mercredi, 15 mai 2024
15 mai. Saint Jean-Baptiste de La Salle, prêtre, fondateur des Ecoles chrétiennes. 1719.
Saint jean-Baptiste de La Salle.
Au moment où Dieu a été chassé des écoles pour être plus sûrement chassé du coeur des enfants, il est plus opportun que jamais de publier les grands exemples des Saints qui se sont faits les éducateurs dévoués de l'enfance chrétienne. Parmi ces éducateurs, saint Jean-Baptiste de La Salle occupe le premier rang. Outre la fondation si admirable des Frères des Écoles chrétiennes, dont le mérite lui appartient, on peut dire qu'il a été l'inspirateur des fondateurs de l'avenir, et que les institutions plus récentes ont bourgeonné autour du tronc vigoureux qu'il a planté.
Jean-Baptiste, né le 30 avril 1651, appartenait à une noble maison de Reims. Il eût pu aussi bien que personne, grâce à ses talents et à sa situation, briller dans le monde ; mais il préféra se cacher dans le sanctuaire, ignorant que là était pour lui la source d'une gloire infiniment supérieure à celle du monde, la gloire de la sainteté. Il est le fils de Louis de La Salle et de Nicole de Moët de Brouillet. Son père le destine à une carrière juridique, mais Jean-Baptiste se sent la vocation religieuse. Tonsuré à 11 ans, il se destine à la prêtrise. Formé à la Sorbonne et au séminaire Saint Sulpice, dont la spiritualité le marque profondément, il devient dès le 7 janvier 1667 chanoine à Reims, étudie la théologie à Paris à partir de 1670 et est ordonné prêtre le 9 avril 1678. Enfin, en 1680, il est reçu docteur en théologie. Orphelin à dix-huit ans, après l'achèvement de ses études, il veilla si bien à l'éducation de ses frères et de ses soeurs, qu'il eut deux frères prêtres et une soeur religieuse: c'était le commencement de son apostolat.
Le jeune chanoine de La Salle.
Ordonné prêtre à l'âge de vingt-sept ans, il comprit, sous l'inspiration de Dieu, le plus grand besoin de son époque, et songea à combler une lacune regrettable dans les oeuvres si belles et si multiples de la sainte Église. Recruter des jeunes gens, les installer dans sa maison de chanoine de Reims, les former à l'enseignement de l'enfance, tel fut le commencement de son entreprise. Cette entreprise subit dès l'abord des épreuves terribles.
Peu de Saints ont eu à souffrir un plus entier crucifiement, que le bienheureux de La Salle ; peu de Saints ont montré plus de désintéressement, plus de joie dans le sacrifice ; il poussait l'amour divin jusqu'à joindre à tant de Croix d'effrayantes mortifications volontaires, soutenues par un esprit de prière tout angélique.
En 1685, il fonde à Reims un séminaire qui constitue une véritable école normale d'instituteurs, innovation qui n'a pas alors d'équivalent, en dehors de la formation assurée à leurs religieux par les Jésuites pour l'enseignement des milieux plus aisés. En 1688, il ouvre les premières écoles à Paris où il vient s'installer.
Statue de saint Jean-Baptiste de La Salle. Saint-Pierre de Rome.
En 1694, il est élu supérieur de la nouvelle congrégation et la dote d'une règle plus élaborée. Il poursuit son œuvre pédagogique et spirituelle, rédigeant notamment un ensemble d'ouvrages à l'intention des maîtres.
Dernière bénédictions de saint Jean-Baptiste de La Salle
Il a été inhumé à Saint-Sever. En 1734 son corps fut ramené à Saint-Yon dans la chapelle de son pensionnat, puis en 1835 dans celle de l'École normale de Rouen. La ville de Rouen lui éleva une statue, œuvre de Falguière, le 2 juin 1875.
Son procès de béatification commença en 1835 et, le 8 mai 1840, il fut déclaré Vénérable. Il a été proclamé bienheureux le 19 février 1888 et canonisé le 24 mai 1900 par Léon XIII. Sa fête est fixée au 7 avril. En 1937 ses reliques ont été transférées à Rome. Le 15 mai 1950, le pape Pie XII fit de lui le patron des enseignants. Mgr Langénieux fit construire à Reims, dès 1898, l'église placée sous son nom.
La bénédiction de Dieu ne pouvait manquer à son oeuvre, et, en peu d'années, l'Institut comptait seize écoles, où plus de quinze cents enfants recevaient les leçons de la vertu et de la science ; mais chaque année les développements devenaient de plus en plus merveilleux, et quand le saint fondateur, affaibli par la maladie, força ses frères à accepter sa démission, en 1717, toute la France était couverte par les légions de son armée pacifique.
Vers la fin de sa vie, il se démet de ses fonctions. Il meurt dans la maison-mère qu'il a fixée à Rouen. Après sa mort, son institut continuera à se développer rapidement en France et dans le monde entier, servant volontiers de référence aux congrégations enseignantes.
Médaillon-reliquaire de saint Jean Baptiste de La Salle. XIXe.
01:15 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 06 mai 2024
6 mai. Saint Jean Damascène, Docteur de l'Eglise. 780.
- Saint Jean Damascène, Docteur de l'Eglise. 780.
Pape : Adrien Ier. Empereur : Constantin V.
" Le bien n'est pas même bien s'il n'est bien fait."
Saint Jean Damascène.
Icône arabe du XIe.
Saint Jean Damascène, nommé aussi Mansour ou Chrysorroas (Mansour était son nom patronymique et Chrysorroas signifie brillant comme l'or), est le dernier des Pères grecs et l'écrivain le plus remarquable du VIIIe siècle.
Il naquit dans les dernières années du VIIe siècle, en Syrie, à Damas, ce qui lui a fait donner le nom de Damascène. Cette ville était au pouvoir des Sarrasins depuis l'an 633. Le père de notre Saint, quoique zélé chrétien, était très-estimé parmi ces infidèles, à cause de la noblesse de sa naissance, de sa probité et de ses talents. Il plut au chef des Sarrasins, le Kalife, qui en fit son ministre. Dans cette haute position, il employait sa fortune et son influence à protéger les chrétiens opprimés, à racheter ceux qui étaient captifs. Ces bonnes œuvres furent souvent récompensées par la divine Providence.
Un jour, dans une troupe de ces malheureux exposés sur la place publique, on vit ceux qui étaient destinés à la mort se jeter aux pieds de l'un d'entre eux et se recommander humblement à ses prières. C'était un religieux italien, nommé Cosme, pris sur mer avec les autres. Les barbares, ayant remarqué le respect que lui témoignaient ses compagnons de malheur, lui demandèrent de quelle dignité il avait été revêtu parmi les chrétiens. Il répondit qu'il n'en avait point d'autre que celle de prêtre :
" Je suis, ajouta-t-il, un inutile moine qui a étudié non seulement la philosophie chrétienne, mais encore la philosophie étrangère."
En disant ces mots, ses yeux se remplirent de larmes.
Le père de Jean étant survenu, lui demanda la cause de sa tristesse. Cosme lui confessa naïvement qu'il s'affligeait de mourir avant d'avoir pu communiquer à d'autres les sciences qu'il avait acquises. Or, depuis longtemps le père cherchait pour son fils un homme qui pût lui donner une éducation convenable. Ravi de trouver ce trésor dans un captif qu'on allait égorger, il courut le demander au Kalife, qui le lui accorda sans peine.
Cosme non seulement reçut la liberté, il devint l'ami du père, le maître du fils, qui, sous sa direction, apprit avec un succès prodigieux la grammaire, la dialectique, l'arithmétique de Diophante ou l'algèbre, la géométrie, la musique, la poésie, l'astronomie, mais surtout la théologie ou la science de la religion. Ses progrès ne furent pas moindres dans la vertu que dans les sciences. Il avait pour compagnon d'étude un orphelin de Jérusalem, que son père avait adopté. Quand son éducation fut achevée, Cosme se retira en Palestine, dans la laure de saint Sabas, d'où il fut tiré pour être fait évêque de Majume.
Le mérite de Jean fut bientôt connu du prince des Sarrasins, qui le fit chef de son conseil, après la mort de son père. Circonstance bien remarquable ! C'est un pauvre moine d'Italie, captif, voué à la mort, qui introduit les sciences de Grèce et de Rome à la cour des Kalifes de Damas, qui les enseigne au fils du grand vizir ; et ce fils, devenu grand vizir lui-même, puis moine, sous le nom de saint Jean Damascène, parvient à naturaliser, pour un temps, ces sciences étrangères parmi ces mêmes musulmans, parmi ces mêmes Arabes, qui les avaient proscrites et brûlées avec la bibliothèque d'Alexandrie. D'après ces faits, qui viennent d'être constatés par des savants de France, ce ne sont pas les chrétiens qui ont appris ces séances humaines des musulmans, comme certains hommes se plaisent à dire, mais les musulmans qui les ont apprises des chrétiens.
On avait vu plus d'un empereur grec de Constantinople protéger l'hérésie ; il y en eut un qui inventa lui même une hérésie nouvelle : ce fut de condamner et de briser les images des Saints comme une idolâtrie. C'était l'empereur Léon, surnommé l'Isaurien, parce qu'il était natif d'Isaurie, pays et peuple pour le moins aussi barbares que l'étaient alors les Huns et les Vandales (730).
Comme il était d'une ignorance reconnue et invincible à cause d'un caractère sommaire, il se mit en tête qu'en honorant les saintes images, les catholiques honoraient non pas les saints qu'elles représentent, mais la matière et la couleur dont ces images sont faites. Il entreprit de les abolir, les fit ôter des églises et brûler sur les places publiques. Les catholiques qui s'y opposaient furent tourmentés et mis à mort.
Constantin V Copronyme faisant détruire les images.
Manuscrit du XIe.
Son fils, Constantin Copronyme (on ne donnera pas ici la signification exacte de ce délicat surnom qui évoque qu'il n'était pas né dans la pourpre et qu'il n'en était pas la figure) se montra encore plus furieux.
Constantinople devint un théâtre de supplices ; on crevait les yeux, on coupait les narines aux catholiques on les déchirait à coups de fouet, on les jetait dans la mer. L'empereur en voulait surtout aux moines : il n'y avait tourments et outrages qu'il ne leur fit souffrir. On leur brûlait la barbe enduite de poix on leur brisait sur la tête les images des Saints, peintes sur bois. Son plus grand plaisir était de présider à ces supplices.
Les chrétiens, fidèles à leur foi, combattirent l'hérésie, selon la coutûme, par la prière, le jeûne et par le martyre enduré avec une constance héroïque. Quelques-uns défendirent la vérité par d'éloquents écrits ; de ce nombre furent surtout saint Germain, évêque de Constantinople, et saint Jean Damascène, gouverneur de Damas et ministre du kalife.
L'empereur, irrité, put facilement exercer sa vengeance sur saint Germain mais, comment atteindre saint Jean Damascène dans un empire étranger ? S'étant procuré un autographe de Jean, il ordonna à un habile copiste de s'exercer à imiter cette écriture, et il parvint, par ce moyen, à fabriquer une lettre que Jean lui adressait, et dans laquelle il lui offrait de lui livrer Damas par trahison. L'empereur envoya cette fausse lettre au kalife, l'avertissant, en bon voisin, qu'il avait un traître pour ministre. Cette lâche et vile imposture eut un plein succès. Malgré les dénégations les plus énergiques de Jean, le Kalife lui fit couper la main droite et ordonna qu'elle fût attachée à un poteau dans une place publique.
La victime, ayant obtenu qu'on lui rendît sa main coupée, se retira dans son oratoire, et là, ce vaillant défenseur des saintes images, agenouillé devant une image de la vierge Marie, pria ainsi :
" Très pure Vierge, qui avez enfanté mon Dieu, vous savez pourquoi en m'a coupé la main droite vous pouvez, s'il vous plaît, me la rendre et la rejoindre a mon bras ; je vous le demande avec instance, afin que je l'emploie désormais à écrire les louanges de votre Fils et les vôtres."
Ayant dit cela, il s'endormit, et la sainte Vierge lui apparut et lui dit :
" Vous êtes maintenant guéri composez des hymnes, écrivez mes louanges et accomplissez votre promesse."
Le Saint étant réveillé, trouva sa main parfaitement réunie à son bras ; rien n'indiquait qu'elle en ett jamais été séparée, si ce n'est une petite ligne rouge qui l'entourait en forme de bracelet, comme marque de ce miracle. Le prince des Sarrasins, reconnaissant par ce prodige l'innocence de Jean, lui rendit son ancienne fonction.
Saint Jean Damascène se faisant amputer la main.
Notre Dame le guérissant miraculeusement.
Speculum historiale. V. de Beauvais. Bruges. XVe.
Mais Jean ne demeura pas longtemps au service des hommes ; la guérison de sa main lui avait sans doute paru une approbation par le ciel de ses travaux théologiques. Désirant dès lors se livrer uniquement au service dp Dieu, il affranchit ses esclaves, distribua ses biens à ses parents, aux églises et aux pauvres, et se retira, avec son frère adoptif, qui s'appelait Cosme comme son précepteur, près de Jérusalem, dans la laure de Saint-Sabas.
Cet abbé lui donna pour directeur, un ancien moine, fort expérimente dans la conduite des âmes. Notre Saint en reçut les leçons suivantes, qu'il pratiqua comme si Notre Seigneur Jésus-Christ les lui avait données de sa propre bouche :
" Ne faites jamais votre propre volonté ; exercez-vous à mourir à vous-même en toutes choses, afin de bannir tout attachement aux créatures offrez à Dieu vos actions, vos peines, vos prières ; pleurez sans cesse les fautes de votre vie passée ne vous enorgueillissez point de votre savoir ni de quelque avantage que ce soit, mais convainquez-vous fortement que, de votre propre fonds, vous n'êtes qu'ignorance et faiblesse ; renoncez à toute vanité, défiez-vous de vos lumières et ne désirez jamais d'avoir des visions et des faveurs extraordinaires ; éloignez de votre esprit tout ce qui pourrait vous rappeler l'idée du monde, gardez exactement le silence et souvenez-vous que l'on peut pécher, même en disant de bonnes choses, lorsqu'il n'y a point de nécessité ; prenez conseil d'autrui dans les choses difficiles, tournez tous vos désirs vers Dieu, n'écrivez point de lettres sans permission de vos supérieurs, ne contredisez personne, ne murmurez point ; ne craignez pas de vous égarer, hors de la voie de la perfection, en suivant les ordres de vos supérieurs."
