samedi, 23 novembre 2024
23 novembre. Saint Clément de Rome, pape et martyr. 100.
- Saint Clément de Rome, Pape et martyr. 100.
Papes : Saint Clet (prédecesseur) ; saint Evariste (successeur). Empereur romain : Trajan.
" Vos amis, Ô mon dieu, vous les avez comme accablés d'honneurs."
Psaume CXXXVIII. 17.
La mémoire de Clément se présente entourée d'une auréole particulière dans les origines de l'Eglise de Rome. A ce moment où les Apôtres ont disparu, il semble éclipser Linus et Clétus, qui cependant avaient reçu avant lui l'honneur de l'épiscopat. On passe comme naturellement de Pierre à Clément, et les Eglises orientales ne célèbrent pas son souvenir avec moins d'honneur que l'Eglise latine. Il fut bien véritablement le Pontife universel, et l'on sent déjà que l'Eglise tout entière est attentive à ses actes comme à ses écrits. Cette haute réputation lui a fait attribuer tout un cycle d'écrits apocryphes, qu'il est aisé de démêler de ses écrits véritables ; mais il est à noter que les faussaires qui ont jugé à propos de lui prêter leurs propres œuvres, ou de bâtir des romans à son sujet, s'accordent à le faire naître de race impériale.
Le temps a fait disparaître, sauf un seul, les documents qui attestent l'intervention de Clément dans les affaires des Eglises lointaines ; mais celui qui nous est resté montre en plein exercice la puissance monarchique de l'évêque de Rome dès cette époque primitive.
Saint Clément retrouvant son père. Speculum historiale.
L'Eglise de Corinthe était agitée de discordes intestines, que la jalousie à l'égard de certains pasteurs avait suscitées. Ces divisions dont on découvre le germe dès le temps de saint Paul, avaient détruit la paix et causaient du scandale aux païens eux-mêmes. L'Eglise de Corinthe finit par sentir le besoin d'arrêter un désordre qui pouvait être préjudiciable à l'extension de la foi chrétienne, et, dans ce but, il lui fallait chercher du secours hors de son sein. A ce moment, tous les Apôtres avaient disparu de ce monde,hors saint Jean qui éclairait encore l'Eglise de sa lumière. De Corinthe à Ephèse, où résidait l'Apôtre, la distance n'était pas considérable ; néanmoins ce ne fut pas vers Ephèse, mais vers Rome que l'Eglise de Corinthe tourna ses regards.
Saint Clément bénissant sainte Domitille. Speculum historiale.
Clément prit connaissance des débats que les lettres de cette Eglise renvoyaient à son jugement, et fit partir pour Corinthe cinq commissaires qui devaient y représenter l'autorité du Siège apostolique. Ils étaient porteurs d'une lettre que saint Irénée appelle très puissante, potentissimas litteras (Contra haereses, III, III, 3.). Elle fut jugée si belle et si apostolique à cette époque première, que longtemps on la lut publiquement dans plusieurs Eglises, comme une sorte de continuation des Ecritures canoniques. Le ton en est digne, mais paternel, selon le conseil que saint Pierre donne aux pasteurs. Rien n'y sent l'esprit de domination; mais, à la gravité et à la solennité du langage, on reconnaît la voix du pasteur universel, auquel nul ne saurait désobéir, sans désobéir à Dieu lui-même.
Ce langage si solennel et si ferme obtint son effet : la paix se rétablit dans l'Eglise de Corinthe, et les messagers de l'Eglise romaine ne tardèrent pas à en rapporter l'heureuse nouvelle. Un siècle après, saint Denys, évêque de Corinthe, témoignait encore au pape saint Soter la gratitude de son Eglise envers Clément pour le service dont elle lui était redevable.
Elevé à l'école des Apôtres, Clément avait retenu dans une certaine mesure leur style et leur manière. On les remarque aussi dans ses deux Lettres aux vierges, dont on avait la trace par saint Epiphane et par saint Jérôme, et qui furent retrouvées au XVIIIe siècle, en la traduction syriaque, sur un manuscrit apporté d'Alep.
Bien que de récents critiques aient mis en doute l'authenticité du texte reconnu par d'autres comme étant celui de Clément aux vierges, le fait de l'intervention du saint Pape en faveur de la virginité n'en reste pas moins appuyé par les témoignages concordants de saint Epiphane (H. XXX, 15.) et de saint Jérôme (Contra Jovinian. I, 12.).
Saint Clément envoie saint Denis dans les Gaules.
Sainte Cécile déjà nous le rappelait hier. Le principe de la continence vouée à Dieu fut dès l'origine l'une des bases du christianisme, et l'un des moyens les plus efficaces dans la transformation du monde. Le Christ avait relevé le mérite supérieur de ce sacrifice, et saint Paul, comparant les deux états de la femme, enseignait que la vierge est toute au Seigneur, tandis que l'épouse, malgré sa dignité, demeure divisée (I Cor. VII.). Clément eut à développer cette doctrine, et c'est ce qu'il fait dans ces deux lettres. Avant saint Athanase, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome et saint Augustin, ces grands docteurs de la virginité chrétienne, il développa les enseignements de Pierre et de Paul sur ce sujet si grave.
" Celui ou celle, dit-il, qui aspire à cette grandeur d'une vie supérieure, doit vivre comme les Anges d'une existence divine et toute céleste. La vierge s'isole des attraits sensuels ; non seulement elle renonce au droit qu'elle aurait de les suivre en ce qu'ils ont de légitime ; mais elle aspire à cette espérance que Dieu, qui ne saurait tromper, entretient par sa promesse, et qui dépasse celle qu'ont les hommes d'avoir une postérité. En retour de leur généreux sacrifice, leur partage au ciel est la félicité même des Anges."
Saint Clément envoie saint Denis dans les Gaules.
Tel était le langage du disciple de Pierre, choisi par lui pour mettre la main au renouvellement de la Babylone romaine. Il ne fallait pas moins que cette forte doctrine, pour lutter avec avantage contre le débordement des moeurs de l'Empire. Si le christianisme se fût contenté d'inviter les hommes à l'honnêteté, comme faisaient les philosophes, ses efforts eussent été en pure perte. Le stoïcisme, en surexcitant l'orgueil chez quelques-uns, pouvait amener à mépriser la mort ; il était impuissant à faire reculer le sensualisme, dans lequel il faut reconnaître le plus puissant auxiliaire de la tyrannie des Césars. L'idéal de la chasteté, jeté au sein de cette société dissolue, pouvait seul arrêter le torrent d'ignominie qui menaçait de submerger toute dignité humaine. Pour le bonheur du monde, la morale chrétienne parvint à se faire jour, et les exemples éclatants se joignant aux maximes, on dut enfin en tenir compte
La corruption romaine s'étonna en entendant parler de la virginité, comme de l'objet du culte et de la pratique d'un grand nombre de sectateurs de la religion nouvelle, et cela dans un moment où les plus beaux privilèges, joints aux plus terribles châtiments, avaient peine à contenir dans le devoir les six vestales sur la fidélité desquelles reposaient l’honneur et la sécurité de la Ville éternelle. Vespasien et Titus eurent connaissance des infractions que ces gardiennes du Palladium se permettaient à l'égard de leur premier devoir ; mais ils jugèrent que le niveau auquel étaient descendues les mœurs ne permettait plus d'infliger à ces infidèles les pénalités antiques.
Saint Clément et saint Pierre. Speculum historiale.
Le moment devait cependant arriver bientôt où les empereurs, le sénat, Rome tout entière, allaient apprendre, en lisant la première Apologie de saint Justin, les merveilles de pureté dont l'enceinte de Babylone était le théâtre.
" Parmi nous, en cette ville, leur disait l'apologiste, des hommes, des femmes, en nombre considérable, ont atteint déjà l'âge de soixante à soixante-dix ans ; mais élevés dès leur enfance sous la loi du Christ, ils ont persévéré jusqu'à cette heure dans l'état de virginité, et il n'est pas de pays dans lequel je n'en pourrais signaler de semblables."
Athénagore, dans son mémoire présenté à Marc-Aurèle peu d'années après, pouvait dire à son tour :
" Vous trouverez parmi nous, tant chez les hommes que chez les femmes, une multitude de personnes qui ont passé leur vie jusqu'à la vieillesse dans l'état de virginité, n'ayant d'autre but que de s'unir à Dieu plus intimement."
Clément était prédestiné à la gloire du martyre ; une sentence d'exil le relégua dans la Chersonèse, sur le Pont-Euxin. Les Actes qui détaillent les circonstances de ses souffrances remontent à une haute antiquité ; nous n'avons pas à les discuter ici. Ils racontent que Clément trouva dans cette presqu'île un nombre considérable de chrétiens déportés avant lui, et employés à l'exploitation des carrières de marbre, qui étaient riches et abondantes en Chersonèse. La joie des chrétiens à la vue de Clément s'explique d'elle-même ; son zèle à propager la foi dans cette lointaine contrée et les succès de son apostolat n'ont rien qui doive surprendre. Le miracle d'une fontaine jaillissant de la roche à la parole de Clément, pour désaltérer les confesseurs, est un fait analogue à cent autres que l'on rencontre dans les Actes les plus authentiques des saints. Enfin l'apparition d'un agneau mystérieux sur la montagne, où il marque de son pied le lieu d'où l'eau va jaillit, reporte la pensée vers les premières mosaïques chrétiennes sur lesquelles on voit encore le symbole de l'agneau debout sur un monticule verdoyant (Dom Guéranger, ubi supra.).
Saint Clément et l'Agneau de Dieu. Legenda aurea.
Au IXe siècle, saint Cyrille, l'apôtre des Slaves, retrouva près de Cherson les restes précieux du Pontife Martyr ; Clément rentra dans Rome, et l'insigne église qui, selon l'expression de saint Jérôme, gardait la mémoire de son nom dans la Ville éternelle (Hieron. De viris illustr. XV.), posséda de lui désormais mieux qu'un souvenir.
Souvenir inestimable déjà cependant, non moins pour la science que pour la piété : au témoignage d'antiques traditions, cette église était bâtie sur l'emplacement de la demeure habitée par Clément dans la région du Cœlius qui fut de son temps, on le sait par ailleurs, le quartier préféré de l'aristocratie romaine ; or, les investigations archéologiques de ce dernier demi-siècle ont permis de retrouver, sous l'abside môme de la basilique primitive, et lui formant comme une sorte de confession ou d'hypogée, les chambres d'une habitation privée dont le style et les ornements se révèlent contemporains des Flaviens (Mullooly, Saint Clément, and his basilica ; De Rossi, Bulletin, 1863, 1870, etc.).
Clément naquit à Rome et eut pour père Faustinus ; il habitait la région du mont Cœlius. Il fut disciple du bienheureux Pierre. C'est de lui que Paul fait mention dans son épître aux Philippiens, quand il dit : " Je vous prie aussi, vous mon fidèle compagnon, d'aider celles qui ont travaillé avec moi pour l'Evangile, ainsi que Clément et les autres qui ont été mes aides, dont les noms sont au livre de vie ".
Saint Clément. Speculum historiale. V. de Beauvais. J. de Vignay. XVe.
Il partagea la Ville en sept régions, les attribuant à sept Notaires chargés en chacune de rechercher et recueillir avec grand soin les Actes des Martyrs. Lui-même écrivit d'une plume châtiée beaucoup d utiles ouvrages qui firent honneur au christianisme.
Mais comme par sa doctrine et la sainteté de sa vie il convertissait beaucoup de monde à la foi du Christ, l'empereur Trajan le relégua au delà du Pont-Euxin dans la solitude de Cherson, où se trouvaient déjà deux mille chrétiens condamnés par ce même empereur. Employés à extraire et à tailler le marbre, ils souffraient du manque d'eau, Clément, ayant prié, monta sur une colline qui était proche, et vit à son sommet un Agneau marquant de son pied droit le lieu d'où jaillissait une source d'eau douce où tous éteignirent leur soif. A la suite de ce miracle, un grand nombre d'infidèles se convertirent et vénérèrent Clément comme un saint.
Martyre de saint Clément. Legenda aurea. Bx J. de Voragine.
A cette nouvelle, Trajan irrité envoya dans ce lieu des gens chargés de jeter Clément à la mer, une ancre au cou ; ce qui fut fait. Or, pendant que les chrétiens priaient sur le rivage , la mer se retira à trois milles, et approchant ils virent un édicule de marbre en forme de temple où, dans un sarcophage de pierre, était enseveli le corps du Martyr ; auprès se trouvait l'ancre avec laquelle on l'avait précipité. Les habitants du pays, émus d'un pareil prodige, embrassèrent la foi chrétienne. Le corps de Clément fut transporté à Rome par la suite, sous le pontificat de Nicolas Ier, et déposé dans l'église de son nom. Une église lui fut aussi dédiée à l'endroit de l'île d'où avait jailli la source miraculeuse. Il vécut dans le pontificat neuf ans, six mois, six jours. En deux ordinations au mois de décembre, il créa dix prêtres, deux diacres, quinze évêques pour divers lieux.
