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dimanche, 30 septembre 2007

30 septembre 2007. XVIIIe dimanche après la Pentecôte.

- XVIIIe dimanche après la Pentecôte.

Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger.


La guérison du paralytique. Louis Durameau. XVIIIe.

Le paralytique portant son lit forme le sujet de l'Evangile du jour, et donne son nom au dix-huitième Dimanche après la Pentecôte. On a pu remarquer que le rang d'inscription de ce Dimanche le place, au Missel, à la suite des Quatre-Temps d'automne. Nous ne discuterons pas, avec les liturgistes du moyen âge (Berno Aug. Cap. V ; etc.), la question de savoir s'il doit être considéré comme ayant pris la place du Dimanche vacant qui suivait toujours autrefois l'Ordination des ministres sacrés (Microlog. Cap. XXIX.), en la manière que nous avons dite ailleurs (Avent. Samedi des Quatre-Temps). De très anciens manuscrits, Sacramentaires et Lectionnaires, l'appellent de ce nom, sous la formule bien connue : Dominica vacat (Thomasii Opp. Edit. Vezzosi, t. V, p. 148, 149, 309.).

Il n'est pas non plus sans intérêt d'observer que la Messe de ce jour est la seule où soit interverti l'ordre des lectures tirées de saint Paul et formant le sujet des Epîtres, depuis le sixième Dimanche après la Pentecôte : la lettre aux Ephésiens, déjà en cours de lecture et qui sera continuée, s'interrompt aujourd'hui pour donner place au passage de la première Epître aux Corinthiens, dans lequel l'Apôtre rend grâces à Dieu de l'abondance des dons gratuits accordés à l'Eglise en Jésus-Christ. Or, les pouvoirs conférés par l'imposition des mains aux ministres de l'Eglise sont le don le plus merveilleux que connaissent la terre et le ciel même ; et d'un autre côté, les autres parties de cette Messe se rapportent très bien aussi, comme on le verra, aux prérogatives du sacerdoce nouveau.

La liturgie du présent Dimanche offre donc un intérêt spécial, quand il se rencontre au lendemain des Quatre-Temps de septembre. Mais cette rencontre est loin d'être régulière, aujourd'hui du moins ; nous ne saurions nous arrêter davantage sur ces considérations, sans entrer trop exclusivement dans le domaine de l'archéologie et dépasser les bornes qui nous sont imposées.


La guérison du paralytique. Gustave Doré. XIXe.

A LA MESSE

L'introït des Messes dominicales, depuis la Pentecôte, avait toujours été tiré des Psaumes. Parcourant le Psautier du XIIe au CXVIIIe, l'Eglise, sans jamais revenir en arrière sur l'ordre d'inscription de ces chants sacrés, avait pu néanmoins choisir en eux l'expression qui convenait davantage aux sentiments qu'elle voulait formuler dans sa Liturgie. Désormais, sauf une fois encore où le livre par excellence de la louange divine sera de nouveau mis à contribution pour cet objet, c'est à divers autres livres de l'Ancien Testament que les Antiennes d'Introït seront empruntées. Aujourd'hui, Jésus fils de Sirach, l'auteur inspiré de l'Ecclésiastique, demande à Dieu de vérifier, par l'accomplissement de ce qu'ils ont annoncé, la fidélité des prophètes du Seigneur (Eccli. XXXVI, 18.). Les interprètes des oracles divins sont maintenant les pasteurs, que l'Eglise envoie prêcher en son nom la parole du salut et de la paix ; demandons, nous aussi, que jamais la parole ne soit vaine en leur bouche.

EPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. I, Chap. I.

" Mes Frères, je rends grâces à mon Dieu continuellement pour vous , à cause de la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus, parce que vous avez été enrichis en lui dans toutes choses, dans la parole et dans la science, le témoignage du Christ ayant été ainsi confirmé en vous : de sorte que rien ne vous manque en aucune grâce dans l'attente de la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vous gardera encore jusqu'à la fin sans péché pour le jour de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ."

Le dernier avènement du Fils de Dieu n'est plus éloigné. L'approche du dénouement qui doit donner la pleine possession de l'Epoux à l'Eglise redouble ses espérances ; mais le jugement final, qui doit consommer en même temps la réprobation d'un grand nombre de ses fils, joint chez elle la crainte au désir, et ces deux sentiments vont se faire jour plus souvent désormais dans la sainte Liturgie.