Saint Jean suivit ponctuellement ces leçons, et avançait à grands pas dans la voie de la perfection. Son directeur mettait sans cesse l'obéissance de l'illustre et pieux novice à de nouvelles épreuves. Un jour, il lui ordonna d'aller vendre des corbeilles de palmier à Damas, et lui défendit de les donner au-dessous d'un certain prix qu'il marqua et qui était exorbitant. Le Saint obéit sans dire un seul mot. Il se rendit, sous un habit pauvre, dans cette même ville dont il avait été le gouverneur. Quant il eut exposé sa marchandise et dit le prix, il fut traité d'extravagant et accablé d'injures, qu'il souffrit en silence. A la fin, un de ses anciens serviteurs, l'ayant reconnu, eut pitié de lui et acheta toutes ses corbeilles le prix qu'il voulait les vendre.
Mais son humilité lui fit remporter bien d'autres victoires.
Un moine était inconsolable de la mort de son frère. Jean, pour arrêter le cours de ses larmes, lui cita un vers grec, dont le sens était qu'il faut s'attendre à voir périr tout ce qui est terrestre et mortel. Là-dessus, son directeur lui reprocha de faire parade de sa science :
" Vous avez violé la défense que je vous avais faite de parler sans nécessité."
Puis il le condamna à rester enfermé dans sa cellule. Le Saint s'avoua humblement coupable de désobéissance, et, au lieu d'alléguer la pureté de son intention, il pria les autres moines d'intercéder pour lui et de lui obtenir le pardon de la faute qu'il avait commise sa grâce lui fut accordée, mais à condition qu'il ferait une action, qui, chez les anciens, était considérée comme un supplice auquel on condamnait les criminels, et qui, dans les communautés, était ce qu'il y avait de plus humiliant, je veux dire la vidange des fosses d'aisance. L'ancien ministre du kalife s'acquitta de cet emploi avec un empressement et une humilité qui remplirent d'admiration les plus anciens de la communauté, les plus avancés dans l'obéissance.
Une si grande vertu réunie à des talents si remarquables firent juger notre Saint digne d'être élevé au sacerdoce. Cette dignité augmenta sa ferveur. On crut alors qu'il était assez solidement vertueux et assez humble pour écrire en faveur de la foi. Nous donnons ci-dessous la liste de quelques-uns de ses ouvrages (on trouvera les eeuvres complètes de saint Jean Damascène dans la Patrologie grecque de M. l'abbé Migne, tomes XCIV, XCV, XCVI). Il s'y trouve notamment trois discours contre l'hérésie des Iconoclastes, intitulés : Discours sur les images. Il y déclare que le prince doit se contenter du gouvernement de l'Etat, et ne point se mêler de faire des décisions sur la doctrine. Cette autorité-là appartient à l'Eglise ; l'Eglise ne peut errer elle ne peut donc tomber dans l'idolâtrie.
Il démontre très-bien que l'Eglise catholique n'adore que Dieu, quoiqu'elle vénère les Saints. Quant aux images, elles servent à nous instruire, à réveiller notre dévotion, parce que, notre nature étant double, sensible et intellectuelle, il nous faut des choses visibles pour nous rappeler les invisibles. Dieu s'est rendu lui-même visible en s'incarnant. Est-on idolâtre parce qu'on a du respect pour l'Ecriture sainte ? C'est pourtant une chose matérielle comme les images, et les images nous rappellent, comme l'Ecriture sainte, Dieu et les choses invisibles. Jean ne se contenta pas d'écrire contre les Iconoclastes il parcourut la Syrie, la Palestine, pour raffermir les chrétiens persécutés ; il alla même, dans l'espoir du martyre, à Constantinople, dont l'empereur Constantin Copronyme avait fait la capitale de l'erreur et de la persécution. Mais Dieu en avait ordonné autrement. Notre Saint put revenir dans sa laure, où il continua ses savants écrits. Il y mourut vers l'an 780 ; il avait vécu cent quatre ans. Au XIIe siècle, on montrait encore son tombeau, près du portail de l'église de la laure.
Mise au tombeau de saint Jean Damascène. Icône du XIIe.
On représente saint Jean Damascène prosterné aux pieds de la sainte Vierge qui rapproche sa main coupée de son poignet, vendant des corbeilles, etc.
QUELQUES ECRITS DE SAINT JEAN DAMASCENE
1. Le Livre de la Dialectique.
Quoique la philosophie de Platon fût en vogue du temps de saint Jean Damascène, il adopta celle d'Aristote, comme Boèce avait fait parmi les Latins. Il fit disparaitre l'obscurité qui enveloppait la physique de ce philosophe, et en montra les principes dans tout leur jour. Il réduisit sa logique à un corps de règles, sans tomber dans une prolixité fastidieuse ; par ce moyen l'art du raisonnement devint facile à apprendre. On a souvent abusé de la logique, en y traitant des questions inutiles et même ridicules grâce au bon sens, la plupart de ces questions ont été proscrites des écoles. On ne perd plus un temps précieux à étudier tes futilités mais il ne faut pas réfléchir pour mépriser la logique lorsqu'elle se renferme en ses justes bornes. EUe étend l'esprit et lui donne de la précision et de la justesse elle met de l'ordre et de la clarté dans les idées elle apprend à jnger des choses en elles-mêmes et selon les vrais principes enfin, elle dispose à l'étude des autres sciences, dont elle est, en quelque sorte, la clef. Sous le terme général de sciences, nous comprenons aussi la théologie, qui ne peut absolument se passer du secours de la logique.
Ce furent toutes ces considérations qui déterminèrent saint Jean Damascène à donner un abrégé de la logique et de la physique d'Aristote.
2. Le Livre des Hérésies.
Où il en compte cent quatre, est un abrégé de saint Epiphane. Quant aux hérésies qui ne sont venues que depuis ce Père, saint Jean Damascène puise ce qu'il en dit dans les écrits de Théodoret, de Timothée de Constantinople, etc. Il y parle cependant de plusieurs hérétiques dont aucun autre auteur ne fait mention; Il y réfute surtout le mahométisme et l'iconomachie.
3. Les quatre Livres de la Foi orthodoxe, en cent chapitres.
C'est un corps de doctrine qui renferme tout ce que l'on doit croire, ainsi que les principaux articles de la discipline de l'Eglise.
Le saint docteur traite, dans le premier, de Dieu et de ses attributs dans te second, de la création des anges, de l'homme, de la liberté et de la prédestination ; dans le troisième, du mystère de l'Incarnation dans le quatrième, des Sacrements, etc.
Les trois ouvrages ci-dessus peuvent être considérés comme les parties d'un tout ; comme n'en faisant qu'un. C'est, en effet, un ensemble de doctrine qni, sons le nom de Source de la Science, embrasse depuis les premiers éléments du langage et du raisonnement scientifique jusqu'aux plus hautes élévations de la foi chrétienne. Le saint docteur adressa ces trois traités à son ancien précepteur qui l'avait comme obligé à les faire :
" La science, dit-il, est la connaissance vraie de ce qui est. Notre esprit, ne l'ayant pas en lui-même, non plus que l'oeil de la lumière, a besoin d'un maître. Ce maitre est la vérité même, le Christ, qui est la sagesse et la vérité en personne, et en qui sont cachés tous les trésors de la science. On peut tout apprendre par l'application et le travail, mais avant tout et après tout, par la grâce de Dieu. Comme l'Apôtre nous avertit d'éprouver toutes choses et de retenir ce qui est bon, nous consulterons les écrits des sages de la gentilité et peut-être y trouverons-nous quelque chose d'utile à notre âme. Un artisan quelconque, pour faire son ouvrage, a besoin d'instruments ; il convient d'ailleurs que la reine soit servie par quelques suivantes. Les sciences purement humaines sont les servantes de la vérité, des instruments et des armes pour la défendre.
La philosophie est la science naturelle de ce qui est, en tant que cela est ; la science des choses divines et humaines la méditation de la mort ; l'imitation de Dieu l'art des arts, la science des sciences ; enfin l'amour de la sagesse. Or, la vraie sagesse, c'est Dieu ; donc l'amour de Dieu est la vraie philosophie.
La philosophie se divise en spéculative et en pratique ; la spéculative se subdivise en théologie, physiologie et mathématique la pratique, en morale, économie et politique. Le propre de la théologie est de considérer les êtres immatériels, Dieu, les anges et les âmes.
La physiologie est la science des choses matérielles, telles que les animaux, les plantes, les pierres tout ce qu'on appelle aujourd'hui histoire naturelle.
La science mathématique considère les choses qui, quoique sans corps par elles-mêmes, sont néanmoins considérées dans les corps tels que les nombres, les accords, les figures, les mouvements des astres. La théorie des nombres constitue l'arithmétique, la théorie des sons, la musique, la théorie des figures, la géométrie, la théorie des astres, l'astronomie.
La philosophie pratique traite des vertus, règle les moeurs et la conduite ; si elle donne des règles à l'individu, elle s'appelle morale, à une maison tout entière, elle s'appelle économie, à des villes et à des pays, elle s'appelle politique.
Comme la philosophie est la science de ce qui est, nous parlerons de l'être. Nous commencerons par la logique ou l'art de raisonner, qui est moins une partie de la philosophie que l'instrument dont elle se sert pour toutes les démonstrations. Nous traiterons d'abord des mots simples qui expriment des idées simples, et nous viendrons ensuite aux raisonnements. L'être est un nom commun à tout ce qui est et il se divise en substance et en accident. La substance est ce qui existe en soi-même, et non dans un autre, par exemple, un corps l'accident est ce qui ne peut exister en soi-même, mais que l'on considère dans un autre, par exemple, une couleur."
C'est avec cette justesse et cette clarté que saint Jean Damascène précise les mots et les idées qui constituent le langage et la raison scientifiques. Quand on fait attention que les discordances philosophiques parmi les païens, que les grandes hérésies parmi les chrétiens, venaient toutes d'une obscurité et d'une confusion plus ou moins volontaires touchant les mots et les idées d'être, de substance, de nature, de forme, d'hypostase, de personne, on voit que saint Jean Damascène ne pouvait mieux commencer que par les bien déEnir, et que quiconque cherche la vérité en conscience, ou veut la défendre sincèrement, doit faire de même.
Saint Jean Damascène. Couvent Saint-Simplice.
Faculté de théologie. Milan. XVIe.
4. Le Livre de la sainte Doctrine.
Ce n'est, à proprement parler, qu'une profession de foi raisonnée. Le Saint y distingue en Jésus-Christ deux volontés et deux opérations naturelles.
5. Le Livre contre les Monophysites.
c'est-à-dire centre ceux qui n'admettaient qu'une nature en Jésus-Christ après l'union hypostatique. Cet ouvrage est écrit avec beaucoup de force et de solidité.
6. Le Livre ou le Dialogue contre les Manichéens.
Les erreurs de ces hérétiques y sont fort bien réfutées. Le cardinal Maï en a publié un second différent du premier.
7. Les Opuscules sur les dragons et les sorcières.
Nous n'avons plus qu'un fragment de cet ouvrage. Son but, sans nier, bien sûr, la vérité du surnaturel divin et du préternaturel démoniaque, était de montrer le ridicule de certaines histoires fabuleuses qui avaient coure parmi les Sarrasins.
8. Le Livre des huit vices capitaux.
Le saint docteur comptait huit vices capitaux, parce qu'il distinguait la vaine gloire de l'orgueil, avec les anciens auteurs ascétiques. Après avoir montré en quoi ils consistent, il donne le moyen de les combattre et de les détruire, ce qu'il fait avec beaucoup plus de précision que saint Jean Cassien et saint Nil, qui avaient traité te même sujet.
9. Le Traité de la nature composée, contre les Acéphales ou Monophysites ; le Traité des deux volontés, contre les Monothélites et le Livre contre les Nestoriens.
Ce sont des réfutations des erreurs de ces différents hérétiques sur le mystère de l'Incarnation.
10. Plusieurs Proses, odes et hymnes pour Noël, l'Epiphanie, Pâques, la Pentecôte, l'Ascension, la Transfiguration, l'Annonciation.
11. Les Parallèles.
Ce grand ouvrage est une comparaison des sentences des Pères avec celles de l'Ecriture, sur presque toutes les vérités morales. Elles sont rangées par matière et avec beaucoup de soin, suivant l'ordre de l'alphabet grec. Le saint docteur les avait d'abord distribuées en trois livres, dont le premier traitait de Dieu et des choses divines ; le second, de l'état et de la condition des choses humaines ; le troisième, des vertus et des vices, mais il jugea depuis que son ouvrage serait plus commode. aux lecteurs s'il en divisait les titres par ordre alphabétique.
Ce qu'il y a d'avantageux dans ce recueil, c'est que saint Jean Damascène nous y a conservé bien des fragments d'anciens auteurs, dont nous n'avons plus de connaissance que par lui.
Icône de la Mère de Dieu de saint Jean Damascène.
Le cardinal Maï a retrouvé et publié au XIXe des hymnes de notre Saint. Elles sont dédiées à saint Jean Chrysostome, saint Nicolas de Myre, saint Blaise, saint Georges, saint Basile et saint Pierre.
Ce qu'il y a surtout de pieusement remarquable dans ces hymnes, c'est que la dernière strophe de chaque hymne est une louange et une invocation à la maternité divine de la sainte Vierge Marie.
Il lui dit, par exemple, dans les deux dernières hymnes à saint Basile :
" Celui qui n'a point de corps est sorti avec un corps de vos entrailles ; lui qui, par la parole, a formé la nature incorporelle, lui qui a donné l'essence à toute essence créée, raisonnable et irraisonnable, lui la parole de Dieu le Père c'est pourquoi, Mère de la vie, faites mourir en moi les passions du corps, qui font mourir mon esprit. C'est vous, toute sainte Vierge, que je présente, avocate irrécusable et bienveillante médiatrice, à celui qui est né de vous et je vous supplie d'effacer entièrement, par votre maternelle intercession, la multitude de mes fautes."
Dans la première et la seconde a saint Pierre :
" C'est par votre enfantement immaculé qu'a été rouvert l'antique paradis, fermé par notre première mère, et qu'a été rendue au genre humain l'ancienne patrie. C'est vous, auguste Souveraine, puissant refuge, Patronne toujours prête à sauver, que j'implore et supplie ardemment protégez mon âme, quand elle sortira de cette tente et qu'elle s'éloignera de la terre pour un autre monde."
Dans la première, la seconde et la quatrième à saint Georges :
" La langue traînante et à la voix grêle, la bouche au son désagréable, craignent de vous entonner des hymnes, Ô Dame souveraine, car vous êtes chantée par les langues des anges, langues de fen et de flamme, et par la bouche de ceux qui n'ont point de corps. La tempête des péchés, les vagues de l'iniquité, les fréquents écueils de la malice, me poussent ensemble dans le gouffre béant du désespoir donnez-moi la main, Ô Vierge, de peur que les flots ne m'ensevelissent tout vivant. Le lion rugissant tourne autour, cherchant à me dévorer ne m'abandonnez pas en proie à ses dents, Ô vous Immaculée, qui avez enfanté Celui qui, de sa main divinement puissante, a brisé les dents molaires des lions."
