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12 avril. Saint Sabas le Goth, martyr. 372.
" Les saints sont les ramifications et la continuation de Jésus-Christ."
" De quelque nation que soit un homme, s'il craint Dieu et s'il aime la justice, il est agréable à Dieu."
Saint Pierre.

Icône roumaine du XVIe.
Né de race gothique et vivant en Gothie dans un milieu corrompu, il a tellement su ressembler aux saints et il a comme eux honoré le Christ par la pratique de toutes les vertus qu'il a brillé dans le monde comme un astre. Ayant embrassé le christianisme dès l'enfance, il s'imposa un idéal de perfection et voulut le réaliser au moyen de la science du Christ.
Comme tout concourt à l'avantage de ceux qui aiment Dieu, il obtint la récompense due à sa vocation sublime par une lutte vaillante contre l'ennemi, sa force contre les traverses de cette vie et la paix qu'il sut conserver avec tout le monde. Il n'est pas permis de le taire, maintenant qu'il est allé se reposer en Dieu, afin d'en garder la mémoire et de réconforter les âmes pieuses ; nous devons donc entreprendre le récit de ses hauts faits.
Il fut donc orthodoxe dans la foi, empressé à remplir les devoirs de la justice, doux, pieux, plus savant que disert, pacifique à l'égard de tous, véridique, ennemi de l'idolâtrie, modeste et - ce qui convient bien aux humbles - soumis, parlant sans jactance, doux, incliné à tout ce qui était bon; psalmodiant à l'église, dont il prenait grand soin, méprisant la fortune et les biens, dont il n'usait que dans la mesure du nécessaire, sobre, réservé en toute occasion, particulièrement dans le commerce avec les femmes, jeûnant et priant chaque jour, étranger à la vaine gloire, stimulant tout le monde à l'adoption d'une vie pure, pratiquant les vertus de son état, évitant les contradictions, observant enfin une foi sans compromis, celle qui fait ses oeuvres par la charité, et s'entretenant toujours familièrement avec Dieu. Il se montra, non en passant, mais souvent, avant son martyre, le vigoureux défenseur de la piété.
Les princes et les juges de Gothie ayant commencé à poursuivre les chrétiens qu'ils voulaient contraindre à manger les mets offerts aux idoles, quelques païens s'entendirent pour qu'on présentât aux chrétiens qui étaient de leur parenté des viandes qui passeraient pour avoir été immolées aux idoles, quoiqu'il n'en fût rien ; ce stratagème sauverait leurs parents et bernerait les persécuteurs.
À cette nouvelle, le bienheureux Sabas refusa non seulement de prendre sa part de ces mets défendus, mais il s'avança au milieu de l'assemblée et dit : " Celui qui mange de ces viandes cesse d'être chrétien ", et ainsi il mit en garde afin que tous ne tombassent dans le piège du démon ; mais ceux qui avaient imaginé la ruse en prirent occasion de le faire expulser de la ville ; ils le rappelèrent plus tard.
Une nouvelle persécution étant déclarée, plusieurs païens de la ville qui offraient des sacrifices voulurent jurer que leur cité ne contenait aucun chrétien; mais cette fois encore Sabas vint tranquillement au milieu de l'assemblée et dit :
" Que personne ne jure en ce qui me concerne, car je suis chrétien."
Lorsque le persécuteur fut sur les lieux, les susdits païens mirent leurs parents à l'abri et jurèrent que la ville ne renfermait qu'un seul chrétien.
Le prince impie se le fit amener ; c'était Sabas. Quand il fut présent, le prince questionna les assistants sur la fortune de Sabas. " Il n'a, dit-on, que ses habits ", ce qui lui valut le mépris du juge : " Celui qui est en pareil équipage, dit-il, ne peut être ni utile ni dangereux ", et il le fit relâcher.
Une grande persécution fut ensuite provoquée en Gothie par les méchants, et comme la fête de Pâques était proche, Sabas voulut se rendre dans une autre ville chez le prêtre Gatthica, afin de célébrer ce saint jour. Sur la route, il vit un homme de haute taille et d'un aspect magnifique et vénérable qui lui dit :
" Retourne sur tes pas et rends-toi chez le prêtre Sansala.
- Mais Sansala est absent, dit Sabas."
Il s'était enfui en effet devant la persécution et s'était réfugié sur le territoire romain ; cependant la fête de Pâques l'avait mené chez lui, ce que Sabas ignorait et qui explique sa réponse; il continua donc sa route vers la demeure de Gatthica. Comme il ne se conformait pas à l'indication donnée par le grand inconnu, soudain, quoiqu'il fît beau temps alors, il tomba une telle tempête de neige que la route devint impraticable et Sabas ne put continuer. Il comprit à l'instant que Dieu s'opposait à son voyage et le voulait voir retourner auprès du prêtre Sansala. Il rendit grâces et rebroussa chemin. Arrivé chez Sansala, il lui raconta, ainsi qu'à d'autres, son aventure.
Ils célébrèrent ensemble la Pâque. Dans le cours de la troisième nuit qui suivait la fête, Atharid, fils de Rothest, conformément à l'édit des méchants, envahit la ville avec une grande troupe de gens sans aveu et, saisissant le prêtre endormi dans sa maison, il le fit garrotter, ainsi que Sabas, qu'on avait arrêté tout nu dans son lit. On mit le prêtre dans un chariot. Quant à Sabas, on le mena parmi les buissons d'épines récemment brûlés, nu comme lorsqu'il sortit du ventre de sa mère ; on le lia et le flagella avec des verges et des bâtons, ce qui montre à quel point ils étaient cruels et féroces à l'égard des serviteurs de Dieu.
Mais la patience et la foi du juste triomphèrent de la brutalité de ses ennemis. À l'aube, il rendit grâces à Dieu et dit à ses bourreaux :
" Ne m'avez-vous pas conduit nu et sans chaussures dans des terrains difficiles et semés de ronces ? Regardez si mes pieds sont blessés et si mon corps porte la trace des coups que vous m'avez donnés."
Ils ne virent en effet aucune ecchymose ; alors enlevant l'essieu du chariot, ils le lui mirent sur les épaules et attachèrent ses mains aux extrémités ; ils attachèrent de même ses pieds à un autre essieu et, le jetant par-dessus les essieux, ils l'étendirent sur le dos ; enfin ils ne le laissèrent pas avant que la plus grande partie de la nuit ne fût écoulée. Mais pendant que les surveillants dormaient, une femme qui s'était levée de nuit afin de préparer à manger aux ouvriers, coupa ses liens. Une fois délivré, il demeura sur place sans inquiétude, avec cette femme, et il l'aidait de son mieux. Quand le jour parut, le cruel Atharid, mis au courant de ce qui s'était passé, lui fit lier les mains et suspendre à la poutre de la maison.
à quelques lieues de là. Transylvanie. VIIe.
" L'illustre Atharid vous envoie ceci afin que vous mangiez et vous sauviez de la mort.
- Nous n'en mangerons pas, dit le prêtre. Cela nous est défendu. Engagez Atharid à nous faire plutôt crucifier ou tuer de toute autre façon.
- Qui envoie cela ? dit Sabas .
- Le seigneur Atharid.
- Il n'y a qu'un seul Seigneur, c'est Dieu, qui est dans le ciel. Ces mets de perdition sont impurs et profanes, comme Atharid lui-même qui les a envoyés."
Un des serviteurs, mis en colère par cette réponse, tordit sur le saint la pointe de son javelot avec tant de fureur que tous les assistants crurent qu'il allait mourir sur le coup. Mais Sabas, dominant la douleur par la sainteté, lui dit :
" Croiras-tu maintenant que j'ai soutenu ton choc ? Mais sache que tu ne m'as pas plus endolori que si tu m'avais jeté un peloton de laine."
Ce qui confirma ses paroles fut son attitude, car il ne cria pas, ni même, ainsi qu'on fait lorsqu'on souffre, il ne gémit pas et on ne vit nulle trace de violence sur son corps.
Sur le rapport qui fut fait de tout cela à Atharid, il donna l'ordre de mettre à mort Sabas. Les bourreaux, ayant renvoyé le prêtre Sansala, amenèrent Sabas sur la berge du Mussovo, afin de l'y noyer. Le bienheureux, se rappelant l'ordre du Seigneur et n'aimant pas son prochain moins que lui-même demanda :
" Pourquoi ne pas tuer le prêtre avec moi, quel péché a-t-il donc commis ?
- Cela ne te regarde pas, lui répondit-on."
Alors Sabas s'écria dans la joie de l'Esprit-Saint :
" Tu es béni, Seigneur, et le Nom de ton Fils soit loué pendant les siècles. Amen. Atharid s'est condamné et livré lui-même à la mort éternelle, mais il m'a envoyé à la vie qui n'a pas de fin. Telle est ta Volonté dans tes serviteurs, Seigneur Dieu."
Tandis qu'on le conduisait mourir, il ne cessa de louer Dieu, ne jugeant pas comparables les misères de cette vie avec la gloire future qui est révélée aux saints. En arrivant sur la rive, les bourreaux se dirent entre eux :
" Pourquoi ne renvoyons-nous pas cet innocent ? Atharid en saura-t-il jamais rien ?"
Sabas leur dit :
" Vous badinez ; faites ce qui vous est commandé. Je vois ce qui vous est caché. Voici que m'attendent ceux qui doivent m'introduire dans la gloire."
Alors on le mena jusqu'au fleuve. Lui louait Dieu et rendait grâces (ce qu'il ne cessa de faire jusqu'à la fin). On lui attacha une pierre au cou et on le précipita. Sa mort par l'eau et le bois fut ainsi un symbole exact du salut. Sabas avait trente-huit ans. Il mourut le cinquième jour de la semaine pascale, c'est-à-dire la veille des ides d'avril, sous le règne de Valens et Valentinien et sous le consulat de Modeste et Arintheus.
Les bourreaux retirèrent de l'eau son cadavre et le laissèrent sans sépulcre. Mais ni les bêtes féroces, ni les oiseaux de proie n'y touchèrent. Des fidèles le gardèrent, et le glorieux gouverneur de la Scythie, Junius Soranus, adorateur du vrai Dieu, ayant envoyé des gens sûrs, le fit transporter en terre romaine et, voulant faire bénéficier sa patrie de ce trésor, de ce fruit illustre par sa foi, l'envoya en Cappadoce, conformément au désir des prêtres et à la Volonté de Dieu, qui donne sa Grâce à ceux qui Le craignent. C'est pour cela que, le jour où le martyr fut couronné, offrez le sacrifice et rappelez tout ceci aux frères, afin que, se réjouissant dans toute l'Église catholique et apostolique, ils louent le Seigneur, qui Se choisit ses serviteurs.
On représente saint Sabas suspendu par un doigt à un arbre, car ses actes disent qu'on lui tira violemment les mains et les pieds ; tenant en main un fagot d'épines pour rappeler qu'il fut traîné au milieu des ronces ; plongé dans l'eau. Il est spécialement honoré par les catholiques de Roumanie et en particulier par ceux de Valachie.
samedi, 12 avril 2025 | Lien permanent
12 mai. Saint Pancrace, martyr. 304.
- Saint Pancrace, martyr. 304.
Pape : Saint Marcelin. Empereur : Dioclétien.
" La mort du juste est la condamnation de la vie des impies, et la sagesse du jeune âge celle d'une longévité criminelle."
Sap. IV, 16.

Statue processionnelle. Eglise Saint-Pancrace.
Pancrace vient de pan, qui signifie tout, et gratus, agréable, et citius, vite, tout prompt à être agréable, car dès sa jeunesse il le fut. Le Glossaire dit encore que Pancras veut dire rapine, pancratiarius, soumis aux fouets, Pancrus, pierre de différentes couleurs : en effet, il ravit des captifs pour butin, il fut soumis au tourment du fouet, et il fut décoré de toutes sortes de vertus.
Saint Pancrace était un enfant d'une illustre naissance, de Synnade en Phrygie. Ayant perdu son père de bonne heure, il demeura sous la tutelle de Denis, un de ses oncles, dont le martyrologe romain fait aussi mémoire aujourd'hui comme d'un saint confesseur.

Legenda aurea. Bx. J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.
Cet excellent tuteur considéra toujours Pancrace comme son propre fils et prit un soin scrupuleux de son éducation. Lorsqu'il vit Pancrace âgé de 14 ans, il décida de faire le voyage de Rome où ils jouissaient d'ailleurs d'un riche patrimoine.
Là, ils demandèrent instamment au pape Caïus de recevoir le baptême et d'être pleinement instruits des mystères de la religion chrétienne. Ce saint pape leur accorda avec grand plaisir ce qu'ils souhaitaient. Denis mourut bientôt de sa belle mort après avoir soupiré après la couronne du martyr.
Dans leur quartier était caché, avec les fidèles, le pape Corneille, qui avait contrinué à la conversion à la foi de Notre Seigneur Jésus-Christ de Denys et Pancrace.
Pancrace fut bientôt pris et conduit par-devant César. Il avait alors environ quatorze ans. L'empereur, Dioclétien, fit tous ses efforts pour l'obliger de sacrifier aux idoles. Dans un premier mouvement, Dioclétien traita Pancrace avec bonté parce que son père et lui avait été ami et qu'il était charmé par le caractère et la beauté de notre jeune Saint.
Dioclétien lui dit :
" Jeune enfant, je te conseille de ne pas te laisser mourir de male mort ; car, jeune comme tu es, tu peux facilement te laisser induire en erreur, et puisque ta noblesse est constatée et que tu es le fils, d'un de mes plus chers amis, je t'en prie, renonce à cette folie, afin que je te puisse traiter comme mon enfant."
Pancrace lui répondit :
" Bien que je sois enfant par le corps, je porte cependant en moi le coeur d'un vieillard, et grâce à la puissance de mon Seigneur Jésus-Christ la terreur que tu nous inspires ne nous épouvante pas plus que ce tableau placé devant nous. Quant à tes Dieux que tu m’exhortes à honorer, ce furent des trompeurs, des corrupteurs de leurs belles-soeurs ; ils n'ont pas eu même de respect pour leurs père et mère que si aujourd'hui tu avais des esclaves qui leur ressemblassent tu les ferais tuer incontinent. Je suis étonné de constater comment un empereur si éclairé me commande d'avoir de l'estime pour des dieux qui n'étaient que des hommes et dont la vie était si corrompue que si vos esclaves ne vivaient pas mieux aujourd'hui, vous les feriez punir exemplairement."
L'empereur donc, se réputant vaincu par un enfant, le fit décapiter sur la voie Aurélienne, vers l’an du Seigneur 287. Son corps fut enseveli avec soin par Octavie (Cocavilla), femme d'un sénateur.
Au rapport de Grégoire de Tours (Miraculorum, lib. I, chap. XXXIX.), si quelqu'un ose prêter un faux serment sur le tombeau du martyr, avant qu'il soit arrivé au chancel du choeur, il est aussitôt possédé du démon et devient hors de lui, ou bien il tombe sur le pavé et meurt.
Il s'était élevé un procès assez important entre deux particuliers. Or, le juge connaissait parfaitement le coupable. Le zèle de la justice le porta à les mener tous les deux à l’autel de saint Pierre ; et là il força celui qu'il savait avoir tort à confirmer par serment sa prétendue innocence, en priant l’apôtre de venger la vérité par une manifestation quelconque.
Or, le coupable ayant fait serment et n'ayant éprouvé aucun accident, le juge, convaincu de la malice de cet homme, et enflammé du zèle de la justice s'écria :
" Ce vieux Pierre est ou trop bas, ou bien il cède à moindre que lui. Allons vers Pancrace ; il est jeune, requérons de lui ce qui en est."
On y alla ; le coupable eut l’audace de faire un faux serment sur le tombeau du martyr ; mais il ne put en retirer sa main et expira bientôt sur place.
C'est de là que vient la pratique encore observée aujourd'hui de faire jurer, dans les cas difficiles, sur les reliques de saint Pancrace.

Martyr de saint Pancrace. Vie de saints. R. de Monbaston. XIVe.
Des années plus tard, quand saint Grégoire le Grand convertit en monastère la maison ancestrale de saint Pancrace, qui était voisine de celle de son oncle Denys, il enseigna à ses moines de vénérer le jeune Saint qui avait souffert le martyre juste à côté de leur couvent, et, quand il devint pape, il fit inclure la tête de saint Pancrace dans un buste en argent et vénérer dans sa cathédrale du Latran. Le buste retourna à l'église de Saint-Pancrace au XIIe siècle.
L'attribut de saint Pancrace est l'épée ; c'est aussi l'attribut des saints Nérée et Achillée qui sont fêtés aussi en ce jour.

Statue. Eglise Saint-Pancrace. Castellare-di-Casinca. Corse. XIXe.
