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12 décembre. Saint Corentin, premier évêque de Quimper. 460.
- Saint Corentin, premier évêque de Quimper-Corentin. 460.
Pape : Saint Léon Ier le Grand. Roi de Cornouailles : Salomon Ier ; Aldrien.
" Surpassez les autres par le mérite autant que vous les surpassez par le rang."
Saint Isidore d'Espagne.
Statue de saint Corentin. Institution
Nous empruntons au Frère Albert Le Grand, prêtre de l'Ordre des Frères Prêcheurs de Morlaix et de sa Vie des Saints de la Bretagne Armorique (1636) la notice qu'il a composée pour notre grand et saint évêque :
Saint Corentin, premier Evesque de Cornoüaille, en la Bretagne Armorique, nasquit au même Diocese, environ l'an 375, treize ans avant que le tyran Maxime passast ès Gaules, et fut, dés son enfance, instruit par ses parents en la Religion Chrestienne ; ayant esté, par une grace et protection speciale de Dieu, preservé pendant les guerres que le Roy Conan Meriadec fit aux garnisons Romaines, qu'il chassa entierément de Bretagne, il s'adonna tout de bon au service de Dieu ; et, pour mieux y vacquer, et faire un perpétuel divorce avec le monde, il se retira en une solitude, dans une forest en la Paroisse de Plou-Vodiern, au pied de la montagne de saint Cosme, où il bastit un petit Hermitage près d'une fontaine, et, tout joignant un petit Oratoire ; passant en ce lieu les nuits & les jours en prieres et Oraisons, inconnu et retiré de toute conversation humaine, mais chery et consolé de Dieu, qui jamais n'oublie ceux qui, pour son Amour, oublient toutes choses, et fortifié de sa grace contre les attaques et tentations de ses ennemis, et comblé de ses celestes et divines caresses. Pour sa nourriture et sustentation en cette solitude, Dieu faisoit un miracle admirable et continuel ; car, encore qu'il se contentast de quelques morceaux de gros pain, qu'il mendioit quelques fois és villages prochains, et quelques herbes et racines sauvages, que la terre produisait d'elle-mesme, sans travail ny industrie humaine, Dieu luy envoya un petit poisson en sa fontaine, lequel, tous les matins, se presentoit au Saint, qui le prenoit et en coupoit une piece pour sa pitance, et le rejetoit dans l'eau, et, tout à l'instant, il se trouvoit tout entier, sans lesion ny blesseure, & ne manquoit, tous les matins, à se présenter à saint Corentin, qui faisoit toûjours de mesme.
En mesme temps, vivoit un saint Prestre solitaire, nommé Primael, ou Primel, lequel menoit une vie fort sainte dans une forest en Cornoüaille (1). Saint Corentin l'alla visiter, pour recevoir de luy quelques salutaires instructions ; saint Primaël le recueillit gracieusement, et passerent les deux Saints le reste de la journée en saints propos et colloques spirituel, & la nuit suivante en prieres et Oraisons. Le matin, saint Corentin desira dire la Messe en l'Oratoire de saint Primael, qui, luy ayant disposé tout ce qui estoit requis & necessaire, s'en alla querir de l'eau à une fontaine assez éloignée de son Hermitage ; Saint Corentin l'ayant longtemps attendu, sortit de la Chapelle et vit venir le saint vieillard tout doucement et à petits pas tant pour sa lassitude et que la fontaine estoit loin de là, que parce qu'il estoit boiteux. Saint Corentin, le voyant tout hors d'haleine, en prit pitié et supplia Nostre Seigneur de luy octroyer de l'eau plus prés de son Hermitage ; puis, dit la Messe, pendant laquelle il reïtera son Oraison ; Dieu exauça sa priere, car au lieu mesme où il mit son baston en terre, après la Messe, il rejaillit une source d'eau, dont les deux Saints rendirent graces à Dieu ; et, ayant séjourné quelques jours avec saint Primaël, il s'en retourna en son Hermitage à Plovodiern.
Encore qu'il tâchast à se derober de la hantise et conversation des hommes, si ne se peut-il tellement cacher, que la reputation de sa Sainteté ne retentit par toute la Bretagne, de sorte que deux Personnages de grande sainteté le vinrent visiter en son Hermitage (2) ; saint Corentin les receut fort humainement ; et, pour les festoyer, leur dressa des crépes (à la mode du païs) qu'il accomoda de quelque peu de farine qu'on luy avoit donnée par aumône és villages prochains ; mais Dieu, qui ne délaisse ceux qui ont jetté en luy toute leur espérance, pourveut miraculeusement à la nourriture de ses serviteurs ; car saint Corentin, estant allé puiser de l'eau à la fontaine, la trouva pleine de belles et grosses anguilles, dont il en prit autant qu'il luy fut nécessaire pour festoïer ses hotes, lesquels se retirerent, loüans Dieu qui, par des miracles si signalez, témoignait la Sainteté de son serviteur saint Corentin.
Saint Corentin. Faïencerie Henriot. Quimper. XIXe.
En ce temps-là, le Roy Grallon, qui avoit succedé à Conan Meriadek, se tenoit, avec toute sa Cour, en la Ville de Kemper-Odetz, capitale du Comté de Cornoüaille. Un jour, estant allé à la chasse, il donna jusques dans la forest de Nevet (qui n'est plus), en la Paroisse de Plovodiern, proche l'Hermitage de saint Corentin ; et, ayant chassé tout le jour, sur le soir, il s'égara dans la forest, et enfin se trouva prés l'Hermitage du Saint, avec une partie de ses gens, ayans tous bon appétit ; ils descendirent et s'adresserent au Saint Hermite, luy demanderent s'il ne les pourroit pas assister de quelques vivres ?
" Oüy (répondit-il), attendez un petit, & je vous en vays querir."
Il s'en alla à sa fontaine, où son petit poisson se représenta à luy, duquel il en coupa une piece de dessus le dos et la donna au maistre d'hôtel du Roy, luy disant qu'il l'apprestast pour son maistre & les Seigneurs de sa suite; le maistre d'hôtel se prit à rire et se mocquer du Saint, disant que cent fois autant ne suffiroit pour le train du Roy. Neanmoins, contraint par la nécessité, il prit ce morceau de poisson, lequel (chose étrange !) se multiplia de telle sorte, que le Roy et toute sa suite en furent suffisamment rassasiez. Le Roy, ayant vu ce grand Miracle, voulut voir le poisson duquel le Saint avoit coupé ce morceau et alla à la fontaine, où il le vit, sans aucune blessure, dans l'eau ; mais quelque indiscret (que la Prose, qui se chante le jour de la Feste du Saint, dit avoir esté de l'Evesché de Leon) en coupa une pièce pour voir s'il deviendrait entier, dont il resta blessé, jusqu'à ce que saint Corentin y vint, qui, de sa Benediction, le guerit, et luy commanda de se retirer de là, de peur de semblable accident, à quoy il obéït (3).
Le Roy Grallon, ravy de ces merveilles, se prosterna aux pieds du saint Hermite et luy donna toute sa forest & une maison de plaisance qu'il avoit en ladite paroisse de Plovodiern ; puis, s'étant recommandé à ses prières, il se retira à Kemper-Odetz. Saint Corentin convertit cette maison que le Roy luy avait donnée en un Monastere, où, ayant amassé nombre de saint Religieux, il vivoit en grande sainteté & austerité.
Le Saint, sachant combien il importoit au bien de la république que les enfans des seigneurs et gentilshommes fussent, de bonne heure, élevez et dressez à la vertu, prenoit le soin de les instruire ; et, à cette fin, il avoit un nombre de pensionnaires en son Monastere, entre lesquels les plus signalez furent Wennolé, Tugdin et Jacut, lesquels, depuis, furent Abbez en trois celebres Monasteres. Quelque temps après, le Roy Grallon fut supplié par les seigneurs et tout le Peuple de procurer l'erection d'un Evesché à Kemper-Odetz, pour le Comté de Cornoüaille, le Roy s'y accorda, et, ayant fait toutes les dépêches requises, nomma saint Corentin à ce nouveau Evesché, et, l'ayant mandé, l'envoya à Tours vers saint Martin, Archevesque dudit lieu, pour estre par luy sacré, luy donnant pour compagnons Gwennolé & Tugdin (4), pour estre benits Abbez de deux Monasteres qu'il vouloit édifier. Ils furent gracieusement receus du saint Archevesque, lequel, au desir des lettres du Roy, consacra saint Corentin, mais ne voulut benir les deux autres, disant que c'estoit à faire à luy à benir les Abbez de son Diocese. Les Saints, ayans achevé leur legation, s'en retourneront à Kemper-Odetz, où le Roy, avec toute sa Cour, les receut, et fut dressé une entrée Episcopale et solemnelle à saint Corentin, qui prit possession de son Siège et celebra Pontificalement la Messe.
Le Roy vint à l'offrande & offrit à Dieu et au saint Prélat son palais qu'il avoit dans Kemper (5) et grand nombre de terres et possessions ; les princes et seigneurs de sa Cour, à son exemple, en firent de mesme, chacun selon ses moyens et facultez. Le lendemain, saint Corentin benit solennellement ses deux saints disciples, Abbez, destinant Gwennolé pour le Monastere de Land-Tevenec, que le Roy Grallon fonda quelque temps après. Ce pieux prince, non content des dons qu'il avoit faits au saint Evesque, fonda la Cathedrale, arrenta nombre de Chanoines ; et, pour laisser la Ville libre à saint Corentin, il en retira sa Cour et la transfera en la fameuse ville d'Is.
Saint Corentin, considérant que cette nouvelle dignité requeroit de luy une nouvelle sollicitude, commença, à bon escient, à cultiver son Diocese ; il confera les saints Ordres à bon nombre de vertueux personnages, lesquels il instruisoit pour les faire Recteurs de son Diocese, lequel il visita et distribua par paroisses et trèves, preschant partout d'une ardeur et zele admirables, non moins d'exemple que de vive voix, n'ayant relasché rien de ses austeritez ordinaires. Ayant saintement gouverné son troupeau quelques années, Dieu le voulut récompenser de ses travaux et luy envoya une maladie, qui l'affaiblit tellement, que, prévoyant l'heure tant désirée s'approcher, il fit venir tous ses Chanoines et Religieux, et, les ayant exhortez à l'Amour de Dieu et perseverance en leur vocation, il receut, en leur presence, ses Sacremens ; puis, leur ayant donné sa benediction, il rendit son Ame beniste és mains de son Createur, le 12 décembre l'an 401.
Son corps lavé fut revétu de ses Ornemens Pontificaux et porté dans son Eglise Cathedrale ; et son décez estant sceu par le Pays circonvoisin, il se rendit une si grande affluence de peuple à Kemper-Odetz, pour voir son saint Corps et le baiser, qu'on ne le pût si-tost enterrer qu'on s'estoit proposé ; les malades y alloient et estoient gueris ; les muets, sourds, boëteux, aveugles y receurent l'usage de leurs membres ; les demoniacles y furent délivrez, et plusieurs autres miracles s'y firent en témoignage de sa sainteté. Le Roy Grallon, qui s'estoit rendu à Kemper-Odetz, quand il eut avis de sa maladie, assista, avec sa cour, à son enterrement, qu'il fit faire avec autant de pompe et magnificence, que si c'eust esté pour luy mesme, et défraya le tout ; il fut ensevely dans le Choeur de sa Cathedrale devant le grand Autel, où Dieu a fait plusieurs miracles par son intercession, aucuns desquels nous rapporterons icy, à la gloire de Dieu & de son Saint, duquel la memoire fut si douce à ses citoyens, qu'ils donneront son Nom à leur Ville, l'appelans KEMPER-CORENTIN, & non plus KEMPER-ODETZ.
Une damoiselle, ayant receu quelque faveur par les merites et intercessions de saint Corentin, fit voeu d'offrir quelque quantité de cire à son Eglise, et vint rendre son voeu ; comme elle s'approcha de l'Autel pour l'y présenter, le diable la tenta de le retenir, ce qu'elle fit ; mais la misérable fut punie sur le champ ; car la main qu'elle avoit tirée se ferma si fort, que, quelque effort qu'elle fit, elle ne la pût ouvrir ; se voyant punie de la sorte, elle s'en retourna au logis fort désolée, suppliant saint Corentin de luy impetrer l'usage de la main. Une nuit qu'elle prioit de grande ferveur, saint Corentin luy apparut, glorieux et resplendissant, et luy dit :
" Ma fille, quand vous aurez promis quelque chose à Dieu, ou à ses serviteurs, ne vous en dédites pas, mais accomplissez le gayement ; allez demain à mon Eglise et priez devant mon tombeau, et vous recevrez guerison."
Le lendemain, la femme alla prier au Sepulchre du Saint, où s'estant endormie, saint Corentin lui apparut de rechef et luy dit qu'elle estoit guerie ; elle, se reveillant là dessus, se trouva avoir le maniement de sa main libre, dont elle rendit graces à Dieu et à saint Corentin. Il apparut à un larron et le frappa de Paralysie, dont il ne pût jamais estre guery, qu'il n'eut restitué ce qu'il avoit dérobé. Quelques méchans, estans entrez de violence dans la maison d'un honneste Personnage, l'enfermerent dans un coffre, à dessein de l'y laisser mourir de faim ; ce pauvre homme eut recours à Dieu par l'entremise de saint Corentin, lequel parut en la chambre, tout éclatant et glorieux, et, du bout de sa Crosse, leva la serrure de ce coffre et délivra ce pauvre homme, qui, de ce pas, alla à son Eglise remercier Dieu et son serviteur saint Corentin. L'an de grace 1018, Alain Caignard, comte de Cornoüaille, pensa devenir aveugle, à cause d'une défluxion qui luy tomba sur les yeux ; à laquelle les médecins ne pouvoient remédier ; en cette affliction, la Comtesse Judith, sa femme, fille de Judicaël, Comte de Nantes, luy conseilla de faire voeu à saint Corentin, et promettre de donner quelques terres et heritages à son Eglise : il la crût, et ainsi, ayant fait dresser et signé les contrat des terres qu'il disposoit donner, il se fit porter à Kemper-Corentin, où il visita l'Eglise et fit sa priere, puis mit ces contrats sur l'Autel, offrant à Dieu et à saint Corentin les terres et héritages qui y estoient mentionnez, et, aussi-tost la défluxion se dissipa, et, du depuis, n'eut plus mal aux yeux. Ce saint corps demeura à Kemper jusques à l'an 878. que les Normands ayans pris terre en Cornoüaille, les Chanoines et Ecclesiastiques de Kemper se retirerent à Tours, emportans le tresor de leur Eglise, et, entre autres Reliques, le Corps de saint Corentin, qu'ils mirent en l'Eglise de saint Martin ; depuis, il fut transporté à Marmoutier, où il est reverement conservé.
Statue de saint Corentin. Eglise Saint-Méen. Arzano Bretagne.
(1) En voyant saint Corentin vivre en ermite dans la forêt de Névet, et aller faire visite à un autre solitaire plusieurs ont supposé que leurs ermitages étaient voisins ; c'est une erreur. M. de Kerdanet a très bien désigné le lieu sanctifié par saint Primael ; il est marqué par une chapelle aujourd'hui en ruines, dans la paroisse de Saint-Thois, non loin de la route de Quimper à Châteauneuf, sur un des points les plus pittoresques de cette contrée accidentée.
(2) L'ancienne Vie dit que ces visiteurs étaient saint Malo et saint Patern ; au nom du premier, dom Plaine a substitué le nom de saint Melaine dans la traduction ; encore aurait-il mieux valu qu'il se contentât de la note chronologique qu'il a placée sur le texte latin. - A.-M. T.
(3) Ce n'est pas du tout l'ancienne Vie qui indique la nationalité du serviteur de Grallon coupable d'avoir mutilé le poisson de saint Corentin. Et d'abord, ce personnage n'est pas un voleur ; Albert Le Grand l'appelle plus judicieusement " un indiscret " ; ce n'est donc pas à lui qu'il faut appliquer la fameuse strophe que l'on chantait trois fois dans la séquence ou prose usitée pour la fête de saint Corentin.
" Aperitur clausa manus,
Reddit furtum et fit sanus
Latro de Leonia."
Il s'agissait là d'un voleur de profession, et vraiment Léonard de naissance, qui étant venu à Quimper afin de pouvoir faire son métier dans la foule le jour où l'on consacrait la cathédrale, n'empara d'un peloton de fil de soie au détriment d'un pèlerin. Sa main se ferma sur l'objet du larcin et ne put s'ouvrir que quand le larron eut réclamé l'intervention du saint patron de la Cornouaille et promis la restitution. Non-seulement ce malheureux se convertit, mais il devint un zélé propagateur de la dévotion à saint Corentin. La tradition populaire (malencontreusement suivie par Albert Le Grand) a confondu le Léonard voleur de soie (illustré par la séquence) et le mutilateur du poisson. - A.-M. T.
Saint Corentin. Eglise Saint-Léger. Saint-Léger-des-Prés.
(4) On sait peu de choses sur saint Tudy : il débuta dans la vie religieuse sous la discipline de saint Mandat, puis il vécut en solitaire à l'île qui porte son nom, et fonda une abbaye là où est aujourd'hui la belle église paroissiale de Loctudy (XIIe siècle). M. de la Borderie (tome III , p. 166) suppose que cette abbaye subsista peu de temps et qu'elle fut, non pas restaurée, mais remplacée par un nouveau monastère avant la fin du XIe siècle où l'on voit figurer dans deux chartes du duc Alain Fergent, les noms de deux abbés de saint Tudi : Guégon et Daniel. Ce nom d'abbé indique bien, il est vra
mardi, 12 décembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)
14 décembre. Saint Nicaise, archevêque de Reims, martyr. 407.