L'attente sans doute n'a point cessé d'être pour l'Eglise comme le fonds même de son existence. Séparée de l'Epoux quant à la vision de ses charmes divins, elle n'eût fait depuis sa naissance que soupirer dans la vallée de l'exil, si l'amour qui la pousse ne l'eût pressée de se dépenser, sans retour sur elle-même, pour celui à qui allait tout son cœur. Sans compter donc, elle s'est donnée par le travail, la souffrance, la prière et les larmes. Mais son dévouement, tout généreux qu'il fût, ne lui a point fait oublier l'espérance. Un amour sans désir n'est point la vertu de l'Eglise; elle le condamne, dans ses fils, comme une injure à l'Epoux.

Si légitimes et si véhémentes à la fois étaient dès l'origine ses aspirations, que l'éternelle Sagesse voulut ménager l'Epouse, en lui cachant la durée de l'exil. L'heure de son retour est le seul point sur lequel Jésus, interrogé par les Apôtres, ait refusé de renseigner son Eglise (Matth. XXIV, 3, 36.). Un tel secret entrait dans les vues générales du gouvernement divin sur le monde ; mais c'était aussi, de la part de l'Homme-Dieu, compassion et tendresse : l'épreuve eût été trop cruelle ; et mieux valait laisser l'Eglise à la pensée, véritable d'ailleurs, de la proximité de la fin devant Dieu, pour qui mille ans sont comme un jour (II Petr. III, 8.).

C'est ce qui nous explique la complaisance avec laquelle les Apôtres, interprètes des aspirations de la sainte Eglise, reviennent sans cesse, dans leurs paroles, sur l'affirmation de l'avènement prochain du Seigneur. Le chrétien, saint Paul vient de nous le dire jusqu'à deux fois en une même phrase, est celui qui attend la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ au jour qu'il viendra. Appliquant au second avènement, dans sa lettre aux Hébreux, les soupirs enflammés des Prophètes aspirant au premier (Habac II, 3.) : Encore un peu, un très peu de temps, dit-il, et celui qui doit venir viendra, et il ne tardera point (Heb. X, 37.). C'est qu'en effet, sous la nouvelle comme dans l'ancienne alliance, l'Homme-Dieu s'appelle, en raison de sa manifestation finale attendue, celui qui vient (Matth. XI, 3.), celui qui doit venir (Apoc. 1, 8.). Le cri qui terminera l'histoire du monde sera l'annonce de son arrivée : Voici l'époux qui vient (Matth. XXV, 6.) !

" Ceignant donc spirituellement vos reins, dit saint Pierre à son tour, pensez à la gloire du jour où se révélera le Seigneur ; attendez-le, espérez-le d'une parfaite espérance (I Petr. 1, 5, 7, 13.)." Le Vicaire de l'Homme-Dieu prévoyait cependant le parti que les docteurs de mensonge allaient tirer d'une attente si longtemps prolongée. " Où donc est la promesse ? devaient-ils dire ; à quand son arrivée ? Nos pères se sont endormis du grand sommeil, et toutes choses demeurent comme au commencement (II Petr. III, 3-4.)." Or le chef du collège apostolique reprenait par avance, contre eux, la réponse que Paul son frère (Ibid. 15.) avait déjà faite (Rom. II, 4.) : " Ce n'est point, comme quelques-uns pensent, que le Seigneur retarde sa promesse ; mais il agit ainsi dans sa patience, à cause de vous, ne voulant pas, s'il était possible, qu'aucun pérît, mais que tous revinssent à lui par la pénitence Le jour du Seigneur n'en arrivera pas moins comme un voleur, et alors, dans une effroyable tempête, les cieux passeront, les éléments se dissoudront embrasés, la terre et ses ouvrages seront consumés. Puis donc que tout cela doit périr, quels ne devez-vous pas être par la sainteté de votre vie et vos œuvres pieuses, attendant, hâtant de vos désirs l'arrivée de ce jour du Seigneur où le feu dissoudra les éléments et les cieux ? Car nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où habite la justice. C'est pourquoi, mes bien-aimés, faites en sorte que le Seigneur, quand il viendra, vous trouve dans la paix, sans reproche et sans tache (II Petr. m, 9-14.)... Instruits ainsi de toutes choses à l'avance, veillez sur vous, de peur que, vous laissant emporter aux égarements des insensés, vous ne tombiez de l'état si ferme qui est aujourd'hui le vôtre (Ibid. 17.)."