RELIQUES, CULTE ET LES DIVERS NOMS DE SAINT PANCRACE
Il y a à Rome une église de son nom, et la porte anciennement appelée Aurelia, se nomme aujourd'hui Saint-Pancrace. Saint Grégoire, pape, parle de sa tombe et de ses reliques dans l'Homélie 27 sur saint Jean et dans le 3e livre de son Registre, épître 18.
Saint Grégoire de Tours, qui vivait avant lui, raconte un miracle perpétuel que Dieu y faisait par les mérites de ce saint Martyr : ceux qui allaient faire quelque serment solennel en l'église qui lui est dédiée étaient visiblement punis de Dieu, quand ils ne disaient pas la vérité : ou ils tombaient morts sur place, ou ils étaient possédés du démon, qui les tourmentaient par mille sortes de supplices à la vue de tout le monde.
Baillet écrit qu'" il s'est fait une grande distraction des reliques de saint Pancrace en diverses églises d'Europe : et comme il est assez ordinaire de voir que lorsqu'on a quelque ossement considérable d'un Saint, on se vante d'avoir son corps, on doit être moins surpris d'entendre dire que le corps de saint Pancrace se trouve en 15 ou 20 endroits différents, sans être obligé de recourir au mystère de la reproduction. Outre ce qui est resté de ses reliques dans l'église de son nom, à Rome, on voit son chef dans celle de Latran où son office se fait double en remettant celui des saints Nérée et Achillée au premier jour libre qui suit ".
On trouve aussi quelques parties de ses reliques dans celle de saint Clément et dans d'autres églises de la ville. On en montre pareillement à Albano, ville de la campagne de Rome ; dans 3 églises différentes de la ville de Bologne, où il n'est pas possible que l'on n'ait pas donné son nom à quelque corps étranger, puisque l'on produit, parmi ces reliques, une tête de saint Pancrace, outre celle qui est dans la basilique du Latran.
On aurait peut-être sujet de penser la même chose de celles que l'on garde sous le même nom à Venise, chez les religieuses de saint Zacharie ; dans le Milanais, quoiqu'il soit vrai que saint Grégoire le Grand en ait envoyé du tombeau de notre Saint à Fortunat, évêque de Milan ; à Lantosca, en Piémont, dans le Comtat de Nice ; dans plusieurs autres villes d'Italie, où on l'appelle saint Brancas ou Brancaccio ; en divers endroits de la Sicile ; à Avignon, dans deux églises différentes ; en France, où en envoyèrent de Rome les papes Pélage, pour Marseille et Tours ; saint Grégoire le Grand pour Pallade, évêque de Saintes ; d'autres à Saint-Riquier, à Saint-Malo et ailleurs.
On ne peut nombrer tous ces lieux du royaume qui se vantent d'en avoir, mais la plupart sans titre. La célébrité de son culte y est si grande, qu'il n'y a presque point de province qui ne s'en soit formé un Saint particulier en diversifiant son nom par la corruption de leur language. Car c'est lui que l'on trouve appelé saint Blancat, saint Planchas ou Planchais, saint Plancart, saint Crampasi ou Crampace, par métathèse, saint Brachs, saint Branchais, saint Blanchars, saint Blansé, et peut-être encore autrement.
Saint Pancrace est appelé Planchers en Normandie. Le pape Vitalien envoya de ses reliques à saint Wandrille, abbé de Fontenelle, qui construisit une église sous son invocation : cette double circonstance répandit son culte dans le diocèse de Coutances et dans les diocèses voisins.
Les Pays-Bas ne sont guère moins pourvus de reliques qui porent le nom de saint Pancrace. On en voit à Gand, à Douai, et à Malines ; on en voyait aussi à Utrecht et à Leyde, avant le changement de religion dans les Pays-Bas unis. On en montre à Cologne dans plusieurs églises, à Dusseldorf sur le Rhin, au duché de Berg, à Trèves, et même à Prague, en Bohème. On en a vu aussi en Angleterre, où la première église consacrée à Dieu depuis la " conversion " des Anglais par le moine saint Augustin, missionnaire de saint Grégoire le Grand, fut dédiée sous le nom et l'invocation de saint Pancrace, dans la ville de Cantorbéry. Il ne vint néanmoins des reliques de ce saint Martyr dans cette île que plus de 50 ans après. Ce fut le pape Vitalien qui en envoya, vers l'an 656, à Oswi, roi de Northumberland, pour augmenter encore le culte que les missionnaires romains y avaient établi, ou plutôt pour reconnaître et récompenser les services que ce prince rendait à l'église du pays.
La plupart des églises qui gardent des reliques sous le nom de saint Pancrace, ont quelque fête particulière en différents jours de l'année, pour célébrer leur réception ou leur translation : mais elles se réunissent à solenniser celle de son martyre au 12 de mai, quoiqu'elles ne soient pas toutes persuadées que ce qu'elles ont soit véritablement de lui. Le 12 de mai, où sa fête est marquée dans les Martyrologes du nom de saint Jérôme, dans celui de Bède, ceux du IXe siècle et les suivants, est le jour de sa sépulture plutôt que celui de sa mort. Le Calendrier romain du IVe siècle n'en fait point mention, mais il est dans celui du VIIIe siècle et dans les suivants, et dans les anciens Sacramentaires depuis le VIe siècle.
PRIERE
" La grâce divine qui vous appelait à la couronne du martyre alla vous chercher jusqu'au fond de la Phrygie, Ô Pancrace, pour vous conduire dans la capitale de l'empire, au centre de tous les vices et de toutes les erreurs du paganisme. Votre nom, confondu avec tant d'autres plus éclatants ou plus obscurs, ne semblait pas devoir laisser de trace dans la mémoire des hommes ; à quatorze ans, votre carrière était déjà terminée. Aujourd'hui cependant, votre nom est prononcé par toute la terre avec l'accent de la vénération ; il retentit à l'autel dans les prières qui accompagnent le Sacrifice de l'Agneau.
D'où vous vient, Ô jeune martyr, cette célébrité qui durera autant que le monde ? C'est qu'il était juste qu'ayant été associé à la mort sanglante de notre Christ, la gloire de son immortalité rejaillît jusque sur vous. Gloire soit donc à lui qui honore ainsi ses compagnons d'armes ! Et gloire à vous, Ô martyr, qui avez mérité une telle couronne ! En retour de nos hommages, daignez, Ô Pancrace, jeter un regard de protection sur nous. Parlez de nous à Jésus votre chef et le nôtre. Dans cette vallée d'exil, nous chantons l’Alleluia pour sa résurrection qui nous a remplis d'espérances ; obtenez qu'un jour nous répétions avec vous au ciel ce même Alleluia, devenu éternel, et qui alors signifi
lundi, 12 mai 2025 | Lien permanent | Commentaires (6)
25 mai. Saint Grégoire VII, pape. 1085.
- Saint Grégoire VII, pape. 1085.
Papes : Alexandre II (préd.) ; Victor III (succes.). Roi de France : Philippe Ier. Empereur d'Allemagne : Henri IV.
" Eloignez de vous toute prévarication ; faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau."
Ezech. XVIII, 31.
" J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité ; c'est pour cela que je meurs en exil."
Saint Grégoire VII.
Saint Grégoire VII. Détail. Carlo Saraceni. XVIIe.
Après avoir salué sur le cycle du Temps Pascal les deux noms illustres de Léon le Grand et de Pie V, nous nous inclinons aujourd'hui devant celui de Grégoire VII. Ces trois noms résument l'action de la Papauté dans la suite des siècles, après l'âge des persécutions. Le maintien de la doctrine révélée, et la défense de la liberté de l'Eglise : telle est la mission divinement imposée aux successeurs de Pierre sur le Siège Apostolique. Saint Léon a soutenu avec courage et éloquence la foi antique contre les novateurs ; saint Pie V a fait reculer l'invasion de la prétendue réforme, et arraché la chrétienté au joug de l'islamisme ; placé entre ces deux pontifes dans l'ordre des temps, saint Grégoire VII a sauvé la société du plus grand péril qu'elle eût encore éprouvé, et fait refleurir dans son sein les mœurs chrétiennes par la restauration de la liberté de l'Eglise.
Au moment où finissait le Xe siècle et commençait le XIe, l'Eglise de Jésus-Christ était en proie à l'une des plus terribles épreuves qu'elle ait rencontrées sur son passage en ce monde. Après le fléau des persécutions, après le fléau des hérésies, était arrivé le fléau de la barbarie. L'impulsion civilisatrice donnée par Charlemagne s'était arrêtée de bonne heure au IXe siècle, et l'élément barbare, plutôt comprimé que dompté, avait forcé ses digues. La foi demeurait encore vive dans les masses ; mais elle ne pouvait à elle seule triompher de la grossièreté des mœurs. Le désordre social provenant de l'anarchie que le système féodal avait déchaînée dans toute l'Europe, enfantait mille violences, et le droit succombait partout sous la force et la licence. Les princes ne rencontraient plus un frein dans la puissance de l'Eglise ; car Rome elle-même asservie aux factions voyait trop souvent s'asseoir sur la chaire apostolique des hommes indignes ou incapables.
Cependant le XIe siècle avançait dans son cours, et le désordre semblait incurable. Les évêchés étaient devenus la proie de la puissance séculière qui les vendait, et les princes se préoccupaient surtout de rencontrer dans les prélats des vassaux disposés à les soutenir par les armes dans leurs querelles et leurs entreprises violentes. Sous un épiscopat en majeure partie simoniaque, comme l'atteste saint Pierre Damien, les mœurs du clergé du second ordre étaient tombées dans un affaissement lamentable ; et pour comble de malheur, l'ignorance, comme un nuage toujours plus sombre, s'en allait anéantissant de plus en plus la notion même du devoir. C'en était fait de l'Eglise et de la société, si la promesse du Christ de ne jamais abandonner son œuvre n'eût été inviolable.
Saint Grégoire VII. Frise des papes. Basilique Saint-Pierre. Rome.
Pour guérir tant de maux, pour faire pénétrer la lumière dans un tel chaos, il fallait que Rome se relevât de son abaissement, et qu'elle sauvât encore une fois la chrétienté. Elle avait besoin d'un Pontife saint et énergique qui sentît en lui-même cette force divine que les obstacles n'arrêtent jamais ; d'un Pontife dont l'action pût être longue et non passagère, et dont l'impulsion fût assez énergique pour entraîner ses successeurs dans la voie qu'il aurait ouverte. Telle fut la mission de saint Grégoire VII.
Cette mission, comme chez tous les hommes de la droite de Dieu, fut préparée dans la sainteté Grégoire se nommait encore Hildebrand, lorsqu'il alla cacher sa vie dans le cloître de Cluny. Là seulement, et dans les deux mille abbayes confédérées sous la crosse de cet insigne monastère de France, on rencontrait le sentiment de la liberté de l'Eglise et la pure tradition monastique ; là était préparée depuis plus d'un siècle la régénération des mœurs chrétiennes, sous la succession des quatre grands abbés, Odon, Maïeul, Odilon et Hugues. Mais Dieu gardait encore son secret ; et nul n'eût découvert les auxiliaires de la plus sainte des réformes dans ces monastères qu'un zèle fervent avait attirés d'un bout de l'Europe à l'autre à cette alliance avec Cluny, par ce seul motif que Cluny était le sanctuaire des vertus du cloître. Hildebrand chercha pour sa personne ce pieux asile, au sein duquel il espérait du moins fuir le scandale.
L'illustre saint Hugues ne tarda pas à démêler le mérite du jeune Italien qui fut admis dans la grande abbaye française. Un évêque étranger se rencontra un jour avec le maître et le disciple. C'était Brunon de Toul, désigné par l'empereur Henri III pour être le Pontife de l'Eglise Romaine. Hildebrand s'émeut à la vue de ce nouveau candidat à la chaire apostolique, de ce pape que l'Eglise Romaine, qui seule a le droit d'élire son évêque, n'a pas élu, qu'elle ne connaît pas.
Saint Grégoire VII et les éminents prélats de Cluny :
Odon, Maïeul, Odilon et Hugues.
Illustration d'un manuscrit du XIIIe.
Il ose dire à Brunon qu'il ne doit pas accepter les clefs du ciel de la main de César, que la conscience l'oblige à se soumettre humblement à l'élection canonique de la ville sainte. Brunon, qui fut saint Léon IX, accepte avec soumission l'avis du jeune moine, et tous deux ayant franchi les Alpes s'acheminent vers Rome. L'élu de César devint l'élu de l'Eglise Romaine ; mais Hildebrand n'eut plus la liberté de se séparer du nouveau Pontife. Il dut bientôt accepter le titre et les fonctions d'Archidiacre de l'Eglise Romaine.
Ce poste éminent l'eût élevé promptement sur la chaire apostolique, si Hildebrand eût eu une autre ambition que celle de briser les fers sous lesquels gémissait l'Eglise, et de préparer la reforme de la chrétienté. Mais cet homme de Dieu préféra user de son influence pour faire asseoir sur le siège de Pierre parla voie canonique et en dehors de la faveur impériale, une suite de Pontifes intègres et disposés à user de leur autorité pour l'extirpation des scandales. Après saint Léon IX, on vit passer successivement Victor II, Etienne IX, Nicolas II, et Alexandre II, tous dignes du suprême honneur. Mais il fallut enfin que celui qui avait été l'âme du pontificat sous cinq papes consentît à ceindre lui-même la tiare. Son grand cœur s'émut au pressentiment des luttes terribles qui l'attendaient ; mais ses résistances, ses tentatives pour se soustraire au lourd fardeau de la sollicitude de toutes les Eglises, demeurèrent infructueuses ; et sous le nom de Grégoire VII, le nouveau Vicaire du Christ fut révélé au monde. Il devait remplir toute l'étendue de ce nom qui signifie la Vigilance.
La force brute se dressait devant lui incarnée dans un prince audacieux et rusé, souillé de tous les crimes, et, comme un aigle ravisseur, tenant dans ses serres l'Eglise devenue sa proie. Dans les Etats de l'empire, nul évêque n'eût été souffert sur son siège, s'il n'eût reçu, par l'anneau et la crosse, l'investiture de César. Tel était Henri de Germanie, et à son exemple les autres princes anéantissaient par le même procédé toute liberté dans les élections canoniques. La double plaie de la simonie et de l'incontinence continuait à sévir sur le corps ecclésiastique. Les pieux prédécesseurs de Grégoire avaient fait reculer le mal par de généreux efforts ; mais aucun d'eux ne s'était senti la force de se mesurer corps à corps avec César, dont l'action désastreuse fomentait toutes ces corruptions. Un tel rôle, avec ses périls et ses angoisses, était réservé à Grégoire, et il n'y faillit pas.
Saint Grégoire VII. Homéliaire. XIIe.
Les trois premières années de son pontificat furent cependant assez pacifiques. Grégoire fit des avances paternelles à Henri. Il chercha, dans sa correspondance avec ce jeune prince, à le fortifier contre lui-même, en témoignant des espérances que les faits vinrent trop tôt démentir, en comblant des marques de sa confiance et de sa tendresse le fils d'un empereur qui avait bien mérité de l'Eglise. Henri crut devoir se contenir quelque temps, en face d'un pape dont il connaissait la droiture ; mais la digue céda enfin sous l'impétuosité du torrent, et l'adversaire du pouvoir spirituel se révéla tout entier.
La vente des évêchés et des abbayes recommença au profit de César. Grégoire frappa d'excommunication les simoniaques, et Henri, bravant avec audace les censures de l'Eglise, persista à maintenir sur leurs sièges des hommes résolus à le suivre dans tous ses excès. Grégoire adressa au prince un solennel avertissement, lui enjoignant de rompre avec ces excommuniés, sous peine de voir arriver sur lui-même les foudres de l'Eglise. Henri, qui avait jeté le masque, se promettait de ne tenir aucun compte des menaces du Pontife, lorsque tout à coup la révolte de la Saxe, dont plusieurs des électeurs de l'Empire embrassaient la cause, vient l'inquiéter pour sa couronne. Il sent qu'une rupture avec l'Eglise peut, dans un tel moment, lui devenir fatale. On le voit alors s'adresser en suppliant à Grégoire de solliciter l'absolution, et abjurer sa conduite passée entre les mains de deux légats envoyés en Allemagne par le Pontife. Mais à peine ce monarque félon a-t-il triomphé pour un moment de la révolte saxonne, qu'il recommence la guerre contre l'Eglise. Il ose dans une assemblée d'évêques, dignes de lui, proclamer la déposition de Grégoire. Bientôt l'Italie le voit arriver à la tête de ses troupes, et sa venue donne à une foule de prélats le signal de la révolte contre un pape disposé à ne pas souffrir l'ignominie de leur vie.