Martyre de saint Clément. Speculum historiale.
" Prions tous le Seigneur Jésus-Christ qu'il fasse couler une source d'eau pour ses confesseurs.
Comme saint Clément priait, lui apparut l'Agneau de Dieu.
Sans regarder à mes mérites, voici que le Seigneur m'a envoyé vers vous, pour partager vos couronnes.
J'ai vu sur la montagne l'Agneau debout ; de sous son pied jaillit une source vive.
La source vive qui sous son pied jaillit, c'est le fleuve impétueux qui réjouit la cité de Dieu.
Toutes les nations d'alentour crurent au Christ Seigneur.
Comme il s'en allait vers la mer, le peuple priait, disant à grands cris : Seigneur Jésus-Christ, sauvez-le ; et Clément disait avec larmes : Père, recevez mon esprit.
Seigneur, à Clément votre Martyr vous avez donné pour demeure, au milieu de la mer, comme un temple de marbre élevé par les mains des Anges ; vous en avez procuré l'accès aux habitants du pays , pour qu'ils pussent raconter vos merveilles."
ORAISON
" Dieu tout-puissant et éternel, qui êtes admirable dans la vertu de tous vos Saints, exaucez-nous : que la solennité annuelle du bienheureux Clément soit notre joie, lui qui, Martyr et Pontife de votre Fils, justifia par la parole son ministère et joignit l'exemple à ses discours. Par Jésus-Christ."
Saint Clément et saint Denis. Ivo de sancto dionysio,
PREFACE
" C'est une chose digne et juste que nous vous rendions grâces, en célébrant le jour natal de saint Clément, votre Martyr. Il abandonna famille et patrie ; séduit par votre nom, courant à ses parfums, il traversa les terres et les mers ; se renonçant lui-même, il porta la croix de ces pérégrinations afin de vous suivre sur les pas de vos Apôtres. Or, voici que d'abord disciple du bienheureux Pierre, il est par vous ensuite, Ô Seigneur, substitué comme remplaçant et successeur à son maître ; cette ville de Rome dont Dour vous il avait dédaigné les grandeurs, vous arrêtez de lui en donner la principauté ; il n'a point voulu d'un éclat qui passe, et vous l'ennoblissez devant les cieux. Enfin l'élevant à la gloire du martyre, vous l'honorez, pour ses travaux dans le temps, d'une couronne éternelle.
Le Seigneur dit : Ma parole que j’ai mise en ta bouche ne fera point défaut sur tes lèvres, et tes offrandes seront agréées à mon autel (Introït de la fête, ex Isai.). Ainsi l'Eglise débute en votre honneur aujourd'hui dans les chants du Sacrifice. Et pour elle, en effet, quand les Apôtres disparurent, la grande joie, la consolation suprême fut de constater que cependant ne défaillait pas la parole; car, de ses dons, c'était le plus indispensable que l'Epoux s'élevant aux cieux lui eût assuré.
Or le Verbe, en vos écrits, parcourait toujours la terre, autorisé et respecté, dirigeant, pacifiant, sanctifiant les peuples aussi pleinement , aussi sûrement qu'au temps des Apôtres et du Seigneur même ; la preuve, grâce à vous, se faisait éclatante que Jésus, selon sa promesse , demeurait avec les siens jusqu'à la consommation du monde.
Soyez béni d'avoir, dès ces temps reculés, consolé en cette sorte notre Mère l'Eglise.
Ainsi comprîtes-vous encore, Ô Clément, que la grande œuvre apostolique, la diffusion de l'Evangile au milieu des nations, ne devait pas s'interrompre au départ des premiers ouvriers. Grâce à vous, la mort et la nuit continuèrent d'être toujours plus loin refoulées. A nous entre autres, à nous surtout, fils de la terre gauloise, il appartient de se souvenir en ce jour. Soyez béni pour les augustes messagers que Lutèce et les cités ses sœurs virent apparaître en leurs murs, disant de votre part à nos pères : Debout, vous qui dormez; levez-vous d'entre les morts, et le Christ sera votre lumière (Eph. V, 14.).
Mais les luttes d'un apostolat aux prises sous tous les cieux avec le prince du monde, les soucis d'un gouvernement qui déjà embrassait l'univers, ne suffisaient point au zèle dont votre âme de Pontife était embrasée. Soyez béni d'avoir plus spécialement consacré vos leçons et vos soins à la portion du bon troupeau plus intimement aimée du Seigneur Christ, à ceux qui suivent l'Agneau de Dieu sur la montagne où vous l'aperçûtes et partout où il va (Apoc. XIV, 4.).
Puissent par votre prière les émules de Flavia Domitilla croître en nombre, en mérite plus encore, à la suite de l'Epoux. Puisse tout chrétien retenir des enseignements de votre propre vie que la noblesse du monde n'est rien , auprès de celle qu'assure l'amour du Christ. Puisse le monde, puisse Rome, sa capitale, redevenir pour le Dieu des armées ce domaine indiscuté que lui avaient acquis de concert le patriciat des sept collines et l'apostolat parti de Judée.
Avec l'Eglise, au 10 Juillet, nous célébrâmes Félicité, la mère des Martyrs, donnant au ciel en un septuple et nouvel enfantement les sept fils que lui avait donnés la nature. Pour elle, cependant, la récompense demeurait suspendue. Tandis que l'Eglise l'inscrit aux diptyques sacrés, honorons-la derechef et prions-la, en ce jour où le glaive, comblant ses vœux, justifiant son nom pour jamais, lui rend ses fils dans la suprême félicité."
Rq : On lira avec fruit les actes de saint Clément (http://www.abbaye-saint-benoit.ch/martyrs/default.htm) et la notice hagiographique que le bienheureux Jacques de Voragine lui consacre (http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/tome03/171.htm).
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vendredi, 22 novembre 2024
22 novembre. Sainte Cécile de Rome, vierge et martyre, avec saint Tiburce et saint Valérien, martyrs. 177 - 180.
- Sainte Cécile de Rome, vierge et martyre, avec saint Tiburce et saint Valérien, martyrs. 177, 180.
Pape : Saint Eleuthère. Empereur romain d'Occident : Marc-Aurèle.
" Plurima cum sponso generavit pignora virgo."
" Vierge avec un épous vierge, elle a enfanté à l'Eglise une famille nombreuse."
Hugues Vaillant, Fasta Sacri.
Pour prévenir tout malentendu, nous répéterons que dire de certains actes qu'ils sont interpolés, ce n'est pas rejeter du même coup l'existence ou le martyre d'un saint. Prenons pour exemple sainte Cécile ; nous ne pensons pas qu'un seul historien admette aujourd'hui l'authenticité de ses actes ; on peut s'en rapporter là-dessus à son plus illustre historien, Dom Guéranger. Mais ce n'est pas à dire que l'existence ou le martyre de la sainte patricienne, ni même que certains éléments de son procès ne soient pas authentiques.
Les Actes de sainte Cécile ne sont, à première vue, qu'un fatras de discours insérés dans les intervalles de quelques faits assez bien circonstanciés. L'étude attentive de cette pièce conduit aux conclusions suivantes : Le martyrologe d'Adon donne d'abord la date du martyre qu'il a dû emprunter à un document ancien : " Passa est beata virgo Marco Aurelio et Commodo imperatoribus ", ce qui nous limite aux années emprises entre l'élévation de Commode à la dignité d'Auguste et la mort de Marc-Aurèle (177-180).
En ce qui concerne l'épisode lui-même du martyre, il se réduit à ceci : Une jeune clarissime épouse un patricien à qui elle persuade de garder la continence, puis le convertit et lui fait donner le baptême. Le frère du mari se convertit également et reçoit le baptême. Les deux jeunes hommes pleins de zèle, s'ingénient à procurer la sépulture aux corps des martyrs. Dénoncés de ce chef au préfet urbain, ils refusent de sacrifier et sont décapités.
On les conduit à quatre milles de Rome ; eux, en chemin, convertissent le greffier et plusieurs employés. Le greffier se déclare chrétien et on l'assomme à coups de fouets plombés. Les trois martyrs sont enterrés sur la voie Appienne par Cécile, qui elle-même est arrêtée peu après. Mais elle était prévenue et avait pris ses dispositions touchant ses biens. L'interrogatoire contient plusieurs traits probablement authentiques. Le préfet lui rappela le texte des rescrits impériaux alors en vigueur :
" Ignores-tu que nos seigneurs, les invincibles princes, ont ordonné de punir ceux qui ne renieraient pas la religion chrétienne et de renvoyer absous ceux qui la renieraient ?"
Ce sont les propres termes du rescrit adressé en 177 au légat de la Lyonnaise.
" Voici, ajouta-t-il, les accusateurs qui déposent que tu es chrétienne. Nie-le, et les conséquences de l'accusation retomberont sur eux."
Allusion très claire au rescrit d'Hadrien à Minucius Fundanus, qui n'avait pas cessé de faire loi. Cécile fut condamnée à être asphyxiée dans la salle de bains de sa maison ; mais la sainte survécut à ce supplice ; un licteur, envoyé pour lui couper la tête, lui entailla le cou par trois fois et la laissa respirant encore ; elle agonisa pendant trois jours. On l'enterra dans un domaine funéraire de la voie Appienne.
Plusieurs traits de ce récit démontrent quelles Actes contiennent une part sérieuse de vérité. La formule du pluriel pour désigner les empereurs, le refus de sépulture aux martyrs, la citation des rescrits d'Hadrien et de Marc-Aurèle dont le règne et celui de Commode devaient voir disparaître la jurisprudence à laquelle il est fait allusion ici.
La découverte et la reconnaissance des restes apporta un témoignage décisif. En 822, le pape Pascal Ier trouva le corps intact dans le cercueil de cyprès dont parlent les Actes; les vêtements, les compresses qui avaient étanché le sang confirmaient le récit des Actes.
En 1599, une seconde reconnaissance donna lieu aux mêmes constatations. On découvrit alors un autre sarcophage qui contenait deux corps du sexe masculin, tous deux décapités, et un troisième dont la chevelure brune collée de sang recouvrait encore un crâne fracturé en divers endroits, ce qui est d'accord avec le récit des Actes touchant le supplice des plumbatae infligé à Maxime.
Par contre, les Actes ont confondu un évêque du nom d'Urbain avec le pape Urbain, postérieur d'un demi-siècle ; de plus, ils racontent à rebours tout ce qui a trait à l'inhumation de Cécile dans la crypte où furent dans la suite déposés les papes, lorsque ce domaine fut devenu propriété ecclésiastique.
Cécile avait entendu la voix qui nous dit dans l'Évangile :
" Venez à moi vous tous qui travaillez, et qui êtes accablés, et je vous soulagerai."
Aussi portait-elle toujours sur sa poitrine les saints Évangiles, qu'elle lisait et relisait nuit et jour au cours d'une prière ininterrompue. Elle avait un tout jeune fiancé nommé Valérien, épris de sa beauté. Le jour des noces était fixé. Sous sa robe tissée d'or elle portait un cilice. Quand vint le jour du mariage, Cécile disait pendant le concert :
" Seigneur, faites que mon coeur et mon âme demeurent immaculés, qu'ils soient tout entiers à vos préceptes, afin que je ne sois pas confondue."
Elle jeûna pendant deux ou trois jours, se recommandant à Dieu, invoquant les Anges, suppliant les Apôtres et implorant toutes les saintes servantes de Jésus-Christ afin qu'ils l'aidas-sent ; elle remettait sa chasteté entre les mains de Dieu.
La nuit arriva, elle se trouva seule avec son mari et réclama d'abord un secret absolu sur la confidence qu'elle voulait lui faire ; il s'y engagea. Alors Cécile lui confia qu'elle était vierge et que celui qui attenterait à sa chasteté, fût-il son mari, serait frappé de Dieu. Le mari, vivement intrigué de tout ce mystère, consentit à aller en chercher l'explication chez un évêque qui habitait Rome et qui avait nom Urbain. Ce personnage catéchisa séance tenante le visiteur, le baptisa, lui apprit le symbole et le renvoya à Cécile. Dans sa ferveur de converti, il tenta d'amener à la foi son propre frère Tiburce, dont le même évêque Urbain acheva l'instruction et consomma la régénération.