Saint Jean Damascène se fit religieux au
monastère de Saint-Sabas. Terre Sainte.
C'est surtout dans ses écrits dogmatiques que saint Jean fait paraître l'étendue de son génie. Son style y est plein de force et de clarté ses raisonnements sont solides et concluants. L'auteur y montre partout une singulière pénétration d'esprit et une sagacité merveilleuse à expliquer les mystères de la foi.
Dans son Livre de la foi orthodoxe, il a tellement lié toutes les vérités, qu'il en résulte un corps complet de théologie. On le regarde comme l'inventeur de la méthode que l'on a depuis adoptée dans les écoles théologiques, et que saint Anselme introduisit depuis parmi les Latins.
Cave refuse le titre d'homme judicieux à quiconque n'admire pas, dans les écrits de saint Jean Damaseene, une érudition extraordinaire, une grande justesse et une grande précision dans les idées, une force non commune dans les raisonnements. Jean IV, patriarche de Jérusalem, loue la profonde connaissance que le saint docteur avait des mathématiques. Selon Baronius, saint Jean Damascène s'est trompé quelquefois par rapport aux faits historiques mais cela ne venait que de l'infidélité, bien rare toutefois, de sa mémoire.
Le Père Le Quien, dominicain, a donné une bonne édition des œuvres de saint Jean Damascène, avec des notes et des dissertations. Paris, 1712, 2 vol. in-fol. Cette édition a reparu à Vérone, en 1748, avec des améliorations. C'est à partir d'elle que l'abbé Migne a publier les deux tomes de " sa " patrologie consacrés à notre Saint.
00:55 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (1)
6 mai. Saint Jean Porte Latine. Vers 95.
" Je veux qu'il survive au martyre afin qu'il meure de sa mort naturelle et que je vienne le chercher."
Johan., XXI, 22.
Par l’ordre de Domitien, il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous les cheveux par dérision, on le jette dans une chaudière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait un feu ardent : c'était devant la porte de la ville qu'on appelle Latine.
Il n'en ressentit cependant aucune douleur, et en sortit parfaitement sain.
La mère de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome, et poussée par une compassion de mère, s'y rendit pour le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle apprit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira dans la ville de Vétulonia eu Campanie, où elle rendit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps enseveli dans un endroit inconnu, mais dans la suite, il fut révélé à saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants miracles ; il fut transféré avec grand honneur dans la ville qu'on vient de nommer.
Bible. Colins Chadewe. Flandres. XIIIe.
Jean, le disciple bien-aimé, que nous avons prévus du berceau de l'enfant de Bethléhem reparaît en ce jour sur le Cycle pour faire sa cour au glorieux triomphateur de la mort et de l'enfer. Couvert de la pourpre du martyre, il marche d'un pas égal avec Philippe et Jacques, dont la double palme a réjoui nos regards au début de ce mois si fécond en héros.
Dans son ambition maternelle, Salomé avait un jour présenté ses deux fils à Jésus, demandant pour eux les deux premières places de son royaume. Le Sauveur avait alors parlé du calice qu'il devait boire, et prédit qu'un jour ces deux disciples le boiraient à leur tour. L'aîné, Jacques le Majeur, a le premier donné à son Maître cette marque de son amour ; nous célébrerons sa victoire sous le signe du Lion ; Jean, le plus jeune, a été appelé aujourd'hui à sceller de sa vie le témoignage qu'il a rendu à la divinité de Jésus.
Mais il fallait au martyre d'un tel Apôtre un théâtre digne de lui. L'Asie-Mineure, évangélisée par ses soins, n'était pas une contrée assez illustre pour porter dignement la gloire d'un tel combat. Rome seule, Rome où Pierre a déjà transféré sa chaire et répandu son sang, où Paul a courbé sous le glaive sa tête vénérable, méritait l'honneur de voir dans ses murs l'auguste vieillard, le disciple que Jésus aima, le dernier survivant du Collège apostolique, s'avancer vers le martyre avec cette majesté et cette douceur qui forment le caractère de ce vétéran de l'Apostolat.
Domitien régnait en tyran sur Rome et sur le monde. Soit que Jean ait entrepris librement le voyage de la cité reine pour y saluer l'Eglise principale, soit qu'un édit impérial ait amené chargé de chaînes dans la capitale de l'empire l'auguste fondateur des sept Eglises de l'Asie-Mineure, Jean a comparu en présence des faisceaux de la justice romaine. Il est convaincu d'avoir propagé dans une vaste province de l'empire le culte d'un Juif crucifié sous Ponce-Pilate. Il doit périr ; et la sentence porte qu'un supplice honteux et cruel débarrassera l'Asie d'un vieillard superstitieux et rebelle. S'il a su échapper à Néron, du moins il ne fuira pas la vengeance du césar Domitien.
En face de la Porte Latine, une chaudière remplie d'huile brûlante a été préparée ; un ardent brasier fait bouillonner dans le vase immense la liqueur homicide. L'arrêt porte que le prédicateur du Christ doit être plongé dans ce bain affreux. Le moment est donc arrivé où le fils de Salomé va participer au calice de son Maître. Le cœur de Jean tressaille de bonheur à la pensée que lui, le plus aimé et cependant le seul des Apôtres qui n'ait pas souffert la mort pour ce Maître divin, est enfin appelé à lui donner ce témoignage de son amour.
Après une cruelle flagellation, les bourreaux saisissent le vieillard, ils le plongent avec barbarie dans la chaudière mortelle ; mais, Ô prodige ! L'huile brûlante a perdu tout à coup ses ardeurs ; aucune souffrance ne se fait sentir aux membres épuisés de l'Apôtre ; bien plus, lorsqu'on l'enlève enfin de la chaudière impuissante, il a recouvré toute la vigueur que les années lui avaient enlevée. La cruauté du Prétoire est vaincue, et Jean, martyr de désir, est conservé à l'Eglise pour quelques années encore. Un décret impérial l'exile dans l'île sauvage de Pathmos, où le ciel doit lui manifester les futures destinées du christianisme jusqu'à la fin des temps.
A propos des premières persécutions, relevons que les empereurs romains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient pas les Apôtres parce que ceux-ci prêchaient Notre Seigneur Jésus-Christ ; mais parce que les Apôtres proclamaient la divinité de Jésus-Christ sans l’autorisation du Sénat qui avait défendu que cela ne se fît de personne.
C'est pourquoi dans l’Histoire ecclésiastique, on lit que Pilate envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus-Christ (Eusèbe, 1. II, ch. II.). Tibère alors consentit à ce que la foi fût reçue par les Romains, mais le Sénat s’y opposa formellement, parce que Jésus-Christ n'avait pas été appelé Dieu d'après son autorisation.
Une autre raison rapportée par une chronique, c'est que Notre Seigneur Jésus-Christ n'avait pas tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est que Jésus-Christ rejetait le culte de tous les dieux qu'honoraient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est que Jésus-Christ enseignait le mépris du monde et que les Romains étaient des avares et des ambitieux.
" Le Sénat vit avec peine que c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit au sujet des miracles de Jésus-Christ et c'est sur ce prétexte qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux. Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de sénateurs, et en condamna d'autres à l’exil."
Les bourreaux coupent les cheveux de saint Jean par dérision.
Notons enfin que la fête de saint Jean devant la Porte Latine a longtemps été chômée en plusieurs église. Elle a été d'obligation en Angleterre, au moins depuis le XIIe siècle jusqu'à la prétendue réforme ; mais on la mettait seulement au nombre des fêtes de second rang, auxquelles toute oeuvre servile était défendue, excepté le labour des terres.
Les Saxons, qui s'établirent dans la Grande Bretagne, avaient une dévotion singulière pour saint Pierre et saint Jean l'Evangéliste.
En mémoire de son supplice, on l'invoque efficacement contre les brûlures.
L'Eglise Romaine, dont les fastes conservent entre ses plus glorieux souvenirs le séjour et le martyre de Jean, a marqué par une Basilique le lieu où l'Apôtre rendit à la foi chrétienne son noble témoignage. Cette Basilique est située près de la Porte Latine, et un Titre cardinalice y est attaché.
Saint Jean est plongé dans la chaudière d'huile bouillante.
SÉQUENCE
A la gloire du grand Apôtre de la charité nous consacrerons cette Séquence attribuée à Adam de Saint-Victor :
" L'heureux séjour de la grâce, dont les habitants contemplent d'un œil ferme le souverain Roi de gloire, voit Jean tout rempli de Dieu, rendu semblable aux Anges, lui qui expliquait aux hommes les plus hauts mystères du ciel.
Ici-bas il reposa sur la poitrine du Seigneur, et se désaltéra à la source des eaux vives et jaillissantes. Il parut entouré de l'éclat des prodiges, et brava les ardeurs du feu et de l'huile embrasée.
Les infidèles sont saisis de stupeur, voyant le témoin de Dieu affronter un si affreux tourment, et n'en pas sentir la rigueur.
Ô martyr ! Ô vierge ! Ô gardien de cette Vierge de laquelle est sortie la gloire du monde, implore pour nous celui qui est le principe de tous les êtres, celui en qui et par qui ils existent.
Ô toi qui fus aimé plus que les autres, supplie en notre faveur le Christ qui t'aima : réconcilie-nous avec lui.
Ruisseau, conduis-nous à la source ; colline, introduis-nous à la montagne ; toi en qui la grâce a opéré la virginité parfaite, fais-nous contempler l'Epoux.
Amen."
Missel à l'usage de l'abbaye Saint-Didier d'Avignon. XIVe.
Qui pourrait s'étonner de sa prédilection envers vous ? Ne vous êtes-vous pas trouvé, seul de ses disciples, au pied de la croix ? N'est-ce pas à vous qu'il a remis sa mère, désormais la vôtre ? N'étiez-vous pas présent lorsque son coeur fut ouvert par la lance sur la croix ? Lorsque vous êtes allé au Sépulcre avec Pierre, au matin de la Pâque, n'avez vous pas, par votre foi, avant tous les disciples, rendu hommage à la résurrection de votre Maître que vous n'aviez pas vu encore ? Jouissez donc auprès de ce Maître ineffable des délices dont il est prodigue envers vous ; mais priez-le aussi pour nous, bienheureux Apôtre ! Nous devons l'aimer pour tous les bienfaits qu'il a répandus sur nous ; et nous reconnaissons avec confusion que nous sommes tièdes dans son amour. Vous nous avez fait connaître Jésus enfant, vous nous avez dépeint Jésus crucifié ; montrez-nous Jésus ressuscité, attachez-nous à ses pas dans ces dernières heures de son séjour sur la terre ; et quand il sera monté au ciel, fortifiez notre cœur dans la fidélité, afin qu'à votre exemple nous soyons prêts à boire le calice des épreuves qu'il nous a préparé.
Saint Jean à Patmos. Jérôme Bosch. XVe.
Rome a été le théâtre de votre glorieuse confession, Ô saint Apôtre ! Aimez-la toujours ; et à l'heure de sa tribulation, unissez-vous à Pierre et à Paul pour la protéger. Si la palme du martyre brille en votre main à côté de la plume de l'évangéliste, souvenez-vous que c'est devant la Porte Latine que vous l'avez conquise. L'Orient vous a possédé pendant votre vie presque tout entière ; mais l'Occident revendique l'honneur de vous compter au premier rang de ses martyrs. Bénissez nos Eglises, ranimez chez nous la foi, réchauffez la charité, et délivrez-nous de ces antechrists que vous signaliez aux fidèles de votre temps, et qui causent parmi nous tant de ravages. Fils adoptif de Marie, qui contemplez maintenant votre mère dans toute sa gloire, présentez-lui nos vœux durant ce mois que nous lui consacrons, et obtenez pour nous de sa bonté maternelle les grâces que nous osons lui demander."
00:15 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 01 mai 2024
1er Mai. Saint Jacques le Mineur & saint Philippe, Apôtres. Ier siècle.
- Saint Jacques le Mineur & saint Philippe, Apôtres, martyrs. Ier siècle.
Pape : Saint Pierre. Empereur : Néron.
" Priez avec foi et sans défiance, car celui qui est dans la défiance est semblable au flot de la mer qui est agité et emporté çà et là par le vent."
Ep. Jac., I, 6.
" Saint Philippe, après avoir reçu le Saint-Esprit, se rendit dans la Scythie qui lui était échu en partage, et convertit presque toute cette nation à la foi chrétienne."
Bréviaire romain.
Saint Jacques et saint Philippe. Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.
Deux des heureux témoins de la résurrection de notre bien-aimé Sauveur se présentent à nous aujourd'hui. Philippe et Jacques viennent nous attester que leur Maître est véritablement ressuscité d'entre les morts, qu'ils l'ont vu, qu'ils l'ont touché, qu'ils se sont entretenus avec lui durant ces quarante jours ; et afin que nous ne doutions pas de la sincérité de leur témoignage, ils tiennent en main les instruments du martyre qu'ils ont subi pour attester que Jésus, après avoir souffert la mort, est sorti vivant du tombeau. Philippe s'appuie sur la croix où il a été attaché comme son Maître ; Jacques nous montre la massue sous les coups de laquelle il expira.
La prédication de Philippe s'exerça dans les deux Phrygies, et son martyre eut lieu à Hiérapolis. Il était dans les liens du mariage lorsqu'il fut appelé par le Christ, et nous apprenons des auteurs du second siècle qu'il avait eu trois filles qui s'élevèrent à une haute sainteté, et dont l'une jeta un grand éclat sur l'Eglise d'Ephèse à cette époque primitive.
Plus connu que Philippe, Jacques a été appelé le Frère du Seigneur, parce qu'un lien étroit de parenté unissait sa mère à celle de Jésus ; mais dans ces jours de la Pâque il se recommande d'une manière spéciale à notre admiration. Nous savons, par l'Apôtre saint Paul, que le Sauveur ressuscité daigna favoriser saint Jacques d'une apparition particulière. Une telle distinction répondait, sans aucun doute, à un dévouement particulier de ce disciple envers son Maître. Nous apprenons de saint Jérôme et de saint Epiphane que le Sauveur, en montant aux cieux, recommanda à Jacques l'Eglise de Jérusalem, et que ce fut pour répondre à la pensée du Maître que cet Apôtre fut établi premier Evêque de cette ville. Au IVe siècle, les chrétiens de Jérusalem conservaient encore avec respect la chaire sur laquelle Jacques siégeait, quand il présidait l'assemblée des fidèles. Nous savons également par saint Epiphane qu'il portait au front une lame d'or, symbole de sa dignité ; son vêtement était une tunique de lin.
Saint Jacques et saint Philippe. Heures à l'usage de Rome. XVe.