Si, en effet, le péril doit être grand dans ces derniers jours où les vertus des cieux seront ébranlées (Matth. XXIV, 29.), le Seigneur, ainsi que le dit notre Epître, a pris soin de confirmer en nous son témoignage, d'affermir notre foi par les multiples manifestations de sa puissance. Et comme pour vérifier cette autre parole de la même Epître, qu'il confirmera de la sorte jusqu'à la fin ceux qui croient en lui, ses prodiges redoublent en nos temps précurseurs de la fin. Partout le miracle s'affirme à la face du monde ; les mille voix de la publicité moderne en portent les échos jusqu'aux extrémités de la terre. Au nom de Jésus, au nom de ses Saints, au nom surtout de sa Mère immaculée qui prépare le dernier triomphe de l'Eglise, les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent , les maux du corps et de l'âme perdent soudain leur empire. La manifestation de la puissance surnaturelle est devenue si intense, que les services publics, hostiles ou non, doivent en tenir compte ; le tracé des voies ferrées elles-mêmes se plie à la nécessité de porter les peuples aux lieux bénis où Marie s'est montrée. La terre catholique n'est point la seule où éclate le divin pouvoir. Naguère encore, au cœur de l'infidélité musulmane, n'a-t-on pas vu la ville des sultans tressaillir au bruit des merveilles accomplies par la Reine du ciel en ses murs ? l'eau de sa fontaine miraculeuse a pénétré jusqu'en cette cité de la Mecque ouest fixé le tombeau du fondateur de l'Islam, et dans laquelle jadis un chrétien ne pouvait entrer sans mourir.

L'impie a beau dire en son cœur : Il n’y a point de Dieu (Psalm. XIII, 1.) ! S'il n'entend pas le témoignage divin, c'est que la corruption ou l'orgueil prévaut chez lui sur l'intelligence, comme autrefois sur l'intelligence des ennemis de Jésus durant les jours de sa vie mortelle. Pareil est-il à l'aspic du Psaume (Psalm. LVII, 5-6.), qui se rend sourd ; il se bouche les oreilles, pour ne point ouïr la voix de l'enchanteur divin qui veut nous sauver. Sa conduite n'est que rage (Ibid.) et folie (Psalm. XIII, 1.) ; il aura bien mérité la vengeance.

Ne l'imitons point ; mais, avec l'Apôtre, remercions Dieu pour la profusion miséricordieuse dont il fait preuve envers nous. Jamais ses dons gratuits ne furent plus nécessaires qu'en nos temps misérables. Il ne s'agit plus sans doute, chez nous, de promulguer l'Evangile ; mais les efforts de l'enfer sont devenus tels contre lui, qu'il ne faut rien moins, pour le soutenir, qu'un déploiement de la vertu d'en haut pareil, en quelque chose, à celui dont l'histoire des origines de l'Eglise nous retrace le tableau. Demandons au Seigneur des hommes puissants en paroles et en œuvres. Obtenons que l'imposition des mains produise plus que jamais, dans les élus du sacerdoce, son plein résultat ; qu'elle les fasse riches en toutes choses, et spécialement dans la parole et dans la science. Que nos jours, où tout s'éteint, voient du moins la lumière du salut briller vive et pure par les soins des guides du troupeau du Christ. Puissent les compromis et les lâchetés de générations où tout s'étiole et s'amoindrit, ne jamais amener ces nouveaux christs à décroître eux-mêmes, ni à laisser tronquer en leurs mains la mesure de l'homme parfait (Eph. IV, 13.) qui leur fut confiée pour l'appliquer, jusqu'à la fin, atout chrétien soucieux d'observer l'Evangile! Puisse leur voix, en dépit des vaines menaces, et dominant toujours le tumulte des passions déchaînées, retentir partout aussi ferme et vibrante qu'il convient à l'écho du Verbe !

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. IX.

" En ce temps-là , Jésus , montant dans une barque, passa le lac et vint dans sa ville. Et voici qu'on lui présenta un paralytique couché sur un lit. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Ayez confiance, mon fils ; vos péchés vous sont remis. Alors quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. Jésus, ayant vu leurs pensées, dit :
" Pourquoi pensez-vous du mal en vos cœurs ? Quel est le plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis ; ou de dire : Levez-vous et marchez ? Or, pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il alors au paralytique, emportez votre lit, et allez dans votre maison."
Et il se leva, et s'en alla dans sa maison. Le peuple, voyant donc ces choses, fut saisi de crainte, et rendit gloire à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes."