Psautier cistercien. Besançon. XIIIe.
Turcius Almachius était alors préfet de la ville ; il ne se passait pas de jour qu'il ne fit mourir quelque chrétien. Il était défendu de prendre soin de leur sépulture. Néanmoins Tiburce et Valérien s'y employaient tous les jours, ainsi qu'à l'aumône et à la prière. Tandis qu'ils s'adonnaient à ces oeuvres, il arriva — les bons ne sont-il pas toujours à charge aux méchants ? — qu'on dénonça leur conduite au préfet ; on exposa ce que Dieu, par leur entremise faisait aux pauvres, et le soin qu'ils prenaient d'enterrer ceux que le préfet avait condamnés à mort. Ils furent arrêtés et comparurent.
[Tiburce fut interrogé le premier, ce fut ensuite le tour de Valérien.] Almachius ordonna que Valérien fût flagellé. Pendant le supplice, il disait doucement :
" Voilà l'heure que je désirais tant, voilà un jour plus beau que tous les jours de fête."
Tandis qu'on le battait, le héraut criait :
" Ne blasphème pas les dieux et les déesses."
Valérien criait aux spectateurs :
" Romains, que cette misère ne vous détourne pas de la vérité, tenez bon, piétinez les idoles de bois et de pierre d'Almachius, car leurs adorateurs iront au supplice éternel."
Tarquinius, assesseur du préfet — on l'appelait quelquefois Laccas — dit à l'oreille d'Almachius :
" Saisis l'occasion par les cheveux, commence par débarrasser la terre de cette femme. Si tu tardes encore, remettant d'un jour à l'autre, ils auront dissipé toute leur fortune pour les pauvres, et une fois morts, on ne trouvera plus rien."
Sainte Cécile. Demi-relief.
Cathédrale Saint-Pierre de Beauvais. Picardie.
Le préfet jugea l'avis bon à suivre et ordonna aux licteurs d'emmener les condamnés, et s'ils refusaient de sacrifier l'un et l'autre à Jupiter, de leur couper la tête. Les confesseurs partirent, le greffier Maxime les escortait, on se rendit au Pagus Triopius. [Pendant la route, le greffier fut touché de la grâce et se convertit, ainsi que plusieurs appariteurs.]
Arrivés à quatre milles de Rome, il fallait passer devant le portail d'un temple devant lequel tous les passants étaient tenus de brûler de l'encens à Jupiter. Quand Tiburce et Valérien arrivèrent, ils furent invités à offrir l'encens ; ils refusèrent, s'agenouillèrent, et on leur coupa la tète...
Almachius, prévenu de ce qui s'était passé, ordonna de casser la tète à Maxime à coups de fouet plombé. Cécile, qui avait enseveli près de là Tiburce et Valérien, leur adjoignit Maxime et fit sculpter un phénix sur son tombeau. [Quelque temps après, on arrêta Cécile, qui avait eu le temps de céder sa maison à un sénateur nommé Gordien, à charge de remettre la propriété à l'Église de Rome.]
" Jeune fille, ton nom ?
— Cécile.
— De quelle condition ?
— Libre, noble, clarissime.
— Je t'interroge sur ta religion et non pas sur ta famille.
— Ta question n'est donc pas bien faite, puisqu'on peut y faire deux réponses.
— Qu'est-ce qui te rend si audacieuse ?
— Le repos de ma conscience et la pureté de ma foi.
— Ignores-tu l'étendue de mes pouvoirs ?
— C'est toi qui ignore ton pouvoir. Si tu m'avais interrogée sur ton pouvoir, je t'aurais répondu en toute vérité.
— Explique-toi.
— Toute puissance humaine ressemble à une outre gonflée vent, une piqûre d'aiguille et elle s'affaisse, et tout ce qui semblait avoir consistance s'est évaporé.
— Tu as commencé par des insolences, tu continues.
— Il n'y a d'insolence qu'à tromper. Ai-je trompé ? montre-le, alors je conviendrai de l'insolence, sinon, repens-toi, tu en as menti.
— Ne sais-tu pas que nos maîtres, les invincibles empereurs, ont ordonné que tous ceux qui ne voudront pas nier qu'ils sont chrétiens soient punis, et que ceux qui consentiront à le nier soient élargis ?
— Vous vous valez, les empereurs et ton Excellence. L'ordre qu’ils ont porté prouve leur cruauté et notre innocence. Si le nom de chrétien était criminel, ce serait à nous de le nier et à vous de nous le faire confesser, même par force.
— C'est dans leur clémence que les empereurs ont pris cette disposition, ils ont voulu vous fournir un moyen de sauver votre vie.
— Y a-t-il rien d'aussi scélérat et de plus funeste aux innocents que d'employer, à l'égard des malfaiteurs, toutes les tortures afin de leur faire avouer leur crime et leurs complices, vous nous savez innocents et c'est notre nom seul que vous punissez. Mais nous savons ce que vaut le nom du Christ et nous nous ne pouvons le renier. Mieux vaut mourir pour le bonheur que vivre pour la douleur. Nous ne mentons pas et ainsi nous vous punissons, parce que vous voudriez nous faire mentir.
— Choisis entre les deux, sacrifie ou bien nie que tu es chrétienne, et tout sera pardonné.
Statue de sainte Cécile. XVIIe.
Cécile se mit à rire :
" Ô piteux magistrat ! Il veut que je nie afin d'être innocente, et c'est cela qui me rendra coupable. Si tu veux condamner, il ne faut pas me faire nier ; si tu veux me renvoyer, renseigne-toi.
— Voici les témoins ; ils déposent que tu es chrétienne. Nie-le et tout sera dit. Si tu ne nies pas, ne t'en prends qu'à ta sottise quand tu seras condamnée.
— Je désirais cette dénonciation et la peine à laquelle tu me condamneras sera ma victoire.
— Malheureuse, j'ai le droit de vie et de mort ; les empereurs me l'ont donné. Comment oses-tu me parler avec cet orgueil ?
— L'orgueil est un, la fermeté est autre. J'ai parlé avec fermeté mais sans orgueil, car, nous autres, nous condamnons l'orgueil. Si tu ne craignais pas d'entendre une vérité de plus, je te montrerais encore une fois que tu as menti.
— En quoi ai-je menti ?
— Tu as dit que les empereurs t'ont accordé le droit de vie et de mort.
— Et j'en ai menti ?
— Oui, et si tu veux, je te le ferai voir.
— Parle.
— Tu as dit que les empereurs t'ont donné le droit de vie et de mort. Or, tu n'as que le droit de mort Tu peux faire perdre la vie aux vivants, mais tu ne peux pas donner la vie aux morts. Vante-toi d'avoir reçu des empereurs un ministère de mort. Si tu en dis plus, tu mens, et cela ne tient pas debout.
— Assez de bavardages, madame, assez de fanfaronnades, approche, sacrifie.
— As-tu perdu les yeux ? A la place des dieux, je vois — et tous ceux qui ont bonne vue en sont là — je vois des pierres, de l'airain, du plomb.
— En philosophe, je méprisais tes impertinences à mon égard, maintenant il s'agit des dieux, c'en est plus que je ne puis souffrir.
— Depuis que tu parles, tu n'as dit que mensonges, folies et sottises. Je te l'ai fait voir. Maintenant te voilà aveugle, là où il y a une pierre bonne à rien, tu appelles cela : dieu. Je vais te donner une idée : prends-les en mains, tu verras si ce n'est pas de la pierre. C'est honteux de faire rire tout le monde de toi. Tout le monde sait que Dieu est au ciel, mais pour ces pierres, on en pourrait bien faire de la chaux, elles se détériorent à ne rien faire et ne peuvent te défendre ni elles-mêmes si on en fait de la chaux, ou si tu péris toi-même."
Le préfet ordonna que Cécile fût reconduite chez elle et asphyxiée dans la salle de bains de sa maison. Elle y demeura enfermée un jour et une nuit, pendant qu'on y entretenait grand feu, mais elle s'y trouvait comme dans un lieu bien aéré et, Dieu aidant, sans aucun mal, son corps ne portait même pas trace de sueur.
Almachius, prévenu, envoya un licteur pour lui couper la tête dans cette même salle de bains. Le bourreau lui donna trois coups d'épée et s'en alla ; la tête tenait encore à moitié. Tous ceux que Cécile avait convertis vinrent tremper du linge et des éponges dans son sang.
Elle survécut trois jours encore, pendant lesquels elle ne cessa de parler, d'encourager dans la foi ceux qui étaient présents. Elle leur distribua tout ce qu'elle avait et les recommanda à l'évêque Urbain. A ce dernier elle dit :
" Père, j'ai demandé au Seigneur ce délai de trois jours afin de remettre entre tes mains et ces pauvres et cette maison pour être consacrée en église pour toujours."
Le troisième jour, elle mourut pendant qu'elle priait.
Couronnement de sainte Cécile et de saint Valérien.
HYMNE
" Silence aux concerts de la terre ! le cœur embrasé de Cécile épanche en de célestes mélodies des chants qui sont pour Dieu seul.
HYMNE
" C'est l'heure de gagner la couronne, s'écrie Cécile, encourageant les siens ; bientôt elle-même la vierge est traduite au prétoire.
Rq : On lira les deux tomes remarquables que dom Prosper Guéranger à consacré à Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/gueranger/cecile/cecile...
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lundi, 04 novembre 2024
4 novembre. Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, cardinal. 1584.
- Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, cardinal. 1584.
" Sèche tes pleurs, terre de Milan, celui dont tu portes le deuil est revenu parmi tes enfants : Ambroise revit dans Borromée."
Hugues Vaillant, Fasti Sacri.
Saint Charles Borromée. Carlo Dulci. Dijon. 1659.
HUMILITAS
Le temps était venu où l'énigmatique devise de la noble maison se justifierait dans son membre le plus illustre ; où, au faîte des grandeurs, un Borromée saurait vider de soi son coeur pour le remplir de Dieu : en sorte pourtant que, loin de renier la fierté de sa race, plus intrépide qu'aucun, cet humble éclipserait dans ses entreprises les hauts faits d'une longue suite d'aïeux. Nouvelle preuve que l'humilité ne déprime jamais.
Charles naquit au territoire de Milan, de la noble famille des Borromée. Une lumière divine, qui brilla de nuit sur la chambre où sa mère le mettait au monde, fit présager combien éclatante serait sa sainteté. Inscrit dès l'enfance dans les rangs de la milice cléricale, et pourvu bientôt d'une abbaye, il avertit son père qu'on ne devait pas convertir ses revenus en bien familial, prenant grand soin, dès que l'administration lui en fut remise, de distribuer lui-même tout le surplus aux pauvres. Pavie le vit adolescent s'adonner aux études libérales. Son amour de la chasteté lui fit repousser avec une invincible constance des femmes perdues envoyées plus d'une fois pour ébranler sa pureté. Agrégé dans sa vingt-troisième année au sacre collège des Cardinaux par Pie IV, son oncle, il l'illustra par la splendeur d'une piété insigne et de toutes les vertus. Pie IV le créa bientôt archevêque de Milan. On le vit dès lors employer tout son zèle pour appliquer dans l'Eglise à lui confiée le saint concile de Trente, dont l'achèvement récent était dû surtout à ses soins. Pour réformer les dérèglements de son peuple, il célébra de nombreux synodes, et se montra lui-même un modèle achevé de sainteté. Il se donna beaucoup de peine pour chasser l'hérésie de la Suisse et du pays des Grisons ; grand nombre d'habitants de ces contrées furent ainsi ramenés à la foi véritable.
Saint Charles Borromée. Détail. Eglise Saint-Pierre-&-Saint-Paul.
Une des circonstances où la charité du bienheureux se signala davantage, fut lorsqu'en un seul jour il donna aux pauvres tout le prix provenant de la vente de la principauté d'Oria, lequel se montait à quarante mille écus d'or. Une autre fois, c'était vingt autres mille, reçus en legs, qu'il distribuait non moins généreusement. Abondamment pourvu de revenus d'Eglise par son oncle, il se démit de ses bénéfices, n'en retenant quelques-uns que pour subvenir à ses propres nécessités et aux besoins des malheureux. Au temps où la peste sévissait à Milan, il aliéna en faveur de ceux-ci le mobilier de sa maison, sans se réserver même un lit, et coucha dorénavant sur une planche nue. Les pestiférés eurent en lui un père dont la tendresse et le dévouement leur furent d'un merveilleux secours ; il les visitait assidûment, leur administrait les Sacrements de ses propres mains ce pendant que, s'interposant comme médiateur entre eux et le ciel, il s'abîmait dans la prière : on le vit présider des supplications publiques qu'il avait ordonnées, les pieds nus et en sang, la corde au cou, chargé d'une croix, s'offrant comme victime pour les péchés du peuple, s'évertuant à détourner la colère de Dieu. Il se montra l'intrépide défenseur de la liberté de l'Eglise. Son zèle pour le rétablissement de la discipline amena des rebelles à tirer sur lui un coup d'arquebuse, pendant qu'il était en prières ; mais par la protection divine, la balle, qui l'avait atteint, ne lui fit aucun mal.
