jeudi, 07 décembre 2023
7 décembre. Saint Ambroise, archevêque de Milan, docteur de l'Eglise. 397.
- Saint Ambroise, archevêque de Milan, docteur de l'Eglise. 397.
Pape : Saint Sirice. Empereur romain : Théodose Ier (+395). Empereur romain d'Occident : Flavius Honorius. Empereur romain d'Orient : Flavius Arcadius.
" On eût dit un lion redoutable, mais généreux, dont la bouche éloquente distillait le miel le plus exquis, tout en confondant d'une voix foufroyante l'impiété des méchants."
Judic., XIV, 8.
Maître de Burgo de Osma. XVe.
Cet illustre Pontife figure dignement sur le Cycle catholique, à côté du grand Evoque de Myre. Celui-ci a confessé, à Nicée, la divinité du Rédempteur des hommes ; celui-là, dans Milan, a été en butte à toute la fureur des Ariens, et par son courage invincible, il a triomphé des ennemis du Christ. Qu'il unisse donc sa voix de Docteur à celle de saint Pierre Chrysologue, et qu'il nous annonce les grandeurs et les abaissements du Messie. Mais telle est en particulier la gloire d'Ambroise, comme Docteur, que si. entre les brillantes lumières de l'Eglise latine, quatre illustres Maîtres de la Doctrine marchent en tête du cortège des divins interprètes de la Foi, le glorieux Pontife de Milan complète, avec Grégoire, Augustin et Jérôme, ce nombre mystique.
Ambroise doit l'honneur d'occuper sur le Cycle une si noble place en ces jours, à l'antique coutume de l'Eglise qui, aux premiers siècles, excluait du Carême les fêtes des Saints. Le jour de sa sortie de ce monde et de son entrée au ciel fut le quatre Avril ; or, l'anniversaire de cet heureux trépas se rencontre, la plupart du temps, dans le cours de la sainte Quarantaine : on fut donc contraint de faire choix d'un autre jour dans l'année, et le sept Décembre, anniversaire de l'Ordination épiscopale d'Ambroise, se recommandait de lui-même pour recevoir la fête annuelle du saint Docteur.
Au reste, le souvenir d'Ambroise est un des plus doux parfums dont pût être embaumée la route qui conduit à Bethléhem. Quelle plus glorieuse, ci en même temps quelle plus charmante mémoire que celle de ce saint et aimable Evêque, en qui la force du lion s'unit à la douceur de la colombe ? En vain les siècles ont passé sur cette mémoire : ils n'ont fait que la rendre plus vive et plus chère.
Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.
Comment pourrait-on oublier ce jeune gouverneur de la Ligurie et de l'Emilie, si sage, si lettré, qui fait son entrée à Milan, encore simple catéchumène, et se voit tout à coup élevé, aux acclamations du peuple fidèle, sur le trône épiscopal de celte grande ville ? Et ces beaux présages de son éloquence enchanteresse, dans l'essaim d'abeilles qui, lorsqu'il dormait un jour, encore enfant, sur les gazons du jardin paternel, l'entoura et pénétra jusque dans sa bouche, comme pour annoncer la douceur de sa parole ! et cette gravité prophétique avec laquelle l'aimable adolescent présentait sa main à baiser à sa mère et à sa sœur, parce que, disait-il, cette main serait un jour celle d'un Evêque !
Mais quels combats attendaient le néophyte de Milan, sitôt régénéré dans l'eau baptismale, sitôt consacré prêtre et pontife ! Il lui fallait se livrer sans retard à l'étude assidue des saintes lettres, pour accourir docteur à la défense de l'Eglise attaquée dans son dogme fondamental par la fausse science des Ariens ; et telle fut en peu de temps la plénitude et la sûreté de sa doctrine que, non seulement elle opposa un mur d'airain aux progrès de l'erreur contemporaine, mais encore que les livres écrits par Ambroise mériteront d'être signalés par l'Eglise, jusqu'à la fin des siècles, comme l'un des arsenaux de la vérité.
Mais l'arène de la controverse n'était pas la seule où dût descendre le nouveau docteur ; sa vie devait être menacée plus d'une fois par les sectateurs de l'hérésie qu'il avait confondue. Quel sublime spectacle que celui de cet Evêque bloqua dans son église par les troupes de l'impératrice Justine, et gardé au dedans, nuit et jour, par son peuple ! Quel pasteur ! Quel troupeau ! Une vie dépensée tout entière pour la cité et la province avait valu à Ambroise cette fidélité et cette confiance de la part de son peuple. Par son zèle, son dévouement, son constant oubli de lui-même, il était l'image du Christ qu'il annonçait.
Hexaemeron. Ardennes. XIIe.
Au milieu des périls qui l'environnent, sa grande âme demeure calme et tranquille. C'est ce moment même qu'il choisit pour instituer, dans l'Eglise de Milan, le chant alternatif des Psaumes. Jusqu'alors la voix seule du lecteur faisait entendre du haut d'un ambon le divin Cantique ; il n'a fallu qu'un moment pour organiser en deux chœurs l'assistance, ravie de pouvoir désormais prêter sa voix aux chants inspirés du royal Prophète. Née ainsi au fort de la tempête, au milieu d'un siège héroïque, la psalmodie alternative est désormais acquise aux peuples fidèles de l'Occident.
Rome adoptera l'institution d'Ambroise, et cette institution accompagnera l'Eglise jusqu'à la fin des siècles. Durant ces heures de lutte, le grand Evêque a encore un don à faire à ces fidèles catholiques qui lui ont fait un rempart de leurs corps. Il est poète, et souvent il a chanté dans des vers pleins de douceur et de majesté les grandeurs du Dieu des chrétiens et les mystères du salut de l'homme. Il livre à son peuple dévoué ces nobles hymnes qui n'étaient pas destinées à un usage public, et bientôt les basiliques de Milan retentissent de leur mélodie. Elles s'étendront plus tard à l'Eglise latine tout entière ; à l'honneur du saint Evêque qui ouvrit ainsi une des plus riches sources de la sainte Liturgie, on appellera longtemps un Ambrosien ce que, dans la suite, on a désigné sous le nom d'Hymne, et l'Eglise romaine acceptera dans ses Offices ce nouveau mode de varier la louange divine, et de fournir à l'Epouse du Christ un moyen de plus d'épancher les sentiments qui l'animent.
Ainsi donc, notre chant alternatif des Psaumes, nos Hymnes elles-mêmes sont autant de trophées de la victoire d'Ambroise. Il avait été suscité de Dieu, non seulement pour son temps, mais pour les âges futurs. C'est ainsi que l'Esprit-Saint lui donna le sentiment du droit chrétien avec la mission de le soutenir, dès cette époque où le paganisme abattu respirait encore, où le césarisme en décadence conservait encore trop d'instincts de son passé.
