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mercredi, 18 septembre 2024

18 septembre. Saint Joseph de Copertino, de l'ordre des frères mineurs, confesseur. 1663.

- Saint Joseph de Copertino, de l'ordre des frères mineurs, confesseur. 1663.
 
Pape : Alexandre VII. Roi d'Espagne, roi des Deux Siciles : Philippe IV. Roi de France : Louis XIV. Empereur d'Autriche, roi de Hongrie : Léopold Ier.

" Si vous désirez mener une vie sainte, exercez-vous à l'humilité, sans laquelle toute sainteté de vie est impossible."
Saint Ephrem. De recta viv. rat.


Saint Joseph de Copertino.

Tandis qu'en France le jansénisme naissant reléguait Dieu par delà d'inexorables barrières, un humble fils du patriarche d'Assise montrait aux foules de l'Italie méridionale combien peu la terre est distante du ciel pour qui sait aimer. Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi, disait le Seigneur (Johan. XII, 32.).
 
De toutes les prophéties, ce fut la plus universelle ; les siècles l'ont vérifiée. Nous l'avons vu dans le domaine même des revendications politiques et sociales, au jour encore récent de l'Exaltation de la Croix sainte. Nous l'éprouverons jusque dans nos corps, au jour de la grande espérance dont il est dit que nous y serons ravis sur les nuées, à travers les airs, au-devant du Christ (I Thess. IV, 16.). Mais Joseph de Copertino n'attend pas la résurrection pour en faire la preuve : preuve de fait, dont les garants sont les innombrables témoins de cette vie d'extases aériennes qui se passe dans ce qu'on aime à nommer le plein jour de l'histoire.

Joseph naquit de parents pieux à Copertino, ville du territoire de Salente, au diocèse de Nardo, l'an du salut mil six cent trois. Prévenu de l'amour de Dieu, il y passa en grande simplicité et innocence de mœurs les années de l'enfance et de l'adolescence. La Vierge Mère de Dieu l'ayant délivré d'une opiniâtre et cruelle maladie patiemment supportée, il se donna tout entier à la pratique de la piété et des vertus.
 

Basilique Saint-Joseph de Copertino à Osimo. Marche.

Dieu l'appelait à une voie supérieure, et pour s'unir plus intimement à lui, il résolut de donner son nom à l'Ordre séraphique. Après divers incidents, ses désirs furent enfin exaucés au couvent de la Grotella des Mineurs Conventuels.

D'abord rangé parmi les frères lais pour son ignorance des lettres, une disposition d'en haut le fit ensuite admettre au nombre des clercs. En effet, notre Saint n'était pas satisfait de n'être que simple religieux ; il aspirait au sacerdoce. Ambition étrange, et, selon toute apparence, présomptueuse et insensée ! à peine savait-il lire, et de toute l'Écriture, il ne put jamais expliquer qu'un texte : l'Évangile des messes de la Sainte Vierge : “ heureuses entrailles qui Vous ont porté ".

Marie cependant, contente de l'amour de Son serviteur, le seconda dans ses desseins. Car, par une disposition merveilleuse de la Providence, dans tous ses examens, il ne fut jamais interrogé que sur cet évangile, qu'il avait si bien approfondi, et sur lequel il répondit de manière à satisfaire pleinement les examinateurs les plus exigeants. Cela fait de saint Joseph de Copertino l'un des saints majeurs auquel eurent longtemps recours les étudiants....

Après ses vœux solennels on l'éleva au sacerdoce au mois de mars 1628. Notre saint se sépara complètement du monde. Il recherchait les emplois les plus humbles du couvent, il pratiquait des austérités inouïes, ne mangeait que tous les 3 ou 4 jours, et cela avec tant de modération, qu'il était facile de voir que son corps même vivait d'une nourriture cachée, que les hommes ne connaissaient pas. En effet, son corps, aussi bien que son âme, était soutenu par la sainte Eucharistie ; et après la messe qu'il célébrait tous les jours, avec une grande dévotion, l'augmentation de force qu'il avait puisée dans la sainte communion se manifestait par l'animation de ses traits et la vigueur de sa démarche. Comme à saint François, les animaux lui obéissaient, les éléments étaient dociles à sa voix ; à son attouchement, les malades étaient guéris. En un mot, la nature semblait n'avoir plus de lois en présence des désirs de Joseph.


Reliquaire de saint Joseph de Copertino.
Eglise Saint-Médard de Saint-Médard-sur-Ille. Bretagne.

Brisant dès lors toutes les attaches du monde et se dépouillant pour ainsi dire du nécessaire même, il affligea son corps par les cilices, les chaînes, les disciplines, par tous les genres de châtiments et de tourments, tandis qu'il nourrissait assidûment son esprit des saintes douceurs de la prière dans la plus haute contemplation. Aussi la divine charité, qui dès le plus jeune âge était déjà répandue dans son cœur, prenait-elle en lui chaque jour d'admirables et tout extraordinaires accroissements.

L'ardeur de son très grand amour parut spécialement dans les très suaves extases qui l'emportaient vers Dieu et les ravissements prodigieux qui lui étaient ordinaires. Chose admirable ! si prononcée que fût l'extase, la seule obéissance le rappelait à lui aussitôt. Il se distinguait en effet par son zèle pour la pratique de cette vertu, ayant coutume de dire qu'elle le menait et ramenait comme un aveugle, et qu'il eût préféré mourir plutôt que de ne pas obéir.

La pauvreté du patriarche séraphique l'avait pour imitateur si fidèle que, près de mourir, il put en toute vérité déclarer à son supérieur qu'il n'avait rien à résigner comme font d'autres religieux. Mort donc au monde comme a lui-même, il manifestait dans sa chair la vie du Seigneur Jésus. Lui qui sentait en quelques-uns la honteuse odeur du vice impur, exhalait de son corps un parfum miraculeux ; c'était le signe de cette pureté resplendissante que, malgré les efforts prolongés de l'esprit immonde pour l'obscurcir, il avait conservée sans une tache, opposant à la violence des assauts une garde étroite de ses sens, une macération continuelle de son corps.

Mais cette victoire, il la devait encore à la particulière protection de la très pure Vierge Marie, qu'il avait coutume d'appeler sa mère, qu'il entourait en effet comme une très douce mère de sa vénération et des plus tendres sentiments de son cœur. Combien grand n'était pas son désir de la voir aussi vénérer par d'autres, pour qu'avec son patronage, comme il disait, ils trouvassent tous les biens !

Cette sollicitude du bienheureux provenait de sa très ardente charité pour le prochain ; le zèle des âmes qui le pressait lui faisait chercher par tous les moyens à procurer le salut de tous. Sa charité s'étendait aussi aux besoins des pauvres, des malades, des affligés de toutes sortes, qu'il soulageait autant qu'il était en lui. Il n'en excluait pas ceux qui le poursuivaient de reproches, d'injures, d'outrages de tout genre ; il les supportait avec cette même patience, cette même douceur, cette même affabilité joyeuse qu'on vit briller en lui au milieu des vicissitudes infinies de ces changements de résidence que lui imposèrent les supérieurs de l'Ordre ou la sainte Inquisition.
 

Lévitation de saint Joseph de Copertino. Nicola Bertuzzi. XVIIIe.
 
Pour lui, les lois de la pesanteur étaient suspendues, ou plutôt le centre qui l'attirait, ce n'était pas, comme pour nous pauvres misérables, la terre, mais le ciel. Aussi était-il souvent élevé, à la vue de ses Frères, à une distance considérable au sol, et là, il demeurait en contemplation, tout absorbé en Dieu. Chaque fois qu'on récitait en sa présence les Litanies de la Sainte Vierge, il s'élevait en l'air et allait embrasser l'image de la Mère de Dieu.

Ces transports aériens, ces vols dans l'espace furent si habituels à notre Saint que les actes du procès de canonisation en rapportent plus de soixante-dix survenus dans le seul territoire de Cupertino, aussi peut-on affirmer sans crainte, que durant la moitié peut-être de sa vie, ses pieds n'ont point touché le sol.

Non seulement les peuples, mais aussi les princes admiraient son éminente sainteté, ses dons surnaturels ; telle était cependant son humilité, que s'estimant un grand pécheur il priait Dieu instamment d'éloigner de lui les grâces extraordinaires, et suppliait les hommes de jeter son corps après trépas en un lieu où sa mémoire fût entièrement effacée.
 

Le corps incorrompu de saint Joseph de Copertino,
conservé dans la basilique d'Osimo.

Mais Dieu exalte les humbles : il avait durant la vie comblé son serviteur, l'enrichissant de la sagesse du ciel, de l'esprit de prophétie et de discernement des cœurs, de la puissance des miracles, de tous les dons ; il rendit aussi sa mort précieuse et son sépulcre glorieux.
 
Pour chasser les démons, il avait recours à trois armes peu conformes au rituel, mais efficaces : les Litanies de la Vierge, la feuille d’obédience que lui remettait son supérieur et le Répons de saint Antoine : " Si quæris miracula ". Il recommandait d’ailleurs cette prière, comme tout simple dévot, pour aider à retrouver objets ou animaux égarés.

 

Un jour, dans une ferme deux bœufs avaient disparu. Les bergers coururent aussitôt au couvent pour demander que l’on chante un Si quæris à saint Antoine pour les retrouver. Les Frères se rassemblèrent en cercle devant l’autel, tandis que Joseph se tenait seul dans le chœur, absorbé en extase. Se voyant découvert, il voulut s’enfuir, mais auparavant il dit aux bergers : " Les bœufs ne sont pas perdus : ils ont enfermé dans une masure à tel endroit ". Et c’est là que les bergers purent récupérer les bêtes volées.
 
Saint Joseph de Copertino mourut aux temps et lieu qu'il avait auparavant prédits, en la soixante et unième année de son âge, à Osimo dans le Picénum. Ses miracles continuant après sa mort de le mettre en lumière, Benoît XIV l'inscrivit dans les fastes des Bienheureux, Clément XIII dans ceux des Saints ; Clément XIV, qui était du même Ordre, en étendit l'Office et la Messe à toute l'Eglise.
 
PRIERE
 
" Nous louons Dieu pour les dons prodigieux qu'il daigna vous faire ; mais vos vertus sont merveilles plus grandes. Sans elles, les premiers demeuraient suspects à l'Eglise, à l'Eglise défiante encore, le plus souvent, lorsque depuis longtemps déjà le monde applaudit et admire.

L'obéissance, la patience, la charité croissant dans l'épreuve, donnèrent en vous leur cachet d'authenticité divine incontestable à ces faits extraordinaires, dont une contre-façon grimaçante ne dépasse pas le pouvoir naturel de l'ennemi.

Satan peut promener Simon dans les airs ; il ne saurait faire un homme humble. Digne fils du séraphin d'Assise, puissions-nous à votre suite nous envoler, non par les airs, mais dans les régions de la lumière véritable où, loin de la terre et de ses passions, notre vie soit cachée comme la vôtre avec le Christ en Dieu
(Collecte et Ant. propres de la fête. Col. III, 3)."

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mardi, 17 septembre 2024

17 septembre. Sainte Hildegarde de Bingen, vierge et abbesse du Mont Saint-Rupert. 1179.

- Sainte Hildegarde de Bingen, vierge et abbesse du Mont Saint-Rupert. 1179.

Pape : Alexandre III. Empereur d'Allemagne : Frédéric Barberousse. Roi de France : Louis VII le Jeune.

" L'espérance est comme l'oeil de la charité, l'amour céleste est comme son coeur, et l'abstinence comme leur liaison."
Sainte Hildegarde.

Sainte Hildegarde. Gravure. Angleterre. XVIIIe.

Sainte Hildegarde naquit en 1098, à Bickelnheim, bourg d'Allemagne, au comte, de Spanheim. Son père, qui se nommait Hildebert, et sa mère, appelée Melchtide, tous deux considérables par leur noblesse et par leurs grands biens, ayant reconnu, par plusieurs indices, qu'elle était appelée à une singulière familiarité avec Dieu, et que toutes ses inclinations la portaient au seul amour de Jésus-Christ et au mépris du monde, la mirent, dès l'âge de huit ans, sous la conduite d'une sainte vierge, nommée Jutte, qui lui donna l'habit de l'Ordre de Saint-Benoît. Cette illustre fille, qui était sœur de Méginhard, comte de Spanheim, à la cour duquel vivait Hildebert, demeurait recluse dans un ermitage, sur le mont de Saint-Disibode. Elle eut un soin extraordinaire pour l'élever dans l'innocence et dans l'humilité et, pour toute science, elle lui apprit les psaumes de David, afin qu'elle pût les réciter et les chanter à la louange de Dieu.

Hildegarde protita admirablement à une si sainte école, et, par les progrès qu'elle fit dans la vertu aussi bien que par les lumières divines qu'elle recevait sans cesse du ciel, elle se confirma dans le dessein de ne rechercher que les choses célestes. Mais Dieu, pour l'épurer encore davantage et éprouver sa fidélité, lui envoya de grandes maladies ; car elle était dans une langueur continuelle accompagnée de douleurs très aiguës. Rarement elle pouvait marcher, et son corps devint si exténué, qu'elle n'était plus qu'un squelette et une image de la mort. Cependant, plus elle s'affaiblissait extérieurement, plus son esprit se fortifiait par les intimes communications qu'elle avait avec Dieu ; de sorte que la chaleur ne semblait se retirer de ses membres que pour échauffer de plus en plus son cœur et augmenter la ferveur de son amour pour Jésus-Christ.

Comme elle était ainsi uniquement appliquée à Dieu, auquel seul elle tâchait de se rendre agréable, elle entendit une voix divine qui lui commanda de mettre à l'avenir par écrit toutes les choses qu'on lui ferait connaître. Le délai qu'elle apporta à obéir à cet ordre du ciel, de peur de n'être pas approuvée des hommes, fut cause que sa maladie redoubla. L'inquiétude où elle se trouva là-dessus l'obligea d'avoir recours à un religieux elle lui découvrit le sujet de son infirmité et le commandement qu'elle avait reçu et, par le conseil qu'il lui donna, après avoir proposé l'affaire à son abbé et à d'autres personnes spirituelles, elle fut entièrement déterminée à suivre cette céleste inspiration. Dès qu'elle se fut mise en devoir de commencer, ses forces lui revinrent tout à coup et quoiqu'elle n'eût jamais appris à écrire, elle fit un livre des visions et des révélations qu'elle avait eues jusqu'alors, et le mit entre les mains de l'abbé pour l'examiner.