Saint Charles Borromée baptisant un enfant.
Soixante ans déjà s'étaient écoulés de ce siècle de Luther qui fut si fatal au monde, et les ruines s'amoncelaient sans fin, tandis que chaque jour menaçait l'Eglise d'un danger nouveau. Les Protestants venaient d'imposer aux catholiques d'Allemagne le traité de Passau qui consacrait leur triomphe, et octroyait aux dissidents l'égalité avec la liberté.
Telle était la situation politique que le ministre d'Etat de Pie IV avait mission d'enrayer, d'utiliser au mieux des intérêts du Siège apostolique et de l'Eglise. Charles n'hésita pas. Appelant la foi au secours de son inexpérience, il comprit qu'au déluge d'erreurs sous lequel le monde menaçait de périr, Rome se devait avant tout d'opposer comme digue l'intégrale vérité dont elle est la gardienne ; il se dit qu'en face d'une hérésie se parant du grand nom de Réforme et déchaînant toutes les passions, l'Eglise, qui sans cesse renouvelle sa jeunesse (Psalm. CII, 5.), aurait beau jeu de prendre occasion de l'attaque pour fortifier sa discipline, élever les mœurs de ses fils, manifester à tous les yeux son indéfectible sainteté. C'était la pensée qui déjà, sous Paul III et Jules III, avait amené la convocation du concile de Trente, inspiré ses décrets de définitions dogmatiques et de réformation. Mais le concile, deux fois interrompu , n'avait point achevé son œuvre, qui restait contestée.
Saint Charles Borromée. Joseph Vaudechamp.
Depuis huit ans qu'elle demeurait suspendue, les difficultés d'une reprise ne faisaient que s'accroître, en raison des prétentions discordantes qu'affichaient à son sujet les princes. Tous les efforts du cardinal neveu se tournèrent à vaincre l'obstacle. Il y consacra ses jours et ses nuits, pénétrant de ses vues le Pontife suprême, inspirant son zèle aux nonces accrédités près des cours, rivalisant d'habileté autant que de fermeté avec les diplomates de carrière pour triompher des préjugés ou du mauvais vouloir des rois. Et quand, après deux ans donnés à ces négociations épineuses, les Pères de Trente se réunirent enfin, Charles apparut comme la providence et l'ange tutélaire de l'auguste assemblée ; elle lui dut son organisation matérielle, sa sécurité politique, la pleine indépendance de ses délibérations, leur continuité désormais ininterrompue. Retenu à Rome, il est l'intermédiaire du Pape et du concile. La confiance des légats présidents lui est vite acquise ; les archives pontificales en gardent la preuve : c'est à lui qu'ils recourent journellement, dans leurs sollicitudes et parfois leurs angoisses, comme au meilleur conseil, à l'appui le plus sûr.
" A cause d'elle, ma jeunesse sera honorée des vieillards ; les princes admireront mes avis : si je me tais, ils attendront que je parle; quand j'ouvrirai la bouche, ils m'écouteront attentifs, les mains sur leurs lèvres." (Sap. VIII, 10-12.).
Ainsi en fut-il de Charles Borromée, à ce moment critique de l'histoire du monde ; et l'on comprend que la Sagesse divine qu'il écoutait si docilement, qui l'inspirait si pleinement, ait rendu son nom immortel dans la mémoire reconnaissante des peuples (Ibid. 13.).
Saint Charles Borromée administrant le sacrement de la
C'est de ce concile de Trente dont l'achèvement lui est dû, que Bossuet reconnaît, en sa Défense de la trop fameuse Déclaration, qu'il ramena l'Eglise à la pureté de ses origines autant que le permettait l'iniquité des temps (Gallia orthodoxa, Pars III, Lib. XI, c. 13 ; VII, c. 40.). Ecoutons ce qu'à l'heure où les assises œcuméniques du Vatican venaient de s'ouvrir, l'évêque de Poitiers, le futur cardinal Pie, disait " de ce concile de Trente, qui, à meilleur titre que celui même de Nicée, a mérité d'être appelé le grand concile ; de ce concile dont il est juste d'affirmer que, depuis la création du monde, aucune assemblée d'hommes n'a réussi à introduire parmi les hommes une aussi grande perfection ; de ce concile dont on a pu dire que, comme un arbre de vie, il a pour toujours rendu à l'Eglise la vigueur de sa jeunesse. Plus de trois siècles se sont écoulés depuis qu'il termina ses travaux, et sa vertu curative et fortifiante n'a point cessé de se faire sentir ". (Discours prononcé à Rome, dans l'église de Saint-André della Valle, le 14 janvier 1870.).
Charles inspira les mesures adoptées dans ce but par Pie IV, et au développement desquelles les Pontifes qui suivirent attachèrent leurs noms. La revision des livres liturgiques, la rédaction du Catéchisme romain l'eurent pour promoteur. Avant tout, et sur toutes choses, il fut l'exemplaire vivant delà discipline renouvelée, acquérant ainsi le droit de s'en montrer envers et contre tous l'infatigable zélateur. Rome, initiée par lui à la réforme salutaire où il convenait qu'elle précédât l'armée entière des chrétiens, se transforma en quelques mois. Les trois églises dédiées à saint Charles en ses murs (Saint-Charles aux Catinari, l'une des plus belles de Rome ; Saint-Charles au Corso, qui garde son cœur ; Saint-Charles aux Quatre-Fontaines), les nombreux autels qui portent son nom dans les autres sanctuaires de la cité reine, témoignent de la gratitude persévérante qu'elle lui a vouée.
Saint Charles Borromée priant pour les malades de la peste.
Eglise Saint-Maurice. Jacques Van Oost Le Jeune. Lille. Flandres. XVIIe.
Son administration cependant et son séjour n'y dépassèrent pas les six années du pontificat de Pie IV. A la mort de celui-ci, malgré les instances de saint Pie V, qu'il contribua plus que personne à lui donner pour successeur, Charles quitta Rome pour Milan où l'appelait son titre d'archevêque de cette ville. Depuis près d'un siècle, la grande cité lombarde ne connaissait guère que de nom ses pasteurs, et cet abandon l'avait, comme tant d'autres en ces temps, livrée au loup qui ravit et disperse le troupeau (Johan. X, 12.).
Notre Saint comprenait autrement le devoir de la charge des âmes. Il s'y donnera tout entier, sans ménagement de lui-même, sans nul souci des jugements humains, sans crainte des puissants. Traiter dans l'esprit de Jésus-Christ les intérêts de Jésus-Christ sera sa maxime (Acta Eccl. Mediolanensis, Oratio habita in concil. prov. VI.), son programmées ordonnances édictées à Trente. L'épiscopat de saint Charles fut la mise en action du grand concile ; il resta comme sa forme vécue, son modèle d'application pratique en toute Eglise, la preuve aussi de son efficacité, la démonstration effective qu'il suffisait à toute réforme, qu'il pouvait sanctifier à lui seul pasteur et troupeau.
Saint Charles Borromée donnant la sainte communion
Son abstinence fut admirable : il jeûnait le plus souvent au pain et à l'eau, y ajoutant parfois quelques légumes. Il domptait son corps par les veilles, un âpre cilice, des disciplines sans fin. L'humilité et la douceur lui étaient deux vertus très chères. Bien qu'occupé des plus graves soins, il n'omit jamais de prier ni de prêcher. Il bâtit nombre d'églises, de monastères, de maisons d'enseignement. Nombreux furent ses écrits, et précieux, pour l'instruction surtout des évêques ; on doit aussi à son intervention le catéchisme des prêtres à charge d'âmes. Enfin s'étant retiré dans la solitude du mont Varallo, où les mystères de la Passion sont représentés au vif en de pieuses sculptures, il y passa quelques jours moins durs par ses macérations volontaires qu'ils n'étaient doux en la méditation des souffrances du Seigneur. Saisi de la fièvre en ce lieu, il revint à Milan ; mais le mal s'aggravant, on le couvrit du cilice et de la cendre, et les yeux sur le crucifix il passa au ciel. C'était le trois des nones de novembre, en la quarante-septième année de son âge, qui était l'an du Seigneur mil cinq cent quatre-vingt-quatre. Des miracles éclatèrent bientôt à son invocation, et le Souverain Pontife Paul V le mit au nombre des Saints.
Saint Charles Borromée donnant des constitutions aux Ursulines.
Hôtel-Dieu. Jean Tassel et Nicolas Antoine. Dijon. Bourgogne. XVIIe.
Nous eussions voulu donner mieux qu'un souvenir à ces Acta Ecclesiae Mediolanensis, pieusement rassemblés par des mains fidèles, et où notre Saint paraît si grand ! C'est là qu'à la suite des six conciles de sa province et des onze synodes diocésains qu'il présida, se déroule l'inépuisable série des mandements généraux ou spéciaux que lui dicta son zèle ; lettres pastorales, où brille le Mémorial sublime qui suivit la peste de Milan ; instructions sur la sainte Liturgie, la tenue des Eglises, la prédication, l'administration des divers Sacrements, et entre lesquelles se détache l'instruction célèbre aux Confesseurs ; ordonnances concernant le for archiépiscopal, la chancellerie, les visites canoniques; règlements pour la famille domestique de l'archevêque et ses vicaires ou officiers de tous rangs, pour les prêtres des paroisses et leurs réunions dans les conférences dont il introduisit l'usage, pour les Oblats qu'il avait fondés, les séminaires, les écoles, les confréries ; édits et décrets, tableaux enfin et formulaires universels. Véritable encyclopédie pastorale, dont l'ampleur grandiose ne laisse guère soupçonner la brièveté de cette existence terminée à quarante-six ans, ni les épreuves et les combats qui, semble-t-il, auraient dû l'absorber tout entière.
Tentative d'assassinat sur saint Charles Borromée. Montauban. XVIIe.
PRIERE
" Successeur d'Ambroise, vous fûtes l'héritier de son zèle pour la maison de Dieu ; votre action fut puissante aussi dans l'Eglise ; et vos deux noms, à plus de mille ans d'intervalle, s'unissent dans une commune gloire. Puissent de même s'unir au pied du trône de Dieu vos prières, en faveur de nos temps amoindris ; puisse votre crédit au ciel nous obtenir des chefs dignes de continuer, de reprendre au besoin, votre œuvre sur terre ! Elle éclata de vos jours en pleine évidence, cette parole des saints Livres : Tel le chef de la cité, tels sent les habitants (Eccli. X, 2.). Et cette autre non moins : J'enivrerai de grâce les âmes sacerdotales, et mon peuple sera rempli de mes biens, dit le Seigneur (Jerem. XXXI, 14.).
Saint Charles Borromée. Orazio Borgianni. Début du XVIIe.
Combien justement vous disiez, Ô Charles :
" Jamais Israël n'entendit pire menace que celle-ci : Lex peribit a sacerdote (La loi périra, s'éteindra, sera muette, au cœur du prêtre et sur ses lèvres. Ezech.vii, 26. Acta Eccl. Mediolan. Constitutiones et régula ; societatis scholarum doctrina: christianae, Cap. III.). Prêtres, instruments divins, desquels dépend le bonheur du monde : leur abondance est la richesse de tous ; leur nullité, le malheur des nations." (Concio I ad Clerum, in Synod. diœces. XI.).
Statue de saint Charles Borromée. Giovanni-Batista Crespi.
Arona. Lac Majeur. 1697. Cette statue mesure 35 mètres de hauteur.
Et lorsque, du milieu de vos prêtres convoqués en synode, vous passiez à l'auguste assemblée des dix-sept pontifes, vos suffragants ; réunis en concile, votre voix se faisait, s'il se peut, plus forte encore :
" Craignons que le Juge irrité ne nous dise : Si vous étiez les éclaireurs de mon Eglise, pourquoi donc fermiez-vous les yeux ? Si vous vous prétendiez les pasteurs du troupeau, pourquoi l’avez-vous laissé s'égarer ? Sel de la terre, vous vous êtes affadis. Lumière du monde, ceux qui étaient assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort n'ont point vu vos rayons. Vous étiez Apôtres ; mais qui donc éprouva votre vigueur apostolique, vous qui jamais n'avez rien fait que pour complaire aux hommes ? Vous étiez la bouche du Seigneur, et l'avez rendue muette. Si votre excuse doit être que le fardeau dépassait vos forces, pourquoi fut-il l'objet de vos brigues ambitieuses ?" (Oratio habita in Concil. prov II.).
