mercredi, 31 juillet 2024
31 juillet. St Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus. 1556.
- Saint Ignace de Loyola, fondateur de l'Ordre des clercs réguliers de la Compagnie de Jésus. 1556.
Pape : Paul IV. Roi de France : Henri II. Roi d'Espagne : Charles Quint (abdique le 16 janvier 1556 et se retire) ; Philippe II.
" Quand nous sacrifions nos intérêt au service de Dieu, Il avance plus nos affaires que nous aurions fait nous-mêmes si nous avions préféré nos intérêts à son service."
Maxime de saint Ignace de Loyola.
" A. M. D. G. "
" Ad Majorem Dei Gloriam "
Devise de la Compagnie de Jésus.
Ignace de Loyola. Ecole espagnole. XVIIe siècle.
Eneko (Iñigo en castillan) est né dans le château de Loyola sur la commune d'Azpeitia, à 25 kilomètres au sud-ouest de Donostia-San Sebastian dans la province de Guipuzcoa, au Pays-Basque en Espagne. Son nom, Iñigo, vient de Saint Enecus (Innicus), père-abbé d'Oña ; le nom Ignatius fut pris plus tard lorsqu'il résidera à Rome en l'honneur de saint Ignace d'Antioche.
Dernier né d'une fratrie de 13 enfants, Ignace grandit au sein d'une famille de la petite noblesse basque, alliée traditionnelle de la maison de Castille. Il a seulement 7 ans quand sa mère, Marina Saenz de Lieona y Balda, meure. Il noue dès lors une relation forte avec son père, don Beltrán Yañez de Oñez y Loyola. Il connaît l'éducation du grand siècle espagnol qui éclot en cette fin du XVe siècle.
En 1506, à l'âge adulte, Ignace devient page de cour, puis gentilhomme et secrétaire au service d'un parent de sa mère, Juan Velázquez de Cuéllar, trésorier (contador mayor) de la Reine de Castille, Isabelle la Catholique. Il mène pendant dix ans une vie de Cour, comme il le dit dans son autobiographie : Jusqu'à la vingt-sixième année de sa vie, il fut un homme adonné aux vanités du monde et principalement il se délectait dans l'exercice des armes. Il se lie avec la princesse Catalina, sœur de Charles Quint, séquestrée par sa mère Jeanne la Folle à Tordesillas.
La Vierge noire du XIIe siècle aux pieds de laquelle
En 1516, la mort de Ferdinand d'Aragon auquel succède Charles Quint entraine le renvoi de Juan Velasquez et donc d'Ignace. En 1517, Ignace entre dans l'armée du vice-roi de Navarre, récemment rattachée au Royaume de Castille (1512). Le 20 mai 1521, alors qu'il a atteint l'âge de trente ans, il se retrouve à défendre la ville de Pampelune contre les troupes franco-navarraises, qui avec l'appui de François Ier, cherchait à récupérer la couronne de Navarre au bénéfice de la famille d'Albret. Submergés par le nombre, les espagnols voulurent se rendre, mais Ignace les exhorte à se battre. Une jambe blessée, l'autre brisée par un boulet de canon, il est ramené à son château et « opéré », mais sa jambe droite restera plus courte de plusieurs centimètres pour le restant de sa vie.
Durant sa convalescence, faute de trouver les célèbres romans de chevalerie du temps, il lit de nombreux livres religieux dont une Vie de Jésus ou la Légende dorée du bienheureux Jacques de Voragine qui narre les faits et gestes de saints. Dans un mélange de ferveur et d'anxiété, il voit en songe lui apparaître " Notre-Dame avec le Saint Enfant Jésus ". Il rejette et abjure " sa vie passée et spécialement les choses de la chair " (autobiographie) et ne songe plus qu'à adopter une vie d'ermite et suivre les préceptes de saint François d'Assise et d'autres grands exemples monastiques. Il se décide à se dévouer entièrement à la conversion des infidèles en Terre Sainte.
Après son rétablissement, il quitte en février 1522 la maison familiale pour rejoindre Jérusalem. Arrivé au monastère bénédictin de Montserrat, il se confesse et passe trois jours en prières. Dans la nuit du 24 mars 1522, dans un geste de rupture avec sa vie ancienne de chevalier, il accroche ses habits militaires et ses armes devant la statue de la Vierge Noire. Vêtu d'un simple tissu, l’home del sac, reprend la route de Barcelone.
Son voyage est dur ; ses blessures sont mal cicatrisées et il pratique une ascèse rigoureuse faite d'abstinences et de mortifications. Il passe plusieurs mois dans une grotte près de la ville de Manresa (Manrèse en français) en Catalogne ou il pratique le plus rigoureux ascétisme. Il mène jusqu'au début de 1523 une vie d'ermite au cours de laquelle il commence la rédaction de ce qui deviendra les Exercices spirituels.
Il prend alors comme « pèlerin de Dieu » la route de la Terre Sainte et le 20 mars 1523, embarque pour l'Italie. Béni à Rome par le pape Adrien VI, il continue son périple jusqu'à Venise, et parvient à Jérusalem ou il ne reste que trois semaines en septembre 1523, avant d'être prié par les frères franciscains de quitter le pays. A nouveau en Italie traversée par les armées espagnoles et françaises, il se retrouve à Venise et se convainc de l'absolue nécessité d'étudier pour enseigner. Après la méthode religieuse mise au jour dans les Exercices, la conviction du rôle des études va être une autre des caractéristiques du futur projet jésuite. Il est de retour à Barcelone en mars 1524.
Saint Ignace de Loyola étudiant. Gravure de Jean Faber d'après un portraît du Titien. La Haye. XVIIIe siècle (pour agrandir : cliquer).
Il consacre les onze années suivantes aux études, plus d'un tiers de ce qu'il lui restait à vivre. Il reprend des cours de base (grammaire et latin) à Barcelone, et dès 1526, il en sait assez pour suivre les cours de philosophie et de théologie à l'université d'Alcalà de Henares. Foyer intellectuel brillant de la Castille, cette université rassemble tous les alumbrado et conversos qui forment le climat spirituel de cette époque. A la fin de 1527, encouragé par Alonso de Fonseca, archevêque de Tolède, il rejoint la plus prestigieuse de toutes : l'université de Salamanque. Mais les attaques vives qu'i subit suite à des incompréhensions principalement, en particulier de la part de l'Inquisition et des dominicains, le décide à se rendre à Paris en février 1528.
Ses progrès dans la compréhension des mécanismes de l'enseignement et sa capacité à dominer intellectuellement y compris plus érudit que lui-même par l'usage du « discernement », le distinguent. Mais sa personnalité rigoureuse et entière et son attitude réformatrice lui créent à nouveau de novelles inimitiés.
A Barcelone, il avait été battu très sévèrement, et son compagnon tué, sur l'instigation de notables vexés de ne plus être admis dans un couvent qu'Ignace avait récemment réformé. A Alcalá, un inquisiteur, le grand vicaire Figueroa, l'avait harassé constamment car il le soupçonnait d'illuminisme, allant jusqu'à l'emprisonner pendant quelques semaines.
A Paris, ses épreuves furent variées, pauvreté, maladie, œuvres de charité, discipline du collège, particulièrement sévère dans celui de Montaigu, ou il résida, car trop pauvre et ignorant avant de rejoindre celui plus « libéral » de Collège Sainte-Barbe. Dans celui-ci, il est accusé publiquement par Diego de Gouvea, recteur du collège, d'enfreindre les règles, mais sa défense convainct et il obtient des excuses publiques.
A l'université de Paris, Ignace est reçu maître ès arts le 13 mars 1533. Pendant ce temps, ayant débuté ses études de théologie, il est licencié en 1534, mais il ne peut être reçu docteur, ses ennuis de santé le conduisant hors de Paris en mars 1535.
En France, Ignace de Loyola regroupe autour de lui des étudiants de qualité et issus d'horizons divers, mais tous unis par une commune dévotion au Souverain Maître et à la très sainte Vierge Marie. Il connaît en particulier au collège Sainte-Barbe, ses deux premiers compagnons qui sont le Savoyard Pierre Favre et le Navarrais Francisco Issu de Aprizcuelta y Xavier, saint François-Xavier ; puis, Diego Lainez et Alonso Salmerón le rallient, connaissant sa réputation depuis Alcalà ; enfin, Nicolás Bobadilla et Simón Rodríguez de Azevedo, un Portugais le rejoignent.
Ignace évolue progressivement sur l'attitude et la discipline qu'il s'impose. Prenant en compte les critiques reçues à Alcalà ou Salamanque sur les pratiques d'extrême pauvreté et de mortification qu'il s'appliquait et qui lui avait attiré des soupçons voire des inimitiés (comme en d'autres temps certains disciples de saint François d'Assise qui avait versé ou risqué de verser dans les mêmes excès), il s'adapte à la vie dans la cité, en dirigeant les efforts de tous vers les études et les exercices spirituels. Le lien devint très fort avec ses compagnons unis dans le grand idéal de vivre en Terre Sainte, la même vie que le Christ.
Le 15 août 1534, à l'issue de la messe célébrée à Montmartre dans la crypte Notre-Dame par Pierre Favre, ordonné prêtre trois mois auparavant, les sept prononcent les deux vœux de pauvreté et chasteté et le troisième de se rendre dans les deux ans à Jérusalem pour y convertir les infidèles, à la fin de leurs études.
Ils sont bientôt rejoints par Claude Le Jay, un autre Savoyard de Genève, et deux Français, Jean Codure et Paschase Broët. Unis par le charisme d'Ignace, les nouveaux amis décident de ne plus se séparer.
Après avoir quitté Paris, il se rend six mois en Espagne puis à Bologne, où incapable de se remettre aux études, il se consacre à des œuvres de charité attendant que ses 10 compagnons rejoignent Venise (6 janvier 1537) sur la route de Jérusalem. Mais la guerre avec les Turcs les empêchent de poursuivre.
Ils décident alors de reporter d'un an leur engagement, après quoi ils se mettront à disposition du pape. Ignace de Loyola, comme la plupart de ses compagnons est ordonné prêtre à Venise le 24 juin 1537. Ils partent ensuite deux à deux dans des villes universitaires voisines, Ignace avec Pierre Favre et Laynez prennent en octobre 1537 la route de Rome. Ignace, en vue de la ville, à la Storta, a une vision de Dieu s'adressant à lui après l'avoir placé aux côtés du Christ : « Je vous serai propice à Rome ».
Le pape Paul III.
A Rome, capitale des États pontificaux, Alexandre Farnèse venait en 1534 d'être élu pape, sous le nom de Paul III. Il règne sur une capitale en crise, à peine remise du sac de Rome par les troupes de l'empereur en 1527, en butte à la corruption généralisée et siège d'une église en crise, profondément ébranlée par la fulgurante progression de la Réforme.
Paul III semble rapidement voir tout le profit à tirer de cette nouvelle société de prêtres savants, rigoureux et intègres et animés d'un feu missionnaire incontestable. En novembre 1538, Paul III, après de nombreux contacts avec Lainez, reçoit Ignace et ses compagnons venus faire leur « oblation » au pape. Celui-ci leur ordonne de travailler à Rome qui sera leur Jérusalem. Dès lors, s'ébauche la Compagnie de Jésus ou Ordre des jésuites.
Saint Ignace. Soucoupe d'un service à thé. Jingdezhen.
De mars à juin 1539, selon les minutes rédigées par Pierre Favre, ils débattent de la forme à donner à leur action, devoir d'obéissance, cohésion du groupe alors que l'activité missionnaire disperse les jésuites, rôle dans l'éducation…
En août 1539, Ignace, Codure et Favre rédigent la prima Societatis Jesu instituti summa, esquisse des constitutions de la Compagnie avec quelques points forts : l'obéissance à un Préposé général et l'exaltation de la pauvreté entre autres.
Malgré quelques oppositions à la Curie, la création de la Compagnie de Jésus est acceptée par le pape Paul III le 27 septembre 1540, dans sa bulle Regimini militantis ecclesiae, qui reprend la formula instituti tout en limitant le nombre de profès à soixante.
Saint Ignace recevant saint François Borgia. Détail.
Le 22 avril 1541, Ignace est élu, en dépit de ses réticences, premier supérieur général de la Compagnie de Jésus puis il fait avec ses compagnons, sa profession dans la basilique Saint-Paul-hors-les-murs. L'Ordre est dès lors constitué.
Ignace est chargé en 1541 de mettre au point les règles d'organisation de la nouvelle compagnie, les fameuses Constitutions, mais il ne démarre pas les travaux en fait avant 1547, introduisant progressivement des coutumes, destinées à se transformer à terme en lois. En 1547, Juan de Polanco devient son secrétaire, et avec son aide, il réalise un premier jet des Constitutions entre 1547 et 1550, tout en sollicitant simultanément l'approbation pontificale de réaliser une nouvelle édition de la Formula Instituti. Jules III l'acceptera dans la bulle Exposcit debitum, le 21 juillet 1550.
En parallèle, un nombre important de pères révisèrent le premier texte, mais bien que ne proposant que peu de changements, la version suivante réalisée par Ignace en 1552 était assez différente. Cette version fut publiée et pris force de loi dans la Compagnie. Des amendements légers furent jusqu'à sa mort introduits par Ignace.
Tombeau de saint Ignace de Loyola. Basilique du Gésu. Rome.
À sa mort, le 31 juillet 1556 à Rome, littéralement épuisé, la Compagnie de Jésus de notre saint et de ses saints compagnons compte plus de mille membres, soixante-douze résidences et soixante-dix-neuf maisons et collèges.
Ignace de Loyola est canonisé le 12 mars 1622, en même temps que saint François-Xavier et sainte Thérèse d'Avila.
PRIERE
" La victoire qui triomphe du monde est notre foi (I Johan. V, 4.). Une fois de plus vous l'avez montré, Ô vous qui fûtes le grand triomphateur du siècle où le Fils de Dieu vous choisit pour relever son drapeau humilié devant l'étendard de Babel. Contre les bataillons sans cesse grossissant des révoltés, vous fûtes longtemps presque seul, laissant au Dieu des armées le soin de choisir son heure pour vous mettre aux prises avec les cohortes de Satan, comme il l'avait choisie pour vous retirer de la milice des hommes. Le monde, instruit alors de vos desseins, n'y eût vu qu'un objet de risée ; et toutefois nul certes aujourd'hui ne saurait le nier : ce fut un moment solennel pour l'histoire du monde, que celui où, pareil dans votre confiance aux plus illustres capitaines concentrant leurs armées, vous donniez ordre à vos neuf compagnons de gagner trois par trois la Ville sainte.