- Saint Nicaise, archevêque de Reims, martyr. 407.
Pape : Saint Innocent Ier. Empereur romain d'Occident : Flavius Honorius. Empereur romain d'Orient : Flavius Arcadius. Roi des Francs : Théodomir.
" Un pasteur véritable doit travailler jusqu'à l'effusion de son sang plutôt que d'abandonner le troupeau de Jésus-Christ."
Saint Athanase.
Les Eglises du nord de la Gaule, quoique parvenues assez tard à une existence officielle, s'étaient bien vite dédommagées.
Chaque jour qui s'écoulait, dit M. Kurth, marquait un progrès pour les chrétientés de la Gaule du nord. Bientôt elle fut à même de payer sa dette aux Eglises du midi. C'est un enfant de Toul, saint Honorat, qui alla fonder, en 405, cet illustre monastère de Lérins, foyer de la vie monastique en Gaule et pépinière de l'épiscopat gaulois. C'est un fils de Trèves, Salvien, qui brilla au premier rang des écrivains ecclésiastiques du cinquième siècle, et dont la pathétique éloquence n'a pas vieilli pour l'histoire. C'est à Trèves encore, dans la société du saint prêtre Banosus, que se développa la vocation religieuse de saint Jérôme ; et si on se rappelle que cette ville a eu pour professeur Lattante et pour élève Ambroise, on trouvera que l'Eglise de Belgique n'a pas été inutile à l'Eglise universelle.
On ne comprendrait pas bien le grand rôle réservé à cette Eglise dans l'histoire de la jeunesse du monde moderne, si à l'étude de sa vie intime on n'ajoutait celle de ses organismes essentiels. Comme l'Eglise universelle elle-même, l'Eglise des Gaules alors était une fédération de diocèses reliés entre eux par la communion, par les assemblées conciliaires et par l'obéissance à l'autorité du Souverain Pontife. En dehors de ce triple et puissant élément d'unité, toute son activité et toute sa vie résidaient dans les groupes diocésains.
Chaque diocèse était comme une monarchie locale dont l'évêque était le chef religieux et tendait à devenir le chef temporel. Chef religieux, il était la source de l'autorité, le gardien de la discipline, le dispensateur des sacrements, l'administrateur de la charité, le protecteur-né de tout ce qui était pauvre, faible, souffrant ou abandonné. Chacune de ces attributions concentrait dans ses mains une somme proportionnée d'autorité et d'influence. L'Etat lui-même avait reconnu et affermi cette influence en accordant à l'épiscopat les deux grands privilèges qui lui garantissaient l'indépendance : je veux dire l'exemption des charges publiques et la juridiction autonome. Les constitutions lui accordaient même une part d'intervention dans la juridiction séculière, chaque fois qu'une cause touchait particulièrement à la morale ou au domaine religieux.
Saint Nicaise. Petites heures de Jean de Berry. XIVe.
La confiance du peuple allait plus loin. N'ayant plus foi dans les institutions civiles, ils s'habituèrent à confier la défense de tous leurs intérêts aux autorités ecclésiastiques. Ils ne se préoccupèrent pas de faire le départ du spirituel et du temporel : ils donnèrent tous les pouvoirs à qui rendait tous les services. Sans l'avoir cherché, en vertu de sa seule mission religieuse et grâce à l'affaiblissement de l'Etat, les évêques se trouvèrent chargés du gouvernement de leur côté, c'est-à-dire de leurs diocèses Gouverneurs sans mandat officiel, il est vrai, mais d'autant plus obéis que tout ce qui avait un caractère officiel inspirait plus de défiance et d'aversion, ils furent, en Gaule surtout, les bons génies du monde agonisant. Ils fermèrent les plaies que l'Etat ouvrait ; ils firent des prodiges de dévouement et de charité. Les évêques, dit un historien protestant parlant de la Gaule pratiquèrent alors la bienfaisance dans des proportions que le monde n'a peut-être jamais revues.
Telle était la situation lorsque éclata la catastrophe de 406. Ce fut un coup terrible pour les chrétientés de la Gaule septentrionale. Nous ne savons que peu de chose de ces jours pleins de troubles et de terreurs, où l'histoire même se taisait, comme écrasée par l'immensité des souffrances qu'il eût fallu enregistrer. Même les quelques souvenirs qu'en ont gardés les peuples ont été brouillés et, confondus avec celui de l'invasion hunnique, arrivée un demi-siècle plus tard. Un seul des épisodes consignés par l'hagiographie peut être rapporté avec certitude aux désastres de 406 ; il s'agit de la mort du vénérable pontife de Reims, saint Nicaise, égorgé par les Vandales au milieu de son troupeau qu'il n'avait pas voulu abandonner.
Que les combats fameux du bienheureux Nicaise, évêque de Reims et martyr du Christ, dont nous célébrons le triomphe, et de sa sainte soeur Entropie, dont nous admirons l'intrépidité et la pudeur, nous soient propices en ce jour où nous attendons joyeux les consolations que leurs prières et leurs mérites nous obtiendront. Tandis qu'ils luttaient encore sur cette terre au service du Christ, ils la remplirent des heureux exemples de leur sainteté.
Missel à l'usage de l'abbaye Saint-Nicaise de Reims.
Elevés maintenant sur les sièges célestes, le souvenir de ce qu'ils furent nous instruit encore, et ils protègent certainement par leurs prières continuelles ceux qui s'efforcent attentivement d'atteindre la perfection, les sauvegardant des dangers présents, passés et futurs. La bienheureuse vierge Entropie suivait infatigable et sans faiblir son très saint frère qu'elle imitait et aidait, afin d'en recevoir la protection pour sa chasteté, et afin que, débarrassée des souillures de l'esprit, elle servît Dieu en toute la pureté et intégrité d'un corps défendu contre les plaisirs de la chair. Tous deux rendaient les hommages assidus de leur piété jusqu'au moment où éclatèrent les jours menaçants des persécutions.
Nicaise, le véritable serviteur de Dieu, cultivait avec vigueur le champ qui lui avait été confié et, se conformant au précepte de l'Apôtre, il prodiguait à temps et à contre-temps, par l'effusion de la parole de Dieu, les semailles qu'il avait le devoir de répandre.
Mais, comme le dit la parole divine, telle partie tombe sur la route, telle autre sur les pierres et les terrains arides, telle dans les épines, telle enfin dans une terre préparée, et celle-ci rend une moisson abondante. Ainsi parmi les hommes il y a un grand nombre d'appelés, mais peu d'élus ; il s'en trouva plusieurs qui suivirent le Christ en sa compagnie et, remplis du Saint-Esprit, se préparèrent au martyre. Qu'est-ce donc qui a provoqué la colère divine à cet écrasement des Gaules qu'une révélation lui avait fait connaître avant qu'elle arrivât ? C'est alors qu il condamnait une richesse d'origine infâme, proclamant dans son angoisse la future destruction de la province amenée par l'excès du plaisir et la paresse de l'impuissance, lamentable maladie de l'âme, ou par la convoitise de l'avarice, passions qui enchaînent misérablement le coeur humain. L'évêque exhortait donc ses ouailles dont la conscience coupable l'inquiétait, prêt à mourir pour tous afin de détourner de tous la colère de Dieu ; il suppliait, l'esprit contrit et le coeur humilié, l'invincible clémence céleste afin que le glaive des hommes ne pénétrât pas jusqu'aux âmes, mais pour que, sauvés par la pénitence et la prière continuelle et la conscience renouvelée, ils reçussent le plein pardon, grâce à l'ineffable grandeur de la miséricorde divine.
Portail de saint Sixte ou portail des Saints. Saint Nicaise portant sa tête,
Sous le règne des Césars païens qui persécutèrent les chrétiens depuis le temps des apôtres jusqu'à l'époque de Constantin, l'esprit malin s'efforça par les mille ruses de l'hérésie d'atteindre le dogme de la sainte Trinité et la foi chrétienne ; il ne cessera pas d'agir de même jusqu'à la fin des temps, trompant les fidèles par d'apparents rapprochements soucieux de tout perdre, de faire souffrir, de rompre et de réduire à néant l'unité de l'Eglise qui est dans le Christ. Après le baptême de Constantin et la fin de la persécution atroce commencée par son prédécesseur Dioclétien, la sainte Eglise de Dieu commença à retrouver peu à peu la paix ; à la faveur d'un repos bien désiré, elle s'étendit, s'enrichit et s'accrut de disciples et d'honneurs. Malheureusement l'Eglise de Gaule se laissa abuser par ces biens et, à l'instigation du démon, se livra au plaisir et à la bonne chère ; bientôt on ne rougit plus de délaisser la religion, de mettre en oubli les préceptes divins, de provoquer des scandales, des scissions, et d'offenser Dieu.
Et voilà que soudain, parmi tant de dissipations, s'émut la fureur de nations intraitables. La cohue des Vandales, vengeresse de l'offense faite à Dieu, se lance sur plusieurs provinces. Ces bandes, détruisant les villes de fond en comble, tuant tout le monde sans distinction, ne semblaient rechercher autre chose que de répandre le sang humain. Dans cette bourrasque, la Gaule se trouvait avoir de très illustres serviteurs de Dieu, saint Nicaise de Reims et saint Aignan d'Orléans, que leurs miracles et les dons qui les ornaient avaient fait connaître à tous. Ils avaient lutté longtemps par leurs prodiges et leurs prières à écarter la colère de Dieu, s'efforçant à éteindre les hérésies et l'immoralité et à ramener les peuples au Roi-Dieu par la pénitence, et de détourner de leurs peuples une pareille persécution. Ils poussaient leurs fidèles par leurs prédications et par tout ce qu'ils tentaient à revenir à la pénitence, à la patience et au martyre, afin que ceux qu'une funeste prospérité avait conduits au péché trouvassent dans l'adversité non le jugement de condamnation, mais la grâce du pardon et l'occasion du salut. L'armée des Vandales vint donc camper sous les murs de Reims ; presque tout le monde s'était enfui ; ils ne songeaient cependant qu'à tuer ceux qui ne partageaient pas leur croyance.
Le dernier jour de ce pillage, comme les Vandales cherchaient de tous côtés et menaçaient gravement la ville, les citoyens terrifiés vinrent trouver Nicaise, qui priait à genoux, le suppliant de les consoler et de dire ce qu'ils avaient à faire de mieux, ou se livrer en esclavage aux barbares, ou combattre jusqu'à la mort pour sauver la ville. Entendant cela, Nicaise, à qui une révélation avait faut connaître le sort réservé à la ville, répondit :
" Il faut combattre pour le salut, non par les armes, niais par les mœurs, non avec la confiance de la force, mais avec le soutien de ses vertus, non pas tant avec le corps qu'avec l'esprit. Nous savons que cette indignation a été amenée par le juste jugement de Dieu, aussi le seul conseil de salut que l'on puisse donner serait de s'humilier sous le châtiment divin, sans violence, comme des enfants de péché, mais avec patience, comme des enfants de prière, afin que nous puissions être appelés à bon droit et que nous soyons réellement enfants de Dieu. Acceptons ce péril en esprit d'expiation, offrons-nous pour obtenir le pardon et ne pas tomber pour nos péchés dans la peine éternelle, ainsi les misères présentes seront moins un tourment qu'un remède. En ce qui me concerne, je suis prêt, comme doit l'être le pasteur, à donner ma vie pour mes brebis, à mépriser la vie présente afin que vous receviez la vie éternelle qui a été promise. Prions donc instamment pour nos ennemis, sollicitons leur salut, demandons qu'ils se repentent de leurs crimes, afin que nous les voyions aimer et servir la vérité avec la même passion qu'ils ont apportée dans l'impiété."
Nicaise et sa soeur Entropie excitaient ainsi le peuple à affronter le martyre, et ils s'offraient eux-mêmes vaillamment, remettant à Dieu le soin de leur victoire. Ce fut sur ces entrefaites que l'invasion des barbares commença. Nicaise, rempli de la force de l'Esprit-Saint, accompagné d'Entropie, accourut sur le portail de la basilique de la Sainte-Vierge — qu'il avait bâtie lui-même pour son église cathédrale, car jadis la chaire épiscopale se trouvait dans l'église des Saints-Apôtres —, et ils entonnèrent des psaumes et des cantiques.
Martyre de saint Nicaise. Livre d'images de Madame Marie. XIIIe.
Dès qu'il vit les gens armés qui approchaient, il commanda le silence d'un geste de la main et dit :
" Ô armes victorieuses, et plût à Dieu que ce fût pour le Christ, Ô force exécutive des volontés divines, pourquoi, contrairement à la nature de la condition humaine, changez-vous votre victoire en rage ? Le droit des vainqueurs était jadis ainsi résumé : Epargner les humbles, combattre les puissants. Voici donc une foule de chrétiens humbles et pieux, prosternés devant son Dieu en votre présence, qui attend, obéissante jusqu'à la mort, la rémission de ses péchés dans le lieu même où elle fut régénérée. Tandis que le temps est favorable et que durent encore les jours de salut, faites vous-mêmes pénitence pour vos péchés, reconnaissant le vrai Dieu dont vous satisfaites à l'indignation en corrigeant les fils de sa miséricorde, qui chaque jour perdent la vie à cause de vous, de peur que sa colère qui vaut à ses fils la correction pour le salut, ne soit pour vous le paiement dans la damnation éternelle. Si vous rejetez la vérité, et que vous tuez mes brebis, prenez-moi à leur place, offrez à la majesté divine le sacrifice de mon corps, afin que le pasteur mérite d'être trouvé digne de la récompense céleste, ainsi que ses brebis."
Là-dessus Nicaise se prosterna avec sa soeur et chanta d'une voix forte :
" Mon âme a été comme attachée à la terre."
Un violent coup d'épée trancha dans son gosier le verset commencé, mais ses lèvres achevèrent de murmurer :
" Seigneur, vivifie-moi selon ta parole."
Sainte Eutropie, voyant autour d'elle la fureur s'adoucir et redoutant que sa beauté ne la destinât aux plaisirs des païens, sauta sur l'assassin en criant :
" Hélas ! Méchant tyran, tu as fait mourir de tes mains indignes un grand serviteur de Dieu et tu me réserves pour abuser de moi. Le jugement de Dieu te damnera pour t'en punir."
Et pour le provoquer, elle bondit, lui arracha les paupières et les yeux, et à l'instant même elle fut percée par des épées, qu'elle préférait aux attouchements des païens. Son sang se répandit et elle recueillit avec son frère la palme du martyre.
Les païens, furieux de l'audace et de la constance de la vierge et confondus du châtiment soudain de l'assassin de Nicaise, changeant l'indulgence qui les avait poussés à l'épargner, lui firent subir d'odieux outrages.
Le meurtre fini, les habitants massacrés, une terreur subite envahit les persécuteurs. Comme si les armées célestes étaient venues venger un crime si atroce, on entendit un bruit insolite et énorme dans l'église ; l'ennemi affolé perdit son arrogance ; ce fut un sauve-qui-peut général dans les montagnes, sur les routes ; il abandonna son butin et on ne le revit plus.
La ville demeura longtemps déserte, les chrétiens ayant fui dans la montagne par crainte des barbares ; mais les corps des martyrs étaient gardés par les anges ; la nuit, on voyait de très loin leur céleste lueur et beaucoup de gens les entendirent chanter. Cependant les habitants, réconfortés par des révélations divines, revinrent dans la ville ensevelir les corps des saints martyrs dont l'odeur exquise les guidait. Mêlant la joie aux larmes et chantant des hymnes lugubres, ils enterrèrent les martyrs avec respect dans des lieux consacrés à cet effet autour de la ville. Et tout ceci arriva afin que la force sacerdotale invincible, éprouvée durement, fût glorifiée et la négligence criminelle du peuple reçût son juste traitement, et expiée par l'effusion du sang, fût effacée.
Les corps de Nicaise et d'Eutropie furent inhumés dans le cimetière de Saint-Agricola, sur la route qui est à l'est de la ville, dans le temple fameux construit jadis par le préfet Jovinus, afin que l'on vît le dessein providentiel qui avait voulu que ce temple tirât son lustre non de sa destination première, mais de la sainteté de ses hôtes. Ces corps s'y trouvent et ils sont glorifiés par de nombreux miracles.
Les gens de Reims possèdent là deux gages perpétuels d'intercession en leur faveur... Assurés par ces prières, souhaitons donc d'arriver aux joies désirables dont les bienheureux jouissent sans fin dans le Christ.
jeudi, 14 décembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (2)
8 avril. Saint Gautier de Pontoise, abbé. 1099.
- Saint Gautier de Pontoise, abbé. 1099.
Pape : Pascal II. Roi de France : Philippe Ier.
" C'est de Dieu et non pas de votre majesté que je reçois le gouvernement de cette église."
Saint Gautier recevant la crosse abbatiale des mains du roi Philippe Ier.
Saint Gautier naquit à Adainville, village du Vimeu, vers la fin du règne de Robert Ier le Pieux, ou au commencement de celui d'Henri Ier. Il était fild de Dreux, comte d'Amiens, de Mantes, de Pontoise et de Chaumont.
