apôtre. La vision de Jésus au vêtement déchiré a été peinte plus d'une fois. A Mistra (région du Taygète, dans le Péloponnèse), l'artiste a pris soin d'écrire auprès de Jésus les paroles que lui prête la légende " Arius m'a dépouillé ".

Ici, le Sauveur est un bel adolescent un peu grêle : sa posture rappelle l'Apollon de Cassel. En Serbie, c'est un tout petit enfant qui apparaît sur l'autel, un Ange en diacre lève sur lui le ripidion (un éventail au long manche) en usage avant et après l'épiclèse (cf. Fr.-J. Moreau, Liturgies euchar., 1924, p. 100, 144-145.).

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dimanche, 26 novembre 2023 | Lien permanent

6 novembre. Saint Léonard de Noblat, solitaire en Limousin, patron des prisonniers. seconde moitié du VIe siècle.

- Saint Léonard, solitaire en Limousin, patron des prisonniers. seconde moitié du VIe siècle.

Papes : Saint Symmaque ; Pélage II. Rois des Francs : Clovis Ier ; Sigebert Ier.

" Les dons de Dieu ne s'achètent pas à prix d'argent ; c'est la foi qui les mérite, et le Seigneur les distribue aux fidèles suivant la mesure de leur foi."
Saint Léonard.

" Baiser de paix " représentant saint Léonard. Filippo de Sulmone.
Italie. XVIe. Le Baiser de paix est un objet de culte que l'on baise
lors des solennités liées au saint qu'il représente et par l'intercession
duquel on a quelque faveur ou action de grâce à présenter à
Notre Père des Cieux.

Léonard veut dire odeur du peuple, de Leos, peuple, et nardus, nard, herbe odoriférante, parce que l’odeur d'une bonne renommée attirait le peuple à lui. Léonard peut encore venir de Legens ardua, qui choisit les lieux escarpés, ou bien il vient de Lion. Or, le lion possède quatre qualités :

1. La force qui, selon Isidore, réside dans sa poitrine et dans sa tète. De même, saint Léonard posséda la force dans son coeur, en mettant un frein aux mauvaises pensées, et dans la tête, par la contemplation infatigable des choses d'en haut ;
2. Il possède la sagacité en deux circonstances, savoir en dormant les yeux ouverts et en effaçant les traces de ses pieds quand il s'enfuit. De même, Léonard veilla par l’action du travail ; en veillant, il dormit dans le repos de la contemplation, et il détruisit en lui les traces de toute affection mondaine ;
3. Il possède une grande puissance dans sa voix, au moyen de laquelle il ressuscite au bout de trois jours son lionceau qui vient mort-né, et son rugissement fait arrêter court toutes les bêtes. De même, Léonard ressuscita une infinité de personnes mortes dans le péché, et il fixa dans la pratique des bonnes oeuvres beaucoup de morts qui vivaient en bêtes ;
4. Il est craintif au fond du coeur, car, d'après Isidore, il craint le bruit des roues et le feu. De même, Léonard posséda la crainte qui lui fit éviter le bruit des tracas du monde, c'est pour cela qu'il s'enfuit au désert ; il craignit le feu de la cupidité terrestre : voilà pourquoi il méprisa tous les trésors qu'on lui offrit. (Bréviaire de Limoges).

Léonard vécut, dit-on, vers l’an 500. Il naquit dans la province des Gaules au temps de l'empereur Anastase (491-518), de nobles francs, alliés du roi Clovis qui, " d'après des témoignages véridiques ", voulut bien être le parrain de l'enfant. Ce fut saint Remi, archevêque de Reims, qui le tint sur les fonts sacrés du baptême et, qui l’instruisit dans la science du salut.

Saint Léonard devant Clovis.
Vies de saints. Richard de Montbaston. XIVe.

Devenu grand, Léonard refusa de servir dans l'armée royale comme tous ses parents, mais voulut suivre saint Remi, évêque de Reims.

Saint Remi avait obtenu des rois que, chaque fois qu'ils viendraient à Reims ou qu'ils y passeraient, tous les prisonniers seraient aussitôt libérés. Léonard pour imiter cette charité demanda que tous les prisonniers qu'il visiterait soient aussitôt libérés : le roi accorda cette faveur dont le saint usa largement.

Or, comme la renommée de sa sainteté allait toujours croissant, le roi le fit rester longtemps auprès de lui, jusqu'à ce qu'il se présentât une occasion favorable de lui donner un évêché. Léonard le refusa, car, préférant la solitude, il quitta tout et vint avec son frère Liphard à Orléans où ils se livrèrent à la prédication.