Il ne se fia point à son propre jugement dans une matière si délicate et si importante mais il alla à Mayence pour en conférer avec l'archevêque et les savants de son Eglise. De là il alla à Trèves, où il sut que le pape Eugène III s'était rendu après le concile de Reims, auquel il avait présidé. Ce Pape, pour ne rien décider sans une mûre délibération, envoya vers Hildegarde l'évêque de Verdun avec d'autres personnes fort éclairées, afin d'examiner par quel esprit elle avait découvert tant de merveilles. Ils rapportèrent que l'humilité et la simplicité de la Sainte étaient des marques assurées qu'elle n'était conduite que par l'Esprit de Dieu ainsi il lut lui-même ces divins écrits en présence d'Adalbéron, archevêque de Trèves, des cardinaux et de tout le clergé, et il n'y eut personne de cette savante compagnie qui ne fût ravi de leur solidité, et qui ne bénît la bonté de Dieu de s'être communiqué d'une manière si rare et si admirable a une simple fille. Saint Bernard, abbé de Clairvaux, qui était de l'assemblée, représenta au Pape qu'il ne devait pas laisser dans l'obscurité une personne à qui Dieu communiquait tant de belles lumières, mais qu'il devait employer son autorité pour confirmer ce qu'elle avait déjà dicté, et pour l'exciter à continuer d'écrire des choses semblables. Eugène, acquiesçant à ce sentiment, lui écrivit une lettre pour l'exhorter à recueillir soigneusement toutes les choses que le Saint-Esprit lui révélerait ; et, afin de l'autoriser davantage, il en écrivit une autre à l'abbé et aux religieux, pour leur faire savoir la bonne opinion qu'il avait de la sainte recluse.

L'abbé Trithème dit que saint Bernard alla la voir lui-même pour avoir le bonheur de l'entretenir ; qu'il en fut pleinement satisfait, confessa hautement qu'elle était inspirée de Dieu, l'exhorta a la persévérance, la fortifia dans les voies de son attrait, et lia même avec elle une sainte amitié, qu'il entretint par plusieurs lettres qu'il les lui écrivit, soit pour la consoler dans les continuelles maladies dont elle était attaquée, soit pour lui donner les instructions qu'il jugeait lui être nécessaires dans la conduite extraordinaire que la divine Providence gardait sur elle. Mais le P. Stilting, au tome V de septembre des Acta sanctorum, a démontré que ce fait était tout à fait faux.

Sainte Hildegarde écrivant ses visions. Livre des Scivias,
dans lequel sont rassemblées ses principales visions. XIIIe.

Cette enquête ordonnée par le Pape, et suivie d'une approbation si authentique, répandit partout le bruit de la sainteté d'Hildegarde l'odeur de ses vertus lui attira bientôt après un grand nombre de personnes, qui vinrent la consulter sur les difficultés de leur conscience, sur les moyens de faire leur salut et d'avancer dans la perfection. Plusieurs jeunes. Elles lui demandèrent l'habit religieux, et il s'en présenta un si grand nombre que son ermitage, dont sainte Jutte l'avait laissée supérieure, ne pouvant les contenir toutes, elle fut obligée d'en faire bâtir un plus spacieux. Le mont de Saint-Robert ou Rupert (près de Bingen), ainsi appelé parce qu'il était du domaine de ce saint duc, et qu'il y avait saintement fini ses jours avec la bienheureuse Berthe, sa mère, et saint Guibert, confesseur, fut le lieu de cette nouvelle retraite, qui lui fut montré divinement dans une vision.

Le comte Méginhard, dont la fille, nommée Hiltrude, s'était faite religieuse sous la conduite de notre Sainte, lui en fit la donation, après l'avoir acheté des chanoines de Mayence et du comte de Hildesheim, dont il dépendait. L'abbé et les religieux eurent bien de la peine à consentir qu'elle quittât leur voisinage; ils s'y opposèrent quelque temps mais elle tomba dans une langueur surnaturelle qui la réduisit à ne pouvoir plus se remuer ; cela lui arrivait ordinairement lorsqu'on l'empêchait d'exécuter les ordres qu'elle recevait du ciel, ou qu'elle dilférait elle-même de le faire tandis que, quand elle se mettait en état de s'y conformer, et qu'on ne la contrariait plus, ses forces lui revenaient tout à coup. L'abbé lui permit donc de se rendre au nouveau monastère de Saint-Rupert alors elle se leva de son lit, comme si elle n'eût point été malade, et s'y rendit. Ce changement causa autant de douleur aux personnes qu'elle quittait, qu'il apporta de joie à celles qu'elle allait honorer de sa présence.

Dieu continua, dans cette nouvelle demeure, de l'éclairer de ses lumières célestes. Il serait impossible d'expliquer par d'autres paroles que par les siennes de quelle manière elle les recevait ; voici ce qu'elle en dit dans une lettre à un religieux de Gemblac :
" Je suis toujours pénétrée d'une sainte frayeur, parce que je ne reconnais en moi aucun pouvoir de faire le bien mais j'étends vers Dieu mes mains comme deux ailes, et, le vent de sa grâce soufflant au milieu, je me sens puissamment soutenue de sa force divine. Depuis mon enfance jusqu'à présent, que j'ai soixante-dix ans, j'ai sans cesse dans mon esprit cette vision il me semble que je suis élevée jusqu'au firmament et que je me répands dans l'air vers les régions fort éloignées, et, en cet état, je vois dans mon âme de grandes merveilles qui me sont manifestées; je ne les vois point des yeux du corps je ne les entends point de mes oreilles je ne les découvre point par aucun de mes sens, non pas même par les pensées de mon cœur, ni par des extases, car je n'en ai jamais eu mais, ayant les yeux ouverts et étant parfaitement éveillée, je les vois clairement, jour et nuit, dans le plus profond de mon âme."

Il ne faut pas s'étonner si, dans cette heureuse disposition, elle avait tant de facilité à mettre par écrit toutes les choses que le Saint-Esprit lui révélait, non seulement dans l'ordre naturel, mais aussi dans l'ordre surnaturel.

Sainte Hildegarde composa nombre de pièces musicales sacrées.

Cet état de contemplation continuelle ne l'empêchait point de s'acquitter des fonctions de la vie active et de travailler, autant qu'il lui était possible, au salut des âmes. Elle écoutait les personnes qui venaient la trouver, pénétrait le fond de leur conscience et leur donnait toujours des avis salutaires et conformes à la situation de leur cœur. Elle répondait aux autres qui la consultaient par lettres. Le religieux Wilbert lui proposa trente questions très-épineuses, qu'elle résolut par des lumières si profondes et si sublimes, qu'on ne peut lire cet écrit sans admiration. A l'instance de l'abbé et des religieux de Saint-Disibode, elle écrivit la vie de ce saint confesseur, et, à la prière de quelques autres, elle fit celle de saint Rupert.

Elle composa sur tous les évangiles de l'année des homélies dont la lecture fait voir qu'elle ne parlait que par l'inspiration divine. Elle expliqua particulièrement l'Evangile de saint Jean dont les mystères sont incompréhensibles aux plus grands génies. Elle écrivit plus de deux cent cinquante lettres pour exhorter diverses personnes à des actes héroïques de vertu. Elle y découvre, par un don singulier de Dieu, les secrets de leur intérieur, et y donne des instructions convenables à leur état. Celles qu'elle adressa aux archevêques de Trèves, de Mayence et de Cologne contiennent plusieurs prédictions sur les calamités qui devaient arriver dans le monde.

En un mot, il n'y eut point de personnes considérables de son temps à qui elle ne donnât des conseils tout divins. Elle écrivit à Eugène III, à Anastase IV, à Adrien IV et à Alexandre III, souverains pontifes aux empereurs Conrad III et Frédéric Ier ; aux évêques de Bamberg, de Spire, de Worms, de Constance, de Liége, de Maëstricht, de Prague et de toute la Germanie ; à l'évêque de Jérusalem, à plusieurs prélats de France et d'Italie à un grand nombre d'abbés ; à sainte Elisabeth de l'Ordre de Cîteaux ; à une quantité de prêtres, de théologiens et de philosophes de l'Europe ; toutes ces épîtres sont remplies de mystères et de secrets que le Saint-Esprit lui avait révélés, et les réponses de tant de grands hommes ont été conservées au monastère de Saint-Rupert.

Elle parcourut plusieurs villes d'Allemagne pour annoncer aux ecclésiastiques et au peuple des choses que Dieu lui avait ordonné de leur manifester. Les plus pauvres avaient part à ses lumières, aussi bien que les puissants du siècle elle ne leur refusait point des lettres de consolation, quand ils lui en demandaient, et, par ses prières, elle obtenait pour eux les grâces dont ils avaient besoin dans leurs maladies, leurs misères et leurs afflictions.

Sainte Hildegarde bénissant ses religieuses. Manuscrit du XIIIe.

Elle convainquit des Juifs qui la vinrent interroger sur la loi et les Prophètes, et leur prouva que le mystère de l'Incarnation, qu'ils attendaient encore, était accompli. Elle connaissait le cœur de ceux qui venaient à elle par un esprit do curiosité, et leur disait des vérités si touchantes, qu'ils changeaient aussitôt de sentiment. Elle donnait des remèdes aux personnes qui la consultaient sur leurs maladies corporelles ou spirituelles. Elle avait souvent des révélations touchant le salut ou la damnation de ceux qui venaient la visiter. Elle voyait la gloire à laquelle les uns devaient être élevés dans le ciel, et les peines que d'autres devaient souffrir dans les enfers. Elle se servait utilement de ce discernement des esprits et des consciences pour gouverner ses religieuses. Elle prévenait leurs petits différends, leur tristesse dans leur vocation, leur paresse et leur lâcheté dans leurs fonctions régulières. Tout ce qu'elle disait était accompagné de tant de douceur et d'onction, que l'on ne pouvait résister aux impressions qu'elle faisait jusque dans. le plus intime des âmes.

Mais, quoique Notre Seigneur Jésus-Christ favorisât sa bien-aimée Hildegarde par des grâces si extraordinaires et des bénédictions si abondantes, et qu'il l'honorât presque continuellement de ses saintes visites, il ne laissa pas de permettre qu'elle fût extrêmement persécutée et affligée de plusieurs manières. Elle eut des maladies que l'on peut dire avoir été au-dessus de la nature. Elle fut une fois trente jours dans un état si pitoyable, que l'on ne savait si elle était morte, ou si son âme animait encore ses membres, tant ils paraissaient desséchés et raides. D'autres fois son corps était réduit à une telle faiblesse, qu'on n'osait pas même le toucher, de crainte de la faire mourir. Tantôt il était flétri et comme gelé, tantôt il était tout en feu par l'ardeur des fièvres violentes qui la tourmentaient. C'était néanmoins dans ces cuisantes douleurs qu'elle avait les plus belles visions et que Dieu lui communiquait de plus grandes lumières.

Nous avons déjà remarqué que son mal augmentait visiblement lorsqu'elle n'exécutait pas promptement ce qui lui était prescrit dans ses révélations. Un jour, elle devint aveugle pour n'avoir pas manifesté une chose qu'elle avait eu ordre de déclarer, et elle ne recouvra la vue qu'après y avoir satisfait. Elle souffrit aussi beaucoup de la part des démons, qui employèrent tous leurs artifices pour lui ravir son humilité, pour ébranler sa patience et pour lui faire perdre sa confiance en Jésus-Christ. Ils l'attaquèrent par d'horribles tentations de blasphème et par des pensées de désespoir. Ils se mêlèrent, par permission divine, dans ses maladies, et la traitèrent, sans pourtant toucher à son âme, avec toute la cruauté que leur rage leur put suggérer ; mais elle eut la consolation de voir des anges destinés pour la défendre contre leur fureur. Elle vit plusieurs fois un chérubin, avec un glaive de feu à la main, qui les chassait de sa présence et les obligeait de se retirer dans les enfers. Elle voyait souvent ces esprits de ténèbres dans des furies effroyables, de ce qu'au lieu de remporter la moindre victoire sur sa faiblesse, elle triomphait toujours de leur malice et s'en servait pour s'unir davantage à son Dieu.

Ruines du cloître du monastère du mont Saint-Disibode.

Aussi, ce ne furent point là les plus sanglantes persécutions qu'elle souffrit, quoiqu'elles paraissent si terribles les traits des langues médisantes lui furent bien sensibles, parce qu'elles combattaient les faveurs insignes qu'elle recevait de son Epoux. Elle était honorée, applaudie et approuvée de la manière que nous avons dite cependant la Providence permit encore au démon de susciter plusieurs personnes qui lui causèrent d'étranges peines intérieures. Les uns doutaient si ces révélations n'étaient pas plutôt des illusions que des inspirations divines. Les autres disaient hautement qu'elle était trompée et séduite, et, qu'au reste, ce n'était point à une fille simple, ignorante et sans lettres, à se mêler de composer des ouvrages de piété que ses prétendues familiarités avec le Saint-Esprit n'étaient que des imaginations creuses que les visions qu'elle débitait ne devaient passer que pour des idées chimériques, sans aucun fondement valable, et qu'enfin il fallait l'empêcher de parler, au lieu de la consulter comme un oracle. Quelques-unes même de ces religieuses se laissèrent emporter au murmure contre elle, se plaignant de son exactitude, comme trop scrupuleuse, à leur faire garder les observances régulières, et lui reprochant que, par une rêverie plutôt que par une vision, elle les avait retirées du mont de Saint-Disibode, où rien ne leur manquait, et qui était la demeure du monde la plus agréable, pour les transférer sur la colline de Saint-Rupert, lieu malsain et marécageux à cause du voisinage de la rivière de Naha, qui se décharge dans le Rhin, et où elles manquaient de toutes choses.

Mais Hildegarde demeura toujours ferme, constante et tranquille au milieu de ces tempêtes. Et si elles furent assez violentes pour la toucher à leur début, elles n'eurent jamais la force de l'abattre, ni même de l'ébranler. Comme elle ne s'était pas élevée lorsqu'on lui avait donné des louanges, elle ne se laissa pas abattre quand elle se vit calomniée. Elle regarda cette adversité du même œil qu'elle avait envisagé la prospérité, adorant sans cesse en l'une et en l'autre la divine Providence, de laquelle seule elle attendait tout son secours. Aussi Dieu, prenant sa défense en main, la mit au-dessus de l'envie il fit paraître son innocence avec éclat, châtia ses persécuteurs et les obligea de reconnaître leur faute enfin, il montra, par plusieurs merveilles, qu'elle ne faisait et n'avait rien fait que par le mouvement et la conduite de son Esprit-Saint.

Elle guérit plusieurs malades qui implorèrent, son assistance, délivra un enfant de sept mois d'une étrange tumeur qui l'affligeait dans tous ses membres, et rendit la santé à une jeune fille et à un jeune homme moribonds, en leur faisant boire de l'eau qu'elle avait auparavant bénite. Deux femmes qui avaient perdu l'esprit le recouvrèrent par ses mérites. Une autre, d'Italie, travaillée d'un flux de sang, fut guérie par une de ses lettres.

Basilique Saint-Martin.
Bingen-sur-le-Rhin. Hesse. Allemagne.

Le seul attouchement de ses habits et des choses qui lui avaient servi opérait des guérisons admirables. Elle chassa les démons du corps des possédés, et rendit la vue à un enfant aveugle.
Une jeune personne, nommée Lutgarde, eut une passion si violente, qu'elle tomba dans une langueur qui la mit à deux doigts de la mort. Ses parents, apprenant de sa propre bouche la cause de sa maladie, l'envoyèrent vers la Sainte pour lui découvrir son mal et lui demander le secours de ses prières. Hildegarde se mit aussitôt en oraison, puis elle bénit du pain, l'arrosa de ses larmes et l'envoya à la malade. La jeune fille n'en eut pas plus tôt goûté qu'elle fut entièrement délivrée de la passion qui la desséchait.