La précocité de son esprit lui fit faire de rapides progrès dans les arts libéraux. Pour s'y perfectionner, il quitta la maison paternelle et alla, dans divers pays lointains, reccueillir les enseignements de maîtres éprouvés. Ensuite il se fit recevoir docteur, professa avec distinction la grammaire, la réthorique et la philosophie, et attira autour de sa chaire un auditoire d'élite.
Arrivé au faîte de la renommée et craignant de se laisser entraîner par le vertige de la vanité, il se rappela le conseil de l'Evangile qui nous donne pour modèle Notre Seigneur Jésus pauvre et crucifié ; il résolut alors de renoncer aux agitations du siècle, pour goûter le calme et la sérénité de la vie claustrale. Voulant y préluder par degré, pour mieux éprouver ses forces, ce ne fut qu'après avoir longtemps subi les rigueurs du cilice qu'il entra à l'abbaye de Rebais-en-Brie (au diocèse de Meaux, près de Coulommiers) où, dès les premières années de son noviciat, il dépassa tous les religieux par la maturité de ses vertus.
Nous ne pouvons cependant donner une complète approbation à un acte exagéré de charité, que l'un des deux biographes contemporains de saint Gautier loue sans restriction.
Un paysan expiait ses méfaits dans la prison du monastère et y souffrait souvent de la faim et de la soif ; le religieux picard, ému de compassion, lui réservait une partie de son pain. Une nuit, à la faveur des ténèbres, il pénétra dans son cachot, brisa ses liens, le chargea sur ses épaules et l'aida à s'enfuir. Toutefois il lui fit promettre de ne point tirer vengeance de la juste punition qu'il avait subie dans le mo,astère. Gautier, selon qu'il s'y attendait, fut sévèrement châtié par l'Abbé, pour cette violation de la règle.
Vers cette même époque, Amaury III, frère de Gautier, comte d'Amiens et de Pontoise en Vexin, venait de fonder, près du château de cette dernière ville, un monastère daont les quelques religieux n'avaient point encore d'Abbé. Entendant vanter les vertus de saint Gautier, ils le choisirent pour leur supérieur. Ce ne fut qu'après bien des refus que notre Saint se décida enfin à se rendre au voeu de la communauté naissante. Notons que du vivant de saint Gautier, Amaury se retirera dans ce même monastère pour y finir saintement le cours de sa vie terrestre.
Tour de l'abbaye Saint-Martin. Pontoise.
Après que le saint religieux eut reçu la bénédiction épiscopale, le roi Philippe Ier, en qualité d'avoué, ou proctecteur de l'abbaye, lui remit, comme marque d'investiture, la crosse abbatiale, en la tenant par le noeud ; Gautier mit la main non pas au-dessous mais au-dessus de celle du roi, en disant :
" C'est de Dieu et non pas de votre majesté que je reçois le gouvernement de cette église."
Bien loin de se formaliser de cette liberté, le roi et sa suite ne firent qu'admirer cette indépendance de sentiment et de langage. Le nouvel abbé de Pontoise fit dédier son église sous le vocable de Saint-Germain, qu'elle échangea plus tard pour celui de Saint-Martin.
D'une taille élevée, d'une physionomie pleine de douceur, Gautier ne cherchait point à accentuer ces avantages par une mise soignée. Juste envers tous, sans prévention pour personne, miséricordieux pour les autres, sévère pour lui-même, humble devant les petits, ferme devant les grands, supportant d'un visage égla la joie et le chagrin, le saint Abbé était un continuel sujet d'admiration pour tous ceux qui l'approchaient, d'autant plus qu'il alliait la vivacité de l'intellligence et la sagesse des pensées à l'habileté de l'éloquence.
La considération qui l'entourait lui fit craindre les suggestions de l'amour-propre ; aussi, vers l'an 1072, après avoir bâti un oratoire à Saint-Martin, dont l'abbaye devait bientôt prendre le vocable, il s'enfuit secrètement de Pontoise pour aller se caher à Cluny qui était alors, sou sl'abbatiat de saint Hugues, la plus florissante école des vertus monastiques. Bien qu'il eût pris soin de dissimuler son nom et sa qualité, les moines de Pontoise finirent par découvrir sa retraite. Munis d'une ordonnance de Jean de Bayeux, archevêque de Rouen, ils allèrent trouver l'abbé de Cluny et ramenèrent le fugitif à leur monastère.
Vers l'an 1080, Gaultier, évêque de Meaux, confirma la donation, qui avait été faite à saint Gautier, de la terre de Maurissac (ou Moressart et aujourd'hui Morcerf, près de Coulommiers) pour y fonder un prieuré.
A l'imitation de plusieurs autres saints Bénédictins, Gautier se retirait souvent dans une grotte voisine pour y vivre la vie austère des anachorètes ; mais, troublé par les visites, il résolut de s'enfuir une seconde fois.
Ce fut dans une île de la Loire, près de Tours, où se trouvait une chapelle dédiée aux saints Côme et Damien (c'est cette île de Saint-Côme que devait bientôt rendre célèbre le séjour et la mort de l'hérésiarque Bérenger, qui y mourut repentant en 1088), que saint Gautier crut pouvoir, loin du regard des hommes, se livrer à toute l'ardeur de ses mortifications ; là encore, il fut trompé dans ses espérances ; la renommée publia bientôt les vertus du solitaire ; on venait solliciter ses conseils, admirer ses exemples ; on lui apportait de nombreux présents qu'il s'empressait de distribuer aux pauvres, habitués à prendre le chemin de son ermitage. Un jour, il leur donna des livres à vendre ; une autre fois, il se dépouilla pour eux de la tunique et de la coule que lui avaient données les moines de Marmoutiers.
Un pélerin, nommé Garin, qui, selon la coutume du temps, voyageait pour visiter les sanctuaires renommés, reconnut Gautier et signala aussitôt sa retraite aux moines de Pontoise. Ceux-ci accoururent à Tours, se jetèrent aux pieds de leur Abbé et le supplièrent de revenir, pour rendre la vie à son abbaye qui dépéressait. Notre Saint se rendit à leurs prières ; mais peu de temps après (1075), il partit pour Rome et, après avoir vénéré les tombeaux des Apôtres, il conjura le pape Grégoire VII de le déchrager du fardeau qui l'accablait et de l'honneur dont il se proclamait indigne. Le souverain Pontife, en le retenant quelques jours, put apprécier l'exagration de son humilité ; il lui reprocha alors de ne pas mettre en oeuvre les aptitudes qu'il avait reçu de la Providence et lui enjoigna, sous peine d'anathème, de reprendre la directyion de son troupeau abandonné. Le saint Abbé renonça dès lors à ses prédiolections et, retournant au bercail, ne songea plus désormais à déserter les devoirs que lui avait imposés le suprême arrêt du souverain Pontife.
Plus d'une fois, l'abbé de Pontoise eut occasion de mettre la fermeté de son caractère au service de la justice. Ainsi, il ne craignit point de reprocher ouvertement à Philippe Ier ses investitures simoniaques :
" Il ne vous est point permis de trafiquer des choses saintes : en vendant ainsi les bénéfices, vous autorisez les autres à en faire un commerce sacrilège, et vous vous rendez coupable de toutes les simonies qu'encouragent vos exemples."
Saint Gautier ne montra pas moins d'énergie pour faire respecter par le concile de Paris (1092) la décision du Saint-Siège qui interdisait d'entendre la messe d'un prêtre concubinaire. Les évêques l'accusèrent d'être en cela rebelle aux ordres du roi et le firent mettre en prison ; mais l'intervention de ses amis lui rendirent bientôt la liberté qu'il avait été heureux de sacrifier pour la cause de la justice.
Ce n'était certes pas par esprit d'ostentation qu'il se déterminait à contrecarrer l'autorité des puissances civiles et religieuses ; il aimait au contraire le silence et l'oubli, quand la voix de sa conscience ne lui prescrivait pas d'affirmer nettement ses convictions. Son humilité était si réelle que sa main gauche ignorait ce qu'avait donné sa main droite ; c'était ordinairement par l'entremise des autres qu'il distribuait ses libéralités. Un jour, recevant la visite d'un prêtre et d'un diacre de Pontoise, il les chargea de donner aux indigents une forte somme qu'il feignit d'avoir reçut d'un ami, pour cette destination ; il leur demanda le secret sur l'origine de ce don. En d'autres circonstances, il usait de la même dissimulation pour déguiser sa charité. S'il était abordé par un mendiant, en face de témoins, il le repoussait avec une vivacité qui pouvait le faire accuser de dureté ; mais, bientôt après, il rejoignait le pauvre sans qu'on l'aperçût, et le comblait de ses bienfaits.
Toujours disposé à servir les autres, saint Gautier remplissait volontiers les fonctions de lecteur hebdomadaire au réfectoire, et même de cuisiner et de boulanger. Un jour, exténué de fatigue, il tomba en défaillance devant l'ouverture du four et fut trouvé en cet état par les moines, qui s'empressèrent de le transporter à sa cellule.
Vers l'anné e1092, la bienheureuse Vierge Marie lui apparut et lui dit :
" Lève-toi, Gautier, rends-toi à Bertaucourt et construits-y un monastère. J'ai choisi cet endroit pour qu'une communauté de vierges s'y consacre à mon service."
L'apparition évanouie, notre saint craignit d'être le jouet d'une illusion et différa d'agir. Mais une seconde vision vint lever tous ses doutes ; cette fois, comme témoignange d'une réalité irrécusable, il garda plusieurs jours sur les joues l'empreinte des doigts de la Vierge Marie qui lui avait appliqué sa main.
Le monastère fut effectivement bâti en 1094 à Bertaucourt, près d'Amiens ; deux nobles et pieuses femmes, Godelinde et Hewilge, consacrant leurs richesses à exécuter le projet de Notre Dame et de saint Gautier.
Saint Gautier avait aussi le don de prophétie. Un jour qu'il prêchait devant Mathieu Ier, comte de Beaumont-sur-Oise, une dame scandalisa l'assistance par l'inconvenance de sa toilette et surtout par la robe à queue qui balayait la poussière. L'homme de Dieu ne put s'empêcher de lui reprocher son immodeste étalage. Cette évaporée se récria et annonça que le dimanche suivant, elle reviendrait en plus grand falbalas :
" Vous reviendrez en effet, mais dans un état bien différent de celui que vous afficher aujourd'hui." lui dit notre Saint.
Saint Gautier tomba malade le lendemain et, expira le 8 avril 1099, jour du Vendredi Saint. Son inhumation eut lieu dans l'abbatiale Saint-Martin. Quelques jours plus tard, la dame qui avait scandalisé les fidèles fut transporté aux pieds du tombeau du saint Abbé et regretta amèrement ses inconduites.
Le Carmel de Pontoise conserve une relique de saint Gautier. Vexin.
RELIQUES ET CULTE
Le tombeau de saint Gautier devint bientôt un rendez-vous de pélerinage pour les aveugles, les boîteux, les sourds, les paralytiques et les malades de toutes catégories. Bien des guérisons aussi subites que miraculeuses s'y produisirent.
Bientôt, le jour de la fête de notre Saint fut déclaré jour chômé.
Saint Louis avait une grande vénération pour saint Gautier. Un tableau, récemment restauré, le montre aux pieds du tombeau de saint Gautier, dans l'église Notre-Dame de Pontoise.
Pendant la révolution, de pieuses mains pontoisiennes enlevèrent le corps de saint Gautier de son tombeau et l'enterrèrent secrêtement et anonymement dans le cimetière paroissial.
Il reste une parcelle de ses reliques que l'on vénère toujours dans l'église Notre-Dame de Pontoise. Une autre est vénérée qu Carmel de la même ville.
On conserve à Pontoise une crosse historiée que l'on dit avoir appartenu à saint Gautier. Ce serait même le bâton pastoral que notre Saint prit si fièrement des mains du roi de France.
Rq : Les représentations de saint Gautier sont rares. Nous serons très reconnaissants aux lecteurs qui voudront bien nous en faire tenir.
lundi, 08 avril 2024 | Lien permanent | Commentaires (3)
10 avril. Saint Fulbert, évêque de Chartres. 1028.
Math. VI, 33.
Saint Fulbert de Chartres. Manuscrit du XIIe.
Parmi tous les grands hommes qui ont paru sur le trône épiscopal de l'église de Chartres, saint Fulbert est de ceux qqui se sont rendus les plus recommandables. Ses historiens en parlent toujours en termes avantageux ; ses écrits respirent la piété et l'érudition, et ses vertus héroïques confirment tout le bien que la postérité nous a dit de ce grand Saint.
Il possédait les qualités de l'esprit les plus avantageuses ; et il fut si fidèle à faire profiter les talents naturels dont Dieu l'avait favorisé, qu'il devint l'un des plus grands hommes de son siècle. Il donna des preuves de sa grande capacité et de l'étendue de son esprit, avant même d'entrer dans les Ordres et d'être admis au nombre des clercs. Il contribua beaucoup en France à renforcer l'étude des sciences, et spécialement de la philosophie, dont l'étude s'était considérablement corrompue.
Ce qui rendait cet homme digne d'une plus grande admiration, c'était de voir qu'il n'avait pas de jugement moins solide pour les affaires qui demandaient de la conduite, que l'esprit vif et pénétrant pour exceller dans les hautes sciences. Cependant il ne se prévalut jamais de l'avantage qu'il possédait au-dessus des autres, fuyant, au contraire, la vaine gloire, et évitant les vains applaudissements dans les assemblées. Il ne se servait de ses belles connaissances que pour mieux pénétrer les devoirs de la religion, et pour inspirer aux autres de l'estima et du respect pour la majesté souveraine de Dieu et pour toutes les choses qui pouvaient contribuer à sa gloire.
Gerbert d'AUrillac, le futur pape Sylvestre II, enseignant à
Jeune, on le trouve étudiant à Reims, où il eut pour professeur de mathématiques et de philosophie, Gerbert, le futur pape, Silvestre II, et pour condisciple le futur roi Robert II le Pieux. Après son élévation sur le trône pontifical romain, Sylvestre II se souvint de son disciple et le fit venir à Rome auprès de lui et se servit de ses grands talents pour gouverner l'Eglise.
A la mort de Gerbert, Fulbert rentra en France pour la plus grande joie de ses nombreux amis qui avait admiré sa sagesse, son humilité et sa sagacité dans ses fonctions auprès du défunt pape.
Il devint chancelier de l'Eglise de Chartres en 1003 sous la conduite de l'évêque Odon, puis sous celle de Rodolphe son successeur, et établit dans cette ville une école de théologie qui ne tarda pas à devenir célèbre.
C'est à cette époque que des troubles s'élevèrent dans l'abbaye de Saint-Pierre de Chartres. Abbon de Fleury, pour être renseigné, s'adressa à Fulbert. Celui-ci, dans une lettre remarquable, exposa comment, à la mort de l'abbé Gislebert, un moine ambitieux, nommé Magenard, se fit installer à sa place. L'intrus, chassé du monastère, se réfugia à l'évêché : sa disgrâce contribua à le rendre plus édifiant, au point que les moines eux-mêmes le rappelèrent et lui restituèrent le bâton pastoral.
Statue de Sylvestre II (Gerbert d'Aurillac). Aurillac.
Devenu évêque de Chartres en 1007, et sacré par son métropolitain Léothéric de Sens, Fulbert continua son enseignement et l'école de Chartres devint la plus célèbre académie de France. Elle formera une élite théologique qui comptera dans ses rang, entre autres, Bernard de Chartres, Gilbert de La Porrée, Thierry de Chartres, Guillaume de Conches et Jean de Salisbury.
L'évêque vit le danger de l'erreur de l'hérésiarque Bérenger (dont nous avons vu dans la vie de saint Gautier de Pontoise qu'il finit sa vie repentant sur l'île Saint-Côme non loin de Tours) sur la présence réelle de Jésus dans l'Eucharistie, il se mit en devoir de réfuter celui qui avait été son élève ; il prévint en même temps Léothéric de Sens de ce que la nouvelle formule pour donner la sainte communion, présentait de dangereux au point de vue de la foi orthodoxe :
" Pilote du vaisseau du Roi, lui écrivit-il, soyez circonspect et sur vos gardes : si vous vous, écartez de la route prescrite par la foi, vous ferez certainement un triste naufrage."
Fulbert, évêque, devint l'oracle de presque toute la France. Les princes, les évêques, les simples fidèles avaient recours à ses conseils et ils trouvaient en lui une source de lumière. C'est ce qui ressort du recueil de ses lettres. Peu après son élévation à l'épiscopat, en mai 1008, il se trouva au Concile que le roi Robert avait convoqué dans son palais de Chelles. On voulut qu'il souscrivît immédiatement après les métropolitains, et avant 11 évêques dont plusieurs, comme Adalbéron de Laon, étaient très anciens dans l'épiscopat ; ce qui nous montre en quelle estime le tenaient ses collègues.
Le roi Robert II le Pieux et saint Fulbert de Chartres.
Sa correspondance dénote en sa personne l'alliance d'une fermeté vraiment épiscopale avec une noble douceur et une humilité sans bassesse. Obligé de recourir à un zèle ardent pour réprimer les désordres ou corriger les abus, il le faisait toujours sans blesser le respect dû aux autorités civiles. Il aimait tendrement son prince, le roi Robert, et lui témoigna toujours un sincère attachement : quand il eut encouru sa disgrâce, il fit tous ses efforts pour gagner de nouveau son amitié.