La renommée de sa vertu fut si grande que, dans Jérusalem, tout le monde l'appelait le Juste ; et les Juifs assez aveugles pour ne pas comprendre que l'affreux désastre de leur ville était le châtiment du déicide, en cherchèrent la cause dans le meurtre de Jacques qui avait succombé sous leurs coups en priant pour eux. Nous sommes à même de pénétrer l'âme si sereine et si pure du saint Apôtre, en lisant l'admirable Epître où il nous parle encore. C'est là que, dans un langage tout céleste, il nous enseigne que les oeuvres doivent accompagner la foi, si nous voulons être justes de cette justice qui nous rendra semblables à notre Chef ressuscité.
Le corps de saint Jacques et celui de saint Philippe reposent à Rome dans la Basilique appelée des Saints-Apôtres. Ils forment un des trésors les plus sacrés de la ville sainte, et l'on a lieu de croire que ce jour est l'anniversaire même de leur Translation. Sauf les fêtes de saint Jean l'Evangéliste et de saint André, frère de saint Pierre, l'Eglise de Rome fut longtemps sans célébrer les fêtes particulières des autres Apôtres ; elle les réunissait dans la solennité de saint Pierre et de saint Paul, et nous retrouverons encore un reste de cet antique usage dans l'Office du 29 juin. La réception des corps de saint Philippe et de saint Jacques, apportés d'Orient vers le VIe siècle, donna lieu à l'institution de la fête d'aujourd'hui en leur honneur ; et cette dérogation amena insensiblement sur le Cycle l'insertion des autres Apôtres et des Evangélistes.
Saint Philippe châtiant les adorateurs de Mars.
Missel à l'usage du Mans. XVe.
Saint Philippe, né à Bethsaïde, fut l'un des douze Apôtres qui furent appelés les premiers par le Christ notre Seigneur. Ce fut par lui que Nathanaël apprit que le Messie promis dans la Loi était venu, et qu'il fut présenté au Seigneur. La familiarité que le Christ eut avec lui parait en ce que plusieurs ils ayant désiré voir le Sauveur, vinrent s'adresser à Philippe, et que le Seigneur, voulant lui-même donner à manger dans le désert à une multitude de personnes, dit à cet Apôtre : " Où achèterons-nous des pains pour étonner à tout ce monde ?" Philippe, après avoir reçu le Saint-Esprit, se rendit dans la Scythie qui lui était échue en partage pour y prêcher l'Evangile, et il convertit cette nation presque tout entière à la foi chrétienne. Enfin, étant venu à Hiérapolis en Phrygie, il fut attaché à la croix pour le nom du Christ, et accablé à coups de pierre, le jour des calendes de mai. Les Chrétiens ensevelirent son corps dans le lieu même où il avait souffert ; d'où il a été ensuite transporté à Rome, et déposé avec celui de l'Apôtre saint Jacques dans la basilique des Douze-Apôtres.
Saint Jacques, frère du Seigneur, surnommé le Juste, s'abstint dès son jeune âge de vin et de tout ce qui peut enivrer, ne mangea point de chair, ne coupa jamais ses cheveux et n'usa ni de bains ni de parfums. Il avait seul la permission d'entrer dans le sanctuaire ; ses vêtements étaient de lin ; il était si assidu à la prière, que ses genoux s'étaient durcis comme la peau d'un chameau. Après l'Ascension du Christ, les Apôtres le créèrent évoque de Jérusalem ; et ce fut à lui que Pierre, délivré de prison par un Ange, en envoya porter la nouvelle. Une controverse s'étant élevée dans le Concile de Jérusalem, au sujet de la loi et de la Circoncision, Jacques suivit le sentiment de Pierre, et fit un discours aux Frères, dans lequel il prouva que les Gentils étaient aussi appelés, et dit qu'il fallait écrire aux Frères absents de ne pas leur imposer le joug de la loi mosaïque. C'est de lui aussi que parle l'Apôtre, lorsqu'il dit aux Galates : " Je ne vis aucun autre d'entre les Apôtres, sinon Jacques frère du Seigneur ".
Saint Jacques le Mineur. Georges de La Tour. XVIIe.
La sainteté de Jacques était si grande et si reconnue, que beaucoup de personnes s'empressaient pour toucher le bord de son habit. Etant arrivé à l'âge de quatre-vingt-seize ans, ayant gouverné très saintement l’Eglise de Jérusalem durant trente années , comme il prêchait avec une constance merveilleuse que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, il fut d'abord assailli de pierres, et ensuite mené à l'endroit le plus élevé du Temple, d'où on le précipita. Il gisait étendu par terre, les jambes brisées et demi-mort, et il levait les mains au ciel et priait Dieu pour le salut de ses bourreaux, disant : " Pardonnez-leur, Seigneur ; car ils ne savent ce qu'ils font ". Il faisait cette prière, lorsqu'un foulon lui déchargea sur la tête un coup de son pilon, dont le saint mourut, en la septième année de Néron. Il fut enseveli près du Temple, au lieu même où il était tombé. Il a écrit une lettre qui est une des sept Epîtres Catholiques.
HYMNES
L'Eglise grecque célèbre les deux Apôtres à des jours différents, qui sont les anniversaires de leur martyre. Nous extrairons d'abord les strophes suivantes consacrées à la louange de saint Philippe :
" Réfléchissant les feux de celui qui est la grande lumière, tu as resplendi, Ô Philippe, comme un astre de la plus grande beauté. Tu cherchais le Père des lumières dans son propre Fils, et tu l'y as rencontré. C'est en effet dans la lumière que l'on trouve la lumière, et le Fils est la forme de la substance du Père ; il nous révèle que le Père est son archétype. Demande-lui, Ô Apôtre, qu'ils soient sauvés, ceux qui ont été marqués de son sang divin.
Ô prodige admirable l'Apôtre Philippe, envoyé de Dieu comme un agneau au milieu des loups, se promène sans crainte parmi ces animaux meurtriers ; par la foi il en a fait des agneaux, il a transformé divinement le monde. Ô œuvre de la foi ! Ô puissance admirable ! Toi qui seul es miséricordieux, laisse-toi fléchir par ses prières, et daigne sauver nos âmes.
Notre Seigneur Jésus-Christ apparaît à Saint Jacques le Mineur
Vies de saints. R. de Montbaston. XIVe.
Ô prodige admirable ! L'Apôtre Philippe a paru dans le monde comme un puits d'eaux vives où l'on puise la sagesse ; de ce puits dérivaient les enseignements sacrés ; dans ses ruisseaux nous avons bu une eau miraculeuse. Ouvrier divin, que de merveilles tu as opérées ! Aussi vénérons-nous ta mémoire avec foi.
Tu as abandonné tout ce qui est de la terre, afin de suivre le Christ ; l'Esprit Saint t'a rempli de ses inspirations, Ô Philippe ! Il t'a envoyé vers les nations perdues, pour amener les hommes à la lumière de la connaissance divine. Le combat que tu désirais avec ardeur, tu l'as rencontré dans les supplices divers auxquels tu as été soumis, et tu as rendu ton âme à Dieu : demande-lui, Ô bienheureux, qu'il daigne nous accorder sa grande miséricorde.
Mettant en fuite les démons, apparaissant comme un astre aux veux de ceux qui étaient plonges élans les ténèbres, tu leur as montré le Soleil éblouissant qui est sorti de la Vierge, tu as renverse les temples des idoles, et rassemble les Eglises pour la gloire de notre Dieu; c'est pourquoi nous te vénérons, et célébrant avec transport ta divine mémoire, nous crions vers toi d'une voix unanime : Apôtre Philippe, prie le Christ Dieu de nous accorder la rémission de nos péchés, à nous qui célébrons avec ardeur ta sainte mémoire.
Tu as paru aux hommes sur la terre comme une nuée spirituelle, contenant une pluie abondante destinée à arroser mystiquement les sillons de nos âmes. Ta parole a lait le tour du monde, et ta rosée est tombée sur lui comme un parfum qui l'embaume. Tu as souffle dans les cœurs des infidèles la divine senteur du Saint-Esprit, et tu as répandu en eux les trésors célestes. Apôtre Philippe, prie le Christ Dieu de nous accorder la rémission de nos péchés, à nous qui célébrons avec transport ta sainte mémoire."
Martyre de saint Jacques le Mineur. Bible. XVIe.
Cueillons maintenant dans les Ménées quelques traits à la louange de saint Jacques, dont la mémoire est demeurée si chère aux Orientaux :
" Venez honorer avec nous la mémoire du Frère du Seigneur, d'un homme saint et inspire de Dieu. Il porta avec ardeur le joug du Christ, il prêcha son Evangile, sa bonté : et son mystère ineffable lui fut confié. Dieu tout-puissant, à sa prière, faites-nous miséricorde.
Le bruit de sa parole retentit jusqu'aux extrémités du monde : par la lumière qu'elle répandait, elle nous isposa à contempler la Vertu divine. Tu es notre pontife, Ô Jacques ! intercède auprès de Jésus ami de l'homme, afin que nos âmes soient sauvées.
Tu as relevé la dignité de ton sacerdoce par le sang de ton martyre, ô saint Apôtre ! Du haut du pinacle du temple, tu as prêché le Dieu Verbe créateur de toutes choses ; précipite delà par les Juifs, tu as mérité d'entrer dans le palais des cieux : Jacques, frère du Seigneur, prie le Christ Dieu, afin que nos âmes soient sauvées.
Votre Apôtre, Seigneur a eu la tête brisée par le bois : mais maintenant il est sur votre arbre de vie dans le paradis ; affranchi du joug des choses terrestres, il goûte avec transport les joies éternelles ; par ses prières, accordez votre paix aux églises.
Dans ta sagesse, Ô Jacques, tu nous enseignes que tout bienfait excellent et tout don parfait descendent du Père des lumières sur les mortels ; prie Dieu, Ô Apôtre, en faveur de ceux qui te célèbrent dans leurs cantiques, afin qu’ils entrent en partage de ces célestes faveurs.
Frère de Jésus-Christ selon la chair, tu as trouvé grâce auprès de lui, Ô Apôtre ! Tu as communiqué à tous les grâces de la lumière et de la connaissance divine, et tu as extirpé jusqu'à la racine l'erreur de l’idolâtrie, Ô Jacques ! C'est pour cela que les princes des ténèbres et du mensonge te font injustement périr, au moment où tu prêches la divinité du Sauveur.
Le Fils unique du Père, Dieu et Verbe, qui dans ces derniers temps a daigne vivre au milieu de nous, t'a désigné, Ô Jacques, pour le premier pasteur de Jérusalem, pour le dispensateur fidèle des mystères spirituels ; c'est pourquoi nous te vénérons tous, Ô Apôtre !
Le chœur des Apôtres t'a élu pour être, comme Pontife, le premier serviteur du Christ dans la sainte Sion. parce que étant, ô Jacques, son frère selon la chair, tu avais suivi ses pas sur la terre comme un voyageur fidèle.
Tout resplendissant de l'éclat des feux du divin Esprit, Ô Jacques, Frère de Dieu, tu as paru comme le zélateur de la divine bonté ; c'est pourquoi, comme autrefois Aaron, tu as reçu du Seigneur, qui par sa miséricorde t'avait admis parmi ses frères les Apôtres, une robe plus sacrée que celle du sacerdoce de la loi ; supplie-le de sauver nos âmes, Ô glorieux Apôtre."
Martyre de saint Jacques le Mineur.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
PRIERE
" Saints Apôtres, vous avez vu notre divin Ressuscite dans toute sa gloire ; il vous a dit au soir de la Pâque : " La paix soit avec vous ! " Et durant ces quarante jours il vous a apparu, afin de vous rendre certains de sa résurrection. Votre joie fut grande de revoir ce Maître chéri qui avait daigné vous choisir pour ses confidents les plus intimes, et votre amour pour lui devint plus ardent que jamais. Nous nous adressons à vous comme aux initiateurs des fidèles au divin mystère de la Pâque ; vous êtes aussi nos intercesseurs spéciaux en ce saint temps. Faites-nous connaître et aimer Jésus ressuscité. Dilatez nos cœurs dans l'allégresse pascale, et ne permettez pas que nous perdions jamais la vie que nous avons recouvrée avec Jésus.
Votre dévouement pour lui, Ô Philippe, se montra dès les premiers jours de votre vocation. A peine aviez-vous connu ce divin Messie, que vous couriez tout aussitôt l'annoncer à Nathanaël votre ami. Jésus vous laissait approcher de sa personne avec une douce familiarité. Au moment d’opérer le grand miracle de la multiplication des pains, c'est à vous qu'il s'adressait, et qu'il disait avec une adorable bonté : " Où achèterons-nous des pains pour nourrir tout ce monde ?"
Peu de jours avant la Passion de votre Maître, des hommes de la gentilité ayant désiré voir de leurs veux ce grand prophète dont on racontait tant de merveilles, ce fut à vous qu'ils s'adressèrent pour les conduire vers lui. Avec quelle ardeur, à la dernière Cène, vous demandiez à Jésus qu'il vous fît connaître le Père céleste ! Votre âme aspirait à la lumière divine ; et quand les feux de l'Esprit-Saint retirent embrasée, rien ne fut au-dessus de votre courage. Pour récompense de vos labeurs, Jésus vous fit partager les honneurs de sa croix. Demandez, ô saint Apôtre, que nous imitions voire recherche empressée auprès de notre commun Maître, et que sa croix nous soit douce quand il lui plaît de la partager avec nous.
Saint Jacques le Mineur prêchant.
Bible historiale. Guiard des Moulins. XIVe.
Et vous qui êtes appelé Frère du Seigneur, vous dont le noble visage retraçait ses traits, Pasteur de l'Eglise de Jérusalem, nous honorons aussi votre amour pour le divin Rédempteur. Si vous avez faibli un moment avec les autres, au moment de la Passion, votre repentir l'attira près de vous : après Pierre, vous fûtes le premier des Apôtres auquel il daigna se manifester en particulier. Recevez aujourd'hui nos félicitations, Ô Jacques, pour cette faveur si digne d'envie, et en retour faites-nous goûter combien le Seigneur ressuscité est doux. Votre cœur, Ô saint Apôtre, n'aspira plus qu'à montrer à Jésus la reconnaissance tient il était rempli ; et le dernier témoignage que vous rendîtes à sa divinité dans la cité infidèle, lorsque les Juifs vous eurent élevé sur le sommet du temple, vous ouvrit par le martyre la voie qui devait vous réunir à lui pour toujours. Obtenez, généreux Apôtre, que nous le confessions aussi avec la fermeté qui convient à ses disciples ; que nous n'hésitions jamais lorsqu'il s'agit de proclamer ses droits sur toute créature.