Enfin notre Sainte fit quantité d'autres miracles qu'il serait trop long de rapporter ici. Il faut observer avec une tendre dévotion que, quand elle avait fait quelque action miraculeuse, Dieu permettait que ses douleurs et ses maladies augmentassent extraordinairemeni, afin, comme elle-même le confesse dans ses écrits, qu'elle se maintînt toujours dans les sentiments d'une véritable humilité et que la grandeur de ses révélations et l'éclat des merveilles qu'elle opérait ne fissent point naître dans son esprit des pensées d'orgueil et de bonne estime d'elle-même.

Voilà quelle, fut la vie de sainte Hildegarde jusqu'à l'âge de quatre-vingt-deux ans ; après avoir prédit sa mort, par une révélation qu'elle en eut, elle alla rejoindre son Epoux céleste, qu'elle avait uniquement recherché sur la terre. Ce fut le 17 septembre, l'an de Notre-Seigneur 1179.

A l'heure de son décès, qui arriva à la pointe du jour, on vit dans le ciel deux arcs-en-ciel, se croisant l'un sur l'autre sur tout l'hémisphère, vers les quatre parties du monde et, au point de leur jonction, il paraissait un corps lumineux de la grandeur du disque de la lune, du milieu duquel il sortait une croix qui, d'abord, était assez petite, mais ensuite s'élargissait sans mesure et était encore environnée d'autres cercles lumineux, chargés aussi de croix éclatantes il en jaillissait une clarté merveilleuse dont toute la montagne était illuminée. Dieu voulait sans doute montrer par ces symboles combien cette sainte vierge avait souffert pendant sa vie, combien, par ses souffrances, elle s'était rendue agréable à Notre Seigneur Jésus-Christ, et de quelle gloire elle était récompensée dans le ciel.

Son corps, qui exhalait une très-suave odeur, fut très honorablement inhumé au monastère d'Eibingen ou Bingen, qu'elle avait si longtemps sanctifié parla pratique des plus excellentes vertus. Son tombeau a été honoré de plusieurs miracles.

La châsse contenant les reliques de sainte Hildegarde.
Abbatiale de Eibingen. Hesse. Allemagne.

On la représente :
1. au moment où, rendant le dernier soupir, une croix éclatante apparut dans le ciel ;
2. portant une église, comme fondatrice d'un monastère, celui d'Eibingen ;
3. visitée par un solitaire
4. donnant un calice et de l'argent à un pauvre prêtre ou ermite.

CULTE ET RELIQUES

Sainte Hildegarde fut ensevelie au monastère de Saint-Rupert, où on lui éleva un riche mausolée. Ce monastère ayant été pillé et brûlé, en 1632, par les protestants suédois, les religieuses bénédictines qui l'occupaient se retirèrent et emportèrent avec elles les reliques de leur sainte abbesse au prieuré d'Eibingen, au diocèse de Mayence, dont sainte Hiidegarde était la fondatrice.

C'est là qu'elle a reçu depuis les honneurs que le grand nombre de ses miracles lui ont fait rendre. Son nom est célèbre dans les fastes de l'Eglise d'Allemagne. Sa canonisation, deux fois reprise, n'a pas été terminée pour des raisons secondaires et qui ne saurait mettre en cause son haut degré de sainteté ; mais son culte est permis et le décret de béatification a été rendu. Son nom est inséré dans le martyrologe romain.

Une des visions de sainte Hildegarde, décrite par ses soins.
Maître de Sainte-Hildegarde. Livre des Scivias. XIIIe.

ECRITS

Signalons que bien des ésotéristes contemporains, la tête farcie de fausses et de mauvaises sciences et de ruineuses fantaisies de toutes sortes, sont férus de certains ouvrages de sainte Hildegarde. Ils en donnent, dans l'édition comme sur l'Internet, des interprétations truffées de sottises obscures et dangereuses.

D'autres, au fil du temps ont composé des faux qu'ils ont attribué à notre grande Sainte. D'autres reproduisent incomplètement, retranche, ajoute, etc. aux textes de l'abbesse du Mont-Rupert. On s'éloignera bien entendu de toutes les variétés d'escrocs correspondant à ces caractéristiques et à ces pratiques.

Les ouvrages que nous avons de sainte Hildegarde sont :
1. ses Lettres, au nombre de cent quarante-cinq, en y comprenant celles que diverses personnes lui adressèrent ;
2. les Scivias, ou ses visions et ses révélations, en trois livres ;
3. le livre des Ouvrages divins de l'homme simple, ou Visions sur tous le points de la théologie, en trois parties :
4. la Solution de trente-huit questions ;
5. l'explication de la Règle de saint Benoît ;
6. l'explication du symbole de saint Athanase ;
7. la Vie de saint Rupert ou Robert ;
8. la Vie de saint Disibode ;
9. Des subtilités des diverses natures des créatures, en neuf livres.

Tous ces ouvrages sont réunis au tome CXCVII de la Patrologie latine de Migne par les soins et avec les notes du docteur Heuss.

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17 septembre. Les stigmates de saint François d'Assise. 1224.

- Les stigmates de saint François d'Assise. 1224.
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Pape : Honorius III. Roi de France : Louis VIII le Lion. Empereur germanique : Frédéric II Hohenstaufen.
 
" Que veulent dirent ces plaies ? Ce sont des bouches éloquentes qui persuadent le mépris du monde et la gloire de la croix."
R. P. Nouet. Méditations.
 

Saint François d'Assise. Francisco de Zurbaran. XVIIe.

Bientôt la grande figure du patriarche d'Assise reparaîtra au ciel de la sainte Liturgie ; nous aurons alors à louer Dieu pour les merveilles que sa grâce opéra en lui. Aujourd'hui, si personnel que soit à François le glorieux épisode, objet de la fête, il le dépasse pourtant par ce qu'il exprime.

L'Homme-Dieu vit toujours dans son Eglise ; la reproduction de ses mystères en cette Epouse qu'il se veut semblable, est l'explication de l'histoire. Or, au XIIIe siècle, on dirait que la charité, rebutée par plusieurs, concentre en quelques-uns les feux qui suffisaient jadis à embraser des multitudes ; autant que jamais la sainteté resplendit, et cependant l'heure du refroidissement a sonné pour les peuples.


Saint François d'Assise recevant les stigmates. Giotto.

C'est aujourd'hui même l'affirmation de l'Eglise (Collecte de la fête), pour laquelle, en effet, commence la série des défections sociales avec leurs reniements, leurs trahisons, leurs dérisions, soufflets, crachats du prétoire, aboutissant à la mise hors la loi dont nous sommes témoins. L'ère de la Passion est ouverte ; l'exaltation de la sainte Croix, jusqu'ici triomphante aux yeux des nations, prend du ciel, d'où regardent les Anges, un aspect d'adaptation plus intime de l'Epouse aux souffrances de l'Epoux crucifié. Ne soyons pas étonnés si, comme fait l'artiste en présence d'un marbre précieux, l'Esprit choisit la chair du séraphin d'Assise pour y rendre pleinement sa divine pensée.

Il manifeste ainsi au monde la direction plus spéciale qu'il entend maintenant donner aux âmes ; il offre au ciel un premier exemplaire, un exemplaire complet de l'ouvrage nouveau qu'il médite : l'union plénière, sur la Croix même, du corps mystique au Chef divin. François est le premier qu'honore l'élection d'en haut ; mais après lui le signe sacré sera recueilli par d'autres, qui personnifieront également l'Eglise ; les Stigmates du Seigneur Jésus seront toujours ici ou là, désormais, visibles sur terre.

Deux ans avant sa mort, saint François s'était retiré dans la Toscane avec cinq de ses Frères, sur le mont Alverne, afin d'y célébrer l'Assomption de la Très Sainte Vierge et préparer la fête de l'archange saint Michel par quarante jours de jeûne.

C'était aux environs de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, François priait les bras étendus dans l'attente de l'aube, agenouillé devant sa cellule.
" Ô Seigneur Jésus-Christ, disait-il, accorde-moi deux grâces avant que je meure. Autant que cela est possible, que dans mon âme et aussi dans mon corps, je puisse éprouver les souffrances que Toi, Tu as dû subir dans Ta cruelle Passion, et ressentir cet amour démesuré qui T'a conduit, Toi, le Fils de Dieu, à souffrir tant de peines pour nous, misérables pécheurs !"


Saint François d'Assise recevant les stigmates. El Greco. XVIIe.

Tandis qu'il contemplait avec grand recueillement les souffrances du Sauveur, voici qu'il vit descendre du ciel un séraphin sous la forme d'un homme crucifié, attaché à une croix. Cet esprit céleste portait six ailes de feu dont deux s'élevaient au-dessus de sa tête, deux s'étendaient horizontalement, tandis que deux autres se déployaient pour voler et les deux dernières recouvraient tout le corps. Devant cet étrange spectacle, l'âme de François éprouva une joie mêlée de douleur. Le séraphin s'approcha de lui et cinq rayons de lumière et de feu jaillirent des cinq plaies de l'ange crucifié pour venir frapper le côté, les deux mains et les deux pieds du Saint, y imprimant pour toujours la trace des sacrés stigmates de Notre-Seigneur.

La mystérieuse apparition disparut aussitôt, laissant le pauvre d'Assise en proie à d'inexprimables souffrances. Son côté droit laissait paraître une large plaie pourpre dont le sang sortait avec une telle abondance que ses habits en étaient tout imprégnés. Les têtes des clous apparaissaient au-dessus des mains ainsi qu'au-dessus des pieds ; leurs pointes étaient repliées de l'autre côté et enfoncées dans la chair.

Saint Bonaventure qui a écrit la vie de saint François une trentaine d'années après sa mort, affirme que ceux qui virent et touchèrent ces stigmates constatèrent que les clous étaient miraculeusement formés de sa chair et tellement adhérants que lorsqu'on les pressait d'un côté, ils avançaient tout d'une pièce de l'autre. Ces clous se trouvaient si bien unis à la chair et à la peau de saint François que même après sa mort, on essaya vainement de les en arracher. Des milliers de témoins oculaires ont contemplé les fascinantes empreintes pendant la vie et après la mort du grand dévot de la Passion de Jésus.

Attentif à tenir ses stigmates cachées, saint François couvrait ses mains et marchait chaussé. Il ne put cependant les dissimuler longtemps, car il lui devint trop douloureux de poser la plante des pieds par terre, aussi devait-il recourir malgré lui à la continuelle assistance de ses frères. Dieu qui pour la première fois, décorait un homme des stigmates de Son Fils unique, voulut manifester leur origine céleste en accordant quantités de miracles par leur vertu surnaturelle et divine.

Le pape Benoît XI voulut honorer par un anniversaire solennel et un office public, cette grâce qui n'avait jamais été accordée auparavant à la sainte Eglise. Le souverain pontife Sixte V ordonna d'insérer, dans le martyrologe romain, la mémoire des Stigmates de saint François, au 17 septembre. Le pape Paul V étendit cette fête à l'Eglise universelle dans le but d'éveiller l'amour de Jésus crucifié dans tous les coeurs.

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lundi, 16 septembre 2024

16 septembre. Saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr. 258.

- Saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr. 258.
On lira l'introduction à la notice du pape saint Corneille, auquel saint Cyprien de Carthage est associé.

Papes : Saint Fabien ; saint Corneille ; saint Lucius Ier. Empereurs romains : Trébonien Galle ; Hostilien ; Volusien ; Emilien (période de l'anarchie militaire) ; Valérien (période des trente tyrans).

" Extra Ecclesiam nulla salus."
" Hors de l'Eglise, point de salut."

Saint Cyprien. De unita ecclesiae.

" La parole du prédicateur n'est efficace qu'autant qu'elle est corroborée par ses exemples."
Saint Cyprien. De Zelo et livore.

Saint Cyprien de Carthage. Maître de Messkirch. Stuttgart. XVIe.

Cyprien vient de cypro, mélange, et ano, en haut ; ou bien de cypro, qui signifie tristesse ou héritage. Car il allia la grâce à la vertu, la tristesse pour le péché à l’héritage des joies célestes.

Cyprien, né dans le paganisme, descendait d'une illustre et opulente famille son père était sénateur. Une éducation digne de son rang et une étude passionnée des lettres et de la philosophie firent briller de bonne heure l'heureux génie dont la nature l'avait doué. La gloire littéraire était, à cette époque, l'un des premiers titres à l'admiration. Ses concitoyens obtinrent de lui qu'il ouvrît un cours public d'éloquence.

Cyprien menait, comme les païens de son temps, une vie tout à la fois laborieuse, sensuelle et fastueuse, lorsqu'une circonstance, qu'on pouvait appeler un événement, vint changer cette destinée. A son entrée dans le monde, un homme d'un bel esprit, d'une instruction variée, faisait par les agréments de sa conversation les délices de la haute société de Carthage. Son nom était Coecilius, qui, après sa conversion, édifia les fidèles de Carthage par une fervente et solide piété qui lui mérita, plus tard, d'être appelé aux fonctions du saint ministère. Coecilius fut jusqu'à sa mort un apôtre dévoué de cette religion qui avait été tant de fois l'objet de ses dédains et de ses railleries.

Son zèle affectueux s'attacha particulièrement au jeune Cyprien. Celui-ci délibéra longtemps. Il lui en coûta de soumettre l'orgueil du philosophe à l'autorité des faits et des enseignements divins. Sa volonté se montra plus rebelle encore que son intelligence. Déjà son esprit, convaincu par les raisonnements de Coecilius et éclairé de la lumière d'en haut, admirait les rapports intimes qui unissent la raison, la conscience et la foi ; mais son coeur frémissait à la pensée de se détacher de tous les objets qui l'avaient séduit et le retenaient captif. Lui, élevé au sein du luxe et des honneurs, et, comme il dit, au milieu des faisceaux ; accoutumé aux agréments d'une société brillante et enjouée, aux hommages d'une foule de clients empressés, lui qui, jouissant dans le monde païen de toute la considération d'un sage et d'un honnête homme, savait, de son propre aveu, allier avec cette prétendue sagesse la volupté et les plaisirs, pourrait-il s'astreindre à une vie sobre, retirée, humiliée, pénitente ? Tenterait-il de rompre des chaînes que leur charme rendait indissolubles, des penchants nés de son tempérament, des habitudes qui étaient devenues une seconde nature ?

Scènes de la vie de saint Cyprien. Martyre
de saint Cyprien. Homéliaire. XIIe.

Cependant, au milieu de tout ce tumulte des passions, la conscience ne cessait de lui crier :
" Courage, Cyprien Quoi qu'il en coûte, allons à Dieu !"
Il obéit enfin à cette voix ; il se lève, et, foulant aux pieds son propre cœur, il s'élance généreusement au baptême. Dès ce moment, c'est lui-même qui l'atteste, il s'opéra au fond de son âme une transformation complète ce qui restait obscur devint lumineux ce qui paraissait impossible lui fut facile il prit en dégoût le faste et l'orgueil de la vie, se sentit de l'attrait pour l'humilité de l'Evangile, et trouva dans la folie de la croix, non-seulement la vraie sagesse, mais aussi le vrai bonheur.