Ambroise veillait appuyé sur l'Evangile. Il n'entendait pas que l'autorité impériale pût à volonté livrer aux Ariens, pour le bien de la paix, une basilique où s'étaient réunis les catholiques. Pour défendre l'héritage de l'Eglise, il était prêt à verser son sang. Des courtisans osèrent l'accuser de tyrannie auprès du prince. Il répondit :
" Non ; les évêques ne sont pas des tyrans, mais c'est de la part des tyrans qu'ils ont eu souvent à souffrir."
L'eunuque Calligone, chambellan de Valentinien II, osa dire à Ambroise :
" Comment, moi vivant, tu oses mépriser Valentinien ! Je te trancherai la tête.
- Que Dieu te le permette ! répondit Ambroise : je souffrirai alors ce que souffrent les évêques ; et toi tu auras a fait ce que savent faire les eunuques."
Cette noble constance dans la défense des droits de l'Eglise avait paru avec plus d'éclat encore, lorsque le Sénat romain, ou plutôt la minorité du Sénat restée païenne, tenta, à l'instigation du Préfet de Rome Symmaque, d'obtenir le rétablissement de l'autel de la Victoire au Capitole, sous le vain prétexte d'opposer un remède aux désastres de l'empire. Ambroise qui disait : " Je déteste la religion des Nérons ", s'opposa comme un lion à cette prétention du polythéisme aux abois. Dans d'éloquents mémoires à Valentinien, il protesta contre une tentative qui avait pour but d'amener un prince chrétien à reconnaître des droits à l'erreur, et de faire reculer les conquêtes du Christ, seul maître des peuples. Valentinien se rendit aux vigoureuses remontrances de l'Evêque qui lui avait appris " qu'un empereur chrétien ne devait savoir respecter que l'autel du Christ ", et ce prince répondit aux sénateurs païens qu'il aimait Rome comme sa mère, mais qu'il devait obéir à Dieu comme à l'auteur de son salut.
On peut croire que si les décrets divins n'eussent irrévocablement condamné l'empire à périr, des influences comme celles d'Ambroise, exercées sur des princes d'un cœur droit, l'auraient préservé de la ruine. Sa maxime était ferme ; mais elle ne devait être appliquée que dans les sociétés nouvelles qui surgirent après la chute de l'empire, et que le Christianisme constitua à son gré. Il disait donc :
" Il n'est pas de titre plus honorable pour un Empereur que celui de Fils de l'Eglise. L'Empereur est dans l'Eglise ; il n'est pas au-dessus d'elle."
Quoi de plus touchant que le patronage exercé avec tant de sollicitude par Ambroise sur le jeune Empereur Gratien, dont le trépas lui fit répandre tant de larmes ! Et Théodose, cette sublime ébauche du prince chrétien, Théodose, en faveur duquel Dieu retarda la chute de l'Empire, accordant constamment la victoire à ses armes, avec quelle tendresse ne fut-il pas aimé de l'évêque de Milan ? Un jour, il est vrai, le César païen sembla reparaître dans ce fils de l'Eglise ; mais Ambroise, par une sévérité aussi inflexible qu'était profond son attachement pour le coupable, rendit son Théodose à lui-même et à Dieu.
" Oui, dit le saint Evêque, dans l'éloge funèbre d'un si grand prince, j’ai aimé cet homme qui préféra à ses flatteurs celui qui le réprimandait. Il jeta à terre tous les insignes de la dignité impériale, il pleura publiquement dans l'Eglise le péché dans lequel on l'avait perfidement entraîné, il en implora le pardon avec larmes et gémissements. De simples particuliers se laissent détourner par la honte, et un Empereur n'a pas rougi d'accomplir la pénitence publique ; et désormais, pas un seul jour ne s'écoula pour lui sans qu'il eût déploré sa faute."
Qu'ils sont beaux dans le même amour de la justice, ce César et cet Evêque ! le César soutient l'Empire prêt à crouler, et l'Evêque soutient le César.
Les abeilles se penchent sur saint Ambroise nouveau né.
Mais que l'on ne croie pas qu'Ambroise n'aspire qu'aux choses élevées et retentissantes. Il sait être le pasteur attentif aux moindres besoins des brebis de son troupeau. Nous avons sa vie intime écrite par son diacre Paulin. Ce témoin nous révèle qu'Ambroise, lorsqu'il recevait la confession des pécheurs, versait tant de larmes qu'il entraînait à pleurer avec lui celui qui était venu découvrir sa faute. " Il semblait, dit le biographe, qu'il fût tombé lui-même avec celui qui avait failli."
On sait avec quel touchant et paternel intérêt il accueillit Augustin captif encore dans les liens de l'erreur et des passions ; et qui voudra connaître Ambroise, peut lire dans les Confessions de l'évêque d'Hippone les épanchements de son admiration et de sa reconnaissance. Déjà Ambroise avait accueilli Monique, la mère affligée d'Augustin ; il l'avait consolée et fortifiée par l'espérance du retour de son fils. Le jour si ardemment désiré arriva; et ce fut la main d'Ambroise qui plongea dans les eaux purifiantes du baptême celui qui devait être le prince des Docteurs.
Un cœur aussi fidèle à ses affections ne pouvait manquer de se répandre sur ceux que les liens du sang lui avaient attachés. On sait l'amitié qui unit Ambroise à son frère Satyre, dont il a raconté les vertus avec l'accent d'une si émouvante tendresse dans le double éloge funèbre qu'il lui consacra. Marcelline sa sœur ne fut pas moins chère à Ambroise. Dès sa première jeunesse, la noble patricienne avait dédaigné le monde et ses pompes. Sous le voile de la virginité qu'elle avait reçu da mains du pape Libère, elle habitait Rome au sein de la famille.
Mais l'affection d'Ambroise ne connaissait pas de distances ; ses lettres allaient chercher la servante de Dieu dans son mystérieux asile. Il n'ignorait pas quel zèle elle nourrissait pour l'Eglise, avec quelle ardeur elle s'associait à toute les œuvres de son frère, et plusieurs des lettre qu'il lui adressait nous ont été conservées. On es ému en lisant seulement la suscription de ces épîtres : " Le frère à la sœur ", ou encore : " A Marcelline ma sœur, plus chère à moi que mes yeux et ma vie ". Le texte de la lettre vient ensuite, rapide, animé, comme les luttes qu'il retrace. Il en est une qui fut écrite dans les heures même où grondait l'orage, pendant que le courageux pontife était assiégé dans sa basilique par les troupes de Justine. Ses discours au peuple de Milan, ses succès comme ses épreuves, les sentiments héroïques de son âme épiscopale, tout se peint dans ces fraternelles dépêches, tout y révèle la force et la sainteté du lien qui unit Ambroise et Marcelline. La basilique Ambrosienne garde encore le tombeau du frère et celui de la sœur ; sur l'un et l'autre chaque jour le divin Sacrifice est offert.