Quels résultats durant les quinze années où cette troupe d'élite, que recrutait l'Esprit-Saint, vous eut à sa tête comme premier Général ! L'hérésie refoulée d'Italie, confondue à Trente, enrayée partout, immobilisée jusqu'en son foyer même ; d'immenses conquêtes sur des terres nouvelles, réparant les pertes subies dans notre Occident ; Sion elle-même rajeunissant sa beauté, relevée dans son peuple et ses pasteurs, assurée pour ses fils d'une éducation répondant à leurs célestes destinées : sur toute la ligne enfin où il avait imprudemment crié victoire, Satan rugissant, dompté à nouveau par ce nom de Jésus qui fait fléchir tout genou dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (Philip. II, 10.) ! Quelle gloire pour vous, Ô Ignace, eût jamais égalé celle-là dans les armées des rois de la terre ?
Du trône que vous avez conquis par tant de hauts faits, veillez sur ces fruits de vos œuvres, et montrez-vous toujours le soldat de Dieu. Au travers des contradictions qui ne leur manquèrent jamais, soutenez vos fils au poste d'honneur et de vaillance qui fait d'eux les sentinelles avancées de l'Eglise. Qu'ils soient fidèles à l'esprit de leur glorieux Père, " ayant sans cesse devant les yeux : premièrement Dieu ; ensuite, comme une voie qui conduit à lui, la forme de leur institut, consacrant tout ce qu'ils ont de forces à atteinte dre ce but que Dieu leur marque ; chacun pourtant suivant la mesure de la grâce qu'il a reçue de l'Esprit-Saint et le degré propre de sa vocation ". (Litt. apost. Primae Instituti approbationis, Pauli III, Regimini militantis.).
Enfin, Ô chef d'une si noble descendance, étendez votre amour à toutes les familles religieuses, dont le sort en face de .la persécution est devenu si étroitement solidaire aujourd'hui de celui de la vôtre ; bénissez spécialement l'Ordre monastique qui protégea de ses antiques rameaux vos premiers pas dans la vie parfaite, et la naissance de l'illustre Compagnie qui sera votre couronne immortelle dans les cieux. Ayez pitié de la France, de ce Paris dont l'université vous fournit les assises de l'inébranlable édifice élevé par vous à la gloire du Très-Haut. Que tout chrétien apprenne de vous à militer pour le Seigneur, à ne jamais renier son drapeau ; que tout homme, sous votre conduite, revienne à Dieu son principe et sa fin."
Rq : On peut lire en ligne ou télécharger les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.
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vendredi, 28 juin 2024
28 juin. Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
- Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
Pape : Saint Zéphirin. Empereur romain : Septime Sévère.
" Irénée, successeur du martyr saint Pothin, donné pour évêque à la ville de Lyon par saint Polycarpe, m'apparaît avec une brillante auréole de vertus."
Saint Grégoire de Tours.
" Ô Bon Dieu, pour quels temps m'as-tu réservé, faut-il que je supporte de telles choses !"
Saint Polycarpe.
Saint Irénée. Fresque d'Auguste Cornu.
L'Eglise de Lyon présente à la reconnaissante admiration du monde, en ce jour où l'on fête saint Léon II pape, son grand docteur, le pacifique et vaillant Irénée, lumière de l'Occident (Theodoret. Haeretic. fabul. I, 5.). A cette date qui le vit confirmer dans son sang la doctrine qu'il avait prêchée, il est bon de l'écouter rendant à l'Eglise-mère le témoignage célèbre qui, jusqu'à nos temps, a désespéré l'hérésie et confondu l'enfer ; c'est pour une instruction si propre à préparer nos cœurs aux gloires du lendemain, que l'éternelle Sagesse a voulu fixer aujourd'hui son triomphe. Entendons l'élève de Polycarpe, l'auditeur zélé des disciples des Apôtres, celui que sa science et ses pérégrinations, depuis la brillante Ionie jusqu'au pays des Celtes, ont rendu le témoin le plus autorisé de la foi des Eglises au second siècle. Toutes ces Eglises, nous dit l'évêque de Lyon, s'inclinent devant Rome la maîtresse et la mère.
" Car c'est avec elle, à cause de sa principauté supérieure, qu'il faut que s'accordent les autres ; c'est en elle que les fidèles qui sont en tous lieux, gardent toujours pure la foi qui leur fut prêchée. Grande et vénérable par son antiquité entre toutes, connue de tous, fondée par Pierre et Paul les deux plus glorieux des Apôtres, ses évêques sont, par leur succession, le canal qui transmet jusqu'à nous dans son intégrité la tradition apostolique : de telle sorte que quiconque diffère d'elle en sa croyance, est confondu par le seul fait." (Cont. Haeres. III, III, 2.).
La pierre qui porte l'Eglise était dès lors inébranlable aux efforts de la fausse science. Et pourtant ce n'était pas une attaque sans périls que celle de la Gnose, hérésie multiple, aux trames ourdies, dans un étrange accord, par les puissances les plus opposées de l'abîme. On eût dit que, pour éprouver le fondement qu'il avait posé, le Christ avait permis à l'enfer d'essayer contre lui l'assaut simultané de toutes les erreurs qui se divisaient alors le monde, ou même devaient plus tard se partager les siècles. Simon le Mage, engagé par Satan dans les filets des sciences occultes, fut choisi pour lieutenant du prince des ténèbres dans cette entreprise. Démasqué à Samarie par le vicaire de l'Homme-Dieu, il avait commencé, contre Simon Pierre, une lutte jalouse qui ne se termina point à la mort tragique du père des hérésies, mais continua plus vive encore dans le siècle suivant, grâce aux disciples qu'il s'était formés.
Saturnin, Basilide, Valentin ne firent qu'appliquer les données du maître, en les diversifiant selon les instincts que faisait naître autour d'eux la corruption de l'esprit ou du cœur. Procédé d'autant plus avouable, que la prétention du Mage avait été de sceller l'alliance des philosophies, des religions, des aspirations les plus contradictoires de l'humanité. Il n'était point d'aberrations, depuis le dualisme persan, l'idéalisme hindou, jusqu'à la cabale juive et au polythéisme grec, qui ne se donnassent la main dans le sanctuaire réservé de la Gnose ; là, déjà, se voyaient formulées les hétérodoxes conceptions d'Arius et d'Eutychès ; là par avance prenaient mouvement et vie, dans un roman panthéistique étrange, les plus bizarres des rêves creux de la métaphysique allemande. Dieu abîme, roulant de chute en chute jusqu'à la matière, pour prendre conscience de lui-même dans l'humanité et retourner par l'anéantissement au silence éternel : c'était tout le dogme de la Gnose, engendrant pour morale un composé de mystique transcendante et de pratiques impures, posant en politique les bases du communisme et du nihilisme modernes.
Combien ce spectacle de la Babel gnostique, élevant ses matériaux incohérents sur les eaux de l'orgueil ou des passions immondes, était de nature à faire ressortir l'admirable unité présidant aux accroissements de la cité sainte ! Saint Irénée, choisi de Dieu pour opposer à la Gnose les arguments de sa puissante logique et rétablir contre elle le sens véritable des Ecritures, excellait plus encore, quand, en face des mille sectes portant si ouvertement la marque du père de la division et du mensonge, il montrait l'Eglise gardant pieusement dans l'univers entier la tradition reçue des Apôtres. La foi à la Trinité sainte gouvernant ce monde qui est son ouvrage , au mystère de justice et de miséricorde qui, délaissant les anges tombés, a relevé jusqu'à notre chair en Jésus le bien-aimé, fils de Marie, notre Dieu, notre Sauveur et Roi : tel était le dépôt que Pierre et Paul, que les Apôtres et leurs disciples avaient confié au monde (Cont. Haeres. I, X, 1.).
Eglise Saint-Irénée telle qu'elle fut laissée après avoir été
" L'Eglise donc, constate saint Irénée dans son pieux et docte enthousiasme, l'Eglise ayant reçu cette foi la garde diligemment, faisant comme une maison unique de la terre où elle vit dispersée : ensemble elle croit, d'une seule âme, d'un seul cœur ; d'une même voix elle prêche, enseigne, transmet la doctrine, comme n'ayant qu'une seule bouche. Car, encore bien que dans le monde les idiomes soient divers, cela pourtant n'empêche point que la tradition demeure une en sa sève. Les églises fondées dans la Germanie, chez les Ibères ou les Celtes, ne croient point autrement, n'enseignent point autrement que les églises de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ou celles qui sont établies au centre du monde. Mais comme le soleil, créature de Dieu, est le même et demeure un dans l'univers entier : ainsi l'enseignement de la vérité resplendit, illuminant tout homme qui veut parvenir à la connaissance du vrai. Que les chefs des églises soient inégaux dans l'art de bien dire, la tradition n'en est point modifiée : celui qui l'expose éloquemment ne saurait l'accroître ; celui qui parle avec moins d'abondance ne la diminue pas." (Cont. Haeres. I, X, 2.).
Unité sainte, foi précieuse déposée comme un ferment d'éternelle jeunesse en nos cœurs, ceux-là ne vous connaissent point qui se détournent de l'Eglise. S'éloignant d'elle , ils perdent Jésus et tous ses dons.
" Car où est l'Eglise, là est l'Esprit de Dieu ; et où se trouve l'Esprit de Dieu, là est l'Eglise et toute grâce. Infortunés qui s'en séparent, ils ne puisent point la vie aux mamelles nourrissantes où les appelait leur mère, ils n'étanchent point leur soif à la très pure fontaine du corps du Sauveur ; mais, loin de la pierre unique, ils s'abreuvent à la boue des citernes creusées dans le limon fétide où ne séjourne point l'eau de la vérité." (Cont. Haeres. III, XXIV, 1-2.).
Sophistes pleins de formules et vides du vrai, que leur servira leur science ?
" Oh ! Combien, s'écrie l'évêque de Lyon dans un élan dont l'auteur de l’Imitation semblera s'inspirer plus tard (De Imitatione Christi, L. 1, cap. 1-5.), combien meilleur il est d'être ignorant ou de peu de science, et d'approcher de Dieu par l'amour ! Quelle utilité de savoir, de passer pour avoir beaucoup appris, et d'être ennemi de son Seigneur ? Et c'est pourquoi Paul s'écriait : La science enfle, mais la charité édifie (I Cor. VIII, 1.). Non qu'il réprouvât la vraie science de Dieu : autrement, il se fût condamné lui-même le premier ; mais il voyait que quelques-uns, s'élevant sous prétexte de science, ne savaient plus aimer. Oui certes, pourtant, mieux vaut ne rien du tout savoir, ignorer les raisons des choses, et croire à Dieu et posséder la charité. Evitons la vaine enflure qui nous ferait déchoir de l'amour, vie de nos âmes ; que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, crucifié pour nous, soit toute notre science." (Cont. Haeres. II, XXVI, 1.).
Plutôt que de relever ici, à la suite d'illustres auteurs, le génie de l'éminent controversiste du second siècle, il nous plaît de citer de ces traits qui nous font entrer dans sa grande âme, et nous révèlent sa sainteté si aimante et si douce.
" Quand viendra l'Epoux, dit-il encore des malheureux qu'il voudrait ramener, ce n'est pas leur science qui tiendra leur lampe allumée, et ils se trouveront exclus de la chambre nuptiale." (Ibid. XXVII, 2.).
En maints endroits, au milieu de l'argumentation la plus serrée, celui qu'on pourrait appeler le petit-fils du disciple bien-aimé trahit son cœur ; il montre sur les traces d'Abraham la voie qui conduit à l'Epoux : sa bouche alors redit sans fin le nom qui remplit ses pensées. Nous reconnaîtrons, dans ces paroles émues, l'apôtre qui avait quitté famille et patrie pour avancer le règne du Verbe en notre terre des Gaules :
" Abraham fit bien d'abandonner sa parenté terrestre pour suivre le Verbe de Dieu, de s'exiler avec le Verbe pour vivre avec lui. Les Apôtres rirent bien, pour suivre le Verbe de Dieu, d'abandonner leur barque et leur père. Nous aussi, qui avons la même foi qu'Abraham, nous faisons bien, portant la croix comme Isaac le bois, de marcher à sa suite. En Abraham l'humanité connut qu'elle pouvait suivre le Verbe de Dieu, et elle affermit ses pas dans cette voie bienheureuse (Cont. Haeres. IV, V, 3, 4.). Le Verbe, lui, cependant, disposait l'homme aux mystères divins par des figures éclairant l'avenir (Ibid. XX, II.). Moïse épousait l'Ethiopienne, rendue ainsi fille d'Israël : et par ces noces de Moïse les noces du Verbe étaient montrées, et par cette Ethiopienne était signifiée l'Eglise sortie des gentils (Ibid. 12.) ; en attendant le jour où le Verbe lui-même viendrait laver de ses mains, au banquet de la Cène, les souillures des filles de Sion (Ibid. XXII, 1.). Car il faut que le temple soit pur, où l'Epoux et l'Epouse goûteront les délices de l'Esprit de Dieu ; et comme l'Epouse ne peut elle-même prendre un Epoux, mais doit attendre qu'elle soit recherchée : ainsi cette chair ne peut monter seule à la magnificence du trône divin ; mais quand l'Epoux viendra, il l'élèvera, elle le possédera moins qu'elle ne sera possédée par lui (Cont. Haeres. V, IX, 4.). Le Verbe fait chair se l'assimilera pleinement, et la rendra précieuse au Père par cette conformité avec son Verbe visible (Ibid. XVI, 2.). Et alors se consommera l'union à Dieu dans l'amour. L'union divine est vie et lumière; elle donne la jouissance de tous les biens qui sont à Dieu ; elle est éternelle de soi, comme ces biens eux-mêmes. Malheur à ceux qui s'en éloignent : leur châtiment vient moins de Dieu que d'eux-mêmes et du libre choix par lequel, se détournant de Dieu, ils ont perdu tous les biens." (Ibid. XXVII, 2.).
Saint Polycarpe. Mosaïque. Basilique Saint-Apollinaire. Ravenne. VIe.