Mais, par la grâce du Seigneur Dieu bénissant votre zèle pour l'amendement des brebis comme des agneaux, vous pouviez ajouter, Ô Charles :
" Province de Milan, reprends espoir. Voici que, venus à toi, tes pères se sont rassemblés dans le but de guérir tes maux ; ils n'ont plus d'autre souci que de te voir porter des fruits de salut, multipliant à cette fin leurs efforts communs." (Oratio habita in Concil. prov. VI.).
Chapelle Saint-Charles-Borromée. Manoir de Kérigou.
Mes petits enfants que j’enfante de nouveau, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (Gal. IV, 19.) ! C'est l'aspiration de l'Epouse, le cri qui ne cessera qu'au ciel : et synodes, visites, réformation, décrets concernant prédication, gouvernement, ministère, ne sont à vos yeux que la manifestation de cet unique désir de l'Eglise, la traduction du cri de la Mère (Apoc. XII, 2.) en travail de ses fils (Concio I ad Clerum, in Synod. diœces. XI.)."
Daignez, bienheureux Pontife, ranimer en tous lieux l'amour de cette discipline sainte, où la sollicitude pastorale qui vous rendit glorieux (Collecte de la fête) trouva le secret de sa fécondité merveilleuse. Il peut suffire aux simples fidèles de n'ignorer point que parmi les trésors de l'Eglise leur Mère existe, à côté de la doctrine et des Sacrements, un corps de droit incomparable, œuvre des siècles, objet de légitime fierté pour tous ses fils dont il protège les privilèges divins ; mais le clerc, qui se voue à l'Eglise, ne saurait la servir utilement sans l'étude approfondie, persévérante, qui lui donnera l'intelligence du détail de ses lois ; mais fidèles etclercs doivent supplier Dieu que le malheur des temps ne mette plus obstacle à la tenue par nos chefs vénérés de ces assemblées conciliaires et synodales prescrites à Trente (Sessio XXIV, de Reformatione cap. II.), magnifiquement observées par vous, Ô Charles, qui fîtes l'expérience de leur vertu pour sauver la terre. Veuille le ciel exaucer en votre considération notre prière, et nous pourrons redire avec vous (Concio I ad Clerum, in Synod. XI.) à l'Eglise :
" Ô bénigne Mère, ne pleurez plus ; vos peines seront récompensées, vos fils vous reviendront de la contrée ennemie. Et moi, dit le Seigneur, j'enivrerai de grâce les âmes sacerdotales, et mon peuple sera rempli de mes biens." (Jerem. XXXI, 16, 14.).
Saint Charles Borromée. Orazio Borgianni.
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vendredi, 25 octobre 2024
25 octobre. Saint Chrysanthe et sainte Darie, vierges, martyrs. 284.
- Saint Chrysanthe et sainte Darie, vierges, martyrs. 284.
Pape : Saint Caïus. Empereur romain d'Occident : Carin.
" Livrez-vous avec soin et avec ardeur à des travaux honorables pour ne pas vous assujétir à la fatigue de vains travaux."
Saint Ephrem.
Saint Chrysanthe et sainte Darie. Bas relief.
Monastère de Bad Munstereifel. Archidiocèse de Cologne.
Chrysanthe, fils d'un sénateur romain, était né en Egypte. Jeune encore, il accompagna son père dans la grande Rome, où sa haute intelligence fut bientôt apprécié. Convaincu de la vanité des idoles, il cherchait, par tous les moyens, à connaître la véritée, afin de délivrer son âmes des doutes qui la désolaient.
Saint Chrysanthe que l'on essaye de séduire.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. J. de Besançon. XVe.
Un vieillard lui fut indiqué comme un sage ; Chrysanthe d'adressa à lui. Le vieillard, qui était chrétien, n'eut pas de peine à dessiller les yeux du jeune néophyte. La vérité connue fut à l'instant même embrassée avec ardeur : Chrysanthe devint apôtre.
Son père s'étonna, s'irrita, et jura de faire revenir son fils de ce qu'il appelait ses superstitions et ses erreurs. Caresses, prières, menaces, tout fut mis en oeuvre ; mais tout resta inutile. Cédant alors aux instigations de ses proches, le père de Chysanthe enferma son fils dans son palais, et tendit à sa vertu le piège le plus dangereux.
Saint Chrysanthe et sainte Darie.
Bas relief du monastère de Bad Munstereifel.
Les personnes amenées pour le séduire n'ayant pu l'ébranler, on fit le choix d'une Vestale, également fameuse par ses attraits, par ses connaissance et par le charme de son élocution. Prêtresse d'une idole, dont le culte était regardé comme la sauvegarde de l'empire, Darie déploya tous ses artifices pour corrompre le jeune chrétien, et l'amener comme une conquête à l'autel des dieux ; mais elle devint elle-même la conquête de la grâce. Chrysanthe et Darie, se voyant unis par les liens de la foi, de l'espérance et de la charité, s'unirent alors par les liens sacrés d'un mariage virginal. Cette résolution mit Chrysanthe en liberté, et lui donna les moyens, ainsi qu'à sa chaste épouse, de continuer à prêcher Notre Seigneur Jésus-Christ. De nombreuses conversions dans les hauts rangs de la société devinrent le fruit de leur apostolat ; une des plus remarquables fut celle du tribun Claudius, avec sa femme, ses deux fils, ses domestiques et soixante-dix soldats.
Martyr de st Chrysanthe et de ste Darie.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
Des plaintes furent portées au préfet Célérin qui fit arrêter les jeunes époux. Après d'autres supplices, on exposa saint Chrysanthe ensuite, cousu dans la peau d'un boeuf, aux rayons d'un soleil brûlant ; puis, les pieds et les mains chargés de chaînes, on le jeta au fond d'un obscur cachot ; mais les chaînes tombèrent, et une lumière éclatante remplit la prison. Pour Darie, enfermée dans un lieu de débauche, elle eut recours à la prière, et fut protégée contre toute injure par un lion divinement envoyé.
Le Seigneur veillat sur eux comme Il veillat sur tant d'autres ; et ils sortirent intacts et purs. Pour en finir, l'empereur irrité les condamna à être enterrés vivants. Tous deux furent donc enfin conduits dans un arénaire de la voie Salaria, y furent précipités dans une fosse que l’on remplit de pierres ; ce fut ainsi qu'ensemble ils gagnèrent la couronne du martyre.
Enterrement vivants par lapidation de saint Chrysanthe et
de sainte Darie. Vies de saints. Maître de fauvel. XIVe.
Il est vraisemblable que cet affreux supplice fut choisi afin de faire subir à Darie le genre de mort réservée aux Vestales infidèles. Cette conjecture devient d'autant plus probable qu'on fit expirer les saints Martyrs près de la porte Salaria, lieu désigné pour le supplice des Vestales.
Monastère de Bad Munstereifel.
Archidiocèse de Cologne, Westphalie. Allemagne.
Les principales reliques de saint Chrysanthe et de sainte Darie furent portées en 842 à l'abbaye de Pruym (province Rhénane). Deux ans après on les transféra à l'abbaye de Saint-Avold, au diocèse de Metz. Une partie de leur reliques se trouvent aussi à l'abbaye de Bad Munstereifel à l'Ouest de l'archidiocèse de Cologne.
Eglise abbatiale Saint-Chrysanthe-et-Sainte-Darie
du monastère de Bad Munstereifel.
Saint Chrysanthe et sainte Darie sont les saints patrons des villes d'Eissel, de Reggio-di-Modena, de Salzbourg et d'Oria, entre autres.
PRIERE
" Chrysanthe, époux vierge de la vierge Daria, s'unit dans la confession du Seigneur à celle qu'il a conquise au christianisme et à l'amour de l'angélique vertu. Nos pères entouraient d'une vénération fervente les saints époux qui ne connurent d'autre lit nuptial que la carrière de sable où Rome païenne les ensevelit vivants pour venger ses faux dieux (Sponsus torus, fossa capit vivos : Sequentia ex Proprio Eiffliensi, Munstereifel.)."
Chapelle Saint-Chrysanthe. Cléden-Cap-Sizun. Cornouailles. Bretagne.
La fosse meurtrière, se refermant sur eux, leur avait donné la fécondité du martyre. Au jour anniversaire de leur triomphe, un groupe nombreux de fidèles s'était porté à l'arénaire de la via Salaria pour la synaxe liturgique, quand des païens survenant murèrent l'entrée du souterrain. Bien des années s'écoulèrent. Lorsque l'heure de la victoire eut sonné pour l'Eglise et que les chrétiens retrouvèrent le chemin de la crypte sacrée, un spectacle unique s'offrit à leurs yeux : en face de la tombe où reposaient Chrysanthe et Daria, la famille engendrée par eux au martyre était rangée dans l'attitude où l'avait saisie le moment suprême ; près des ministres de l'autel, qu'entouraient les hommes, les femmes et les enfants formant l'assistance de cette Messe solennelle s'il en fut, se voyaient encore les vases d'argent du Sacrifice auquel l'Agneau vainqueur avait si pleinement associé tant de nobles victimes.
Damase orna de monumentales inscriptions ce lieu vénérable. Nul cependant n'osa toucher les corps saints, ni rien changera la disposition de l'incomparable scène. La crypte fut de nouveau murée ; mais une étroite ouverture permettait au pèlerin de plonger la vue dans l'auguste sanctuaire, et de s'animer pour les luttes de la vie en contemplant ce qu'avaient exigé de nos devanciers dans la foi les siècles du martyre (Greg. Turon. De gloria Martyrum, I, XXXVIII.).
La chapelle Saint-Chrysanthe de Cléden-Cap-Sizun est construite
sur une fontaine miraculeuse dédiée à saint Chrysanthe.
Je donnerai à mes Saints une place de marque dans le royaume de mon Père, dit le Seigneur (Ant. Ia IIe Noct. plurim. Mart.). Ainsi chante l'Epouse, célébrant les Martyrs. Et voulant elle-même se conformer en ce qui vous concerne à la parole de l'Epoux, elle fait de l'insigne basilique du Latran votre demeure sur terre, et vous assigne comme lit d'honneur et de repos le réduit sacré, la confession même sur laquelle repose l'autel majeur de l'Eglise maîtresse et mère des Eglises !
Digne récompense de vos labeurs et de vos souffrances, en cette Rome où il vous fut donné de participer à la prédication des Apôtres et de sceller comme eux de votre sang la parole sainte. Ne cessez pas de justifier la confiance de la Ville éternelle : rendez sans cesse plus féconde sa foi qui fut toujours pure ; jusqu'au moment où sonnera l'heure de chasser l'étranger, maintenez inaltérable son dévouement au Pontife-roi dont le séjour fait d'elle la capitale du monde, le vestibule du ciel. Mais vos reliques saintes ont aussi, par la munificence de Rome, porté au loin leur protection puissante. Daignez appuyer de votre crédit la prière que nous empruntons à vos dévots clients d'Eifflia (Bad Munstereifel, monastère et ville de l'archidiocèse de Cologne, honorant comme patrons saint Chrysanthe et sainte Daria) :
" Ô Dieu qui avez dans vos saints Chrysanthe et Daria relevé l'honneur de la virginité par la consécration du martyre, faites que, soutenus de leur intercession, nous éteignions en nous la flamme des vices et méritions d'être votre temple en la compagnie des cœurs purs."
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lundi, 14 octobre 2024
14 octobre. Saint Calixte Ier, pape et martyr. 222.
- Saint Calixte Ier, pape et martyr. 222.
Papes : Saint Zéphirin ; saint Urbain Ier. Empereur romain : Alexandre Sévère.
" Corona aurea super mitram ejus expressa signo sanctitatis."
" Vous verrez au-dessus de sa mitre une couronne d'or ; ce sera pour vous une preuve de sa sainteté."
Eccli., XXXIX, 14.
Saint Calixte. Missel Romain. Avignon. XIVe.
Celui-là fut un signe de contradiction dans Israël (Luc. II, 34.). Autour de lui ou contre lui se groupèrent de son temps les baptisés ; or, l'émoi qu'excitait son nom il y a seize cents ans n'apparut pas moindre, lorsqu'au milieu du siècle qui finit, la découverte d'un livre fameux offrit aux sectaires de nos jours l'occasion de se compter comme ceux d'autrefois contre Calixte et l'Eglise. Philosophumena ou réfutation des hérésies : c'était le titre du livre, qui remontait par sa date décomposition au troisième siècle de notre ère ; Calixte, dont on présentait le caractère et la vie sousles plus sombres couleurs, y était rangé parmi les pires corrupteurs de la doctrine.