Tel fut Ambroise, dont Théodose disait un jour : " Il n'y a qu'un évêque au monde ". Glorifions l'Esprit-Saint qui a daigné produire un type aussi sublime dans l'Eglise, et demandons au saint Pontife qu'il daigne nous obtenir une part à cette foi vive, à cet amour si ardent qu'il témoigne dans ses suaves et éloquents écrits envers le mystère de la divine Incarnation. En ces jours qui doivent aboutir à celui où le Verbe fait chair va paraître, Ambroise est l'un de nos plus puissants intercesseurs.
Les docteurs de l'Eglise dont saint Ambroise.
Sa piété envers Marie nous apprend aussi quelle admiration et quel amour nous devons avoir pour la Vierge bénie. Avec saint Ephrem, l'évêque de Milan est celui des Pères du siècle qui a le plus vivement exprimé les grandeurs du ministère et de la personne de Marie. II a tout connu, tout ressenti, tout témoigné. Marie exempte par grâce de toute tache de péché, Marie au pied de la Croix s'unissant à son fils pour le salut du genre humain, Jésus ressuscité apparaissant d'abord à sa mère, et tant d'autres points sur lesquels Ambroise est l'écho de la croyance antérieure, lui donnent un des premiers rangs parmi les témoins de la tradition sur les mystères de la Mère de Dieu.
Cette tendre prédilection pour Marie explique l'enthousiasme dont Ambroise est rempli pour la virginité chrétienne, dont il mérite d'être considéré comme le Docteur spécial. Aucun des Pères ne l'a égalé dans le charme et l'éloquence avec lesquels il a proclamé la dignité et la félicité des vierges. Quatre de ses écrits sont consacrés à glorifier cet état sublime, dont le paganisme expirant essayait encore une dernière contrefaçon dans ses vestales, recrutées au nombre de sept, comblées d'honneurs et de richesses, et déclarées libres après un temps. Ambroise leur oppose l'innombrable essaim des vierges chrétiennes, remplissant le monde entier du parfum de leur humilité, de leur constance et de leur désintéressement. Mais sur un tel sujet sa parole était plus attrayante encore que sa plume, et l'on sait, par les récits contemporains, que, dans les villes qu'il visitait et où sa voix devait se faire entendre, les mères retenaient leurs filles à la maison, dans la crainte que les discours d'un si saint et si irrésistible séducteur ne leur eussent persuadé de n'aspirer plus qu'aux noces éternelles.
Extraits de la Légende dorée du Bx Jacques de Voragine, d'après la vie de saint Ambroise par Paulin, son secrétaire :
Ambroise vient de ambre, qui est une substance odoriférante et précieuse. Or, saint Ambroise fut précieux à l’Eglise et il répandit une bonne odeur par ses paroles et ses actions. Ou bien Ambroise vient de ambre et de sios, qui veut dire Dieu, comme l’ambre de Dieu ; car Dieu par Ambroise répand partout une odeur semblable à celle de l’ambre. Il fut et il est la bonne odeur de Notre Seigneur Jésus-Christ en tout lieu. Ambroise peut venir encore de ambor, qui signifie père des lumières et de sior, qui veut dire petit ; parce qu'il fut le père de beaucoup de fils par la génération spirituelle, parce qu'il fut lumineux dans l’exposition de la sainte Ecriture, et parce qu'il fut petit dans ses habitudes humbles.
Le glossaire dit : ambrosius signifie odeur ou saveur de Notre Seigneur Jésus-Christ ; ambroisie céleste, nourriture des anges ; ambroise, rayon céleste de miel. Car saint Ambroise fut une odeur céleste par une réputation odoriférante; une saveur, par la contemplation intérieure ; il fut un rayon céleste de miel par son agréable interprétation des Ecritures; et une nourriture angélique, parce qu'il mérita de jouir de la gloire. Sa vie fut écrite à saint Augustin par saint Paulin, évêque de Nole.
L'empereur Théodose reçoit son pardon de saint Ambroise.
Ambroise était fils d'Ambroise, préfet de Rome. Il avait été mis en son berceau dans la salle du prétoire ; il y dormait, quand un essaim d'abeilles survint tout a coup et couvrit de telle sorte sa figure et sa bouche qu'il semblait entrer dans sa ruche et en sortir. Les abeilles prirent ensuite leur vol et s'élevèrent en l’air à une telle hauteur que oeil humain n'était capable de les distinguer.
Son père fut frappé de ce fait et dit :
" Si ce petit enfant vit, ce sera quelque chose de grand."
Parvenu à l’adolescence, en voyant sa mère et sa soeur, qui avait consacré à Dieu leur virginité, embrasser la main des prêtres, il offrit en se jouant sa droite à sa soeur en l’assurant qu'elle devait en faire autant. Mais elle le lui refusa comme à un enfant et à quelqu'un qui ne sait ce qu'il dit.
Après avoir appris les belles lettres à Rome, il plaida avec éclat des causes devant le tribunal, et fut envoyé par l’empereur Valentinien pour prendre le gouvernement des provinces de la Ligurie et de l’Emilie. Il vint à Milan alors que le siège épiscopal était vacant ; le peuple s'assembla pour choisir un évêque : mais une grande sédition s'éleva entre les ariens et les catholiques sur le choix du candidat ; Ambroise y vint pour apaiser la sédition, quand tout à coup se fit entendre la voix d'un enfant qui s'écria :
" Ambroise évêque !"
Alors à l’unanimité ; tous s'accordèrent à acclamer Ambroise évêque. Quand il eut vu cela, afin de détourner l’assemblée de ce choix qu'elle avait fait de lui, il sortit de l’église, monta sur son tribunal et, contre sa coutume, il condamna à des tourments ceux qui étaient accusés. En le voyant agir ainsi, le peuple criait néanmoins :
" Que ton péché retombe sur nous !"
Alors il fut bouleversé et rentra chez lui. Il voulut faire profession de philosophe : mais afin qu'il ne réussît pas on le fit révoquer. Il fit entrer chez lui publiquement des femmes de mauvaise vie, afin qu'en les voyant le peuple revînt sur son élection ; mais considérant qu'il ne venait pas à ses fins, et que le peuple criait toujours : " Que ton péché retombe sur nous !", il conçut la pensée de prendre la fuite au milieu de la nuit. Et au moment où il se croyait sur le bord du Tésin, il se trouva, le matin, à une porte de Milan, appelée la porte de Rome.
Quand on l’eut rencontré, il fut gardé à vue par le peuple. On adressa un rapport au très clément empereur Valentinien, qui apprit avec la plus grande joie qu'on choisissait pour remplir les fonctions du sacerdoce ceux qu'il avait envoyés pour être juges.
Le préfet Probus était dans l’allégresse de voir accomplir en saint Ambroise la parole qu'il lui avait dite alors qu'il lui donnait ses pouvoirs lors de son départ :
" Allez, agissez comme un évêque plutôt que comme un juge."