Au XIIe siècle, dans plusieurs Eglises d'Occident, on lisait aujourd'hui, comme Evangile, le passage du livre sacré où Jésus parle des Scribes et des Pharisiens assis sur la chaire de Moïse (Matth. XXIII, 1-12.). L'Abbé Rupert, qui nous fait connaître cette particularité dans son livre Des divins Offices, rapproche heureusement cet ancien Evangile et l'Antienne de l'Offertoire toujours en usage, où il est aussi question de Moïse. " L'Office de ce Dimanche, dit-il, montre éloquemment à celui qui préside dans la maison du Seigneur et qui a reçu la charge des âmes, la manière dont il doit se comporter dans le rang supérieur où l'a placé la vocation divine. Qu'il ne ressemble pas à ces hommes assis indignement sur la chaire de Moïse ; mais qu'il soit comme Moïse lui-même, lequel présente dans l'Offertoire et ses Versets un beau modèle aux chefs de l'Eglise. Les pasteurs des âmes ne doivent pas ignorer, en effet, pour quelle cause ils occupent un lieu plus élevé : à savoir,non tant pour gouverner que pour servir (Rup. De div. Off. XII, 18.)."

L'Homme-Dieu disait des docteurs juifs : " Ce qu'ils disent, faites-le ; ce qu'ils font, gardez-vous de le faire ; car ils disent bien ce qu'il faut faire, mais ne font rien de ce qu'ils disent ". A l'encontre de ces indignes dépositaires de la Loi, ceux qui sont assis dans la chaire de la doctrine " doivent enseigner et agir conformément à leur enseignement, dit Rupert ; ou plutôt, qu'ils fassent d'abord ce qu'il convient de faire, afin de l'enseigner ensuite avec autorité ; qu'ils ne recherchent pas les honneurs et les titres, mais tendent à cet unique but de porter sur eux mêmes les péchés du peuple, et de parvenir à détourner de ceux qui leur sont soumis la colère de Dieu, comme fit Moïse, ainsi que le dit l'Offertoire "(Rup. De div, Off. XII, 18.).

L'Evangile des Scribes et des Pharisiens établis sur la chaire de Moïse a été réservé, depuis, pour le mardi de la deuxième semaine de Carême. Mais celui qui est maintenant partout en usage, n'éloigne point nos pensées de la considération des pouvoirs suréminents du sacerdoce, qui sont le bien commun de l'humanité régénérée. Les fidèles dont l'attention, en ce jour, était autrefois attirée sur le droit d'enseigner confié aux pasteurs, méditent maintenant sur la prérogative qu'ont ces mêmes hommes de pardonner les péchés et de guérir les âmes. De même qu'une conduite en contradiction avec leur enseignement n'enlèverait rien à l'autorité de la chaire sacrée, d'où ils dispensent pour l'Eglise et en son nom le pain de la doctrine à ses fils, l'indignité de leur âme sacerdotale ne diminuerait pas non plus, dans leurs mains, la puissance des clefs augustes qui ouvrent le ciel et ferment l'enfer. Car, c'est le Fils de l'homme, c'est Jésus qui par eux, indignes ou non, relève de leurs fautes les hommes ses frères et ses créatures, dont il a pris sur lui les misères et racheté les crimes dans son sang (Heb. II, 10-18.).

L'épisode de la guérison du paralytique, qui fut pour Jésus l'occasion d'affirmer son pouvoir de remettre les péchés en tant que fils de l’homme, a toujours été particulièrement cher à l'Eglise. Outre le récit que nous en fait aujourd'hui saint Matthieu, elle a placé la narration qu'en donne aussi saint Luc (Luc. V, 17-26.) au vendredi des Quatre-Temps de la Pentecôte. Les fresques des catacombes, parvenues jusqu'à nous, attestent encore la prédilection qu'elle inspira pour ce sujet aux artistes chrétiens du premier âge.