C'est alors que Grégoire, dépositaire de ces clefs puissantes qui signifient le pouvoir de lier et de délier au ciel et sur la terre, prononce la terrible sentence qui déclare Henri privé de la couronne et ses sujets dégagés du serment de fidélité à sa personne. Le Pontife ajoute un anathème plus redoutable encore aux princes infidèles : il le déclare exclu de la communion de l'Eglise. En s'opposant ainsi comme un rempart pour la défense de la société chrétienne menacée de toutes parts, Grégoire attirait sur lui l'effort de toutes les mauvaises passions ; et l'Italie était loin de lui offrir les garanties de fidélité sur lesquelles il eût eu droit de compter. César avait pour lui plus d'un prince dans la Péninsule, et les prélats simoniaques le regardaient comme leur défenseur contre le glaive de Pierre. Il était donc à prévoir que bientôt Grégoire n'aurait plus où meure le pied dans toute l'Italie ; mais Dieu qui n'abandonne point son Eglise avait suscité un vengeur pour sa cause. A ce moment la Toscane et une partie de la Lombardie reconnaissaient pour souveraine la jeune et vaillante comtesse Mathilde. Cette noble femme se leva pour la défense du Vicaire de Dieu ; ses trésors, ses armées, elle les tint à la disposition du Siège Apostolique tant qu'elle vécut ; et ses domaines, elle les légua avant sa mort au Prince des Apôtres et à ses successeurs.
Bréviaire à l'usage de Besançon. XIVe.
Au fort de ses succès, Henri eut donc à compter avec Mathilde. Cette princesse, qui balançait son influence en Italie, put soustraire à sa fureur le généreux Pontife. Par ses soins, Grégoire arriva sain et sauf à Canossa, forteresse inexpugnable près de Reggio. A ce moment même la fortune de Henri sembla vaciller. La Saxe relevait l'étendard de la révolte, et plus d'un feudataire de l'Empire se liguait avec les rebelles pour anéantir le tyran que l'Eglise venait de mettre au ban de la chrétienté. Henri eut peur pour la seconde fois, et son âme aussi perfide que lâche ne recula pas devant le parjure. Le pouvoir spirituel entravait ses plans sacrilèges: il osa penser qu'en lui offrant une satisfaction passagère, il pourrait le lendemain relever la tête. On le vit se présenter nu-pieds et sans escorte à Canossa, vêtu en pénitent et sollicitant avec de feintes larmes le pardon de ses crimes. Grégoire eut compassion de son ennemi, pour lequel Hugues de Cluny et Mathilde intercédaient à ses pieds. Il leva l'excommunication, et réintégra Henri au sein de l'Eglise ; mais il ne jugea pas à propos de révoquer encore la sentence par laquelle il l'avait privé des droits de souverain. Le Pontife annonça seulement l'intention de se rendre à la diète qui devait se tenir en Allemagne, de prendre connaissance des griefs que les princes de l'Empire avançaient contre Henri, et de décider alors selon la justice.
Henri accepta tout, prêta serment sur l'Evangile, et rejoignit son armée. L'espérance renaissait dans son cœur, à mesure qu'il s'éloignait de la redoutable forteresse dans les murs de laquelle il avait du sacrifier un instant son orgueil à son ambition. Il comptait sur l'appui des mauvaises passions, et son calcul jusqu'à un certain point ne fut pas trompé. Un tel homme devait finir misérablement ; mais Satan était trop intéressé à son succès pour ne pas lui venir en aide.
Cependant un rival s'élevait en Allemagne contre Henri : Rodolphe, duc de Souabe, appelé à la couronne dans une diète des électeurs de l'Empire. Grégoire, fidèle à ses principes de droiture, refusa d'abord de reconnaître cet élu, bien que son attachement à l'Eglise et ses nobles qualités le rendissent particulièrement recommandable. Le Pontife persistait dans son projet d'entendre dans l'assemblée des princes et des villes de l'Allemagne les griefs reprochés à Henri, de l'écouter lui-même, et de mettre fin aux troubles en prononçant un jugement équitable. Rodolphe insistait auprès du Pontife pour en obtenir la reconnaissance de ses droits ; Grégoire qui l'aimait eut le courage de résister à ses instances, et de remettre l'examen de sa cause à cette diète que Henri avait acceptée avec serment à Canossa, mais dont il craignait tant les résultats. Trois années se passèrent durant lesquelles la patience et la modération du Pontife furent constamment mises à l'épreuve par les délais de Henri, et par son refus d'assurer la sécurité de l'Eglise. Enfin le Pontife, dans l'impuissance de mettre un terme aux discussions armées qui ensanglantaient l'Allemagne et l'Italie, ayant constaté le mauvais vouloir de Henri et son parjure, lança de nouveau contre lui l'excommunication, et renouvela dans un concile tenu à Rome la sentence par laquelle il l'avait déclaré privé de la couronne. En même temps Grégoire reconnaissait l'élection de Rodolphe et accordait la bénédiction apostolique à ses adhérents.
Henri IV. Miniature allemande du XIIe.
La colère de Henri monta au comble, et sa vengeance ne garda plus de mesure. Parmi les prélats italiens les plus dévoués à sa cause, Guibert, archevêque de Ravenne, était le plus ambitieux et le plus compromis à l'égard du Siège Apostolique. Henri fit de ce traître un anti-pape, sous le nom de Clément III. Ce faux pontife ne manqua pas de partisans, et le schisme vint se joindre aux autres calamités qui pesaient déjà sur l'Eglise. C'était un de ces moments terribles où, selon l'expression de saint Jean, " il est donné à la bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre " (Apoc. XI, 7.). Tout à coup la victoire se déclare en faveur de César. Rodolphe est tué dans une bataille en Allemagne, et les troupes de Mathilde sont défaites en Italie. Henri n'a plus qu'un vœu, celui d'entrer dans Rome, d'en chasser Grégoire et d'introniser son anti-pape sur la chaire de saint Pierre.
Au milieu de ce cataclysme effrayant d'où l'Eglise cependant devait sortir épurée et affranchie, quels étaient les sentiments de notre saint Pontife ? Il les décrit lui-même dans une lettre adressée à saint Hugues de Cluny :
" Telles sont, lui dit-il, les angoisses auxquelles nous sommes en proie, que ceux-là même qui vivent avec nous, non seulement ne les peuvent plus souffrir, mais n'en supportent pas même la vue. Le saint roi David disait : " En proportion de la douleur immense qui oppressait mon cœur, vos consolations, Seigneur, sont venues réjouir mon âme " : mais pour nous, bien souvent la vie est un ennui et la mort un vœu ardent. S'il arrive que Jésus, le tendre consolateur, vrai Dieu et vrai homme, daigne me tendre la main, sa bonté rend la joie à mon cœur affligé; mais pour peu qu'il se retire, mon trouble arrive à l'excès. En ce qui est de moi je meurs sans cesse ; en ce qui est de lui je vis par moments. Si mes forces défaillent tout à fait, je crie vers lui, je lui dis d'une voix gémissante : " Si vous imposiez un fardeau aussi pesant à Moïse et à Pierre, ils en seraient, ce me semble, accablés. Que peut-il advenir de moi qui ne suis rien en comparaison d'eux ? Vous n'avez donc, Seigneur, qu'une chose à faire: c'est de gouverner vous-même, avec votre Pierre, le pontificat qui m'est imposé ; autrement vous me verrez succomber, et le pontificat sera couvert de confusion en ma personne "." (Data Romae, nonis maii, indictione I (1078).).
Ce cri de détresse qui s'échappe de l'âme du saint Pontife révèle son caractère tout entier. Le zèle pour les mœurs chrétiennes qui ne peuvent se conserver que par la liberté de l'Eglise, était le mobile de sa vie entière. Un tel zèle avait pu seul lui faire affronter cette situation terrible, dans laquelle il n'avait à recueillir en ce monde que les chagrins les plus cuisants. Et pourtant, Grégoire était ce père de la chrétienté qui, devançant ses successeurs, avait conçu dès
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11 juin. Saint Barnabé, Apôtre. Ier siècle.
Saint Jean Chrysostome. Hom. XXXV, sup Matth.

Bréviaire romain. XVe.
Barnabé veut dire fils de celui qui vient, ou bien fils de consolation, ou fils de prophète, ou fils qui enserre. Quatre fois il a le titre de fils pour quatre sortes de filiation. L'écriture donne ce nom de fils, en raison de la génération, de l’instruction, de l’imitation, et de l’adoption. Or, il fut régénéré par Notre Seigneur Jésus-Christ dans le baptême, il fut instruit dans l’évangile, il imita le Seigneur par son martyre, et il en fut adopté par la récompense céleste. Voilà pour ce qui le regarde lui-même. Voici maintenant ce qui le concerne quant aux autres : il fut arrivant, consolant, prophétisant et enserrant. Il fut arrivant, parce qu'il alla prêcher partout : ceci est clair, puisqu'il fut le compagnon de saint Paul. II consola les pauvres et les affligés, les premiers en leur portant des aumônes, les seconds en leur adressant des lettres de la part des apôtres : Il prophétisa puisqu'il fut illustre en annonçant les choses à venir; il fut enserrant, c'est-à-dire qu'il réunit et rassembla dans la foi une multitude de personnes ; la preuve en est dans sa mission à Antioche. Ces quatre qualités sont indiquées dans le livre des Actes (XI.). C'était un homme, mais un homme de courage, ce qui a trait à la première qualité, bon, c'est pour la seconde, plein du Saint-Esprit, voilà pour la troisième, et fidèle ou plein de foi, ceci regarde la quatrième qualité. Jean le même due Marc son cousin compila son martyre. Il en est question principalement à partir de la vision de ce Jean, jusque vers la fin. On pense que Bède le traduisit du grec en latin.

Bréviaire franciscain. XVe.
La promulgation de l'alliance nouvelle est venue convier tous les peuples à prendre place au banquet du royaume de Dieu ; depuis lors, nous l'avons remarqué, l'Esprit sanctificateur produit les Saints, dans le cours des siècles, à des heures qui correspondent souvent aux desseins les plus profonds de l'éternelle Sagesse sur l'histoire des nations. Nous ne devons pas nous en étonner : les nations chrétiennes ayant comme nations leur rôle assigné dans l'avancement du règne de l'Homme-Dieu, cette vocation leur confère des devoirs et des droits supérieurs à la loi de nature ; l'ordre surnaturel les investit de toutes ses grandeurs, et l'Esprit-Saint préside par ses élus à leur développement comme à leur naissance. C'est à bon droit que nous admirons dans l'histoire cette providence merveilleuse agissant, à leur insu quelquefois, parmi les peuples, dominant par l'influence cachée de la sainteté des petits et des humbles l'action des puissants qui semblent conduire toutes choses au gré de leur seule volonté. Mais, entre les Saints qui nous apparaissent comme le canal des grâces destinées aux nations, il en est que la reconnaissance universelle doit oublier moins que tous les autres : ce sont les Apôtres, placés comme fondement à la base de l'édifice social chrétien (Eph. 11, 20.) dont l'Evangile est la force et la loi première. L'Eglise veille soigneusement à écarter de ses fils le danger d'un oubli si funeste ; aucune saison liturgique n'est privée du souvenir de ces glorieux témoins du Christ.

Guérison de l'infirme de Lystra par saint Barnabé.
Mais depuis la consommation des mystères du salut, qui livra le monde aux conquêtes de leur zèle, leurs noms se pressent davantage encore sur les fastes sacrés ; chaque mois du Cycle emprunte son éclat, pour une part principale, au triomphe de quelqu'un d'entre eux. Le mois de juin, tout embrasé des feux récents de la Pentecôte, vit l'Esprit-Saint poser les premières assises de l'Eglise sur ses fondements prédestinés ; il méritait l'honneur d'être choisi pour rappeler au monde les grands noms de Pierre et de Paul, qui résument les services et la gloire du collège entier des Apôtres. Pierre proclama l'admission des gentils à la grâce de l'Evangile ; Paul fut déclaré leur Apôtre; mais, avant même d'avoir comme il convient rendu gloire à la puissante principauté de ces deux guides du peuple chrétien, l'hommage des nations s'adresse à bon droit en ce jour au guide de Paul lui-même dans les débuts de son apostolat, au fils de consolation (Act. IV, 36.) qui présenta le converti de Damas à l'Eglise éprouvée parles violences de Saul le persécuteur. Le 29 juin tirera sa splendeur de la confession simultanée des deux princes des Apôtres, unis à la mort comme dans leur vie (Ant. Oct. Ap. ad Bened.). Honneur donc tout d'abord à celui qui noua dans l'origine cette union féconde, en conduisant au chef de l'Eglise naissante le futur docteur de la gentilité (Act. IX, 27.) ! Barnabé se présente à nous comme avant-coureur ; la fête que lui consacre l'Eglise, est le prélude des joies qui nous attendent à la fin de ce mois si riche en lumière et en fruits de sainteté.

Saint Barnabé prêchant. Martyre de saint Barnabé.
Il partit de là pour Tarse afin d'y chercher Paul, et vint avec lui à Antioche. Ils passèrent un an avec les fidèles qui composaient l'Eglise de cette ville, s'appliquant à leur inculquer les préceptes de la foi et de la vie chrétienne. Ce fut dans cette même ville que l'on commença à donner le nom de Chrétiens aux adorateurs de Jésus-Christ. Les disciples de Paul et de Barnabé secouraient de leurs aumônes les chrétiens de Judée et faisaient passer leurs largesses par les deux Apôtres. Ayant accompli cet office de charité, Paul et Barnabé revinrent à Antioche avec Jean surnommé Marc, qu'ils s'étaient adjoint.

Martyre de saint Barnabé.
Pendant que Paul et Barnabé servaient le Seigneur dans l'Eglise d'Antioche, jeûnant et priant avec les autres prophètes et docteurs, le Saint-Esprit dit : " Séparez-moi Paul et Barnabé pour l'œuvre à laquelle je les ai destinés ". Alors, avec des jeûnes et des prières, on leur imposa les mains et on les laissa partir. Ils allèrent à Séleucie, et de là en Chypre ; ils parcoururent en outre beaucoup de villes et de pays, prêchant l'Evangile avec un grand fruit pour ceux qui les écoutaient. Barnabé se sépara ensuite de Paul avec Jean surnommé Marc, et il revint en Chypre. Ce fut là que, vers la septième année de Néron, le trois des ides de juin, il unit la couronne du martyre à l'honneur de l'apostolat. Son corps fut retrouvé dans l'ile de Chypre sous l'empire de Zenon ; sur sa poitrine était une copie de l'évangile de saint Matthieu écrite de la main de Barnabé lui-même.
Devenu près de l'Eglise garant du Docteur des nations, il vous appartenait de le conduire en ses premiers travaux. Quelle gloire à vous d'avoir eu Paul pour compagnon ! S'il vous manqua d'avoir été mis au nombre des douze, votre autorité fut bien celle qui se rapprocha le plus de la leur. Délégué par eux à Antioche après le baptême de Cornélius, pour prendre en mains la conduite de l'évangélisation des gentils, vous vous adjoignîtes le nouvel ouvrier ; c'est alors que la parole du salut, passant par vos lèvres, produisit des conversions si nombreuses, qu'on donna pour la première fois aux fidèles le nom de chrétiens, qui les distinguait à la fois des païens et des Juifs. L'émancipation des nations était accomplie ; et Paul, aux yeux de tous et d'après le langage de l'Esprit-Saint lui-même, n'était encore que votre disciple et votre protégé (Act. XI, 30 ; XII, 25 ; XIII, 1.), Aussi l'Esprit voulut-il que l'ordination solennelle qui le constituait Apôtre des gentils, vous fût commune avec lui. Vos voies, inséparables jusque-là et quelque temps encore, n'allaient pas tarder à se diviser pour le bien d'un plus grand nombre d'âmes. L'île de Chypre, fatalement abusée par le démon de la volupté durant les siècles de l'idolâtrie, reçut plus spécialement vos soins apostoliques ; elle vous avait donné le jour : vous lui rendîtes en échange votre sang et vos sueurs, portant partout sur son territoire la sainte et purifiante lumière du Fils de Dieu.

Missel à l'usage de Saint-Didier d'Avignon. XVe.
Mais le feu de la Pentecôte qui brûlait en vous, sollicitait votre âme à des missions plus lointaines. C'est de vous-même qu'il était écrit, en même temps que de Paul :
" Je t'ai établi pour être la lumière des nations et leur salut jusqu'aux extrémités de la terre." (Act. XIII, 47.).