Tout en s'occupant beaucoup à l'extérieur, Fulbert ne négligea pas pour cela le soin de son diocèse : il prêcha la parole de Dieu à son peuple, dressa des canons pénitentiaux, composa des hymnes et des proses. L'an 1020, l'ancienne cathédrale fut consumée dans l'incendie de la ville de Chartres. Fulbert entreprit de la rebâtir avec une magnificence qui dépassait de beaucoup les ressources d'un évêque sans patrimoine. Il fut aidé dans cette oeuvre par des princes, comme saint Canut IV de Danemark, Guillaume comte de Poitiers. Il la plaça sous le vocable de Notre-Dame pour laquelle il avait une dévotion particulière ; il établit dans son église la fête de la Nativité de Marie dont l'institution était assez récente.
Saint Fulbert mourut, comblé de grâces et de mérites, le 10 avril 1028, après avoir gouverné l'Église de Chartres pendant près de 14 ans. Il fut enterré à Saint-Père-en-Vallée, monastère où, durant sa vie, il aimait à se retirer, pour se dérober au tumulte des affaires, et donner à son âme les moyens de se retremper dans la retraite spirituelle.
Saint Fulbert enseignant.
CULTE
On trouve en deux épitaphes l'éloge de ce saint évêque. Cependant l'Eglise de Chartres fut longtemps sans lui décerner un culte public : on se contentait de rappeler sa mémoire par un anniversaire pour le repos de son âme. On lui a attribué plusieurs miracles après sa mort ; G. Bucelin, dans son ménologe bénédictin, lui a donné le titre de bienheureux. De nos jours on trouve sa mémoire dans les nouveaux propres de Chartres et de Poitiers.
mercredi, 10 avril 2024 | Lien permanent
10 avril. Saint Macaire d'Antioche, archevêque de cette ville. 1012.
- Saint Macaire d'Antioche, archevêque de cette ville. 1012.
Pape : Serge IV. Roi de France : Robert II, le Pieux.
" Il y a de l'honneur à exposer et confesser les oeuvres de Dieu."
Tob., XII, 7.
Saint Macaire secourant des pestiférés à Gand.
Jacob Van Oost. XVIIe.
Saint Macaire était arménien, de parents nobles et illustres ; son père s'appelait Michel et sa mère Marie. Il avait un parent nommé Macaire, archevêque d'Antioche.
A ce propos, On ne sait pas au juste si c'est d'Antioche de Pisidie, simple archevêché dépendant du patriarcat de Constantinople, ou d'Antioche de Syrie, un des trois grands patriarcats d'Orient. Nons avons suivi la première opinion, par la raison qu'au moyen âge la désignation d'Arménie s'étendait à la Natolle (l'actuelle Anatolie). Ce qui est dit dans la vie du Saint, qu'Antioche est la fleur des villes d'Arménie, ne s'oppose point à notre opinion, car au point de vue chrétien, Antioche de Pisidie a sa noblesse : elle fut évangélisée par saint Paul (Acta. chap. XIII) ; un grand nombre de ses enfants furent d'illustres Martyrs de Jésus-Christ, et au XIe siècle il est probable que la décadence d'Antioche de Syrie était commencée, puisque ce n'est plus aujourd'hui qu'une humble ville, et qu'Antioche de Pisidie est encore un chef-lieu de gouvernement et la résidence d'un préfet turc.
Ce saint archevêque voulut être parrain de notre Saint, et, lui ayant donné le nom de Macaire, il le prit chez lui pour l'élever dans la piété et le former aux belles-lettres et à tous les exercices qui en pouvaient faire un excellent ecclésiastique et un ministre fidèle de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le jeune Macaire fit de tels progrès dans son école, qu'il se rendit bientôt capable, par sa science et par sa vertu, des emplois les plus importants et des premières dignités de l'Eglise. Aussi, l'archevêque, se voyant près de mourir, crut qu'il ne pouvait procurer un plus grand avantage à Antioche, que de l'y laisser pour son successeur. Il en fit la proposition à son clergé et à son peuple, qui y consentirent tout d'une voix de sorte qu'après la mort de l'ancien Macaire, le jeune prit possession de sa chaire et fut intronisé comme archevêque d'Antioche.
Vestiges de l'église Saint-Pierre. Antioche de Pisidie. Anatolie.
Fondée à la fin du Ier siècle, de récentes excavations ont révélé
que l'église Saint-Pierre fut construite sur la synagogue où
saint Paul prêcha lors de son deuxième séjour à Antioche de Pisidie
(Act. XIII, 14-52). En effet, le premier séjour de saint Paul et de
saint Barnabé ne dura que le temps nécessaire pour les Juifs,
nombreux dans cette ville, de les expulser.
Alors ses vertus, qu'une vie privée avait tenues plus secrètes, parurent avec un merveilleux éclat. On vit en lui un détachement parfait de toutes les choses de la terre, qu'il regardait avec mépris, parce qu'il en connaissait la vanité une aversion pour tous les plaisirs et les divertissements de la vie une assiduité continuelle à mortifier ses sens et ses appétits, et à crucifier sa chair par des jeûnes, des veilles et d'autres austérités ; une tendresse et une compassion pour tous les malheureux, auxquels il distribuait libéralement ses biens, n'ayant rien qui ne lui fût commun avec les pauvresune douceur et une bénignité si constantes, que ni les injures, ni les mauvais traitements, ni les persécutions ne la pouvaient altérer une prudence de vieillard dans le gouvernement de son diocèse enfin, une piété si tendre envers Dieu, que les larmes lui coulaient sans cesse des yeux. Ces insignes vertus étaient aussi accompagnées du don des miracles deux lépreux furent guéris par le seul attouchement de ses mouchoirs trempés de ses saintes larmes, et l'eau qu'il avait touchée était un souverain remède contre toutes sortes de maladies.
Il gouverna quelque temps l'Eglise d'Antioche ; mais craignant que l'honneur qu'il recevait à tous moments ne lui fît perdre ce que l'humilité lui avait acquis, il résolut d'en fuir au plus tôt les occasions. Il distribua, pour cet effet, tous ses' biens aux églises et aux pauvres et s'étant, par un mouvement divin, démis de sa charge entre les mains d'un prêtre de grand mérite, nommé Eleuthère, il s'associa quatre de ses plus fidèles amis, et quitta secrètement sa ville pour passer en un autre lieu, où la Providence divine le conduirait.
Collégiale Sainte-Waudru. La plus grande part des reliques de
saint Macaire y sont vénérées. Mons. Hainaut.
Il prit son chemin par la Palestine, pour y arroser de ses larmes les lieux sanctifiés par celles de Jésus-Christ et il n'y perdit aucune occasion de s'entretenir et de discuter avec les Juifs et les Sarrasins, afin de les convaincre de leurs erreurs et de les attirer à la connaissance de l'Evangile. Mais ces infidèles, qui ne pouvaient répondre à ses raisonnements, conçurent une telle rage contre lui, que, s'étant saisis de sa personne, ils le traînèrent en prison, l'étendirent en forme de croix, lui attachèrent les pieds et les mains avec de longs clous Echés en terre, et lui firent souffrir toutes les ignominies et tous les tourments imaginables. Ils lui mirent même sur la poitrine une grosse pierre qu'ils avait fortement chauffée. Mais la terre rejeta ses clous, et Dieu réduisit tous les artifices que l'impiété de ces infidèles avait inventés le Saint sortit libre de prison, sans aucun dommage ce qui étonna si fort ces Sarrasins, qu'ils lui demandèrent pardon quelques-uns, reconnaissant le pouvoir de la Croix, reçurent la foi de Celui qui avait souffert pour leur salut.
Cependant, les parents de Macaire, affligés de son éloignement, envoyèrent après lui pour le détourner de son dessein et le faire revenir à Antioche mais Dieu frappa leurs courriers de cécité, et ils furent obligés de se jeter aux pieds du Saint pour lui demander son assistance dans une si grande misère il en eut compassion, et par le signe de la croix, leur rendit la vue, à condition qu'ils s'en retourneraient sans l'inquiéter dans la poursuite de son voyage.
Il prit donc son chemin vers l'Occident traversant plusieurs pays, il vint jusqu'en Bavière et, passant par Mayence, Cologne, Malines, Maubeuge, Cambrai et Tournai, il se rendit enfin dans la ville de Gand. Partout ce ne furent que miracles dans le Levant il avait rendu l'usage de la parole et de l'ouïe à un vieux Sarrasin, qui était muet et sourd depuis l'âge de neuf ans ; rencontrant un pèlerin qui se faisait conduire à Jérusalem, il lui avait obtenu la vue par ses prières. En Bavière, il délivra du mal caduc la femme du seigneur Adalbert, qui, par charité, l'avait logé chez elle. A Cologne, il guérit son hôte du même mal. A Malines, il éteignit, par ses prières, un grand incendie qui menaçait de réduire toute la ville en cendres.
A Tournai, il apaisa, par sa prudence, une sédition populaire si furieuse, que toutes les industries du prince Baudoin le Vieux n'avaient pu détourner cet orage. A Cambrai, l'entrée de l'église de Notre-Dame lui ayant été refusée, les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes pour lui faire passage. A Maubeuge, un valet qui l'avait méprisé fut frappé d'une lèpre dont il ne put
guérir.
On en finirait pas si on voulait écrire toutes les particularités de son voyage ; et insistons sur son dernier séjour, qui fut en la ville de Gand, où il arriva l'an de Notre Seigneur Jésus-Christ 1011. Il se retira au monastère de Saint-Bavon étant tombé en une dangereuse maladie, il en fut guéri dans une vision saint Bavon, Saint Landoald et d'autres bienheureux lui apparurent durant son sommeil.
Il arriva en ce temps-là, à Gand, une peste si cruelle, qui se formait dans la bouche, qu'il y mourait chaque jour plus de six'cents personnes. On publia un jeûne universel et des processions publiques pour apaiser la colère de Dieu. Notre-Seigneur, qui voulait faire de saint Macaire une victime pour expier les péchés de son peuple, permit qu'il fût frappé de ce fléau. Il perdit d'abord l'usage de la parole, prédisant néanmoins par signes, que lui avec deux autres mourraient encore de cette maladie, et qu'ensuite elle serait éteinte. Il ne fit point de testament, parce qu'il était trop pauvre et ne laissait rien.
On le porta dans l'église de Notre-Dame, où il marqua, avec son bâton, le lieu de sa sépulture devant l'autel de saint Paul puis, ayant donné sa bénédiction au peuple, il se retira en sa chambre. Plusieurs y étant demeurés, ils furent extrêmement effrayés d'un certain tremblement qui y arriva par la descente des esprits bienheureux, pareil à celui que le grand saint Grégoire rapporte en la vie de saint Paulin, évêque de Noie. Enfin, il mourut le 10 avril, l'an de Notre-Seigneur 1012. Sa prophétie fut accomplie il fut le dernier qui mourut de cette maladie pestilentielle.
La grande fête de Saint-Macaire, le 9 mai, est l'occasion
d'une procession et d'une grande foire à Mons. Hainaut.
RELIQUES
En 1067, le corps du Saint fut levé de terre en présence de Philippe Ier roi de France, de Baudouin, comte de Flandre, et des évoques de Noyon et de Cambrai. On vit, en cette circonstance, paraître en l'air deux cercles en forme de couronne.
On transporta de ses reliques à Thielt, dans la châtellenie de Courtrai, en 1634 à Geerberg ou Gérardmont, dans la baronie de Boulaers et à Oudenarde, en 1637 chez les chanoines de Saint-Pierre de Lille (un bras), en 1067 une partie de l'autre bras fut donnée, en 1611, par l'évêque de Gand, Charles de Maes, à la paroisse de Laerne, qui est à deux lieues de la ville, sur le territoire de Termonde, où notre Saint est patron de l'Eglise.
En l'an 1617, les ossements de ce saint Patriarche furent transportés de Gand à Mons, en Hainaut, afin d'y apaiser une cruelle épidémie qui ravageait tout le pays ; en reconnaissance, les habitants de Mons lui offrirent une riche châsse d'argent, dans laquelle, l'année suivante, ils reportèrent ses vénérables reliques à Gand, où elles sont religieusement conservées en l'église cathédrale.
Une chapelle lui est consacrée dans cette église. On y voit une belle toile de Crayer représentant saint Macaire, en habits pontificaux, qui implore à genoux la miséricorde divine pour la guérison des pestiférés, au moment où cette cruelle maladie fait planer la mort sur sa propre tête. Un bas-relief en marbre blanc, placé sur le devant de l'autel, montre saint Macaire porté en procession.
Au milieu du château dit des Espagnols, on voit encore quelques ruines très-intéressantes de l'ancienne abbaye de Saint-Bavon, entre autres la chapelle et le puits de Saint-Macaire.
On l'honore par deux fêtes principales qui sont fixées au 10 avril et au 9 mai. Celle du 9 mai, qui rappelle le jour où ses reliques furent levées de terre, se fait avec beaucoup plus de solennité tant à cause des nombreux miracles qui se sont alors opérés, que pour éviter la rencontre des fêtes de Pâques. Il se tient une foire le 9 mai, comme cela se pratique pour un grand ncmbre de fêtes d'autres Saints.
Saint Macaire est toujours en grande vénération parmi les Flamands.
Siger, abbé de Saint-Bavon, fit composer la vie de saint Macaire en 1067 à l'époque de son élévation : Surius et les Bollandistes l'ont reproduite. Ces derniers en donnent une seconde qui fut composée peu de temps après la mort du Saint. Baronius, dans ses Annales ; Molanus, dans son Catalogue des Saints de Flandre ; Mathieu Rader, dans sa Bavière sainte ; Aubert Lemire, dans son Calendrier de Saints de Flandre et de Bourgogne, se sont occupés de ce grand Thaumaturge qui faisait encore des miracles au temps du Père François Giry. Cf. encore Mgr de Ram, Vie des Saints.
mercredi, 10 avril 2024 | Lien permanent | Commentaires (2)
11 avril. Saint Léon Ier le Grand, pape, docteur de l'Eglise. 461.
Saint Pierre à saint Léon.
Saint Léon le Grand naquit à Rome, d'une des premières familles de la Toscane, vers la fin du IVe siècle. Son rare mérite l'éleva promptement au titre d'archidiacre de l'Église romaine ; il n'avait guère plus de quarante ans, quand il fut appelé, par les voeux du clergé et du peuple, sur le siège de saint Pierre. Toutes les qualités d'un Pape remarquable parurent dans sa personne, et c'est à juste titre que la postérité, après ses contemporains, lui a donné le nom de Grand.
Atelier de Raphaël. XVIe.
La cérémonie de son exaltation se fit un dimanche à la saint Michel, le 29 septembre 440. Si l'on veut connaître les sentiments qui animaient le nouveau Pape, qu'on lise les sermons qu'ils prononçait à chaque anniversaire de son pontificat. Dans l'un, il dit qu'il a été effrayé en entendant la voix de Dieu, qui l'appelait à gouverner l'Eglise ; il se proclame trop faible pour un si lourd fardeau, trop petit pour une telle grandeur, trop dénué de mérite pour une si auguste dignité. Cependant il ne perd pas courage, parce qu'il n'attend rien de lui-même, et tout de celui qui opère en lui.
Ce qui, sans décourager le pontife, l'effrayait néanmoins, c'est que l'Eglise se trouvait attaqué de tous côtés par le vice et l'erreur. Il eut dès lors soin d'associer à ses combats des personnes pleines de piété et de doctrine, entre autres, saint Prosper d'Aquitaine, le plus savant homme de son temps ; il en fit son conseiller et son secrétaire, comme autrefois saint Damase avait fait de saint Jérôme. Ensuite, saint Léon le Grand commenca par la réforme du peuple romain, afin que l'église mère fût le modèle de toutes les autres églises. Non content de l'exciter à la vertu par ses propres exemples, il l'instruisit encore par ses prédications, imitant en cela, dit-il, l'exemple de ses prédécesseurs. Cette partie du minsitère épiscopal était alors bien plus obligatoire qu'aujourd'hui, parce que les évêques seuls pouvaient l'exercer.
L'époque était difficile : les manichéens, les donatistes, les ariens, les priscillianistes, les nestoriens et les eutychiens infestaient l'Église de leurs hérésies. Le saint et docte Pontife, armé du glaive de la parole infaillible, combattit avec vigueur la doctrine impie de tous les côtés à la fois ; par ses lettres, par ses légats, par des conciles, il suscita un grand mouvement de résistance à l'erreur et le retour d'une grande multitude d'âmes à la justice et à la vérité. Sa magnifique lettre au concile de Chalcédoine produisit un tel effet que les six cents évêques, après en avoir entendu la lecture, s'écrièrent d'une voix unanime :
" C'est Pierre qui a parlé par Léon !"
Vision de saint Léon, Legenda aurea.
L'un des faits les plus imposants de son beau et si fécond pontificat, c'est sa procession solennelle au-devant d'Attila, roi des Huns, surnommé le fléau de Dieu, qui avançait vers Rome pour la détruire. Attila l'accueillit avec respect et lui promit de laisser en paix la Ville éternelle, moyennant un faible tribut annuel. Les barbares, murmurant de voir leur chef reculer, lui demandèrent raison de sa conduite et il s'en ex^liqua ainsi :
" Pendant que le Pontife leur me parlait, je voyais à ses côtés un autre Pontife d'une majesté toute divine ; il se tenait debout, ses yeux lançaient des éclairs, et il me menaçait du glaive qu'il brandissait dans sa main ; j'ai compris que le Ciel se déclarait pour la ville de Rome."