Au IIIe siècle cependant, l'auteur des Philosophumena s'attaquant au Pontife qu'il eût voulu supplanter, dressant dans Rome, comme il l'avoue, chaire contre chaire, ne fit qu'afficher devant l'Eglise sa propre honte, en prenant place lui-même parmi les dissidents dont son ouvrage se donnait comme la réfutation et l'histoire. Le nom de ce premier des antipapes ne devait pas arriver jusqu'à nous ; mais, suprême châtiment ! dédaignée des contemporains, l'oeuvre de sa plume envieuse viendrait à l'heure voulue réveiller l'attention endormie de la lointaine postérité ; l'impartiale critique des derniers âges, écartant les insinuations, mais retenant les faits apportés par l'accusateur, les apprécierait à la lumière des multiples données de la science, et dégagerait de ses perfidies les éléments de la glorification la plus inattendue pour son rival détesté. Ainsi, une fois de plus, l'iniquité se serait menti à elle-même (Psalm. XXVI, 12.) ; ainsi se vérifierait la parole de l'Evangile du jour : Il n'y a rien de caché qui ne se découvre enfin, rien de secret qui ne doive être connu (Matth. X, 26.).
Saint Calixte. Gravure. Rome. XVIe.
Ecoutons le plus grand des archéologues chrétiens ; l'enthousiasme s'empare de son intelligence si sûre, si réservée, à tant de lumière jaillissant d'une telle source :
" Tout cela, s'écrie le Commandeur de Rossi dans l'étude de l'odieux document, tout cela me fait clairement voir pourquoi l'accusateur dit de Calixte avec ironie qu'il fut réputé le très admirable ; pourquoi, lorsque toute connaissance des actes de celui-ci était perdue, son nom pourtant est venu jusqu'à nous si grand et si vénéré ; pourquoi dans les siècles troisième et quatrième, où la mémoire de son gouvernement était fraîche encore, il fut plus honoré qu'aucun de ses prédécesseurs ou successeurs de l'âge des persécutions. Calixte régit l'Eglise quand elle était à l'apogée du premier stade de sa course divine, et s'acheminait à de nouveaux et plus grands triomphes. La foi chrétienne, embrassée d'abord par chaque croyant en son nom propre, était devenue la foi des familles, et les pères en faisaient profession pour eux et pour leurs enfants.
Ces familles formaient la presque majorité déjà dans chaque ville ; la religion du Christ était à la veille de devenir la religion publique du peuple et de l'empire. Que de problèmes nouveaux de droit social chrétien, de droit ecclésiastique, de discipline morale, ne surgissaient pas tous les jours dans le champ de l'Eglise, étant donnée sa grande situation de l'heure présente, étant donné l'avenir encore plus grand qui s'ouvrait devant elle !
Calixte résolut ces doutes ; il régla les jugements relatifs à la déposition des clercs, prit les mesures qui s'imposaient pour ne pas détourner les catéchumènes du baptême, les pécheurs de la pénitence ; il définit la notion de l'Eglise que le génie d'Augustin devait développer plus tard (Quo referendum aiebat Apostoli verbum : Tu quis es qui judices servum alienum ? Atque etiam lolii parabolam, Sinite zizania crescere cum tritico, id est, sinite peccatores in Ecclesia manere. Dicebat etiam Ecclesiae instar arcam Noe fuisse, qua canes, lupi, corvi, aliaque omnia pura et impura animantia comprehendebantur ; oportere autem item esse de Ecclesia. Philosophumena, Lib IX, de Callisto.). En face des lois civiles, il affirma le droit de la conscience chrétienne et celui de l'Eglise touchant le mariage de ses fidèles. Il ne connut esclaves ni libres, grands ou petits, nobles ou plébéiens dans la fraternité évangélique qui minait les bases de la société romaine et adoucissait l'inhumanité des mœurs. Et c'est pourquoi son nom est grand jusqu'à nos jours ; et c'est pourquoi la voix des jaloux ou de ceux qui mesuraient les temps à l'étroitesse de leur esprit superbe, fut étouffée sous le cri de l'admiration et méprisée." (De Rossi, Bullettino, 1866, N. 1, 2, 5, 6.).
Saint Calixte instituant les jeûnes.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. J. de Montbaston. XIVe.
L'espace nous manque pour faire suivre des développements qu'il comporterait cet exposé magistral. On sait comment, à l'heure où Cécile vierge et martyre céda aux Pontifes le lieu primitif de son repos dans la mort, Calixte, alors diacre de Zéphyrin, disposa l'hypogée des Cœcilii pour ses destinées nouvelles. Auguste crypte en laquelle, pour la première fois, l'Etat reconnut à l'Eglise son droit de posséder sur terre ; sanctuaire autant que nécropole, où jusqu'au triomphe de la Croix Rome chrétienne accumula pour le lourde la résurrection ses trésors. Jugé le plus digne de rappeler tant de gloires, le nom donné à ce Cimetière par excellence fut celui de notre grand Pontife martyr, bien que la Providence eût arrêté que lui-même n'y reposerait jamais. Sous le règne bienveillant d'Alexandre Sévère, il perdit la vie au quartier du Transtévère, dans une sédition des païens contre lui.
La cause en fut sans doute l'acquisition qu'il avait faite de la fameuse Taberna meritoria du sol de laquelle, au temps d'Auguste, une fontaine d'huile avait jailli et coulé tout un jour. Le Pontife érigea ce lieu en église, et le dédia à la Mère du Sauveur ; c'est la basilique de Sainte-Marie au delà du Tibre. La propriété en fut disputée à Calixte, et la cause déférée à l'empereur, qui décida pour les chrétiens (Lamprid. in Alex. Severo, C XIX.), La mort violente de Calixte semble une vengeance des adversaires, et elle eut lieu tout près de l'édifice que sa fermeté avait conservé à l'Eglise. Les séditieux le précipitèrent dans un puits, que l'on voit encore dans l'église de Saint-Calixte, à quelques pas seulement de la basilique Transtibérine. La sédition ne permit pas de transporter le corps du martyr sur la voie Appienne; on le déposa dans un cimetière déjà ouvert sur la voie Aurélia, où sa sépulture donna origine à un nouveau centre historique de Rome souterraine (Histoire de sainte Cécile, 1849, p. 5 ; Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles, 1874, p. 424.).
Saint Calixte baptisant Palmatius et sa famille. Le consul Palmatius
sacrifiait aux idoles, il les brûla désormais. Speculum historiale.
V. de Beauvais. XVe.
Calixte, né à Rome, gouverna l'Eglise au temps de l'empereur Antonin Héliogabale. Il établit les Quatre-Temps, ordonnant que le jeûne dont la tradition venait des Apôtres y serait observé par tous. Il construisit la basilique de Sainte-Marie au delà du Tibre, et agrandit sur la voie Appienne un ancien cimetière où grand nombre de saints Pontifes et de Martyrs furent ensevelis ; on l'appela de lui le cimetière de Calliste.
De son temps, la partie la plus élevée de la ville de Rome fut détruite par un incendie, et la main gauche de la statue d'or de Jupiter fut fondue. Tous les prêtres vinrent alors demander à Alexandre qu'on apaisât la colère des dieux par des sacrifices. Or, pendant la cérémonie, tout à coup, par un ciel calme, le matin du jour de Jupiter (jeudi), quatre prêtres des idoles furent écrasés par la foudre, l’autel de Jupiter fut brûlé et le soleil s'obscurcit, au point que le peuple de Rome s'enfuit hors des murs de la ville.
Sous le prétexte de la purifier, le consul Palmatius, informé que Calixte avec ses clercs était caché au delà du Tibre, sollicita la destruction totale des chrétiens, auxquels on attribuait ces malheurs. Palmatius ayant pris le pouvoir s'y rendit en toute hâte, accompagné de soldats ; mais ceux-ci furent aussitôt frappés d'aveuglement ; alors, le consul effrayé eu apporta de suite la nouvelle à Alexandre.
L'empereur ordonna donc que le jour dédié à Mercure (mercredi), tout le peuple se rassemble pour sacrifier à ce dieu, afin d'obtenir de lui une réponse au sujet de ces accidents. Sur ces entrefaites, une vierge du temple, nommée Julienne, fut saisie par le démon, et s'écria :
" Le Dieu de Calixte est le Dieu vivant et véritable ; il est indigné de notre corruption."
Quand Palmatius eut entendu ces paroles, il alla, au delà du Tibre, trouver à Ravenne saint Calixte et se fit baptiser par lui, avec sa femme et sa famille.
Saint Calixte instituant les jeûnes. Vies de Saints. XIVe.
L'empereur, à cette nouvelle, manda le consul et l’adressa au sénateur Simplicius, afin qu'il le gagnât par des avis insinuants, car ce personnage était fort utile à l’Etat. Or, comme Palmatius persévérait dans les jeûnes et dans la prière, un soldat vint lui promettre que, s'il guérissait sa femme paralytique, il croirait aussitôt. Palmatius ayant prié, la femme fut guérie et accourut lui dire :
" Baptisez-moi an nom du Christ, qui m’a pris par la main et m’a fait lever."
Alors Calixte vint la baptiser avec son mari, Simplicius et beaucoup d'autres.
Quand l’empereur l’apprit, il ordonna de couper la tête de tous les baptisés. Privatus venait à peine d'embrasser la foi, qu'il mourait lui aussi pour elle sous les coups de fouets armés de plomb.
Pour Calixte, il le fit rester cinq jours sans manger ni boire. Mais lorsqu'il vit que le Saint était loin de perdre ses forces, il ordonna de le fouetter chaque jour ; ensuite, il le fit jeter du haut d'une fenêtre dans un puits, avec une pierre attachée au cou.
Le prêtre Astérius retira le corps du saint pape hors du puits, et l’ensevelit dans le cimetière de Calépodius, au troisième mille sur la voie Aurélia. C'était la veille des ides d'octobre. Son corps fut par la suite ramené dans la basilique de Sainte-Marie-Au-Delà-Du-Tibre, qu'il avait bâtie, et placé sous l'autel majeur où on l'entoure d'une grande vénération.
Quelques temps auparavant en effet, le corps du bienheureux Calépodius (ou Callopodius), prêtre et Martyr, ayant été jeté au Tibre, saint Calixte dans sa piété l'avait fait rechercher avec grand soin, et, l'ayant trouvé, ensevelit avec honneur.
Calliste avait siégé cinq ans, un mois et douze jours. Il avait notamment institué et fixé l'essentiel des jeûnes annuels. En cinq ordinations au mois de décembre, il avait créé seize prêtres, quatre diacres, huit évêques.
Abside de la basilique Sainte-Marie-Au-Delà-Tibre, construite par
saint Calixte ; on y vénère toujours ses saintes reliques. Rome IIIe-Ve.
PRIERE
" L'Esprit-Saint, qui garde l'Eglise, vous prépara comme un auxiliaire d'élite dans la souffrance et l'humiliation. Vous naquîtes esclave ; la fourberie judaïque sema de bonne heure les embûches sous vos pas ; jeune encore, les mines de Sardaigne comptaient en vous un forçat déplus, mais c'était pour le Seigneur. Serf de la peine, comme disait l'ancienne Rome, vous ne l'étiez plus de votre ancien maître ; et délivré des mines à l'heure marquée par Celui qui conduit les événements au gré de sa providence, le titre de Confesseur, en vous ennoblissant pour jamais, vous recommandait à l'attention maternelle de l'Eglise.
Tels apparurent dès lors votre mérite et vos vertus, qu'inaugurant le plus long pontificat de l'époque des martyrs, Zéphyrin vous choisit pour le conseiller, l'appui, le suppléant de sa vieillesse ; en attendant que l'Eglise, suffisamment instruite par l'expérience de ces dix-huit années, vous élût à son tour comme pasteur suprême.
Saint Calixte. Missel Romain. Berry. XIVe.
Combien grande vous la laissez aujourd'hui, cette noble Epouse du Fils de Dieu ! Toute la noblesse des anciens âges, toute la valeur morale, tout l'essor intellectuel de l'humanité apparaissent concentrés en elle à cette heure. Où sont les mépris de jadis, les calomnies d'antant ? Le monde n'ignore plus qu'il a devant lui la reine de l'avenir ; l'atrocité des persécutions que l'Etat païen lui réserve encore viendra de cette conviction qu'il s'agit pour lui de la lutte, et d'une lutte désespérée, pour la vie. Aussi hésite-t-il, et semble-t-il plutôt vouloir aujourd'hui transiger avec les chrétiens.