Saint Léonard et saint Jacques. Domenico del Mazziere. Florence. XVe.

Après avoir passé quelque temps dans un monastère, Liphard ayant voulu rester solitaire sur les rives de la Loire, et Léonard, d'après l’inspiration du Saint-Esprit, se disposant à prêcher dans l’Aquitaine, ils se séparèrent après s'être embrassés mutuellement. Léonard prêcha donc en beaucoup d'endroits, fit un grand nombre de miracles et se fixa dans une forêt voisine de la ville de Limoges, où se trouvait un château royal bâti à cause de la chasse.

Or, il arriva qu'un jour le roi étant venu y chasser, la reine, qui l’avait accompagné pour son amusement, fut saisie par les douleurs de l’enfantement et se trouva en péril. Pendant que le roi et sa suite étaient en pleurs à raison du danger qui menaçait la reine, Léonard passa à travers la forêt et entendit leurs gémissements.
Emu de pitié, il alla au palais où on l’introduisit auprès du roi qui l’avait appelé. Celui-ci lui ayant demandé qui il était, Léonard lui répondit qu'il avait été disciple de saint Remi. Le roi conçut alors bon espoir et pensant qu'il avait été élevé par un bon maître, il le conduisit auprès de la, reine en le priant de lui obtenir par ses prières deux sujets de joie, savoir : la délivrance de son épouse et la naissance de l’enfant.

Léonard fit donc une prière et obtint à l’instant ce qu'il demandait. Or, comme le roi lui offrait beaucoup d'or et d'argent, il s'empressa de refuser et conseilla au prince de distribuer ces richesses aux pauvres :

" Pour moi, lui dit-il, je n'en ai aucun besoin, je ne désire qu'une chose : c'est de vivre dans quelque forêt, en méprisant les richesses de ce monde, et en ne servant que Notre Seigneur Jésus-Christ."
Et comme le roi voulait lui donner toute la forêt, Léonard lui dit :
" Je ne l’accepte pas tout entière, mais je vous prie seulement de me concéder la portion dont je pourrai, la nuit, faire le tour avec mon âne."
Ce à quoi le roi consentit bien volontiers.

Enseigne de pélerinage. Saint Léonard. XIVe.

Léonard construisit un oratoire en l'honneur de Notre-Dame et y dédia un autel en mémoire de saint Remi. Il se rendait souvent au tombeau de saint Martial.

On y éleva ensuite un monastère où Léonard vécut longtemps dans la pratique d'une abstinence sévère, avec deux personnes qu'il s'adjoignit.

Or, comme on ne pouvait se procurer de l’eau qu'à une demie-lieue de distance, il fit percer un puits sec dans son monastère et il le remplit d'eau par ses prières. Il appela ce lieu Nobiliac parce qu'il lui avait été donné par un noble roi. Il s'y rendit illustre par de si grands miracles que tout prisonnier, invoquant son nom, était délivré de ses chaînes et s'en allait libre, sans que personne n'osât s'y opposer ; il venait ensuite présenter à Léonard les chaînes ou les entraves dont il avait été chargé. Plusieurs de ces prisonniers restaient avec lui et servaient le Seigneur. Sept familles de ses parents, nobles comme lui, vendirent tout ce qu'elles possédaient pour le joindre : il distribua à chacune une portion de la forêt et leur exemple attira beaucoup d'autres personnes.

Notre Dame et son divin Fils entourée de saint Léonard à sa droite
et de saint Pierre à sa gauche. Maître de Madeleine. Italie. XIIIe.

Enfin, le saint homme Léonard, tout éclatant de nombreuses vertus, trépassa au Seigneur le 8 des Ides de novembre. Comme il s'opérait beaucoup de miracles au lieu où il reposait, il fut révélé aux clercs de faire construire une autre église ailleurs, parce que celle qu'ils avaient là leur était trop petite à raison de la multitude des pèlerins, puis d'y transférer avec honneur le corps de saint Léonard.

Quand les clercs et le peuple eurent passé trois jours dans le jeûne et la prière, ils virent tout le pays couvert de neige, mais ils remarquèrent que le lieu où voulait reposer saint Léonard en était entièrement dépourvu. Ce fut donc là qu'il fut transporté. L'immense quantité de différentes chaînes de fer suspendues devant son tombeau témoigne combien de miracles le Seigneur opèra par son intercession, surtout à l’égard de ceux qui sont incarcérés.

Saint Léonard. Vies de saints. Maître de Fauvel. XIVe.