Lorsque saint Cyprien fut enfin baptisé, il rédigea le Traité à Donatus :
" Quand les eaux de la régénération eurent nettoyé les impuretés de ma vie passée, la lumière jaillit d'en haut dans mon coeur et l'Esprit me transforma en homme nouveau par une seconde naissance. Alors d'un coup, d'une manière miraculeuse, la certitude remplaça le doute, les mystères furent révélés, et la ténèbre devint lumière. Alors il fut possible de reconnaître que ce qui était né de la chair et avait vécut dans le péché était terrestre, mais que ce que l'Esprit Saint avait vivifié devenait de Dieu. En Dieu et de Dieu vient toute notre force. A travers Lui, pendant que nous vivons sur terre, nous voyons l'ébauche de la future béatitude."

La vocation de Cyprien n'était pas une vocation commune ; aussitôt après sa conversion, il vendit ses vastes possessions, parmi lesquelles étaient compris de magnifiques jardins situés sous les murs de Carthage, et il en distribua le prix aux pauvres. Un an s'était à peine écoulé, et l'illustre néophyte, par une exception que justifiait sa science, l'ardeur et la sincérité de sa foi, fut élevé au sacerdoce. L'an 248, l'assemblée des fidèles de Carthage le proclama évêque. Il voulut se dérober par la fuite à cette dignité mais le peuple chrétien accourut à sa demeure, et, à force d'instances, obtint son consentement.

Saint Cyprien de Carthage. Mosaïque. Détail.
Basilique Saint-Apollinaire-la-Neuve. Ravenne. Italie. VIe.

Le choix d'un si grand homme pour gouverner l'église de Carthage, dans un temps où l'on attendait à tout moment une nouvelle persécution, inspira un merveilleux courage aux chrétiens ils étaient persuadés que, par ses paroles et par ses exemples, il les fortifierait contre la malice de leurs ennemis. On ne peut expliquer la piété et la vigueur, la miséricorde et la sévérité qu'il fit paraître dans l'administration de sa charge. La sainteté et la grâce éclataient tellement dans toutes ses démarches, qu'il ravissait les cœurs de ceux qui le voyaient. Son visage était grave et marquait en même temps une pieuse gaieté. Ses actions étaient si bien tempérées par la bonté et par la fermeté, que l'on ne savait si l'on devait plus le craindre que l'aimer, ou plutôt on l'aimait et on le craignait tout ensemble.

Son habillement était modeste et également éloigné de la superfluité et de l'avarice. Il ne voulait pas se distinguer des autres par une vaine ostentation de réforme, ni s'exposer non plus au mépris par une épargne sordide mais il gardait en tout une juste et honnête modération. Sa charité envers les pauvres était inépuisable ; son zèle pour la discipline ecclésiastique. invincible ; ses travaux pour l'instruction de ses ouailles, immenses. En un mot, il était le père de son peuple, le bon pasteur de son troupeau, le modèle des autres prélats et l'admiration même des impies et des idolâtres.

Mais ce repos, dont l'Eglise jouit quelque temps, fut bientôt troublé par le cruel Dèce, qui envahit l'empire après la mort de Philippe (249) ; car, à peine ce tyran se vit-il en état de faire des édits, qu'il en publia de très rigoureux contre les chrétiens ce qui lâcha la bride à la fureur des idolâtres contre eux, et remplit toutes les provinces de carnages effroyables. Les démons seuls pouvaient inventer de pareils supplices beaucoup de chrétiens étaient en danger de perdre la foi avec la couronne du martyre. C'est ainsi qu'en parle saint Cyprien, et il remarque encore que les premiers qui se laissèrent emporter par cette tempête à renier Jésus-Christ, furent ceux qui, dans le calme de la paix, l'avaient déjà renié par mauvaise vie, et qui, s'étant attachés à leurs biens, à leurs familles et à leurs plaisirs, par des liens que condamne l'Evangile, ne purent se résoudre à perdre, pour la défendre, les choses qu'ils aimaient avec tant de passion. Le saint évêque n'oublia rien alors pour fortifier ses ouailles contre une si violente attaque il les anima à la victoire par ses puissantes exhortations il les prépara à la pénitence, et les rendit dignes du martyre par la pratique de toutes les vertus chrétiennes.

Les idolâtres, qui savaient combien un pasteur si vigilant et si généreux donnait de courage aux fidèles, tâchèrent, par toutes sortes de moyens, de se saisir de lui, et le désir qu'ils avaient de le mettre à mort était si violent, qu'on cria plusieurs fois, du milieu de l'amphithéâtre, de l'amener pour être déM~é par les bêtes féroces, ï! s'y fût volontiers exposé maïs, au lieu de suivre son xcle, il suivit le mouvement du Saint-Esprit et le conseil de ceux qui, jugeant par inspiration d'en haut, lui persuadèrent de se retirer, afin de se conserver pour son troupeau. En effet, qu'auraient fait ses pauvres ouailles si, dans une si terrible conjoncture, elles se fussent vues privées de leur pasteur ? Qui aurait eu soin de la pudicité des vierges, que les païens s'efforçaient de séduire ? Qui aurait ramené à la pénitence ceux que la crainte ou la faiblesse faisait succomber à la rigueur des tourments ? Qui aurait, défendu la mérité contre les hérétiques ? Qui aurait maintenu l'unité contre les schismatiques ? Qui aurait entretenu la paix et la loi évangélique parmi son peuple ? Qui aurait consolé ceux à qui on avait ravi tous leurs biens en haine de la religion ? Qui aurait animé les confesseurs, qui portaient déjà sur leur front les marques de leur foi et de leur constance, à soutenir un second martyre auquel ils étaient réservés ? Enfin, qui aurait, porté les âmes à la patience, à la fidélité et à la persévérance, si l'Eglise de Carthage avait perdu cet admirable évêque ?
Il ne s'absenta pas pour éviter le martyre, mais pour le remettre à une autre occasion moins préjudiciable à son peuple. Ce ne fut pas la crainte de la mort qui lui donna cette pensée, mais le désir de servir davantage les Chrétiens. Il se réservait pour rétablir les malades, pour guérir les blessés, pour affermir les chancelants, pour relever ceux qui éLaient tombés et pour entretenir tout son troupeau dans une fermeté inébranlable au milieu de l'orage.

Saint Cyprien de Carthage. Gravure. A. Thevet. XVIIe.

Il sortit donc de Carthage après avoir assemblé les fidèles, pour leur dire le sujet et les motifs de sa retraite, et demeura caché dans un lieu de sûreté, d'où il pourvoyait sans cesse à leurs besoins, en veillant sur eux et en leur écrivant des épîtres admirables qui faisaient les mêmes effets que s'il eût été présent. Il faisait venir dans des lieux écartés, tantôt les uns, tantôt les autres, pour les exhorter à souffrir avec constance les tourments des persécuteurs. Il eut soin que, pendant la nuit, il y eût des personnes destinées à ensevelir ceux qui étaient morts dans la rigueur des supplices que ceux qui n'avaient enduré que les douleurs de la torture fussent soigneusement pansés pour guérir leurs plaies ; et, enfin, que ceux qui avaient perdu leurs biens par l'injustice des tyrans fussent secourus par les aumônes des autres. Une furieuse peste, qui ravagea en même temps toute la ville, lui fournit de nouvelles occasions de faire éclater son zèle pastoral. Il pourvut aux nécessités spirituelles et temporelles des malades, qui étaient abandonnés de tout le monde. Il partagea les emplois de ceux qu'il avait chargés de les assister, afin que personne ne manquât de secours, pas même les idolâtres ; et chacun, animé par ses lettres toutes remplies du feu de la charité, se portait avec une ferveur incroyable à exécuter les instructions qu'il leur donnait. Comme la persécution avait enlevé le pape saint Fabien, il consulta sur sa retraite le clergé de Rome, pendant la vacance du Siège apostolique il était prêt à se sacrifier, si on le jugeait nécessaire, pour le bien de son Eglise. Sa retraite fut louée et approuvée par ces vénérables ecclésiastiques, qui connurent le besoin qu'avaient les fidèles de la vigilance d'un si bon pasteur.

Ces malheurs furent suivis d'un autre encore plus dangereux, puisqu'il tendait à renverser la discipline ecclésiastique que tous les supplices n'avaient pu ébranler. Plusieurs Chrétiens de Carthage, qui n'étaient pas bien fermes dans la foi, craignant la perte de leurs biens, de leurs charges et de leur vie, renièrent leur foi. Les uns le firent ouvertement les autres, pensant diminuer leur crime, prirent des magistrats des billets qui attestaient qu'ils avaient obéi aux édits de l'empereur, ayant en secret, ou par eux-mêmes, ou par des personnes supposées, protesté, en leur présence, qu'ils renonçaient à Jésus-Christ ; se délivrant ainsi, par argent, de faire cette renonciation en public, comme la loi générale l'ordonnait. De là ils furent appelés Libellatiques, (de libellus, billet).
L'Eglise d'Afrique ne les recevait à la communion qu'après une longue pénitence mais, comme elle les obligeait à des satisfactions très rudes, ils s'adressaient souvent aux confesseurs et aux martyrs qui étaient en prison ou qui allaient à la mort, pour obtenir, par leur intercession, la remise des peines canoniques qui leur restaient à souffrir. Le respect que l'on avait pour des personnes qui souffraient pour la gloire de Jésus-Christ était si grand, qu'à leur recommandation, on recevait les pénitents à la communion ecclésiastique, quoiqu'ils n'eussent pas accompli le temps prescrit par les canons. Mais cette indulgence des saints confesseurs produisit un fort mauvais effet ; on admettait trop facilement ceux qui avaient sacrifié ou qui avaient reçu des billets des magistrats.
Saint Cyprien en fut averti dans sa retraite, et tâcha d'y remédier par trois excellentes épîtres qu'il écrivit à son clergé, aux martyrs, aux confesseurs et à son peuple, les exhortant à ne pas se relâcher de la discipline, sans considérer la différence de la chute et le temps écoulé de la pénitence.

Félicissime, homme turbulent, qui, avec cinq prêtres, s'était opposé à l'élection de saint Cyprien, et, depuis, n'avait laissé passer aucune occasion de faire de la peine au saint Evêque, se souleva contre lui et fit tout ce qu'il put pour le mettre en mauvaise intelligence avec les confesseurs de Jésus-Christ. Car, non content de travailler à cette division, qui ne put réussir, il forma ouvertement le schisme, dressa autel contre autel, assemblant son parti sur une montagne hors de la ville, et excommunia tous ceux qui ne lui adhéraient pas. Mais, autant son excommunication était frivole, autant fut juste et terrible celle de notre Saint, qui, ne pouvant dissimuler davantage le désordre que ce rebelle causait parmi le peuple, ni les autres crimes dont il était coupable, le frappa d'anathème. Cependant, voyant que ceux qui avaient obtenu ces recommandations des confesseurs lui faisaient de grandes instances, à lui et aux autres évêques, pour être admis à la communion de l'Eglise, et que son autorité seule ne pouvait pas apaiser le trouble qui s'était élevé pour ce sujet dans Carthage, il écrivit de nouveau au clergé de Rome, le Saint-Siège étant encore vacant.

Saint Cyprien de Carthage. Gravure. XIXe.

Cet illustre clergé jugea sa rigueur très saine, et lui répondit qu'user de la douceur dont il se plaignait, ce n'était pas guérir, mais tuer le malade ; qu'il fallait que les pénitents frappassent aux portes de l'Eglise et ne s'effarassent pas de les rompre ; qu'ils se prosternassent sur le seuil, mais qu'ils n'entreprissent point de passer outre ; qu'ils veillassent à l'entrée du camp céleste, mais armés de modestie et se souvenant d'avoir été déserteurs qu'ils devaient se servir de leurs larmes comme d'ambassadeurs, et de leurs gémissements, tirés du fond de leurs poitrines, comme d'avocats, afin de prouver la grandeur de leur tristesse et d'effacer la honte de leur péché. Enfin, il conclut que, par l'avis de plusieurs évêques voisins, on avait trouvé à propos de ne rien innover jusqu'à l'élection d'un successeur à la place du pape saint Fabien, et que cependant on prolongeât la réconciliation de ceux qui pourraient attendre, et qu'on l'accordât à ceux qui seraient près de mourir, pourvu qu'ils eussent donné de dignes fruits d'une véritable pénitence. Saint Cyprien suivit cet accommodement, par lequel il retint et conserva la discipline ecclésiastique dans son ancienne intégrité.

Dans son excellent traité sur ceux qui étaient tombés durant la persécution, il rapporte des châtiments terribles dont Dieu punit l'irrévérence des personnes qui, après s'être souillées des viandes offertes aux idoles, osaient recevoir Jésus-Christ sans avoir été purifiées par une véritable pénitence et sans avoir mérité la réconciliation. Il raconte, entre autres, qu'un homme coupable de crime ayant reçu l'Eucharistie dans sa main ne trouva que de la cendre quand il voulut la manger, et qu'une petite fille, qui avait été portée par sa nourrice au temple des dieux, et à qui on avait fait goûter quelque liqueur offerte aux idoles, ne put jamais avaler le sang de Jésus-Christ que le diacre lui présenta dans l'église, selon la coutume du temps, et qu'elle fit tant de résistance, qu'elle obligea la nourrice de confesser ce qui s'était passé.

Cette conduite de saint Cyprien, si conforme aux Canons et autorisée par l'Eglise de Rome, devait le mettre à l'abri de la censure mais l'esprit des schismatiques n'épargne jamais personne, et la plus éminente sainteté est exposée à leur malice. Privat, que le saint Evêque n'avait point voulu admettre dans un synode, cabala avec cinq évêques coupables d'apostasie pour en mettre un autre sur le siège de Carthage, et Fortunat, l'un des prêtres qui avaient déjà formé le schisme avec Félicissime, leur paraissant propre pour leur dessein, ils l'ordonnèrent évêque, et aussitôt ils députèrent le même Félicissime à Rome, vers saint Corneille, qui avait succédé à saint Fabien, pour obtenir sa communion par surprise et pour accuser saint Cyprien. Cette ambassade fut rejetée d'abord mais les schismatiques, ne perdant pas courage, importunèrent le Pape avec tant d'ardeur, que, ne voyant arriver personne de la part de notre Saint, et s'étonnant de son silence dans une affaire si importante, il lui écrivit en des termes qui témoignaient quelque mécontentement de lui. Mais saint Cyprien se justifia enfin, et lui répondit avec tant de modestie, que Corneille fut entièrement désabusé.

Comme l'Eglise jouissait d'une assez grande paix dans les premières années du règne de Valérien, qui avait succédé à Gallus et à Volusien, notre saint prélat profita de ce calme et s'appliqua à établir une bonne discipline dans son diocèse. Il réfuta, entre autres, l'erreur de ceux qui n'offraient que de l'eau dans le sacrifice de l'autel ; il leur prouva, par une foule de passages des saintes Ecritures, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, que le vin était absolument nécessaire à ce mystère, et que sans cet élément on ne pouvait pas avoir le Sang de Jésus-Christ. Il témoigne lui-même, dans son épître LXIII à Cécilius, que cet abus pouvait être venu de ce que, durant la persécution, les fidèles, qui s'assemblaient la nuit, pour célébrer les divins mystères et pour participer à l'Eucharistie, craignaient, le matin, d'être découverts par l'odeur du vin.