La perte de la foi étant, de toutes les causes de l'éloignement de Dieu, la plus radicale et la plus profonde, on ne doit pas s'étonner de l'horreur qu'inspirait l'hérésie, dans ces temps où l'union à Dieu était le trésor qu'ambitionnaient toutes les conditions et tous les âges. Le nom d'Irénée signifie la paix ; et, justifiant ce beau nom, sa condescendante charité amena un jour le Pontife Romain à déposer ses foudres dans la question, pourtant si grave, de la célébration de la Pâque. Néanmoins, c'est Irénée qui nous rapporte de Polycarpe son maître, qu'ayant rencontré Marcion l'hérétique, sur sa demande s'il le connaissait, il lui répondit :
" Je te reconnais pour le premier-né de Satan." (Ibid. III, 4.).
C'est lui encore de qui nous tenons que l'apôtre saint Jean s'enfuit précipitamment d'un édifice public, à la vue de Cérinthe qui s'y trouvait, de peur, disait-il, que la présence de cet ennemi de la vérité ne fît écrouler les murailles :
" Tant, remarque l'évêque de Lyon, les Apôtres et leurs disciples avaient crainte de communiquer, même en parole, avec quelqu'un de ceux qui altéraient la vérité." (Cont. Hœres. III, III,4.).
Celui que les compagnons de Pothin et de Blandine nommaient dans leur prison le zélateur du Testament du Christ (Ep. Martyr. Lugdun. et Vienn. ad Eleuther. Pap.), était, sur ce point comme en tous les autres, le digne héritier de Jean et de Polycarpe. Loin d'en souffrir, son cœur, comme celui de ses maîtres vénérés, puisait dans cette pureté de l'intelligence la tendresse infinie dont il faisait preuve envers les égarés qu'il espérait sauver encore. Quoi de plus touchant que la lettre écrite par Irénée à l'un de ces malheureux, que le mirage des nouvelles doctrines entraînait au gouffre :
" Ô Florinus, cet enseignement n'est point celui que vous ont transmis nos anciens, les disciples des Apôtres. Je vous ai vu autrefois près de Polycarpe ; vous brilliez à la cour, et n'en cherchiez pas moins à lui plaire. Je n'étais qu'un enfant, mais je me souviens mieux des choses d'alors que des événements arrivés hier ; les souvenirs de l'enfance font comme partie de l'âme, en effet ; ils grandissent avec elle. Je pourrais dire encore l'endroit où le bienheureux Polycarpe s'asseyait pour nous entretenir, sa démarche, son abord, son genre de vie, tous ses traits, les discours enfin qu'il faisait à la multitude. Vous vous rappelez comment il nous racontait ses relations avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur, avec quelle fidélité de mémoire il redisait leurs paroles ; ce qu'il en avait appris touchant le Seigneur, ses miracles, sa doctrine, Polycarpe nous le transmettait comme le tenant de ceux-là mêmes qui avaient vu de leurs yeux le Verbe de vie ; et tout, dans ce qu'il nous disait, était conforme aux Ecritures. Quelle grâce de Dieu que ces entretiens ! j'écoutais avidement, transcrivant tout, non sur le parchemin, mais dans mon cœur ; et à l'heure qu'il est, parla même grâce de Dieu, j'en vis toujours. Aussi puis-je l'attester devant Dieu : si le bienheureux, l'apostolique vieillard, eût entendu des discours tels que les vôtres, il eût poussé un grand cri, et se serait bouché les oreilles, en disant selon sa coutume :
" Ô Dieu très bon, à quels temps m'avez-vous réservé !" Et il se fût levé aussitôt pour fuir ce lieu de blasphème." (Ep. ad Florinum.).
Au 2 juin, nous fêtions les saints martyrs de Lyon, saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons, immolés en 177. Les survivants, émus du trouble que suscitait le mouvement prophétique montaniste (1), né en Asie Mineure, envoyèrent des lettres aux Eglises d'Asie et de Phrygie (2), et au pape Eleuthère.
Ils demandèrent à Irénée d’être leur ambassadeur auprès du Pape ; Irénée était muni de cette recommandation :
" Nous avons chargé de te remettre cette lettre notre frère et compagnon, Irénée, et nous te prions de lui faire bon accueil, comme à un zélateur du testament du Christ. Si nous pensions que le rang crée la justice, nous le présenterions d'abord comme prêtre d'Eglise, car il est cela."
Le nom d'Irénée dérive du mot grec qui veut dire " paix ". Irénée recevait une mission de paix. Il serait toujours agent de liaison, d'union, de paix. A son retour, le vieil évêque Pothin était mort martyr (3), et Irénée fut élu pour lui succéder.
Irénée naquit en Asie proconsulaire , non loin de la ville de Smyrne. Il s'était mis dès son enfance à l'école de Polycarpe , disciple de saint Jean l'Evangéliste et évêque de Smyrne. Sous un si excellent maître, il fit des progrès merveilleux dans la science de la religion et la pratique des vertus chrétiennes. Il était embrasé d'un incroyable désir d'apprendre les doctrines qu'avaient reçues en dépôt tous les disciples des Apôtres ; aussi, quoique déjà maître dans les saintes Lettres, lorsque Polycarpe eut été enlevé au ciel dans la gloire du martyre , il entreprit de visiter le plus grand nombre qu'il put de ces anciens , tenant bonne mémoire de tous leurs discours. C'est ainsi que, par la suite, il lui fut possible de les opposer avec avantage aux hérésies. Celles-ci, en effet, s'étendant toujours plus chaque jour, au grand dommage du peuple chrétien, il avait conçu la pensée d'en faire une réfutation soignée et approfondie.
Saint Pothin et saint Irénée. Fresque.
Venu dans les Gaules, il fut attaché comme prêtre à l'église de Lyon par l'évêque saint Pothin, et brilla dans cette charge par le zèle,la parole et la science. Vrai zélateur du testament du Christ, au témoignage des saints martyrs qui combattirent vaillamment pour la foi sous l'empereur Marc-Aurèle, ces généreux athlètes et le clergé de Lyon ne crurent pouvoir remettre en meilleures mains qu'en les siennes l'affaire de la pacification des églises d'Asie, que l'hérésie de Montan avait troublées ; dans cette cause donc qui leur tenait à cœur, ils choisirent Irénée entre tous comme le plus digne , et l'envoyèrent au Pape Eleuthère pour le prier de condamner par sentence Apostolique les nouveaux sectaires, et de mettre ainsi fin aux dissensions.
Le saint évêque Pothin était mort martyr. Irénée lui fut donné pour successeur. Son épiscopat fut si heureux, grâce à la sagesse dont il fit preuve, à sa prière, à ses exemples, qu'on vit bientôt, non seulement la ville de Lyon tout entière , mais encore un grand nombre d'habitants d'autres cités gauloises, renoncer à l'erreur de leurs superstitions et donner leur nom à la milice chrétienne. Cependant une contestation s'était élevée au sujet du jour où l'on devait célébrer la Pâque ; les évêques d'Asie étaient en désaccord avec presque tous leurs autres collègues, et le Pontife Romain, Victor, les avait déjà séparés de la communion des saints ou menaçait de le faire, lorsque Irénée se fit près de lui le respectueux apôtre de la paix : s'appuyant de la conduite des pontifes précédents, il l'amena à ne pas souffrir que tant d'églises fussent arrachées à l'unité catholique, pour un rit qu'elles disaient avoir reçu de leurs pères.
Il écrivit de nombreux ouvrages , qui sont mentionnes par Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. Une grande partie a péri par injure des temps. Mais nous avons toujours ses cinq livres contre les hérésies, composés environ l'an cent quatre-vingt, lorsqu'Eleuthère gouvernait encore l'Eglise. Au troisième livre , l'homme de Dieu, instruit par ceux qui furent sans conteste les disciples des Apôtres, rend à l'église Romaine et à la succession de ses évêques un témoignage éclatant et grave entre tous : elle est pour lui la fidèle, perpétuelle et très sûre gardienne de la divine tradition. Et c'est, dit-il, avec cette église qu'il faut que toute église, c’est-à-dire les fidèles qui sont en tous lieux, se tiennent d'accord à cause de sa principauté supérieure. Enfin il fut couronné du martyre, avec une multitude presque innombrable d'autres qu'il avait amenés lui-même a la connaissance et pratique de la vraie foi ; son passage au ciel eut lieu l'an deux cent deux ; en ce temps-là, Septime Sévère Auguste avait ordonné de condamner aux plus cruels supplices et à la mort, tous ceux qui voudraient persévérer avec constance dans la pratique de la religion chrétienne.
Martyre de saint Irénée et de ses compagnons.
L’esprit d’Irénée, formé à l'admiration " des témoins du Verbe de vie ", avait donc reçu à un haut degré le culte de la tradition. On comprend que les nouveautés gnostiques aient trouvé en lui un adversaire implacable et toujours victorieux. La gnose (ce mot grec signifie science, connaissance) prétendait offrir à une élite des connaissances supérieures sur Dieu et l'univers. Le passage difficile de l'infini au fini se faisait dans ce système grâce à des émanations d'êtres intermédiaires, les éons, dont les accouplements étranges faisaient revivre les théogonies mythologiques.
Saint Irénée écrivit contre la gnose (4) " La réfutation de la fausse science " qu'on appelle aussi " Adversus hœreses " (Contre les hérésies). Il s'excusait de son mauvais style grec :
" Nous vivons chez les Celtes, et dans notre action auprès d'eux, usons souvent de la langue barbare."
Mais le contact avec ces barbares, qui portaient, gravé dans leur cœur le message du salut, était salutaire. Pour vaincre les novateurs, il suffisait presque de révéler leurs doctrines. L'emploi de l'ironie, à propos de tous ces enfantements d'éons, eût été facile. Mais Irénée cherchait surtout à convertir les gnostiques :
" De toute notre âme, nous leur tendons la main, et nous ne nous lasserons pas de le faire."
En face des rêveries morbides de ses adversaires, comme sa théologie apparaît simple, saine et optimiste :
" Le Verbe de Dieu, poussé par l'immense amour qu'il vous portait, s'est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu'il est lui-même."
Gravure du XVIIe.
Sans négliger la théologie rationnelle, Irénée a exposé avec bonheur l'argument de la tradition :
" La tradition des apôtres est manifeste dans le monde entier : il n'y a qu'à la contempler dans toute église, pour quiconque veut voir la vérité. Nous pouvons énumérer les évêques qui ont été institués par les apôtres, et leurs successeurs jusqu'à nous : ils n'ont rien enseigné, rien connu qui ressemblât à ces folies. Car si les apôtres avaient connu des mystères cachés dont ils auraient instruit les parfaits, en dehors et à l'insu du reste (des chrétiens), c'est surtout à ceux auxquels ils confiaient les Églises qu'ils les auraient communiqués. Ils exigeaient la perfection absolue, irréprochable, de ceux qui leur succédaient et auxquels ils confiaient, à leur place, la charge d'enseigner... Il serait trop long... d'énumérer les successeurs des apôtres dans toutes les Églises ; nous ne nous occuperons que de la plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ; nous montrerons que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous, par des successions régulières d'évêques... C'est avec cette Église, en raison de l'autorité de son origine, que doit être d'accord toute Eglise, c'est-à-dire tous les fidèles venus de partout ; et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition apostolique." (St Ir. Adversus hœreses, III, III, 1-2.)
Irénée a écrit aussi un petit livre, " Démonstration de la prédication apostolique ". Il était perdu. On l'a découvert en 1904, dans une traduction arménienne. Dans la controverse sur la date de Pâques, Irénée penchait pour l'usage de l'Asie, qui fêtait la résurrection du Christ le dimanche, et non un autre jour. Mais il tenait aussi à sauvegarder la charité, la tolérance. Il essayait de retenir le pape Victor sur le point d'excommunier les dissidents. Il avait écrit :
" Il n'y a pas de Dieu sans bonté."
Nécropole Saint-Irénée. Lyon.
Avec le martyrologe hiéronymien, saint Grégoire de Tours et les anciens bollandistes (Tillemont, Ruinart), on peut affirmer qu'il fut martyrisé à l'occasion des fêtes des decennales du règne de Septime-Sévère. Saint Irénée, d'après saint Grégoire de Tours, fut enterré dans la crypte de la basilique Saint-Jean, sous l'autel. A cette basilique, succéda une église Saint-Irénée, qui a donné son nom à un quartier de Lyon (rive droite de la Saône, sud-ouest de l'ancienne cité). En 1562, les bêtes féroces calvinistes dispersèrent les reliques du saint. Un antique calendrier de marbre, retrouvé à Naples, marque la passion d'Irénée au 27 juin.
PRIERE
" Quelle couronne est la vôtre, illustre Pontife ! Les hommes s'avouent impuissants à compter les perles sans prix dont elle est ornée. Car dans l'arène où vous l'avez conquise, un peuple entier luttait avec vous ; et chaque martyr, s'élevant au ciel, proclamait qu'il vous devait sa gloire. Versé vingt-cinq années auparavant, le sang de Blandine et de ses quarante-six compagnons a produit, grâce à vous, plus que le centuple. Votre labeur fit germer du sol empourpré la semence féconde reçue aux premiers jours, et bientôt la petite chrétienté perdue dans la grande ville était devenue la cité même. L'amphithéâtre avait suffi naguère à l'effusion du sang des martyrs ; aujourd'hui le torrent sacré parcourt les rues et les places : jour glorieux, qui fait de Lyon l'émule de Rome et la ville sainte des Gaules !
Rome et Lyon, la mère et la fille, garderont bonne mémoire de l'enseignement qui prépara ce triomphe : c'est aux doctrines appuyées par vous sur la fermeté de la pierre apostolique, que pasteur et troupeau rendent aujourd'hui le grand témoignage. Le temps doit venir, où une assemblée d'évêques courtisans voudra persuader au monde que l'antique terre des Gaules n'a point reçu vos dogmes ; mais le sang versé à flots en ce jour confondra la prétentieuse lâcheté de ces faux témoins. Dieu suscitera la tempête, et elle renversera le boisseau sous lequel, faute de pouvoir l'éteindre, on aura dissimulé pour un temps la lumière ; et cette lumière, que vous aviez placée sur le chandelier, illuminera tous ceux qui habitent la maison (Matth. V, 15.).