Nous vous réunissons dans une prière commune, Ô saints Apôtres, et nous vous demandons d'avoir pitié des Eglises de l'Orient que vous avez évangélisées. Priez pour Jérusalem que profanent le schisme et l'hérésie, que l'infidèle retient encore sous son joug. Obtenez que nos yeux la voient bientôt purifiée et affranchie, que ses Lieux saints cessent d'être souillés chaque jour par le sacrilège. Suscitez chez les chrétiens de l'Asie-Mineure le désir de rentrer dans l'unité du bercail que gouverne le souverain Pasteur. Enfin, Ô saints Apôtres, priez pour Rome, votre seconde patrie. C'est dans son sein que vous attendez la résurrection glorieuse ; pour prix de la religieuse hospitalité qu'elle vous donne depuis tant de siècles, couvrez-la de votre protection, et ne permettez pas que la cité de Pierre, votre auguste Chef, voie plus longtemps dans ses murs l'abaissement de la Chaire apostolique."
00:19 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (4)
samedi, 13 avril 2024
13 avril. Saint Justin le philosophe, et ses compagnons, martyrs. 167.
- Saint Justin le philosophe, et ses compagnons, martyrs. 167.
Pape : Saint Soter. Empereurs : Antonin ; Marc-Aurèle.
" Justin approchait autant de la vertu des Apôtres qu'il approchait de leurs temps."
Methodius apud Photium, cod. 234.
" Notre devoir est de faire connaître à chacun quelle est notre doctrine, afin que les fautes de ceux qui pèchent par ignorance, ne nous soient pas imputées et que nous n'en portions point la peine."
Saint Justin.
Saint Justin. Gravure. Russie. XVIIIe.
Saint Justin naquit vers l'an 103 à Naplouse, ville de la Palestine, appelée autrefois Sichem, près du puits de Jacob, et qui, du temps d'Alexandre le Grand, était métropole de la Samarie. Il n'était pas samaritain, mais grec, païen et incirconcis. Il nous apprend lui-même qu'il employa sa jeunesse à lire les poëtes, les orateurs et les historiens. Après avoir étudié les belles-lettres, il s'appliqua à la philosophie de sorte que, selon l'expression de Fleury, il se fit chrétien avec une grande connaissance de cause, après avoir essayé de toutes les sectes de philosophes.
Il le raconte lui-même à peu près en ces termes :
" D'abord, je me donnai à un stoïcien, et après avoir passé bien du temps avec lui, voyant que je n'apprenais rien sur Dieu, car lui-même ne savait rien là-dessus, et disait que cette connaissance n'était pas nécessaire, je le quittai et m'adressai à un péripatéticien, qui se croyait un esprit très-subtil. Il me demanda, après quelques jours, de quel salaire ses peines seraient récompensées je le quittai aussitôt, ne pouvant croire qu'une âme aussi basse pût être celle d'un philosophe.
Comme j'étais toujours avide des secrets de la philosophie, j'allai trouver un pythagoricien, qui était, en grande réputation et n'avait pas lui-même une moindre opinion de sa sagesse. Lorsque je lui eus témoigné le désir d'être son disciple, il me dit :
" Très-bien, mais avez-vous étudié la musique, l'astronomie, la géométrie ? Car ne pensez pas pouvoir rien comprendre de ce qui mène à la béatitude, sans avoir acquis ces connaissances, qui dégagent l'âme des objets sensibles, la rendent propre aux intelligibles, et la mettent en état de contempler la beauté et la bonté souveraine."
Je lui avouai que j'ignorais ces sciences alors il me renvoya, parce qu'il les considérait comme nécessaires. On peut juger quelle fut ma peine, en quittant un homme que je croyais plein de science ; mais il m'eût fallu employer trop de temps aux études préalables qu'il exigeait de moi j'y renonçai et me déterminai à suivre les Platoniciens.
Il y en avait un dans notre ville, homme de bon sens et des plus distingués d'entre eux. J'eus avec lui plusieurs conversations qui me profitèrent beaucoup. Il me semblait que l'intelligence des choses incorporelles me soulevait de terre, et que la contemplation des idées donnait des ailes à mon esprit. Déjà je m'applaudissais d'être devenu sage en si peu de temps, et j'avais conçu la folle espérance de voir Dieu bientôt c'est le but de la philosophie de Platon. Cette disposition d'esprit me faisait chercher la solitude. Un jour que je me promenais au bord de la mer, je vis, en me retournant, un vieillard qui me suivait d'assez près. Son extérieur était majestueux un air de douceur et de gravité semblait répandu sur toute sa personne nous entrâmes en conversation."
Saint Justin raconte au long cette conversation, dont voici la partie la plus instructive. Ce vieillard lui lit voir que les philosophes mêmes qu'il estimait le plus, Platon et Pythagore, avaient erré dans les principes et n'avaient bien connu ni Dieu, ni l'âme raisonnable. Justin lui demanda quels maîtres il fallait donc suivre, si ceux-là n'avaient pas connu la vérité. Le digne vieillard me dit alors :
" A une époque très-reculée, et bien avant ceux qu'on a cru philosophes, il y a eu des hommes justes, bienheureux et chéris de Dieu, qui, parlant par l'esprit divin, ont annoncé d'avance ce qui se passe aujourd'hui dans le monde. On les appelle Prophètes. Eux seuls ont connu la vérité eux seuls l'ont annoncée aux hommes, sans craindre ni considérer personne. Ils n'ont prêché que ce que leur révélait l'Esprit-Saint. Leurs écrits, que nous avons encore, nous font très bien connaître la première cause et la dernière de tous les êtres. On y trouve beaucoup d'autres questions qui intéressent un philosophe. Ils n'employaient, pour établir la vérité, ni les disputes, ni les raisonnements subtils, ni ces démonstrations abstraites qui sont au-dessus de la portée du commun des hommes. Ce qui doit faire croire à leur parole, ce sont leurs prédictions qui se sont accomplies ou s'accomplissent tous les jours, et les miracles qu'ils opéraient ; ils faisaient cela au nom d'un seul Dieu créateur de toutes choses, et de son fils Jésus-Christ, qui devait, disaient-ils, " venir en ce monde, et qui y est venu en effet ".
Quant à vous, dit-il en finissant, faites d'ardentes prières, pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes car nul ne peut comprendre ces choses, si Dieu et son Christ ne lui en donnent l'intelligence."
A ces mots, le vieillard mystérieux disparut, et Justin ne le revit jamais.
Saint Justin. D'après une Icone byzantine du Xe.
Ce discours fit une vive impression sur le cœur du jeune philosophe il aima dès lors les Prophètes et les amis du Christ, et considéra leur doctrine comme la seule philosophie certaine et utile. Ce qui le porta encore puissamment à croire à la divinité, et dès lors à la vérité de la religion chrétienne, ce fut la constance des martyrs parmi les supplices :
" Si, comme on les en accuse, les Chrétiens étaient friands de chair humaine, voluptueux, intempérants, ils chercheraient à vivre pour jouir plus longtemps, ils ne chercheraient pas à mourir et ils ne souffriraient pas, ils ne mourraient pas avec tant de douceur, de modestie et d'héroïsme."
On ne sait pas au juste en quelle année ni dans quelle ville eut lieu la conversion de saint Justin ce fut entre 132 et 137, et dans la ville de Naplouse, ou, plus probablement, dans celle d'Alexandrie. Il dit lui-même qu'il visita cette ville, et il est certain que le désir de connaître, le fit voyager, surtout en Egypte, pays renommé pour la science des mystères les plus secrets. Comme en devenant chrétien, loin de renoncer à la vie de philosophe, il avait embrassé une philosophie plus sublime et plus sainte, il garda le pallium, ou le manteau, marque distinctive des sages. Avant lui, d'autres chrétiens avaient agi de la sorte, entre autres, saint Aristide d'Athènes, et saint Héraclas, évêque d'Alexandrie. Il est probable qu'on le fit prêtre ou du moins diacre il est certain qu'il mena une vie austère et sainte, ce qui l'a fait nommer par saint Epiphane un grand et qu'il prêchait en toute occasion la vérité, et par ses exemples et par ses discours :
" Notre devoir est de faire connaître à chacun quelle est notre doctrine, afin que les fautes de ceux qui pèchent par ignorance, ne nous soient pas imputées et que nous n'en portions point la peine."
Et ailleurs :
" Comme j'ai obtenu de Dieu la grâce d'entendre les Ecritures, je m'efforce de faire part de cette grâce à tout le monde, de peur que je ne sois condamné au jugement de Dieu. Telle est ma résolution dans toutes mes paroles je n'ai en vue que de dire la vérité je la dirai sans crainte, ni considération aucune, et dussé-je à l'heure même être mis en pièces."
" Voilà un véritable philosophe, dit Rohrbacher, c'est-à-dire un homme qui aime sincèrement la vérité et la sagesse Platon, Sénèque, qui retenaient cette vérité captive, qui n'osaient la prêcher publiquement, de peur de s'exposer à quelque péril Platon, Sénèque, n'aimaient qu'eux-mêmes."
Il n'y avait pas longtemps que notre Saint était chrétien lorsqu'il écrivit son Oraison ou Discours aux Grecs. Il y expose les raisons qui lui ont fait embrasser le christianisme, l'impiété et l'extravagance de l'idolâtrie, la sainteté de la doctrine évangélique, l'auguste autorité des Ecritures qui règlent nos passions, et apaisent les inquiétudes de l'esprit humain. Il traite à peu près le même sujet, mais plus au long, dans sa Parénèse ou exhortation aux Grecs, ouvrage qu'il écrivit à Rome. Il y répand, dit Godescard, les fleurs de l'éloquence, ce qu'il n'a pas fait même dans ses apologies. On y trouve la réfutation des erreurs de l'idolâtrie, avec les preuves de la vanité des philosophes païens. L'auteur reproche à Platon d'avoir essayé d'établir le polythéisme, dans une harangue qu'il prononça en présence des Athéniens, de peur qu'on ne lui ôtât la vie comme à Socrate ce qui montrait de sa part une grande faiblesse, et surtout beaucoup de mauvaise foi, puisqu'il est prouvé par ses écrits qu'il n'admettait qu'un Dieu. Il a cité divers passages (d'Orphée, d'Homère, de Sophocle, de Pythagore, de Platon, de Mercure, d'Acmon ou plutôt Ammon) d'anciens auteurs qui tous ne reconnaissaient qu'une seule divinité. En composant son livre de la Monarchie, il se proposa d'établir l'unité de Dieu par des autorités et des raisons tirées des philosophes païens.
On ne peut douter que saint Justin ne soit aussi l'auteur de l'Epître à Diognète. Cette épître est attribuée à saint Justin dans tous les anciens manuscrits, et l'on ne peut la lut contester, selon Cuve, Ceillier, Maran, etc. Le style en est plus fleuri et plus élevant que celui des autres ouvrais du saint Docteur ; mais on aurait tort d'en inférer qu'il n'en est point l'auteur, comme l'ont montre les critiques que nous venons de citer. A la vérité, cette épitre n'est citée ni par Eusèbe ni par saint Jérôme. Ils ne citent point non pins les ouvrages d'Athénagore en conclura-t-on pour cela qu'ils sont supposés ? L'art de l'imprimerie n'ayant été inventé que fort tard ; est-il étonnant qu'il leur soit échappé quelques écrits ? Tillemont prétend que l'auteur de l'épitre dont il s'agit est plus ancien que saint Justin, parce qu'il se qualifie disciple des Apôtres mais cette raison ne prouve absolument rien. Saint Justin pouvait prendre le même titre, lui qui était contemporain de saint Polycarpe et d'autres saints personnages qui avaient vu quelques-uns des Apôtres.
Ce Diognète, homme de grande considération, était fort versé dans la philosophie. Il avait été le précepteur de Marc-Aurèle, qui eut toujours pour lui autant d'estime que de confiance. A son sujet, dom Le Nourri (Appar. In Bibl. Patr., t. I, p. 445) dit que Diognète était juif mais il est probable qu'il se trompe, puisque Diognète est appelé adorateur des dieux dans la lettre qui lui est adressée par saint Justin. On ne peut toutefois exclure que Diognète ait simulé par ambition son attachement au paganisme ; l’histoire en effet nous donne maintes illustrations de cette esprit de duplicité et de dissimulation chez un grand nombre de membres du peuple réprouvé.
Saint Justin. Dessin. Elie Delaunay. XIXe.
Frappé de la conduite des chrétiens, Diognète désirait connaître ce qui les portait à mépriser le monde et la mort avec toutes ses horreurs, et d'où leur venait cette charité mutuelle, inconnue aux autres hommes, charité si puissante, qu'elle paraissait les rendre insensibles aux plus cruels traitements ? Saint Justin se chargea de lui donner les éclaircissements qu'il demandait. Après avoir démontré la folie du paganisme et l'imperfection de la loi judaïque, il peint les " vertus pratiquées par les chrétiens, et surtout leur humilité, leur douceur, leur amour pour ceux qui les haïssent injustement ", etc. Il ajoute que " les tortures ne servaient qu'à augmenter le nombre et à perfectionner la sainteté des fidèles ".
Vient ensuite une explication claire et précise de la divinité de Jésus-Christ, fils de Dieu et créateur de toutes choses. Ce saint docteur prouve l'insuffisance de la raison, en montrant qu'elle ne peut toute seule nous conduire à la connaissance de Dieu qui a envoyé son fils pour nous enseigner ses adorables volontés et pour payer le prix de notre rédemption dans le temps que nous ne méritions que des supplices. Il développe ce mystère en faisant voir que le Saint a souffert pour les pécheurs, et la personne offensée, pour ceux dont elle avait reçu des outrages :
" Etant, dit-il, dans l'impossibilité d'expier nos crimes par nos propres forces, nous nous trouvons à couvert sous les ailes de la justice elle-même, et nous sommes affranchis de l'esclavage du péché."
Il relève la bonté infinie de Dieu pour l'homme, laquelle éclate en ce que, non content de nous avoir donné l'être, il a créé le monde pour notre usage, nous a soumis toutes choses, et nous a donné son Fils unique, avec la promesse de nous faire régner avec lui si nous l'aimons :
" Présentement que vous le connaissez, poursuit-il, de quelle joie ne devez-vous pas être comblé ? Quels transports d'amour ne devez-vous pas éprouver pour celui qui vous a aimé le premier ? Et quand vous l'aimerez, vous serez l'imitateur de sa bonté. On est véritablement l'imitateur de Dieu, lorsqu'on supporte les fardeaux des autres, qu'on assiste le prochain, qu'on se place au-dessous de ses inférieurs, qu'on partage avec les pauvres les biens qu'on a reçus du ciel. Vous comprendrez alors que Dieu gouverne cet univers ; vous connaîtrez ses mystères vous aimerez et vous admirerez ceux qui souffrent pour lui ; vous condamnerez l'imposture du monde, vous méprisiez la mort, du corps, et ne craindrez que la mort éternelle de l'âme, avec ce feu qui ne s'éteindra jamais. Quand vous saurez ce que c'est que ce feu, vous envierez le bonheur de ceux qui souffrent les flammes pour la justice. Je ne parle pas de choses auxquelles je sois étranger ; ayant été disciple des Apôtres, je suis établi pour enseigner les nations, etc."