L'Italie entendit votre douce parole qui répandait la joie sainte et la consolation du Paraclet ; elle vit ce noble visage, dont la sereine majesté faisait croire aux pauvres païens qu'ils recevaient en votre personne le prince de leurs dieux, caché sous des traits humains (Ibid. XIV, 11.). Bergame, Brescia, d'autres villes encore, Milan surtout, vous honorent comme leur père. Du haut de votre trône d'Apôtre, Ô Barnabé, gardez en elles toujours la foi que vous y avez déposée ; plus heureuses que les cités de l'île de Chypre, elles sont jusqu'ici restées fidèles. Protégez l'Ordre utile à l'Eglise, qui se réclame de votre puissant patronage; que son apostolat continue le vôtre, et mérite jusqu'au dernier jour à ses membres l'estime dont les entourait saint Charles Borromée, votre glorieux successeur sur le siège de Milan. Enfin, Ô père des nations, étendez votre sollicitude à la gentilité entière qui vous fut confiée par l'Esprit-Saint sans distinction de races ou de pays : qu'elle entre toute dans la voie de lumière si bien décrite par la Lettre précieuse qui porte votre nom béni (Ep. cathol. S. Barnab. ap. XIX.) ; qu'elle soit pour Dieu le vrai temple dont celui de Moriah n'était que la figure (Ibid. XVI.)."
mercredi, 11 juin 2025 | Lien permanent | Commentaires (1)
Fête-Dieu ou fête du Saint-Sacrement.
- Fête-Dieu ou fête du Saint-Sacrement.
" Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem."
" Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture."
Institution du Saint-Sacrement par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Fra Angelico. Couvent San Marco. Florence. XVe.
A LA MESSE
Par suite des mesures consenties entre le Saint-Siège et le Gouvernement français pour la réduction des fêtes, au commencement de ce siècle, la plupart des Eglises de France célèbrent aujourd'hui seulement la solennité du Corps du Seigneur. La Messe que l'on chante dans ces Eglises est celle du jour même de la fête (page 299), avec mémoire du Dimanche en la manière ordinaire. Dans les lieux au contraire où la solennité s'est célébrée à son jour, on fait seulement mémoire de la fête à la Messe de ce Dimanche qui est le deuxième après la Pentecôte.
ÉPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Jean, Apôtre. I, Chap. III.
La messe miraculeuse. Détail.
Simone Martini. Eglise Saint-François. Assise. XVe.
" Mes bien-aimés, ne vous étonnez pas, si le monde vous hait. Pour nous, nous reconnaissons , à l'amour que nous avons pour nos frères, que nous sommes passés de la mort à la vie. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort : tout homme qui hait son frère est un homicide. Or, vous savez que nul homicide n'a la vie éternelle résidant en soi. Nous avons reconnu l'amour de Dieu envers nous, en ce qu'il a donné sa vie pour nous, et nous aussi nous devons donner nos vies pour nos frères. Celui qui possède le bien de ce monde, si voyant son frère dans la nécessité, il lui ferme son cœur, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Mes petits enfants, aimons, non de parole ni de langue, mais d'oeuvre et en vérité."
En 1135, à l'issue de la messe, saint Bernard brandit
le Saint-Sacrement et obtint la soumission du duc d'Aquitaine,
Guillaume X qui soutenait l'antipape Anaclet II.
Eglise Saint-Laurent. Parthenay. Poitou. XIXe.
Ces touchantes paroles du disciple bien-aimé ne pouvaient mieux être rappelées au peuple fidèle qu'en la radieuse Octave qui poursuit son cours. L'amour de Dieu pour nous est le modèle comme la raison de celui que nous devons à nos semblables ; la charité divine est le type de la nôtre.
" Je vous ai donné l'exemple, dit le Sauveur, afin que, comme j'ai fait à votre égard, vous fassiez vous-mêmes." (Johan. XIII, 15.).
Si donc il a été jusqu'à donner sa vie, il faut savoir aussi donner la nôtre à l'occasion pour sauver nos frères. A plus forte raison devons-nous les secourir selon nos moyens dans leurs nécessités, les aimer non de parole ou de langue, mais effectivement et en vérité.
Or le divin mémorial, qui rayonne sur nous dans sa splendeur, est-il autre chose que l'éloquente démonstration de l'amour infini, le monument réel et la représentation permanente de cette mort d'un Dieu à laquelle s'en réfère l'Apôtre ?
Aussi le Seigneur attendit-il, pour promulguer la loi de l'amour fraternel qu'il venait apporter au monde, l'institution du Sacrement divin qui devait fournir à cette loi son puissant point d'appui. Mais à peine a-t-il créé l'auguste Mystère, à peine s'est-il donné sous les espèces sacrées :
" Je vous a donne un commandement nouveau, dit-il aussitôt ; et mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés." (Ibid. XIII, 34. ; XV, 12.).
Précepte nouveau, en effet, pour un monde dont l'égoïsme était l'unique loi ; marque distinctive qui allait foire reconnaître entre tous les disciples du Christ (Ibid XIII, 35.), et les vouer du même coup à la haine du genre humain (Tacit. Ann. XV.) ; rebelle à cette loi d'amour. C'est à l'accueil hostile fait par le monde d'alors au nouveau peuple, que répondent les paroles de saint Jean dans notre Epître :
" Mes bien-aimés, ne vous étonnez pas que le monde vous haïsse. Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort."
L'union des membres entre eux par le Chef divin est la condition d'existence du christianisme ; l'Eucharistie est l'aliment substantiel de cette union, le lien puissant du corps mystique du Sauveur qui, par elle, croît tous les jours dans la charité (Eph. VI, 16.). La charité, la paix, la concorde, est donc, avec l'amour de Dieu lui-même, la plus indispensable et la meilleure préparation aux sacrés Mystères. C'est ce qui nous explique la recommandation du Seigneur dans l'Evangile :
" Si, lorsque vous présentez votre offrande à l'autel, vous vous souvenez là même que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l'autel, et allez d'abord vous réconcilier avec votre frère, et venez ensuite présenter votre offrande." (Matth. V, 23-24.).
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. XIV.
Dispute du Saint-Sacrement. Raphaël. XVIe.
" En ce temps-là, Jésus dit aux Pharisiens cette parabole : Un homme fit un grand souper, et il y convia beaucoup de gens. Et à l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés de venir, parce que tout était prêt. Et tous commencèrent à s'excuser.
Le premier lui dit :
" J'ai acheté une maison de campagne, et il faut que je l'aille voir : je vous prie de m'excuser."
Et le second dit :
" J'ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les essayer : je vous prie de m'excuser."
Et un autre dit :
" J'ai épousé une femme, et c'est pourquoi je ne puis venir."
Et le serviteur étant de retour, rapporta tout ceci à son maître. Alors le père de famille irrité dit à son serviteur :
" Va vite par les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres et les infirmes, les aveugles et les boiteux."
Et le serviteur dit :"
" Seigneur, il a été fait comme vous avez commandé, et il y a encore de la place."
Et le maître dit au serviteur :
" Va par les chemins et le long des haies, et contrains d'entrer, afin que ma maison se remplisse. Car je vous le dis, aucun de ces gens qui avaient été invités ne goûtera de mon souper."
Retable du Saint-Sacrement. Eglise Saint-Thégonnec.
Saint-Thégonnec. Bretagne. XVIIe.
La fête du Corps du Seigneur n'était point encore établie, que déjà cet Evangile était attribué au présent Dimanche. C'est ce que témoignent, pour le XIIe siècle, Honorius d'Autun (Gemma anim. IV, 45-46.) et Rupert (De div. Off. XII, 2.). Le divin Esprit, qui assiste l'Eglise dans l'ordonnance de sa Liturgie, préparait ainsi à l'avance le complément des enseignements de cette grande solennité.
La parabole que propose ici le Sauveur à la table d'un chef des Pharisiens (Luc. XIV, 1.) reviendra sur ses lèvres divines au milieu du temple, dans les jours qui précéderont immédiatement sa Passion et sa mort (Matth. XXII, 1-14.). Insistance significative, qui nous révèle assez l'importance de l'allégorie. Quel est, en effet, ce repas aux nombreux invités, ce festin des noces, sinon celui-là même dont la Sagesse éternelle a fait les apprêts dès l'origine du monde ? Rien n'a manqué aux magnificences de ces divins apprêts : ni les splendeurs de la salle du festin élevée au sommet des monts (Isai. 11, 2.) et soutenue parles sept colonnes mystérieuses (Prov. IX, 1.) ; ni le choix des mets, ni l'excellence du pain, ni les délices du vin servis sur la table royale.
Elle-même, de ses mains, la Sagesse du Père a pressuré dans la coupe la grappe de cypre (Cant. I, 13.) au suc généreux, broyé le froment levé sans semence d'une terre sacrée, immolé la victime (Prov. IX, 2.). Israël, l'élu du Père (Eccli. XXIV, 13.), était l'heureux convive qu'attendait son amour ; elle multipliait ses messages aux fils de Jacob. La Sagesse de Dieu s'était dit : " Je leur enverrai les prophètes et les apôtres " (Luc. XI, 49.). Mais le peuple aimé, engraissé de bienfaits, a regimbé contre l'amour ; il a prisa tâche de provoquer par ses abandons méprisants la colère du Dieu son Sauveur (Deut. XXXII, 15-16.). La fille de Sion, dans son orgueil adultère, a préféré le libelle de répudiation au festin des noces (Isai. I, 1.) ; Jérusalem a méconnu les célestes messages, tué les prophètes (Matth. XXIII, 34-37.), et crucifié l'Epoux.
Mais, alors même, la Sagesse éternelle offre encore aux fils ingrats d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, en souvenir de leurs pères, la première place à son divin banquet ; c'est aux brebis perdues delà maison d'Israël que sont d'abord envoyés les Apôtres (Ibid. X, 6 ; Act., XIII, 46.).
" Ineffables égards, s'écrie saint Jean Chrysostome ! Le Christ appelle les Juifs avant la croix ; il persévère après son immolation et continue de les appeler. Lorsqu'il devait, semble-t-il, les accabler du plus dur châtiment, il les invite à son alliance et les comble d'honneurs. Mais eux, qui ont massacré ses prophètes et qui l'ont tué lui-même, sollicités par un tel Epoux, conviés à dételles noces par leur propre victime, ils n'en tiennent nul compte, et prétextent leurs paires de bœufs, leurs femmes ou leurs champs." (Hom. 69 in Matth.).
Bientôt ces pontifes, ces scribes, ces pharisiens hypocrites, poursuivront et tueront les Apôtres a leur tour ; et le serviteur de la parabole ne ramènera de Jérusalem au banquet du père de famille que les pauvres, les petits, les infirmes des rues et places de la ville, chez qui du moins l'ambition, l'avarice ou les plaisirs n'auront point fait obstacle à l'avènement du royaume de Dieu.
C'est alors que se consommera la vocation des gentils, et le grand mystère de la substitution du nouveau peuple à l'ancien dans l'alliance divine. " Les noces de mon Fils étaient prêtes, dira Dieu le Père à ses serviteurs ; mais ceux que j'y avais invités n'en ont point été dignes. Allez donc ; quittez la ville maudite qui a méconnu le temps de sa visite " (Luc. XIX, 44.) ; " sortez dans les carrefours, parti courez toutes les routes, cherchez dans les champs de la gentilité, et appelez aux noces tous ceux que vous rencontrerez " (Matth. XXII, 8-14.).
Gentils, glorifiez Dieu pour sa miséricorde (Rom. XV, 9.). Conviés sans mérites de votre part au festin préparé pour d'autres, craignez d'encourir les reproches qui les ont exclus des faveurs promises à leurs pères. Boiteux et aveugle appelé du carrefour, sois empressé à la table sacrée. Mais songe aussi, par honneur pour Celui qui t'appelle, à déposer les vêtements souillés du mendiant du chemin. Revêts en hâte la robe nuptiale. Ton âme est reine désormais par l'appel à ces noces sublimes :
" Orne-la donc de pourpre, dit saint Jean Chrysostome ; mets-lui le diadème, et place-la sur un trône. Songe aux noces qui t'attendent, aux noces de Dieu ! De quels tissus d'or, de quelle variété d'ornements ne doit pas resplendir l'âme appelée à franchir le seuil de cette salle du festin, de cette chambre nuptiale !" (Hom. 69 in Matth.).
jeudi, 19 juin 2025 | Lien permanent | Commentaires (1)
20 juin. Saint Silvère, pape et martyr. 538.
- Saint Silvère, pape et martyr. 537.
Papes : Saint Agapet (prédécesseur) ; Vigile (successeur). Empereur romain d'Orient : Justinien Ier.
" De même que les étoiles semblent disparaître pendant le jour pour ne briller que pendandt la nuit ; ainsi la véritable vertu, que l'on ne distingue pas toujours dans la prospérité, se montre à découvert dans l'adversité."
Saint Bernard.

Martyre de saint Sylvère. Bréviaire romain. XVe.
Saint Silvère fut pape de juin 536 au 11 novembre 537. En 536, Agapet Ier avait reçu du roi des Ostrogoths, qui occupaient alors une bonne partie de l'Italie, la mission de se rendre à Constantinople pour essayer de sonder Justinien. Le Basileus, qui tenait l'Afrique, semblait préparer un débarquement dans la péninsule.
Agapet mourut à Constantinople le 22 avril, après une victoire remportée sur le patriarche Anthime, un protégé de l'impérieuse et hérétique impératrice Théodora. Le pape avait su persuader à Justinien que la présence d'Anthime au principal siège ecclésiastique de l'Orient était un scandale dangereux pour l'Église, et Justinien avait chassé le prélat au début de mars.
A Rome, le roi Goth s'occupa de faire élire un successeur au pape défunt. Son candidat fut un fils du pape Hormisdas, mort en 523, nommé Silvère ; c'était un sous-diacre de la Curie. D'ordinaire, on élisait un diacre ou un prêtre. D'après le " Liber pontificalis ", le clergé romain fit opposition à Silvère. Puis finalement le favori des Goths passa.
A ce moment, Bélisaire, à la tête du corps expéditionnaire envoyé par Justinien, débarquait dans le sud de l'Italie. Les Goths reculèrent vers le Nord, laissant à Rome une petite garnison. Silvère négocia avec le général byzantin et, dans la nuit du 9 au 10 décembre, il lui fit ouvrir une porte de Rome. Les Goths filèrent par une autre porte. Mais ils revinrent en force à la fin de février 537 et bloquèrent Rome.
Silvère, candidat des Goths, était quelque peu suspect à Bélisaire. Le diacre Vigile, jadis volontaire pour occuper le siège de Rome, puis nonce à Constantinople, se chargea de noircir Silvère, son rival. Il était recommandé à la femme de Bélisaire, Antonine, une intrigante, par Théodora qui voulait que Rome soutînt le monophysisme.
Bélisaire pressentit Silvère : ne pourrait-il pas faire ce qu'on escomptait de Vigile ? Silvère refusa. On fit courir alors une fausse lettre du pape de Rome où le pontife promettait aux Goths l'entrée libre par la porte Asinaria, proche du Latran, la résidence apostolique. Silvère, pour écarter les suspicions, se retira sur l'Aventin, à Sainte-Sabine. Mais il fut convoqué au Pincio, où Bélisaire avait son quartier général. Le général et Antonine l'accusèrent de haute trahison ; deux clercs entrèrent, enlevèrent au pontife son pallium et lui firent endosser un habit de moine. On l'expédia en Asie, à Patare de Lycie. Les Romains apprirent que Silvère était devenu moine, ils ne devaient plus le revoir. Bélisaire fit proclamer Vigile pape.
Mais l'évêque de Patare, ayant su de Silvère comment les choses s'étaient passées, prit sa défense courageusement. Il alla jusqu'au Basileus. " Il y a ici-bas beaucoup de rois, mais pas un comme ce pape préposé à l'Eglise de Rome. Et ils l'ont expulsé !"
Ainsi protestait l'énergique prélat. Justinien se décida à renvoyer Silvère à Rome. Si après enquête sa lettre aux Goths était trouvée fausse, on lui rendrait son Église ; sinon, on le laisserait vivre, en lui conservant le titre d'évêque, mais hors de Rome. Malgré Théodora, Silvère fut rapatrié.
Cependant Vigile veillait. L'enquête par ses soins tourna contre Silvère. On interna son rival à Palmaria, petite île au large du golfe de Gaëte. Nourri au pain de tribulation et à l'eau d'angoisse ", comme dit le Liber ponlificalis dans une formule empruntée au troisième livre des Rois (XXII, 27.), Silvère trépassa probablement le 2 décembre 538, victime, estime la sainte Église, de sa fidélité à l'orthodoxie chalcédonienne.
C'est Adon qui a choisi la date du 20 juin pour inscrire Silvère dans son martyrologe.
PRIERE
" Les eaux de la tribulation ont traversé votre âme (Psalm. LXV, III, 2.), saint Pontife. Ce ne sont point les césars idolâtres qui furent vos persécuteurs. Ce ne fut pas même, comme pour Jean Ier votre prédécesseur presque immédiat sur le siège pontifical et dans l'arène du martyre, un prince hérétique qui déchargea sur vous sa haine de sectaire. Mais la rancune d'une femme indigne, servie par des trahisons parties du sanctuaire, s'acharna contre vous. Avant même que la mort eût fait en vous son œuvre, il se serait trouvé quelqu'un parmi vos fils pour convoiter le lourd fardeau de votre héritage.