Décollation de saint Cyprien et de saint Corneille.
Bréviaire à l'usage de Langres. XVe.

Il assembla aussi un synode, pour remédier à plusieurs autres abus qui s'étaient glissés parmi le peuple. On y excommunia Géminius Victor après sa mort, on défendit d'offrir l'oblation pour le repos de son âme et de faire aucune prière dans l'Eglise pour son soulagement, parce que, contre les Canons, il avait institué un prêtre tuteur de ses enfants.
" Celui-là, disent les évêques, ne mérite pas d'être nommé à l'autel de Dieu, dans la prière des prêtres, qui a voulu détourner de l'autel les ministres du Seigneur et les embarrasser du soin des affaires temporelles, tout à fait éloigné de leur profession."

Ils ne se mirent pas en peine des lois civiles, qui n'exemptaient personne de la charge des pupilles mais ils eurent seulement égard au bien des Eglises et à l'assistance spirituelle des fidèles, par le soin et les prières de leurs pasteurs.
Il fit condamner de nouveau dans ce synode ceux que l'on appelait Libellatiques, comme coupables d'infidélité et d'apostasie. Il en assembla encore plusieurs autres, touchant le baptême conféré par les hérétiques, qu'il croyait être nul et devoir être réitéré quand les baptisés revenaient à l'Eglise. Il eut, pour ce sujet, de grandes contestations avec le pape saint Etienne, qui soutint, fondé sur la tradition, et définit que ce baptême était valide, mais comme cette question regarde purement l'histoire ecclésiastique, que nous ne prétendons pas traiter ici, il suffit de dire avec saint Augustin, dans son épître XLVIII que, si l'on ne trouve pas que saint Cyprien ait changé de sentiment, il est néanmoins véritable qu'il l'a fait, que ceux auxquels son opinion plaisait peuvent bien avoir supprimé sa rétractation, et que plusieurs mêmes ont avancé qu'il n'avait jamais tenu cette erreur, mais que des imposteurs, pour se couvrir de son autorité, lui avaient attribué ce qu'il n'avait jamais cru.
Voici les paroles fort remarquables de ce grand Docteur :
" Ou saint Cyprien n'a jamais eu l'opinion que vous lui attribuez, ou, s'il l'a eue, il l'a reformée sur la règle de la vérité, ou enfin il a couvert cette tache de sa conscience très candide et très sincère par l'onction de sa charité, puisqu'il s'est perpétuellement maintenu dans l'unité de l'Eglise."

Notre saint prélat travaillait ainsi sans relâche au salut de son peuple et au rétablissement de la discipline, lorsque le proconsul Aspasius Paternus, après avoir employé en vain les menaces et les promesses pour ébranler sa fermeté, l'envoya en exil. Il se retira à Curube, petite ville assise sur le promontoire de Mercure, vis-à-vis de la Sicile, etdistante seulement de cinquante milles de Carthage. Là, ayant eu révélation que, dans un an, il devait être couronné du martyre, il employa tout ce temps à s'y préparer par toutes sortes d'oeuvres de charité. Il écrivit aux autres évêques et aux prêtres d'Afrique qui avaient été relégués en des lieux sauvages, où ils souffraient de grandes misères, une lettre de consolation qu'il est impossible de lire sans se sentir embrasé de ce feu divin qui le brûlait et d'un désir ardent de souffrir pour Jésus-Christ. Il leur envoya aussi beaucoup de choses dont ils avaient besoin pour leur subsistance. Il étendit encore ses soins charitables sur les chrétiens qui étaient en prison, leur écrivant en des termes très pressants pour les fortifier dans la confession de leur foi et les animer à la patience. Quand il sut que Galëre-Maximien avait succédé à Aspasius, il revint à Carthage et se cacha dans les jardins qui lui avaient autrefois appartenu, et qu'il avait vendus pour assister les pauvres, afin que de là il pût veiller sur son peuple qui venait souvent l'y trouver.

Saint Cyprien et le Proconsul.
Bréviaire-missel de Montier-la-Celle. Champagne. XIIIe- XIVe.

Mais, ayant appris qu'on avait donné ordre de se saisir de lui pour le mener à Utique, où était le proconsul, il se retira ailleurs, dans un lieu de sûreté, pour y attendre l'occasion de souffrir la mort dans sa ville, en présence de son cher troupeau et, de crainte que sa retraite ne fût mal expliquée par les fidèles, il leur écrivit une lettre pour leur en rendre raison.
" Ayant été averti, leur dit-il, que l'on envoyait des soldats pour nous mener à Utique, nous nous sommes absenté par le conseil de nos amis, estimant qu'il était plus convenable que nous confessassions la vérité dans la principale ville de notre diocèse que dans un autre lieu, afin d'y instruire le peuple par l'exemple de notre mort, et d'y fortifier les faibles par notre confession parce qu'en ce moment, ce que dit l'évêque confesseur de Jésus-Christ, il le dit comme étant la bouche de tous. L'honneur de notre Eglise, qui est maintenant si glorieuse, seraitbeaucoup diminué, si l'on nous faisait mourir dans un pays étranger. Il est donc à propos que nous recevions la couronne du martyre à la vue de Carthage. C'est la grâce que nous demandons continuellement à Dieu pour nous et pour vous, afin que, mourant devant vos yeux, nous vous montrions le chemin du ciel."
Saint Cyprien ne mourut pas néanmoins dans Carthage mais ce fut en un lieu si proche et en présence de tant de monde de la ville, que l'on peut dire que son souhait fut accompli.

Le proconsul le fit prendre et amener devant lui à une maison de campagne dans le voisinage de laquelle il s'était retiré. Celui qui l'avait fait prisonnier le retint la première nuit dans son logis. Cette maison fut aussitôt environnée d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards qui y accoururent pour voir ce que deviendrait leur saint évêque. Il y avait beaucoup de jeunes filles dans la troupe et, comme la peur de la mort ne l'empêchait pas de veiller sur son troupeau, il donna ordre qu'on les séparât et qu'on les gardât dans l'obscurité, de crainte que les soldats ne leur fissent quelque violence. Saint Augustin loue admirablement cette vigilance du saint Martyr.

Le matin étant venu, il fut conduit devant le proconsul, qui lui fit voir l'ordre qu'il avait des empereurs pour l'obliger de sacrifier aux dieux. Mais, le trouvant insensible à toutes ses remontrances et à ses menaces, il le condamna à avoir la tête tranchée. Saint Cyprien ouït tranquillement cette cruelle sentence, et, élevant son cœur à Dieu :
" Je vous rends grâces, dit-il, mon Seigneur, de ce que vous daignez retirer mon âme de la prison de ce corps mortel."
Les fidèles, qui ne l'abandonnaient point, crièrent de leur côté d'une même voix :
" Allons, et faisons-nous décapiter avec lui !"
Le bourreau parut tremblant quand il lui fallut faire son office, mais le martyr l'encouragea à lui donner le coup ; et, pour le récompenser de la grâce qu'il allait lui procurer, il lui fit distribuer vingt-cinq pièces d'or. Après cette action héroïque, il se dépouilla de ses habits, qui consistaient en une dalmatique, en un mantelet et en une robe de lin.

Abbaye Saint-Pierre de Moissac. Elle reçut de saint
Charlemagne les reliques de saint Cyprien de Carthage.
Moissac. Diocèse de Montauban.

Le cardinal Baronius croit que le camail et le rochet des éveques d'aujourd'hui y ont quelque rapport. Tous ceux qui voyaient ce spectacle fondaient en larmes, tandis que lui seul était dans une extrême joie qui paraissait jusque sur son visage. Chacun jeta des linges pour recevoir son sang, afin de le garder comme un précieux trésor. Il se banda les yeux lui-même et se fit lier les mains par un de ses prêtres, puis, s'étant mis à genoux, il reçut généreusement le coup de la mort. Dès qu'on eut abattu sa tête, les clercs, accompagnés de chrétiens, enlevèrent son corps et l'enterrèrent avec beaucoup de solennité, portant des cierges allumés à leurs mains ils furent d'autant plus hardis à lui rendre ces derniers devoirs en public, sans se soucier du proconsul ni de la fureur des idolâtres, qu'ils souhaitaient tous ardemment de mourir pour Jésus-Christ, à l'exemple de leur saint Pasteur. Son martyre arriva le 14 septembre.

Le nom de saint Cyprien est un des plus beaux noms du christianisme, et ce grand homme, un de ceux qu'on admire et surtout qu'on aime le plus. Dieu, qui se plaît à se manifester par sa miséricorde plus que par sa justice, a voulu aussi que, dans l'homme, la bonté fût le plus puissant attrait pour gagner les cœurs. Cyprien n'occupa que dix ans le siège de Carthage mais combien son ministère fut laborieux et fécond dans ses résultats Ses derniers regards se reposèrent avec joie sur une église plus nombreuse, plus dévouée, plus fidèle qu'il ne l'avait reçue, et les larmes des païens qui coulèrent à son supplice lui présagèrent que Carthage serait bientôt toute chrétienne.

On le représente :
1. tenant une épée dans la main, pour désigner le genre de mort qu'il a enduré ;
2. tenant une couronne, d'après une mosaïque de Ravenne.

Rq : On lira dans le tome XI des Petits Bollandistes (pp. 140 et suiv.) les éléments concernants le culte et les reliques du grand saint Cyprien ainsi que ses écrits.

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16 septembre. Saint Corneille, pape, martyr. 253.

- Saint Corneille, pape, & saint Cyprien, évêque, martyrs. 253 ; 258.

Papes : Saint Fabien (prédecesseur) ; saint Lucius Ier (successeur). Empereurs romains : Trébonien Galle ; Hostilien ; Volusien ; Emilien (période de l'anarchie militaire) ; Valérien (période des trente tyrans).

" Apprenez à vous soumettre à Dieu pour choisir non pas ce que vous voulez, mais ce que vous savez lui être agréable."
Saint Ambroise de Milan.

Saint Corneille. Maître de Messkirch. Stuttgart. XVIe.

" Rencontre à laquelle sourient les Anges ! L'enfer voulut un jour, dans une querelle fameuse (Sur la question de la validité du baptême donné par les hérétiques), opposer Cyprien au Siège suprême ; or voici que, représailles dignes d'elle, la Sagesse présente en une même fête au commun hommage de la terre et des cieux l'évêque de Carthage et l'un des plus nobles successeurs de Pierre.

Noble entre tous, Corneille le fut par la naissance, comme en témoigne son tombeau, retrouvé naguère dans la crypte de famille où les plus beaux noms de l'ancien patriciat lui formaient un cortège d'honneur. L'élévation au pontificat souverain d'un héritier des Scipions reliait dans Rome les grandeurs du passé à celles de l'avenir. C'était le temps où Dèce, redoutant plus d'apprendre l'élection d'un Pape que de voir se lever un compétiteur à l'empire (Cyprian. Epist. X, ad Antonianum. IX), avait lancé l'édit de la septième persécution générale. Mais le césar qu'un bourg de Pannonie vient de donner à la capitale du monde n'arrêtera pas les destinées de la Ville éternelle. En face du sanguinaire empereur et de ses pareils passés ou futurs, dont la cité reine ne connut les pères qu'à titre d'esclaves ou d'ennemis vaincus, le  Romain  authentique,  le descendant des Cornelii, se révèle à la simplicité native qu'on nous décrit en lui, au calme accompagnant sa force d'âme, à l'intrépide fermeté de sa race  qui le fait triompher le premier de l'usurpateur que la flèche des Goths attend sur les bords des marais Danubiens (Cyprian. Epist. X, ad Antonianum. IX). Ô saint Pontife, plus grand pourtant étes-vous encore par l'humilité qu'admirait en vous Cyprien, votre illustre ami, par cette pureté de votre âme virginale qui selon  lui vous rendit l'élu de Dieu et de son Christ (Ibid. VIII).

Près de vous, quelle n'est pas la grandeur de Cyprien lui-même ! Quel sillon de lumière a tracé dans le ciel de l'Eglise le converti du prêtre Cœcilius ! Dans la générosité de son âme conquise au Christ, il abandonne et les richesses et les honneurs, héritage de famille, et la gloire acquise dans les joutes de l'éloquence. A l'admiration de tous on dirait que, selon  le mot de son historien, la moisson des vertus précède en lui les semailles (Pontius Diac. De vita et pass. Cypr., XI). Par une exception justifiée, néophyte encore il est déjà pontife. Il lésera dix ans, durant lesquels Carthage, l'Afrique, le monde, auront les yeux fixés sur lui ; les païens, criant : " Cyprien au lion !", les chrétiens, attendant son mot d'ordre. Dix années qui représenteront une des périodes les plus troublées de l'histoire : dans l'empire, anarchie au sommet, invasions sur toutes les frontières, peste promenant partout l'épouvante ; dans l'Eglise, après une longue paix qui avait endormi les âmes, les persécutions de Dèce, de Gallus, de Valérien, dont la première, éclatant comme la foudre, multipliera les défaillances de la première heure et causera les schismes du lendemain, par la trop hâtive indulgence de plusieurs ou l'excessive rigueur de  quelques autres envers les tombés.

Saint Corneille et saint Cyprien de Carthage. Bréviaire romain. XVe.

Or, qui donc (Pontius Diac. De vita et pass. Cypr. VII) enseignera à ceux-ci la pénitence (Cypr. De lapsis), aux hérétiques la vérité, aux schismatiques l'unité (De unitate Ecclesiae), aux fils de  Dieu la prière  et la paix (De oratione Dominica) ? Qui ramènera les vierges aux règles de  leur vie sainte (De habitu virginis) ? Qui retournera contre les gentils leurs sophismes blasphématoires (Lib. ad Demetrianum, et De idolorum vanitate) ? Sous la  mort séparant et frappant, qui rappellera les biens futurs et consolera les âmes (De mortalitate) ? De qui apprendront-elles et la miséricorde (De opere et eleemosynis), et la patience (De bono patientiae), et le secret de changer en douceur de salut les poisons provenant des morsures de l'envie (De zelo et livore) ? Qui enfin élèvera les martyrs à la hauteur de l'appel de Dieu ? qui soutiendra les confesseurs sous la torture, au fond des cachots, dans l'exil ? qui  préservera des embûches de la liberté retrouvée les survivants du Martyre (De exhortatione martyrii, et Epistolae ad confessores) ?