Saint Justin ne combattit pas l'hérésie avec moins de force quelle paganisme. Il écrivit contre Marcion des ouvrages que saint Jérôme appelle excellents ; ils se sont perdus ainsi que plusieurs autres écrits auxquels les anciens donnent de grands éloges.
L'an 150, il composa une apologie publique, adressée à l'empereur Antonin, à ses fils, au sénat, et au peuple romain, pour les personnes de toutes conditions qui sont maltraitées injustement. Ce seul titre indique la force de son raisonnement ; il laisse de côté la question religieuse, et examine si les chrétiens sont jugés selon les lois. La manière de procéder contre eux était une persécution, non un jugement. On leur imputait, pour la forme, les crimes les plus énormes, mais, de fait, on ne punissait en eux que le nom et la profession du christianisme. Pour être absous, il suffisait de nier qu'on fût chrétien, et ceux qui se disaient chrétiens étaient punis sans autre enquête, tandis que la justice exige qu'on examine la vie de chacun et qu'on le punisse selon ses œuvres. Voilà ce que demande saint Justin.
Saint Justin écrivant. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.
Mais laissons-lui la parole :
" Mais quels crimes reprochait-on aux Chrétiens ? D'abord d'être athées nous le sommes, en effet, dit-il, à l'égard des faux dieux que nous refusons d'adorer, mais non pas à l'égard du vrai Dieu, père de la justice, de la chasteté et de toutes les autres vertus, sans mélange d'aucun vice. Nous l'adorons en vertu et en vérité, nous l'adorons conjointement avec le Christ qui est sorti de lui et nous a enseigné ces choses, ainsi qu'aux anges fidèles nous l'adorons conjointement avec l'esprit prophétique. Rien de plus saint, de plus efficace que la doctrine chrétienne. Les espérances des chrétiens ne sont pas pour cette vie de là leur constance dans le malheur, au milieu des supplices, en face de la mort. Personne ne contribue plus au bon ordre et à la paix d'un Etat que le chrétien, car il est persuadé que personne ne peut se cacher aux regards de Dieu, ni le méchant, ni l'avare, ni le traître, ni l'homme de bien, et que chacun marche à un supplice ou à un salut éternel, selon le mérite de ses œuvres ?
Si tous les hommes croyaient à ces vérités, personne ne choisirait le vice pour un pou de temps, sachant que le vice le conduirait au feu éternel ; il n'y aurait rien qu'il ne fit pour se contenir et acquérir la vertu, afin d'obtenir les biens qui viennent de Dieu. Ni vos lois, ni vos supplices, ne retiennent point les méchants ils savent que l'on peut se cacher de vous qui n'êtes que des hommes ; mais s'ils étaient persuadés qu'il y a un Dieu à qui il est impossible de rien cacher, non-seulement de nos actions, mais de nos pensées, vous conviendrez vous-mêmes que la crainte au moins les rendrait sages. Vous semblez craindre (en abolissant le christianisme, seul frein du mal) que tout le monde ne vive bien et que vous n'ayez plus personne à punir c'est penser en bourreaux et non en princes. On reprochait aux chrétiens, comme une folie, d'adorer un Dieu crucifié. Eh bien c'est pourtant ce culte, cette folie de la croix, qui réforme nos mœurs.
Autrefois, nous aimions la débauche, à présent nous n'aimons que la pureté ; nous qui cherchions l'avenir dans l'art magique, nous nous abandonnons aujourd'hui à la providence de Dieu ; nous ne cherchions que les moyens de nous enrichir, et maintenant nous mettons en commun nos biens pour en faire part aux autres. Nous nous haïssions souvent jadis jusqu'à la mort et, suivant l'usage, ne mangions qu'avec nos compatriotes depuis la venue de Jésus-Christ, nous prions pour nos ennemis, et, malgré les différences de nations, vivons familièrement dans une sainte société. Nous nous efforçons de convertir nos persécuteurs, et nous pourrions en citer plusieurs qui ont déjà changé de vie, en voyant les vertus des chrétiens. Les préceptes de ce Crucifié sont aussi admirables que courts et concis ; quelle pureté divine dans sa morale, par exemple sur la chasteté il condamne jusqu'aux pensées contraires à cette vertu. Il y a [saint Justin parle de son temps] plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe, qui, à l'âge de soixante à soixante-dix ans, conservent la pureté, ayant suivi dès l'enfance la doctrine de Jésus-Christ ; et je me vante d'en pouvoir montrer de tels dans toutes les conditions je ne parle pas du nombre infini de ceux qui, du désordre, ont passé à la vie réglée."
Le Saint continue de rapporter les préceptes de l'Evangile, sur l'amour des ennemis, sur l'aumône et le désintéressement, sur la patience, sur l'obéissance aux princes. Il prouve ensuite la vérité de la religion chrétienne par les prophéties il rapporte les principales qui regardent Jésus-Christ :
" Si vous voulez savoir, dit-il, comment tout ce qui avait été prédit sur la passion de Jésus-Christ s'est accompli, lisez les Actes de Pilate." [relation du procès de Jésus-Christ envoyée à l'empereur Tibère].
Il renvoie à ces mêmes actes pour prouver que Jésus-Christ a guéri des aveugles et des lépreux, et ressuscité des morts. Il fait voir que la ruine de Jérusalem et la propagation du christianisme se sont accomplies telles qu'elles avaient été prédites ; il prétend que les philosophes ont emprunté aux Prophètes plusieurs de leurs dogmes, Platon, en particulier, à Moïse, et il montre très-bien que l'Eglise, seule bonne maîtresse du genre humain, communique la lumière et la sagesse, non pas à quelque initiés, mais a tous, aux plus petits :
" Chez nous, dit-il, on peut apprendre ces vérités de ceux mêmes qui ne savent pas lire, qui sont grossiers et barbares pour le langage, mais sages et fidèles par l'esprit."
Il fait remarquer ensuite que les empereurs permettaient le libre exercice de toutes les religions, excepté de la religion chrétienne, et qu'ils laissaient même des imposteurs se faire reconnaître comme Dieu.
" On fait une absurde calomnie, lorsqu'on accuse ces Chrétiens de manger des enfants les chrétiens ont la plus grande tendresse, le plus grand respect pour les enfants nous ne nous marions, dit-il, que pour élever des enfants ; quand nous renonçons au mariage, c'est pour garder la continence parfaite. Mais les païens ont la coutume d'exposer les enfants, quand ils ne veulent pas les nourrir, soit par pauvreté, soit pour quelque autre raison, et les philosophes mêmes l'autorisent. Ces enfants, ainsi exposés, périssent, ou sont nourris comme des troupeaux de bétail, et destinés à la prostitution et à des usages qu'on ne peut nommer."
Saint Justin. Détail. Gravure allemande. XVIIe.
Dans la primitive Eglise, les fidèles ne faisaient point connaître aux païens leurs mystères, leurs pratiques, pour ne point les exposer au mépris, à la risée. Saint Justin en parle cependant pour repousser les calomnies ; il explique en quoi consiste le baptême, l'Eucharistie, la messe, la sanctification du dimanche :
" Le jour du soleil [c'est ainsi que les païens nommaient le dimanche], tous ceux qui demeurent à la ville ou à la campagne, s'assemblent en un même lieu, on lit les écrits des Apôtres et des Prophètes ; puis, celui qui préside fait un discours au peuple pour l'exhorter à imiter de si belles choses ; ensuite, nous nous levons tous et nous faisons nos prières ; lorsqu'elles sont faites, on offre, comme je vous l'ai dit, du pain, du vin et de l'eau. Le prélat fait la prière et l'action de grâce, et le peuple répond Amen ; on distribue aux assistants les choses sanctifiées, et on les envoie aux absents par les diacres. On fait une quête, dont le produit, confié au prélat, sert à assister les orphelins, les malades, les pauvres, les prisonniers, les étrangers ; en un mot, le prélat est chargé de tous les nécessiteux. Nous nous assemblons le jour du soleil, parce que c'est le premier où Dieu fit le monde, et que Jésus-Christ ressuscité en ce jour, apparut à ses disciples, et leur enseigna ce que nous vous avons exposé. Si vous trouvez cela raisonnable, respectez-le si vous le jugez ridicule, méprisez-le ; mais ne condamnez pas à mort des gens qui n'ont fait aucun mal."
On croit que cette apologie produisit son effet et fit diminuer la persécution. Antonin envoya en Asie un rescrit où se lisent les paroles suivantes :
" Plusieurs gouverneurs de provinces ayant écrit à mon père au sujet des Chrétiens, il répondit qu'il ne fallait point les inquiéter, à moins qu'ils ne fussent convaincus d'avoir entrepris quelque chose contre l'Etat. Ayant été moi-même consulté sur le même sujet, j'ai répondu que si quelqu'un était accusé simplement d'être chrétien, on devait le renvoyer absous, et faire subir à son accusateur la peine portée par les lois."(Eusèbe, Hist., liv. IV, ch. 13).
D'après Orose et Zonare, ce fut l'apologie de saint Justin qui détermina l'empereur à envoyer un ordre semblable.
Pendant le calme qui succéda à la persécution, notre Saint, qu'on appela un voyageur missionnaire, quitta Rome pour aller en Asie. Avant son retour, sur le point de partir d'Ephèse, lorsqu'il n'attendait plus qu'un temps favorable à la navigation, et se promenait dans les galeries publiques de la ville, son manteau le fit reconnaître pour philosophe ; un autre philosophe, Tryphon, juif le plus renommé de son temps, qui se promenait à ce même endroit, accompagné de six amis ou disciples, l'aborda et eut avec lui un entretien qui dura deux jours.
Saint Justin mit, depuis, ces conférences par écrit et les publia sous le titre de Dialogue avec Tryphon. C'est le plus étendu des écrits de notre Saint. En voici une très-courte analyse.
Saint Justin s'étonne de ce qu'un juif, qui possédait la Bible, cherchât quelque chose pour les grandes vérités religieuses, chez les philosophes qui ne savent rien. Il le prouve en racontant sa propre histoire, sa conversion, et se fait fort de démontrer que la vérité se trouve dans la Bible et dans la doctrine chrétienne. Voilà l'introduction.
Le corps de l'ouvrage se divise en trois parties.
Dans la première, il montre que l'ancienne loi n'était que pour un temps, et qu'elle est maintenant remplacée par la nouvelle.
Dans la deuxième partie, il fait voir que le Christ est Dieu et Sauveur car :
1° Il est le Messie promis dans l'Ancien Testament ;
2° l'Ancien Testament parle déjà d'une seconde personne divine ;
3° l'Ancien Testament parle également de la naissance surnaturelle et de la dignité divine du Christ, de son crucifiement et de la rédemption par la croix ; enfin, de la résurrection générale de tous les hommes.
Dans la troisième partie de son dialogue, saint Justin traite de la vocation des Gentils et de l'établissement de l'Eglise ; il exclut du royaume céleste les hérétiques aussi bien que les infidèles :
" Il me semble, dit saint Justin, que, par ces discours, je devrais persuader les esprits les plus obtus, car ce n'est pas moi qui les ai préparés par un artifice humain. Ce que je vous ai dit, David l'a chanté, Isaïe et Zacharie l'ont prêché, Moïse l'a écrit. Vous le reconnaissez, Tryphon, tout cela se trouve dans vos livres, ou plutôt dans les nôtres car nous les croyons, et vous, vous les lisez sans les entendre."
En effet, nous voyons régner dans ces dialogues de saint Justin, une grande intelligence des saintes Ecritures, surtout des Prophètes. Il en cite tant, et de si longs passages, qu'on est porté à croire qu'il les savait par cœur. Tout ce qui, dans les livres de l'Ancien Testament, peut s'alléguer de plus clair, de plus fort, de plus propre à convaincre l'opiniâtreté judaïque, il l'emploie avec une force si merveilleuse, que Tryphon et ses amis ne savaient que répondre.
Saint Justin répète plusieurs fois, en ce dialogue, que l'Eucharistie est le sacrifice qui doit être offert à Dieu, du levant au couchant, même parmi les Gentils, suivant la prophétie de Malachie, et il nomme expressément l'Eucharistie sacrifice :
" Le pain et la coupe eucharistiques, dit-il, ne sont pas un aliment commun et un breuvage ordinaire, mais la chair et le sang du Verbe de Dieu incarné." (Dial., n. 41).
Il atteste que les dons miraculeux du Saint-Esprit, tels que ceux de guérir les malades et de chasser les démons, par l'invocation du nom de Jésus-Christ, étaient alors fréquents parmi les disciples de Jésus-Christ. Obligé d'admettre que le Christ, vrai Fils de Dieu et vrai Dieu, lumière des nations, devait naître d'une Vierge et être sujet à la souffrance et à la douleur, Tryphon pria Justin de lui démontrer par les prophéties, que le Christ devait souffrir la mort honteuse de la croix, lorsque les livres saints maudissent ceux qui sont condamnés à ce genre de supplice. Justin se mit à lui prouver le mystère de la Croix avec des textes de l'Ecriture, si nombreux, si clairs, mais surtout par le Psaume XXIe, où sont prédits si évidemment la passion et le crucifiement du Messie, que ni Tryphon, ni les siens ne surent que répliquer. Ils quittèrent notre Saint en lui souhaitant une heureuse navigation, tandis que, de son côté, il priait pour eux et leur souhaitait la foi de Jésus-Christ.
De retour à Rome, notre Saint y trouva un philosophe cynique, qui traitait publiquement les chrétiens d'athées et d'impies. C'était Crescent, connu pour ses amours infâmes et son avarice, et, toutefois, pensionné de l'empereur. Justin le provoqua à une conférence publique, où, en présence d'un grand nombre de témoins, il le convainquit clairement, ou d'ignorer absolument ce qui se passait parmi les Chrétiens, ou d'être le plus méchant des hommes d'une souveraine ignorance, si réellement il croyait les chrétiens tels qu'il le publiait hautement ; de la plus noire malice, si, connaissant leur doctrine et leurs mystères, il osait néanmoins les diffamer, et cherchait à les faire passer dans l'esprit des princes, des magistrats et du peuple, pour des hommes sans religion, sans piété, sans Dieu. Cette discussion en public fut très fréquente. Justin en parle dans sa seconde apologie, adressée l'an 167, aux empereurs, au sénat et au peuple romain. Il y réfute admirablement les calomnies qui servaient de prétextes aux persécuteurs des Chrétiens.