Mais quel homme donc eût pu dénouer l'indissoluble lien qui vous attachait à l'Eglise ? L'usurpateur n'eût été qu'un intrus ; jusqu'à ce que les mérites tout-puissants de votre mort glorieuse eussent obtenu le changement du mercenaire en légitime pasteur, et fait de Vigile lui-même l'héritier de votre courage*. Ainsi l'invisible chef de l'Eglise aurait-il permis, pour la honte de l'enfer, que l'ambition portât ses scandales dans le Saint des Saints même. L'inébranlable foi des peuples, en ce siècle qui fut le vôtre, n'en devait point souffrir ; et la lumière résultant de ces faits lamentables apprendrait mieux aux âges suivants que le caractère personnel d'un pape, et ses fautes mêmes, n'affectent point les célestes prérogatives assurées par Dieu au vicaire de son Christ. Gardez en nous, Ô Silvère, le fruit de ces tristes enseignements. Bien pénétré des vrais principes, le peuple chrétien ne verra jamais s'affaiblir en lui le respect dû à Dieu dans ses représentants, quels qu'ils soient ; et le scandale, d'où qu'il vienne, sera impuissant à entamer sa foi."
* Notre rôle ici n'est point de devancer l’Église dans la défense de quelques-uns de ses Pontifes. Toutefois, l'apologétique a d'autres devoirs ; le nôtre est de rappeler que la mémoire du successeur de saint Silvère a trouvé de savants défenseurs. Vigile n'est point, il est vrai, l'objet d'un culte public, et dès lors l’Église n'a pas à répondre de sa sainteté ; il en est autrement pour Silvère ; mais toute apologie du premier qui ne va pas à diminuer la grandeur morale de ce dernier, garantie par l’Église, est licite et louable. [Dom Prosper Guéranger in L’Année liturgique].
vendredi, 20 juin 2025 | Lien permanent | Commentaires (1)
30 septembre 2007. XVIIIe dimanche après la Pentecôte.
- XVIIIe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger.
La guérison du paralytique. Louis Durameau. XVIIIe.
Le paralytique portant son lit forme le sujet de l'Evangile du jour, et donne son nom au dix-huitième Dimanche après la Pentecôte. On a pu remarquer que le rang d'inscription de ce Dimanche le place, au Missel, à la suite des Quatre-Temps d'automne. Nous ne discuterons pas, avec les liturgistes du moyen âge (Berno Aug. Cap. V ; etc.), la question de savoir s'il doit être considéré comme ayant pris la place du Dimanche vacant qui suivait toujours autrefois l'Ordination des ministres sacrés (Microlog. Cap. XXIX.), en la manière que nous avons dite ailleurs (Avent. Samedi des Quatre-Temps). De très anciens manuscrits, Sacramentaires et Lectionnaires, l'appellent de ce nom, sous la formule bien connue : Dominica vacat (Thomasii Opp. Edit. Vezzosi, t. V, p. 148, 149, 309.).
Il n'est pas non plus sans intérêt d'observer que la Messe de ce jour est la seule où soit interverti l'ordre des lectures tirées de saint Paul et formant le sujet des Epîtres, depuis le sixième Dimanche après la Pentecôte : la lettre aux Ephésiens, déjà en cours de lecture et qui sera continuée, s'interrompt aujourd'hui pour donner place au passage de la première Epître aux Corinthiens, dans lequel l'Apôtre rend grâces à Dieu de l'abondance des dons gratuits accordés à l'Eglise en Jésus-Christ. Or, les pouvoirs conférés par l'imposition des mains aux ministres de l'Eglise sont le don le plus merveilleux que connaissent la terre et le ciel même ; et d'un autre côté, les autres parties de cette Messe se rapportent très bien aussi, comme on le verra, aux prérogatives du sacerdoce nouveau.
La liturgie du présent Dimanche offre donc un intérêt spécial, quand il se rencontre au lendemain des Quatre-Temps de septembre. Mais cette rencontre est loin d'être régulière, aujourd'hui du moins ; nous ne saurions nous arrêter davantage sur ces considérations, sans entrer trop exclusivement dans le domaine de l'archéologie et dépasser les bornes qui nous sont imposées.
La guérison du paralytique. Gustave Doré. XIXe.
A LA MESSE
L'introït des Messes dominicales, depuis la Pentecôte, avait toujours été tiré des Psaumes. Parcourant le Psautier du XIIe au CXVIIIe, l'Eglise, sans jamais revenir en arrière sur l'ordre d'inscription de ces chants sacrés, avait pu néanmoins choisir en eux l'expression qui convenait davantage aux sentiments qu'elle voulait formuler dans sa Liturgie. Désormais, sauf une fois encore où le livre par excellence de la louange divine sera de nouveau mis à contribution pour cet objet, c'est à divers autres livres de l'Ancien Testament que les Antiennes d'Introït seront empruntées. Aujourd'hui, Jésus fils de Sirach, l'auteur inspiré de l'Ecclésiastique, demande à Dieu de vérifier, par l'accomplissement de ce qu'ils ont annoncé, la fidélité des prophètes du Seigneur (Eccli. XXXVI, 18.). Les interprètes des oracles divins sont maintenant les pasteurs, que l'Eglise envoie prêcher en son nom la parole du salut et de la paix ; demandons, nous aussi, que jamais la parole ne soit vaine en leur bouche.
EPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. I, Chap. I.
" Mes Frères, je rends grâces à mon Dieu continuellement pour vous , à cause de la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus, parce que vous avez été enrichis en lui dans toutes choses, dans la parole et dans la science, le témoignage du Christ ayant été ainsi confirmé en vous : de sorte que rien ne vous manque en aucune grâce dans l'attente de la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vous gardera encore jusqu'à la fin sans péché pour le jour de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ."
Le dernier avènement du Fils de Dieu n'est plus éloigné. L'approche du dénouement qui doit donner la pleine possession de l'Epoux à l'Eglise redouble ses espérances ; mais le jugement final, qui doit consommer en même temps la réprobation d'un grand nombre de ses fils, joint chez elle la crainte au désir, et ces deux sentiments vont se faire jour plus souvent désormais dans la sainte Liturgie.
L'attente sans doute n'a point cessé d'être pour l'Eglise comme le fonds même de son existence. Séparée de l'Epoux quant à la vision de ses charmes divins, elle n'eût fait depuis sa naissance que soupirer dans la vallée de l'exil, si l'amour qui la pousse ne l'eût pressée de se dépenser, sans retour sur elle-même, pour celui à qui allait tout son cœur. Sans compter donc, elle s'est donnée par le travail, la souffrance, la prière et les larmes. Mais son dévouement, tout généreux qu'il fût, ne lui a point fait oublier l'espérance. Un amour sans désir n'est point la vertu de l'Eglise; elle le condamne, dans ses fils, comme une injure à l'Epoux.
Si légitimes et si véhémentes à la fois étaient dès l'origine ses aspirations, que l'éternelle Sagesse voulut ménager l'Epouse, en lui cachant la durée de l'exil. L'heure de son retour est le seul point sur lequel Jésus, interrogé par les Apôtres, ait refusé de renseigner son Eglise (Matth. XXIV, 3, 36.). Un tel secret entrait dans les vues générales du gouvernement divin sur le monde ; mais c'était aussi, de la part de l'Homme-Dieu, compassion et tendresse : l'épreuve eût été trop cruelle ; et mieux valait laisser l'Eglise à la pensée, véritable d'ailleurs, de la proximité de la fin devant Dieu, pour qui mille ans sont comme un jour (II Petr. III, 8.).
C'est ce qui nous explique la complaisance avec laquelle les Apôtres, interprètes des aspirations de la sainte Eglise, reviennent sans cesse, dans leurs paroles, sur l'affirmation de l'avènement prochain du Seigneur. Le chrétien, saint Paul vient de nous le dire jusqu'à deux fois en une même phrase, est celui qui attend la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ au jour qu'il viendra. Appliquant au second avènement, dans sa lettre aux Hébreux, les soupirs enflammés des Prophètes aspirant au premier (Habac II, 3.) : Encore un peu, un très peu de temps, dit-il, et celui qui doit venir viendra, et il ne tardera point (Heb. X, 37.). C'est qu'en effet, sous la nouvelle comme dans l'ancienne alliance, l'Homme-Dieu s'appelle, en raison de sa manifestation finale attendue, celui qui vient (Matth. XI, 3.), celui qui doit venir (Apoc. 1, 8.). Le cri qui terminera l'histoire du monde sera l'annonce de son arrivée : Voici l'époux qui vient (Matth. XXV, 6.) !
" Ceignant donc spirituellement vos reins, dit saint Pierre à son tour, pensez à la gloire du jour où se révélera le Seigneur ; attendez-le, espérez-le d'une parfaite espérance (I Petr. 1, 5, 7, 13.)." Le Vicaire de l'Homme-Dieu prévoyait cependant le parti que les docteurs de mensonge allaient tirer d'une attente si longtemps prolongée. " Où donc est la promesse ? devaient-ils dire ; à quand son arrivée ? Nos pères se sont endormis du grand sommeil, et toutes choses demeurent comme au commencement (II Petr. III, 3-4.)." Or le chef du collège apostolique reprenait par avance, contre eux, la réponse que Paul son frère (Ibid. 15.) avait déjà faite (Rom. II, 4.) : " Ce n'est point, comme quelques-uns pensent, que le Seigneur retarde sa promesse ; mais il agit ainsi dans sa patience, à cause de vous, ne voulant pas, s'il était possible, qu'aucun pérît, mais que tous revinssent à lui par la pénitence Le jour du Seigneur n'en arrivera pas moins comme un voleur, et alors, dans une effroyable tempête, les cieux passeront, les éléments se dissoudront embrasés, la terre et ses ouvrages seront consumés. Puis donc que tout cela doit périr, quels ne devez-vous pas être par la sainteté de votre vie et vos œuvres pieuses, attendant, hâtant de vos désirs l'arrivée de ce jour du Seigneur où le feu dissoudra les éléments et les cieux ? Car nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où habite la justice. C'est pourquoi, mes bien-aimés, faites en sorte que le Seigneur, quand il viendra, vous trouve dans la paix, sans reproche et sans tache (II Petr. m, 9-14.)... Instruits ainsi de toutes choses à l'avance, veillez sur vous, de peur que, vous laissant emporter aux égarements des insensés, vous ne tombiez de l'état si ferme qui est aujourd'hui le vôtre (Ibid. 17.)."
Si, en effet, le péril doit être grand dans ces derniers jours où les vertus des cieux seront ébranlées (Matth. XXIV, 29.), le Seigneur, ainsi que le dit notre Epître, a pris soin de confirmer en nous son témoignage, d'affermir notre foi par les multiples manifestations de sa puissance. Et comme pour vérifier cette autre parole de la même Epître, qu'il confirmera de la sorte jusqu'à la fin ceux qui croient en lui, ses prodiges redoublent en nos temps précurseurs de la fin. Partout le miracle s'affirme à la face du monde ; les mille voix de la publicité moderne en portent les échos jusqu'aux extrémités de la terre. Au nom de Jésus, au nom de ses Saints, au nom surtout de sa Mère immaculée qui prépare le dernier triomphe de l'Eglise, les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent , les maux du corps et de l'âme perdent soudain leur empire. La manifestation de la puissance surnaturelle est devenue si intense, que les services publics, hostiles ou non, doivent en tenir compte ; le tracé des voies ferrées elles-mêmes se plie à la nécessité de porter les peuples aux lieux bénis où Marie s'est montrée. La terre catholique n'est point la seule où éclate le divin pouvoir. Naguère encore, au cœur de l'infidélité musulmane, n'a-t-on pas vu la ville des sultans tressaillir au bruit des merveilles accomplies par la Reine du ciel en ses murs ? l'eau de sa fontaine miraculeuse a pénétré jusqu'en cette cité de la Mecque ouest fixé le tombeau du fondateur de l'Islam, et dans laquelle jadis un chrétien ne pouvait entrer sans mourir.
L'impie a beau dire en son cœur : Il n’y a point de Dieu (Psalm. XIII, 1.) ! S'il n'entend pas le témoignage divin, c'est que la corruption ou l'orgueil prévaut chez lui sur l'intelligence, comme autrefois sur l'intelligence des ennemis de Jésus durant les jours de sa vie mortelle. Pareil est-il à l'aspic du Psaume (Psalm. LVII, 5-6.), qui se rend sourd ; il se bouche les oreilles, pour ne point ouïr la voix de l'enchanteur divin qui veut nous sauver. Sa conduite n'est que rage (Ibid.) et folie (Psalm. XIII, 1.) ; il aura bien mérité la vengeance.
Ne l'imitons point ; mais, avec l'Apôtre, remercions Dieu pour la profusion miséricordieuse dont il fait preuve envers nous. Jamais ses dons gratuits ne furent plus nécessaires qu'en nos temps misérables. Il ne s'agit plus sans doute, chez nous, de promulguer l'Evangile ; mais les efforts de l'enfer sont devenus tels contre lui, qu'il ne faut rien moins, pour le soutenir, qu'un déploiement de la vertu d'en haut pareil, en quelque chose, à celui dont l'histoire des origines de l'Eglise nous retrace le tableau. Demandons au Seigneur des hommes puissants en paroles et en œuvres. Obtenons que l'imposition des mains produise plus que jamais, dans les élus du sacerdoce, son plein résultat ; qu'elle les fasse riches en toutes choses, et spécialement dans la parole et dans la science. Que nos jours, où tout s'éteint, voient du moins la lumière du salut briller vive et pure par les soins des guides du troupeau du Christ. Puissent les compromis et les lâchetés de générations où tout s'étiole et s'amoindrit, ne jamais amener ces nouveaux christs à décroître eux-mêmes, ni à laisser tronquer en leurs mains la mesure de l'homme parfait (Eph. IV, 13.) qui leur fut confiée pour l'appliquer, jusqu'à la fin, atout chrétien soucieux d'observer l'Evangile! Puisse leur voix, en dépit des vaines menaces, et dominant toujours le tumulte des passions déchaînées, retentir partout aussi ferme et vibrante qu'il convient à l'écho du Verbe !
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. IX.
" En ce temps-là , Jésus , montant dans une barque, passa le lac et vint dans sa ville. Et voici qu'on lui présenta un paralytique couché sur un lit. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Ayez confiance, mon fils ; vos péchés vous sont remis. Alors quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. Jésus, ayant vu leurs pensées, dit :
" Pourquoi pensez-vous du mal en vos cœurs ? Quel est le plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis ; ou de dire : Levez-vous et marchez ? Or, pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il alors au paralytique, emportez votre lit, et allez dans votre maison."
Et il se leva, et s'en alla dans sa maison. Le peuple, voyant donc ces choses, fut saisi de crainte, et rendit gloire à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes."
Au XIIe siècle, dans plusieurs Eglises d'Occident, on lisait aujourd'hui, comme Evangile, le passage du livre sacré où Jésus parle des Scribes et des Pharisiens assis sur la chaire de Moïse (Matth. XXIII, 1-12.). L'Abbé Rupert, qui nous fait connaître cette particularité dans son livre Des divins Offices, rapproche heureusement cet ancien Evangile et l'Antienne de l'Offertoire toujours en usage, où il est aussi question de Moïse. " L'Office de ce Dimanche, dit-il, montre éloquemment à celui qui préside dans la maison du Seigneur et qui a reçu la charge des âmes, la manière dont il doit se comporter dans le rang supérieur où l'a placé la vocation divine. Qu'il ne ressemble pas à ces hommes assis indignement sur la chaire de Moïse ; mais qu'il soit comme Moïse lui-même, lequel présente dans l'Offertoire et ses Versets un beau modèle aux chefs de l'Eglise. Les pasteurs des âmes ne doivent pas ignorer, en effet, pour quelle cause ils occupent un lieu plus élevé : à savoir,non tant pour gouverner que pour servir (Rup. De div. Off. XII, 18.)."
L'Homme-Dieu disait des docteurs juifs : " Ce qu'ils disent, faites-le ; ce qu'ils font, gardez-vous de le faire ; car ils disent bien ce qu'il faut faire, mais ne font rien de ce qu'ils disent ". A l'encontre de ces indignes dépositaires de la Loi, ceux qui sont assis dans la chaire de la doctrine " doivent enseigner et agir conformément à leur enseignement, dit Rupert ; ou plutôt, qu'ils fassent d'abord ce qu'il convient de faire, afin de l'enseigner ensuite avec autorité ; qu'ils ne recherchent pas les honneurs et les titres, mais tendent à cet unique but de porter sur eux mêmes les péchés du peuple, et de parvenir à détourner de ceux qui leur sont soumis la colère de Dieu, comme fit Moïse, ainsi que le dit l'Offertoire "(Rup. De div, Off. XII, 18.).