Les fils de ceux qui moururent avec vous sont demeurés fidèles à Jésus-Christ ; avec Marie dont vous exposiez si pleinement le rôle à leurs pères (Cont. Haeres. V, XIX.), avec le Précurseur de l'Homme-Dieu qui partage aussi leur amour, protégez-les contre tout fléau du corps et de l'âme. Epargnez à la France, repoussez d'elle, une seconde fois, l'invasion de la fausse philosophie qui a tenté de rajeunir en nos jours les données de la Gnose. Faites de nouveau briller la vérité aux yeux de tant d'hommes que l'hérésie, sous ses formes multiples, tient séparés de l'unique bercail. O Irénée, maintenez les chrétiens dans la seule paix digne de ce nom : gardez purs les intelligences et les cœurs de ceux que l'erreur n'a point encore souillés. En ce moment, préparez-nous tous à célébrer comme il convient les deux glorieux Apôtres Pierre et Paul, et la puissante principauté de la mère des Eglises.
Eglise Saint-Irénée aujourd'hui. Lyon.
NOTES
(1). Montan, prêtre païen converti, qui se mit à prophétiser la fin du monde et à prêcher la pénitence, vers 172, aux confins de la Mysie et de la Phrygie, et envoya des missionnaires dans toute l'Asie Mineure. Il en vint à prétendre être le Paraclet lui-même, venu compléter la révélation du Christ. Montan était mort avant 179. Le Montanisme est donc un mouvement de prophétisme et d'ascétisme. Il conservait à l'origine la foi commune, les Ecritures, l'attachement à l’Eglise, mais sa prétention à incarner la seule véritable Eglise de l'Esprit, comme son prophétisme incontrôlé, amenèrent une vive réaction de l'épiscopat, qui eut pour conséquence la séparation de Montan et de ses partisans d'avec l'Eglise. La propagande montaniste s'étendit dès le deuxième siècle jusqu’en Occident ; en Afrique au troisième siècle, elle entraîna Tertullien. La secte qui survécut plusieurs siècles, n’avait pas encore entièrement disparu au neuvième siècle.
(2). " Lettre des serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères qui sont en Asie et en Phrygie, ayant la même foi et la même espérance de la rédemption."
(3). Le vénérable évêque de Lyon, Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, avait dû être porté jusqu'au tribunal où, interrogé par le légat sur ce qu'était le Dieu des chrétiens, il répondait :
" Tu le connaîtras, si tu en es digne."
Cette réponse lui valut d'être accablé d'injures, de coups de pieds et de coups de pierres, puis il fut de nouveau jeté en prison où il rendit l'âme quarante-huit heures plus tard.
(4). La gnose (d'un mot grec signifiant connaissance) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s'opposa à la gnose pour les principales raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l'Ancien Testament ; elle évacuait l'attente chrétienne de l'accomplissement eschatologique.
Rq : On lira et méditera Le traité contre les hérésies, lequel, faut-il insister, n'a rien perdu de son actualité, en particulier quant à la gnose, cette putréfaction intellectuelle, à l'origine d'un nombre effrayant d'hérésies :
http://www.jesusmarie.com/irenee_de_lyon.html
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vendredi, 10 mai 2024
10 mai. Saint Isidore le Laboureur, patron de la ville de Madrid et des laboureurs. 1170.
" Le vrai agriculteur n'oublie point Dieu au milieu de son travail, car il attend plus de Dieu que de son travail, suivant cette parole de l'écriture : planter n'est rien, arroser n'est rien : le tout est de faire pousser, et c'est Dieu seul qui en a le pouvoir."
Saint Basile le Grand.
Statue de saint Isidore qui est portée
Saint Isidore (en espagnol san Isidro Labrador) naquit à Madrid, en Espagne, de parents très pauvres qui ne purent le faire étudier, mais lui apprirent à aimer Dieu et à détester le péché. L'enfant devint bientôt très habile dans cette science, la meilleure de toutes. Quand il fut en âge de travailler, il se plaça comme laboureur chez un riche habitant de la ville, nommé Jean de Vargas.
Saint Isidore le Laboureur et son épouse sainte Marie de la Cabeza.
Plus tard, il épousa une femme aussi pauvre et aussi vertueuse que lui, Marie, elle aussi objet d'un culte public, et il eut un enfant auquel il enseigna le service de Dieu. Un jour, cet enfant tomba dans un puits ; ses parents, désolés, adressèrent au Ciel de si ferventes prières, que l'eau du puits s'élevant jusqu'en haut, y apporta cet enfant plein de vie et de santé. En reconnaissance, les deux époux se séparèrent et vouèrent à Dieu une continence perpétuelle.
Quoique occupé du grossier travail de mener la charrue, saint Isidore n'en avait pas moins des heures fixes et réglées pour ses exercices de piété. Les jours ordinaires, après avoir passé une partie de la nuit en oraison, il se levait de grand matin et s'en allait visiter les principales églises de Madrid ; les jours de fête étaient entièrement consacrés à suivre les offices et à prier.
Corrado Giaquinto. Escorial. XVIIIe.
Fontaine miraculeuse de saint Isidore. Madrid.
Saint Isidore était pauvre, et cependant il trouvait le moyen de se montrer libéral envers les indigents ; il partageait avec eux son dîner, et un jour qu'il avait tout donné, il pria sa femme d'aller voir s'il ne restait pas quelque chose : celle-ci trouva le plat qui venait d'être vidé, aussi plein que si personne n'y eût touché. Une autre fois, il avait été invité à un dîner de confrérie, et ses dévotions le retinrent si longtemps, qu'il arriva quand tout était fini.
Une multitude de pauvres le suivaient comptant sur ses restes. Les confrères lui dirent, d'assez mauvaise humeur, qu'on lui avait gardé sa part, mais qu'il n'y avait rien pour les mendiants.
" C'est assez, répondit-il, cela suffira pour moi et pour les pauvres de Jésus-Christ."
En effet, on trouva un repas entier là où on n'avait mis de côté que quelques morceaux.
Restes de l'ermitage de saint Marie de la Cabeza.
La femme de saint Isidore, de son côté, donnait des marques d'une sainteté aussi grande que celle de son mari. Elle aussi faisait des miracles. Retirée dans un petit héritage, près de l'ermitage de Caraquiz, elle avait à traverser une rivière pour se rendre à une église de la Sainte Vierge qu'elle fréquentait assidûment. Un jour, elle trouva cette rivière débordée, et, avec une entière confiance dans la puissance de Dieu, elle détacha son tablier, l'étendit sur les eaux, et, à l'aide de cette barque d'un nouveau genre, passa tranquillement à l'autre bord.
Saint Isidore mourut avant son épouse - laquelle s'était retirée dans un ermitage à quelques lieues de Madrid -, en 1170, et on l'enterra sous une gouttière, dans le cimetière de Saint-André, où il fut oublié quarante ans. Alors le Saint apparut à une dame vertueuse pour la presser de procurer l'élévation et la translation de son corps. Quand on l'eut retiré de terre, il fut trouvé aussi frais et aussi sain que s'il venait de mourir ; un parfum de délicieuse odeur embauma les airs, et toutes les cloches sonnèrent d'elles-mêmes.
Saint Isidore le Laboureur. Eglise Saint-Pierre-aux-Liens.
L'église de Saint-André fut choisie pour recevoir ses saintes reliques ; on y vit un grand concours de peuple ; de nombreux miracles s'opérèrent et firent croître et grandir la dévotion à saint Isidore. Une procession fameuse se fait chaque année à Madrid où l'on porte le corps incorrompu de saint Isidore par toute la ville.
Procession de Saint-Isidore à Madrid.
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vendredi, 03 mai 2024
3 mai. Invention de la Sainte Croix. 326.
- Invention de la Sainte Croix. 326.
Pape : Saint Sylvestre Ier. Empereur : Constantin.
" Le signe de la Croix apparaîtra dans le ciel, lorsque le Seigneur viendra juger. Alors seront révélés les secrets des coeurs."
Brév. rom., 3 mai, 8e resp. du 2e nocturne.
" Stat Crux dum volvitur orbis."
Saint Bruno. Devise de l'ordre des Chartreux qu'il fonda.
Constantin et sainte Hélène autour de la vraie Croix
L'empereur Constantin, vainqueur par la Croix, lui rendait tous les honneurs dus à ce signe sacré du salut des hommes. Sa mère, sainte Hélène, ne le cédait en rien à la piété de son fils. Inspirée par un mouvement d'en Haut, elle résolut, malgré son grand âge de près de quatre-vingts ans, de visiter les Lieux Saints et de chercher le bois salutaire sur lequel le Sauveur avait répandu Son sang.
L'entreprise ne manquait pas de difficultés ; les païens avaient visé à transformer les lieux à jamais vénérables, témoins de la mort de Jésus-Christ, en y établissant le culte de Vénus et de Jupiter.
Hélène ne se laissa point décourager.
Elle dut d'abord interroger plusieurs Juifs pour identifier les endroits où il se pouvait que les instruments du Supplice eussent été dissimulés ; elle enleva ensuite les traces détestables du paganisme (elle fit d'ailleurs la même chose au lieu où était la crèche du Sauveur et en celui de la Résurrection, ayant fait ôter du premier l'idole d'Adonis, et du second celle de Jupiter) et fit faire des fouilles au pied du Calvaire avec tant de soin et d'ardeur, que bientôt on découvrait trois croix, avec les clous qui avaient percé les mains et les pieds du Rédempteur et le titre que Pilate avait fait placer au-dessus de Sa tête.
Mais comment reconnaître laquelle de ces trois croix était celle du Sauveur ? L'évêque de Jérusalem eut l'heureuse pensée de les faire transporter chez une dame qui était sur le point de mourir ; l'approche des deux premières croix ne produisit aucun résultat, mais dès que la malade eut touché la troisième, elle se trouva guérie. Un autre miracle plus éclatant encore vint confirmer le premier, car un mort qu'on portait en terre ressuscita soudain au contact du bois sacré.
L'impératrice, au comble de la joie, fit bâtir sur le lieu même une magnifique église où fut déposée la plus grande partie de cette Croix ; elle envoya l'autre partie à Constantinople, où Constantin la reçut en triomphe.
Plus tard, le roi des Perses, après avoir pillé Jérusalem, emporta la Croix vénérée ; mais elle fut bientôt reconquise par l'empereur Héraclius. La Croix retrouvée donna lieu à la fête de l'Invention de la Sainte Croix, qui se célèbre le 3 mai ; la Croix reconquise donna lieu à la fête de l'Exaltation de la vraie Croix, qui se célèbre le 14 septembre.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. XVe.
Dès ces époques reculées, la dévotion à la vraie Croix se répandit, avec les précieuses parcelles de l'instrument de notre salut, dans tout l'univers. On suppose même qu'une telle diffusion n'a pu se produire sans une multiplication merveilleuse. C'est ainsi que cet instrument de supplice, autrefois infâme, est devenu un signe de gloire et de triomphe.
Que de fois, depuis l'apparition de la Croix à Constantin, le gage sacré de la Rédemption n'est-il pas miraculeusement apparu à la terre ! La Croix éclate partout à nos yeux, au sommet de nos édifices chrétiens, sur nos voies publiques, sur nos autels, dans nos maisons, sur nos poitrines.
La Croix est la reine du monde.
" Stat Crux dum volvitur orbis !", proclame pour sa part la devise des Chartreux fondés par saint Bruno et dont une traduction pourrait être :
" L'univers entier tourne autour de la Croix qui demeure !"
LE CULTE DE LA VRAIE CROIX EN OCCIDENT
Les fêtes du 3 mai et du 14 septembre. Ces fêtes sont annoncées dans le martyrologe romain de la façon suivante :
- 3 mai, à Jérusalem, l'Invention de la Sainte Croix de Notre-Seigneur, sous l'empereur Constantin.
- 14 septembre, l'Exaltation de la Sainte Croix de Notre Seigneur, quand l'empereur Héraclius, vainqueur du roi Chosroès, la reporta de Perse à Jérusalem.
Si l'on en juge d'après cette rédaction, nous nous trouvons en présence d'un double événemnent dont le plus ancien (IVe siècle) est rattaché à la date du 3 mai, et le plus récent (vers 628) est commémoré au 14 septembre. Est-ce bien ainsi qu'il faut l'entendre, ou n'y a-t-il pas lieu de faire une correction au martyrologe ? La réponse à cette question ressortira de l'étude des origines de ces deux fêtes en Occident.
Héraclius rapporte la vraie Croix à Jérusalem.
1. La fête du 14 septembre est certainement la plus ancienne des deux. De son existence à Rome nous trouvons une mention expresse dans le Liber pontificalis, notice du pape saint Sergius (687 - 701).
" En la sacristie du bienheureux apôtre Pierre, y lisons-nous, se trouve un reliquaire (capsa) où est renfermée une précieuse et considérable portion du bois salutaire de la croix du Sauveur... Au jour de l'Exaltation de la sainte Croix, le peuple Chrétien baise et adore cette relique dans la basilique constantinienne du Saint-Sauveur."
C'est de cette notice que se sont inspirés les martyrologes historiques du Moyen-Age. Bède et Florus s'y sont ancrés pour rédiger la formule du 14 septembre, " Exaltatio sanctae crucis ". Il suit de là que Rome possédait, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, et même avant, une relique considérable de la vraie Croix, que l'on célébrait la fête du 14 septembre en son honneur, et qu'il y avait une adoration de la Croix en ce jour dans la basilique du Sauveur (alias Saint-Jean de Latran).
La relique de la vraie croix, dont il est question dans la notice de saint Sergius, n'était pas la seule que possédât la ville de Rome. Une autre basilique constantinienne, Sainte-Croix de Jérusalem, bâtie au IVe siècle près du palais sessorien, avait été dotée d'un pareil trésor par l'impératrice Hélène (voir Liber Pontificalis, notice de saint Sylvestre, édit. L. Duchesne, T. I, p. 179 et 196.).
Pour en revenir à la fête du 14 septembre, elle existait sûrement à Rome dès avant le pape Sergius ; elle y fut certainement importée d'Orient. A l'origine, elle semble avoir eu pour objet de commémorer la dédicace de la basilique du Saint-Sépulcre, au temps de Constantin en 353 (Liber Pontificalis, édit. L. Duchesne, T.I, p. 379.).
Comme chez les Grecs, le souvenir de la dédicace s'effaça devant celui de l'exaltation de la croix, la rédaction du martyrologe romain au 14 septembre ne repose donc pas sur les plus anciens documents : l'insertion du fait d'Héraclius est due à l'oeuvre d'Adon qui, au IXe siècle, la plaça dans son " Vetus Romanum " et dans le martyrologe qui porte son nom (Quentin, Les martyr. hist. du Moyen Age, Paris, 1909, p. 440, 506.).