Vous fûtes l'initiateur des voies nouvelles, pleines de péril comme de grandeur, où entrait l'Eglise. De l'absolu et brutal Non licet esse vos (Il ne vous est pas permis d'être) des jurisconsultes bourreaux, vous sûtes le premier amener l'empire à reconnaître en quelque chose officiellement les droits de la communauté chrétienne : Cécile assurait par vous à celle-ci la propriété de la tombe, la faculté de se réunir, de se cotiser, pour honorer ses morts ; à Marie, Fons olei, et ce fut l'occasion de votre martyre, il vous était donné de consacrer le premier sanctuaire légalement acquis dans Rome aux chrétiens. Or, loin de céder, quoi que ce fût des droits de Dieu, en pactisant avec César, vous affirmiez dans le même temps à l'encontre de celui-ci, comme nul ne l'avait fait encore, l'indépendance absolue de l'Eglise concernant cette question du mariage soustraite de par le Christ-roi à la juridiction des pouvoirs civils. D'ores et déjà, " ne dirait-on pas une nation dans la nation ?" oui ; jusqu'à ce que la nation elle-même ait passé tout entière dans les rangs de ce peuple nouveau ". (Le Temps pascal, t. II ; Jeudi de la troisième semaine après Pâques).
Crypte des papes. Catacombes Saint-Calixte. IIIe.
Au sein de l'Eglise, autres soucis, l'ardeur des luttes doctrinales est à son comble et s'est portée sur le premier de nos mystères : Sabellius, condamné pour son audace à déclarer incompatible avec l'unité de Dieu la réelle distinction de la Trinité sainte, laisse le champ libre à l'école qui sépare les augustes personnes au risque de multiplier Dieu même. Puis c'est Montan, dont les disciples, ennemis des théories sabelliennes antérieurement à Sabellius même, escomptent la faveur du premier Siège pour leur système de fausse mystique et de réforme outrée. Mais comme le pilote expérimenté déjoue les écueils, entre les subtilités des dogmatisants, les prétentions des rigoristes, les utopies des politiques, vous dirigiez d'une main dont la sûreté était celle de l'Esprit-Saint lui-même la barque de Pierre à ses immortelles destinées. En la mesure où Satan vous déteste et vous poursuit jusqu'à nos jours, soyez glorifié à jamais ; bénissez en nous vos disciples et vos fils."
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vendredi, 27 septembre 2024
27 septembre. Saint Côme et saint Damien, frères, martyrs à Ege en Cilicie. Vers 284.
- Saint Côme et saint Damien, frères, martyrs à Ege en Cilicie. Vers 284.
Pape : Saint Caïus. Empereur romain d'Orient : Dioclétien. Empereur romain d'Occident : Maximien-Hercule.
" L'homme ne peut mieux se donner à Dieu qu'en se livrant à la mort pour l'honorer."
Saint Anselme.
Saint Côme et saint Damien.
Gravure de confrérie de médecin de la ville de Toulouse. XVe.
" Honorez le médecin ; car sa mission n'est pas superflue. Le Très-Haut l'a créé ; il a créé les médicaments : les repousser n'est pas d'un sage.
Les plantes ont leurs vertus ; l'homme à qui la science en est donnée glorifie Dieu, admirable en ce qu'il fait. La douleur est par elles adoucie ; l'art en fait des compositions sans nombre, où réside la santé.
Malade, ô mon fils, ne te néglige pas. Prie le Seigneur qu'il te guérisse ; éloigne-toi du péché, purifie ton cœur ; offre tes dons à l'autel ; puis, au médecin d'agir. Son intervention s'impose ; à une heure ou à l'autre, ne compte pas l'éviter.
Mais lui aussi doit prier le Seigneur de diriger ses soins pour apaiser la souffrance, écarter le mal, rendre les forces à celui qui l'appelle." (Eccli. XXXVIII, 1- 15.).
Saint Côme et saint Damien exercant leur art. Fra Angelico. XIVe.
Paroles de la Sagesse, qu'il était bon de citer en cette fête. Fidèle la première au précepte divin, l'Eglise honore aujourd'hui dans Côme et Damien cette carrière médicale où beaucoup d'autres acquirent la sainteté, où nul cependant ne personnifia comme eux la grandeur du rôle qui s'offre au médecin dans la société baptisée.
Chrétiens dès l'enfance, l'étude d'Hippocrate et de Galien développa en eux l'amour du Dieu qui révèle ses perfections invisibles dans les magnificences de la création (Rom. I, 20.), dans ce palais surtout, dans ce temple du corps de l'homme (I Cor. VI, 19-20.) qu'il se propose d'habiter à jamais. Leur science fut un hymne à la gloire du Créateur, leur art un ministère sacré : service de Dieu dans leurs frères souffrants; rôle du gardien veillant sur le sanctuaire pour éloigner tout désordre de ses abords, pour au besoin en réparer les ruines. Vie de religion comme de charité, que ces deux reines des vertus amenèrent dans nos Saints jusqu'au martyre, sommet privilégié de l'une et de l'autre, consommation du sacrifice et de l'amour.
L'Orient et l'Occident rivalisèrent d'hommages envers les Anargyres (qui ne reçoit pas d'argent) ; appellation que leur avait value la gratuité de leurs soins. Partout des églises s'élevèrent sous leurs noms. Dans sa vénération pour eux, l'empereur Justinien embellissait et fortifiait l'obscure ville de Cyre, qui renfermait leurs reliques sacrées.
En plein forum romain, dans le même temps, le Souverain Pontife Félix IV substituait la mémoire sainte des Martyrs jumeaux au souvenir moins heureusement fraternel que rappelait l'ancien temple de Romulus et de Rémus. Peu d'années s'étaient écoulées depuis le jour où Benoît, inaugurant sa mission de patriarche des moines, dédiait aux saints Côme et Damien le premier des monastères qu'il fondait à l'entour de sa grotte bénie de Sublac, celui-là même qui, sous le nom de sainte Scholastique, a subsisté jusqu'à nous.
Mais, une fois de plus véritablement Maîtresse et Mère universelle, combien l'Eglise Romaine n'a-t-elle pas dépassé ces honneurs en inscrivant les deux saints frères arabes, de préférence à tant de milliers de ses propres héros, dans ses Litanies solennelles et au diptyque sacré des Mystères !
On sait comment, au moyen âge, médecins et chirurgiens s'organisèrent en confréries chargées de promouvoir la sanctification de leurs membres par la prière commune, la charité envers les délaissés, l'accomplissement de tous les devoirs de leur importante vocation pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien de l'humanité souffrante. Aux applaudissements de la société chrétienne, après un siècle d'interruption, la Société de Saint-Luc (Lucas medicus carissimus. Col. IV, 14.), Saint-Côme et Saint-Damien a pris chez nous à tâche de rattacher le présent aux traditions du passé.
Sépulture de saint Côme, de saint Damien et de
leurs compagnons martyrs. Fra Angelico. XIVe.
Voici les lignes consacrées par l'Eglise aux deux frères.
Côme et Damien étaient frères. Arabes d'origine, et de noble extraction, ils naquirent dans la ville d'Eges. Médecins de profession, ils guérissaient les maladies même incurables, autant par la puissance de Jésus-Christ que grâce à leur science. Or, sous les empereurs Dioclétien et Maximien, le préfet Lysias ayant eu connaissance de leur religion, se les fit amener pour les interroger sur leur foi et leur genre de vie. Comme ils s'avouaient hautement chrétiens et proclamaient que la foi chrétienne était nécessaire au salut, Lysias leur ordonne d'adorer les dieux ; sinon des supplices et une mort cruelle les attendent.
Mais, comprenant bientôt l'inutilité de ses menaces : " Pieds et poings liés, s'écrie-t-il, qu'on les torture par les plus raffinés tourments !".
L'ordre s'exécute, et Côme et Damien cependant restent fermes. Toujours enchaînés, on les précipite au fond de la mer ; ils en sortent sains et saufs et déliés. Ce qu'attribuant à la magie, le préfet ordonne de les conduire en prison, d'où, tirés le lendemain, il les fait jeter sur un bûcher en feu ; mais la flamme s'écarte des Saints. Après donc divers autres essais cruels, il commande qu'on les frappe de la hache. Ainsi leur fut acquise, dans la confession de Jésus-Christ, la palme du martyre.
PRIERE
" Illustres frères, voici donc accomplie en vous la divine parole : " La science du médecin relèvera en gloire, et il sera loué en présence des grands " (Eccli. XXXVIII, 3.). Les grands sont les princes des célestes hiérarchies, témoins en ce jour des hommages reconnaissants de l'Eglise de la terre ; la gloire composant l'auréole de vos têtes fortunées est celle de Dieu même, de ce roi magnifique dont parle au même lieu l'Ecriture (Eccli. XXXVIII, 2.), et qui rémunère votre désintéressement d'autrefois par le don de sa propre vie bienheureuse.
Au foyer de l'amour éternel, votre charité ne saurait s'être amoindrie : secourez-nous toujours. Justifiez la confiance des malades qui recourent à vous. Maintenez la santé des enfants de Dieu ; qu'ils puissent faire honneur à leurs obligations de ce monde, et porter vaillamment le joug léger des préceptes de notre Mère l'Eglise. Bénissez les médecins fidèles à leur baptême, et qui se recommandent de votre patronage ; augmentez leur nombre.
Voyez les études médicales s'égarer dans nos temps sur les pentes du matérialisme et du fatalisme, au grand détriment de la science et de l'humanité. Il est faux que la nature soit pour l'homme toute l'explication de la souffrance et de la mort (Ibid. 15. ; I Cor. XI, 3.) ; malheur à ceux dont le médecin ne voit en ses clients que le sang et la chair ! C'était plus haut, qu'elle-même l'école païenne cherchait le dernier mot de toute chose ; c'est de plus haut que s'inspirait le respect religieux qui transformait votre art.
Par la vertu de votre mort glorieuse, ô témoins du Seigneur, obtenez dans notre société si malade le retour de la foi, de la pensée de Dieu, de cette piété utile à tout et à tous, qui a les promesses de la vie présente comme de l'éternité (I Tim. IV, 8.)."
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jeudi, 26 septembre 2024
26 septembre. Saint Cyprien d'Antioche, évêque, et sainte Justine, vierge et abbesse, martyrs à Nicomédie en Bythinie. 304.
- Saint Cyprien d'Antioche, évêque, et sainte Justine, vierge et abbesse, martyrs à Nicomédie en Bythinie. 304.
Pape : Saint Marcellin. Empereur romain d'Orient : Dioclétien. Empereur romain d'Occident : Maximien-Hercule.
" Où est la crainte de Dieu, là est la chasteté. Sans cette crainte de Dieu, la chasteté n'existe pas."
Saint Jean Chrysostome.
Saint Cyprien et sainte Justine. Légende dorée.
Bx J. de Voragine. J. de Vignay. XIVe.
" Qui que vous soyez que séduisent les mystères des démons, nul de vous ne surpassera mon zèle pour ces faux dieux, ni mes recherches à leur sujet, ni la vaine puissance qu'ils m'avaient communiquée, moi, Cyprien, dès l'enfance au service du dragon dans la citadelle Palladique. Apprenez de moi la tromperie de leurs illusions. Une vierge m'a montré que leur pouvoir n'est que fumée. Le roi des démons s'est arrêté à la porte d'une enfant, sans pouvoir la franchir. Celui qui tant promet, n'est que menteur. Une femme se joue de celui qui se vante d'agiter la terre et les deux. Le lion rugissant n'est qu'un, moucheron qui se dérobe, devant Justine la chrétienne et la vierge." (Confessio Cypriani Antiocheni, I, II.).
" Ô Vierge, celui-là même qui tentait de vous perdre est aujourd'hui votre vivant trophée de victoire. Ô Cyprien, la carrière du crime est devenue pour vous l'entrée du salut. Puissiez-vous triompher ensemble à nouveau de Satan, dans ce siècle où les sciences occultes recommencent à séduire tant d'âmes, déséquilibrées par la perte de la foi. Contre un danger si grand, contre tout péril, puissent les chrétiens s'armer comme vous du signe de la Croix ; et l'ennemi sera contraint de redire : " J'ai vu un signe terrible, et j'ai tremblé ; j'ai vu le signe du Crucifié, et ma force a fondu comme la cire "." (Acta Cypriani et Justinae).
Justine est ainsi nommée de justice ; car par sa justice, elle a rendu à chacun ce qui lui appartient à Dieu l’obéissance, à son supérieur le respect, à son égal la concorde, à son inférieur la discipline, à ses ennemis la patience, aux misérables et aux affligés la compassion, à elle-même de saintes oeuvres et au prochain la charité.