L'Evangile des Scribes et des Pharisiens établis sur la chaire de Moïse a été réservé, depuis, pour le mardi de la deuxième semaine de Carême. Mais celui qui est maintenant partout en usage, n'éloigne point nos pensées de la considération des pouvoirs suréminents du sacerdoce, qui sont le bien commun de l'humanité régénérée. Les fidèles dont l'attention, en ce jour, était autrefois attirée sur le droit d'enseigner confié aux pasteurs, méditent maintenant sur la prérogative qu'ont ces mêmes hommes de pardonner les péchés et de guérir les âmes. De même qu'une conduite en contradiction avec leur enseignement n'enlèverait rien à l'autorité de la chaire sacrée, d'où ils dispensent pour l'Eglise et en son nom le pain de la doctrine à ses fils, l'indignité de leur âme sacerdotale ne diminuerait pas non plus, dans leurs mains, la puissance des clefs augustes qui ouvrent le ciel et ferment l'enfer. Car, c'est le Fils de l'homme, c'est Jésus qui par eux, indignes ou non, relève de leurs fautes les hommes ses frères et ses créatures, dont il a pris sur lui les misères et racheté les crimes dans son sang (Heb. II, 10-18.).
L'épisode de la guérison du paralytique, qui fut pour Jésus l'occasion d'affirmer son pouvoir de remettre les péchés en tant que fils de l’homme, a toujours été particulièrement cher à l'Eglise. Outre le récit que nous en fait aujourd'hui saint Matthieu, elle a placé la narration qu'en donne aussi saint Luc (Luc. V, 17-26.) au vendredi des Quatre-Temps de la Pentecôte. Les fresques des catacombes, parvenues jusqu'à nous, attestent encore la prédilection qu'elle inspira pour ce sujet aux artistes chrétiens du premier âge.
C'est qu'en effet, dès l'origine du christianisme, on vit l'hérésie dénier à l'Eglise le pouvoir de pardonner au nom de Dieu, qu'elle tient de son divin Chef ; c'était condamner irrémissiblement à la mort un nombre incalculable de chrétiens, malheureusement tombés après leur baptême, et que guérit le sacrement de Pénitence. Or quel trésor une mère peut-elle défendre avec plus d'énergie, que le remède auquel la vie de ses enfants est attachée ? L'Eglise donc frappa de ses anathèmes et chassa de son sein ces Pharisiens de la loi nouvelle, qui, comme leurs pères du judaïsme, méconnaissaient la miséricorde infinie et l'étendue du grand mystère de la Rédemption. Elle-même, comme Jésus sous les yeux des scribes ses contradicteurs, avait produit, en garantie de ses affirmations, un miracle visible à la face des sectaires, sans arriver plus que l'Homme-Dieu à les convaincre de la réalité du miracle de grâce opéré invisiblement par ses paroles de rémission et de pardon.
La guérison extérieure du paralytique fut tout ensemble, en effet, l'image et la preuve de la guérison de son âme réduite auparavant à l'impuissance ; mais lui-même représentait un bien autre malade : le genre humain, gisant immobile en son péché depuis des siècles. L'Homme-Dieu avait déjà quitté la terre, quand la foi des Apôtres opéra ce premier prodige de transporter aux pieds de l'Eglise le monde vieilli dans son infirmité. L'Eglise donc, voyant le genre humain docile à l'impulsion des messagers du ciel et partageant déjà leur foi, avait retrouvé pour lui dans son cœur de mère la parole de l'Epoux : " Mon fils, aie confiance, tes péchés sont remis ". Soudain, aux yeux étonnés de la philosophie sceptique, et confondant la rage de l'enfer, le monde s'était levé ostensiblement de sa couche ignominieuse ; montrant bien que ses forces lui étaient rendues, on l'avait vu charger sur ses épaules, par le travail de la pénitence et de la répression des passions, le lit de ses langueurs et de son impuissance, où l'avaient retenu si longtemps l'orgueil, la chair et la cupidité. Depuis lors, fidèle à la parole du Seigneur qui lui a été répétée par l'Eglise, il est en marche pour retourner dans sa maison, le paradis, où l'attendent les joies fécondes de l'éternité ! Et la multitude des cohortes angéliques, voyant sur la terre un pareil spectacle de rénovation et de sainteté (Luc. V, 26.), est saisie de stupeur, et elle glorifie Dieu qui a donné aux hommes une telle puissance.
Nous aussi, rendons grâces à l'Epoux dont la dot merveilleuse, qui est son sang versé pour l'Epouse, suffit jusqu'à la fin à solder les droits de la justice éternelle. Dans les jours de la Pâque, nous avons contemplé l'Homme-Dieu établissant le sacrement précieux qui rend ainsi, en un instant, vie et forces au pécheur (Mercredi de la cinquième sem. ap. Pâques). Mais combien sa vertu n'apparaît-elle pas plus merveilleuse encore, en nos temps d'affaissement et de ruine universelle ! L'iniquité abonde, les crimes se multiplient ; et toujours la piscine réparatrice, alimentée par les flots qui s'échappent du côté de Jésus entr'ouvert, absorbe et dissout, quand on le veut, sans laisser trace aucune, ces montagnes de péchés, ces hideux trésors de l'enfer entassés durant toute une vie par la complicité du démon, du monde et de l'homme même !
dimanche, 30 septembre 2007 | Lien permanent
23 septembre 2007. XVIIe dimanche après la Pentecôte.
- XVIIe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger.
Jésus et les Pharisiens. Roman de Dieu et de sa mère. Herman de Valenciennes. XIVe.
L’Evangile qu'on lit aujourd'hui à la Messe du dix-septième dimanche, lui a fait donner le nom de Dimanche de l’amour de Dieu, depuis que l'Evangile de l’hydropique et des conviés aux noces a été transféré huit jours plus tôt.
A LA MESSE
Les décisions de Dieu sont toujours équitables, soit que, dans sa justice, il confonde les orgueilleux, soit que, dans sa miséricorde, il exalte les humbles. Nous avons vu cet arbitre souverain à l'œuvre, il y a huit jours, dans la distribution des places réservées pour les saints au banquet de l'union divine. Rappelons-nous les prétentions et le sort différents des invités aux noces sacrées, en chantant l'Introït de ce jour, et ne nous réclamons que de la miséricorde.
Notre Seigneur Jésus-Christ et les Pharisiens - G. Doré. XIXe.
EPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Ephésiens. Chap. IV.
" Mes Frères, je vous conjure, moi qui suis enchaîné pour le Seigneur, de vivre d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés, en toute humilité, mansuétude et patience, vous supportant mutuellement dans la charité, ayant souci de conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix. Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une même espérance qui est celle de votre vocation. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Il n'y a qu'un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et dans toutes choses, et en nous tous : béni est-il dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !"
L'Eglise reprend avec saint Paul, dans la lettre aux Ephésiens, l'exposition des grandeurs de ses enfants ; elle les supplie, aujourd'hui, de répondre dignement à leur vocation sublime.
Cette vocation, cet appel de Dieu, nous les connaissons en effet ; c'est l'appel du genre humain aux noces sacrées, la vocation pour nos âmes à régner dans les cieux sur le trône du Verbe, devenu leur Epoux et leur Chef (Eph. II, 5.). Jadis plus rapproché de l'Epître qu'on vient de lire, l'Evangile précédent trouvait en elle son brillant commentaire, et lui-même expliquait parfaitement le terme de l'Apôtre. " Lorsque vous serez appelé aux noces, disait le Seigneur, quum VOCATUS fueris, prenez la dernière place " ; " En toute humilité, dit l'Apôtre, montrez-vous dignes de l'appel que vous avez entendu : digne ambuletis vocatione qua VOCATI estis ".
Quelle est donc maintenant la condition dont l'accomplissement doit nous montrer dignes de l'honneur suprême qui nous est fait par le Verbe éternel ? L'humilité, la mansuétude et la patience sont les moyens recommandés pour arriver au but. Mais le but lui-même, c'est I'unité de ce corps immense que le Verbe fait sien dans la célébration des noces mystiques ; la condition qu'exige l'Homme-Dieu de ceux qu'il appelle à devenir, en participation de l'Eglise son Epouse, os de ses os, chair de sa chair (Eph. V, 3.), est de maintenir entre eux une telle harmonie, qu'elle fasse de tous véritablement un même esprit et un seul corps, dans le lien de la paix.
" Lien splendide ! s'écrie saint Jean Chrysostome ; lien merveilleux qui nous réunit tous mutuellement, et, tous rassemblés, nous unit à Dieu !" (Chrys. in Ep. ad Eph. Hom. IX, 3.) Sa puissance est celle de l'Esprit-Saint lui-même, toute de sainteté et d'amour ; car c'est l'Esprit qui forme ses nœuds immatériels et divins, l'Esprit faisant l'office, au sein de la multitude baptisée, de ce souffle vital qui, dans le corps humain, anime à la fois et rallie tous les membres. Par lui, jeunes gens et vieillards, pauvres et riches, hommes et femmes, distincts de race et de caractère, ne sont plus qu'un seul tout comme en fusion dans l'immense embrasement dont brûle sans fin l'éternelle Trinité.
Mais pour que l'incendie de l'amour infini puisse s'emparer ainsi de l'humanité régénérée, il faut qu'elle soit purgée des rivalités, des rancunes, des dissensions qui montreraient qu'elle est encore charnelle (I Cor. III, 3.), et peu accessible dès lors à la divine flamme comme à l'union qu'elle produit. De même en effet, selon la belle comparaison de saint Jean Chrysostome (Chrys. ubi supra.), de même que le feu, quand il trouve les diverses variétés de bois qu'on offre à son action préparés par une dessiccation suffisante, ne fait de tous qu'un seul bûcher, mais ne peut, s'ils sont encore humides, ni prendre sur eux isolément, ni les unir ensemble : ainsi en est-il dans l'ordre du salut ; l'humidité malsaine des passions ne laisse point prise à l'Esprit sanctificateur, et L'union, condition et but de l'amour, est dès lors impossible.
Lions-nous donc à nos frères par cette chaîne bienheureuse de la charité, qui n'immobilise que nos petites passions et dilate nos âmes au contraire, en permettant à l'Esprit de les conduire sûrement à la réalisation de l’unique espoir de notre commune vocation, qui est de nous unir à Dieu dans l'amour. Sans doute, même entre les saints ici-bas, la charité reste une vertu laborieuse, parce que, chez les meilleurs eux-mêmes, la grâce arrive rarement à restaurer sans défectuosité aucune l'équilibre des facultés rompu par le péché d'origine ; il en résulte que l'infirmité, les excès ou les fuites de la pauvre nature se font sentir, non seulement à l'humilité du juste, mais encore quelquefois, il ne l'ignore pas, à la patience bienveillante de ceux qui l'entourent. Dieu le permet pour accroître ainsi le mérite de tous, et raviver en nous le désir du ciel.
Là seulement en effet, nous retrouverons facile autant que pleine harmonie avec nos semblables, par la pacification complète de nous-mêmes sous l'empire absolu du Dieu trois fois saint devenu tout en tous (Cor. XV, 28.). Dans cette patrie fortunée, Dieu même séchera les pleurs de ses élus sur leurs misères, en renouvelant leur être à sa source infinie (Apoc. XXI, 4-5.). Le Fils éternel, ayant en chacun de ses membres mystiques aboli l'empire des puissances ennemies et vaincu la mort (I Cor. XV, 24-28.), apparaîtra, dans la plénitude du mystère de son incarnation, comme la tête véritable de l'humanité, sanctifiée, restaurée et développée en lui (Eph. I, 10.) ; il tressaillira de voir arrivées à la mesure qui leur convenait, grâce aux soins de l'Esprit sanctificateur, les diverses parties de ce corps merveilleux (Ibid. IV, 13-16.) qu'il voulut s'agréger par le lien de l'amour, pour célébrer à jamais, dans le concert du Verbe et de la création, la gloire de la Trinité souveraine.
Combien alors seront dépassées les harmonies de la terre d'exil ! combien l'accord des chœurs les plus parfaits de ce monde paraîtra discordant, auprès de cet ensemble, de cette harmonie, de cet accord éternel ! Préparons-nous pour le céleste concert ; prenons soin d'ajuster nos voix, en disposant dès maintenant nos cœurs à cette plénitude de l'amour, qui n'est point d'ici-bas, mais que nous devons mériter par nos efforts et le support patient des défauts de nos frères et des nôtres.
On dirait que l'Eglise, dans l'extase où la plongent les notes de ce concert admirable qui s'échappent prématurément du ciel aujourd'hui par la bouche de Paul, se voit déjà transportée au delà du temps, pour y mêler en liberté ses inspirations au chant de l'Epoux. Car elle ajoute, en manière de conclusion, au texte de l'Epître, une expression de louange qui ne fait point partie de l'Ecriture, et qui forme comme la doxologie des accents inspirés du grand Apôtre.
Nous connaissons désormais les dons sans prix faits par l'Homme-Dieu à la terre (Eph. IV, 8.) ; grâce aux prodiges de puissance et d'amour opérés par le Verbe divin et l'Esprit sanctificateur, l'âme du juste est véritablement un ciel. Chantons, au Graduel, la félicité du peuple chrétien choisi par Dieu pour son héritage.
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XXII.
Jésus et les docteurs de la Loi. Graduel à l'usage de l'abbaye Notre-Dame de Fontevrault. XIIIe.
" En ce temps-là, les Pharisiens s'approchèrent de Jésus, et l'un d'eux qui était docteur de la loi l'interrogea pour le tenter, disant :
" Maître, quel est le grand commandement de la loi ?"
Jésus lui dit :
" Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C'est là le plus grand et le premier commandement. Et le second ressemble à celui-là : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Dans ces deux commandements sont renfermés toute la loi et les prophètes."
Les Pharisiens étant donc assemblés, Jésus les interrogea, disant :
" Que vous semble du Christ ? de qui est-il fils ?"
Ils lui répondirent :
" De David."
Il leur dit :
" Comment donc David l'appelle-t-il dans l'Esprit Seigneur, disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de vos ennemis l'escabeau de vos pieds ? Si donc David l'appelle Seigneur, comment est-il son fils ?"
Et aucun ne pouvait lui répondre, et personne, depuis ce jour, n'osa l'interroger davantage."
Jésus et les docteurs de la Loi. Speculum humanae salvationis. XVe.
L'Homme-Dieu laissa la tentation approcher de sa personne sacrée au désert (Matth. IV, 1-11.), et ne dédaigna point de subir les attaques que la ruse haineuse du démon lui suggère depuis le commencement pour perdre les hommes ; Jésus voulait apprendre aux siens la manière dont ils devaient repousser les assauts de l'esprit du mal.
Aujourd'hui notre Chef adoré, qui veut être le modèle de ses membres en toutes leurs épreuves (Heb. II, 17-18; IV, 15.), nous apparaît aux prises, non plus avec la perfidie de Satan, mais avec l'hypocrisie de ses pires ennemis, les Pharisiens. Ils cherchent à le perdre en le surprenant dans ses paroles (Matth. XXII, 15.), ainsi que le feront jusqu'à la fin des temps, contre son Eglise, les représentants du monde ennemi qu'il a condamné (Johan. XVI, 8-11.).
Mais de même que son Epoux divin, l'Eglise, assistée par lui pour continuer son œuvre sur la terre au milieu des mêmes tentations et des mêmes embûches, trouvera dans sa fidélité aussi simple qu'inébranlable à la loi de Dieu et à la vérité le secret de toutes les victoires. Les hérétiques, suppôts de Satan, les princes du monde, rongeant le frein imposé par le christianisme à leur ambition et à leurs convoitises, tenteront vainement de circonvenir la dépositaire des oracles divins par leurs propositions ou leurs questions captieuses.
Mise en demeure de parler, elle parlera toujours ; qu'est-elle, en effet, comme Epouse de ce Verbe divin qui est la parole éternelle du Père ? Que peut-elle être, qu'une voix pour l'annoncer aux hommes ou le chanter dans les cieux ? Mais aussi, non seulement sa parole, revêtant la force et la pénétration de Dieu même, ne sera jamais sujette à surprise ; comme un glaive à deux tranchants, presque toujours elle ira plus loin que n'eussent voulu les questionneurs hypocrites de l'Eglise, en confondant leurs sophismes et en mettant à nu les intentions criminelles de leurs cœurs (Heb. IV, 12.). De leur tentative sacrilège il ne restera pour eux que la honte, avec le dépit d'avoir amené la glorification de la vérité sous un nouveau jour et accru la lumière pour les enfants soumis de la Mère commune.