2. La fête du 3 mai n'est certainement pas aussi ancienne. Elle fut complètement ignorée des Grecs, comme nous l'avons vu. A Rome, on ne la connaît pas encore au VIIe siècle. Les Églises des Gaules, qui ignoraient la fête du 14 septembre, en instituèrent une autre qu'elles placèrent au 3 mai et y attachèrent la même signification, du moins en ce qui concerne la découverte de la vraie Croix.
Cela se produisit au cours du VIIe siècle, mais non d'une façon universelle en Gaule. On trouve la fête du 3 mai mentionnée dans quelques manuscrits du martyrologe hiéronymien, comme ceux de Berne, de Wolfenbuttel, elle ne figure pas dans le manuscrit d'Epternach qui est du début du VIIIe siècle, ni dans le " Lectionnaire de Luxeuil ". On pourrait s'attendre à la trouver dans saint Grégoire de Tours, au " De gloria martyrum ", (chap. V.) ; elle n'y est pas. De plus, le choix de la date du 3 mai se justifie difficilement : on n'en a pas trouvé jusqu'ici d'explication satisfaisante.
Quelques-uns ont prétendu que le 3 mai fut le jour où la vraie Croix fut remise à sa place dans la basilique de Jérusalem quand Héraclius l'y rapporta (Molien, La prière de l'Eglise, T. II, p. 493.). Mais alors comment concilier cette explication avec la rédaction du martyrologe romain qui rattache au 3 mai la découverte de la vraie croix sous Constantin ?
D'autres ont cru que la fête du 3 mai tirait sa première origine de l'adoration de la croix dont nous allons parler : alors, disent-ils, on a choisi le premier jour libre d'après le terme de Pâques, dont l'octave peut aller en certaines années jusqu'au second jour de mai.
L'expression " Dies natalis crucis " pourrait bien donner quelque apparence de raison à ce sentiment, si tant est que l'on puisse donner l'interprétation de " dies natalis " dans le sens du jour où le bois de la Croix commença à mériter les honneurs qui lui ont été rendus dans l'Église : ce jour fut bien le Vendredi Saint où ce bois fut mis en contact avec le corps du Sauveur et imprégné de son sang divin. Les martyrologes ont remplacé " dies natalis " par " inventio ".
L'expression " dies natalis crucis " est dans le " Lectionnaire de Silos " qui est de 650. Dans les anciennes Liturgies franques d'avant Charlemagne, éditées par Mabillon, la fête du 3 mai porte le nom d'" Inventio " et l'on n'y connaît pas la fête du 14 septembre. Ainsi les deux calendriers, le romain et le gallican, auraient eu d'abord chacun leur fête de la croix, puis les 2 fêtes auraient été conservées au moment de la fusion qui s'opéra au temps de Charlemagne. C'est alors que l'on donna sans doute au 3 mai l'objet de la fête du 14 septembre, par l'assignation des leçons du second nocturne de l'Office, car c'est par là que les 2 fêtes se distinguent actuellement, toutes les autres parties de l'Office étant communes aux deux.
Sainte Hélène et la vraie Croix.
L'ADORATION DE LA SAINTE CROIX
Nous avons dit comment elle se pratiquait à Jérusalem : c'est de là qu'elle passa en Occident où l'on constate son existence soit au VIIe, soit au VIIIe siècle. Presque tous les anciens livres liturgiques romains donnent cette adoration comme faisant partie de l'Office, au matin du Vendredi Saint. On croit que cette cérémonie a pu commencer en Gaule, à l'époque où l'empereur Justin II envoya un fragment de la vraie croix à sainte Radegonde pour son monastère de Poitiers (vers 568). Mais déjà Rome possédait des reliques de la vraie croix dans la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem : le premier des " Ordines Romani ", que l'on croit postérieur à saint Grégoire le Grand, décrit sommairement la cérémonie de l'adoration de la Croix qui est séparée de l'Office.
L'Office du Vendredi Saint se fait à Saint-Jean de Latran ; quand la première partie est terminée, on se rend processionnellement à Sainte-Croix-de-Jérusalem. Sur le parcours de la procession, on chante des Psaumes, le pape est pieds nus et tout le monde avec lui. On lui lave les pieds ; après quoi, il présente la Croix au peuple en chantant l'antienne " Ecce lignum crucis ", laquelle est souvent combinée avec le long Psaume " Beati immaculati ". Un ordo d'Einsiedeln dit que cette antienne est exécutée pendant la procession du Latran à Sainte-Croix et au retour.
Après l'adoration de la Croix, la Messe des présanctifiés se célèbre à Sainte-Croix-de-Jérusalem.
En France, l'exemple du roi saint Louis donna beaucoup d'éclat à l'adoration de la Croix, le jour du Vendredi Saint. On le voyait sortir du palais et se rendre à la Sainte-Chapelle, pieds nus, la tête découverte, le col nu, habillé comme le plus pauvre homme du monde ; ses enfants le suivaient en même humilité ; quand il avait adoré la Croix dans la posture la plus humble, il revêtait ses ornements royaux, exposait lui-même le morceau de la vraie croix à la vénération du peuple. L'Office achevé, il prenait son repas avec du pain et de l'eau.
Au Moyen-Age, en Gaule et en Espagne, l'adoration de la croix avait tous les caractères d'un vrai drame. Rome, au XIVe siècle, accepta ce déploiement de solennité. C'est dans l'Ordo XIV, sous Clément V en 1311, que l'on trouve la cérémonie au complet.
Dans la procession qui part de Saint-Jean de Latran, le plus jeune cardinal-prêtre porte la sainte réserve, tout le monde est pieds nus, on récite des Psaumes sans les chanter, en arrivant à Sainte-Croix on se prosterne au milieu de l'église, la croix est découverte graduellement pendant qu'on chante 3 fois : " Ecce lignum crucis ", en élevant la voix à chaque fois ; tous se prosternent.
La Croix est ensuite déposée sur les marches où les membres du clergé viennent l'adorer après une triple prostration. On la présente à l'adoration des fidèles pendant le chant des impropères.
Lorsque l'adoration est terminée, on entonne un chant de triomphe, " Crucem tuam adoramus ", où se traduit la joie inspirée par la pensée du Salut apporté au monde par le bois de la croix.
Cette dernière pensée nous explique pourquoi l'Église a voulu joindre le souvenir de la croix aux solennités pascales : c'est par la croix qu'ont commencé le Règne et le triomphe de Jésus-Christ. Aussi, dans l'Office férial, trouvons-nous le suffrage des saints remplacé par l'antienne à la Croix, durant tout le temps pascal.
Invention de la Croix. Gravure de François Chesneau.
HYMNES
Les Eglises de l'Orient et de l'Occident ont produit un grand nombre de compositions liturgiques en l'honneur de la sainte Croix ; voici une belle illustration avec l'immortel cantique de Venance Fortunat :
" L'étendard du Roi s'avance ; voici briller le mystère de la Croix, sur laquelle celui qui est la Vie a souffert la mort, et par cette mort nous a donne la vie.
C’est là que transperce du fer cruel d'une lance, son ente épancha l'eau et le sang pour laver la souillure de nos crimes.
Il s'est accompli, l'oracle de David qui, dans ses vers inspirés, avait dit aux nations :
" Dieu régnera par le bois."
Tu es beau, tu es éclatant, arbre paré de la pourpre du Roi ; noble tronc appelé à l'honneur de toucher des membres si sacrés.
Heureux es-tu d'avoir porté suspendu à tes bras celui qui fut le prix du monde ! Tu es la balance où fut pesé ce corps, notre rançon ; tu as enlevé à l'enfer sa proie.
Salut, Ô Croix, notre unique espérance ! toi qui nous as conduits aux joies pascales, accrois la grâce dans le juste, efface le crime du pécheur.
Que toute âme vous glorifie, Ô Trinité, principe de notre salut ; vous nous donnez la victoire par la Croix, daignez y ajouter la récompense.
Amen."
Le contact de la vraie Croix guérit le malade.
L'Hymne suivante, pleine de grandeur et de majesté, se trouve dans nos anciens Bréviaires romains-français, à la fête de l'Invention de la sainte Croix :
" Salut, Ô Croix sainte ! Salut, Ô gloire du monde, notre espoir véritable, source de nos joies, signe de salut, protection dans les périls, arbre de vie qui portes Celui qui est la Vie universelle !
Rachetés sur toi, nous aimons à chanter tes louanges, Croix adorable, principe de vie, l'amour et l'honneur des hommes. Nous aimons à redire :
" Le bois nous fit esclaves, et tu nous affranchis, Ô bois !"
Ô Christ, Toi qui anéantis sur la Croix la faute originelle, daigne nous purifier de nos taches personnelles ; aie pitié de l'homme fragile ; par ta Croix sainte pardonne à ceux qui sont tombés.
Par le signe de la Croix protège, sauve, bénis, sanctifie ton peuple tout entier ; écarte les maux de l'âme et du corps ; que tout fléau se dissipe en présence de ce signe tout-puissant.
Louange à Dieu le Père dans la Croix de son Fils ! Hommage pareil à l'Esprit-Saint ! Joie aux Anges, les citoyens du ciel ! Honneur sur la terre à l'Invention de la Croix !
Amen."
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jeudi, 04 avril 2024
4 avril. Saint Isidore de Séville, archevêque de Séville, docteur de l'Eglise. 639.
- Saint Isidore de Séville, archevêque de Séville, docteur de l'Eglise. 639.
Pape : Honorius Ier. Rois d'Espagne : Sisebut ; Récarède II.
" Celui-là est heureux qui est sage selon Dieu : la vie heureuse c'est la connaissance de la divinité : la connaissance de la divinité est le fruit des bonnes oeuvres."
Saint Isidore de Séville.
Isidore était de Carthagène d'Espagne : son père Sévérien souvent désigné comme préfet de cette ville, et sa mère Théodora étaient de la plus haute noblesse. Le plus jeune d'une famille de saints, Isidore eut deux frères, saint Léandre (27 février), saint Fulgence (14 janvier) et une soeur sainte Florentine (20 juin et 14 mars) ; tous 3 honorés comme lui d'un culte public.
L'incertitude plane sur le lieu de la naissance d'Isidore ; quelques auteurs se prononcent pour Carthagène, d'autres pour Séville où Sévérien était venu s'établir pour échapper aux vexations des ariens. Sur le berceau de l'enfant plane le merveilleux : ainsi on raconte que sa nourrice l'ayant oublié sous un arbre, un essaim d'abeilles vint se poser au-dessus de la tête d'Isidore et déposa sur ses lèvres un rayon de miel, présage de son génie. On dit aussi que sa soeur Florentine le voyait quelquefois tout petit enfant s'élever dans les airs, agiter ses mains comme quelqu'un qui lutte et veut terrasser un adversaire.
Saint Isidore de Séville. Imagerie populaire. XIXe.
Isidore était tout jeune lorsqu'il perdit ses parents : il devint le disciple chéri de Léandre son aîné, qui lui servit de père et eut toujours pour lui une singulière affection. Écrivant à la vierge Florentine sa soeur, Léandre s'exprimait ainsi :
" Je vous prie de vous souvenir de moi dans vos oraisons et de ne point oublier notre jeune frère Isidore. Nos parents nous l'ont confié et ils sont retournés au Seigneur sans crainte parce qu'ils le laissaient à la garde d'une soeur et de deux frères. Vous savez que je l'aime comme un tendre fils."
Et pourtant Léandre, dans l'éducation du jeune Isidore, usait de la verge, genre de correction que l'élève ne goûtait pas trop. On raconte, à ce sujet, que trouvant très peu d'attraits aux éléments des lettres, et redoutant le fouet, Isidore s'enfuit un jour secrètement de l'école ; il erra longtemps dans la plaine, s'arrêta exténué de fatigue et de soif auprès d'un puits : tout en se reposant, il regardait avec curiosité les sillons creusés sur la margelle et ne pouvait se rendre compte de la manière dont ils s'étaient produits. Une femme venue pour puiser de l'eau lui expliqua comment la corde toute faible qu'elle était avait fini par user la pierre elle-même. Le jeune fugitif en conclut que l'étude finirait par vaincre la dureté de son esprit et creuser aussi son sillon.
Saint Isidore de Séville. Jean Hey ou Jean Pichore.
Une volonté ferme et un travail sans relâche eurent raison des difficultés qui le rebutaient, les facultés intellectuelles d'Isidore se développèrent et, bientôt, il dépassa ses maîtres eux-mêmes. Sa réputation commença à s'étendre ; on venait de loin écouter le jeune écolier, on le faisait disserter sur les sujets les plus élevés, ses auditeurs et ses interlocuteurs s'en retournaient étonnés de la sagesse de ses réponses.
A l'âge où les autres enfants songent encore à s'amuser, Isidore avait déjà parcouru le Trivium et le Quadrivium, les livres des philosophes et les traités des législateurs. On pouvait déjà, dit le chroniqueur Arevalo, admirer en lui l'élévation de Platon, la science d'Aristote, l'éloquence de Cicéron, l'abondance de Didyme, l'érudition d'Origène, la gravité de Jérôme, la doctrine d'Augustin et la sainteté de Grégoire. On dit même que ce dernier, ayant lu une lettre d'Isidore, dont les pensées et le style étaient également remarquables, s'écria dans un enthousiasme prophétique :
" Voici un autre Daniel, voici quelqu'un qui dépassera Salomon !"
Saint Isidore de Séville. Manuscrit du XIe.
La vie studieuse et retirée d'Isidore a fait croire à quelques-uns qu'il avait été moine. Au XVIe siècle, des religieux d'Espagne l'ont revendiqué pour leur ordre ; les carmes l'ont disputé aux bénédictins, les chanoines de Saint-Augustin ont prétendu qu'il avait été des leurs : tout cela reste fort douteux et discutable.
De bonne heure Isidore mit ses connaissances au service de son pays ; associé aux travaux et aux persécutions dont ses frères furent les ouvriers et les victimes pour un temps, il apporta à la conversion des Goths ariens l'ardeur d'une conviction de famille, la générosité d'un apôtre. A peine admis aux premiers ordres de l'Église, il suivit saint Léandre, évêque Séville, dans les conciles et les assemblées publiques ; comme lui, il confondit les arguments et les fausses interprétations de l'erreur ; comme lui, il fut entouré de la vénération du peuple et des bénédictions des confesseurs de la foi. Pendant l'exil de son frère, il soutint les intérêts de l'Église opprimée, prémunit les fidèles contre les séductions de l'hérésie : aussi, lorsque saint Léandre vint à manquer à l'Espagne, Isidore parut le seul digne d'occuper le siège de Séville.