Il fait remarquer qu'on mettait à la question des esclaves, des enfants, des femmes, et qu'on leur faisait souffrir des tourments horribles, jusqu'à ce qu'ils avouassent que les chrétiens étaient coupables des incestes et des repas de chair humaine, dont on les accusait. Il ajoute que ces crimes, reprochés aux chrétiens, ne se trouvent que parmi les païens, où l'on a divinisé tous les vices, où l'on honore les dieux par toutes sortes d'infamies ; mais les Chrétiens suivent d'abord les lumières naturelles, qui nous disent ce qui est honnête ou honteux ; ils se rappellent que Dieu est témoin de leurs actions et de leurs pensées ; ils meurent avec une joie qui est une nouvelle preuve de leur innocence. Ils meurent pour avoir refusé d'adorer vos dieux, dit-il aux païens, et ils ont refusé de les adorer, parce que vos dieux ont commis les crimes que vous nous reprochez et en exigent de semblables. Il ne demande qu'une chose pour lui, c'est la publicité de son écrit, afin qu'il puisse gagner des âmes à Jésus-Christ.
Saint Justin disait, dans cette même requête, à l'empereur-philosophe Marc- Aurèle, qu'il s'attendait de jour en jour, d'après les manœuvres des philosophes, surtout de Crescent, à être attaché à un poteau, pour être brûlé vif ou dévoré par les bêtes. Ce qu'il avait prévu s'accomplit. Tatien, son disciple, dit formellement que la mort de saint Justin fut l'ouvrage de ces faux philosophes, surtout de Crescent, irrités de ce que notre Saint leur reprochait sans cesse leur fourberie, leur avarice et la corruption de leurs mœurs. Nous avons la relation authentique du martyre de ce vrai philosophe, qui scella de son sang sa foi et sa doctrine. Nous reproduisons intégralement ces actes, qui ont été conservés dans toute leur pureté.
Sous le règne de Marc-Aurèle, quelques personnes, passionnées pour le culte des idoles, obtinrent de l'empereur qu'on publiât dans toutes les villes de l'empire des édits contre ceux qui faisaient profession de la véritable religion. Ces édits portaient qu'en quelque lieu qu'on trouvât un chrétien, on s'en saisît, et qu'on l'obligeât sur l'heure à sacrifier aux dieux. Ce fut alors que Justin, et ceux qui étaient avec lui, furent arrêtés et conduits à Rome, où on les fit comparaître devant le tribunal de Rusticus, préfet de la ville.
Ce magistrat, s'adressant à Justin, lui dit :
" Ne veux-tu pas obéir aux dieux et à l'empereur ?"
Justin lui répondit :
" Quiconque obéira à Jésus-Christ notre Sauveur, ne pourra jamais être condamné.
- Quelle science, ou quel art professes-tu, continua le préfet ?
- Jusqu'ici, répliqua Justin, j'ai travaillé à acquérir toutes les connaissances naturelles et humaines, et il n'y a point de genre d'érudition où ma curiosité ne m'ait fait faire quelques progrès ; mais enfin je me suis fixé à la science dos Chrétiens, quoiqu'elle ne soit pas du goût de ceux qui n'en ont que pour l'erreur.
- Quoi ! Misérable, reprit Rusticus, cette science peut-elle te plaire ?
- Oui, sans doute, répliqua Justin, parce qu'elle me fait marcher avec les chrétiens dans la voie de la vérité, et qu'elle contient une doctrine droite et pure.
- Quelle est cette doctrine ? dit le préfet.
- La doctrine que suivent les Chrétiens, répondit Justin, consiste à croire qu'il n'y a qu'un Dieu qui a créé toutes les choses qui se voient et toutes celles qui ne tombent pas sous les sens ; à reconnaître un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, prédit autrefois et annoncé aux hommes par les Prophètes, et qui doit venir juger tout le genre humain. C'est lui qui est l'auteur du salut, et c'est lui qui l'est venu publier dans le monde. Il veut bien être le maître de ceux qui aiment à apprendre de lui les vérités qu'il enseigne. Pour moi, qui suis un homme sans intelligence, j'avoue que j'ai trop peu de lumières pour pouvoir parler de sa divinité d'une manière qui soit digne d'elle. Il n'appartient qu'aux Prophètes de pénétrer dans cet abîme de grandeur, et ce sont eux qui, par l'inspiration de Dieu, ont prédit l'avènement de celui que je viens de nommer son Fils, et ils l'ont prédit plusieurs siècles avant qu'il parût sur la terre."
Procès de saint Justin et de ses compagnons.
Le préfet lui demanda où les chrétiens s'assemblaient. Justin lui répondit qu'il était libre à chacun de se trouver partout où il pouvait :
" Penses-tu, continua-t-il, que nous ayons un lieu déterminé où nous tenions ordinairement nos assemblées ? Nullement. Sache que le Dieu des chrétiens n'est pas enfermé dans un lieu ; il est immense, aussi bien qu'invisible, et il remplit le ciel et la terre. Ainsi il est adoré en tous lieux, et chaque fidèle lui peut rendre hommage en quelque lieu que ce soit.
- Je veux savoir, repartit le préfet, où vous vous assemblez tous, et particulièrement le lieu où tes disciples te vont écouter.
- Je te dirai bien où je demeure, répondit Justin, j'ai logé jusqu'ici tout près d'un nommé Martin, en face du bain Timiotinum. Voici la seconde fois que je viens à Rome, et je ne connais aucun autre logement ; si quelqu'un a voulu me venir trouver, je ne lui ai pas caché la doctrine de la vérité, et je lui ai volontiers communiqué ce que j'en savais.
- Tu es donc chrétien ? lui dit le préfet.
- Oui, je le suis, répondit Justin."
Alors le préfet, se tournant vers Chariton, lui dit :
" Et toi, es-tu Chrétien ?"
Chariton lui répondit :
" Oui, je le suis, par la grâce de Dieu."
Le préfet fit avancer une femme nommée Charitana, et il lui demanda si elle était Chrétienne elle dit qu'elle aussi était Chrétienne, par la miséricorde du Seigneur. Le préfet interrogea aussi Evelpiste sur sa religion et sur sa condition. Evelpiste répondit :
" Je suis serviteur de l'empereur, mais je suis chrétien et affranchi de Jésus-Christ ; et par un effet de sa bonté, j'ai la même espérance que ceux que tu vois, et je vis comme eux dans la même attente."
Le préfet s'adressa ensuite à Hiérax, et lui demanda s'il était Chrétien :
" Assurément, répondit Hiérax, je suis Chrétien, j'adore le même Dieu que ces autres adorent.
- Est-ce Justin, dit le qui t'a fait, Chrétien ?
- Moi, répondit Hiérax, j'ai été Chrétien et je le serai.
Martyre de saint Justin. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.
Un nommé Péon, qui était présent, dit tout haut :
" Je suis chrétien aussi.
- Et qui t'a instruit ? répliqua le préfet.
- Ce sont mes parents, répondit Péon."
Evelpiste ajouta :
" J'écoutais avec plaisir les Instructions de Justin, mais j'ai aussi appris de mes parents à être chrétien."
Le préfet lui dit :
" Où sont, tes parents ?
- Ils sont en Cappadoce, repartit Evelpiste."
Le préfet posa même question à Hiérax, qui lui fit cette réponse :
" Notre véritable Père, c'est Jésus-Christ, et la foi est notre véritable mère ; c'est par elle que nous croyons en lui. A l'égard des parents que j'ai eus sur la terre, ils sont morts. Au reste, j'ai été tiré de la Phrygie, et l'on m'a amené ici."
Le préfet demanda à Libérien ce qu'il disait, et s'il était aussi chrétien et impie envers les dieux. Libérien répondit qu'il était chrétien, et qu'il adorait le vrai Dieu.
Le préfet revenant à Justin, lui dit :
" Ecoute, toi qui fais l'orateur, et qui te piques d'éloquence et de doctrine, toi qui crois posséder la vraie sagesse, quand je t'aurai fait déchirer à coups de fouet de la tête aux pieds, penses-tu monter au ciel en cet état ?
- J'espère, répondit Justin, que si je souffre pour Jésus-Christ le supplice dont tu me menaces, je recevrai de lui ce qu'ont déjà reçu ceux qui ont gardé ses préceptes car je sais que la grâce de Dieu est réservée jusqu'à la fin du monde à tous ceux qui auront ainsi vaincu.
- Tu t'imagines donc, lui dit le préfet, qu'une grande récompense t'attend dans le ciel ?
- Je ne me l'imagine pas, reprit Justin ; je le sais, et j'en suis si convaincu, que je n'en ai pas le moindre doute."
Le préfet dit :
" Laissons tout cela ; venons au fait, et à ce qui est plus pressé : réunissez-vous tous, et, animés d'un même esprit, préparez-vous à sacrifier aux dieux."
Justin, prenant la parole au nom de tous, dit :
" Un homme de bon sens n'abandonnera jamais la véritable piété pour courir après l'impiété et l'erreur."
Le préfet dit :
" Si vous n'obéissez à notre ordonnance, vous pouvez vous attendre à être traités sans aucune miséricorde."
Saint Justin répondit :
" Nous ne nous souhaitons rien avec plus d'ardeur que de soutenir pour Notre Seigneur Jésus-Christ, et que d'aller à lui par les tourments. C'est ce qui nous donnera de la confiance devant son tribunal terrible, où tous les hommes doivent comparaître, pour être jugés."
Tous dirent la même chose, et ajoutèrent :
" Fais ce que tu voudras nous sommes Chrétiens, et nous ne sacrifierons point aux idoles."
Le préfet ayant entendu ces paroles, prononça cette sentence :
" Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux, ni obéir à l'ordonnance de l'empereur, soient battus des verges et conduits au lieu du supplice, pour y perdre la tête, ainsi que les lois l'ordonnent."
Les saints martyrs furent donc menés au lieu où l'on exécutait les criminels ; et là, parmi les louanges, les actions de grâces et les bénédictions qu'ils donnaient à Dieu, ils furent d'abord fouettés et eurent ensuite la tête tranchée, confessant leur Sauveur jusqu'au dernier soupir. Après leur mort, quelques fidèles enlevèrent secrètement leurs corps et les enterrèrent en un lieu décent.
La cathédrale de Coutances possède de nos jours quelques reliques de saint Justin.
On donne pour attribut à saint Justin la hache ou le glaive ; on le représente aussi discourant en face de la mer.
Décollation de saint Justin et de ses compagnons.
ÉCRITS DE SAINT JUSTIN, SAINT QUADRAT ET SAINT ARISTIDE
Les meilleures éditions des œuvres de saint Justin, avec une tradition latine et des notes
savantes, ont été données :
1° Par le bénédictin de Saint-Maur, dom Prudence Maran (1742, Paris, in-fol.), en même
temps que les œuvres de Tatien, Athénagore. Théophile et Hermias, avec une savante préface. La réimpression, faite à Würtzbourg (1777, 3 vol. in-8°), n'a pas grande valeur.
2° Récemment, par le docteur Otto (1842, Iéna, 3 vol. in-S"), dont une nouvelle édition à part, en 1847-50, sous le titre : Corpus Apologetarum Christ, saeculi secundi ; nous ne parlons pas de l'édition de M. Migne, que tout le monde connait.
M. de Genoude a donne une nouvelle traduction des œuvres de saint Justin. (Les Pères des trois premiers siècles, traduits en français, 6 vol. in-8°, 1837-1843.).
M. Henry de Riancey a aussi traduit la première apologie. (Choix des Pères, 1837).
Il existe deux Monographies de saint Justin, l'une du docteur Otto : De Justini martyris scriptis et doctrina (Ienae, 1841) ; l'autre de Semisch : Justin le Martyr. (Breslau, 1840, 2 vol.).
Saint Justin. Gravure. Jacques Callot. XVIIe.
On admet généralement que l'apologie de saint Justin fut précédée de celle de saint Quadrat et de celle de saint Aristide :
- Saint Quadrat, disciple des Apôtres, avait reçu !e don de prophétie. Publius, successeur de saint Denys l’Aréopagite sur le siège épiscopal d'Athènes, ayant reçu la couronne du martyre, sous l'empire d'Adrien, vers l'an 125 de Jésus-Christ, saint Quadrat lui succéda sa foi et son zèle ranimèrent le courage des fidèles que la terreur de la persécution avait dispersés.
L'empereur Adrien, étant venu pour la seconde fois à Athènes, en l'an 124, s'y fit initier aux mystères d'Eleusine. La persécution, qui avait déjà commencé contre les chrétiens, devint plus forte depuis cette initiation. C'est ce qui engagea Quadrat prendre la défense de la religion chrétienne dans une apologie qu'il adressa à l’empereur en 126. Saint Quadrat déploya tant d'énergie et de logique dans cette pièce que, dire de saint Jérôme, elle eut la force d'éteindre la persécution dont l'Eglise était alors agitée. Le même saint Jérôme appelle cet ouvrage digne d'un disciple des Apôtres.
Il ne nous reste qu'un fragment dans lequel Quadrat démontre la divinité des miracles de Jésus-Christ par leur permanence. Les prétendus prodiges des imposteurs n'ont pas ce caractère (cf. Dom Ceillier, t. I ; Patrol. de Migne, t. V.).
- Saint Aristide était athénien de naissance et philosophe de profession il en garda l'habit lorsqu’il embrassa la foi ce que fit aussi saint Justin.
Saint Aristide partage avec saint Quadrat l'honneur d'avoir, par son Apologie du Christianisme, rendu la paix à l'Eglise pour quelques années. Il soutint la divinité de Jésus-Christ devant Adrien, non-seulement par ses écrits, mais par un éloquent discours que ce prince lui permit de prononcer en sa présence.
On dit que l'apologie d'Aristide existe encore au monastère de Medelli, à six kilomètres d'Athènes ce serait à vérifier.
00:15 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 29 mars 2024
29 mars. Saint Jonas, saint Barachisius, frères, et leurs saints compagnons, martyrs. 326.
Pape : Saint Sylvestre Ier. Roi des Perses : Sapor Ier.
Saint Jonas et saint Barachisius. Gravure de Jacques Callot. XVIIe.
La dix-huitième année de son règne, Sapor, croyant qu'il était de sa politique de persécuter l'Église du Christ, renversa les églises et les autels, brûla les monastères, et accabla de vexations les chrétiens. Il voulait leur faire renier le culte du Dieu créateur pour celui du feu, du soleil et de l'eau : quiconque refusait d'adorer ces divinités était torturé.
Il y avait dans la ville de Beth-Asa deux frères également vertueux et chers à tous les chrétiens ; ils se nommaient Jonan et Berikjesu. Connaissant les tourments qu'on faisait subir, en divers lieux, aux chrétiens, pour les forcer à renier, ils résolurent de s'y rendre incontinent. Arrivés à la ville de Hubaham, et désirant tout voir par eux-mêmes, ils pénétrèrent jusqu'à la prison publique, pour y visiter les chrétiens. Ils en trouvèrent un grand nombre qui avaient résisté à plusieurs épreuves; ils les animèrent à persévérer, leur apprirent à trouver dans les Écritures des réponses pour confondre les juges ; et le succès de leurs exhortations fut tel que, parmi ces chrétiens, les uns confessèrent devant les tyrans et les autres cueillirent la palme du martyre ; ces derniers furent au nombre de neuf : Zébinas, Lazare, Marout, Narsai, Elia, Mahri, Habile, Saba et Schembaitch.