Le rapport était encore chez l’empereur, quand Ambroise se cacha derechef, mais on le trouva. Comme il n'était que catéchumène, il fut baptisé et huit jours après il fut installé sur la chaire épiscopale. Quatre ans après, il alla à Rome, et comme sa soeur, qui était religieuse, lui baisait la main, il lui dit en souriant :
" Voilà ce que je te disais ; tu baises la main du prêtre."
Etant allé dans une ville pour ordonner un évêque, à l’élection duquel l’impératrice Justine et d'autres hérétiques s'opposaient, en voulant que quelqu'un de leur secte fût promu, une vierge du parti des Ariens, plus insolente que les autres, monta au tribunal et saisit saint Ambroise par son vêtement, dans l’intention de l’entraîner du côté où étaient les femmes, afin que, saisi par elles, il fût chassé de l’église honteusement.
Ambroise lui dit :
" Encore que je sois indigne d'être revêtu de la dignité sacerdotale, il ne vous appartient cependant point de porter les mains sur tel prêtre que ce soit. Et, vous devez craindre le jugement de Dieu de peur :qu'il né vous en arrive malheur."
Ce mot se trouva vérifié, car, le jour suivant, cette fille mourut. Saint Ambroise accompagna son corps jusqu'au lieu de la sépulture, rendant ainsi un bienfait pour un affront. Cet événement jeta l’épouvante partout.
Saint Augustin sacré par saint Ambroise.
Après cela, il revint à Milan oit l’impératrice Justine lui tendit une foule d'embûches, en excitant le peuple contre le saint par ses largesses et par les honneurs qu'elle accordait. On cherchait tous les moyens de l’envoyer en exil, au point qu'un homme plus malheureux que les autres s'était laissé emporter à un degré de fureur telle qu'il avait loué une maison auprès de l’église et y tenait un char tout prêt pour, sur l’ordre de Justine, le traîner plus rapidement en exil.
Mais, par un jugement de Dieu, le jour même qu'il pensait se saisir de lui, il fut emmené de la même maison lui-même en exil avec le même char. Ce qui n'empêcha pas saint Ambroise de lui fournir tout ce qui était nécessaire à sa subsistance, rendant ainsi le bien pour le mal. Il composa le chant et l’office de l’église de Milan. En ce temps-là il y avait à Milan un grand nombre de personnes obsédées par le démon, criant à haute voix qu'elles, étaient tourmentées par saint Ambroise. Justine et bon nombre d'Ariens qui vivaient ensemble disaient qu'Ambroise se procurait des hommes à prix d'argent pour dire faussement qu'ils étaient maltraités par des esprits immondes, et qu'ils étaient tourmentés par Ambroise.
Alors tout à coup, un arien qui se trouvait là fut saisi par le démon et se jeta au milieu de l’assemblée en criant :
" Puissent-ils être tourmentés comme je le suis, ceux qui ne croient pas à Ambroise."
Mais les ariens confus tuèrent cet homme en le noyant dans une piscine. Un hérétique, homme très subtil dans la dispute, dur, et qu'on ne pouvait convertir à la foi, entendant prêcher saint Ambroise, vit un ange qui disait à l’oreille du saint les paroles qu'il adressait au peuple. A cette vue, il se mit à défendre la foi qu'il persécutait.
Saint Ambroise devant Justine.
Un aruspice conjurait les démons et les envoyait pour nuire à saint Ambroise ; mais les démons revenaient en disant qu'ils ne pouvaient approcher de sa personne, ni même avancer auprès des portes de sa maison, parce qu'un feu infranchissable entourait l’édifice entier en sorte qu'ils étaient brûlés quoiqu'ils se plaçassent au loin. Il arriva que ce même devin étant condamné aux tourments par le juge pour divers maléfices, criait qu'il était tourmenté davantage encore par Ambroise. Le démon sortit d'un démoniaque qui entrait dans Milan, mais il rentra en lui quand il quitta la ville. On en demanda la cause au démon : il répondit qu'il craignait Ambroise.
Un autre, entra une nuit dans la chambre du saint pour le tuer avec une épée : c'était Justine qui l’y avait poussé par ses prières et par son argent ; mais au moment qu'il levait l’épée pour le frapper, sa main se sécha. Les habitants de Thessalonique avaient insulté l’empereur Théodose, celui-ci leur pardonna à la prière de saint Ambroise ; mais la malignité des courtisans s'emparant de l’affaire, beaucoup de personnes furent tuées par l’ordre du prince, à l’insu du saint.
Aussitôt qu'Ambroise en eut eu connaissance, il refusa à Théodose l’entrée de l’église. Comme celui-ci lui disait que David avait commis un adultère et un homicide, le saint répondit :
" Vous l’avez imité dans ses. fautes, imitez-le dans son repentir."
Ces paroles furent reçues de si bonne grâce par le très clément empereur qu'il ne refusa pas de se soumettre à une sincère pénitence.
Un démoniaque se mit à crier qu'il était tourmenté par Ambroise. Le saint lui dit :
" Tais-toi, diable, car ce n'est pas Ambroise qui te tourmente, c'est ton envie, tu vois des hommes monter d'où tu as été précipité honteusement mais Ambroise ne sait point prendre d'orgueil."
Et le possédé se tut à l’instant.
" Vous qui êtes debout, prenez garde de tomber aussi."
A ces mots cet homme fit une chute et regretta bien de s'être moqué de l’autre.
Une fois, saint Ambroise vint intercéder en faveur de quelqu'un, Macédonius, maître des offices ; mais ayant trouvé fermées les portes de son palais et ne pouvant entrer, il dit :
" Tu viendras à ton tour à l’église et tu ne pourras y entrer, quoique les portes n'en soient pas fermées, et qu'elles soient toutes grandes ouvertes."
Après un certain laps de temps, Macédonius, par crainte de ses ennemis, s'enfuit à l’église, mais il ne put en trouver l’entrée, quoique les portes fussent ouvertes.
L'abstinence du saint évêque était si rigoureuse qu'il jeûnait tous les jours, excepté le samedi, le dimanche et les principales fêtes. Il faisait de si abondantes largesses qu'il donnait tout ce qu'il pouvait avoir aux églises et aux pauvres, et ne gardait rien pour lui. Il était rempli d'une telle compassion que si quelqu'un venait lui confesser ses péchés, il pleurait avec une amertume telle, que le pécheur était forcé lui-même de pleurer.
Son humilité et son amour du travail allaient au point de lui faire écrire lui-même de sa propre main les livres qu'il composait, à moins qu'il n'eût été malade gravement. Sa piété et sa douceur étaient si grandes que quand on lui annonçait la mort d'un saint prêtre ou d'un évêque, il versait des larmes tellement amères qu'il était presque inconsolable. Or, comme on lui demandait pourquoi il pleurait ainsi les saints personnages qui allaient au ciel, il disait :
" Ne croyez pas que je pleure de les voir partir, mais de les voir me prévenir : en outre, il est difficile de trouver quelqu'un digne de remplir de pareilles fonctions."