Saint Léon le Grand. Bréviaire de Martin d'Aragon. XIVe.
Ce personnage n'était autre que saint Pierre. Les Romains firent une réception enthousiaste au Pontife victorieux. Le génie de Raphaël a immortalisé cette scène dans une peinture célèbre.
L'humanité, la douceur et la charité furent les principales vertus de saint Léon. Ses écrits, qui suffiraient à l'illustrer par la splendeur du style comme par l'élévation des pensées, montent à une hauteur plus grande encore quand il traite de l'Incarnation, et c'est pourquoi on lui a donné le titre de Docteur de l'Incarnation. Il surpassa tous les Pontifes qui l'ont précédé, et il eut peu de successeurs dont le mérite ait approché du sien.
Saint Léon Le Grand. Sermones et epistulae. XVe.
La liturgie doit beaucoup à saint Léon ; il a introduit, ratifié par saint Pierre à la suite de la prière que saint Léon lui avait faite à ce sujet, dans le canon de la messe ces paroles :
" Sanctum sacrificium, immaculatam hostiam ".
Il sut faire régner dans les cérémonies saintes un ordre, une pompe, une majesté admirables.
Nous avons encore de saint Léon 101 sermons sur les différentes fêtes de l'année. Il y recommande souvent le jeûne et l'aumône, qu'il ne veut pas que l'on sépare, parce que ces deux bonnes oeuvres se soutiennent mutuellement.
Miracle de saint Léon. Ta'amra Mâryâm. Ethiopie. XVIIe.
On trouve ainsi neuf sermons sur le jeûne du dixième mois, ou des quatre-temps de décembre. Selon notre saint docteur, l'Eglise a institué les quatre-temps dans les quatre saisons de l'année, afin de les sanctifier toutes par le jeûne. Elle a voulu encore par là fournir des armes à ses enfants contre le démon, et les porter à remercier Dieu des fruits et des autres bienfaits qu'ils reçoivent continuellement de son amour.
Le saint Pape revient souvent à l'obligation de faire l'aumône :
" Cette obligation ne souffre point de dispense. Dieu n'a donné des richesses aux hommes que pour qu'ils les versent dans le sein de l'indigence. C'est donc aller contre son intention que de les entasser par avance ou de les consumer en superfluités. Aussi la sentence que Jésus-Christ doit prononcer au dernier jour portera-t-elle principalement sur la conduite qu'on aura tenue à l'égard des pauvres. Le Sauveur a voulu nous apprendre par là que l'aumône est la clef du ciel et le canal des grâces. L'obligation de faire l'aumône ne se mesure pas sur la quantité des biens, mais sur les sentiments du coeur. Elle est commune à tous les hommes, puisque tous doivent aimer leurs semblables et désirer de les secourir. Quant aux riches, ils sont tenus de rechercher les pauvres honteux et de les assister sans les mettre dans le cas de rougir de leur misère."
Saint Léon montre que l'institution des collectes ou quêtes pour les pauvres vient des Apôtres même, et que l'on n'a jamais cessé dans l'Eglise de composer un fonds des libéralités des fidèles pour soulager ceux qui étaient dans le besoin.
L'Eglise grecque, dans ses Menées, consacre à saint Léon un solennel Office, auquel nous empruntons les strophes suivantes. Composées avant le schisme, elles expriment l'antique foi de l'Eglise de Constantinople dans la primauté du Pontife romain, et montrent d'une manière irréfutable que ce ne sont pas les Latins qui ont changé la foi. Les Grecs célèbrent la mémoire de saint Léon le dix-huit février.
Apparition de Notre Dame à saint Léon.
" Heureux Pontife, illustre Léon, tu as été le compagnon des Pontifes fidèles et des Martyrs ; invincible dans les combats, tu t'es montré inébranlable comme la tour et la citadelle de la religion ; dans ton orthodoxie et ta science, tu as proclamé l'ineffable génération du Seigneur.
Recteur de l'orthodoxie, docteur de la piété et de la sainteté, flambeau de la terre tout entière, inspiré de Dieu,gloire des vrais fidèles, sage Léon, lyre du Saint-Esprit, tu as éclairé tous les hommes par ta doctrine.
Héritier de la Chaire de Pierre, comme lui tu as présidé à l'Eglise entière ; son esprit a été en toi, et son zèle t'enflammait pour la foi.
Eclatant d'une splendide lumière, très saint Léon, tu as éclairci le mystère de l'ineffable et divine incarnation, proclamant la double nature et la double volonté du Dieu fait chair.
Tout resplendissant de la science divine, tu as lancé partout les rayons de l'orthodoxie ; après avoir dissipé les ténèbres de l'hérésie, tu as quitté cette vie, Ô bienheureux, et tu habites la lumière qui ne connaît pas de couchant.
Par ta prédication merveilleuse, tu nous as montré le Christ Fils unique et Seigneur, engendré du Père avant les siècles, né pour nous de la Vierge, et apparaissant sur la terre semblable à nous, Ô ministre inspiré des divins mystères !
Assis glorieux sur le trône du pontificat, tu as fermé la gueule des lions ; en proclamant le dogme sacré de l'adorable Trinité, tu as fait briller aux yeux de ton troupeau la lumière de la connaissance de Dieu ; c'est pour cela que tu as été glorifié comme un divin Pontife initié à la grâce de Dieu.
Tu t'es levé de l'Occident, comme un soleil rayonnant : ta science a dissipé le sophisme d'Eutychès qui confondait les deux natures, et celui de Nestorius qui les divisait ; tu nous as appris à adorer un seul Christ en deux natures indivisibles, immuables et sans confusion.
Inspiré de Dieu, tu as présenté comme de nouvelles tables écrites du doigt de Dieu ; semblable à Moïse apparaissant aux yeux du peuple divin, tu t'es écrié dans l'assemblée des Maîtres vénérables : " Pontifes, célébrez le Christ ; bénissez-le et exaltez-le à jamais !".
Maintenant, Ô Pontife du Christ, tu portes une couronne éclatante de beauté ; prêtre fidèle, la justice est ton vêtement, et tu tressailles d'une joie ineffable dans le paradis des délices; daigne supplier sans cesse le Seigneur pour ton troupeau.
Dans le séjour où sont les sièges, les trônes et les rangs pour les Patriarches, tu as mérité d'entrer comme un Père, comme un vrai Patriarche, entouré des rayons de la foi et de la grâce, heureux Léon ! Et nous proclamons tous l'éternelle félicité qui est ton partage."
PRIERE
" Gloire soit à vous, Ô Christ, Lion de la tribu de Juda, qui avez suscité dans votre Eglise un Lion pour la défendre aux jours où la sainte foi courait de si grands dangers. Vous aviez chargé Pierre de confirmer ses frères ; et nous avons vu Léon, en qui Pierre était vivant, remplir cet office avec une autorité souveraine. Nous avons entendu retentir l'acclamation du saint Concile, qui, en s'inclinant devant la doctrine toute céleste de Léon, proclamait le bienfait signalé que vous avez, en ces jours, conféré à votre troupeau, lorsque vous donnâtes à Pierre le soin de paître les brebis comme les agneaux.
Ô Léon ! vous avez dignement représenté Pierre dans sa chaire. Votre parole apostolique n'a cessé d'en descendre, toujours vraie, toujours éloquente et majestueuse. L'Eglise de votre temps vous honora comme le maître de la doctrine, et l'Eglise de tous les siècles vous reconnaît pour l'un des plus savants docteurs qui aient enseigné la divine Parole.
Du haut du ciel où vous siégez maintenant, répandez sur nous l'intelligence du divin mystère que vous avez été chargé d'exposer. Sous votre plume inspirée, ce mystère s'éclairât, son harmonie sublime se révèle ; et la foi se réjouit de percevoir si distinctement le divin objet auquel elle adhère. Fortifiez en nous cette foi, Ô Léon ! Le Verbe incarné est encore blasphémé de nos jours; vengez sa gloire, en nous envoyant de nouveaux docteurs.
Vous avez triomphé de la barbarie, Ô noble Pontife ! Attila vous rendit les armes. De nos jours, il s'est levé de nouveaux barbares, les barbares civilisés qui nous vantent comme l'idéal des sociétés celle qui n'est plus chrétienne, celle qui dans ses lois et ses institutions ne confesse plus Jésus-Christ roi de l'humanité, auquel toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre.
Ô ! Venez à notre secours ; car le mal est monte à son comble. Beaucoup sont séduits et s'en vont à l'apostasie sans s'en douter. Obtenez que la lumière ne s'éteigne pas totalement chez nous, que le scandale s'arrête enfin. Attila n'était qu'un païen ; les modernes utopistes sont chrétiens, ou du moins quelques uns voudraient l'être ; prenez pitié d'eux, et ne permettez pas qu'ils soient plus longtemps victimes de leurs illusions.
En ces jours de la Pâque qui vous rappellent, Ô Léon, les labeurs de votre ministère pastoral, alors qu'entouré de vos néophytes vous les nourrissiez de vos immortels discours, priez pour les fidèles qui, dans cette même solennité, sont ressuscites avec Jésus-Christ. Ils ont besoin de connaître de plus en plus ce divin Sauveur de leurs âmes, afin de s'attacher à lui et de ne plus jamais s'en séparer. Révélez-leur tout ce qu'il est, et dans sa nature divine et dans sa nature humaine : comme Dieu, leur fin dernière, et leur juge après cette vie ; comme homme, leur frère, leur Rédempteur et leur modèle. Ô Léon ! bénissez, soutenez votre successeur sur la Chaire de Pierre, et montrez-vous en ces jours l'appui de cette Rome dont vous avez célébré avec tant d'éloquence les saintes et éternelles destinées."
jeudi, 11 avril 2024 | Lien permanent | Commentaires (2)
6 mai. Saint Jean Porte Latine. Vers 95.
" Je veux qu'il survive au martyre afin qu'il meure de sa mort naturelle et que je vienne le chercher."
Johan., XXI, 22.
Par l’ordre de Domitien, il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous les cheveux par dérision, on le jette dans une chaudière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait un feu ardent : c'était devant la porte de la ville qu'on appelle Latine.
Il n'en ressentit cependant aucune douleur, et en sortit parfaitement sain.
La mère de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome, et poussée par une compassion de mère, s'y rendit pour le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle apprit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira dans la ville de Vétulonia eu Campanie, où elle rendit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps enseveli dans un endroit inconnu, mais dans la suite, il fut révélé à saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants miracles ; il fut transféré avec grand honneur dans la ville qu'on vient de nommer.
Bible. Colins Chadewe. Flandres. XIIIe.
Jean, le disciple bien-aimé, que nous avons prévus du berceau de l'enfant de Bethléhem reparaît en ce jour sur le Cycle pour faire sa cour au glorieux triomphateur de la mort et de l'enfer. Couvert de la pourpre du martyre, il marche d'un pas égal avec Philippe et Jacques, dont la double palme a réjoui nos regards au début de ce mois si fécond en héros.
Dans son ambition maternelle, Salomé avait un jour présenté ses deux fils à Jésus, demandant pour eux les deux premières places de son royaume. Le Sauveur avait alors parlé du calice qu'il devait boire, et prédit qu'un jour ces deux disciples le boiraient à leur tour. L'aîné, Jacques le Majeur, a le premier donné à son Maître cette marque de son amour ; nous célébrerons sa victoire sous le signe du Lion ; Jean, le plus jeune, a été appelé aujourd'hui à sceller de sa vie le témoignage qu'il a rendu à la divinité de Jésus.
Mais il fallait au martyre d'un tel Apôtre un théâtre digne de lui. L'Asie-Mineure, évangélisée par ses soins, n'était pas une contrée assez illustre pour porter dignement la gloire d'un tel combat. Rome seule, Rome où Pierre a déjà transféré sa chaire et répandu son sang, où Paul a courbé sous le glaive sa tête vénérable, méritait l'honneur de voir dans ses murs l'auguste vieillard, le disciple que Jésus aima, le dernier survivant du Collège apostolique, s'avancer vers le martyre avec cette majesté et cette douceur qui forment le caractère de ce vétéran de l'Apostolat.
Domitien régnait en tyran sur Rome et sur le monde. Soit que Jean ait entrepris librement le voyage de la cité reine pour y saluer l'Eglise principale, soit qu'un édit impérial ait amené chargé de chaînes dans la capitale de l'empire l'auguste fondateur des sept Eglises de l'Asie-Mineure, Jean a comparu en présence des faisceaux de la justice romaine. Il est convaincu d'avoir propagé dans une vaste province de l'empire le culte d'un Juif crucifié sous Ponce-Pilate. Il doit périr ; et la sentence porte qu'un supplice honteux et cruel débarrassera l'Asie d'un vieillard superstitieux et rebelle. S'il a su échapper à Néron, du moins il ne fuira pas la vengeance du césar Domitien.
En face de la Porte Latine, une chaudière remplie d'huile brûlante a été préparée ; un ardent brasier fait bouillonner dans le vase immense la liqueur homicide. L'arrêt porte que le prédicateur du Christ doit être plongé dans ce bain affreux. Le moment est donc arrivé où le fils de Salomé va participer au calice de son Maître. Le cœur de Jean tressaille de bonheur à la pensée que lui, le plus aimé et cependant le seul des Apôtres qui n'ait pas souffert la mort pour ce Maître divin, est enfin appelé à lui donner ce témoignage de son amour.
Après une cruelle flagellation, les bourreaux saisissent le vieillard, ils le plongent avec barbarie dans la chaudière mortelle ; mais, Ô prodige ! L'huile brûlante a perdu tout à coup ses ardeurs ; aucune souffrance ne se fait sentir aux membres épuisés de l'Apôtre ; bien plus, lorsqu'on l'enlève enfin de la chaudière impuissante, il a recouvré toute la vigueur que les années lui avaient enlevée. La cruauté du Prétoire est vaincue, et Jean, martyr de désir, est conservé à l'Eglise pour quelques années encore. Un décret impérial l'exile dans l'île sauvage de Pathmos, où le ciel doit lui manifester les futures destinées du christianisme jusqu'à la fin des temps.
A propos des premières persécutions, relevons que les empereurs romains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient pas les Apôtres parce que ceux-ci prêchaient Notre Seigneur Jésus-Christ ; mais parce que les Apôtres proclamaient la divinité de Jésus-Christ sans l’autorisation du Sénat qui avait défendu que cela ne se fît de personne.
C'est pourquoi dans l’Histoire ecclésiastique, on lit que Pilate envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus-Christ (Eusèbe, 1. II, ch. II.). Tibère alors consentit à ce que la foi fût reçue par les Romains, mais le Sénat s’y opposa formellement, parce que Jésus-Christ n'avait pas été appelé Dieu d'après son autorisation.
Une autre raison rapportée par une chronique, c'est que Notre Seigneur Jésus-Christ n'avait pas tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est que Jésus-Christ rejetait le culte de tous les dieux qu'honoraient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est que Jésus-Christ enseignait le mépris du monde et que les Romains étaient des avares et des ambitieux.
" Le Sénat vit avec peine que c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit au sujet des miracles de Jésus-Christ et c'est sur ce prétexte qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux. Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de sénateurs, et en condamna d'autres à l’exil."
Les bourreaux coupent les cheveux de saint Jean par dérision.
Notons enfin que la fête de saint Jean devant la Porte Latine a longtemps été chômée en plusieurs église. Elle a été d'obligation en Angleterre, au moins depuis le XIIe siècle jusqu'à la prétendue réforme ; mais on la mettait seulement au nombre des fêtes de second rang, auxquelles toute oeuvre servile était défendue, excepté le labour des terres.
Les Saxons, qui s'établirent dans la Grande Bretagne, avaient une dévotion singulière pour saint Pierre et saint Jean l'Evangéliste.
En mémoire de son supplice, on l'invoque efficacement contre les brûlures.
L'Eglise Romaine, dont les fastes conservent entre ses plus glorieux souvenirs le séjour et le martyre de Jean, a marqué par une Basilique le lieu où l'Apôtre rendit à la foi chrétienne son noble témoignage. Cette Basilique est située près de la Porte Latine, et un Titre cardinalice y est attaché.
Saint Jean est plongé dans la chaudière d'huile bouillante.
SÉQUENCE
A la gloire du grand Apôtre de la charité nous consacrerons cette Séquence attribuée à Adam de Saint-Victor :
" L'heureux séjour de la grâce, dont les habitants contemplent d'un œil ferme le souverain Roi de gloire, voit Jean tout rempli de Dieu, rendu semblable aux Anges, lui qui expliquait aux hommes les plus hauts mystères du ciel.
Ici-bas il reposa sur la poitrine du Seigneur, et se désaltéra à la source des eaux vives et jaillissantes. Il parut entouré de l'éclat des prodiges, et brava les ardeurs du feu et de l'huile embrasée.
Les infidèles sont saisis de stupeur, voyant le témoin de Dieu affronter un si affreux tourment, et n'en pas sentir la rigueur.
Ô martyr ! Ô vierge ! Ô gardien de cette Vierge de laquelle est sortie la gloire du monde, implore pour nous celui qui est le principe de tous les êtres, celui en qui et par qui ils existent.
Ô toi qui fus aimé plus que les autres, supplie en notre faveur le Christ qui t'aima : réconcilie-nous avec lui.