Saint Isidore prêchant. Maître François.
L'épiscopat de ce grand homme dura près de 40 ans : il fut fécond en heureux résultats pour l'Église et la société civile. Plein de zèle et d'amour pour son peuple, Isidore ne négligea rien de ce qui pouvait favoriser les progrès de la civilisation et de la foi. Il fit de sages règlements pour prévenir les abus, tint des conciles pour maintenir l'intégrité de la doctrine chrétienne, se montra partout le défenseur du droit et de la justice. Ses prédications apostoliques achevèrent de détruire les restes de l'arianisme ; sa vigilance étouffa en naissant les erreurs des hérétiques acéphales, négateurs de la dualité des Natures en Jésus-Christ. De fréquents miracles donnaient à sa parole persuasive par elle-même un force et une autorité nouvelle : plus d'une fois, à sa prière, le ciel s'ouvrit pour envoyer aux campagnes arides une pluie bienfaisante, des infirmes retrouvèrent la santé du corps avec celle de l'âme, la mort même obéit à sa voix et rendit ses victimes.
Une des grandes sollicitudes d'Isidore fut de continuer l'enseignement de son frère, de procurer à la jeunesse de son pays une instruction solide et chrétienne. Il fit construire en dehors des murs de Séville, un collège de magnifique apparence : il voulut ètre lui-même le premier professeur de son école. On se pressait autour de sa chaire pour entendre ses gloses sur l'Écriture sainte et les poètes profanes. Il eut soin de s'adjoindre des collaborateurs zélés, prévit et régla avec beaucoup de sagesse les détails de l'organisation intérieure. La discipline était paternelle ; les dispositions pénales étaient rigoureuses, la vie commune, la retraite et le silence rentraient dans les règles fondamentales. Cependant un libre cours était laissé aux douces effusions de la confiance et de l'amitié : tous les disciples d'Isidore conservèrent pour lui un amour filial jusqu'à la mort. Au IVe concile de Tolède qu'il présida, il rendit obligatoires pour toute l'Espagne de semblables institutions.
Ce digne évêque s'occupa aussi de la réglementation des offices de l'Église : il voulut qu'ils fussent célébrés avec majesté et dévotion, comme l'exige la grandeur infinie du Dieu que l'on y honore. On a considéré Isidore comme le créateur de cette liturgie espagnole, si poétique et si imposante, qui, sous le nom de mozarabe, survécut à la ruine de l'Eglise wisigothe, et mérita d'être ressuscitée par le grand Ximenès. Isidore dressa lui-même le Missel et le Bréviaire à l'usage de l'Église d'Espagne ; écrivain fécond, infatigable, prodigieusement érudit, il rédigea encore, entre autres travaux, l'Histoire des Goths, de leurs conquêtes et de leur domination.
Dessin à la plume de Bartolome Esteban Murillo. XVIIe.
On a associé son nom à un soi-disant décret de Gunthiniar, roi goth, et aux actes d'un concile de Tolède en 610, qui assignait le rang de métropole au siège de Tolède ; Isidore aurait signé le second les actes de ce concile, c'est-à-dire immédiatement après le roi, ce qui eût été porter quelque atteinte à l'Église de Séville. D'autre part, sous le règne de Sisebut, Isidore présida le IIe concile de Séville en novembre 618 ou 619. Là, l'Église de Séville est caractérisée de sainte Jérusalem. La conclusion de ce concile met en pleine lumière la doctrine concernant la personne de Jésus-Christ contre les acéphales ; on en appelle contre eux à l'Écriture sainte, au symbole des Apôtres, aux écrits des Pères.
Saint Isidore assista-t-il à un concile de Tolède vers 625 ? L'incertitude règne sur ce point. Isidore paraît bien faire allusion à ce concile dans une lettre à saint Braulion ; mais l'éditeur de ses oeuvres, Arevalo, suppose que cette réunion fut ajournée et tenue seulement huit ans plus tard. De fait, le IVe concile de Tolède fut tenu en 633, peu d'années avant la mort d'Isidore : celui-ci y présida comme métropolitain de Séville. Le roi goth, Swintila, avait été récemment déposé et remplacé par Sisenand : on ignore pour quelle raison Isidore favorisa la cause de ce dernier. En tout cas, ce prince assista au concile qui se tint dans la basilique de Sainte-Léocadie et se composa non seulement de prélats espagnols, mais aussi d'évêques de Gaule, de la province de Narbonne. On y rédigea 75 canons.
Parvenu à une extrême vieillesse et atteint de nombreuses infirmités, Isidore comprit que le temps du labeur était fini pour lui : il se prépara par la prière et la pénitence à paraître devant son juge. On dit qu'il prévit les malheurs de sa patrie et prononça des paroles effrayantes sur les futures destinées de l'Espagne ?
Au dernier terme de sa vie, il distribua en aumônes tout ce qui lui restait ; il manda auprès de son lit ses collègues dans l'épiscopat Jean et Epartius. Il se fit ensuite transporter dans la basilique de Saint Vincent, et étendre au milieu du choeur en face de l'autel. Là, couché sur la cendre, revêtu d'un cilice, entouré des clercs de son église, des élèves de son école, des religieux et des fidèles, il implora la miséricorde de Dieu :
" Seigneur, vous qui connaissez les coeurs des hommes, qui avez pardonné au publicain ses péchés, lorsque éloigné par respect de vos autels, il se frappait humblement la poitrine ; vous qui avez rendu la vie à Lazare mort depuis quatre jours, recevez maintenant ma confession, détournez vos yeux des péchés sans nombre que j'ai commis contre votre Majesté. C'est pour moi et non pas pour les justes que vous avez mis dans l'Église le bain salutaire de la pénitence."
Après avoir été absous par un des évêques, il reçut le saint viatique avec de grands sentiments d'humilité et de contrition. Il se recommanda aux prières de toute l'assistance, pria aussi pour son peuple, fit venir tous ses débiteurs et leur rendit leurs obligations. Enfin il donna le baiser de paix à ses prêtres, fit à son Église ses suprêmes adieux. On le reporta dans sa cellule où il expira quatre jours après (4 avril 639).
ÉCRITS
Les oeuvres d'Isidore ont un caractère encyclopédique : peu d'hommes ont eu une aussi grande variété de connaissances, toutes les sciences lui sont familières ; il a été le savant universel du Moyen Age. C'est bien ainsi que le présente son Livre des étymologies (20 livres), appelé aussi le Livre des origines des choses, manuel composé à la fin de sa vie, sur des notes anciennes, pour perpétuer parmi ses disciples le souvenir de ses explications orales ; les citations nombreuses qu'on y trouve attestent une vaste lecture. Isidore n'eut pas le temps de le corriger, il l'envoya à Braulion auquel l'oeuvre est dédiée pour qu'il y mît la dernière main. Cet inventaire de toutes les connaissances humaines fut très apprécié au Moyen Age. Il y en eut diverses éditions : Arevalo n'en compte pas moins de 10 entre les années 1470 et 1529.
Il a donné aussi des ouvrages de morale comme les Discours de consolation à un pénitent trop effrayé des jugements de Dieu, la Lamentation d'un pénitent sur ses péchés (en vers), la Prière pour demander à Dieu la grâce de se corriger, la Prière pour ne pas tomber dans les pièges du démon.
Isidore a donné aussi une série de traités sur l'Écriture sainte : Dissertations sur les noms de l'Écriture, sur les saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, interprétations mystiques des principaux faits. Les deux livres des Offices divins, adressés à son frère saint Fulgence, sont une explication de l'ancienne liturgie espagnole. La règle des moines divisée en 24 chapitres est adressée aux religieux de la province Bétique.
On mentionnera aussi les deux livres contre les Juifs, De fide catholica contra judaeos, un des principaux monument de son génie, dédié à sa soeur sainte Florentine.
Les écrits historiques d'Isidore lui ont donné une des premières places parmi les abréviateurs de son temps.
Cependant, on a exagéré les travaux d'Isidore et on lui a attribué toutes sortes d'écrits apocryphes. La meilleure édition de ses oeuvres est celle donnée en 7 volumes par F. Arevalo à Rome en 1797-1803. Voir aussi P. L., t. 81-84.
Pour une liste complète de ses écrits, on se reportera à la notice que consacrent les Petits Bollandistes à notre saint (T. IV, pp 189 et suiv.) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30734t.pagination
CULTE
Le corps d'Isidore fut déposé dans un des caveaux de sa métropole de Séville, entre celui de Léandre son frère et de Florentine sa soeur. Les biographes attribuent à saint Ildefonse l'épitaphe qui se lisait sur le tombeau d'Isidore ; elle est cependant d'une date postérieure.
Plus tard, les cendres d' Isidore furent transférées dans la ville de Léon par le roi Ferdinand Ier : on célébra cette translation le 22 décembre. Le nom d'Isidore fut inscrit au 4 avril dans les martyrologes à partir du IXe siècle. Le grand pape Benoît XIV a déclaré saint Isidore docteur de l'Eglise.
Saint Isidore et Isabelle la Catholique. Pedro Marcuello.
" Isidore, pasteur fidèle, le peuple chrétien honore vos vertus et vos services ; il se réjouit de la récompense dont le Seigneur a couronné vos mérites ; soyez-lui donc propice en ces jours de salut. Sur la terre, votre vigilance n'abandonna jamais l'heureux troupeau qui lui était confié : regardez-nous comme vos brebis, défendez-nous des loups ravissants qui nous menacent sans cesse. Que vos prières obtiennent pour nous la plénitude des grâces qui nous sont nécessaires pour persévérer dans la vie nouvelle que nous a communiquée notre divin Ressuscité. Obtenez que le mystère de la Pâque, dont vous nous avez révélé les grandeurs, se conserve en nous. Votre bénédiction pascale sur le peuple chrétien lui portera secours et protection comme aux anciens jours.
Du sein des joies éternelles, souvenez-vous aussi de votre patrie terrestre ; bénissez l'Espagne qui vous conserve un culte si fervent. Rendez-lui l'ardeur primitive de la foi ; renouvelez en son sein les mœurs chrétiennes; faites disparaître l'ivraie qui s'est levée parmi le bon grain. L'Eglise entière honore cette contrée pour sa fidélité dans la garde du dépôt de la doctrine du salut ; sauvez-la de toute décadence, et arrêtez les maux dont elle souffre ; qu'elle soit toujours fidèle, toujours digne du beau titre que vous l'avez aidée à conquérir."
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jeudi, 01 février 2024
Ier février. Saint Ignace, patriarche d'Antioche, Père de l'Eglise, martyr. 107 ou 116.
" Ce glorieux martyr ouvre dignement la marche des saints et des saintes qui passeront devant nous dans le cours du mois de février, comme un pontife auguste à la tête de son clergé."
La veille du jour où va expirer notre heureuse quarantaine, c'est un des plus fameux martyrs du Christ qui paraît sur le Cycle : Ignace le Théophore, Evêque d'Antioche. Une antique tradition nous dit que ce vieillard, qui confessa si généreusement le Crucifié devant Trajan, avait été cet enfant que Jésus présenta un jour à ses disciples comme le modèle de la simplicité que nous devons posséder pour parvenir au Royaume des cieux. Aujourd'hui, il se montre à nous, tout près du berceau dans lequel ce même Dieu nous donne les leçons de l'humilité et de l'enfance.
Ignace, à la Cour de l'Emmanuel, s'appuie sur Pierre dont nous avons glorifié la Chaire ; car le Prince des Apôtres l'a établi son second successeur sur son premier Siège à Antioche. Ignace a puisé dans cette mission éclatante la fermeté qui lui a donné de résister en face à un puissant empereur, de défier les bêtes de l'amphithéâtre, de triompher par le plus glorieux martyre. Comme pour marquer la dignité incommunicable du Siège de Rome, la providence de Dieu a voulu que, sous les chaînes de sa captivité, il vînt aussi voir Pierre, et terminât sa course dans la Ville sainte, mêlant son sang avec celui des Apôtres. Il eût manqué à Rome quelque chose, si elle n'eût hérité de la gloire d'Ignace. Le souvenir du combat de ce héros est le plus noble souvenir du Colisée, baigné du sang de tant de milliers de Martyrs.
Saint Ignace d'Antioche. Menées des Grecs. Chypre. XIIIe.
Le caractère d'Ignace est l'impétuosité de l'amour ; il ne craint qu'une chose, c'est que les prières des Romains n'enchaînent la férocité des lions, et qu'il ne soit frustré de son désir d'être uni au Christ. Admirons cette force surhumaine qui se révèle tout à coup au milieu de l'ancien monde, et reconnaissons qu'un si ardent amour pour Dieu, un si brûlant désir de le voir n'ont pu naître qu'à la suite des événements divins qui nous ont appris jusqu'à quel excès l'homme était aimé de Dieu. Le sacrifice sanglant du Calvaire n'eût-il pas été offert, la Crèche de Bethléhem suffirait à tout expliquer. Dieu descend du ciel pour l'homme ; il se fait homme, il se fait enfant, il naît dans une crèche. De telles merveilles d'amour auraient suffi pour sauver le monde coupable ; comment ne solliciteraient-elles pas le cœur de l'homme à s'immoler à son tour ? Et qu'est-ce que la vie terrestre à sacrifier, quand il ne s'agirait que de reconnaître l'amour de Jésus, dans sa naissance parmi nous ?
Ignace est ainsi nommé, de ignem patiens, c'est-à-dire qu'il a enduré le feu de l’amour divin.
Saint Ignace fut disciple de saint Jean et évêque d'Antioche. On dit qu'il adressa à la Sainte Vierge une lettre conçue en ces termes :
" A Marie Porte-Christ, Ignace son dévoué. Vous avez dû fortifier et consoler en moi le néophyte et le disciple de votre Jean. J'ai appris en effet de votre Jésus des choses admirables à dire, et j'ai été stupéfait en les entendant. Or, j'attends de vous, qui avez toujours été unie d'amitié avec lui, et qui étiez de tous ses secrets, que vous m’assuriez la vérité de tout ce que j'ai entendu."
Saint Jean et saint Ignace d'Antioche. Legenda aurea.
Une autre leçon ajoute ce qui suit :
" Je vous ai déjà écrit plusieurs fois, et vous ai demandé des explications. Adieu, et que les néophytes qui sont avec. moi reçoivent force de vous, par vous et en vous."