Dans son calme incomparable, Cyprien, toujours prêt, semble défier les puissances de l'enfer, de la terre et des cieux. Jamais troupeau n'aura eu main plus sûre pour le rallier sous l'irruption soudaine et déconcerter le sanglier de la forêt. Et quelle fierté inspire au pasteur la dignité de cette famille chrétienne dont Dieu l'a fait le guide et le rempart! L'amour de l'Eglise, si l'on peut ainsi parler, est la note toute spéciale de l'évêque de Carthage ; en d'immortels épanchements avec ses très forts et très heureux frères, confesseurs du Christ, honneur de la Mère commune, il s'écrie :
" Ô bienheureuse notre Eglise, qu'illumine des plus purs rayons la divine condescendance, qu'illustre en nos temps le glorieux sang des martyrs ! Elle était blanche autrefois des oeuvres de nos frères ; la voilà maintenant empourprée du suc sorti des veines de ses héros. Ni les lis, ni les roses ne manquent à ses fleurs." (Epist. VIII, Ad martyres et confessores).

Etrange infirmité des plus fermes esprits d'ici-bas ! Ce fut cet amour même, ce fut, bien légitime, mais faussement appliqué, son exclusivisme jaloux pour la très noble Epouse du Sauveur, qui fit dévier Cyprien dans la grave question de la validité du baptême conféré par les sectes dissidentes. " Seule l’unique, disait-il, a les clefs, la puissance de l'Epoux ; c'est son honneur que nous défendons, en repoussant l'eau adultère de l'hérésie." (Epist. ad Jubaianum, I, XI).

Saint Corneille et saint Cyprien de Carthage.
Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.

C'était oublier que si, grâce à la miséricordieuse libéralité du Sauveur, le plus indispensable des Sacrements ne perd pas sa vertu, quel qu'en soit le ministre, étranger à l'Eglise ou son ennemi, il n'a de fécondité pourtant même alors que pour et par l'Epouse, ne valant qu'en union de ce qu'elle fait elle-même. Mais il est donc bien vrai : sainteté ou science ne donnent pas à l'homme l'infaillibilité, que la divine promesse assure au seul successeur de Pierre.

Pareille démonstration pouvait avoir son prix ; et sans doute ce fut la raison pour laquelle Dieu permit dans la haute intelligence du primat de l'Afrique romaine une éclipse passagère. Le péril ne pouvait être grave, ni définitive l'erreur, en celui dont la pensée maîtresse est toute dans ces mots que rappellent moins volontiers les adversaires de nos dogmes :
" Celui qui ne garde pas l'unité de l'Eglise, croit-il qu'il garde la foi ? Celui qui abandonne la Chaire de Pierre sur laquelle est fondée l'Eglise, peut-il se flatter d'être encore dans l'Eglise ?" (De unitate Ecclesiae, IV)."
Dom Prosper Guéranger.

Saint Corneille. Panneau peint sur bois.
Anonyme. Ecole Flamande. XVIe.

Corneille signifie qui comprend la circoncision. En effet, il comprit et conserva un grand détachement pour les choses superflues, les licites et même les nécessaires. Corneille peut venir aussi de corne, et de léos, peuple, comme si on disait la corne ou la force du peuple.

L'Eglise de Rome, après avoir demeuré un an et quelques mois sans pasteur, se consola de ce retard par l'élection de Corneille, qui avait toutes les qualités nécessaires pour la conduite d'un vaisseau agité par une tempête que l'empereur Dèce avait excitée. Il parvint à ce premier trône de l'Eglise par la science et la vertu, les seuls degrés par où l'on y montait en ces bienheureux siècles.
" Il en était d'autant plus digne, dit saint Cyprien, qu'il témoigna par une pudeur virginale et par une humilité sincère, qu'en cette élection, où plusieurs évêques se trouvèrent, on lui faisait violence et qu'il ne se croyait pas capable de porter le grand fardeau qu'on lui mettait sur les épaules."

Il était romain de nation, fils de Castin, et avait passé par toutes les fonctions ecclésiastiques, où son zèle. sa prudence s'étaient fait admirer der toiles fidèles. Aussi, ce furent ces seules vertus qui l'engagèrent à accepter cette charge, où l'on ne pouvait entrer en ce temps-là qu'en s'exposant à toutes sortes de supplices.

Saint Cornély. Imagerie populaire.
Pellerin éditeurs. XIXe.

Il eut d'abord un furieux schisme à combattre Novat, évêque d'une Eglise d'Afrique, dont on ne sait point le nom, y donna commencement. Ce schismatique se montrait tout à fait indigne de cette prélature. Saint Cyprien, qui avait une grande aversion de la médisance, dit de lui qu'il était amateur de nouveautés, avare, arrogant et superbe. Il nous le représente comme un boute-feu capable d'embraser tout le monde comme un séditieux, propre à exciter des tempêtes et à faire faire de tristes naufrages à la foi, et comme l'ennemi juré de la paix et de la tranquillité publiques.

II ajoute que les pupilles dont sa charge l'obligeait d'être le père, trouvaient en lui un brigand impitoyable les veuves, un séducteur de leur pudicité et les pauvres, un cœur de barbare, insensible à leur misère qu'il avait laissé mourir de faim son propre père, et qu'après sa mort il ne s'était pas mis en peine de lui rendre le devoir de la sépulture. Pour éviter la punition de ses crimes, il s'enfuit à Rome, où il trouva un instrument propre à son dessein. Ce fut le prêtre Novatien, homme d'une ambition cachée, mais très ardente et capable de tout entreprendre. La philosophie et l'éloquence par lesquelles il s'était acquis une grande réputation l'avaient tellement enflé qu'il éclata en plaintes et en murmures à l'élection de Corneille, comme si on lui avait fait injure de ne pas le choisir lui-même pour le souverain pontificat. Novat réchauffa et l'aigrit encore davantage sur ce sujet par des louanges artificieuses qu'il lui donna et par le mépris de celui qu'on lui avait préféré. Ils s'unirent ensemble d'un malheureux lien d'ambition et de vengeance, et commencèrent à semer parmi les fidèles des calomnies atroces contre ce saint Pontife, pour le décrier et le rendre odieux.

Enfin, ils surent si bien colorer leur mauvais dessein, que plusieurs même de ceux qui, durant la persécution, avaient glorieusement confessé la foi, se laissèrent abuser. Novatien avait toujours protesté qu'il fuyait l'épiscopat; mais la suite fit bien voir qu'il cachait sous ces protestations un désir désordonné d'y parvenir. Il écrivit à trois évêques d'Italie, simples et ignorants, pour les prier de venir au plus tôt à Rome y pacifier les troubles de l'Eglise, leur témoignant qu'il n'y avait qu'eux qui fussent capables de les faire cesser.

Baptême de sainte Basila.
Speculum historiale. V. de Bauvais. XVe.

Dès que ces prélats furent arrivés, il les fit recevoir par des personnes de sa faction, qui les invitèrent à un grand festin qu'on leur avait préparé puis, quand ils furent troublés par le vin qu'on leur fit boire avec excès, il entra dans la salle du banquet; et là même il se fit ordonner évêque par une ridicule imposition de leurs mains. Jamais homme ne fut plus inhabile à cette dignité; car, outre qu'il avait été possédé du démon et délivré par les exorcismes, il avait reçu le baptême au lit de la mort et, dans la persécution précédente, il avait renié sa prêtrise pour se conserver la vie irrégularités capitales, selon les Canons. Un des évêques qui avaient fait cette ordination profane se repentit bientôt après de sa faute, et l'ayant confessée humblement avec beaucoup de larmes, il fut reçu à la pénitence et mis au nombre des laïques. Voilà quel fut le premier schisme et le premier antipape de l'Eglise.

Novatien, après son ordination, écrivit à plusieurs évêques, et particulièrement à saint Cyprien, pour tâcher de les surprendre et de les attirer à sa communion. Ses lettres n'étaient que des invectives contre Corneille, mêlées d'une doctrine perverse et hérétique. Il se plaignait, entre autres choses, que le saint Pape recevait trop facilement à la communion ceux qui avaient sacrifié aux idoles, et disait qu'il fallait les en exclure pour toujours, et la refuser aussi à ceux qui étaient tombés dans des fautes énormes après le baptême, en laissant les uns et les autres au jugement de Dieu. Ainsi, sous un faux prétexte d'honorer sa justice, il offensait sa miséricorde, et jetait le désespoir dans les âmes au lieu d'y porter la crainte et l'horreur du péché. Corneille, que son intérêt paruculier n'eût point fait agir, voyant que cette pernicieuse doctrine allait faire perdre beaucoup d'âmes assembla un concile à Rome, dans lequel il fut décidé que l'on garderait un juste accommodement dans la prolongation ou la diminution du temps de la pénitence, afin, d'un côté, de ne pas lâcher la bride au péché, et, de l'autre, de ne pas ôter aux pécheurs l'espérance de la rémission. On ajouta que les prêtres qui auraient renoncé à la foi pourraient bien être reçus à la communion, mais non pas dans l'exercice de leur ordre.

A la suite de ce décret, plusieurs personnes qui avaient été séduites par les artifices des Novatiens, demandèrent à rentrer dans l'Eglise. Le saint Pape, pour les recevoir, assembla les prêtres de Rome avec cinq évêques, et, par leur avis, il accorda à ces brebis égarées, parmi lesquelles plusieurs avaient confessé le nom de Jésus-Christ dans la persécution, la grâce, de la réconciliation, dont leurs prières et leurs larmes, jointes à la surprise qui avait été faite à leur simplicité par les schismatiques, les firent juger dignes; mais, pour exterminer entièrement l'erreur des Novatiens, il convoqua encore au même lieu un synode de soixante évêques, et peut-être davantage de prêtres et de diacres par un commun consentement, elle fut condamnée, et tous ceux qui la suivaient furent frappés d'anathème.

Saint Cornély. Eglise Saint-Pierre-aux-Liens.
Baye. Cornouailles. Bretagne. XVIIIe.

Lorsque saint Corneille eut ainsi remporté la victoire sur les schismatiques, il s'éleva contre l'Eglise une autre persécution bien plus cruelle que la précédente, qui fut allumée par les empereurs Gallus et Volusien. Il en parle en ces termes dans sa lettre à Lupicin, évêque de Vienne :
" Vous saurez que l'arche du Seigneur est fort agités par le vent de la persécution, et que les chrétiens sont tourmentés de tous côtés par des supplices inouïs auxquels les empereurs les condamnent. Il y a, dans Rome, un lieutenant expressément établi pour les faire périr. Nous ne pouvons plus célébrer les divins Mystères ni publiquement, ni dans les caves qui ne sont pas tout à fait secrètes. Plusieurs ont déjà été couronnés du martyre. Priez Dieu qu'il nous fasse la grâce d'achever fidèlement notre course, qui ne durera plus guère, selon la révélation que nous en avons eue. Saluez en notre nom tous ceux qui nous aiment en Jésus-Christ."

Il fut d'abord relégué à Centumcelles, aujourd'hui Civita-Vecchia ; mais comme il n'avait plus de patrie sur la terre, il ne regarda point cet éloignement comme un exil. De ce lieu il écrivit plusieurs lettres à saint Cyprien, qui lui fit aussi de belles réponses; il lui donna de grands éloges pour le zèle et la fermeté qu'il faisait paraître à défendre la foi, à encourager les fidèles et à soutenir généreusement les intérêts de l'Eglise. Mais, ce pieux commerce de lettres ayant été découvert par Dèce, que l'on informa d'ailleurs des visites que les chrétiens rendaient souvent à leur saint pasteur, il le fit venir à Rome, et, après lui avoir reproché, par une calomnie ordinaire aux tyrans, qu'il avait des intrigues avec les ennemis de l'Etat, et qu'il écrivait contre son service, il lui proposa de deux choses l'une : ou de sacrifier aux dieux de l'empire ou de s'attendre à perdre la vie. Corneille s'étant moqué de ces menaces,il lui fit frapper la bouche avec des cordes plombées, puis l'envoya au temple de Mars avec ordre, s'il refusait de sacrifier aux idoles, de lui trancher la tête.

Avant cette exécution, Ceréalis, qui le gardait, le pria de passer par sa maison pour voir Salustie, sa femme, qui était paralytique depuis quinze ans. Corneille y étant entré, se mit en prières pour elle après quoi il lui dit avec une foi vive :
" Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, levez-vous et soutenez~vous sur vos pieds !"
Et, à l'heure même, elle se leva en pleine santé, criant à haute voix :
" Jésus-Christ est le vrai Dieu et le vrai fils de Dieu !"

Martyre de saint Corneille.
Vies de saints. XIVe.

Le Pape lui administra le baptême et à toute sa famille, ainsi qu'aux soldats de Ceréalis, qui se convertirent à la vue d'un si grand miracle. Ces conversions irritèrent de nouveau l'empereur, qui fit conduire ces néophytes avec Corneille au temple de Mars, pour y sacrifier aux idoles. Mais ces généreux serviteurs du vrai Dieu ayant craché contre les statues au lieu de les adorer, ils furent aussitôt décapités. La nuit suivante, la bienheureuse Lucine, avec quelques ecclésiastiques de Rome, enlevèrent leurs corps et les ensevelirent dans une crypte de son prx~MM, dépendante du cimetière de Calliste, sur la voie Appienne.

CULTE ET RELIQUES

Le pape Adrien Ier mit depuis les reliques de saint Corneille dans l'église qu'il fit bâtir sous son invocation.

A l'instance de Charles le Chauve, empereur et roi de France, le corps de saint Corneille a été transféré et apporté dans la ville de Compiègne, et déposé dans une célèbre abbaye que ce prince y avait fait bâtir en l'honneur de la sainte Vierge et des saints martyrs Corneille et Cyprien. En 1852, on retrouva à Rome, sur la voie Appienne, dans la catacombe de Calliste, exactement au lieu où il avait été enseveli, le tombeau de saint Corneille. Aujourd'hui ses reliques reposent dans l'église de Saint-Jacques, de Compiègne, avec d'ailleurs, et entre autres, un voile très précieux ayant appartenu à Notre Dame la très sainte Vierge Marie.

Eglise Saint-Jacques. Les reliques de saint Corneille
s'y trouvent toujours. Compiègne. Île-de-France.

Relevons que l’abbaye Saint-Corneille fut classée " bien national " en 1791 en même temps que celle du Val-de-Grâce. De nombreux acquéreurs achetèrent les bâtiments pour en faire des entrepôts. Quelques moines quittèrent la ville, les autres se cachèrent. Mais, les dénonciations furent très rares et l’offensive anti-catholique ne fut le fait que d’une poignée de Compiégnois, aidés par les militaires stationnés dans la ville. D'ailleurs, en mai 1793, la municipalité s’associa encore à la Fête-Dieu.
Cependant, le conventionnel en mission, André Dumont (1764-1838) accomplit par la force la fermeture des églises et organisa leur pillage, offensive à laquelle se rallièrent servilement les autorités locales.
Le passage de Collot d’Herbois et Isoré se traduisit dans le district par 72 arrestations dont 11 ecclésiastiques.

Le 10 août 1793, les sans-culottes de Compiègne envahirent l'abbaye Saint-Corneille et la pillèrent. Les corps des rois furent dispersés et leurs statues brûlées. Pendant cette profanation de tombes, ces bêtes féroces firent connaître le même sort aux restes des seigneurs et ecclésiastiques reposant dans l’église de l’abbaye, mais, surtout, à un grand nombre de reliques, même si de pieuses mains sauvèrent une partie de celle-ci avant le sac. Celles qui furent sauvées sont aujourd'hui au trésor de l'église Saint-Jacques de cette ville.