A la vue de plusieurs chrétiens dans les tourments, ils les encouragèrent ainsi :
" Ne craignez rien, leur dirent-ils, combattons, mes frères, pour le nom de Jésus crucifié, et nous obtiendrons, comme nos devanciers, la glorieuse couronne promise aux vaillants soldats de la foi."
Soutenues par ces paroles, les victimes consommèrent sans faiblesse leur sacrifice. Mais il n'en fallait pas davantage pour exciter la colère des ministres du roi. Jonas et Barachisius sont arrêtés et menacés de mort s'ils n'adorent les dieux de la Perse, le soleil, le feu et l'eau. Leur refus est suivi de cruelles tortures.
Jonas, attaché à un pieu, est frappé de verges couvertes d'épines jusqu'à ce que ses côtes soient mises à nu ; mais il bénit et glorifie le Seigneur. On le traîne alors, une chaîne aux pieds, sur un étang glacé pour y passer la nuit.
Pendant ce temps, Barachisius confond à son tour la folie des adorateurs des idoles, et affirme que jamais il n'adorera que Celui qui est le Créateur tout-puissant du soleil, du feu et de l'eau. On lui verse du plomb fondu sur les yeux, dans la bouche, dans le nez et les oreilles, puis on le suspend par un pied dans sa prison.
Le lendemain, le combat recommence pour les deux frères. Aux questions railleuses de ses bourreaux, Jonas répond :
" Dieu ne m'a jamais donné une nuit plus heureuse ni plus tranquille ", puis il leur parle avec une éloquence et une sagesse qui les ravissent d'étonnement et d'admiration malgré eux, sans toutefois diminuer leur barbarie. Ils coupent par phalanges les doigts des mains et des pieds du saint martyr, et ensuite le jettent dans une chaudière de poix bouillante, après lui avoir ôté la peau de la tête. La poix bouillante l'ayant épargné, ils le placent sous un pressoir à vis et le broient en faisant tourner sur lui cet horrible instrument ; et c'est dans ce supplice que Jonas termina son combat victorieux.
Quant à son frère Barachisius, il ne fut pas moins admirable. Jeté dans un buisson d'épines aiguës, on ne l'en retira que pour enfoncer dans sa chair des pointes de roseaux et les arracher violemment. Au lieu de se plaindre, la douce victime, à l'exemple du Maître, priait pour ses ennemis. Son corps fut ensuite broyé sous le même pressoir où son frère avait expiré.
00:15 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 28 mars 2024
28 mars. Saint Jean de Capistran, général de l'Ordre des Frères Mineurs, légat du Saint-Siège. 1456.
- Saint Jean de Capistran, général de l'Ordre des Frères Mineurs, légat du Saint-Siège. 1456.
Pape : Callixte III. Empereurs : Frédéric III.
" Si Dieu ne se proposait de mettre en possession de son héritage ceux qui sont éprouvés, Il ne prendrait pas soin de les former par la tribulation."
Saint Antonin de Florence.
Saint Jean de Capistran. Bartolomeo Vivarini. XVe.
Plus l’Eglise semble approcher du terme de ses destinées, plus aussi l’on dirait qu’elle aime à s’enrichir de fêtes nouvelles rappelant le glorieux passé. C'est qu'en tout temps du reste, un des buis du Cycle sacré est de maintenir en nous le souvenir des bienfaits du Seigneur. " Ayez mémoire des anciens jours, considérez l'histoire des générations successives ", disait déjà Dieu sous l'alliance du Sinaï (Deut. XXXII, 7.) ; et c'était une loi en Jacob, que les pères rissent connaître à leurs descendants, pour qu'eux-mêmes les transmissent à la postérité, les récits antiques (Psalm. LXXVII, 5.). Plus qu'Israël qu'elle a remplacé, l'Eglise a ses annales remplies des manifestations de la puissance de l'Epoux ; mieux que la descendance de Juda, les fils de la nouvelle Sion peuvent dire, en contemplant la série des siècles écoulés : " Vous êtes mon Roi, vous êtes mon Dieu, vous qui toujours sauvez Jacob !" (Psalm. XLIII, 5.).
Tandis que s'achevait en Orient la défaite des Iconoclastes, une guerre plus terrible, où l'Occident devait lutter lui-même pour la civilisation et pour l'Homme-Dieu, commençait à peine. Comme un torrent soudain grossi, l'Islam avait précipité de l'Asie jusqu'au centre des Gaules ses flots impurs ; pied à pied, durant mille années, il allait disputer le sol occupé par les races latines au Christ et à son Eglise. Les glorieuses expéditions des XIIe et XIIIe siècles, en l'attaquant au centre même de sa puissance, ne firent que l'immobiliser un temps. Sauf sur la terre des Espagnes, où le combat ne devait finir qu'avec le triomphe absolu de la Croix, on vit les princes, oublieux des traditions de Charlemagne et de saint Louis, délaisser pour les conflits de leurs ambitions privées la guerre sainte, et bientôt le Croissant, défiant à nouveau la chrétienté, reprendre ses projets de conquête universelle.
En 1453, Byzance, la capitale de l'empire d'Orient, tombait sous l'assaut des
janissaires turcs ; trois ans après, Mahomet II son vainqueur investissait Belgrade, le boulevard de l'empire d'Occident. Il eût semblé que l'Europe entière ne pouvait manquer d'accourir au secours de la place assiégée. Car cette dernière digue forcée, c'était la dévastation immédiate pour la Hongrie, l'Autriche et l'Italie ; pour tous les peuples du septentrion et du couchant, c'était à bref délai la servitude de mort où gisait cet Orient d'où nous est venue la vie, l'irrémédiable stérilité du sol et des intelligences dont la Grèce, si brillante autrefois, reste encore aujourd'hui frappée.
Saint Jean de Capestran. Gaetano Lapis. XVIIIe.
Or toutefois, l'imminence du danger n'avait eu pour résultat que d'accentuer la division lamentable qui livrait le monde chrétien à la merci de quelques milliers d'infidèles. On eût dit que la perte d'autrui dût être pour plusieurs une compensation à leur propre ruine ; d'autant qu'à cette ruine plus d'un ne désespérait pas d'obtenir délai ou dédommagement, au prix de la désertion de son poste de combat. Seule, à rencontre de ces égoïsmes, au milieu des perfidies qui se tramaient dans l'ombre ou déjà s'affichaient publiquement, la papauté ne s'abandonna pas. Vraiment catholique dans ses pensées, dans ses travaux, dans ses angoisses comme dans ses joies et ses triomphes, elle prit en mains la cause commune trahie par les rois. Econduite dans ses appels aux puissants, elle se tourna vers les humbles, et plus confiante dans sa prière au Dieu des armées que dans la science des combats, recruta parmi eux les soldats de la délivrance.
C'est alors que le héros de ce jour, saint Jean de Capistran, depuis longtemps déjà redoutable à l'enfer, consomma du même coup sa gloire et sa sainteté. A la tête d'autres pauvres de bonne volonté, paysans, inconnus, rassemblés par lui et ses Frères de l'Observance, le pauvre du Christ ne désespéra pas de triompher de l'armée la plus forte, la mieux commandée qu'on eût vue depuis longtemps sous le ciel. Une première fois, le 14 juillet 1456, rompant les lignes ottomanes en la compagnie de Jean Hunyade, le seul des nobles hongrois qui eût voulu partager son sort, il s'était jeté dans Belgrade et l'avait ravitaillée. Huit jours plus tard, le 22 juillet, ne souffrant pas de s'en tenir à la défensive, sous les yeux d'Hunyade stupéfié par cette stratégie nouvelle, il lançait sur les retranchements ennemis sa troupe armée de fléaux et de fourches, ne lui donnant pour consigne que de crier le nom de Jésus à tous les échos.
C'était le mot d'ordre de victoire que saint Jean de Capistran avait hérité de Bernardin de Sienne son maître :
" Que l'adversaire mette sa confiance dans les chevaux et les chars ; pour nous, nous invoquerons le Nom du Seigneur." (Psalm. XIX, 8.).
Et en effet, le Nom toujours " saint et terrible " (Psalm. CX, 9.) sauvait encore son peuple. Au soir de cette mémorable journée, vingt-quatre mille Turcs jonchaient le sol de leurs cadavres ; trois cents canons, toutes les armes, toutes les richesses des infidèles étaient aux mains des chrétiens ; Mahomet II, blessé, précipitant sa fuite, allait au loin cacher sa honte et les débris de son armée.
Ce fut le 6 août que parvint à Rome la nouvelle d'une victoire qui rappelait celle de Gédéon sur Madian (Judic. VII.). Le Souverain Pontife, Callixte III, statua que désormais toute l'Eglise fêterait ce jour-là solennellement la glorieuse Transfiguration du Seigneur. Car en ce qui était des soldats de la Croix, " ce n'était pas leur glaive qui avait délivré la terre, ce n'était pas leur bras qui les avait sauvés, mais bien votre droite et la puissance de votre bras à vous, Ô Dieu, et le resplendissement de votre visage, parce que vous vous étiez complu en eux " (Psalm. XLIII , 4.), " comme au Thabor en votre Fils bien-aimé " (Matth. XVII, 5.).
Saint Jean naquit à Capestrano dans les Abruzzes. Envoyé pour ses études à Pérouse, il profita grandement dans les sciences chrétiennes et libérales Sa connaissance éminente du droit le fit appeler par le roi de Naples Ladislas au gouvernement de plusieurs villes. Or, tandis qu'il s'en acquittait saintement et s'efforçait dans des temps troublés de ramener la paix, lui-même est jeté dans les fers. Délivré miraculeusement, il embrasse la règle de saint François d'Assise parmi les Frères Mineurs. Dans les lettres divines il eut pour maître saint Bernardin de Sienne, dont il devint le parfait imitateur pour la vertu, pour la propagation surtout du culte du très saint nom de Jésus et delà Mère de Dieu. Il refusa l'évêché d'Aquila. Son austérité, ses nombreux écrits pour la réforme des moeurs le rendirent célèbre.
Tout adonné à la prédication de la parole de Dieu, il parcourut en s'acquittant de cet office l'Italie presque entière, ramenant d'innombrables âmes dans les voies du salut par la force de son éloquence et ses miracles répétés. Martin V l'établit inquisiteur pour l'extinction de la secte des Fratricelles.
Nommé par Nicolas V inquisiteur général en Italie contre les Juifs et les Sarrasins, il en convertit un grand nombre à la foi du Christ. En Orient, il fut le promoteur de beaucoup d'excellentes mesures ; au concile de Florence, où on le vit briller comme un soleil, il rendit à l'Eglise catholique les Arméniens. Sur la demande de l'empereur Frédéric III, le même Nicolas V l'envoya comme nonce du Siège apostolique en Allemagne, pour qu'il y rappelât les hérétiques à la foi véritable et l’esprit des princes à la concorde. Un ministère de six années en ce pays et dans d'autres provinces lui permit d'accroître merveilleusement la gloire de Dieu, amenant sans nombre au sein de l'Eglise, par la vérité de la doctrine et l'éclat des miracles, Hussites, Adamites, Thaborites et Juifs.
Saint Bernardin de Sienne et saint Jean de Capestran.
Callixte III ayant résolu, principalement à sa prière, de promouvoir la croisade, Jean parcourut sans repos la Hongrie et d'autres contrées, excitant par lettres ou discours les princes à la guerre, enrôlant dans un court espace de temps soixante-dix mille chrétiens. C'est surtout à sa prudence, à son courage, qu'est due la victoire de Belgrade, où cent vingt mille Turcs furent partie massacrés, partie mis en fuite. La nouvelle de cette victoire étant arrivée à Rome le huit des ides d'août, Callixte III, en perpétuelle mémoire, consacra ce jour en y fixant la solennité de la Transfiguration du Seigneur. Atteint d'une maladie mortelle, Jean fut transporté à Illok, où plusieurs princes étant venus le visiter, il les exhorta à la défense de la religion, et rendit saintement à Dieu son âme.
On était en l'année du salut mil quatre cent cinquante-six. Dieu confirma sa gloire après sa mort par beaucoup de miracles, lesquels ayant été prouvés juridiquement, Alexandre VIII le mit au nombre des Saints l'an mil six cent quatre-vingt-dix. Au second centenaire de sa canonisation, Léon XIII a étendu son Office et sa Messe à toute l'Eglise.
Statue de saint Jean de Capestran à la gloire de la défense de la
PRIERE
" Le Seigneur est avec vous, Ô le plus fort des hommes ! Allez dans cette force qui est la vôtre, et délivrez Israël, et triomphez de Madian : " sachez que c'est moi qui vous ai envoyé " (Judic. VI.). Ainsi l'Ange du Seigneur saluait Gédéon, quand il le choisissait pour ses hautes destinées parmi les moindres de son peuple ! Ainsi pouvons-nous, la victoire remportée, vous saluer à notre tour, Ô fils de François d'Assise, en vous priant de nous aide toujours. L'ennemi que vous avez vaincu sur les champs de bataille n'est plus à redouter pour notre Occident ; le péril est bien plutôt où Moïse le signalait pour son peuple après la délivrance, quand il disait :
" Prenez garde d'oublier le Seigneur votre Dieu, de peur qu'après avoir écarté la famine, bâti de belles maisons, multiplié vos troupeaux, votre argent et votre or, goûté l'abondance de toutes choses, votre coeur ne s'élève et ne se souvienne plus de Celui qui vous a sauvés de la servitude." (Deut. VIII, 11-14.).
Si, en effet, le Turc l'eût emporté, dans la lutte dont vous fûtes le héros, où serait cette civilisation dont nous sommes si fiers ? Après vous, plus d'une fois, l'Eglise dut assumer sur elle à nouveau l'œuvre de défense sociale que les chefs des nations ne comprenaient plus. Puisse la reconnaissance qui lui est due préserver les fils de la Mère commune de ce mal de l'oubli qui est le fléau de la génération présente ! Aussi remercions-nous le ciel du grand souvenir dont resplendit par vous en ce jour le Cycle sacré, mémorial des bontés du Seigneur et des hauts faits des Saints. Faites qu'en la guerre dont chacun de nous reste le champ de bataille, le nom de Jésus ne cesse jamais de tenir en échec le démon, le monde et la chair ; faites que sa Croix soit notre étendard, et que par elle nous arrivions, en mourant à nous-mêmes, au triomphe de sa résurrection."
00:15 Publié dans J | Lien permanent | Commentaires (1)