Alors la Vierge Marie, mère de Dieu, lui répondit :
" A Ignace, son disciple chéri, l’humble servante de Jésus-Christ. Les choses que vous avez apprises et entendues de Jean, touchant Jésus, sont vraies ; croyez-les, étudiez-les, attachez-vous fermement à ce que vous avez promis à Jésus-Christ, et conformez-y vos moeurs et votre vie. Je viendrai avec Jean, vous voir et ceux qui sont avec vous. Soyez ferme et agissez avec les principes de la foi, pour que la violence de la persécution ne vous ébranle pas, mais que votre esprit soit fort et, ravi en Dieu voire sauveur ; ainsi soit-il."
Or, saint Ignace jouissait d'une autorité si grande que Denys lui-même, le disciple de l’apôtre saint Paul, qui fut si profond en philosophie et si accompli dans la science divine, citait les paroles de saint Ignace comme une autorité, pour prouver ce qu'il avançait.
" Le divin Ignace a écrit : Mon amour a été crucifié."
On lit dans l’Histoire tripartite (Liv. X, ch. IX.) que saint Ignace entendît les anges chanter des Antiennes sur une montagne, et dès lors il ordonna qu'on chanterait des Antiennes dans l’Eglise et qu'on entonnerait des Psaumes sur les Antiennes. Après avoir longuement prié le Seigneur pour la paix de l’église, saint Ignace redoutant le péril, non pour lui, mais pour les faibles, alla au-devant de l’empereur Trajan, qui commença à régner l’an 100, alors qu'à son retour, après une victoire, il menaçait de mort tous lés chrétiens ; il déclara ouvertement qu'il était lui-même un Chrétien.
Martyre de saint Ignace d'Antioche. Gravure du XVIIe.
Trajan le fit charger de chaînes, le confia à dix soldats et ordonna de le conduire à Rome en le menaçant de le jeter en pâture aux bêtes. Or, pendant le trajet, Ignace préparait des lettres, destinées à toutes les Eglises et, les confirmait dans la foi de Jésus-Christ. Il y en avait une pour l’Eglise de Rome, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique, dans laquelle il priait qu'on ne fit rien pour, empêcher son martyre. Voici ses paroles :
" De la Syrie jusqu'à Rome, je combats avec les bêtes par mer et parterre, le jour et la nuit, lié et attaché au milieu de dix léopards (ce sont les soldats qui me gardent), dont la cruauté augmente en raison du bien que je leur fais : mais leur cruauté est mon instruction. Ô bêtes salutaires, qui me sont réservées ! Quand viendront-elles ? Quand seront-elles lâchées ? Quand leur sera-t-il permis de se nourrir de mes chairs ? Je les inviterai à me dévorer, je les prierai pour qu'elles ne craignent pas de toucher mon corps, comme elles l’ont fait à d'autres. Je ferai plus, si elles tardent trop, je leur ferai violence, je me mettrai dans leur gueule. Pardonnez-moi, je vous prie ; je sais ce qui m’est avantageux. Qu'on réunisse contre moi le feu, les croix, les bêtes, que mes os soient broyés, que tous les membres de mon corps soient mis en pièces, que tous les tourments. inventés par le diable soient amassés sur moi, pourvu que je mérite d'être uni à Jésus-Christ."
Arrivé à, Rome et amené devant Trajan, cet empereur lui dit :
" Ignace, pourquoi fais-tu révolter Antioche et convertis-tu mon peuple à la chrétienté ?"
Ignace lui répondit :
" Plût à Dieu que je puisse te convertir aussi, afin que. tu jouisses à toujours d'une autorité inébranlable."
Trajan lui dit :
" Sacrifie à mes Dieux et tu seras le premier de tous les prêtres."
Ignace répondit :
" Je ne sacrifierai point à tes dieux, et je n'ambitionne pas la dignité que tu m’offres. Tu pourras faire de moi tout ce que tu veux, mais jamais tu ne me changeras.
- Brisez-lui les épaules, reprit Trajan, avec des fouets plombés, déchirez-lui les côtés et frottez ses blessures avec des pierres aiguës."
Il resta immobile au milieu de ces tourments, et Trajan dit :
" Apportez des charbons ardents, et faites-le marcher dessus les, pieds nus."
Ignace lui dit :
" Ni le feu ardent, ni l’eau bouillante ne pourront éteindre en moi la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ."
Trajan ajouta :
" C'est maléfice cela, de ne point céder après de pareilles tortures."
Ignace lui répondit :
" Nous autres chrétiens, nous n'usons pas de maléfices, puisque dans notre loi, nous devons ôter la vie aux enchanteurs c'est vous, au contraire, qui usez de maléfices, vous qui adorez des idoles."
Trajan reprit :
" Déchirez-lui le dos avec des ongles, de fer, et mettez du sel dans ses plaies."
Ignace lui dit :
" Les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec la gloire à venir."
Trajan insista :
" Enlevez-le, attachez-le avec des chaînes de fer à un poteau, gardez-le au fond d'un cachot, laissez-le sans boire ni manger et dans trois jours, donnez-le à dévorer aux bêtes."
Le troisième jour donc étant venu, l’Empereur, le Sénat et tout le peuple s'assemblèrent pour voir l’évêque d'Antioche combattre les bêtes, et Trajan dit :
" Puisque Ignace est superbe et contumace, liez-le et lâchez deux lions sur lui afin qu'il ne reste rien de sa personne."
Alors saint Ignace dit au peuple présent :
" Romains, qui assistez à ce spectacle, je n'ai pas travaillé pour rien. Si je souffre, ce n'est pas pour avoir commis des crimes, mais c'est pour ma piété envers Dieu."
Ensuite il se mit à dire, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique :
" Je suis le froment de Notre Seigneur Jésus-Christ, je serai moulu par les dents des bêtes afin de devenir un pain pur."
En entendant ces mots, l’empereur dit :
" La patience des, chrétiens est grande ; quel est celui des Grecs qui en endurerait autant pour son Dieu ?"
Ignace répondit :
" Ce n'a pas été par ma vertu, mais avec l’aide de Dieu que j'ai supporté ces tourments."
Alors saint Ignace provoqua les lions pour qu'ils accourussent le dévorer. Deux lions furieux accoururent donc et ne firent que l’étouffer sans toucher aucunement sa chair. Trajan, à cette vue, se retira dans une grande admiration en donnant l’ordre de ne pas empêcher que l’on vint enlever les restes du martyr. C'est pourquoi les chrétiens prirent son corps et l’ensevelirent avec honneur. Quand Trajan eut reçu une lettre, par laquelle Pline le jeune recommandait vivement les chrétiens que l’empereur immolait, il fut affligé, de ce qu'il avait fait endurer à Ignace, et ordonna qu'on ne recherchât plus les chrétiens, mais que s'il en tombait quelqu'un entre les mains de la justice, il fût puni.
On lit encore que saint Ignace, au milieu de tant de tourments, ne cessait d'invoquer le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ Comme ses bourreaux lui demandaient pourquoi il répétait si souvent ce nom, il dit :
" Ce nom, je le porte écrit dans mon coeur ; c'est la raison pour laquelle je ne puis cesser de l’invoquer."
Or, après sa mort, ceux qui l’avaient entendu parler ainsi ; voulurent s'assurer du fait ; ils ôtent donc son coeur de son corps, le coupent en deux, et trouvent ces mots gravés en lettres d'or au milieu :
" Jésus-Christ ".
Ce qui donna la foi à plusieurs. Saint Bernard parle ainsi de ce saint, dans son commentaire sur le Psaume : Qui habitat.
" Le grand saint Ignace fut l’élève du disciple que Jésus aimait ; il fut martyr aussi et ses précieuses reliques enrichirent notre pauvreté. Dans plusieurs lettres qu'il adressa à Marie, il la salue du nom de Porte-Christ : c'est un bien grand titre de dignité et une recommandation d'un immense honneur !"
L'empereur Trajan ordonne la décollation de saint Ignace d'Antioche.
Prenez pitié de notre faiblesse, Ô Martyr ! Obtenez-nous d'être du moins fidèles à notre Sauveur, en face du démon, de la chair et du monde ; de donner notre cœur à son amour, si nous ne sommes appelés à donner notre corps aux tourments pour son Nom. Choisi dans vos premières années par ce Sauveur, pour servir de modèle au chrétien par l'innocence de votre enfance, vous avez conservé cette candeur si précieuse sous vos cheveux blancs ; demandez au Christ, le Roi des enfants, que cette heureuse simplicité demeure toujours en nous, comme le fruit des mystères que nous célébrons.
Successeur de Pierre à Antioche, priez pour les Eglises de votre Patriarcat ; rappelez-les à la vraie foi et à l'unité catholique. Soutenez l'Eglise Romaine que vous avez arrosée de votre sang, et qui est rentrée en possession de vos reliques sacrées, de ces ossements que la dent des lions n'avait pu broyer entièrement. Veillez sur le maintien de la discipline et de la subordination ecclésiastiques, dont vous avez tracé de si belles règles dans vos immortelles Epîtres ; resserrez, par le sentiment du devoir et de la charité, les liens qui doivent unir tous les degrés de la hiérarchie, afin que l'Eglise de Dieu soit belle d'unité, et terrible aux ennemis de Dieu, comme une armée rangée en bataille."
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jeudi, 28 décembre 2023
28 décembre. Les Saints Innocents, martyrs, à Bethléem de Juda et aux environs. L'an 1.
" Salvete, flores martyrum,
Quo lucis ipso in limine
Christi insecutor sustulit,
Ceu turbo nascentes rosas."
" Salut, fleurs des martyrs,
Moissonnées au seuil de la vie
Par le glaive de l'ennemi du Christ,
Comme la tempête en fureur brise les roses qui viennent d'éclore."
Prudence.
Massacre des Saints Innocents. Fresque.
A la fête du Disciple bien-aimé succède la solennité des saints Innocents ; et le berceau de l'Emmanuel, auprès duquel nous avons vénéré le Prince des Martyrs et l'Aigle de Pathmos, nous apparaît aujourd'hui environné d'une troupe gracieuse de petits enfants, vêtus de robes blanches comme la neige, et tenant en main des palmes verdoyantes. Le divin Enfant leur sourit ; il est leur Roi, et toute cette petite cour sourit aussi à l'Eglise de Dieu. La force et la fidélité nous ont introduits auprès du Rédempteur ; l'innocence aujourd'hui nous convie à rester près de la crèche.
Hérode a voulu envelopper le Fils de Dieu même dans un immense massacre d'enfants ; Bethléhem a entendu les lamentations des mères ; le sang des nouveau-nés a inondé toute la contrée ; mais tous ces efforts de la tyrannie n'ont pu atteindre l'Emmanuel ; ils n'ont fait que préparer pour l'armée du ciel une nombreuse recrue de Martyrs. Ces enfants ont eu l'insigne honneur d'être immolés pour le Sauveur du monde ; mais le moment qui a suivi leur immolation leur a révélé tout à coup des joies futures et prochaines, bien au-dessus de celles d'un monde qu'ils ont traversé sans le connaître. Le Dieu riche en miséricordes n'a pas demandé d'eux autre chose qu'une souffrance de quelques instants ; et ils se sont réveillés au sein d'Abraham, francs et libres de toute autre épreuve, purs de toute souillure mondaine, appelés au triomphe comme le guerrier qui a donné sa vie pour sauver celle de son chef.
Leur mort est donc un Martyre, et c'est pourquoi l'Eglise les honore du beau nom de Fleurs des Martyrs, à cause de leur âge tendre et de leur innocence. Ils ont donc droit de figurer aujourd'hui sur le Cycle, à la suite des deux vaillants champions du Christ que nous avons célébrés.
Saint Bernard, dans son Sermon sur cette fête, explique admirablement l'enchaînement de ces trois solennités :
" Nous avons, dans le bienheureux Etienne, l'œuvre et la volonté du Martyre ; dans le bienheureux Jean, nous remarquons seulement la volonté du Martyre ; et dans les bienheureux Innocents, l'œuvre seule du Martyre. Mais qui doutera, néanmoins, de la couronne obtenue par ces enfants ? Demanderez-vous où sont leurs mérites pour cette couronne ? Demandez plutôt à Hérode le crime qu'ils ont commis pour être ainsi moissonnés ? La bonté du Christ sera-t-elle vaincue par la cruauté d'Hérode ? Ce roi impie a pu mettre à mort des enfants innocents ; et le Christ ne pourrait couronner ceux qui ne sont morts qu'à cause de lui ?
Etienne aura donc été Martyr aux yeux des hommes qui ont été témoins de sa Passion subie volontairement, jusque-là qu'il priait pour ses persécuteurs, se montrant plus sensible à leur crime qu'à ses propres blessures. Jean aura donc été Martyr aux yeux des Anges qui, étant créatures spirituelles, ont vu les dispositions de son âme. Certes, ceux-là aussi auront été vos Martyrs, ô Dieu ! dans lesquels ni l'homme, ni l'Ange n'ont pu, il est vrai, découvrir de mérite, mais que la faveur singulière de votre grâce s'est chargée d'enrichir. C'est de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle que vous vous êtes plu à faire sortir votre louange. Quelle est cette louange ?
Les Anges ont chanté : " Gloire à Dieu, au plus haut des cieux ; et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !"
C'est là, sans doute, une louange sublime; mais elle ne sera complète que lorsque Celui qui doit venir aura dit : Laissez venir à moi les petits enfants ; car le Royaume des deux est à ceux qui leur ressemblent ; paix aux hommes, même à ceux qui n'ont pas l'usage de leur volonté : tel est le mystère de ma miséricorde."
Massacre des Saints Innocents.
Dieu a daigné faire pour les Innocents immolés à cause de son Fils ce qu'il fait tous les jours par le sacrement de la régénération, si souvent appliqué à des enfants que la mort enlève dès les premières heures de la vie ; et nous, baptisés dans l'eau, nous devons rendre gloire à ces nouveau-nés, baptisés dans leur sang, et associés à tous les mystères de l'enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous devons aussi les féliciter, avec l'Eglise, de l'innocence que cette mort glorieuse et prématurée leur a conservée. Purifiés d'abord parie rite sacré qui, avant l'institution du Baptême, enlevait la tache originelle, visités antérieurement par une grâce spéciale qui les prépara à l'immolation glorieuse pour laquelle ils étaient destinés, ils ont habité cette terre, et ils ne s'y sont point souillés. Que la société de ces tendres agneaux soit donc à jamais avec l'Agneau sans tache ! Et que ce monde, vieilli dans le péché, mérite miséricorde en s'associant, par ses acclamations, au triomphe de ces élus de la terre qui, semblables à la colombe de l'arche, n'y ont pas trouvé où poser leurs pieds !