Le vicomte de Limoges, pour effrayer les malfaiteurs, avait fait forger une chaîne énorme qu'il avait commandé de fixer au pied de sa tour. Quiconque avait cette chaîne au cou restait exposé à toutes les intempéries de l’air, c'était donc endurer mille morts à la fois.
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Or, il arriva qu'un serviteur de saint Léonard fut attaché à cette chaîne, sans l’avoir mérité. Il allait rendre le dernier soupir, quand il se recommanda, le mieux qu'il put et de tout coeur, à saint Léonard, en le priant, puisqu'il délivrait les autres, de venir aussi au secours de son serviteur.
A l’instant saint Léonard lui apparut, revêtu d'un habit blanc, et lui dit :
" Ne crains point, car tu ne mourras pas. Lève-toi et porte cette chaîne avec toi à mon église. Suis-moi, je te précéderai."
Cet homme se leva, prit la chaîne et suivit jusqu'à son église saint Léonard qui marchait en avant. Au moment où il arrivait vis-à-vis la porte, le bienheureux prit congé de lui. Le serviteur entra donc dans l’église et raconta à tout le monde le service que saint Léonard lui avait rendu, et il suspendit devant le tombeau cette chaîne énorme.

Un habitant de Nobiliac, qui était fort fidèle à saint Léonard, fut pris par un tyran, qui se dit en lui-même :
" Ce Léonard délivre tous ceux qui sont enchaînés et toute espèce de fer, quelle qu'en soit la force, fond en sa présence comme la cire devant le feu. Si donc je fais enchaîner cet homme, aussitôt Léonard viendra le délivrer ; mais si je pouvais le garder, j'en tirerais mille sous pour sa rançon. Je sais ce que j'ai à faire. Je ferai creuser au fond de ma tour une fosse profonde et j'y plongerai cet homme après l’avoir chargé d'entraves. Ensuite sur l’orifice de la fosse, je ferai construire une geôle de bois où veilleront des soldats en armes. Bien que Léonard brise le fer, cependant il n'est pas encore entré sous terre."
Ce tyran exécuta tout ce qu'il s'était proposé, et comme le prisonnier se recommandait à chaque instant à saint Léonard, le bienheureux vint la nuit et retournant la geôle où se trouvaient les soldats, il les y renferma dessous comme des morts dans un sépulcre. Ensuite étant entré dans la fosse, environné d'une grande lumière, il prit son fidèle serviteur par la main et lui dit :
" Dors-tu, ou veilles-tu ? Voici Léonard que tu désires voir."
Alors cet homme s'écria plein d'admiration :
" Seigneur, aidez-moi."
Aussitôt le saint brisa les chaînes, prit le prisonnier dans ses bras et le porta hors de la tour. Ensuite, s'entretenant avec lui, comme un ami le fait avec son ami, il le conduisit jusqu'à Nobiliac et même jusqu'à sa maison.

Saint Léonard. Détail. Antonio Allegri (Le Corrège). XVIe.

Un pèlerin qui revenait d'une visite à saint Léonard, fut pris en Auvergne et renfermé dans une cave. Il conjurait ses geôliers de le relâcher, par amour pour saint Léonard, car jamais il ne les avait offensés en rien. Ils répondirent que s'il ne donnait une somme importante pour sa rançon, il ne sortirait pas.
" Eh bien, dit le pèlerin, que l'affaire se vide entre vous et saint Léonard auquel vous saurez que je me suis recommandé."
Or, la nuit suivante, saint Léonard apparut au maître du château et lui commanda de laisser partir son pèlerin. Le matin à son réveil, cet homme n'estimant pas la vision qu'il avait eue plus qu'il n'eût fait d'un songe, ne voulut pas lâcher son prisonnier. La nuit suivante, saint Léonard lui apparut encore, en lui réitérant les mêmes ordres ; mais il refusa de nouveau d'y obtempérer ; alors la troisième nuit, le saint prit le pèlerin et le conduisit hors de la place.
Un instant après, la tour s'écroula avec la moitié du château ; plusieurs personnes furent écrasées et le seigneur, qui n'eut que les deux jambes cassées, fut préservé afin qu'il pût survivre à sa confusion.

Un soldat, prisonnier en Bretagne, invoqua saint Léonard, qui apparut au milieu de la maison, entra dans la prison, et après avoir brisé les chaînes qu'il remit entre les mains de cet homme, l’emmena en lui faisant traverser la foule frappée à cette vue de stupeur et d'effroi.

Saint Etienne, saint Laurent et saint Léonard. Anonyme.
Basilique San-Lorenzo. Florence. XVe.