Apparition de saint Ambroise à la bataille de Milan.
Sa constance et sa force d'âme étaient telles qu'il ne flattait ni l’empereur, ni les princes, dans leurs désordres, mais qu'il les reprenait hautement et sans relâche. Un homme avait commis un crime énorme et avait, été amené à saint Ambroise qui dit :
" Il faut le livrer à Satan pour mortifier sa chair, de peur qu'il n'ait l’audace de, commettre encore de pareils crimes."
Au même moment, comme il avait encore ces mots à la bouche l’esprit immonde le déchira.
On rapporte qu'une fois saint Ambroise allant à Rome reçut l’hospitalité dans une maison de campagne en Toscane, chez un homme excessivement riche, auprès duquel il s'informa avec intérêt de sa position.
" Ma position, lui répondit cet homme, a toujours été accompagnée de bonheur et de gloire. Voyez en effet, je regorge de richesses, j'ai des esclaves et des domestiques en grand nombre, je possède une nombreuse famille de fils et de neveux, tout m’a toujours réussi à souhait ; jamais d'adversité, jamais de tristesse."
En entendant cela Ambroise fut saisi de stupeur et dit à ceux qui l’accompagnaient :
" Levons-nous, fuyons d'ici au plus vite ; car e Seigneur n'est pas dans cette maison. Hâtez-vous, mes enfants, hâtez-vous ; n'apportez aucun retard dans votre fuite ; de crainte que la vengeance divine ne nous saisisse ici et qu'elle ne nous enveloppe tous dans leurs péchés."
Ils sortirent et ils n'étaient pas encore éloignés que la terre s'entr'ouvrit subitement, et engloutit cet homme avec tout ce qui lui appartenait, jusqu'à n'en laisser autan vestige. A cette vue saint Ambroise dit :
" Voyez, mes frères, comme Dieu traite avec miséricorde quand il donne ici-bas des adversités, et comme il est sévère et menaçant quand il accorde une suite ininterrompue de prospérités."
On raconte qu'en ce même lieu, il reste une fosse très profonde existant encore aujourd'hui comme témoignage de ce fait.
Saint Ambroise voyant l’avarice, qui est la racine de tous les maux, s'accroître de plus en plus dans les hommes et surtout dans ceux qui étaient constitués en dignité, chez lesquels tout était vénal, comme aussi dans ceux qui exerçaient les fonctions du saint ministère, il pleura beaucoup et pria avec les plus grandes instances d'être délivré des embarras du siècle.
Dans la joie,qu'il ressentit d'avoir obtenu ce qu'il demandait, il révéla à ses frères qu'il serait avec eux jusqu'au dimanche de la Résurrection. Peu de jours avant d'être forcé à garder le lit, comme il dictait à son secrétaire l’explication du Psaume XLIIIe, tout à coup à la vue de ce secrétaire, une manière de feu léger couvrit sa tête et peu à peu entra dans sa bouche comme un propriétaire entre dans sa maison.
Alors sa figure devint blanche comme la neige ; mais bientôt après elle reprit son teint accoutumé. Ce jour-là même il cessa d'écrire et de dicter, en sorte qu'il ne put terminer le Psaume.
La mort de saint Ambroise. Boullogne l'Aîné. XVIIe.
Or, peu de jours après, sa faiblesse augmenta ; alors le comte d'Italie, qui se trouvait à Milan, convoqua tous les nobles en disant qu'après la mort d'un si grand homme, il y avait lieu de craindre que l’Italie ne vînt à déchoir, et il pria l’assemblée de se transporter auprès du saint pour le conjurer d'obtenir du Seigneur de vivre encore l’espace d'une année.
Quand saint Ambroise les eut entendus, il leur répondit :
" Je n'ai point vécu parmi vous de telle sorte que j'aie honte de vivre, ni ne crains point de mourir, car nous avons un bon maître."
Dans le même temps quatre de ses diacres, qui s'étaient réunis ensemble, se demandaient l’un à l’autre quel serait celui qui mériterait d'être évêque après sa mort: ils se trouvaient assez loin du lit ou le saint était couché, et ils avaient prononcé tout bas le nom de Simplicien ; c'était à peine s'ils pouvaient s'entendre eux-mêmes. Ambroise tout éloigné qu'il fût cria par trois fois :
" Il est vieux, mais il est bon."
En entendant cela les diacres effrayés prirent la fuite, et après la mort d'Ambroise ils n'en choisirent pas d'autre que Simplicien. Il vit, auprès du lieu où il était couché, Notre Seigneur Jésus-Christ venir à lui et lui sourire d'un regard agréable. Honoré, évêque de Verceil, qui s'attendait à la mort de saint Ambroise, entendit, pendant son sommeil, une voix lui criant par trois fois :
" Lève-toi, car il va trépasser."
Il se leva aussitôt, vint à Milan et administra à saint Ambroise le sacrement du corps de Notre-Seigneur ; un instant après, le saint étendit, les bras en formé de croix et rendit le dernier soupir : il proférait encore une prière. Il mourut l’an du Seigneur 399.
Ce fut dans la nuit de Pâques que son corps fut porté à l’église et beaucoup d'enfants qui venaient d'être baptisés le virent les uns dans la chaire, les autres le montraient du doigt à leurs parents, montant dans la chaire ; quelques autres enfin racontaient qu'ils voyaient une étoile sur son corps.
Un prêtre, qui assistait à un repas avec beaucoup de convives, se mit à parler mal de saint Ambroise ; il fut à l’instant frappé d'une maladie mortelle, et il passa de la table à son lit pour y mourir bientôt après. En la ville de Carthage, trois évêques étaient atablé et l’un d'eux ayant dit du mal de saint Ambroise, on lui rapporta ce qui était arrivé au prêtre qui l’avait calomnié ; cet évêque se moqua de cela ; mais aussitôt il fut frappé à mort et expira à l’instant.
Saint Ambroise fut recommandable en bien des points :
1. Dans sa libéralité, car tout ce qu'il avait appartenait aux pauvres ; aussi rapporte-t-il en parlant de soi-même que l’empereur lui demandant une basilique il lui répondit ainsi (cette réponse se trouve dans le Décret Convenior, XXIII question 8) :
" S'il me demandait quelque chose qui fût à moi, comme mes biens-fonds, mon argent, et choses semblables qui sont ma propriété, je ne ferais pas de résistance, quoique tout ce qui est à moi appartienne aux pauvres."
2. Dans la pureté et l’innocence de sa vie, car il fut vierge. Et saint Jérôme rapporté qu'il disait :
" Non seulement nous louons la virginité, mais aussi nous la conservons."