Justine, vierge de la ville d'Antioche, était la fille d'un prêtre des idoles*. Tous les jours étant assise à sa fenêtre, elle entendait lire l’évangile par le diacre Proctus, qui enfin la convertit. La mère en informa son père au lit, puis s'étant endormis tous deux, Notre Seigneur Jésus-Christ leur apparut avec des anges et leur dit :
" Venez à moi, et je vous donnerai le royaume des cieux."
Aussitôt éveillés, ils se firent baptiser avec leur fille. C'est cette vierge Justine tant tourmentée par Cyprien qu'elle finit par convertir à la foi.
Baptême de sainte Justine et martyre de saint Cyprien.
Vies de saints. R. de Montbaston. XIVe.
Cyprien s'était adonné à la magie dès son enfance ; car il n'avait que sept ans quand il fut consacré au diable par ses parents. Comme donc il exerçait l’art magique, il paraissait changer les matrones en bête de somme, et faisait une infinité d'autres prestiges. Il s'éprit d'un amour brûlant pour la vierge Justine, et il eut recours à la magie afin de la posséder soit pour lui, soit pour un homme nommé Acladius, qui s'était également épris d'amour pour elle. Il invoque donc le démon afin qu'il vienne à lui et qu'il puisse par son entremise jouir de Justine.
Le diable vient et lui dit :
" Pourquoi m’as-tu appelé ?"
Cyprien lui répondit :
" J'aime une vierge du nombre des Galiléens ; peux-tu faire que je l’aie et accomplisse avec elle ma volonté ?"
Le démon lui dit :
" Moi qui ai pu chasser l’homme du paradis, qui ai amené Caïn à tuer son frère, qui ai fait crucifier Jésus-Christ par les Juifs, et qui ai jeté le trouble parmi les hommes ; je ne pourrais donc pas faire que tu aies une jeune fille, et que tu obtiennes d'elle ce qu'il te plait ? Prends cet onguent et épars-le autour de sa maison en dehors ; puis je surviendrai, j'embraserai son coeur de ton amour, et je la pousserai à se rendre à toi."
La nuit suivante le démon vient auprès de Justine et s'efforce de porter son coeur à un amour illicite. Quand elle s'en aperçut, elle se recommanda dévotement au Seigneur et elle protégea tout son corps. du signe de la croix. Mais au signe de la sainte Croix, le diable effrayé s'enfuit, vint trouver Cyprien et resta debout devant lui.
Cyprien lui dit :
" Pourquoi ne m’as-tu pas amené cette vierge ?"
Le démon lui répondit :
" J'ai vu sur elle un certain signe ; j'ai été pétrifié, et toutes les forces, m’ont manqué."
Alors Cyprien le congédiai et en appela un plus fort. Celui-ci lui dit :
" J'ai entendu ton ordre, et j'en ai saisi l’impossibilité : mais je le rectifierai, et je remplirai ta volonté : je l’attaquerai, et je blesserai son coeur d'un amour de débauche et tu feras d'elle ce que tu désires."
Le diable vint et s'efforça de persuader Justine en enflammant son esprit d'un amour coupable. Mais elle se recommanda dévotement à Dieu et par un signe de croix, elle éloigna entièrement la tentation ; ensuite elle souffla sur le démon qui fut chassé aussitôt. Alors le démon confus s'en alla, s'enfuit se tenir debout devant Cyprien. Cyprien lui dit :
" Et où est la vierge à laquelle je t'ai envoyé ?
- Je m’avoue vaincu, répondit le démon, et je tremble de dire de quelle manière : car j'ai vu un certain signe terrible sur elle, et, aussitôt j'ai perdu toute force."
Alors Cyprien se moqua de lui et le renvoya. Il évoqua ensuite le prince des démons. Quand celui-ci fut arrivé, Cyprien lui dit :
" Quelle est donc votre puissance ? elle est bien chétive pour qu'elle soit annihilée par une jeune fille ?"
Le démon lui dit :
" J'y vais aller et je la tourmenterai par différentes fièvres, ensuite j'enflammerai son esprit avec plus de force ; je répandrai dans tout son corps une ardeur violente, je la rendrai frénétique, je lui présenterai divers fantômes, et à minuit je te l’amènerai."
Martyre de sainte Justine et saint Cyprien. Bréviaire romain. XVe.
Alors le diable prit la figure d'une vierge et il vint dire à Justine :
" Je viens vous prouver, parce que je désire vivre avec vous dans la chasteté : néanmoins, dites-moi, je vous prie, quelle sera la récompense de notre combat ?"
Cette sainte vierge lui répondit :
" La récompense sera grande et le labeur bien petit."
Le démon lui dit :
" Qu'est-ce donc que ce commandement de Dieu " Croissez et multipliez et remplissez la terre ?" Je crains donc, bonne compagne, que si nous restons dans la virginité, nous ne rendions vaine la parole de Dieu et que nous ne soyons exposées à la rigueur d'un jugement sévère comme désobéissantes et comme contemptrices : et ensuite que nous ne soyons pressées gravement, par le moyen sur lequel nous comptons pour obtenir une récompense."
Alors le coeur de Justine commença à être agité de pensées étranges, par les suggestions du démon, et à être enflammé plus fortement de l’ardeur de la concupiscence ; en sorte qu'elle voulait se lever et s'en aller. Mais cette sainte vierge revenue à elle, et connaissant celui qui lui parlait, se munit aussitôt du signe de la croix, puis soufflant sur le diable, elle le fit fondre comme cire : or, elle se sentit délivrée à l’instant de toute tentation.
Peu après, le diable prit la figure d'un très beau jeune homme ; il entra dans la chambre où Justine reposait sur un lit ; il sauta avec impudence sur son lit et voulut se jeter sur elle pour l’embrasser. Justine voyant cela et reconnaissant que c'était l’esprit malin fit de suite le signe de la croix et fit fondre le diable comme de la cire. Alors le diable, par la permission de Dieu, l’abattit par la fièvre, causa la mort de plusieurs personnes, et, en même temps, des troupeaux et des bêtes de trait, et fit annoncer par les démoniaques qu'il régnerait une grande mortalité dans tout Antioche, si Justine ne consentait pas à se marier.
C'est pourquoi tous les citoyens malades se rassemblèrent à la porte des parents de Justine, en leur criant qu'il fallait la marier et qu'ils délivreraient par là toute la Ville d'un si grand péril. Mais comme Justine refusait absolument de consentir et que pour ce prétexte tout le monde la menaçait de mort, la septième année de l’épidémie, Justine pria pour ses concitoyens et elle éloigna toute pestilence.
Le diable voyant qu'il ne gagnait rien, prit la figure de Justine elle-même afin de salir sa réputation ; puis se moquant de Cyprien il se vantait de lui avoir amené Justine. Le diable courut donc trouver Cyprien sous l’apparence de Justine et il voulut l’embrasser comme si elle eût langui d'amour pour lui.
Cyprien en le voyant crut que c'était Justine, et s'écria, rempli de joie :
" Soyez la bienvenue, Justine, vous qui êtes belle entre toutes les femmes."
A l’instant que Cyprien eut prononcé le nom de Justine, le diable ne le put endurer, mais dès que ce mot fut proféré, il s'évanouit aussitôt comme de la fumée. C'est pourquoi Cyprien, qui se voyait joué, resta tout triste. Il en résulta que Cyprien fut encore plus enflammé d'amour pour Justine ; il veilla longtemps à sa porte, et comme à l’aide de la magie il se changeait tantôt en femme, tantôt en oiseau, selon qu'il le voulait, dès qu'il était arrivé à la porte de Justine, ce n'était pas une femme, ni un oiseau, mais bien Cyprien qui paraissait aussitôt. Acladius se changea aussi par art diabolique en passereau et vint voltiger à la fenêtre de Justine. Aussitôt que la vierge l’aperçut, ce ne fut plus un passereau qui parut, mais Acladius lui-même qui fut rempli alors d'angoisses extrêmes et de terreur, parce qu'il ne pouvait ni fuir, ni sauter. Mais Justine, dans la crainte qu'il ne tombât et qu'il ne crevât, le fit descendre avec une échelle en lui conseillant de cesser ses folies, pour qu'il ne fût pas puni par les lois comme magicien. Tout cela se faisait avec une certaine apparence au moyen dès illusions du diable.
Le diable, vaincu en toutes circonstances, revint trouver Cyprien et resta plein de confusion devant lui. Cyprien lui dit :
" N'es-tu pas vaincu aussi, toi ? Quelle est donc votre force, misérable, que vous ne puissiez vaincre une jeune fille, ni l’avoir sous votre puissance ; tandis qu'au contraire elle vous vainc elle-même et vous écrase si pitoyablement ? Dis-moi cependant, je te prie, en quoi consiste la grande force qu'elle possède ?"
Le démon lui répondit :
" Si tu me jures que tu ne m’abandonneras jamais, je te découvrirai la vertu qui la fait vaincre.
- Par quoi jurerai-je, dit Cyprien ?
- Jure-moi par mes grandes puissances, dit le démon, que tu ne m’abandonneras en aucune façon."
Cyprien lui dit :
" Par tes grandes puissances, je te jure de ne jamais t'abandonner."
Alors comme s'il eût été rassuré, le diable lui dit :
" Cette fille a fait le signe du crucifié, et à l’instant j'ai été pétrifié ; j'ai perdu toute force, et j'ai fondu comme la cire devant le feu."
Cyprien lui dit :
"Donc le crucifié est plus grand que toi ?
- Oui, reprit le démon, il est plus grand que tous, et il nous livrera au tourment d'un feu qui ne s'éteindra pas, nous et tous ceux que nous trompons ici."
Et Cyprien reprit :
" Donc et moi aussi, je dois me faire l’ami du crucifié afin que je ne m’expose pas à un pareil châtiment."
Le diable répartit :
" Tu m’as juré, par les puissances de mon armée, que nul ne peut parjurer, de ne jamais me quitter."
Cyprien lui dit :
" Je te méprise toi et toutes tes puissances qui se tournent en fumée : je renonce à toi et à tous tes diables, et je me munis du signe salutaire du crucifié."
Et à l’instant le diable se retira tout confus. Cyprien alla alors trouver l’évêque. En le voyant, celui-ci crut qu'il venait pour induire les chrétiens en erreur et lui dit :
" Contente-toi de ceux qui sont au dehors, car tu ne pourras rien contre l’église de Dieu ; la vertu de Notre Seigneur Jésus-Christ est en effet invincible."
Cyprien reprit :
" Je suis certain que la vertu de Notre Seigneur Jésus-Christ est invincible."
Et il raconta ce qui lui était arrivé et se fit baptiser par l’évêque.
Saint Grégoire de Naziance edifiant les fidèles en
rapportant les actes de sainte Justine. Oraisons de
saint Grégoire de Naziance. Constantinople. XIe.
Dans la suite il fit de grands progrès tant dans la science que dans sa conduite, et quand l’évêque fut mort, il fut ordonné lui-même pour le remplacer. Quant à sainte Justine il la mit dans un monastère et l’y fit abbesse d'un grand nombre de vierges sacrées. Or, saint Cyprien envoyait fréquemment des lettres aux martyrs qu'il fortifiait dans leurs combats.
Le comte de ce pays aux oreilles duquel la réputation de Cyprien et de Justine arriva, les fit amener par devant lui, et leur demanda s'ils voulaient sacrifier. Comme ils restaient fermes dans la foi, il les fit jeter dans une chaudière pleine de cire, de poix et de graisse ; elle ne fut pour eux qu'un admirable rafraîchissement et ne leur fit éprouver aucune douleur. Alors le prêtre des idoles dit au préfet :
" Commandez que je me tienne vis-à-vis de la chaudière et aussitôt je vaincrai toute leur puissance."
Et quand il fut venu auprès de la chaudière, il dit :
" Vous êtes un grand Dieu, Hercule, et vous, Jupiter, le père des dieux !"
Et voilà que tout à coup du feu sorti de la chaudière le consuma entièrement : alors saint Cyprien et sainte Justine sont retirés de la chaudière, et une sentence ayant été portée contre eux, ils furent décapités.
Leurs corps, étant restés l’espace de sept jours exposés aux chiens, furent dans la suite transférés à Rome ; on dit qu'ils sont maintenant à Plaisance. Ils souffrirent le 6 des calendes d'octobre, vers l’an du Seigneur 304, sous Dioclétien.
* Saint Grégoire de Nazianze et l’impératrice Eudoxie ont écrit les actes de saint Cyprien et de sainte Justine, sur lesquels a été compilée cette légende.
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