A 22 kilomètres à l'est de Limoges, la petite ville de Saint-Léonard-de-Noblat a gardé l'aspect pittoresque que lui a donné au Moyen-Age sa grande prospérité. La vaste église, un des plus beaux monuments romans limousins, construite à la fin du XIe siècle et au XIIe, est flanquée au Nord par un splendide clocher à 5 étages et une curieuse chapelle du Saint-Sépulcre qui rappelle que saint Léonard fut souvent invoqué avec succès par les Croisés.

On regrette les malheureuses modifications dont cette église fut victime, surtout celles de 1603, qui défigurèrent le choeur. La prospérité a été apportée à la ville par les pèlerins qui, venant en foule au tombeau de saint Léonard, créèrent un important mouvement commercial.Selon certaines sources, l'église actuelle aurait été reconstruite sur l'emplacement d'une église du IXe siècle.

Dans sa Chronique écrite vers 1028, Adhémar raconte que lorsque, vers 1017, fut découvert à Saint-Jean-d'Angély le chef de saint Jean-Baptiste, les clercs et les fidèles accoururent en foule pour le vénérer en apportant les reliques de leurs saints. On vit celles de saint Martial, de saint Cybard, de saint Léonard, confesseur en Limousin, de saint Antonin, martyr du Quercy, etc., qui accomplirent tous beaucoup de miracles.

Adhémar se contente de présenter saint Léonard comme " confesseur limousin ", ce qui signifie que ses reliques reposaient dans ce diocèse, sans rien préjuger de son origine, puisque saint Antonin, qualifié de " martyr du Quercy ", n'appartient à cette région que parce que ses reliques avaient été déposées à l'abbaye Saint-Antonin de Noble-Val, à la limite du Rouergue et du Quercy.

Collégiale Saint-Léonard. Saint-Léonard-de-Noblat. Limousin. France.

Exactement à l'époque où Adhémar écrivait sa Chronique, peu avant 1028, un clerc, nommé Hildegaire, fit de la part de l'évêque de Limoges, Jourdain de Laron, une requête assez inattendue à l'évêque de Chartres, Fulbert : il lui demandait de lui envoyer la Vie de saint Léonard, s'il pouvait la trouver. Les Limousins s'adressaient à Fulbert comme à un savant habile à découvrir les trésors des bibliothèques - de nos jours encore, on s'adresse à des chercheurs lointains pour connaître ses gloires locales. Pour ne pas commettre d'impair, Hildegaire avançait prudemment : on dit que ce saint repose dans notre diocèse.

Le renom de la sainteté de Léonard se répandit dans toute l'Aquitaine, la Grande-Bretagne et la Germanie. Dieu glorifiait son serviteur, de sorte que si quelque prisonnier invoquait son nom, ses chaînes se brisaient et nul ne pouvait l'empêcher de partir. Beaucoup venaient de tous pays lui apporter leurs chaînes et certains voulaient se fixer auprès de lui. Le saint leur donnait un lopin de terre pour qu'ils puissent vivre honnêtement de la culture et éviter de nouveaux vols qui les ramèneraient en prison. Il guérissait aussi les nombreux malades qui venaient à lui.

A la fin du XIe siècle, la dévotion à saint Léonard se répandit très vite en France, sa fête fut célébrée à Limoges, dans les diocèses voisins, Bourges, Clermont, Le Puy, Rodez, Bordeaux, Saintes, Poitiers, dans l'Ouest à Angers et à Nantes, dans la région parisienne et en Normandie, d'où elle passa en Angleterre au moment de la conquête. La Flandre, l'Italie la reçurent également, mais sa popularité atteignit son maximum en Bavière, en Autriche et en Souab

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lundi, 06 novembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (9)

22 décembre. ” O Rex gentium ”.

- " O Rex gentium ".

" O Rex gentium, et desideratus earum,
Lapisque angularis, qui facis utraque unum :
Veni, et salva hominem quem de limo formasti."

" Ô Roi des nations, objet de leurs désirs !
Pierre angulaire qui réunissez en vous les deux peuples !
Venez et sauvez l'homme que vous avez formé du limon."