Bonaparte, Premier Consul, signa le décret qui ordonnait la destruction de l’abbaye Saint-Corneille, mais l’édifice ne fut détruit qu’en 1822. Les bâtiments encore debout de l’abbaye furent presque complètement brûlés en 1940 du fait d'un bombardement.

Des vastes bâtiments rebâtis à l'époque gothique, il ne subsiste plus que le cloître, restauré dans son état du XIVe siècle et quelques éléments de clocher et d'avant nef ; ces vestiges accueillent l'une des bibliothèques municipales, qui conserve dans sa réserve précieuse quelques ouvrages venant de l’abbaye.

L'abbaye Saint-Corneille au XVIIIe. Compiègne.

Saint Jérôme met saint Corneille parmi les écrivains ecclésiastiques, à cause de plusieurs épîtres qu'il écrivit en diverses occasions:  nous venons d'en marquer quelques-unes. Pendant deux ans qu'il tint le siége, il ne fit aucune ordination, parce que le schisme et les persécutions l'en empêchèrent. Mais, quoique son pontificat ait si peu duré, et que l'on y ait mis bien des obstacles, il ne laisse pas d'être très remarquable par les choses que ce grand homme a faites pour l'honneur de l'Eglise et par sa fermeté dans les tempêtes qui éprouvèrent son courage. Sa mort arriva le 14 de ce mois, mais l'Eglise ne fait sa fête que le 16.

Martyre de saint Corneille.
Gravure. Jacques Callot. XVIIe.

On le représente :
1. donnant le baptême ;
2. parfois entouré de vaches et de bœufs, à cause de la consonnance de son nom avec celui des bêtes à cornes : un jeu de mots aura sans doute déterminé le choix de ce Pape pour le patronage des grands troupeaux.
En Bretagne, il est encore invoqué comme protecteur des vaches et des bœufs, et on l'appelle Cornéli ou Cornély.

Saint Cornély bénissant le bétail. Statue de la façade de l'église
Saint-Cornély de Carnac. Carnac. Pays d'Auray. Bretagne. XVIIe.

En Pas de Calais, la commune d'Englos fut sauvée d'une épidémie en 1832 grâce à la neuvaine à saint Corneille que le conseil municipal demanda au curée de la paroisse Saint-Corneille (connue sous le vocable de Saint-Cornil) de dire. La ville de Lille compta 3000 morts de cette épidémie, Englos ne déplora aucun malade.

Buste votif à saint Cornil en remerciement de la protection
que le saint pape apporta à la population du village d'Englos
lors de l'épidémie de 1832 qui sévit dans toute l'Europe et
dans le Pas-de-Calais en particulier. Englos. Pas-de-Calais. XIXe.

Ajoutons enfin que l'épilepsie est appelée depuis longtemps le " mal de saint Corneille " et que l'on invoque ce grand saint et ce grand pape en vue de sa guérison et de la guérison des maladies nerveuses en général.

Saint Cornély protecteur des bestiaux.
Imagerie populaire. Pellerin éditeurs. XIXe.

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dimanche, 15 septembre 2024

15 septembre. Sainte Catherine Fieschi de Gènes, veuve. 1510.

- Sainte Catherine Fieschi de Gènes, veuve. 1510.
 
Pape : Jules II. Gouvernants de la commune de Gènes : Patriciens des maisons Fieschi, Adorno, Fregoso, Spinola, etc. Roi de France : François Ier. Roi de Naples : Ferdinand II d'Aragon.

" Un coeur blessé par l'amour divin est insurmontable car Dieu est sa force."
Sainte Catherine de Gènes.


Sainte Catherine de Gènes. Anonyme. XVIIe.

Catherine Fieschi, fille d'un vice-roi de Naples, naquit à Gênes. Sa famille, féconde en grands hommes, avait donné à l'Église deux Papes, neuf cardinaux et deux archevêques. Dès l'âge de huit ans, conduite par l'Esprit de Dieu, elle se mit à pratiquer de rudes mortifications ; elle dormait sur une paillasse, avec un morceau de bois pour oreiller ; mais elle avait soin de cacher ses pénitences. Elle pleurait toutes les fois qu'elle levait les yeux sur une image de Marie tenant Jésus mort dans Ses bras.

Malgré son vif désir du cloître, elle se vit obligée d'entrer dans l'état du mariage, où Dieu allait la préparer par de terribles épreuves à une vie d'une incroyable sainteté. Après cinq ans d'abandon, de mépris et de froideur de la part de son mari, après cinq ans de peines intérieures sans consolation, elle fut tout à coup éclairée de manière définitive sur la vanité du monde et sur les joies ineffables de l'amour divin : " Plus de monde, plus de péché ", s'écria-t-elle.
Jésus lui apparut alors chargé de Sa Croix, et couvert de sang de la tête aux pieds :
" Vois, Ma fille, lui dit-Il, tout ce sang a été répandu au Calvaire pour l'amour de toi, en expiation de tes fautes !"
La vue de cet excès d'amour alluma en Catherine une haine profonde contre elle-même : " Ô amour ! Je ne pécherai plus !" s'écria-t-elle.

Trois jours après, elle fit sa confession générale avec larmes, et désormais elle communia tous les jours. L'Eucharistie devint la nourriture de son corps et de son âme, et pendant vingt-trois ans il lui fut impossible de prendre autre chose que la Sainte Communion ; elle buvait seulement chaque jour un verre d'eau mêlée de vinaigre et de sel, pour modérer le feu qui la dévorait, et, malgré cette abstinence, elle jouissait d'une forte santé.

À l'abstinence continuelle se joignaient de grandes mortifications ; jamais de paroles inutiles, peu de sommeil ; tous les jours six à sept heures de prière à genoux ; jamais Catherine ne se départit de ces règles ; elle était surtout si détachée d'elle-même, qu'elle en vint à n'avoir plus de désir et à se trouver dans une parfaite indifférence pour ce qui n'était pas Dieu.

Ses trois maximes principales étaient :
- de ne jamais dire : je veux, je ne veux pas, mien, tien ;
- de ne jamais s'excuser ;
- de se diriger en tout par ces mots :
" Que la Volonté de Dieu soit faite !"

Elle eut la consolation de voir son époux revenir à Dieu, dans les derniers jours de sa vie, et de l'assister à sa mort. A partir de ce moment, Catherine se donna tout entière au soin des malades, et y pratiqua les actes les plus héroïques.
 
Rq : On lira la notice complète que les Petits Bollandistes consacrent à notre sainte : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307413

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samedi, 14 septembre 2024

14 septembre. Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, après Sa délivrance du joug des Perses. 627.

- Fête de l'exaltation de la Sainte Croix, après sa délivrance du joug des Perses. 627.

Pape : Honorius Ier. Empereur romain d'Orient : Héraclius Ier. Roi des Francs : Clotaire II.

" Dieu a glorifié la Croix en faisant l'autel de Son Sacrifice, le trône de Son amour, Son lit de justice, la chaire de Son enseignement, le siège de Sa royauté, le trophée de Sa gloire; nous devons la glorifier à notre tour en lui rendant un culte de respect et de reconnaissance, un culte de confiance et d'amour."
M. l'abbé C. Martin, Panégyriques.

Sous le règne de l'empereur d'Orient Héraclius Ier (610-641), Chosroès II (590-628), roi des Perses, entra dans la Syrie, prit la ville de Jérusalem, la pilla, la brûla, et emmena en Perse Zacharie, qui en était patriarche. Ce qu'il y eut de plus déplorable dans ce pillage, ce fut la prise et l'enlèvement de la principale partie de la vraie Croix de Notre-Seigneur, que sainte Hélène, mère de l'empereur saint Constantin le Grand, avait laissée en ce lieu de notre Rédemption.

Chosroès néanmoins lui rendit ce respect, qu'il ne la voulut point voir à découvert, ni permettre qu'elle fût tirée de l'étui où elle était enfermée et cachetée ; et les Perses furent aussi divinement frappés d'une terreur religieuse à son égard ; ils la conservèrent précieusement, disant que le Dieu des Chrétiens était arrivé dans leur pays.


Invention de la Sainte Croix par sainte Hélène. Détail.
Agnolo Gaddi. XVe.

Héraclius, pour réparer de si grands malheurs et délivrer les Chrétiens d'Orient du joug des Perses, résolut de porter à son tour la guerre au coeur de la Perse, non-seulement par des levées de troupes, mais par plusieurs actions de piété. Avant de partir de Constantinople, il vint à la grande église, les pieds couverts de noir et non d'écarlate, pour montrer sa pénitence. Il se prosterna devant le saint autel et pria Dieu ardemment de bénir ses bonnes intentions.

Georges Pisidès lui prédit alors, qu'au lieu des chaussures noires qu'il avait prises par humilité, il reviendrait avec des chaussures rougies du sang des Perses : ce que l'événement vérifia. Il recommanda la ville à Dieu et à la sainte Vierge, et son fils Constantin au patriarche Sergius. Enfin, il emporta avec lui une image miraculeuse de Notre-Seigneur, protestant qu'il combattrait avec elle jusqu'à la mort.


Chosroès II. Drachme perse.

En cet état, Héraclius, plus fort encore par la confiance qu'il avait en Dieu que par le nombre de ses soldats, entra dans la Perse et battit Chosroès, qui fut obligé de prendre honteusement la fuite. Plus il était victorieux, plus il implorait le secours du Ciel, auquel il attribuait de si heureux succès, faisant faire à son armée des processions solennelles pour demander à Dieu la continuation de Sa protection et de Sa bénédiction. Il marcha de victoire en victoire.


Héraclius. Monnaie d'or byzantine.

Chosroês, craignant de tomber entre les mains de son vainqueur, prit le parti de la fuite, et se retira avec ses femmes et ses trésors à Séleucie, au-delà du Tigre ; là, son fils aîné Siroès se saisit de lui et le mit en prison où il mourut de faim, de mauvais traitements et d'outrages. Ainsi finit Chosroès, qui avait désolé tout l'Orient et fait aux Chrétiens la plus inhumaine et la plus sanglante guerre qu'ils eussent jamais soufferte, enlevé et emporté la Croix du Fils de Dieu, pillé Ses églises, profané Ses autels et commis un nombre infini de sacrilèges.


Héraclius décapitant Chosroès II. Peinture sur cuivre d'un reliquaire.
Atelier de Godefroy de Huy. XIIe.

Siroès, se voyant élevé sur le trône de Perse par des voies si condamnables et si tyranniques, ne demanda pas mieux que de faire la paix avec les Romains : il envoya donc des dépêches à Héraclius pour l'obtenir. Ce prince la lui accorda volontiers ; mais entre les conditions du traité, il l'obligea surtout de rendre la Croix de Notre-Seigneur dans le même état que son père l'avait emportée, et de mettre en liberté le patriarche Zacharie et tous les esclaves Chrétiens.

Il revint ensuite tout triomphant à Constantinople, où il fut reçu avec de grandes acclamations du peuple ; on applaudissait celui qui avait réparé l'honneur de l'empire romain par la défaite des barbares. On alla au-devant de lui avec des rameaux d'olivier et des flambeaux, et on n'oublia rien qui pût témoigner l'allégresse et la joie publiques de voir la Croix du Sauveur entre les mains des Chrétiens.


Le triomphe d'Héraclius rapportant la Sainte Croix de Perse.
Peinture sur cuivre d'un reliquaire. Atelier de Godefroy de Huy. XIIe.

Héraclius, pour rendre à Dieu des actions de grâces solennelles des grandes et insignes victoires qu'il avait remportées, voulut conduire lui-même à Jérusalem le bois de la vraie Croix qui avait été 14 ans sous la puissance des barbares. Lorsqu'il y fut arrivé, il la chargea sur ses propres épaules, pour la reporter avec plus de pompe sur le Calvaire, d'où elle avait été enlevée ; mais, quand il fut à la porte qui mène à cette sainte montagne, il se trouva tellement immobile qu'il ne put avancer un seul pas.
Cette merveille, dont on ne connaissait point la cause, étonna tout le monde ; il n'y eut que la patriarche Zacliarie qui, jugeant d'où cela provenait, lui dit : " Prenez garde, Ô empereur, qu'avec cet habit impérial dont vous êtes revêtu, vous ne soyez pas assez conforme à l'état pauvre et humilié qu'avait Jésus-Christ lorsqu'Il portait Sa Croix ".


Héraclius rapportant la Sainte Croix à Jérusalem.
Bréviaire à l'usage de Besançon. XIVe.

Héraclius, touché de ces paroles et en reconnaissant la vérité, quitta aussitôt son habit couvert d'or et de pierreries, ôta ses souliers et se revêtit de la robe d'un homme pauvre, après quoi il marcha sans difficulté et alla jusqu'au Calvaire, où il replaça la Croix au même endroit d'où on l'avait enlevée.

Héraclius rapportant la Sainte Croix à Jérusalem. Sur l'avis de
Zacharie, patriarche de Jérusalem, il s'est dépouillé de ses
vêtements impériaux. Bréviaire romain. XVe.

Enfin, pour rendre ce triomphe encore plus mémorable et exalter davantage la gloire de la Croix, il se fit, ce jour-là, plusieurs miracles par la vertu de ce bois sacré : un mort fut ressuscité, 4 paralytiques furent guéris, 10 lépreux purifiés, 15 aveugles illuminés, quantité de possédés délivrés et une infinité de malades remis en parfaite santé.

Dans la suite, il fut ordonné que tous les ans on ferait la fête solennelle de ce rétablissement, et l'Eglise la célèbre encore, le 14 septembre, sous le nom de l'Exaltation de la sainte Croix. Elle fut très célèbre en Orient, et, ce jour-là, il accourait à Jérusalem des pèlerins de tous les endroits du monde.

Voilà pour ce qui regarde l'institution de cette fête, en mémoire du recouvrement de la Croix fait par Héraclius ; mais longtemps auparavant on faisait, dans l'Eglise grecque et dans l'Eglise latine, une solennité en l'honneur de la Croix, sous le nom d'Exaltation, pour se remémorer les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa mort :
" Lorsque Je serai exalté, c'est-à-dire élevé au-dessus de la terre, J'attirerai toutes choses à Moi. Tout ainsi que Moïse a exalté le serpent dans le désert, de même il faut que le Fils de l'homme soit exalté. Lorsque vous aurez exalté le Fils de l'Homme, vous connaîtrez qui Je Suis."

Le cardinal Baronius, dans ses Notes sur le martyrologe, dit que cette fête fut établie au temps de l'empereur Constantin, pour remercier Dieu de ce qu'alors la Croix fut exaltée dans tout l'univers par la liberté qu'eurent les fidèles de prêcher l'Evangile et de bâtir des églises. Peut-être le fut-elle après que la vraie Croix eut été trouvée par sainte Hélène, et lorsqu'elle fut placée sur le Calvaire.
Mais cette fête peut se fêter tous les jours et à tous moments dans le coeur du Chrétien. C'est l'endroit où Jésus-Christ veut principalement que sa Croix soit exaltée. L'exaltation extérieure qui se fait ou sous les voûtes des temples, ou sur les portes des villes, ou même sur la tête des souverains, n'est qu'un signe de ce qui se doit faire dans ce sanctuaire vivant et animé.