Ainsi advint-il aux Pharisiens de notre Evangile. Ils voulaient voir, dit l'Homélie du jour, si le Sauveur, qui se proclamait Dieu, n'ajouterait point à cause de cela quelque chose au commandement de l'amour divin, afin de pouvoir ensuite le condamner comme ayant tenté de corrompre la lettre du plus grand des préceptes de la loi (Chrys. Hom. LXXII in Matth.).
Mais l'Homme-Dieu déjoue leurs pensées ; il rappelle à ceux qui l'interrogent sur le grand commandement le texte même du décalogue, et continuant la citation, il montre qu'il n'ignore point le mobile secret qui les pousse, en leur rappelant aussi le second commandement, semblable au premier, le commandement de l'amour du prochain qui condamne leurs homicides menées. Ils sont ainsi convaincus de n'aimer ni le prochain, ni Dieu même, puisque le premier commandement ne peut être observé sans le second qui en découle et le complète.
Cependant le Seigneur achève de les confondre et les contraint à reconnaître eux-mêmes implicitement la divinité du Messie. Interrogés à leur tour, ils avouent que le Christ doit descendre de David ; mais, s'il est son fils, comment David l'appelle-t-il son Seigneur aussi bien qu'il le fait pour Dieu même, dans le psaume cix où il chante les grandeurs du Messie ?
La seule explication possible est que le Messie, qui devait dans le temps et comme homme sortir de David, était Dieu et Fils de Dieu dès avant tous les temps, selon la parole du même psaume : Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore (Psalm. CIX, 3.). Cette réponse qui les eût condamnés, les Pharisiens ne la donnèrent pas ; mais leur silence était un aveu, en attendant que la vengeance du Père contre ces vils ennemis de son Christ accomplît la prophétie, et fît d'eux l'escabeau de ses pieds dans le sang et la honte, au jour terrible des justices de Jéhovah sur la ville déicide.
Nous, chrétiens, pour la plus grande honte de l'enfer qui suscita contre le Fils de Dieu les embûches de la synagogue expirante, sachons tirer de ces efforts de la haine une instruction qui profite à l'amour. Les Juifs, en rejetant Jésus-Christ, manquèrent à la fois aux deux préceptes qui constituent la charité et résument toute la loi ; si nous aimons Jésus-Christ au contraire, pour la même raison toute la loi se trouve accomplie.
Jésus et les docteurs de la Loi. Missel romain. XIVe.
Splendeur de la gloire éternelle (Heb. I, 3.), un par nature avec le Père et l'Esprit-Saint, il est le Dieu que nous prescrit d'aimer le premier commandement; et le second, d'autre part, ne trouve qu'en lui d'application possible. Car non seulement il est homme aussi véritablement qu'il est Dieu ; mais encore il est l'homme par excellence (Johan. XIX, 5.) : l'homme parfait, sur le type duquel et pour qui ont été formés tous les autres (Rom. VIII, 29.) ; leur modèle et leur frère à tous (Heb. II, 17.) ; le chef en même temps qui les régit comme roi (Johan. XVIII, 37.), qui les offre à Dieu comme pontife (Heb. X, 14.) ; la tête qui communique à tous les membres de l'humanité beauté et vie, mouvement et lumière ; le rédempteur de cette humanité tombée, et doublement dès lors la source de tout droit, la dernière et la plus haute raison, sinon l'objet direct, de tout amour légitime ici-bas.
Rien ne compte qu'en lui devant Dieu. Dieu n'aime les hommes, dit saint Augustin (Aug. in Johan. Tract, CX.), que parce qu'ils sont les membres de son Fils ou qu'ils peuvent le devenir ; c'est son Fils qu'il aime en eux tous : il aime ainsi d'un même amour, quoique non également, et son Verbe, et la chair de son Verbe, et les membres de son Verbe fait chair. Or la charité, c'est l'amour tel qu'il est en Dieu, communiqué par l'Esprit-Saint aux créatures. Ce que nous devons donc aimer par la charité en nous et dans autrui, c'est le Verbe divin comme étant dans les autres et en nous-mêmes, ou pour qu'il y soit, d'après une autre expression de l'évêque d'Hippone (Serm. CCLV, in dieb. pasch.).
Mais par suite, en dehors des damnés bannis pour jamais du corps de l'Homme-Dieu, gardons-nous d'exclure personne de l'amour. Qui peut se vanter d'avoir la charité du Christ, s'il n'embrasse pas son unité, dit encore saint Augustin (Epist. LXI.) ? qui peut l'aimer, sans aimer avec lui l'Eglise qui est son corps, sans aimer tous ses membres ? Ce que l'on fait à l'un des plus petits comme aux plus dignes, en bien comme en mal, c'est à lui qu'on le fait, déclare-t-il (Matth. XXV, 40, 45.). Aimons donc le prochain comme nous-mêmes à cause du Christ qui est en chacun de nous, et qui donne à tous union et croissance dans la charité (Eph. IV, 15-16.).
Le même Apôtre qui disait : " La fin de la loi, c'est la charité " (I Tim. 1, 5.), a dit aussi : " La fin de la loi, c'est le Christ " (Rom. X, 4.) ; et nous voyons maintenant l'harmonie de ces deux propositions. Nous comprenons également la connexité de la parole de notre Evangile. Dans ces deux commandements sont renfermés toute la loi et les prophètes, et de cette autre parole du Seigneur : " Scrutez les Ecritures, car elles rendent témoignage de Moi " (Johan. V, 39.). La plénitude de la loi qui règle les mœurs est dans la charité (Rom. XIII, 10.), dont le Christ est le but ; comme l'objet des Ecritures révélées n'est autre encore que l'Homme-Dieu résumant dans son adorable unité, pour les siens, la morale et le dogme. Il est leur foi et leur amour, " la fin de toutes nos résolutions, dit saint Augustin ; car tous nos efforts ne tendent qu'à nous parfaire en lui, et c'est là notre perfection, d'arriver jusqu'à lui ; parvenu donc à lui, ne cherche pas au delà : il est ta fin " (Aug. Enarr. in Ps. LVI.). Et le saint docteur nous donne, arrivés à ce point, la meilleure formule de l'union divine : " Adhérons à lui seul, jouissons de lui seul, soyons tous un en lui : haereamus uni, fruamur uno, permaneamus unum " (De Trinit. IV, I. 1.).
dimanche, 23 septembre 2007 | Lien permanent
9 septembre. XVe dimanche après la Pentecôte.
- XVe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de " L'année liturgique " de dom Prosper Guéranger.

La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils. Jean-Germain Drouais. XVIIIe.
A LA MESSE
L'épisode si touchant de la veuve de Naïm donne aujourd'hui son nom au quinzième Dimanche après la Pentecôte. L'Introït nous présente la forme des prières que nous devons adresser au Seigneur dans tous nos besoins. L'Homme-Dieu a promis, Dimanche dernier, d'y pourvoir toujours, à la condition d'être servi par nous fidèlement dans la recherche de son royaume. En lui adressant nos supplications, montrons-nous confiants dans sa parole, comme il est juste de l'être, et nous serons exaucés.
ÉPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. V et VI.
" Mes Frères, si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi selon l'Esprit. Ne nous laissons point emporter par le désir de la vaine gloire, nous provoquant les uns les autres, nous jalousant les uns les autres. Mes Frères, si un homme tombe par surprise en quelque faute, vous quiètes spirituels, relevez-le dans un esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion que la tentation peut aussi l'atteindre. Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. Car si quelqu'un s'estime être quelque chose, lorsqu'il n'est rien, il se trompe lui-même. Mais que chacun examine ses œuvres, et ainsi il aura sa gloire seulement en lui-même, et non dans les autres. Car chacun portera son propre fardeau. Que celui à qui l'on enseigne les choses de la foi assiste de ses biens en toute manière celui qui l'instruit. Ne vous y trompez pas : on ne se moque point de Dieu. L'homme recueillera ce qu'il aura semé : celui qui sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption ; celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la vie éternelle. Ne nous lassons point de faire le bien : nous recueillerons, le temps venu, sans nous lasser. Donc, tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à nos frères dans la foi."
La sainte Eglise reprend la lecture de saint Paul où elle l'avait laissée il y a huit jours. C'est la vie spirituelle, la vie produite par l'Esprit-Saint dans nos âmes pour remplacer celle de la chair, qui continue d'être l'objet des instructions apostoliques.
La chair une fois domptée, nous ne devons pas croire achevé pour cela l'édifice de notre perfection ; outre que la lutte doit continuer après la victoire, sous peine d'en voir compromettre les résultats, il faut veiller à ce que l'une ou l'autre des têtes de la triple concupiscence ne profite point du moment où l'effort de l'âme est porté ailleurs, pour se redresser, et faire des blessures d'autant plus dangereuses souvent qu'on songerait moins à s'en préserver. La vaine gloire principalement, toujours prête à infecter de son venin subtil jusqu'aux actes eux-mêmes de l'humilité et de la pénitence, demande à l'homme qui veut servir Dieu, et non se plaire à lui-même dans sa vertu, une surveillance des plus actives.
Quelle folie ne serait-ce pas à un condamné racheté par la flagellation de la peine capitale qu'il avait méritée, de se glorifier des coups marqués dans sa chair par le fouet à châtier les esclaves ? Que cette folie ne soit jamais la nôtre ! Il parait bien cependant qu'elle pourrait l'être, puisque l'Apôtre fait suivre immédiatement ses avis sur la mortification des passions de la recommandation d'éviter la vaine gloire. Et en effet, nous ne serons assurés pleinement de ce côté, qu'autant que l'humiliation physique infligée au corps aura chez nous pour principe l'humiliation réfléchie de l'âme devant sa misère. Les anciens philosophes avaient, eux aussi, des maximes sur la répression des sens ; et la pratique de ces maximes célèbres était le marchepied dont s'aidait leur orgueil pour s'élever jusqu'aux cieux. C'est qu'ils étaient loin en cela des sentiments de nos pères dans la foi, lesquels, sous le cilice et prosternés en terre (1), s'écriaient du fond de l'humaine bassesse, dans l'intime de leur cœur : " Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon votre grande miséricorde ; car j'ai été conçu dans l'iniquité et mon péché est toujours devant moi " (2).
Imposer des souffrances au corps pour en tirer vanité, qu'est-ce autre chose que ce que saint Paul appelle aujourd'hui semer dans la chair, pour récolter au temps venu, c'est-à-dire au jour où seront manifestées les pensées des cœurs (3), non la gloire et la vie, mais la confusion et la honte éternelle ? Parmi les œuvres de la chair énumérées dans l’Epître précédente se trouvent, en effet, non seulement les actes impurs, mais encore les contentions, les dissensions, les jalousies (4), qui naissent trop souvent de cette vaine gloire sur laquelle l'Apôtre appelle en ce moment notre attention. La production de ces fruits détestables serait un signe trop certain que la sève de la grâce aurait fait place à la fermentation du péché dans nos âmes, que, redevenus esclaves, il nous faudrait compter avec la loi et ses sanctions terribles. On ne se moque pas de Dieu ; et la confiance que donne justement à quiconque vit de l'Esprit la fidélité surabondante de l'amour, ne serait plus, dans ces conditions, qu'une contre-façon hypocrite de la liberté sainte des fils du Très-Haut. Car ceux-là seuls sont ses enfants que l'Esprit-Saint conduit (5) dans la charité (6) ; les autres sont dans la chair, et ne peuvent plaire à Dieu (7).
Si nous voulons au contraire un signe non moins certain sous les obscurités de la foi que l'union divine est notre partage, au lieu de prendre occasion, pour nous enfler vainement, des défauts et des fautes de nos frères, soyons indulgents pour eux dans la considération de notre propre misère ; tendons-leur, quand ils tombent, une main secourable et discrète ; portons mutuellement nos fardeaux dans le chemin de la vie : et alors, ayant t ainsi rempli la loi du Christ, nous saurons (8) que nous demeurons en Lui et Lui en nous. Car ces ineffables paroles employées par Jésus pour marquer son intimité future avec quiconque mangerait la chair du fils de l'homme et boirait son sang au banquet divin (9), saint Jean qui les avait rapportées les reprend mot pour mot, dans ses Epîtres, afin d'en faire l'application à quiconque observe dans l'Esprit-Saint le commandement de l'amour des frères (10).
Oh ! puisse-t-elle donc résonner sans cesse à nos oreilles cette parole de l'Apôtre : Tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous ! Car un jour viendra, qui n'est plus éloigné, où l'ange portant le livre mystérieux, un pied sur la terre et l'autre sur la mer, fera retentir dans les espaces sa voix puissante comme celle du lion, et, la main levée au ciel, jurera par Celui qui vit dans les siècles sans fin que le temps n'est plus (11) ! C'est alors que l'homme recueillera dans l'allégresse ce qu'il avait semé dans les larmes (12) ; il ne s'était point lassé de faire le bien dans les ténébreuses régions de l'exil, il se lassera moins encore de récolter sans fin dans la vivante lumière du jour éternel.
1. I Par. XXI, 16 ; etc. — 2. Psalm. L. — 3. I Cor. IV, 5. — 4. Gal. V, 19-21. — 5. Rom. VIII, 14. — 6. Gal. IV, 13. — 7. Rom. VIII, 8. — 8. I Johan. IV, 13. — 9. Johan. VI, 57. — 10. I Johan. III, 23-24 ; IV, 12-13. — 11. Apoc. X, 1-6. — 12. Psalm. CXXV, 5.
ÉVANGILE
Suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. VII.
" En ce temps-là, Jésus allait vers une ville appelée Naïm ; et ses disciples allaient avec lui, et une foule nombreuse. Comme il approchait de la porte de la ville, voilà qu'on emportait un mort, fils unique de sa mère ; et celle-ci était veuve, et beaucoup de personnes de la ville l'accompagnaient. Le Seigneur l'ayant vue, il fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez pas. Et il s'approcha, et toucha le cercueil : ceux qui le portaient s'arrêtèrent.
Et il dit : " Jeune homme, je te le commande, lève-toi."
Et le mort se leva, et commença de parler ; et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant : Un grand prophète s'est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple."

La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils (détail). Jean-Germain Drouais. XVIIIe.
C'est la seconde fois que la sainte Eglise présente l'Evangile qu'on vient d'entendre à nos méditations, et nous ne devons pas nous en étonner; caries Pères choisis par elle pour en donner l'interprétation (1) nous apprennent, dans les deux circonstances, que cette mère désolée qui suit en pleurs le convoi de son fils est l'Eglise même.
Nous la vîmes une première fois apparaître à nos yeux, sous ce touchant symbole, dans les jours consacrés à la pénitence quadragésimale (2), lorsqu'elle préparait par ses jeûnes, unis aux souffrances de l'Epoux, la résurrection de ceux de nos frères qui étaient morts et que nous pûmes voir ensuite s'asseoir près de nous pleins de vie au banquet de la Pâque. Quelles ne furent pas, en ce grand jour, les joies maternelles s'unissant dans son cœur aux allégresses de l'Epouse ! Car, du même coup, Jésus, doublement vainqueur de la mort, mettait fin à son veuvage en sortant du tombeau et lui rendait ses fils. Et les disciples de Jésus qui le suivent de plus près en s'attachant à sa personne dans la voie des conseils, et toute la foule accompagnant l'Eglise chantaient à l'envi ces étonnants prodiges et célébraient la visite de Dieu à son peuple.
La Mère ne pleurait plus. Mais, depuis, l'Epoux a disparu de nouveau, remontant vers son Père; l'Epouse a repris les sentiers du veuvage, et les souffrances de son exil s'accroissent chaque jour immensément. Car des pertes nombreuses n'ont point tardé de se produire parmi les fils ingrats qu'elle avait engendrés, une seconde fois (3), dans la douleur et les larmes. Ces soins multipliés naguère autour des pécheurs, cet enfantement nouveau sous l'œil de son Epoux expirant avaient fait de chacun d'eux, dans la grande semaine, comme l'enfant unique de l'Eglise. Combien, après la communion de tels mystères, dit saint Jean Chrysostome, n'est-il pas douloureux pour sa tendresse de les voir retourner d'eux-mêmes au péché qui les tue ! " Epargnez-moi !", a-t-elle bien droit de dire selon la parole que le saint Docteur met en la bouche de l'Apôtre : " Quel autre enfant, une fois au monde, vient imposer derechef de telles douleurs au sein maternel ?" Car les chutes des fidèles, pour être réparées, ne lui causent pas un moindre travail que l'enfantement de ceux qui n'ont pas cru encore (4).
Et si nous comparons nos temps à cet âge où la bouche des pasteurs faisait entendre par tout l'univers ses accents respectés, est-il un seul des enfants restés fidèles à l'Eglise, qu'un tel rapprochement ne pousse à se serrer davantage autour d'une mère si outrageusement délaissée ?