PRIERE

" Ô Roi des nations ! Vous approchez toujours plus de cette Bethléhem où vous devez naître. Le voyage tire à son terme, et votre auguste Mère, qu'un si doux fardeau console et fortifie, va sans cesse conversant avec vous par le chemin. Elle adore votre divine majesté, elle remercie votre miséricorde ; elle se réjouit d'avoir été choisie pour le sublime ministère de servir de Mère à un Dieu. Elle désire et elle appréhende tout à la fois le moment où enfin ses yeux vous contempleront. Comment pourra-t-elle vous rendre les services dignes de votre souveraine grandeur, elle qui s'estime la dernière des créatures ? Comment osera-t-elle vous élever dans ses bras, vous presser contre son cœur, vous allaiter à son sein mortel ? Et pourtant, quand elle vient à songer que l'heure approche où, sans cesser d'être son fils, vous sortirez d'elle et réclamerez tous les soins de sa tendresse, son cœur défaille et l'amour maternel se confondant avec l'amour qu'elle a pour son Dieu, elle est au moment d'expirer dans cette lutte trop inégale de la faible nature humaine contre les plus fortes et les plus puissantes de toutes les affections réunies dans un même cœur.

Mais vous la soutenez, Ô Désiré des nations ! Car vous voulez qu'elle arrive à ce terme bienheureux qui doit donner à la terre son Sauveur, et aux hommes la Pierre angulaire qui les réunira dans une seule famille. Soyez béni dans les merveilles de votre puissance et de votre bonté, Ô divin Roi ! Venez bientôt nous sauver, vous souvenant que l'homme vous est cher, puisque vous l'avez pétri de vos mains. Oh ! Venez, car votre œuvre est dégénérée ; elle est tombée dans la perdition ; la mort l’a envahie : reprenez-la dans vos mains puissantes, refaites-la ; sauvez-la; car vous l'aimez toujours, et vous ne rougissez pas de votre ouvrage."


Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi, devant Pilate. Duccio di Buoninsegna. XIVe.

GRANDE ANTIENNE EN L’HONNEUR DU CHRIST

" Ô Roi Pacifique ! Vous qui êtes né avant les siècles, hâtez-vous de sortir par la porte d'or : visitez ceux que vous devez racheter, et faites-les remonter au lieu d'où le péché les a précipités."

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vendredi, 22 décembre 2023 | Lien permanent

2 novembre. Commémoraison des fidèles trépassés.

- Commémoraison des fidèles trépassés.

" Accordez du moins un souvenir à ceux qui gémissent dans les liens du purgatoire."
Hebr. XIII, 3.

Pieta de Villeneuve-les-Avignons. Enguerrand Quarton. XVe.

Nous ne voulons pas, mes Frères, que vous ignoriez la condition de ceux qui dorment dans le Seigneur, afin que vous ne soyez pas tristes comme ceux qui n'ont point d'espérance (I Thess. IV, 13.).

C'était le désir de l'Apôtre écrivant aux premiers chrétiens ; l'Eglise, aujourd'hui, n'en a pas d'autre. Non seulement, en effet, la vérité sur les morts met en admirable lumière l'accord en Dieu de la justice et de la bonté : les cœurs les plus durs ne résistent point à la charitable pitié qu'elle inspire, et tout ensemble elle offre au deuil de ceux qui pleurent la plus douce des consolations. Si la foi nous enseigne qu'un purgatoire existe, où des fautes inexpiées peuvent retenir ceux qui nous furent chers, il est aussi de foi que nous pouvons leur venir en aide (Conc. Trid. Sess. XXV.), il est théologiquement assuré que leur délivrance plus ou moins prompte est dans nos mains. Rappelons quelques principes de nature à éclairer ici la doctrine.

Tout péché cause double dommage au pécheur, souillant son âme, et le rendant passible de châtiment. Tache vénielle, entraînant simple déplaisance du Seigneur, et dont l'expiation ne dure qu'un temps ; souillure allant jusqu'à la difformité qui fait du coupable un objet d'abomination devant Dieu, et dont par suite la sanction ne saurait consister que dans le bannissement éternel, si l'homme n'en prévient en cette vie l'irrévocable sentence. Même alors cependant, l'effacement de la coulpe mortelle, en écartant la damnation, n'enlève pas de soi toute dette au pécheur converti ; bien qu'un débordement inusité de la grâce sur le prodigue puisse parfois, comme il est régulier dans le baptême ou le martyre, faire se perdre en l'abîme de l'oubli divin jusqu'au dernier vestige, aux moindres restes du péché, il est normal qu'en cette vie, ou par delà, satisfaction soit donnée pour toute faute à la justice.

La mise au tombeau. Fra Angelico. XVe.

A contre-pied du péché, tout acte surnaturel de vertu implique double profit pour le juste : il mérite à son âme un nouveau degré de grâce ; il satisfait pour la peine due aux fautes passées en la mesure de juste équivalence qui revient devant Dieu à ce labeur, cette privation, cette épreuve acceptée, cette libre souffrance d'un des membres de son Fils bien-aimé. Or, tandis que le mérite ne se cède pas et demeure personnel à qui l'acquiert, la satisfaction se prête comme valeur d'échange aux transactions spirituelles ; Dieu veut bien l'accepter pour acompte ou pour solde en faveur d'autrui, que le concessionnaire soit de ce monde ou de l'autre, à la seule condition qu'il fasse lui aussi partie par la grâce de ce corps mystique du Seigneur qui est un dans la charité (I Cor. XII, 27.).