Ruisseau, conduis-nous à la source ; colline, introduis-nous à la montagne ; toi en qui la grâce a opéré la virginité parfaite, fais-nous contempler l'Epoux.
Amen."
Missel à l'usage de l'abbaye Saint-Didier d'Avignon. XIVe.
Qui pourrait s'étonner de sa prédilection envers vous ? Ne vous êtes-vous pas trouvé, seul de ses disciples, au pied de la croix ? N'est-ce pas à vous qu'il a remis sa mère, désormais la vôtre ? N'étiez-vous pas présent lorsque son coeur fut ouvert par la lance sur la croix ? Lorsque vous êtes allé au Sépulcre avec Pierre, au matin de la Pâque, n'avez vous pas, par votre foi, avant tous les disciples, rendu hommage à la résurrection de votre Maître que vous n'aviez pas vu encore ? Jouissez donc auprès de ce Maître ineffable des délices dont il est prodigue envers vous ; mais priez-le aussi pour nous, bienheureux Apôtre ! Nous devons l'aimer pour tous les bienfaits qu'il a répandus sur nous ; et nous reconnaissons avec confusion que nous sommes tièdes dans son amour. Vous nous avez fait connaître Jésus enfant, vous nous avez dépeint Jésus crucifié ; montrez-nous Jésus ressuscité, attachez-nous à ses pas dans ces dernières heures de son séjour sur la terre ; et quand il sera monté au ciel, fortifiez notre cœur dans la fidélité, afin qu'à votre exemple nous soyons prêts à boire le calice des épreuves qu'il nous a préparé.
Saint Jean à Patmos. Jérôme Bosch. XVe.
Rome a été le théâtre de votre glorieuse confession, Ô saint Apôtre ! Aimez-la toujours ; et à l'heure de sa tribulation, unissez-vous à Pierre et à Paul pour la protéger. Si la palme du martyre brille en votre main à côté de la plume de l'évangéliste, souvenez-vous que c'est devant la Porte Latine que vous l'avez conquise. L'Orient vous a possédé pendant votre vie presque tout entière ; mais l'Occident revendique l'honneur de vous compter au premier rang de ses martyrs. Bénissez nos Eglises, ranimez chez nous la foi, réchauffez la charité, et délivrez-nous de ces antechrists que vous signaliez aux fidèles de votre temps, et qui causent parmi nous tant de ravages. Fils adoptif de Marie, qui contemplez maintenant votre mère dans toute sa gloire, présentez-lui nos vœux durant ce mois que nous lui consacrons, et obtenez pour nous de sa bonté maternelle les grâces que nous osons lui demander."
lundi, 06 mai 2024 | Lien permanent
6 mai. Saint Jean Damascène, Docteur de l'Eglise. 780.
- Saint Jean Damascène, Docteur de l'Eglise. 780.
Pape : Adrien Ier. Empereur : Constantin V.
" Le bien n'est pas même bien s'il n'est bien fait."
Saint Jean Damascène.
Icône arabe du XIe.
Saint Jean Damascène, nommé aussi Mansour ou Chrysorroas (Mansour était son nom patronymique et Chrysorroas signifie brillant comme l'or), est le dernier des Pères grecs et l'écrivain le plus remarquable du VIIIe siècle.
Il naquit dans les dernières années du VIIe siècle, en Syrie, à Damas, ce qui lui a fait donner le nom de Damascène. Cette ville était au pouvoir des Sarrasins depuis l'an 633. Le père de notre Saint, quoique zélé chrétien, était très-estimé parmi ces infidèles, à cause de la noblesse de sa naissance, de sa probité et de ses talents. Il plut au chef des Sarrasins, le Kalife, qui en fit son ministre. Dans cette haute position, il employait sa fortune et son influence à protéger les chrétiens opprimés, à racheter ceux qui étaient captifs. Ces bonnes œuvres furent souvent récompensées par la divine Providence.
Un jour, dans une troupe de ces malheureux exposés sur la place publique, on vit ceux qui étaient destinés à la mort se jeter aux pieds de l'un d'entre eux et se recommander humblement à ses prières. C'était un religieux italien, nommé Cosme, pris sur mer avec les autres. Les barbares, ayant remarqué le respect que lui témoignaient ses compagnons de malheur, lui demandèrent de quelle dignité il avait été revêtu parmi les chrétiens. Il répondit qu'il n'en avait point d'autre que celle de prêtre :
" Je suis, ajouta-t-il, un inutile moine qui a étudié non seulement la philosophie chrétienne, mais encore la philosophie étrangère."
En disant ces mots, ses yeux se remplirent de larmes.
Le père de Jean étant survenu, lui demanda la cause de sa tristesse. Cosme lui confessa naïvement qu'il s'affligeait de mourir avant d'avoir pu communiquer à d'autres les sciences qu'il avait acquises. Or, depuis longtemps le père cherchait pour son fils un homme qui pût lui donner une éducation convenable. Ravi de trouver ce trésor dans un captif qu'on allait égorger, il courut le demander au Kalife, qui le lui accorda sans peine.
Cosme non seulement reçut la liberté, il devint l'ami du père, le maître du fils, qui, sous sa direction, apprit avec un succès prodigieux la grammaire, la dialectique, l'arithmétique de Diophante ou l'algèbre, la géométrie, la musique, la poésie, l'astronomie, mais surtout la théologie ou la science de la religion. Ses progrès ne furent pas moindres dans la vertu que dans les sciences. Il avait pour compagnon d'étude un orphelin de Jérusalem, que son père avait adopté. Quand son éducation fut achevée, Cosme se retira en Palestine, dans la laure de saint Sabas, d'où il fut tiré pour être fait évêque de Majume.
Le mérite de Jean fut bientôt connu du prince des Sarrasins, qui le fit chef de son conseil, après la mort de son père. Circonstance bien remarquable ! C'est un pauvre moine d'Italie, captif, voué à la mort, qui introduit les sciences de Grèce et de Rome à la cour des Kalifes de Damas, qui les enseigne au fils du grand vizir ; et ce fils, devenu grand vizir lui-même, puis moine, sous le nom de saint Jean Damascène, parvient à naturaliser, pour un temps, ces sciences étrangères parmi ces mêmes musulmans, parmi ces mêmes Arabes, qui les avaient proscrites et brûlées avec la bibliothèque d'Alexandrie. D'après ces faits, qui viennent d'être constatés par des savants de France, ce ne sont pas les chrétiens qui ont appris ces séances humaines des musulmans, comme certains hommes se plaisent à dire, mais les musulmans qui les ont apprises des chrétiens.
On avait vu plus d'un empereur grec de Constantinople protéger l'hérésie ; il y en eut un qui inventa lui même une hérésie nouvelle : ce fut de condamner et de briser les images des Saints comme une idolâtrie. C'était l'empereur Léon, surnommé l'Isaurien, parce qu'il était natif d'Isaurie, pays et peuple pour le moins aussi barbares que l'étaient alors les Huns et les Vandales (730).
Comme il était d'une ignorance reconnue et invincible à cause d'un caractère sommaire, il se mit en tête qu'en honorant les saintes images, les catholiques honoraient non pas les saints qu'elles représentent, mais la matière et la couleur dont ces images sont faites. Il entreprit de les abolir, les fit ôter des églises et brûler sur les places publiques. Les catholiques qui s'y opposaient furent tourmentés et mis à mort.
Constantin V Copronyme faisant détruire les images.
Manuscrit du XIe.
Son fils, Constantin Copronyme (on ne donnera pas ici la signification exacte de ce délicat surnom qui évoque qu'il n'était pas né dans la pourpre et qu'il n'en était pas la figure) se montra encore plus furieux.
Constantinople devint un théâtre de supplices ; on crevait les yeux, on coupait les narines aux catholiques on les déchirait à coups de fouet, on les jetait dans la mer. L'empereur en voulait surtout aux moines : il n'y avait tourments et outrages qu'il ne leur fit souffrir. On leur brûlait la barbe enduite de poix on leur brisait sur la tête les images des Saints, peintes sur bois. Son plus grand plaisir était de présider à ces supplices.
Les chrétiens, fidèles à leur foi, combattirent l'hérésie, selon la coutûme, par la prière, le jeûne et par le martyre enduré avec une constance héroïque. Quelques-uns défendirent la vérité par d'éloquents écrits ; de ce nombre furent surtout saint Germain, évêque de Constantinople, et saint Jean Damascène, gouverneur de Damas et ministre du kalife.
L'empereur, irrité, put facilement exercer sa vengeance sur saint Germain mais, comment atteindre saint Jean Damascène dans un empire étranger ? S'étant procuré un autographe de Jean, il ordonna à un habile copiste de s'exercer à imiter cette écriture, et il parvint, par ce moyen, à fabriquer une lettre que Jean lui adressait, et dans laquelle il lui offrait de lui livrer Damas par trahison. L'empereur envoya cette fausse lettre au kalife, l'avertissant, en bon voisin, qu'il avait un traître pour ministre. Cette lâche et vile imposture eut un plein succès. Malgré les dénégations les plus énergiques de Jean, le Kalife lui fit couper la main droite et ordonna qu'elle fût attachée à un poteau dans une place publique.
La victime, ayant obtenu qu'on lui rendît sa main coupée, se retira dans son oratoire, et là, ce vaillant défenseur des saintes images, agenouillé devant une image de la vierge Marie, pria ainsi :
" Très pure Vierge, qui avez enfanté mon Dieu, vous savez pourquoi en m'a coupé la main droite vous pouvez, s'il vous plaît, me la rendre et la rejoindre a mon bras ; je vous le demande avec instance, afin que je l'emploie désormais à écrire les louanges de votre Fils et les vôtres."
Ayant dit cela, il s'endormit, et la sainte Vierge lui apparut et lui dit :
" Vous êtes maintenant guéri composez des hymnes, écrivez mes louanges et accomplissez votre promesse."
Le Saint étant réveillé, trouva sa main parfaitement réunie à son bras ; rien n'indiquait qu'elle en ett jamais été séparée, si ce n'est une petite ligne rouge qui l'entourait en forme de bracelet, comme marque de ce miracle. Le prince des Sarrasins, reconnaissant par ce prodige l'innocence de Jean, lui rendit son ancienne fonction.
Saint Jean Damascène se faisant amputer la main.
Notre Dame le guérissant miraculeusement.
Speculum historiale. V. de Beauvais. Bruges. XVe.
Mais Jean ne demeura pas longtemps au service des hommes ; la guérison de sa main lui avait sans doute paru une approbation par le ciel de ses travaux théologiques. Désirant dès lors se livrer uniquement au service dp Dieu, il affranchit ses esclaves, distribua ses biens à ses parents, aux églises et aux pauvres, et se retira, avec son frère adoptif, qui s'appelait Cosme comme son précepteur, près de Jérusalem, dans la laure de Saint-Sabas.
Cet abbé lui donna pour directeur, un ancien moine, fort expérimente dans la conduite des âmes. Notre Saint en reçut les leçons suivantes, qu'il pratiqua comme si Notre Seigneur Jésus-Christ les lui avait données de sa propre bouche :
" Ne faites jamais votre propre volonté ; exercez-vous à mourir à vous-même en toutes choses, afin de bannir tout attachement aux créatures offrez à Dieu vos actions, vos peines, vos prières ; pleurez sans cesse les fautes de votre vie passée ne vous enorgueillissez point de votre savoir ni de quelque avantage que ce soit, mais convainquez-vous fortement que, de votre propre fonds, vous n'êtes qu'ignorance et faiblesse ; renoncez à toute vanité, défiez-vous de vos lumières et ne désirez jamais d'avoir des visions et des faveurs extraordinaires ; éloignez de votre esprit tout ce qui pourrait vous rappeler l'idée du monde, gardez exactement le silence et souvenez-vous que l'on peut pécher, même en disant de bonnes choses, lorsqu'il n'y a point de nécessité ; prenez conseil d'autrui dans les choses difficiles, tournez tous vos désirs vers Dieu, n'écrivez point de lettres sans permission de vos supérieurs, ne contredisez personne, ne murmurez point ; ne craignez pas de vous égarer, hors de la voie de la perfection, en suivant les ordres de vos supérieurs."
Saint Jean suivit ponctuellement ces leçons, et avançait à grands pas dans la voie de la perfection. Son directeur mettait sans cesse l'obéissance de l'illustre et pieux novice à de nouvelles épreuves. Un jour, il lui ordonna d'aller vendre des corbeilles de palmier à Damas, et lui défendit de les donner au-dessous d'un certain prix qu'il marqua et qui était exorbitant. Le Saint obéit sans dire un seul mot. Il se rendit, sous un habit pauvre, dans cette même ville dont il avait été le gouverneur. Quant il eut exposé sa marchandise et dit le prix, il fut traité d'extravagant et accablé d'injures, qu'il souffrit en silence. A la fin, un de ses anciens serviteurs, l'ayant reconnu, eut pitié de lui et acheta toutes ses corbeilles le prix qu'il voulait les vendre.
Mais son humilité lui fit remporter bien d'autres victoires.
Un moine était inconsolable de la mort de son frère. Jean, pour arrêter le cours de ses larmes, lui cita un vers grec, dont le sens était qu'il faut s'attendre à voir périr tout ce qui est terrestre et mortel. Là-dessus, son directeur lui reprocha de faire parade de sa science :
" Vous avez violé la défense que je vous avais faite de parler sans nécessité."
Puis il le condamna à rester enfermé dans sa cellule. Le Saint s'avoua humblement coupable de désobéissance, et, au lieu d'alléguer la pureté de son intention, il pria les autres moines d'intercéder pour lui et de lui obtenir le pardon de la faute qu'il avait commise sa grâce lui fut accordée, mais à condition qu'il ferait une action, qui, chez les anciens, était considérée comme un supplice auquel on condamnait les criminels, et qui, dans les communautés, était ce qu'il y avait de plus humiliant, je veux dire la vidange des fosses d'aisance. L'ancien ministre du kalife s'acquitta de cet emploi avec un empressement et une humilité qui remplirent d'admiration les plus anciens de la communauté, les plus avancés dans l'obéissance.
Une si grande vertu réunie à des talents si remarquables firent juger notre Saint digne d'être élevé au sacerdoce. Cette dignité augmenta sa ferveur. On crut alors qu'il était assez solidement vertueux et assez humble pour écrire en faveur de la foi. Nous donnons ci-dessous la liste de quelques-uns de ses ouvrages (on trouvera les eeuvres complètes de saint Jean Damascène dans la Patrologie grecque de M. l'abbé Migne, tomes XCIV, XCV, XCVI). Il s'y trouve notamment trois discours contre l'hérésie des Iconoclastes, intitulés : Discours sur les images. Il y déclare que le prince doit se contenter du gouvernement de l'Etat, et ne point se mêler de faire des décisions sur la doctrine. Cette autorité-là appartient à l'Eglise ; l'Eglise ne peut errer elle ne peut donc tomber dans l'idolâtrie.
Il démontre très-bien que l'Eglise catholique n'adore que Dieu, quoiqu'elle vénère les Saints. Quant aux images, elles servent à nous instruire, à réveiller notre dévotion, parce que, notre nature étant double, sensible et intellectuelle, il nous faut des choses visibles pour nous rappeler les invisibles. Dieu s'est rendu lui-même visible en s'incarnant. Est-on idolâtre parce qu'on a du respect pour l'Ecriture sainte ? C'est pourtant une chose matérielle comme les images, et les images nous rappellent, comme l'Ecriture sainte, Dieu et les choses invisibles. Jean ne se contenta pas d'écrire contre les Iconoclastes il parcourut la Syrie, la Palestine, pour raffermir les chrétiens persécutés ; il alla même, dans l'espoir du martyre, à Constantinople, dont l'empereur Constantin Copronyme avait fait la capitale de l'erreur et de la persécution. Mais Dieu en avait ordonné autrement. Notre Saint put revenir dans sa laure, où il continua ses savants écrits. Il y mourut vers l'an 780 ; il avait vécu cent quatre ans. Au XIIe siècle, on montrait encore son tombeau, près du portail de l'église de la laure.
Mise au tombeau de saint Jean Damascène. Icône du XIIe.
On représente saint Jean Damascène prosterné aux pieds de la sainte Vierge qui rapproche sa main coupée de son poignet, vendant des corbeilles, etc.
QUELQUES ECRITS DE SAINT JEAN DAMASCENE
1. Le Livre de la Dialectique.
Quoique la philosophie de Platon fût en vogue du temps de saint Jean Damascène, il adopta celle d'Aristote, comme Boèce avait fait parmi les Latins. Il fit disparaitre l'obscurité qui enveloppait la physique de ce philosophe, et en montra les principes dans tout leur jour. Il réduisit sa logique à un corps de règles, sans tomber dans une prolixité fastidieuse ; par ce moyen l'art du raisonnement devint facile à apprendre. On a souvent abusé de la logique, en y traitant des questions inutiles et même ridicules grâce au bon sens, la plupart de ces questions ont été proscrites des écoles. On ne perd plus un temps précieux à étudier tes futilités mais il ne faut pas réfléchir pour mépriser la logique lorsqu'elle se renferme en ses justes bornes. EUe étend l'esprit et lui donne de la précision et de la justesse elle met de l'ordre et de la clarté dans les idées elle apprend à jnger des choses en elles-mêmes et selon les vrais principes enfin, elle dispose à l'étude des autres sciences, dont elle est, en quelque sorte, la clef. Sous le terme général de sciences, nous comprenons aussi la théologie, qui ne peut absolument se passer du secours de la logique.