" Resplendissante alors de tout l'éclat des joyaux spirituels dont l'Epoux l'avait ornée au jour de ses noces, dit saint Laurent Justinien, elle tressaillait de l'accroissement de ses fils en vertu comme en nombre, les appelant à monter plus haut toujours, les offrant à son Dieu, les portant dans ses bras jusqu'aux cieux. Obéie d'eux, elle était bien la mère du bel amour et de la crainte (5), belle comme la lune, éclatante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (6).
Comme le térébinthe elle étendait ses rameaux (7), et, sous leur ombre, protégeait ceux qu'elle avait engendrés contre la chaleur du jour, la tempête et la pluie. Tant qu'elle put donc elle travailla, nourrissant dans son sein tous ceux qu'elle parvenait à rassembler. Mais son zèle, tout incessant qu'il fût, a redoublé depuis qu'elle en a vu plusieurs, et des multitudes, abandonner la ferveur première. Depuis nombre d'années, elle gémit en voyant s'étendre chaque jour l'offense de son Créateur, ses propres pertes et la mort de ses fils. Celle qui se revêtait de pourpre a pris la robe de deuil, et ses parfums n'exhalent plus leur odeur ; une corde a remplacé sa ceinture d'or, on ne voit plus sa brillante chevelure, et le cilice tient lieu d'ornement sur son sein (8).
Aussi ne peut-elle arrêter maintenant ses lamentations et ses pleurs. Sans cesse elle prie, cherchant si par quelque manière elle n'arrivera point à retrouver dans le présent sa beauté passée, quoiqu'elle défaille presque en sa supplication, regardant comme impossible de redevenir ce qu'elle était. La parole prophétique s'est accomplie pour elle : tous ils se sont détournés de la voie, ensemble ils sont devenus inutiles ; il n'y en a point qui fassent le bien, il n'y en a pas même un seul (9) !... Les œuvres multipliées par les enfants de l'Eglise contre les préceptes divins montrent bien, dans ceux qui les font, des membres pourris et étrangers au corps du Christ.
L'Eglise, cependant, se souvient de les avoir engendrés dans le bain du salut ; elle se souvient des promesses par lesquelles ils s'étaient engagés à renoncer au démon, aux pompes du siècle et à tous les crimes. Elle pleure donc leur chute, comme étant leur vraie mère, et elle espère toujours obtenir leur résurrection par ses larmes.
Ô quelle pluie de larmes est répandue ainsi tous les jours en présence du Seigneur ! que de prières ferventes cette vierge très pure envoie, parle ministère des saints anges, au Christ salut des pécheurs ! Elle crie dans le secret des cœurs, dans les retraites isolées, comme dans ses temples au grand jour, afin que la divine miséricorde rappelle à la vie ceux qui sont ensevelis dans le bourbier des vices. Qui dira son intime allégresse, quand elle reçoit vivants ceux qu'elle pleurait comme morts ? Si la conversion des pécheurs réjouit tellement le ciel (10), combien aussi la Mère ! Selon la mesure de la douleur qu'elle avait conçue de leur perte (11), la consolation déborde alors en son cœur (12)."
Chrétiens préservés de la défection par la miséricorde du Seigneur, il nous appartient de compatir aux angoisses de l'Eglise, et d'aider en tout les démarches de son zèle pour sauver nos frères. Il ne peut nous suffire de n'être point de ces fils insensés qui sont la douleur de leur mère (13) et méprisent le sein qui les a portés (14). Quand nous ne saurions pas de l'Esprit-Saint lui-même que c'est thésauriser que d'honorer sa mère (15) le souvenir de ce que lui a coûté notre naissance (16) nous porterait assez à ne manquer aucune occasion de sécher ses pleurs.
Elle est l'Epouse du Verbe, aux noces duquel prétendent aussi nos âmes ; s'il est vrai que cette union soit la nôtre également, prouvons-le comme l'Eglise, en manifestant dans nos œuvres l'unique pensée, l'unique amour que communique l'Epoux dans ses intimités, parce qu'il n'en est point d'autre en son cœur : la pensée de la gloire de son Père à restaurer dans le monde, l'amour des pécheurs à sauver.
1. Ambr. in Luc. v ; Aug. Serm. 44, de verb. Dom. — 2. Fer. V post Dom. IV Quadr. — 3. Gal. IV, 19. — 4. Chrys. De pœnit. Hom. I. — 5. Eccli. XXIV, 24. — 6. Cant. VI, 9. — 7. Eccli. XXIV, 22. — 8. Isai. III, 24. — 9. Psalm. XIII, 3. — 10. Luc. XV, 7. — 11. Psalm. XCIII, 19. — 12. Laur. Just. De compunct. et planctu christ. perfect. — 13. Prov. XVII, 25. — 14. Ibid. XXX, 17. — 15. Eccli. III, 5. — 16. Tob. IV, 4.
dimanche, 09 septembre 2007 | Lien permanent
16 septembre 2007. IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.
- IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.
Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.
Ô vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur (1) ! Est-ce donc le premier cri de la douce enfant dont la venue a causé joie si pure à la terre ; et fallait-il arborer si tôt le drapeau de la souffrance sur le berceau où repose tant d'innocence et d'amour ? Le cœur de l'Eglise pourtant ne l'a pas trompée; cette fête, à cette date, est toujours la réponse à la question de l'humanité dans l'attente : Que sera cette enfant ?
Raison d'être de Marie, le Sauveur à venir doit en être en tout l'exemplaire. C'est à titre de Mère que fut annoncée, qu'est apparue la Vierge bénie, et dès lors à titre de Mère de douleurs, parce que le Dieu dont la naissance prochaine est le motif de sa propre naissance sera en ce monde l’homme des douleurs et de l'infirmité (2). A qui vous comparer ? chante le prophète des lamentations: ô Vierge, votre affliction est comme l'océan (3). Sur la montagne du Sacrifice, comme mère elle donna son fils, comme épouse elle s'offrit avec lui ; par ses souffrances d'épouse et de mère, elle fut la corédemptrice du genre humain. Une première fête des Douleurs de Marie, préludant aux récits de la grande Semaine, a gravé dans nos âmes cet enseignement et ces souvenirs.
Le Christ ne meurt plus (4) ; pour Notre-Dame, de même, a cessé la souffrance. Néanmoins la passion du Christ se poursuit dans ses élus, dans son Eglise contre laquelle, à son défaut, se rue l'enfer. A cette passion du corps mystique dont elle est aussi mère, la compassion mystérieuse de Marie reste acquise; que de fois ne l'ont pas attesté les larmes coulant des yeux de ses images les plus vénérées ! Là encore, là surtout, est aujourd'hui l'explication de cette reprise inaccoutumée par la Liturgie sainte d'une fête célébrée déjà dans une autre saison sous un titre identique.
Le lecteur qui compulse le recueil des ordonnances du Siège apostolique sur les Rites sacrés, s'étonne d'y rencontrer après le 20 mars 1809 une interruption prolongée ; lacune insolite, ne prenant fin que le 18 septembre 1814 par le décret qui institue au présent Dimanche une nouvelle commémoration des Douleurs de la Bienheureuse Vierge (5). 1809-1814 : lustre fatal, où le gouvernement de la chrétienté demeura suspendu ; années de sang, qui revirent l'agonie de l'Homme-Dieu dans son Vicaire captif. Toujours debout près de la Croix cependant, la Mère des douleurs offrait à Dieu les souffrances de l'Eglise ; à la suite de l'épreuve, n'ignorant pas d'où lui venait la miséricorde reconquise, Pie VII dédiait ce jour à Marie comme mémorial nouveau de la journée du Calvaire.
Dès le XVII° siècle, les Servîtes étaient par privilège en possession de cette seconde fête, qu'ils célèbrent sous le rit Double de première classe avec Vigile et Octave. C'est d'eux que l'Eglise voulut en emprunter l'Office et la Messe. Honneur et privilège bien dus à cet Ordre, établi par Notre-Dame sur le culte de ses souffrances, et qui s'en était fait l'apôtre. Héritier des sept bienheureux fondateurs, Philippe Benizi propagea la flamme allumée par eux sur les hauteurs du mont Senario ; grâce au zèle de ses successeurs et fils, la dévotion des sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie, jadis pour eux patrimoine de famille, est aujourd'hui le trésor de la terre entière.
La prophétie du vieillard Siméon, la fuite en Egypte, la perte de l'Enfant divin dans Jérusalem, le portement de Croix, le crucifiement, la descente de Croix, la sépulture de Jésus : septuple mystère, autour duquel Notre-Dame aime à voir grouper les aspects quasi infinis des souffrances qui firent d'elle la Reine des Martyrs, la première rose et la plus belle du champ de Dieu. Ayons à cœur la recommandation du livre de Tobie, dont l'Eglise fait lecture cette semaine en l'Office du Temps: Honorez votre Mère, et n'oubliez jamais les douleurs qu'elle a endurées pour vous donner la vie (6).
A LA MESSE
Sous les magnificences de la sainte Liturgie, le Sacrifice quotidien n'est autre substantiellement que celui du Calvaire. Comme assistance au pied de la Croix dans la journée de la grande oblation, le chant d'entrée nous montre quelques femmes, un seul homme, faisant cortège en larmes à la Mère des douleurs. Nous retrouverons dans l'Evangile cet Introït et jusqu'à son Verset qui, contre l'usage, n'est pas emprunté des Psaumes.
EPITRE
Lecture du livre de Judith. CHAP. XIII.
" Le Seigneur vous a bénie dans sa force, réduisant par vous à néant nos ennemis. Ô fille de notre race, le Seigneur Dieu très haut vous a bénie plus que toutes les femmes qui sont sur la terre. Béni soit le Seigneur qui a créé le ciel et la terre ; car il a en ce jour exalté votre nom de telle sorte que votre louange ne cessera plus dans la bouche des humains : à jamais ils auront souvenir de la puissance du Seigneur, et comment, n'épargnant point votre âme en présence du malheur et de l'angoisse de votre peuple, vous êtes intervenue devant notre Dieu pour empêcher sa ruine."
Ô grandeur de notre Judith entre les créatures !
" Dieu, dit le pieux et profond Père Faber, Dieu semble choisir en lui les choses qui sont le plus incommunicables pour les communiquer à Marie d'une manière mystérieuse. Voyez comme il l'a déjà mêlée aux desseins éternels de l'univers dont il la rend presque cause et type partiel. La coopération de la sainte Vierge au salut du monde nous présente un nouvel aspect de sa magnificence. Ni l'Immaculée Conception, ni l'Assomption ne nous donnent une plus haute idée de Marie que le titre de corédemptrice. Ses douleurs n'étaient pas nécessaires à la rédemption, mais dans les conseils de Dieu elles en étaient inséparables. Elles appartiennent à l'intégrité du plan divin. Les mystères de Jésus ne sont-ils pas ceux de Marie, et les mystères de Marie ne sont-ils pas ceux de Jésus ? La vérité paraît être que tous les mystères de Jésus et ceux de Marie n'étaient pour Dieu qu'un seul mystère. Jésus lui-même est la douleur de Marie sept fois répétée, sept fois agrandie. Durant les heures de la Passion, l'offrande de Jésus et celle de Marie étaient réunies en une seule. Quoique de dignité, de valeur évidemment différentes, elles étaient offertes avec des dispositions semblables, allant du même pas, embaumées des mêmes parfums, consumées par le même feu; oblation simultanée faite au Père par deux cœurs sans tache pour les péchés d'un monde coupable, dont ils avaient librement assumé les démérites (7)."
Aux tourments de la grande Victime, aux pleurs de Marie, sachons unir nos larmes. C'est dans la mesure où nous l'aurons fait en cette vie, que nous pourrons nous réjouir au ciel avec le Fils et la Mère ; si Notre-Dame, comme chante le Verset, est elle-même aujourd'hui reine du ciel et souveraine du monde, il n'est personne parmi les élus dont les souvenirs de souffrance puissent être comparés aux siens.
A la suite du Graduel, la touchante complainte attribuée au bienheureux franciscain Jacopone de Todi, le Stabat Mater, nous donnera une belle formule de prière et d'hommage à la Mère des douleurs.
STABAT MATER
Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrymosa,
Dura pendebat filius.
Cujus animam gementem,
Contristatam, et dolentem,
Pertransivit gladius.
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti !
Quœ maerebat, et dolebat,
Pia Mater du m videbat
Nati poenas inclyti.
Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christisi videret
Intanto supplicio ?
Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio ?
Pro peccatis suae gentis
Vidit Jesumin tormentis,
Et flagellis subditum.
Viditsuum dulcem natum
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.
Eia, Mater, fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.
Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.
Sancta Mater, istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.
Tui nati vulnerati,
Tam dignati pro me pati,
Pœnas mecum divide.
Fac me tecum pieflere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.
Juxta crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.
Virgo virginum praeclara,
Mihi jam non sis amara :
Fac me tecum plangere.
Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.
Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore filii.
Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus,
In die judicii.
Christe, cum sit hinc exire,
Da per Matrem me venire
Ad palmam Victoriae.
Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria.
Amen. Alleluia.
Debout au pied de la croix
A laquelle son fils était suspendu,
La Mère des douleurs pleurait.
Son âme,
En proie aux gémissements et a la désolation,
Fut alors transpercée d'un glaive.
Oh ! qu'elle fut triste et affligée,
Cette Mère bénie
D'un fils unique !
Elle gémissait et soupirait,
Cette tendre Mère,
A la vue des angoisses de cet auguste fils.
Qui pourrait retenir ses larmes,
En voyant la Mère du Christ
En proie à cet excès de douleur ?
Qui pourrait contempler,
Sans une tristesse profonde,
Cette Mère du Sauveur souffrant avec son fils ?
Elle avait sous les yeux Jésus livré aux tourments,
Déchiré de coups de fouets,
Pour les péchés de ses frères.
Elle voyait ce tendre fils mourant,
Et sans consolation,
Jusqu'au dernier soupir.
Ô Mère, ô source d'amour,
Faites que je sente votre douleur,
Que je pleure avec vous.
Faites que mon cœur aime avec ardeur
Le Christ mon Dieu,
Et ne songe qu'à lui plaire.
Mère sainte,
Imprimez profondément dans mon cœur
Les plaies du Crucifié.
Donnez-moi part
Aux douleurs que votre fils
A daigné endurer pour moi.
Faites que je pleure de compassion avec vous,
Que je compatisse à votre Crucifié,
Tous les jours de ma vie.
Mon désir est de demeurer
Avec vous près de la croix,
Et de m'associer pour toujours à votre deuil.
Vierge, la plus noble des vierges,
Ne me soyez pas sévère ;
Laissez-moi pleurer avec vous.
Que je porte en moi la mort du Christ ;
Que je partage sa Passion ;
Que je garde le souvenir des plaies qu'il a souffertes.
Faites que ses blessures soient miennes ;
Que je sois enivré de la croix
Et du sang de votre fils.
Ô Vierge, gardez-moi des feux dévorants ;
Défendez-moi vous-même
Au jour du jugement.
Ô Christ, quand il me faudra sortir de cette vie,
Accordez-moi, par votre Mère,
La palme victorieuse.
Et lorsque mon corps devra subir la mort,
Daignez accorder à mon âme
La gloire du paradis.
Amen. Alleluia.
(1). Thren. I, 12. — (2). Isai. LIII. — (3). Thren. II, 13. — (4). Rom. VI, 9. — (5). Gardellini, Decreta authentica Congr. Sacr. Rit. — (6). Tob. IV, 3-4. — (7). FABER, Le Pied de la Croix, IX, I, II.
EVANGILE
Crucifixion. Livre d'heures. XVe.
La suite du saint Evangile selon saint Jean Chap. XIX.
" En ce temps-là, debout près de la Croix de Jésus, étaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa Mère, et debout près d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils. Et ensuite il dit au disciple : Voilà votre mère. Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui."
Femme, voilà votre fils. — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Paroles de Jésus sur la Croix. N'a-t-il donc plus ni Père au ciel, ni Mère ici-bas ! Mystère de justice, et encore plus d'amour : Dieu a tant aimé le monde qu'il adonné pour lui son Fils (1), jusqu'à le substituer aux hommes pécheurs dans la malédiction (2) due au péché (3) ; et Notre-Dame, dans son union sublime au Père, n'a pas épargné davantage, mais livré comme lui (4) pour nous tous ce même Fils de sa virginité. Si de ce chef nous appartenons au Père souverain, nous sommes bien aussi à Marie désormais ; nous avons été, des deux parts, achetés d'un grand prix (5) : le Fils unique, échangé pour les fils d'adoption.
C'est au pied de la Croix que Notre-Dame est devenue véritablement la Reine de la miséricorde. Au pied de l'autel où le renouvellement du grand Sacrifice se prépare, recommandons-nous de sa toute-puissance sur le divin Cœur.
(1). Johan. III, 16. — (2). Gal. III, 13. — (3). I Cor. V, 21. — (4). Rom. VIII, 32. — (5). I Cor. VI, 20.
dimanche, 16 septembre 2007 | Lien permanent