C'est qu'en effet, dès l'origine du christianisme, on vit l'hérésie dénier à l'Eglise le pouvoir de pardonner au nom de Dieu, qu'elle tient de son divin Chef ; c'était condamner irrémissiblement à la mort un nombre incalculable de chrétiens, malheureusement tombés après leur baptême, et que guérit le sacrement de Pénitence. Or quel trésor une mère peut-elle défendre avec plus d'énergie, que le remède auquel la vie de ses enfants est attachée ? L'Eglise donc frappa de ses anathèmes et chassa de son sein ces Pharisiens de la loi nouvelle, qui, comme leurs pères du judaïsme, méconnaissaient la miséricorde infinie et l'étendue du grand mystère de la Rédemption. Elle-même, comme Jésus sous les yeux des scribes ses contradicteurs, avait produit, en garantie de ses affirmations, un miracle visible à la face des sectaires, sans arriver plus que l'Homme-Dieu à les convaincre de la réalité du miracle de grâce opéré invisiblement par ses paroles de rémission et de pardon.

La guérison extérieure du paralytique fut tout ensemble, en effet, l'image et la preuve de la guérison de son âme réduite auparavant à l'impuissance ; mais lui-même représentait un bien autre malade : le genre humain, gisant immobile en son péché depuis des siècles. L'Homme-Dieu avait déjà quitté la terre, quand la foi des Apôtres opéra ce premier prodige de transporter aux pieds de l'Eglise le monde vieilli dans son infirmité. L'Eglise donc, voyant le genre humain docile à l'impulsion des messagers du ciel et partageant déjà leur foi, avait retrouvé pour lui dans son cœur de mère la parole de l'Epoux : " Mon fils, aie confiance, tes péchés sont remis ". Soudain, aux yeux étonnés de la philosophie sceptique, et confondant la rage de l'enfer, le monde s'était levé ostensiblement de sa couche ignominieuse ; montrant bien que ses forces lui étaient rendues, on l'avait vu charger sur ses épaules, par le travail de la pénitence et de la répression des passions, le lit de ses langueurs et de son impuissance, où l'avaient retenu si longtemps l'orgueil, la chair et la cupidité. Depuis lors, fidèle à la parole du Seigneur qui lui a été répétée par l'Eglise, il est en marche pour retourner dans sa maison, le paradis, où l'attendent les joies fécondes de l'éternité ! Et la multitude des cohortes angéliques, voyant sur la terre un pareil spectacle de rénovation et de sainteté (Luc. V, 26.), est saisie de stupeur, et elle glorifie Dieu qui a donné aux hommes une telle puissance.

Nous aussi, rendons grâces à l'Epoux dont la dot merveilleuse, qui est son sang versé pour l'Epouse, suffit jusqu'à la fin à solder les droits de la justice éternelle. Dans les jours de la Pâque, nous avons contemplé l'Homme-Dieu établissant le sacrement précieux qui rend ainsi, en un instant, vie et forces au pécheur (Mercredi de la cinquième sem. ap. Pâques). Mais combien sa vertu n'apparaît-elle pas plus merveilleuse encore, en nos temps d'affaissement et de ruine universelle ! L'iniquité abonde, les crimes se multiplient ; et toujours la piscine réparatrice, alimentée par les flots qui s'échappent du côté de Jésus entr'ouvert, absorbe et dissout, quand on le veut, sans laisser trace aucune, ces montagnes de péchés, ces hideux trésors de l'enfer entassés durant toute une vie par la complicité du démon, du monde et de l'homme même !

dimanche, 23 septembre 2007

23 septembre 2007. XVIIe dimanche après la Pentecôte.

- XVIIe dimanche après la Pentecôte.

Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger.


Jésus et les Pharisiens. Roman de Dieu et de sa mère. Herman de Valenciennes. XIVe.

L’Evangile qu'on lit aujourd'hui à la Messe du dix-septième dimanche, lui a fait donner le nom de Dimanche de l’amour de Dieu, depuis que l'Evangile de l’hydropique et des conviés aux noces a été transféré huit jours plus tôt.

A LA MESSE

Les décisions de Dieu sont toujours équitables, soit que, dans sa justice, il confonde les orgueilleux, soit que, dans sa miséricorde, il exalte les humbles. Nous avons vu cet arbitre souverain à l'œuvre, il y a huit jours, dans la distribution des places réservées pour les saints au banquet de l'union divine. Rappelons-nous les prétentions et le sort différents des invités aux noces sacrées, en chantant l'Introït de ce jour, et ne nous réclamons que de la miséricorde.