C'est, comme l'explique Suarez en son beau traité des Suffrages, la conséquence du mystère de la communion des saints manifesté en ces jours. Invoquant l'autorité des plus anciens comme des plus grands princes de la science, discutant les objections, les restrictions proposées depuis eux par plusieurs, l'illustre théologien n'hésite pas à conclure en ce qui touche plus particulièrement les âmes souffrantes :
" J'estime que cette satisfaction des vivants pour les morts vaut en justice (Esse simpliciter de justitia.), et qu'elle est infailliblement acceptée selon toute sa valeur, et selon l'intention de celui qui l'applique ; en sorte que, par exemple, si la satisfaction qui est de mon fait me valait en justice, pour moi gardée, la remise de quatre degrés de purgatoire, elle en remet autant à l'âme pour laquelle il me plaît de l'offrir (Suarez. De Suffragiis, Sectio VI.)."


Calvaire de l'église Notre Dame de Tronoën. Bretagne. 1450.

On sait comment l'Eglise seconde sur ce point la bonne volonté de ses fils. Par la pratique des Indulgences, elle met à la disposition de leur charité l'inépuisable trésor où, d'âge en âge, les surabondantes satisfactions des saints rejoignent celles des Martyrs, ainsi que de Notre-Dame, et la réserve infinie des souffrances du Seigneur.

Presque toujours, elle approuve et permet que ces remises de peine, accordées aux vivants par sa directe puissance, soient appliquées aux morts, ; qui ne relèvent plus de sa juridiction, par mode de suffrage ; c'est-à-dire : en la manière où. comme nous venons de le voir, chaque fidèle peut offrir pour autrui à Dieu, qui l'accepte, le suffrage ou secours (Est enim suffragium, ut sumitur ex D. Thoma et aliis in 4 d. 43, auxilium quoddam, quod unus fidelis praebet alteri ad obtinendum a Deo remissionem pœnœ temporalis, vel aliud hujusmodi. Suarez. De Suffrages, in Prœmio.) de ses propres satisfactions C'est toujours la doctrine de Suarez, et il enseigne que l'Indulgence cédée aux défunts ne perd rien non plus de la certitude ou de la valeur qu'elle aurait eues pour nous qui militons encore (De Indulgentiis, Disput. LIII. Sect.).

Or, c'est sous toutes formes et c'est partout que s'offrent à nous les Indulgences.
Sachons utiliser nos trésors, et pratiquer la miséricorde envers les pauvres âmes en peine. Est-il misère plus touchante que la leur ? si poignante, que n'en approche aucune détresse de la terre ; si digne pourtant, que nulle plainte ne trouble le silence de ce " fleuve de feu qui, dans son cours imperceptible, les entraîne peu à peu à l'océan du paradis " (Mgr Gay, Vie et Vertus chrétiennes : De la charité envers l'Eglise, II.).

Pour elles, le ciel est impuissant ; car on n'y mérite plus. Lui-même Dieu, très bon, mais très juste aussi, se doit de n'accorder leur délivrance qu'au paiement intégral de la dette qui les a suivies par delà le monde de l'épreuve (Matth. V, 26.). Dette contractée à cause de nous peut-être, en notre compagnie ; et c'est vers nous qu'elles se tournent, vers nous qui continuons de ne rêver que plaisirs, tandis qu'elles brûlent, et qu'il nous serait facile d'abréger leurs tourments ! Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous au moins qui êtes mes amis ; car la main du Seigneur m'a touchée (Job XIX, 21.).

Dormition et accueil au Paradis de Notre Dame. Fra Angelico. XVe.

Comme si le purgatoire voyait plus que jamais regorger ses prisons sous l'affluence des multitudes qu'y précipite chaque jour la mondanité de ce siècle, peut-être aussi en raison de l'approche du règlement de compte final et universel qui clora les temps, l'Esprit-Saint ne se contente plus d'entretenir le zèle des anciennes confréries vouées dans l'Eglise au service des trépassés. Il suscite de nouvelles associations et jusqu'à des familles religieuses, dont l'unique but soit de promouvoir en toutes manières fa délivrance des âmes souffrantes ou leur soulagement.