Ce furent toutes ces considérations qui déterminèrent saint Jean Damascène à donner un abrégé de la logique et de la physique d'Aristote.
2. Le Livre des Hérésies.
Où il en compte cent quatre, est un abrégé de saint Epiphane. Quant aux hérésies qui ne sont venues que depuis ce Père, saint Jean Damascène puise ce qu'il en dit dans les écrits de Théodoret, de Timothée de Constantinople, etc. Il y parle cependant de plusieurs hérétiques dont aucun autre auteur ne fait mention; Il y réfute surtout le mahométisme et l'iconomachie.
3. Les quatre Livres de la Foi orthodoxe, en cent chapitres.
C'est un corps de doctrine qui renferme tout ce que l'on doit croire, ainsi que les principaux articles de la discipline de l'Eglise.
Le saint docteur traite, dans le premier, de Dieu et de ses attributs dans te second, de la création des anges, de l'homme, de la liberté et de la prédestination ; dans le troisième, du mystère de l'Incarnation dans le quatrième, des Sacrements, etc.
Les trois ouvrages ci-dessus peuvent être considérés comme les parties d'un tout ; comme n'en faisant qu'un. C'est, en effet, un ensemble de doctrine qni, sons le nom de Source de la Science, embrasse depuis les premiers éléments du langage et du raisonnement scientifique jusqu'aux plus hautes élévations de la foi chrétienne. Le saint docteur adressa ces trois traités à son ancien précepteur qui l'avait comme obligé à les faire :
" La science, dit-il, est la connaissance vraie de ce qui est. Notre esprit, ne l'ayant pas en lui-même, non plus que l'oeil de la lumière, a besoin d'un maître. Ce maitre est la vérité même, le Christ, qui est la sagesse et la vérité en personne, et en qui sont cachés tous les trésors de la science. On peut tout apprendre par l'application et le travail, mais avant tout et après tout, par la grâce de Dieu. Comme l'Apôtre nous avertit d'éprouver toutes choses et de retenir ce qui est bon, nous consulterons les écrits des sages de la gentilité et peut
lundi, 06 mai 2024 | Lien permanent | Commentaires (1)
4 mai. Sainte Monique, veuve. 332-387.
- Sainte Monique, veuve. 332 - 387.
Papes : Saint Sylvestre Ier ; saint Sirice. Empereurs : Constantin II ; Théodose Ier.
" Ceux qui sèment dans les larmes, récoltent dans l'allégresse."
Ps. CXXV, 6.
Saint Augustin & sainte Monique. Ary Scheffer. 1855.
Aujourd'hui, aux côtés de Marie et de Salomé, se présente une autre femme, une autre mère, éprise aussi de l'amour de Jésus, et offrant à la sainte Eglise le fruit de ses entrailles, le fils de ses larmes, un Docteur, un Pontife, un des plus illustres saints que la loi nouvelle ait produits. Cette femme, cette mère, c'est Monique, deux fois mère d'Augustin. La grâce a produit ce chef-d'œuvre sur la terre d'Afrique ; et les hommes l'eussent ignoré jusqu'au dernier jour, si la plume du grand évoque d'Hippone, conduite par son cœur saintement filial, n'eût révélé à tous les siècles cette femme dont la vie ne fut qu'humilité et amour, et qui désormais, immortelle même ici-bas, est proclamée comme le modèle et la protectrice des mères chrétiennes.
L'un des principaux attraits du livre des Confessions est dans les épanchements d'Augustin sur les vertus et le dévouement de Monique. Avec quelle tendre reconnaissance il célèbre, dans tout le cours de son récit, la constance de cette mère qui, témoin des égarements de son fils :
" Elle pleurait avec plus de larmes que d'autres mères n'en répandent sur un cercueil !" (Confessionum Lib. III, cap. XI.).
Scènes de la vie de sainte Monique et de saint Augustin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
Le Seigneur, qui laisse de temps en temps luire un rayon d'espérance aux âmes qu'il éprouve, avait dans une vision montré à Monique la réunion future du fils et de la mère ; elle-même avait entendu un saint évêque lui déclarer avec autorité que le fils de tant de larmes ne pouvait périr ; mais les tristes réalités du présent oppressaient son cœur, et l'amour maternel s'unissait à sa foi pour la troubler au sujet de ce fils qui la fuyait, et qu'elle voyait s'éloigner infidèle à Dieu autant qu'à sa tendresse. Toutefois les amertumes de Ce cœur si dévoué formaient un fonds d'expiation qui devait plus tard être appliqué au coupable ; une prière ardente et continue, jointe à la souffrance, préparait le second enfantement d'Augustin. Mais " combien plus de souffrances, nous dit-il lui-même, coûtait à Monique le fils de son esprit que l'enfant de sa chair " ! (Confessionum Lib. V, cap. IX.).
Après de longues années d'angoisses, la mère a enfin pu retrouver à Milan ce fils qui l'avait si durement trompée, le jour où il fuyait loin d'elle pour s'en aller courir les hasards de Rome. Elle le trouve incertain encore sur la foi chrétienne, mais déjà dégoûté des erreurs qui l'avaient séduit. Augustin avait fait un pas vers la vérité, bien qu'il ne la reconnût pas encore.
Sainte Monique. Eglise Saint-Luczot et Saint-Nicolas.
Pipriac. Pays de Redon, Bretagne. XVIIe.
" Dès lors, nous a dit-il, l'âme de ma mère ne portait plus le deuil d'un fils perdu sans espoir ; mais ses pleurs coulaient toujours pour obtenir de Dieu sa résurrection. Sans être encore acquis à la vérité, j'étais du moins soustrait à l'erreur. Certaine que vous n'en resteriez pas à la moitié du don que vous aviez promis tout entier, Ô mon Dieu ! Elle me dit, d'un grand calme et d'un cœur plein de confiance, qu'elle était persuadée dans le Christ, qu'avant de sortir de cette vie, elle me verrait catholique fidèle." (Ibid. Lib. VI, cap. 1).
Sainte Monique avait rencontré à Milan le grand Ambroise, dont Dieu voulait se servir pour achever le retour de son fils. " Elle chérissait le saint évêque, nous dit encore Augustin, comme l'instrument de mon salut ; et lui, l'aimait pour sa vie si pieuse, son assiduité à l'église, sa ferveur dans les bonnes oeuvres ; il ne pouvait se taire de ses louanges lorsqu'il me voyait, et il me félicitait d'avoir une telle mère." (Ibid., cap. II .).
Enfin le moment de la grâce arriva. Augustin, éclairé de la lumière de la foi, songea à s'enrôler dans l'Eglise chrétienne ; mais l'attrait des sens auquel il avait cédé si longtemps le retenait encore sur le bord de la fontaine baptismale. Les prières et les larmes de Monique obtinrent de la divine miséricorde ce dernier coup qui abattit les dernières résistances de son fils.
Vision de sainte Monique. Saint Augustin et saint Valérien
combattant des hérétiques. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. XVe.
Mais Dieu n'avait pas voulu laisser son ouvrage imparfait. Transpercé par le trait vainqueur, Augustin se relevait, aspirant non plus seulement à la profession de la foi chrétienne, mais à la noble vertu de continence. Le monde avec ses attraits n'était plus rien pour cette âme, objet d'une intervention si puissante. Dans les jours qui avaient précédé, Monique s'occupait encore avec sollicitude à préparer une épouse pour son fils, dont elle espérait fixer ainsi les inconstances ; et tout à coup ce fils se présentait à elle, accompagné de son ami Alypius, et venait lui déclarer que, dans son essor vers le souverain bien, il se vouait désormais à la recherche de ce qui est le plus parfait. Mais écoutons encore Augustin lui-même.
" A l'instant nous allons trouver ma mère, nous lui disons ce qui se passe en nous ; elle est dans la joie ; nous lui racontons en quelle manière tout s'est passé ; elle tressaille de bonheur, elle triomphe. Et elle vous bénissait, Ô vous qui êtes puissant à exaucer au delà de nos demandes, au delà de nos pensées ! Car vous lui aviez bien plus accordé en moi que ne vous avaient demandé ses gémissements et ses larmes. Son deuil était changé par vous en une allégresse qui dépassait de beaucoup son espérance, en une joie plus chère à son cœur et plus pure que celle qu'elle eût goûtée à voir naître de moi des enfants selon la chair." (Confessionum Lib. VIII, cap. XII.).
Peu de jours s'écoulèrent, et bientôt un spectacle sublime s'offrit à l'admiration des Anges et des hommes dans l'Eglise de Milan : Ambroise baptisant Augustin sous les yeux de Monique.
Baptême de saint Augustin. Détail. Fresque. Benozzo Gozzoli.
Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.
La pieuse femme avait accompli sa mission ; son fils était né à la vérité et à la sainteté, et elle avait doté l'Eglise du plus grand de ses docteurs. Le moment approchait où, après le labeur d'une longue journée, elle allait être appelée à goûter le repos éternel en celui pour l'amour duquel elle avait tant travaillé et tant souffert. Le fils et la mère, prêts à s'embarquer pour l'Afrique, se trouvaient à Ostie, attendant le navire qui devait les emporter l'un et l'autre :
" Nous étions seuls, elle et moi, dit Augustin, appuyés contre une fenêtre d'où la vue s'étendait sur le jardin de la maison. Nous conversions avec une ineffable douceur et dans l'oubli du passé, plongeant dans les horizons de l'avenir, et nous cherchions entre nous deux quelle sera pour les saints cette vie éternelle que l'œil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendue, et où n'atteint pas le cœur de l'homme. Et en parlant ainsi, dans nos élans vers cette vie, nous y touchâmes un instant d'un bond de notre cœur; mais bientôt nous soupirâmes en y laissant enchaînées les prémices de l'esprit, et nous redescendîmes dans le bruit de la voix, dans la parole qui commence et finit. Alors elle me dit :
" Mon fils, pour ce qui est de moi, rien ne m'attache plus à cette vie. Qu'y ferais-je? Pourquoi y suis-je encore ? mon espérance est désormais sans objet en ce monde. Une seule chose me faisait désirer de séjourner quelque peu dans cette vie: c'était de te voir chrétien catholique avant de mourir. Cette faveur, mon Dieu me l'a accordée avec surabondance, à cette heure où je te vois dédaigner toute félicité terrestre pour le servir. Que fais-je encore ici ?" (Confessionum Lib. IX, cap. X.).
L'appel d'une âme si sainte ne devait pas tarder ; elle s'exhala comme un parfum céleste, peu de jours après ce sublime épanchement, laissant un souvenir ineffaçable au cœur de son fils, dans l'Eglise une mémoire toujours plus aimée, aux mères chrétiennes un modèle achevé de l'amour maternel dans ce qu'il a de plus pur.
Baptême de saint Augustin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
Sainte Monique, deux fois mère de saint Augustin, puisqu'elle l'enfanta pour le monde et pour le ciel, ayant perdu son mari, qu'elle avait converti à Jésus-Christ dans son extrême vieillesse, embrassa la continence des veuves, et se livra à la pratique des oeuvres de miséricorde. Ses prières ainsi que ses larmes étaient continuelles auprès de Dieu en faveur de son fils, qui était tombé dans l'hérésie des Manichéens. Elle le suivit jusqu'à Milan, et là elle ne cessait de l'exhorter à entretenir des relations avec l'évêque Ambroise. Augustin s'y détermina, et ayant connu la vérité de la foi catholique, tant par les discours publics du saint prélat que par des entretiens particuliers, il reçut de lui le baptême.
Ils partirent peu après pour retourner en Afrique; mais la sainte ayant été atteinte de la fièvre, ils s'arrêtèrent à Ostie. Durant cette maladie, il lui arriva un jour de tomber en défaillance ; étant revenue à elle, elle dit : " Où étais-je ?" puis, regardant ses fils : " Ensevelissez ici votre mère ; je vous prie seulement de vous souvenir de moi à l'autel du Seigneur."
Le neuvième jour, cette bienheureuse femme rendit son âme à Dieu. Son corps fut enseveli dans l'Eglise de Sainte-Aure à Ostie ; transféré depuis à Rome, sous le pontificat de Martin V, il a été placé avec honneur dans l'Eglise de Saint-Augustin.
Mort de sainte Monique. Détail. Fresque. Benozzo Gozzoli.
Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.
SÉQUENCE
Le moyen âge a consacré à sainte Monique plusieurs compositions liturgiques ; mais la plupart sont assez faibles. La Séquence que nous donnons ici est meilleure : on l'a même attribuée à Adam de Saint-Victor :
" Célébrons les louanges, redisons les mérites d'Augustin le grand docteur et de Monique sa pieuse mère ; fêtons en ce jour une solennité qui nous est chère.
Mère chaste, pleine de foi, comblée de mérites, aimée du Christ, l'heureuse Monique, dont le fils était sorti d'une source païenne, l'a enfanté à la foi catholique.
Heureuses larmes qui , dans leur abondance, ont été cause qu'une si éclatante lumière a brillé dans l'Eglise ! Elle a semé longtemps dans les pleurs, celle qui aujourd'hui moissonne avec tant d'allégresse.
Elle a reçu au delà de ce qu'elle avait demandé; mais quel bonheur inonda son âme, lorsqu'elle vit son fils établi dans la foi, voué au Christ de toute l'ardeur de son cœur !
Elle fut la servante des indigents, et nourrit en eux le Christ, ayant mérité le nom de Mère des pauvres ; elle se livra au soin des malades, lavant et nettoyant leurs plaies, préparant leurs lits.
Ô matrone pleine de grâce, dont les blessures du Christ excitèrent l'amour ; en les méditant, elle versa tant de larmes que le pavé en fut arrosé.
Nourrie du pain céleste, ses pieds ne touchent déjà plus la terre ; son âme ravie tressaille et s'écrie : " Prenons notre vol pour les hauteurs du ciel ".
Ô mère, Ô matrone, sois l'avocate et la protectrice de tes enfants à d’adoption ; et lorsque notre âme se dégagera des liens de la chair, réunis-nous à ton fils dans les joies du paradis.
Amen."
Basilique Saint-Augustin, où l'on vénère les reliques
de sainte Monique. Rome. XVIIe.
PRIERE
" Ô mère, illustre entre toutes les mères, la chrétienté honore en vous l'un des types les plus parfaits de l'humanité régénérée par le Christ. Avant l'Evangile, durant ces longs siècles où la femme fut tenue dans l'abaissement, la maternité ne put avoir qu'une action timide et le plus souvent vulgaire sur l'homme; son rôle se borna pour l'ordinaire aux soins physiques ; et si le nom de quelques mères a triomphé de l'oubli, c'esl uniquement parce qu'elles avaient su préparer leurs fils pour la gloire passagère de ce monde. On n'en rencontre pas dans l'antiquité profane qui se soient donné la tâche de les enfanter au bien, de s'attacher à leurs pas pour les soutenir dans la lutte contre l'erreur et les passions, pour les relever dans leurs chutes ; on n'en trouve pas qui se soient vouées à la prière et aux larmes continuelles pour obtenir leur retour à la vérité et à la vertu. Le christianisme seul a révélé à la mère et sa mission et sa puissance.
Quel oubli de vous-même, Ô Monique, dans cette poursuite incessante du salut d'un fils ! Après Dieu, c'est pour lui que vous vivez ; et vivre de cette manière pour votre fils, n'est-ce pas vivre encore pour Dieu qui daigne s'aider de vous pour le sauver ? Que vous importent la gloire et les succès d'Augustin dans le monde, lorsque vous songez aux périls éternels qu'il encourt, lorsque vous tremblez de le voir éternellement séparé de Dieu et de vous ? Alors il n'est pas de sacrifice, il n'est pas de dévouement dont votre cœur de mère ne soit capable envers cette rigoureuse justice dont votre générosité n'entend pas frustrer les droits. Durant de longs jours, durant de longues nuits, vous attendez avec patience les moments du Seigneur ; votre prière redouble d'ardeur ; et espérant contre toute espérance, vous arrivez à ressentir, au fond de votre cœur, l'humble et solide confiance que le fils de tant de larmes ne périra pas.
Saint Augustin accueilli par saint Ambroise à Milan. Détail. Fresque.
Benozzo Gozzoli. Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano. Toscane. XVe.
C'est alors que le Seigneur, " touché de compassion " pour vous, comme il le fut pour la mère éplorée de Naïm, fait entendre sa voix à laquelle rien ne résiste. " Jeune homme, s'écrie-t-il, je te le dis, lève-toi " (Luc, VII, 13.) ; et il rend plein de vie à sa mère celui dont elle pleurait le trépas, mais dont elle n'avait pas voulu se séparer.
Mais quelle récompense pour votre cœur maternel, Ô Monique ! Le Seigneur ne s'est pas contenté de vous rendre Augustin plein de vie ; du fond des abîmes de l'erreur et des passions, voici qu'il l'élève sans intermédiaire jusqu'au bien le plus parfait. Vos instances demandaient qu'il fût chrétien catholique, qu'il rompît enfin des liens humiliants et funestes ; et voici que d'un seul bond la grâce l'a porté jusque dans la région sereine des conseils évangéliques. Votre tâche est plus que remplie, heureuse Mère! Montez au ciel : c'est de là qu'en attendant l'éternelle réunion, vous contemplerez désormais la sainteté et les œuvres de ce fils dont le salut est votre ouvrage, et dont la gloire si éclatante et si pure entoure dès ici-bas votre nom d'une douce et touchante auréole.