Notre Seigneur Jésus-Christ et les Pharisiens - G. Doré. XIXe.

EPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Ephésiens. Chap. IV.

" Mes Frères, je vous conjure, moi qui suis enchaîné pour le Seigneur, de vivre d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés, en toute humilité, mansuétude et patience, vous supportant mutuellement dans la charité, ayant souci de conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix. Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une même espérance qui est celle de votre vocation. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Il n'y a qu'un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et dans toutes choses, et en nous tous : béni est-il dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !"

L'Eglise reprend avec saint Paul, dans la lettre aux Ephésiens, l'exposition des grandeurs de ses enfants ; elle les supplie, aujourd'hui, de répondre dignement à leur vocation sublime.

Cette vocation, cet appel de Dieu, nous les connaissons en effet ; c'est l'appel du genre humain aux noces sacrées, la vocation pour nos âmes à régner dans les cieux sur le trône du Verbe, devenu leur Epoux et leur Chef (Eph. II, 5.). Jadis plus rapproché de l'Epître qu'on vient de lire, l'Evangile précédent trouvait en elle son brillant commentaire, et lui-même expliquait parfaitement le terme de l'Apôtre. " Lorsque vous serez appelé aux noces, disait le Seigneur, quum VOCATUS fueris, prenez la dernière place " ; " En toute humilité, dit l'Apôtre, montrez-vous dignes de l'appel que vous avez entendu : digne ambuletis vocatione qua VOCATI estis ".

Quelle est donc maintenant la condition dont l'accomplissement doit nous montrer dignes de l'honneur suprême qui nous est fait par le Verbe éternel ? L'humilité, la mansuétude et la patience sont les moyens recommandés pour arriver au but. Mais le but lui-même, c'est I'unité de ce corps immense que le Verbe fait sien dans la célébration des noces mystiques ; la condition qu'exige l'Homme-Dieu de ceux qu'il appelle à devenir, en participation de l'Eglise son Epouse, os de ses os, chair de sa chair (Eph. V, 3.), est de maintenir entre eux une telle harmonie, qu'elle fasse de tous véritablement un même esprit et un seul corps, dans le lien de la paix.

" Lien splendide ! s'écrie saint Jean Chrysostome ; lien merveilleux qui nous réunit tous mutuellement, et, tous rassemblés, nous unit à Dieu  !" (Chrys. in Ep. ad Eph. Hom. IX, 3.) Sa puissance est celle de l'Esprit-Saint lui-même, toute de sainteté et d'amour ; car c'est l'Esprit qui forme ses nœuds immatériels et divins, l'Esprit faisant l'office, au sein de la multitude baptisée, de ce souffle vital qui, dans le corps humain, anime à la fois et rallie tous les membres. Par lui, jeunes gens et vieillards, pauvres et riches, hommes et femmes, distincts de race et de caractère, ne sont plus qu'un seul tout comme en fusion dans l'immense embrasement dont brûle sans fin l'éternelle Trinité.
Mais pour que l'incendie de l'amour infini puisse s'emparer ainsi de l'humanité régénérée, il faut qu'elle soit purgée des rivalités, des rancunes, des dissensions qui montreraient qu'elle est encore charnelle (I Cor. III, 3.), et peu accessible dès lors à la divine flamme comme à l'union qu'elle produit. De même en effet, selon la belle comparaison de saint Jean Chrysostome (Chrys. ubi supra.), de même que le feu, quand il trouve les diverses variétés de bois qu'on offre à son action préparés par une dessiccation suffisante, ne fait de tous qu'un seul bûcher, mais ne peut, s'ils sont encore humides, ni prendre sur eux isolément, ni les unir ensemble : ainsi en est-il dans l'ordre du salut ; l'humidité malsaine des passions ne laisse point prise à l'Esprit sanctificateur, et L'union, condition et but de l'amour, est dès lors impossible.