Dans cette œuvre d'une autre rédemption des captifs, il est aussi des chrétiens qui s'exposent et s'offrent à prendre sur eux les chaînes de leurs frères, par l'abandon total consenti à cette fin, non-seulement de leurs propres satisfactions, mais encore des suffrages dont ils pourraient bénéficier après leur mort : acte héroïque de charité, qu'il ne faut point accomplir à la légère, que cependant l'Eglise approuve (Propagé au XVIII° siècle par les Clercs réguliers Théatins, enrichi de faveurs spirituelles par les Souverains Pontifes Benoît XIII, Pie VI, Pie IX) ; car il glorifie grandement le Seigneur, et pour le risque encouru d'un délai temporaire de la béatitude, mérite à son auteur d'être à jamais plus près de Dieu, par la grâce dès maintenant, dans la gloire au ciel.


Calvaire de l'église de Pleyben. Bretagne.

Mais si les suffrages du simple fidèle ont tant de prix, combien plus ceux de l'Eglise entière, dans la solennité de la prière publique et l'oblation du Sacrifice auguste où Dieu même satisfait à Dieu pour toute faute ! Ainsi qu'avant elle la Synagogue (II Mach. XII, 46.), l'Eglise dès son origine a toujours prié pour les morts.

En la manière qu'elle honorait par des actions de grâces l'anniversaire de ses fils les Martyrs, elle célébrait par des supplications celui de ses autres enfants qui pouvaient n'être point encore au ciel. Quotidiennement, dans les Mystères sacrés, elle prononçait les noms des uns et des autres à cette double tin de louange et de prière ; et de même que ne pouvant néanmoins rappeler en toute église particulière chacun des bienheureux du monde entier, elle les comprenait tous en une commune mention, ainsi faisait-elle, à la suite des recommandations spéciales au lieu ou au jour, mémoire générale des morts.

Ceux qui ne possédaient ni parents, ni amis, observe saint Augustin, n'étaient donc point dès lors cependant dépourvus de suffrages ; car ils avaient, pour obvier à leur abandon, la tendresse de la Mère commune (Aug. De cura pro mortuis, IV.).

L'Eglise ayant suivi dès le commencement, à l'égard de la mémoire des bienheureux et de celle des défunts, une marche identique, il était à prévoir que l'établissement d'une fête de tous les Saints au IX° siècle appellerait bientôt la Commémoration présente des trépassés. En 998, selon la Chronique de Sigebert de Gembloux (Ad hunc annum.), l'Abbé de Cluny, saint Odilon, l'instituait dans tous les monastères de sa dépendance, pour être célébrée à perpétuité au lendemain même de la Toussaint ; c'était sa réponse aux récriminations de l'enfer le dénonçant, lui et ses moines, en des visions rapportées dans sa Vie (Petr. Dam. ; Jotsald. II, XIII.), comme les plus intrépides secoureurs d'âmes qu'eussent à redouter, au lieu d'expiation, les puissances de l'abîme. Le monde applaudit au décret de saint Odilon, Rome l'adopta, et il devint la loi de l'Eglise latine entière.

Les Grecs font une première Commémoration générale des morts la veille de notre dimanche de Sexagésime, qui est pour eux celui de Carême prenant ou d’Apocreos, et dans lequel ils célèbrent le second avènement du Seigneur. Ils donnent le nom de samedi des âmes à ce jour, ainsi qu'au samedi d'avant la Pentecôte, où ils prient de nouveau solennellement pour tous les trépassés.

LA MESSE DES MORTS


Le purgatoire. Legenda aurea. Bx J. de Voragine.
Jacques de Besançon. XVe.

L'Eglise Romaine double aujourd'hui la tâche de son service quotidien envers la Majesté divine. La mémoire des défunts ne lui fait pas mettre en oubli l'Octave des Saints. L'Office du deuxième jour de cette Octave a précédé pour elle celui des morts ; Tierce de tous les Saints a été suivie de la Messe correspondante ; et c'est après None du même Office qu'elle va offrir le Sacrifice de l'autel pour les trépassés.

Un tel surcroît, le souci de maintenir la proportion harmonieuse établie par elle entre le double objet liturgique de ce jour, ont rendu jusqu'ici Rome peu favorable à l'extension du privilège qui autorise chaque prêtre, en Espagne, à célébrer aujourd'hui trois Messes pour les morts.