3. Dans la fermeté de sa foi, qui lui titi dire, alors que l’empereur lui demandait une basilique (ces mots se trouvent au chapitre cité plus haut) :
" Il m’arrachera plutôt l’âme que la foi."
Saint Ambroise, Anonyme suisse XVe.
4. Par son désir du martyre. On lit à ce propos, dans sa lettre, De basilica non tradenda, que le ministre de l’empereur Valentinien lui fit dire :
" Tu méprises Valentinien, je te coupe la tête."
Ambroise lui répondit :
" Que Dieu vous laisse faire ce dont vous me menacez, et plaise encore à Dieu qu'il daigne détourner les fléaux dont l’Eglise est menacée afin que ses ennemis tournent tous leurs traits contre moi et qu'ils étanchent leur soif dans mon sang."
5. Par ses prières assidues. On lit sur ce point au XIe livre de l’Histoire ecclésiastique : Ambroise, dans ses démêlés avec une reine furieuse, ne se défendait ni avec la main ; ni avec des armes, mais avec des jeûnes, des veilles continuelles, à l’abri sous l’autel, par ses obsécrations, il se donnait Dieu pour défenseur de sa cause à lui et de son Eglise.
6. Par ses larmes abondantes : il en eut pour trois causes :
a) il eut des larmes de compassion pour les fautes des autres, et saint Pantin rapporte de lui, dans sa légende, que quand quelqu'un venait lui confesser sa faute, il pleurait si amèrement qu'il faisait pleurer son pénitent ;
b) il eut des larmes de dévotion dans la vue des biens éternels. On a vu plus haut qu'il dit à saint Paulin quand celui-ci lui demandait pourquoi il pleurait de la sorte la mort des saints :
" Je ne pleure pas, répondit-il, parce qu'ils sont décédés; mais parce qu'ils m’ont précédé à la gloire."
c) Il eut des larmes de compassion pour les injures qu'il recevait d'autrui. Voici comme il s'exprime en parlant de lui-même, et ces paroles sont encore rapportées dans le décret mentionné plus haut :
" Mes armes contre les soldats goths, ce sont mes larmes. C'est le seul rempart derrière lequel peuvent s'abriter des prêtres, je ne puis ni ne dois résister autrement."
Saint Ambroise en prière. De bono mortis. Fécamp. XIe.
" Vous avez (le Seigneur) affermi Ambroise dans une si grande vertu, vous l’avez orné du haut du ciel d'une si admirable constance, que par lui les démons étaient tourmentés et chassés, que l’impiété arienne était confondue, et que la tête des princes séculiers s'abaissait humblement pour porter votre joug."
" Je suis, dit-il, circonvenu par les comtes, afin de faire un abandon libre de la basilique ; ils me disaient que c'était l’ordre de l’empereur, et que je devais la livrer, car il v avait droit. J'ai répondu : " Si c'est mon patrimoine qu'il demande, emparez-vous-en ; si c'est mon corps, j'irai le lui offrir. Me voulez-vous dans les chaînes ? Qu'on m’y mette. Voulez-vous ma mort ? Je le veux encore. Je ne me ferai pas un rempart de la multitude, je n'irai pas me réfugier à l’autel, ni le tenir de mes mains pour demander la vie, mais je me laisserai immoler de bon coeur pour les autels. On m’envoie l’ordre de livrer la basilique. D'un côté, ce sont des ordres royaux qui nous pressent, mais d'un autre côté, nous avons pour défense les paroles de l’Écriture qui nous disent : " Vous avez parlé comme une insensée ". Empereur, ne vous avantagez pas d'avoir, ainsi que vous le pensez, aucun droit sur les choses divines ; à l’empereur les palais, aux prêtres les églises. Saint Naboth défendit sa vigne de son sang ; et s'il ne céda pas sa vigne, comment nous, céderons-nous l’église de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Le tribut appartient à César : qu'on ne le lui refuse pas ; l’église appartient à Dieu, par la même raison qu'elle ne soit pas livrée à César. Si on me forçait ; si on me demandait, soit terres, soit maison, soit or, ou argent, enfin quelque chose qui m’appartînt, volontiers je l’offrirais, je ne puis rien détacher, rien ôter du temple de Dieu ; puisque je l’ai reçu pour le conserver, et non pour le dilapider."
Une sédition s'étant élevée à Thessalonique, quelques-uns des juges avaient été lapidés par le peuple. L'empereur Théodose indigné fit tuer tout le monde, sans distinguer les coupables des innocents. Le nombre des victimes s'éleva à cinq mille. Or, l’empereur vint à Milan et voulut entrer dans l’église, mais Ambroise alla à sa rencontre jusqu'à la porte, et lui en refusa l’entrée en disant :
" Pourquoi, empereur, après un pareil acte de fureur, ne pas comprendre l’énormité de votre présomption ? Peut-être que la puissance impériale vous empêche de reconnaître vos fautes. Il est de votre dignité due la raison l’emporte sur la puissance. Vous êtes prince, Ô empereur, mais vous commandez à des hommes comme vous. De quel oeil donc regarderez-vous le temple de notre commun maître ? Avec quels pieds foulerez-vous son sanctuaire ? Comment laverez-vous des mains teintes encore d'un sang injustement répandu ? Oseriez-vous recevoir son sang adorable en cette bouche qui, dans l’excès de votre colère, a commandé tant de meurtres ? Relevez-vous donc, retirez-vous, et n'ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez déjà commis. Recevez le joug que le Seigneur vous impose aujourd'hui est la guérison assurée et le salut pour vous."
L'empereur obéit et retourna à son palais en gémissant et en pleurant. Or, après avoir longtemps versé des larmes, Rufin, l’un de ses généraux, lui demanda le motif d'une si profonde tristesse. L'empereur lui dit :
" Pour toi, tu ne sens pas mon mal ; aux esclaves et aux mendiants les temples sont ouverts mais à moi l’entrée en est interdite."
En parlant ainsi chacun de ses mots était entrecoupé par des sanglots.
" Je cours, lui dit Rufin, si vous le voulez, auprès d'Ambroise, afin qu'il vous délie des liens dans lesquels il vous a enlacé.
- Tu ne pourras persuader Ambroise, repartit Théodose, car la puissance impériale ne saurait l’effrayer au point de lui faire violer la loi divine."
Mais Rufin lui promettant de fléchir l’évêque, l’empereur lui donna l’ordre d'aller le trouver, et quelques instants après il le suivit.
Ambroise n'eut pas plutôt aperçu Rufin, qu'il lui dit :
" Tu imites les chiens dans leur impudence, Rufin, toi, l’exécuteur d'un pareil carnage ; il ne te. reste donc aucune honte, et tu ne rougis pas d'aboyer contre la majesté divine."