Du sain de la félicité que vous goûtez avec ce fils qui vous doit la vie du temps et celle de l'éternité, jetez un regard, Ô Monique, sur tant de mères chrétiennes qui accomplissent en ce moment sur la terre la dure et noble mission que vous avez remplie vous-même. Leurs fils aussi sont morts de la mort du péché, et elles voudraient à force d'amour leur rendre la seule vie véritable. Après la Mère de miséricorde, c'est à vous qu'elles s'adressent, Ô Monique, à vous dont les prières et les larmes furent si puissantes et si fécondes. Prenez en main leur cause ; votre cœur si tendre et si dévoué ne peut manquer de compatir à des angoisses dont il éprouva si longtemps lui-même toute la rigueur.
Daignez joindre votre intercession à leurs vœux ; adoptez ces nouveaux fils qu'elles vous présentent, et elles seront rassurées. Soutenez leur courage, apprenez-leur à espérer, fortifiez-les dans les sacrifices au prix desquels Dieu a mis le retour de ces âmes si chères. Elles comprendront alors que la conversion d'une âme est un miracle d'un ordre plus élevé que la résurrection d'un mort ; elles sentiront que la divine justice, pour relâcher ses droits, exige une compensation, et que cette compensation, c'est à elles de la fournir. Leur cœur se dépouillera de l'égoïsme secret qui se mêle si souvent dans les sentiments en apparence les plus purs. Qu'elles se demandent à elles-mêm
samedi, 04 mai 2024 | Lien permanent | Commentaires (2)
2 mai. Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, docteur de l'Eglise. 373.
- Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, docteur de l'Eglise. 373.
Papes : Saint Marcellin ; saint Damase. Empereurs : Dioclétien ; Valens.
" En louant saint Athanase, c'est la vertu même que je loue. N'est-ce pas en effet louer la vertu que de faire l'élogede celui qui réunissait toutes les vertus dans sa personne ? Athanase fut la colonne de l'Eglise? Il devint, par sa conduite, le modèle des évêques. On était orthodoxe qu'autant que l'on professait la même doctrine que lui."
Saint Grégoire de Naziance, panégyrique de saint Athanase.
Saint Athanase. Fresque. Eglise du Saint-Sauveur.
Le cortège de notre divin Roi, qui s'accroît chaque jour d'une manière si brillante, se renforce aujourd'hui par l'arrivée de l'un des plus valeureux champions qui aient jamais combattu pour sa gloire. Est-il un nom plus illustre que celui d'Athanase parmi les gardiens de la Parole de vérité que Jésus a confiée à la terre ? Ce nom n'exprime-til pas à lui seul le courage indomptable dans la garde du dépôt sacré, la fermeté du héros en face des plus terribles épreuves, la science, le génie, l'éloquence, tout ce qui peut retracer ici-bas l'idéal de la sainteté du Pasteur unie à la doctrine de l'interprète des choses divines ? Athanase a vécu pour le Fils de Dieu ; la cause du Fils de Dieu fut la même que celle d'Athanase ; qui bénissait Athanase bénissait le Verbe éternel, et celui-là maudissait le Verbe éternel qui maudissait Athanase.
Jamais [dom Prosper Guéranger, dans L'année liturgique, écrit ici depuis le milieu du XIXe siècle] notre sainte foi ne courut sur la terre un plus grand péril que dans ces tristes jours qui suivirent la paix de l'Eglise, et furent témoins de la plus affreuse tempête que la barque de Pierre ait jamais essuyée. Satan avait en vain espéré éteindre dans des torrents de sang la race des adorateurs de Jésus ; le glaive de Dioclétien et de Galérius s'était émoussé dans leurs mains, et la croix paraissant au ciel avait proclamé le triomphe du christianisme.
Tout à coup l'Eglise victorieuse se sent ébranlée jusque dans ses fondements ; dans son audace l'enfer a vomi sur la terre une hérésie qui menace de dévorer en peu de jours le fruit de trois siècles de martyre. L'impie et obscur Arius ose dire que celui qui fut adoré comme le Fils de Dieu par tant de générations depuis les Apôtres, n'est qu'une créature plus parfaite que les autres. Une immense défection se déclare jusque dans les rangs de la hiérarchie sacrée ; la puissance des Césars se met au service de cette épouvantable apostasie ; et si le Seigneur lui-même n'intervient, les hommes diront bientôt sur la terre que la victoire du christianisme n'a eu d'autre résultat que de changer l'objet de l'idolâtrie, en substituant sur les autels une créature à d'autres qui avaient reçu l'encens avant elle.
Mais celui qui avait promis que les portes de l'enter ne prévaudraient jamais contre son Eglise, veillait à sa promesse. La foi primitive triompha; le concile de Nicée reconnut et proclama le Fils consubstantiel au Père ; mais il fallait à l'Eglise un homme en qui la cause du Verbe consubstantiel fut, pour ainsi dire, incarnée, un homme assez docte pour déjouer tous les artifices de l'hérésie, assez fort pour attirer sur lui tous ses coups, sans succomber jamais.
Fresque. Monastère Protaton. Mont-Athos. Grèce. VIIIe.
Ce fut Athanase ; quiconque adore et aime le Fils de Dieu doit aimer et glorifier Athanase. Exilé jusqu'à cinq fois de son Eglise d'Alexandrie, poursuivi à mort par les ariens, il vint chercher tantôt un refuge, et tantôt un lieu d'exil dans l'Occident, qui apprécia l'illustre confesseur de la divinité du Verbe. Pour prix de l'hospitalité que Rome s'honora de lui accorder, Athanase lui fit part de ses trésors. Admirateur et ami du grand saint Antoine, il cultivait avec une tendre affection l'élément monastique, que la grâce de l'Esprit-Saint avait fait éclore dans les déserts de son vaste patriarcat ; il porta à Rome cette précieuse semence, et les moines qu'il y amena furent les premiers que vit l'Occident. La plante céleste s'y naturalisa ; et si sa croissance fut lente d'abord, elle y fructifia dans la suite au delà de ce qu'elle avait fait en Orient.
Athanase, qui avait su exposer avec tant de clarté et de magnificence dans ses sublimes écrits le dogme fondamental du christianisme, la divinité de Jésus-Christ, a célébré le mystère de la Pâque avec une éloquente majesté dans les Lettres festales qu'il adressait chaque année aux Eglises de son patriarcat d'Alexandrie. La collection de ces lettres, que l'on regardait comme perdues sans retour, et qui n'étaient connues que par quelques courts fragments, a été retrouvée presque tout entière, dans le monastère de Sainte-Marie de Scété, en Egypte. La première, qui se rapporte à l'année 329, débute par ces paroles aux fidèles soumis à son autorité pastorale et qui expriment admirablement les sentiments que doit réveiller chez tous les chrétiens l'arrivée de la Pâque :
" Venez, mes bien-aimés, venez célébrer la fête ; l'heure présente vous y invite. En dirigeant sur nous ses divins rayons, le Soleil de justice nous annonce que l'époque de la solennité est arrivée. A cette nouvelle, faisons fête, et ne laissons pas l'allégresse s'enfuir avec le temps qui nous l'apporte, sans l'avoir goûtée."
Durant ses exils, Athanase continua d'adresser à ses peuples la Lettre pascale ; quelques années seulement en furent privées. Voici le commencement de celle par laquelle il annonçait la Pâque de l'année 338 ; elle fut envoyée de Trêves à Alexandrie :
" Bien qu'éloigné de vous, mes Frères, je n'ai garde de manquer à la coutume que j'ai toujours observée à votre égard, coutume que j'ai reçue de la tradition des Pères. Je ne resterai pas dans le silence, et je ne manquerai pas de vous annoncer l'époque de la sainte Fête annuelle, et le jour auquel vous en devez célébrer la solennité. En proie aux tribulations dont vous avez sans doute entendu parler, accablé des plus graves épreuves, placé sous la surveillance des ennemis de la vérité qui épient tout ce que j'écris, afin d'en faire une matière d'accusation et d'accroître par là mes maux, je sens néanmoins que le Seigneur me donne de la force et me console dans mes angoisses. J'ose donc vous adresser la proclamation annuelle, et c'est au milieu de mes chagrins, à travers les embûches qui m'environnent, que je vous envoie des extrémités de la terre l'annonce de la Pâque qui est notre salut. Remettant mon sort entre les mains du Seigneur, j'ai voulu célébrer avec vous cette fête : la distance des lieux nous sépare, mais je ne suis pas absent de vous. Le Seigneur qui accorde les fêtes, qui est lui-même notre fête, qui nous fait don de son Esprit, nous réunit spirituellement par le lien de la concorde et de la paix."
Qu'elle est magnifique, cette Pâque célébrée par Athanase exilé sur les bords du Rhin, en union avec son peuple qui la fêtait sur les rives du Nil ! Comme elle révèle le lien puissant de la sainte Liturgie pour unir les hommes et leur faire goûter au même moment, et en dépit des distances, les mêmes émotions saintes, pour réveiller en eux les mêmes aspirations de vertu ! Grecs ou barbares, l'Eglise est notre patrie commune ; mais la Liturgie est, avec la Foi, le milieu dans lequel nous ne formons tous qu'une même famille, et la Liturgie n'a rien de plus expressif dans le sens de l'unité que la célébration de la Pâque. Les malheureuses Eglises de l'Orient et de l'empire russe, en s'isolant du reste du monde chrétien pour fêter à un jour qui n'est qu'à elles la Résurrection du Sauveur, montrent déjà par ce seul fait qu'elles ne font pas partie de l'unique bergerie dont il est l'unique pasteur.
Eglise Sainte-Colombe. La Flèche. Maine. XIXe.
Une lutte perpétuelle est l'inévitable condition du bien dans l'humanité déchue. Dieu le fit voir à son Eglise, lorsque, après avoir si glorieusement vaincu la persécution, elle eut à repousser les attaques non moins formidables de l'hérésie. Celle-ci, il est vrai, dès l'apparition du Christianisme, avait cherché à troubler les conquêtes de la foi ; mais, devant le glaive des tyrans et la gloire des martyrs, elle avait fait peu de bruit et obtenu peu de succès.
Pour comprendre la vie de saint Athanase, il est nécessaire de connaître le schisme de Mélécien et l'hérésie arienne. Saint Pierre, prédécesseur d'Achillas sur le siège d'Alexandrie, par son indulgence envers les Chrétiens qui avaient offert de l'encens aux idoles pour échapper à la mort et qui s'en repentaient, avait déplu à Mélèce, évêque de Lycopolis. Ce dernier se sépara de la communion de Pierre et forma un schisme ; ses partisans prirent le nom de Méléciens. Arius, qui des sables de la Libye était venu chercher fortune dans la capitale de l'Egypte, se joignit à ces schismatiques.
Néanmoins, il parvint à gagner, par un faux repentir, les bonnes grâces d'Achillas, patriarche d'Alexandrie, qui l'éleva au sacerdoce et lui confia le gouvernement d'une de ses paroisses nommée Baucolis.
Ce n'était pas assez pour son ambition : il aspirait au patriarcat ; mais saint Alexandre lui fut justement préféré, pour sa piété, sa charité envers les pauvres, sa science sacrée et son éloquence. Blessé dans son orgueil et voulant à toute fin jouer un rôle dans le monde, il se fit chef d'une nouvelle doctrine, qui fut bientôt déclarée hérétique.
Il enseignait que Notre Seigneur Jésus-Christ n'est pas Dieu, mais une simple créature, plus parfaite que les autres, et formée avant elles, non pas cependant de toute éternité.
Or, si Notre Seigneur Jésus-Christ n'est pas Dieu, à quoi aboutissent les espérances des Chrétiens !?
Arius ne négligea rien pour répandre ces erreurs dans le peuple ; il alla jusqu'à les mettre en chansons pour les ouvriers, les meuniers, les matelots, les voyageurs.
Alexandre, n'ayant pu ramener cet hérésiarque par les voies de la douceur, le fit condamner par un concile tenu à Alexandrie, et écrivit aux évêques qui n'avaient pu y assister, pour leur en faire connaître les décisions.
Jamais, peut-être, aucun chef d'hérésie ne posséda à un plus haut degré qu'Arius les qualités propres à ce maudit et funeste rôle. Instruit dans les lettres et dans la philosophie des Grecs, doué d'une rare souplesse de dialectique et de langage, il excellait à donner à l'erreur les traits et le charme de la vérité? Son extérieur aidait à la séduction. D'un âge déjà avancé, il joignait à une haute taille la dignité du vieillard. Son orgueil se dérobait sous un vêtement simple, sous un visage modeste, recueilli, mortifié, qui lui donnait un faux air de sainteté, et avec lequel il savait allier un abord gracieux, un ton doux et insinuant.
Saint Athanase. Icône. Prizren. Kossovo. XXe.
Banni du sanctuaire, il quitta Alexandrie où il s'était fait déjà de nombreux partisans, et alla demander asile à Eusèbe, évêque de Césarée, dans la Palestine. Celui-ci était l'un des plus savants hommes de son siècle et l'auteur d'excellents ouvrages pour lesquels la postérité a partagé l'admiration de ses contemporains. Par son habileté dialectique, il sut entrer dans les grâces d'Eusèbe et obtenir de lui sa neutralité. Il sut alors intéresser plusieurs autres évêques de la région et en particulier un autre Eusèbe, parent de la famille impériale, qui avait apostasié dans la dernière persécution, et qui, de sa propre autorité, avait osé abandonner le siège de Béryte, en Judée, pour celui de Nicomédie, siège de la cour impériale.
Son rang, sa naissance, sa réputation donnait à cet Eusèbe un ascendant certain. Il fit venir Arius à Nicomédie, prit son parti et revendiqua auprès de la cour impériale son " rétablissement " sur le siège d'Alexandrie. Alexandre fut intraitable et renouvella ses condamnations.
L'empereur Constantin fut très irrité de ce trouble religieux qui agitait ses états. L'Eusèbe de Nicomédie lui représenta que le différent entre Alexandre et Arius n'était qu'une vaine querelle de mots et que l'origine de ces troubles devait être attribuée au zèle amer d'Alexandre et non point à Arius.
Fort de cette présentation mensongère, l'empereur écrivit alors aux deux parties, et députa Osius, évêque de Cordoue, en les exhortant à la concorde et à la réconciliation. Mais le mal gagnait et ses exhortations ne servirent à rien, si ce n'est peut-être, hélas, à confortéer Arius et ses sectateurs.
La mission d'Osius ne fut pas vaines. Celui-ci mesura à quel point Arius était de mauvaise foi et à quel point le parti d'Alexandre, pour ferme qu'il était, était la marque du pilier inébranlable qui soutien la vraie foi. Cela lui inspira, afin, entre autre, d'éclairer toute l'Eglise sur la perversité d'Arius, de préparer un concile, qui se réunit à Nicée, non loin de Nicomédie, en 325.
Parmi les 318 éminents participants à ce concile, il ne s'en trouva que 17 qui était infectés de l'hérésie d'Arius. Depuis le 19 juin jusqu'au 25 août, on discuta de divers points de dogme et de discipline, jusqu'au jour où Arius vint exposer sa doctrine. Les Pères du concile avaioent bien du mal à écouter calmement les monstruosités de l'hérésiarques.
Enfin, on présenta les conclusions dans une séance solennelle, qu'Osius présidait à la place du pape et en présence de l'empereur. L'hérésie fut terrassée devant le terme consubstantiel, expression aussi concise qu'énergique de l'unité de nature dans les trois personnes divines. L'univers répéta avec transport le symbole de Nicée, magnifique développement du symbole des Apôtres, hymne sublime de foi, d'amouret de reconnaissance.
Les évêques ariens le souscrivirent, après plus ou moins de résistance, à l'exception de deux, qui furent déposés par le concile et, avec Arius, condamnés par l'empereur au bannissement.
Parmi ceux qui, au concile, furent des plus décisifs adversaires d'Arius, se distingua un jeune lévite, savant, fort dans la foi, éloquent et simple à la fois, et qui déjoua les voies les plus perverses de l'hérésiarque jusqu'à ce qu'il soit confondu tout de bon : saint Athanase. Cette contribution déterminante à la victoire de l'Eglise lui attira définitivement une haine implacable et jamais démentie de la part des Ariens par lui confondus.
Enfant d'une famille distinguée et chrétienne d'Alexandrie, il s'était attaché de bonne heure à saint Alexandre qui l'avait élevé et aimé comme un fils. Progressant rapidement dans les lettres et la piété, il combla de joie son saint maître au point que celui-ci, nous l'avons vu, se l'attacha pour aller au concile de Nicée, alors qu'Athanase n'était encore que diacre.
Mais la haine des Ariens se poursuivit. La malice des hérétiques ne servit qu'à faire ressortir l'énergie de cette volonté de fer, la sainteté de ce grand coeur, les ressources de cet esprit fécond, la splendeur de ce fier génie. Exilé par l'empereur Constantin, il lui fit cette réponse :
" Puisque vous cédez à mes calomniateurs, le Seigneur jugera entre vous et moi."
Et certes, avant de mourir, Constantin le rappela, et Athanase fut reçu en triomphe dans sa ville épiscopale. Le vaillant champion de la foi eut à subir bientôt un nouvel exil, et deux conciles ariens ne craignirent pas de pousser la mauvaise foi et l'audace jusqu'à le déposer de son si
jeudi, 02 mai 2024 | Lien permanent | Commentaires (1)