Longtemps l'Eglise mère fut presque seule, en la compagnie de ses filles les plus rapprochées, à ne pas omettre au 2 Novembre le souvenir des Saints ; la plupart des Eglises d'Occident n'avaient en ce jour d'autre Office que celui des morts. On supprimait aux différentes Heures, aussi bien qu'à Matines et à Laudes, l'Hymne ainsi que le Deus in adjutorium ; les Psaumes ordinaires y étaient suivis du Requiem aeternam, et l'on concluait par l'Oraison des défunts, comme il est de nos jours encore en usage chez les Frères Prêcheurs. L'unique Messe solennelle, celle des morts, était après Tierce. On terminait généralement à None cette commémoration des trépassés, bien que Cluny jusqu'au dernier siècle ait gardé la coutume d'en célébrer aussi les secondes Vêpres.

Purgatoire. Jérôme Bosch. XVIe.
 
Quant à l'obligation de chômer le jour des âmes, elle n'était que de demi-précepte en Angleterre, où les travaux plus nécessaires demeuraient permis ; le chômage ne dépassait pas le milieu de la journée en plusieurs lieux ; en d'autres, l'assistance à la Messe était seule prescrite. Paris observa quelque temps le 2 novembre comme une fête de première obligation ; en 1613, l'archevêque François de Harlay maintenait encore jusqu'à midi, dans ses statuts, le commandement de garder ce jour. Même à Rome, aujourd'hui, le précepte n'existe plus.

La remarque d'Amalaire citée plus haut, en ce qui touche l'Office des défunts, ne s'applique pas moins,à la Messe des morts. Sans parler de la suppression du Gloria in excelsis et de l’Alléluia, le Prêtre y omet au pied de l'autel le Psaume Judica me Deus, comme on le fait dans le Temps de la Passion. Il est revêtu d'ornements noirs comme au jour de la mort du Seigneur ; même suppression qu'au grand Vendredi de la plupart des bénédictions, du baiser de paix, des signes d'honneur rendus au Célébrant ; l'autel n'y est pareillement encensé qu'une fois ; le chant de l'Evangile s'y accomplit suivant le même rit, non seulement sans bénédiction du Diacre par l'Officiant, mais sans cierges, ni encens, ni baiser du texte sacré par le Prêtre. Ainsi toujours, et jusque dans la mort, l'Eglise rapproche en toutes manières ses fils de Celui dont ils sont les membres.
 

Le purgatoire. Antonio Guerra. XVIIIe.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. V.

" En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs :
" En vérité, en vérité, je vous le dis : l'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et l'entendant ils vivront. Car tout ainsi que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir pareillement la vie en lui-même ; et parce qu'il est Fils de l'homme, il lui a donné aussi le pouvoir de juge. N'en soyez point étonnés : l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui ont accompli le bien ressusciteront à la vie ; mais ceux qui ont fait le mal ressusciteront pour leur condamnation."

Le purgatoire n'est pas éternel. Les arrêts du jugement particulier qui suit la mort varient à l'infini sa durée ; il peut se prolonger des siècles entiers pour certaines âmes plus coupables, ou qui exclues de la communion catholique, demeurent privées des suffrages de l'Eglise, bien que la miséricorde divine ait daigné les arracher à l'enfer. Cependant la fin du monde et de tout ce qui est du temps, doit fermer le lieu de l'expiation temporaire.

Dieu saura concilier sa justice et sa grâce dans la purification des derniers venus de la race humaine, suppléer par l'intensité de la peine expiatrice à ce qui pourrait lui manquer en durée. Mais au lieu qu'en ce qui touche la béatitude, les arrêts du jugement particulier sont le plus souvent suspensifs et dilatoires, qu'ils laissent provisoirement le corps de l'élu comme du réprouvé au sort commun de la tombe : le jugement universel aura ce caractère définitif de n'enregistrer pour le ciel comme pour l'enfer que des sentences absolues, immédiatement et totalement exécutoires. Vivons donc dans l'attente de l'heure solennelle où les morts entendront la voix du Fils de Dieu.

Celui qui doit venir viendra, et il ne tardera pas, nous rappelle le Docteur des nations
(Heb. X, 37, ex Habac. II, 3.) ; son jour aura la soudaineté de l'arrivée d'un voleur, nous disent comme lui (I Thess. V, 2.) et le Prince des Apôtres (II Petr. III, 10.) et Jean le bien-aimé (Apoc. XVI, 15.), faisant écho à la parole du Seigneur même (Matth. XXIV, 43.) : comme l'éclair sort de l'Orient et brille déjà en Occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme (Ibid. 27.).


Âmes rendant grâce pour leur rémission.
Pèlerinage de l'âme. Guillaume de Digulleville. XIVe.

Entrons dans les sentiments qui inspirent le sublime Offertoire des défunts. Bien que l'éternelle béatitude demeure finalement assurée aux pauvres âmes en peine, et

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