Comme Rufin suppliait, pour l’empereur et disait que celui-ci allait venir lui-même, Ambroise enflammé d'un zèle surhumain :
" Je te déclare, lui dit-il, que je l’empêcherai d'entrer dans les saints parvis ; s'il vent employer la force et agir en tyran, je suis prêt à souffrir la mort."
Rufin ayant rapporté ces paroles à l’empereur :
" J'irai, lui dit celui-ci, j'irai le trouver, pour recevoir moi-même les reproches que je mérite."
Arrivé près d'Ambroise, Théodose lui demanda d'être délié de son interdit, alors Ambroise alla à sa rencontre, et lui refusa l’entrée de l’église en disant :
" Quelle pénitence avez-vous faite après avoir commis de si grandes iniquités ?"
Il répondit :
" C'est à vous à me l’imposer et à moi à me soumettre."
Alors comme l’empereur alléguait que David aussi avait commis un adultère et un homicide, Ambroise lui dit :
" Vous l’avez imité dans sa faute, imitez-le dans son repentir."
L'empereur reçut ces avis avec une telle gratitude qu'il ne se refusa pas à faire une pénitence publique. Quand il fut réconcilié, il vint à l’église et resta debout au chancel ; Ambroise lui demanda ce qu'il attendait là : l’empereur lui ayant répondu qu'il attendait pour participer aux, saints mystères, Ambroise lui dit :
" Empereur, l’intérieur de l’église est réservé aux prêtres seulement; sortez donc, et attendez les mystères avec les autres; la pourpre vous fait empereur et non pas prêtre."
A l’instant Théodose lui obéit. Revenu à Constantinople, il se tenait hors du chancel, l’évêque alors lui commanda d'entrer, et Théodose répondit :
" J'ai été longtemps à savoir la différence qu'il y a entre un empereur et un évêque; c'est à peine si j'ai trouvé un maître qui m’ait enseigné la vérité, je ne connais au monde de véritable évêque qu'Ambroise."
8. Il fut recommandable par sa saine doctrine qui atteint à une grande profondeur. Saint Jérôme dans son livre sur les Douze Docteurs dit :
" Ambroise plane au-dessus des profondeurs comme un oiseau qui s'élance dans les airs ; c'est dans le ciel qu'il cueille ses fruits."
En parlant de sa fermeté, il ajouta :
" Toutes ses sentences sont des colonnes sur lesquelles s'appuient la foi, l’Eglise et toutes les vertus."
Saint Augustin dit en parlant de la beauté de son style, en son livre des Noces et des Contrats :
" L'hérésiarque Pélage donne ces éloges à saint Ambroise : le saint évêque Ambroise, dont les livres contiennent la doctrine romaine, brilla comme une fleur au milieu des écrivains latins."
Saint Augustin ajoute :
" Sa foi et ses explications très exactes de l’Ecriture n'ont même pas été attaquées par un seul ennemi."
Sa doctrine jouit d'une grande autorité, puisque les écrivains anciens, comme saint Augustin, tenaient grand cas de ses paroles.
A ce propos saint Augustin rapporte à Janvier que sa mère s'étonnait de ce qu'on ne jeunât pas le samedi à Milan, saint Augustin en demanda la raison à saint Ambroise qui lui répondit :
" Quand je vais à Rome, je jeûne le samedi. Eh bien ! quand vous vous trouvez dans une église, suivez ses pratiques, si vous ne voulez scandaliser, ni être scandalisé."
Saint Augustin dit à ce propos :
" Plus je réfléchis sur cet avis, plus je trouve que c'est pour moi comme un oracle du ciel."
Tirées des Menées des Grecs.
" Toi, qui par une double vertu fut l'honneur du trône sur lequel tu siégeais en Préfet, l'inspiration divine te plaça bientôt, fidèle ministre, sur le trône de la Hiérarchie ; c'est pourquoi, intègre administrateur de la puissance, tu as mérité dans ces deux, emplois une double couronne.
Tu as purifié ton corps et ton âme par la continence , les travaux, les veilles et les prières continuelles ; Ô très prudent Pontife, vase d'élection de notre Dieu, semblable aux Apôtres, tu as reçu comme eux les dons de l'Esprit-Saint.
Comme Nathan reprit autrefois David, tu repris le pieux Empereur après son péché ; tu le soumis avec sagesse à l'excommunication ; et l'ayant exhorté à une pénitence digne de Dieu, tu le rappelas parmi ton troupeau.
Ô Père très saint, ô divin Ambroise, lyre résonnante, mélodie salutaire des vrais enseignements, tu attires au Seigneur les âmes des Fidèles. Harpe harmonieuse du divin Paraclet, grand instrument de Dieu, trompette célèbre de l'Eglise, source très limpide, fleuve qui purifie nos âmes de toute passion ; prie, supplie le Christ de donner à l'Eglise une paix unanime et une grande miséricorde.
Imitant le prophète Elie et Jean-Baptiste, tu as repris avec courage les Princes qui se livraient à l'iniquité ; tu as orné le trône hiérarchique auquel tu fus divinement appelé, et tu as enrichi le monde de la multitude de tes miracles ; tu as corroboré les fidèles, et converti les infidèles par l'aliment des saintes Ecritures. Ambroise ! Ô saint Pontife ! Prie Dieu de nous accorder la rémission de nos péchés, à nous qui fêtons avec amour ta sainte mémoire.
Tu as préservé ton troupeau de tout dommage de la part des ennemis, Ô Bienheureux ! Et tu as dissipé l'erreur d'Arius parla splendeur de tes paroles.
L'assemblée des Pontifes se réjouit en ta douce mémoire ; les chœurs des Fidèles, mêlés aux Esprits célestes, tressaillent d'allégresse ; et l'Eglise se nourrit spirituellement en ce jour de ta parole, Ô Ambroise, auguste Père !
Tu es le laboureur habile, qui traces les sillons dans le champ ouvert à tous de la foi et de la doctrine ; tu y sèmes, Ô très sage, tes divines leçons ; et l'épi s'étant multiplié par tes soins, tu distribues à l'Eglise le céleste pain de l'Esprit-Saint.
Rome célèbre tes glorieuses œuvres ; car, ainsi qu'un astre radieux, tu répands partout les clartés de tes prodiges, Ô grand Pontife, vraiment admirable !
T'approchant du Christ dès l'aurore, tu sortais d'auprès de lui richement irradié de ses splendeurs ; c'est pourquoi ayant puisé à la source de la divine lumière, tu illumines ceux qui avec foi t'honorent en tous lieux.
Tu as consacré à Dieu ton corps et ton âme; et ton cœur, Ô Père, capable des célestes dons, tu l'as attaché au doux amour, t'y fixant avec ardeur.
Ayant reçu, Ô très prudent, le talent de la parole, ainsi qu'un serviteur fidèle, tu l'as fait valoir et multiplié ; et tu l'as apporté avec l'intérêt à ton Seigneur, Ô divin Ambroise !