Nous l'exalterons par une haute estime que nous concevrons de son mérite, par un grand zèle à la porter comme Jésus-Christ l'a portée, par un profond respect pour les souffrances que cet aimable Sauveur a endurées, par un soin particulier de la glorifier en toutes nos actions, et par une sainte application à la faire triompher dans le coeur de nos frères. Et qu'y a-t-il de plus noble et de plus salutaire que la dévotion envers ce précieux instrument de notre salut ?

Car la Croix est l'espérance des chrétiens, le soutien des désespérés, le port de ceux qui sont agités par La tempête, et la médecine des infirmes. C'est elle qui éteint le feu des passions, rend la santé aux âmes malades, donne la vie de la grâce à ceux qui étaient morts par le péché, et ruine l'empire du vice et de l'impiété.
Elle nous sert d'épée et de bouclier pour combattre nos adversaires, de sceptre pour triompher de leur malice, de diadème pour nous orner, de boulevard pour défendra notre Foi, de bâton pour nous soutenir dans nos faiblesses, de flambeau pour nous éclairer dans nos ténèbres, de guide pour nous redresser dans nos égarements, et de leçon pour nous apprendre les vérités du salut.
Elle efface les péchés, excite à la pénitence, amortit les flammes de la cupidité, arrête l'ambition, dissipe la vanité, condamna le luxe, réprouve la délicatesse, porte à la confiance en Dieu, nous ouvre le Ciel, nous fortifie contre les tentations, nous préserve des périls, nous assiste dans nos infortunes, nous console dans nos afflictions, nous délasse dans nos travaux, rassasie les faméliques, nourrit ceux qui jeûnent, couvre ceux qui sont dépouillés, enrichit les pauvres, châtie les riches, secourt les nécessiteux, accompagne les voyageurs, protège les veuves, défend les orphelins, garde les villes, conserve les maisons, unit les amis, résiste aux ennemis, est l'honneur des magistrats, la puissance des rois, la victoire des généraux d'armée, la gloire des prêtres, le refuge des religieux, la retraite des vierges et le sceau inviolable de la chasteté.

Les pieux habitants du Liban célèbrent avec une dévotion et une solennité particulière la fête de l'Exallation de la sainte Croix. La veille, à la tombée de la nuit, cent mille feux brillent sur toutes les hauteurs, rivalisant d'éclat avec les étoiles du ciel, et se réfléchissant dans l'azur de la mer. Il n'y a pas une colline, pas un rocher, pas une anse du rivage, pas une habitation, depuis le pied des montagnes jusqu'à leurs cimes les plus élevées, de Sidon jusqu'à Tripoli, partout où bat un coeur chrétien, qui ne rende gloire à Dieu. Toutes les cloches unissent leurs voix aux chants des fidèles, au murmure des ondes, à la joie de la terre, pour exalter l'arbre de vie qui a porté le Salut du monde.

On peut voir les autres effets miraculeux de la Sainte Croix dans les sermons de saint André de Crête et de saint Pierre Damien, rapportés par Surius. Nous en avons traité plus amplement le 3 mai, jour de son invention. Voir aussi la vie de sainte Radegonde.

Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger :


Vitrail de l'Exaltation de la Sainte Croix. Eglise de
l'Exaltation-de-la-Sainte-Croix. Portieux. Dicèse d'Epinal.

" Par vous la Croix sainte est honorée et adorée dans toute la terre." (1)
Ainsi, au lendemain du jour où fut vengée à Ephèse la divine maternité, Cyrille d'Alexandrie saluait Notre-Dame. L'éternelle Sagesse a voulu que l'Octave de la naissance de Marie n'eût pas de plus bel ornement que celui qu'elle reçoit aujourd'hui de cette fête du triomphe de la Croix. C'est qu'en effet, la Croix est l'étendard de ces milices de Dieu dont Marie est la Reine ; c'est par la Croix qu'elle brise la tête du serpent maudit, et remporte contre l'erreur et les ennemis du nom chrétien tant de victoires.

Tu vaincras par ce signe. Les siècles où Satan avait eu loisir d'essayer contre l'Eglise l'épreuve des tortures, touchaient à leur fin ; par l'édit de Sardique rendant aux chrétiens la liberté, Galère mourant venait d'avouer l'impuissance de l'enfer. Au Christ maintenant de prendre l'offensive ; à sa Croix de revendiquer l'empire. L'année 311 incline vers son terme. Au pied des Alpes, une armée romaine s'apprête à passer des Gaules en Italie ; provoqué par Maxence, son rival politique, Constantin qui la commande ne songe qu'à venger son injure.


Crucifixion. Cosimo Rossetti. XVe.

Mais ses soldats, sans le savoir plus que leur chef, sont d'ores et déjà dévolus au vrai Dieu des batailles : le Fils du Très-Haut, devenu comme homme au sein de Marie Roi de ce monde, va se révéler à son premier lieutenant et du même coup montrer à sa première armée l'étendard qui doit la guider à l'ennemi. Au-dessus des légions, dans un ciel sans nuage, la Croix proscrite trois siècles a soudain resplendi ; les yeux de tous la voient, faisant du soleil qui penche vers l'horizon son piédestal, avec ces mots en traits de feu qui l'entourent : " IN HOC VINCE !", " Par cela sois vainqueur !"

Quelques mois plus tard, 27 octobre 312, du haut des sept collines tous les faux dieux dans la stupeur contemplaient, débouchant sur la voie Flaminienne, au delà du pont Milvius, le labarum au monogramme sacré devenu l'enseigne des armées de l'empire, en attendant la décisive bataille qui, le lendemain, ouvrait au Christ seul Dieu, à jamais Roi, les portes de la Ville éternelle.


La Crucifixion - Les très riches heures du duc de Berry. XIVe.

" Salut, Ô Croix, redoutable aux ennemis, boulevard de l'Eglise, force des princes; salut dans ton triomphe ! La terre cachait encore le bois sacré, et il se montrait dans le ciel, annonçant la victoire ; et un empereur, devenu chrétien, l'arrachait aux entrailles de la terre." (2).

Ainsi dès hier chantait l'Eglise grecque, préludant aux joies de ce jour ; c'est pour l'Orient, qui ne connaît pas notre fête spéciale du trois Mai, tout l'objet de la solennité présente, à savoir : la défaite des idoles par le signe du salut manifesté à Constantin et à son armée, la découverte de la sainte Croix quelques années après dans la citerne du Golgotha.

Mais une autre solennité, dont la mémoire annuelle demeure fixée par le Ménologe au treize septembre, vint en l'année 335 compléter heureusement les souvenirs attachés à ce jour ; ce fut la dédicace des sanctuaires élevés par Constantin sur le Calvaire et le Saint Sépulcre, à la suite des découvertes sans prix qu'avait dirigées la sagace piété de sa mère sainte Hélène.


Crucifixion. Matthias Grünewald. XVIe.

Dans le siècle même de ces événements, une pieuse voyageuse, sainte Silvia, croit-on, la sœur de Rufin ministre de Théodose et d'Arcadius, atteste que l'anniversaire de cette dédicace se célébrait avec les honneurs des fêtes de Pâques et de l'Epiphanie ; on y voyait un concours immense d'évêques et de clercs, de moines et de séculiers de tout sexe et de toute province : et la raison en est, dit-elle, que la Croix fut trouvée ce jour-là ; motif qui fit choisir ledit jour pour celui de la consécration primitive, afin qu'une même date réunît l'allégresse et de cette consécration et de ce souvenir (3).

Pour n'avoir point eu présent à la pensée ce voisinage immédiat de la Dédicace de l'Anastasie, ou Eglise de la Résurrection, précédant la fête de la sainte Croix, plusieurs n'ont pas compris le discours prononcé en cette fête, deux siècles et demi après Silvia, parle saint patriarche de Jérusalem, Sophronius :
" C'est le jour de la Croix ; qui ne tressaillirait ? c'est le triomphe de la Résurrection ; qui ne serait dans la joie ? Jadis, c'était la Croix qui marchait la première ; maintenant, la Résurrection se fait l'introductrice de la Croix. Résurrection et Croix : trophées de notre salut !" (4)
Et le Pontife se complaisait à développer les instructions qui résultaient d'un pareil rapprochement.

C'était, semble-t-il, le temps où l'affinité des deux grands mystères amenait en quelque manière notre Occident à les rapprocher de même sorte ; sans abandonner la mémoire de la Croix au présent jour, la piété des Eglises latines introduisait dans les splendeurs du Temps pascal une première fête de l'instrument du salut, détachant à cette fin du quatorze Septembre le souvenir de l'Invention du bois rédempteur. Par une heureuse compensation, la solennité présente voyait alors son caractère de triomphe puiser un éclat nouveau dans les événements contemporains qui font, ainsi qu'on va le voir, l'objet principal des lectures historiques de ce jour en la Liturgie Romaine.


Crucifixion. Giotto. XVe.

Un siècle auparavant, saint Benoît fixait à cette date de l'année le point de départ de la carrière de pénitence connue sous le nom de Carême monastique (5), et qui s'étend jusqu'à l'ouverture de la période quadragésimale proprement dite, où l'armée entière des chrétiens rejoint les phalanges du cloître dans le labeur de l'abstinence et du jeûne.
" La Croix se rappelle à notre souvenir : quel homme, dit saint Sophronius, ne se crucifiera pas lui-même ? L'adorateur sincère du bois sacré est celui qui soutient son culte de ses œuvres." (6)

Lisons la Légende ci-dessus annoncée :

Sur la fin de l'empire de Phocas, Chosroès, roi des Perses, ayant occupé l'Egypte et l'Afrique, s'empara aussi de Jérusalem où il massacra des milliers de chrétiens. La Croix du Seigneur, dont sainte Hélène avait enrichi le Calvaire, fut par lui emportée en Perse. Héraclius cependant succédait à Phocas. Réduit aux dernières extrémités par les calamités de la guerre, il demandait la paix, sans pouvoir, aux plus dures conditions, l'obtenir de Chosroès qu'enflaient ses victoires. C'est pourquoi, s'absorbant dans le jeûne et la prière, il se tourne vers Dieu, implorant secours en son péril extrême ; avis lui est donné du ciel de rassembler des troupes ; il les mène à l'ennemi, et défait trois généraux de Chosroès avec leurs armées.

Abattu par ces revers, et fuyant vers le Tigre qu'il s'apprête à passer, Chosroès associe au trône son fils Médarsès. Mais Siroès l'aîné, furieux de l'injure, dresse des embûches à son père et à son frère, les arrête dans leur fuite et les tue peu après ; ce qu'étant accompli, il obtint d'être reconnu roi par Héraclius, sous certaines clauses dont la première portait restitution de la Croix du Seigneur. Quatorze ans après qu'elle était tombée au pouvoir des Pères, la Croix fut donc reconquise ; Héraclius, venant à Jérusalem, la reporta en grande pompe sur ses propres épaules à la montagne où le Sauveur l'avait portée.

A cette occasion, eut lieu un insigne miracle bien digne de mémoire. Car Heraclius, couvert comme il l'était d'ornements d'or et de pierreries, ne put franchir la porte qui conduisait au Calvaire ; plus ses efforts pour avancer étaient grands, plus il semblait retenu sur place. D'où stupeur d'Héraclius et de la multitude.

Mais l'évêque de Jérusalem, Zacharie , prenant la parole : Considérez, dit-il, empereur, que cette parure de triomphe, en portant la Croix, ne rappelle pas assez peut-être la pauvreté et l'humilité de Jésus-Christ. Heraclius alors, dépouillant ses habits luxueux, nu-pieds, et vêtu comme un homme du peuple, fit sans difficulté le reste de la route,et replaça la Croix au Calvaire, dans le même lieu d'où les Perses l'avaient enlevée. La fête de l'Exaltation de la sainte Croix, qui se célébrait tous les ans en ce jour, acquit dès lors un éclat nouveau, en mémoire de ce que cette Croix sainte fut de la sorte rétablie par Heraclius à l'endroit où on l'avait d'abord dressée pour le Sauveur.

PRIERE

" La victoire ainsi consignée dans les fastes de l'Eglise ne fut pas, Ô Croix, votre dernier triomphe ; et les Perses non plus ne furent pas vos derniers ennemis. Dans le temps même de la défaite de ces adorateurs du feu, se levait le Croissant, signe nouveau du prince des enfers. Par la sublime loyauté du Dieu dont vous êtes l'étendard et qui, venu sur terre pour lutter comme nous, ne se dérobe devant nul ennemi, l'Islam aussi allait avoir licence d'essayer et d'user contre vous sa force : force du glaive, unie à la séduction des passions. Mais là encore, dans le secret des combats de Satan et de l'âme comme sur les champs de bataille éclairés du grand jour de l'histoire, le succès final était assuré à la faiblesse et à la folie du Calvaire.


Crucifixion. Giotto. XVe.

Vous fûtes, Ô Croix, le ralliement de notre Europe en ces expéditions sacrées qui empruntèrent de vous leur beau titre de Croisades, et portèrent si haut dans l'Orient infidèle le nom chrétien. Tandis qu'alors elles refoulaient au loin la dégradation et la ruine, elles préparaient pour plus tard à la conquête de continents nouveaux l'Occident resté par vous la tête des nations.

Campagnes immortelles dont les soldats, grâce à vos rayons, brillent aux premières pages du livre d'or de la noblesse des peuples. Aujourd'hui même, ces ordres nouveaux de chevalerie qui prétendent grouper en eux l'élite de l'humanité ne voient-ils pas en vous l'insigne le plus élevé du mérite et de l'honneur ? Suite toujours du mystère de cette fête ; exaltation, jusqu'en nos temps amoindris, de la Croix sainte qui dans les siècles antérieurs était passée de l'enseigne des légions au sommet du diadème des empereurs et des rois.

Il est vrai que sur la terre de France des hommes sont apparus, qui se donnent pour tache d'abattre le signe sacré partout où l'avaient honoré nos pères. Problème étrange que cette invasion des valets de Pilate au pays des croisés ; problème pourtant qui s'explique, aujourd'hui qu'on a surpris l'or Poldève soldant leurs exploits. Ceux-là, dit des Juifs saint Léon dans l'Office de ce jour, ceux-là, dans l'instrument du salut, ne peuvent voir que leur crime (7) ; et leur conscience troublée soudoie pour renverser la Croix sainte les mêmes hommes qu'ils payaient jadis pour la dresser.

Hommage encore, que la coalition de tels ennemis ! Ô Croix adorée, notre gloire, notre amour ici-bas, sauvez-nous quand vous apparaîtrez dans les cieux, au jour où le Fils de l'homme, assis dans sa majesté, jugera l'univers."

(1). Cyrill. Al. Hom. IV, Ephesi habita.(2). Ap. Graec. Menae in profesto Exaltationis.(3). Peregrinatio Silviae, in fine.(4). Sophron. in Exaltat, venerandae Crucis.(5). S. P. Benedict. Reg. XLI.(6). Sophron. Ubi supra.(7). Homélie du III° Noct. de la fête, ex Léon. Serm. VIII de Pass.