Néanmoins, dans cette allégresse du ciel et de la ferre, la sainte Eglise Romaine ne perd pas de vue la désolation des mères qui virent ainsi arracher de leur sein, et immoler par le glaive des soldats ces gages chéris de leur tendresse. Elle a recueilli le cri de Rachel, et ne cherche point à la consoler, si ce n'est en compatissant à son affliction. Pour honorer cette maternelle douleur, elle consent à suspendre aujourd'hui une partie des manifestations de la joie qui inonde son cœur durant cette Octave du Christ naissant. Elle n'ose revêtir dans ses vêtements sacrés la couleur de pourpre des Martyrs, pour ne pas rappeler trop vivement ce sang qui jaillit jusque sur le sein des mères ; elle s'interdit même la couleur blanche, qui marque l'allégresse et va mal à de si poignantes douleurs. Elle revêt la couleur violette, qui est celle du deuil et des regrets. Aujourd'hui même, si la fête ne tombe pas le Dimanche, l'Eglise va jusqu'à suspendre le chant du Gloria in excelsis, qui pourtant lui est si cher en ces jours où les Anges l'ont entonné sur la terre ; elle renonce au joyeux Alleluia, dans la célébration du Sacrifice ; enfin elle se montre, comme toujours, inspirée par cette délicatesse sublime et chrétienne dont la sainte Liturgie est une si merveilleuse école.
Massacre des Saints Innocents. Fresque.
Mais, après cet hommage rendu à la tendresse maternelle de Rachel, et qui répand sur tout l'Office des saints Innocents une touchante mélancolie, elle ne perd pas de vue la gloire dont jouissent ces bienheureux enfants ; et elle consacre à leur solennelle mémoire une Octave entière, comme elle l'a fait pour saint Etienne et pour saint Jean. Dans ses Cathédrales et ses Collégiales, elle honore aussi, en ce jour, les enfants qu'elle appelle à joindre leurs voix innocentes à celles des prêtres et des autres ministres sacrés. Elle leur accorde de gracieuses distinctions, jusque dans le chœur même ; elle jouit de l'allégresse naïve de ces jeunes coopérateurs qu'elle emploie à rehausser ses pompes mystérieuses ; en eux, elle rend gloire au Christ Enfant, et à l'innocente cohorte des tendres rejetons de Rachel.
A Rome, la Station qui, le jour de saint Etienne, s'est tenue dans l'Eglise de ce premier des Martyrs, sur le Mont Coelius, et le jour de saint Jean, dans la Basilique de Saint-Jean-de-Latran, où le Disciple bien-aimé partage les honneurs de Jean le Précurseur, a lieu aujourd'hui dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, dont le trésor se glorifie de posséder plusieurs des corps des saints Innocents. Au XVIe siècle ; Sixte-Quint en enleva une partie, pour les placer dans la Basilique de Sainte-Marie-Majeure, près de la Crèche du Sauveur.
Les Innocents furent ainsi nommés pour leur vie, leur châtiment et leur innocence acquise. Leur vie fut innocente, n'ayant jamais nui, ni à Dieu par désobéissance, ni au prochain par injustice, ni à eux-mêmes par malice en péchant. Ils furent innocents dans leur vie et simples dans la foi. Le châtiment, ils le subirent innocemment et injustement, ainsi qu'il est dit au psaume :
" Ils répandirent un sang innocent."
Ils possédèrent l’innocence acquise ; dans leur martyre, ils méritèrent l’innocence baptismale, c'est-à-dire que le péché originel fut effacé en eux. En parlant de cette innocence, le psalmiste dit :
" Conservez l’innocence et considérez la droiture."
C'est-à-dire conservez l’innocence baptismale et considérez la droiture d'une vie pleine de bonnes oeuvres.
Les Innocents furent tués par Hérode l’Ascalonite. La sainte Ecriture fait mention de trois Hérode que leur infâme cruauté a rendus célèbres. Le premier fut Hérode l’Ascalonite, sous lequel naquit le Seigneur et par qui furent massacrés les enfants. Le second fut Hérode Antipas, qui fit décoller saint Jean-Baptiste. Le troisième fut Hérode Agrippa, qui tua saint Jacques et emprisonna saint Pierre. On a fait ces vers à leur sujet :
" Ascalonita necat pueros, Antipa Joannem,
Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum."
Mais racontons en peu de mots l’histoire du premier Hérode. Antipater l’Icluméen, ainsi qu'on lit dans l’Histoire scholastique (Sozomène, Histoire Tripartite, ch. II.), se maria à une nièce du roi des Arabes. Il en eut un, fils, qu'il appela Hérode et qui plus tard fut surnommé l’Ascalonite. Ce fut lui qui reçut le royaume de Judée de César-Auguste et dès lors, pour la première fois ; le sceptre sortit de Juda. Il eut six fils : Antipater, Alexandre, Aristobule, Archelaüs, Hérode, Antipas. et Philippe.
Il envoya à Rome, pour s'instruire dans les arts libéraux, Alexandre et Aristobule dont la mère était Poldève ; leurs études achevées, ils revinrent. Alexandre se fit grammairien et Aristobule devint un orateur très véhément : déjà ils avaient eu des différends avec leur père pour la possession du trône. Le père en fut offensé et s'attacha à faire prévaloir Antipater. Comme ils avaient comploté la mort de leur père et qu'ils avaient été chassés par lui, ils allèrent se plaindre à César de l’injustice qu'ils avaient subie.
Sur ces entrefaites, les Mages viennent à Jérusalem et s'informent avec grand soin de la naissance d'un nouveau roi. A cette nouvelle, Hérode se trouble, et, craignant que de la race légitime des rois, il ne fût né un rejeton qu'il ne pourrait chasser comme usurpateur, il prie les Mages de l’avertir aussitôt qu'ils l’auraient trouvé, simulant vouloir adorer celui qu'il voulait tuer. Cependant les Mages retournèrent en leur pays par un autre chemin. Hérode, ne les voyant pas revenir, crut qu'ils avaient eu honte de retourner vers lui, parce qu'ils auraient été les dupes de l’apparition de l’étoile et ne s'occupa plus de rechercher l’enfant.
Mais ayant appris le récit des bergers et les prédictions de Siméon et d'Anne, ses appréhensions redoublèrent et il se crut indignement trompé par les Mages. Il pensa donc alors à tuer les enfants qui étaient à Bethléem, pour faire périr avec eux celui qu'il ne connaissait pas. Mais sur les avis de l’Ange, Joseph avec sa mère et l’Enfant s'enfuit en Egypte et demeura sept ans à Hermopolis, jusqu'à la mort d'Hérode. Or, quand le Seigneur entra en Egypte, toutes les idoles furent renversées, selon la prédiction d'Isaïe. Et de même que lors de la sortie des enfants d'Israël de l’Égypte, il n'y eut pas une maison où par la main de Dieu, le premier né, ne fût mort, de même il n'y eut pas de temple dans lequel une idole ne fût renversée. Cassiodore rapporte dans son Histoire Tripartite (Liv. VI, chap. XLII.), qu'à Hermopolis, en Thébaïde, il existe un arbre appelé Persidis qui a la propriété de guérir ceux des malades au cou desquels on attache de son fruit, de ses feuilles ou de son écorce. Or, comme la bienheureuse Marie s'enfuyait en Egypte avec son fils ; cet arbre s'inclina jusqu'à terre et adora humblement Jésus-Christ.
Hérode se préparait à massacrer les enfants, lorsqu'une lettre de César-Auguste le cita à comparaître devant lui pour répondre aux accusations de ses fils. En traversant Tharse, il sut que les mages avaient passé la mer sur des vaisseaux tharsiens, et il fit brûler toute la flotte, selon qu'il avait été prédit :
" D'un souffle impétueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis." (Ps. VI.).
Le père ayant vidé ses différends avec ses enfants devant César, il fut arrêté que ceux-ci obéiraient en tout à leur père, et que celui-là céderait l’empire à qui il voudrait. Hérode, devenu plus hardi à son retour par l’affermissement de son pouvoir, envoya égorger tous les enfants qui se trouvaient à Bethléem, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps qu'il avait supputé d'après les mages.
Massacre des Saints Innocents. Heures à l'usage des Antonins. XVe.
Ceci a besoin de deux éclaircissements :
- Le premier par rapport au temps, et voici comment on l’explique : âgés de deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, en commençant par les enfants de deux ans jusqu'aux enfants d'une nuit.
Hérode avait en effet appris des mages qu'un prince était né le jour même de l’apparition de l’étoile, et comme il s'était déjà écoulé un an depuis son voyage à Rome et son retour, il croyait que le Seigneur avait un an et quelques jours de plus ; c'est pour cela qu'il exerça sa fureur sur ceux qui étaient plus âgés, c'est-à-dire, qui avaient deux ans et au-dessous, jusqu'aux enfants qui, n'avaient qu'une nuit : dans la crainte que cet enfant, auquel les autres obéissaient, ne subît quelque transformation qui le rendrait ou plus vieux ou plus jeune. C'est le sentiment le plus commun et le plus vraisemblable.
- Le second éclaircissement se tire de l’explication qu'en donne saint Chrysostome. Il entend ainsi l’ordre du nombre d'années ; depuis deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, depuis les enfants de deux ans jusqu'à cinq. Il avance ainsi que l’étoile, apparut aux mages pendant un an avant la naissance du Sauveur. Or, depuis qu'il avait appris cela, Hérode avait été à Rome et son projet fut différé d'un an. Il croyait donc que le Sauveur était né quand l’étoile apparut aux mages.
D'après son calcul, le Sauveur aurait eu deux ans : voilà pourquoi il fit massacrer les enfants de deux à cinq ans, mais pas moins jeunes que de deux ans. Ce qui rend cette assertion vraisemblable, ce sont les ossements des innocents dont quelques-uns sont trop grands pour ne pouvoir appartenir à des corps qui n'auraient eu que deux ans (Histoire scholastique, Ev, C. XI.). On pourrait peut-être encore dire que les hommes étaient de plus haute taille alors qu'aujourd'hui. Mais Hérode en fut bientôt puni. En effet Macrobe rapporte et Méthodien en sa chronique dit que le petit fils d'Hérode était en nourrice et qu'il fut tué avec les autres par les bourreaux. Alors fut accomplie la parole du Prophète :
" Rama, c'est-à-dire les hauts lieux, retentirent des pleurs et des gémissements des pieuses mères."
Mais Dieu dont les desseins sont souverainement équitables (Eusèbe, Histoire-ecclésiastique, livreI1, c. VIII.) ne permit pas que l’affreuse cruauté d'Hérode restât impunie. Il arriva, par le jugement de Dieu, que celui qui avait privé tant de parents de leurs enfants fut aussi privé des siens plus misérablement encore. Car Alexandre et Aristobule inspirèrent de nouveaux soupçons à leur père.
Un de leurs complices avoua que Alexandre lui avait fait de grandes promesses s'il empoisonnait son père ; un barbier déclara aussi qu'on lui avait promis des récompenses considérables, si en rasant la barbe d'Hérode, il lui coupait la gorge : il ajouta qu'Alexandre aurait dit que l’on ne pouvait rien espérer d'un vieillard qui se teignait les cheveux pour paraître jeune. Le père, irrité, les fit tuer ; sur le trône, il établit Antipater pour régner après lui, et il substitua encore Antipas à Antipater. De plus, Hérode affectionnait particulièrement Agrippa, ainsi qu'Hérodiade, femme de Philippe, qu'il avait eus d'Aristobule. Pour ces deux motifs Antipater conçut une haine si implacable contre son père, qu'il tenta de s'en défaire par le poison ; Hérode s'en méfiant, le fit jeter en prison.
César-Auguste apprenant qu'il avait tué ses fils :
" J'aimerais mieux, dit-il, être le pourceau d'Hérode que son fils ; car comme prosélyte, il épargne ses porcs et il tue ses enfants."
Parvenu à l’âge de 70 ans, Hérode tomba gravement malade : il était miné par une forte fièvre, ses membres se pourrissaient et ses douleurs étaient incessantes ; il avait les pieds enflés, les testicules rongés de vers ; il exhalait une puanteur intolérable ; sa respiration était courte et ses soupirs continuels. Ayant pris un bain d'huile par l’ordre des médecins, on l’en sortit presque mort.
Massacre des Saints Innocents. Missel à l'usage de Nantes. XVe.
Ayant entendu dire que les Juifs seraient contents de le voir mourir, il fit rassembler dans une prison les plus nobles jeunes gens de toute la Judée et dit à Salomé sa soeur :
" Je sais que les Juifs se réjouiront de ma mort ; mais il pourra s'y répandre bien des larmes et j'aurai de nobles funérailles, si vous voulez obéir à mon ordre ; c'est, aussitôt que j'aurai rendu l’esprit, de tuer tous ceux que je garde en prison afin qu'ainsi toute la Judée me pleure malgré qu'elle en ait."
Après chaque repas, il avait coutume de manger une pomme qu'il pelait lui-même avec une épée. Or, comme il tenait cette arme à la main, il fut pris d'une toux violente et regardant autour de lui si personne ne l’empêcherait de se frapper, il leva la main pour le faire, mais un de ses cousins lui retint le bras en l’air. Aussitôt, comme s'il eût été mort, des gémissements retentirent dans le palais. A ces cris, Antipater bondit de joie, et promit toute sorte de présents aux gardes, si on l’en délivrait. Quand Hérode en fut informé, il souffrit plus de la joie de son fils que de sa propre mort ; il envoya alors des satellites, le fit tuer et institua Archélaüs son successeur. Il mourut cinq jours après. Il avait été fort heureux en bien des circonstances, mais il eut fort à souffrir dans son intérieur.
Salomé délivra tous ceux dont le roi avait ordonné la mort. Remi, dans son original sur saint Mathieu (homélie 6e de Remi d'Auxerre), dit que Hérode se suicida de l’épée avec laquelle il pelait une pomme, et que sa soeur Salomé fit tuer tous ceux qui étaient en prison, ainsi qu'elle l’avait décidé avec son frère.
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