Tu as illustré la tunique sacrée par tes grands travaux, et tu fus, ô très prudent, le pasteur d'un troupeau raisonnable, que tu guidais devant toi aux pâturages de la doctrine."
Recueil patristique. Avranches. XIe.
" Nous vous louerons aussi, tout indignes que nous en sommes, immortel Ambroise ! Nous exalterons les dons magnifiques que le Seigneur a placés en vous. Vous êtes la Lumière de l'Eglise, le Sel de la terre, par votre doctrine céleste ; vous êtes le Pasteur vigilant, le Père tendre, le Pontife invincible : mais combien votre cœur aima le Seigneur Jésus que nous attendons ! Avec quel indomptable courage vous sûtes, au péril de vos jours, vous opposer à ceux qui blasphémaient ce Verbe divin ! Par là, vous avez mérité d'être choisi pour initier, chaque année, le peuple fidèle à la connaissance de Celui qui est son Sauveur et son Chef. Faites donc pénétrer jusqu'à notre œil le rayon de la vérité qui vous éclairait ici-bas ; faites goûter à notre bouche la saveur emmiellée de votre parole ; touchez notre cœur d'un véritable amour pour Jésus qui s'approche d'heure en heure. Obtenez qu'à votre exemple, nous prenions avec force sa cause en main, contre les ennemis de la foi, contre les esprits de ténèbres, contre nous-mêmes. Que tout cède, que tout s'anéantisse, que tout genou ploie, que tout cœur s'avoue vaincu, en présence de Jésus-Christ, Verbe éternel du Père, Fils de Dieu et fils de Marie, notre Rédempteur, notre Juge, notre souverain bien.
Glorieux Ambroise, abaissez-nous comme vous avez abaissé Théodose ; relevez-nous contrits et changés, comme vous le relevâtes dans votre pastorale charité. Priez aussi pour le Sacerdoce catholique, dont vous serez à jamais l'une des plus nobles gloires. Demandez à Dieu, pour les Prêtres et les Pontifes de l'Eglise, cette humble et inflexible vigueur avec laquelle ils doivent résister aux Puissances du siècle, quand elles abusent de l'autorité que Dieu a déposée entre leurs mains. Que leur front, suivant la parole du Seigneur, soit dur comme le diamant ; qu'ils sachent s'opposer comme un mur pour la maison d'Israël ; qu'ils estiment comme un souverain honneur, comme le plus heureux sort, de pouvoir exposer leurs biens, leur repos, leur vie, pour la liberté de l'Epouse du Christ.
Vaillant champion de la vérité, armez-vous de ce fouet vengeur que l'Eglise vous a donné pour attribut ; et chassez loin du troupeau de Jésus-Christ ces restes impurs de l'Arianisme qui, sous divers noms, se montrent encore jusqu'en nos temps. Que nos oreilles ne soient plus attristées par les blasphèmes de ces hommes vains qui osent mesurer à leur taille, juger, absoudre et condamner comme leur semblable le Dieu redoutable qui les a créés, et qui, par un pur motif de dévouement à sa créature, a daigné descendre et se rapprocher de l'homme, au risque d'en être méconnu.
Bannissez de nos esprits, Ô Ambroise, ces timides et imprudentes théories qui font oublier à des chrétiens que Jésus est le Roi de ce monde, et les entraînent à penser qu'une loi humaine qui reconnaît des droits égaux à l'erreur et à la vérité, pourrait bien être le plus haut perfectionnement des sociétés. Obtenez qu'ils comprennent, à votre exemple, que si les droits du Fils de Dieu et de son Eglise peuvent être foulés aux pieds, ils n'en existent pas moins ; que la promiscuité de toutes les religions sous une protection égale est le plus sanglant outrage envers Celui " à qui toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre " ; que les désastres périodiques de la société sont la réponse qu'il fait du haut du ciel aux contempteurs du Droit chrétien, de ce Droit qu'il a acquis en mourant sur la Croix pour les hommes ; qu'enfin, s'il ne dépend pas de nous de relever ce Droit sacré chez les nations qui ont eu le malheur de l'abjurer, notre devoir est de le confesser courageusement, sous peine d'être complices de ceux qui n'ont plus voulu que Jésus régnât sur eux.
Enfin, au milieu de ces ombres qui s'appesantissent sur le monde, consolez, Ô Ambroise, la sainte Eglise qui n'est plus qu'une étrangère, une pèlerine à travers les nations dont elle fut la mère et qui l'ont reniée ; qu'elle cueille encore sur sa route, parmi ses fidèles, les fleurs de la virginité ; qu'elle soit l'aimant des âmes élevées qui comprennent la dignité d'Epouse du Christ. S'il en fut ainsi aux glorieux temps des persécutions qui signalèrent le commencement de son ministère, à notre époque d'humiliations et de défections, qu'il lui soit donné encore de consacrer à son Epoux une élite nombreuse de cœurs purs et généreux, afin que sa fécondité la venge de ceux qui l'ont repoussée comme une mère stérile, et qui sentiront un jour cruellement son absence.
Considérons le dernier préparatif sensible à la venue du Messie sur la terre : la paix universelle. Au bruit des armes le silence a tout à coup succédé, et le monde se recueille dans l'attente.
" Or, nous dit saint Bonaventure dans un de ses Sermons pour l'Avent, nous devons compter trois silences : le premier, au temps de Noé, après que tous les pécheurs furent submergés ; le second, au temps de César Auguste, quand toutes les nations furent soumises ; enfin le troisième qui aura lieu à la mort de l'Antéchrist, quand les Juifs se seront convertis."
Ô Jésus ! Roi pacifique, vous voulez que le monde soit en paix, quand vous allez descendre. Vous l'avez annoncé par le Psalmiste, votre aïeul selon la chair, lorsqu'il a dit en parlant de vous : " Il fera cesser la guerre dans tout l'univers ; il brisera l'arc, il rompra les armes, il jettera au feu les boucliers " (Psaume XLV, 10.). Qu'est-ce à dire tout ceci, Ô Jésus ? C'est que vous aimez à trouver silencieux et attentifs les cœurs que vous visitez.
C'est qu'avant de venir vous-même dans une âme, vous l'agitez dans votre miséricorde, comme fut agité le monde avant cette paix universelle, et bientôt vous l'établissez dans le calme, et vous venez ensuite en prendre possession. Oh ! Venez promptement soumettre nos puissances rebelles, abattre les hauteurs de notre esprit, crucifier notre chair, réveiller la mollesse de notre volonté : afin que votre entrée en nous soit solennelle comme celle d'un conquérant dans une place forte qu'il a réduite après un long siège. Ô Jésus, Prince de la Paix, donnez-nous la paix ; établissez-vous en nos cœurs d'une manière durable, comme vous vous êtes établi dans votre création, au sein de laquelle votre règne n'aura plus de fin."
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