Lions-nous donc à nos frères par cette chaîne bienheureuse de la charité, qui n'immobilise que nos petites passions et dilate nos âmes au contraire, en permettant à l'Esprit de les conduire sûrement à la réalisation de l’unique espoir de notre commune vocation, qui est de nous unir à Dieu dans l'amour. Sans doute, même entre les saints ici-bas, la charité reste une vertu laborieuse, parce que, chez les meilleurs eux-mêmes, la grâce arrive rarement à restaurer sans défectuosité aucune l'équilibre des facultés rompu par le péché d'origine ; il en résulte que l'infirmité, les excès ou les fuites de la pauvre nature se font sentir, non seulement à l'humilité du juste, mais encore quelquefois, il ne l'ignore pas, à la patience bienveillante de ceux qui l'entourent. Dieu le permet pour accroître ainsi le mérite de tous, et raviver en nous le désir du ciel.

Là seulement en effet, nous retrouverons facile autant que pleine harmonie avec nos semblables, par la pacification complète de nous-mêmes sous l'empire absolu du Dieu trois fois saint devenu tout en tous (Cor. XV, 28.). Dans cette patrie fortunée, Dieu même séchera les pleurs de ses élus sur leurs misères, en renouvelant leur être à sa source infinie (Apoc. XXI, 4-5.). Le Fils éternel, ayant en chacun de ses membres mystiques aboli l'empire des puissances ennemies et vaincu la mort (I Cor. XV, 24-28.), apparaîtra, dans la plénitude du mystère de son incarnation, comme la tête véritable de l'humanité, sanctifiée, restaurée et développée en lui (Eph. I, 10.) ; il tressaillira de voir arrivées à la mesure qui leur convenait, grâce aux soins de l'Esprit sanctificateur, les diverses parties de ce corps merveilleux (Ibid. IV, 13-16.) qu'il voulut s'agréger par le lien de l'amour, pour célébrer à jamais, dans le concert du Verbe et de la création, la gloire de la Trinité souveraine.
Combien alors seront dépassées les harmonies de la terre d'exil ! combien l'accord des chœurs les plus parfaits de ce monde paraîtra discordant, auprès de cet ensemble, de cette harmonie, de cet accord éternel ! Préparons-nous pour le céleste concert ; prenons soin d'ajuster nos voix, en disposant dès maintenant nos cœurs à cette plénitude de l'amour, qui n'est point d'ici-bas, mais que nous devons mériter par nos efforts et le support patient des défauts de nos frères et des nôtres.

On dirait que l'Eglise, dans l'extase où la plongent les notes de ce concert admirable qui s'échappent prématurément du ciel aujourd'hui par la bouche de Paul, se voit déjà transportée au delà du temps, pour y mêler en liberté ses inspirations au chant de l'Epoux. Car elle ajoute, en manière de conclusion, au texte de l'Epître, une expression de louange qui ne fait point partie de l'Ecriture, et qui forme comme la doxologie des accents inspirés du grand Apôtre.

Nous connaissons désormais les dons sans prix faits par l'Homme-Dieu à la terre (Eph. IV, 8.) ; grâce aux prodiges de puissance et d'amour opérés par le Verbe divin et l'Esprit sanctificateur, l'âme du juste est véritablement un ciel. Chantons, au Graduel, la félicité du peuple chrétien choisi par Dieu pour son héritage.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XXII.


Jésus et les docteurs de la Loi. Graduel à l'usage de l'abbaye Notre-Dame de Fontevrault. XIIIe.

" En ce temps-là, les Pharisiens s'approchèrent de Jésus, et l'un d'eux qui était docteur de la loi l'interrogea pour le tenter, disant :
" Maître, quel est le grand commandement de la loi ?"
Jésus lui dit :
" Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C'est là le plus grand et le premier commandement. Et le second ressemble à celui-là : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Dans ces deux commandements sont renfermés toute la loi et les prophètes."

Les Pharisiens étant donc assemblés, Jésus les interrogea, disant :
" Que vous semble du Christ ? de qui est-il fils ?"
Ils lui répondirent :
" De David."
Il leur dit :
" Comment donc David l'appelle-t-il dans l'Esprit Seigneur, disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de vos ennemis l'escabeau de vos pieds ? Si donc David l'appelle Seigneur, comment est-il son fils ?"
Et aucun ne pouvait lui répondre, et personne, depuis ce jour, n'osa l'interroger davantage."


Jésus et les docteurs de la Loi. Speculum humanae salvationis. XVe.

L'Homme-Dieu laissa la tentation approcher de sa personne sacrée au désert (Matth. IV, 1-11.), et ne dédaigna point de subir les attaques que la ruse haineuse du démon lui suggère depuis le commencement pour perdre les hommes ; Jésus voulait apprendre aux siens la manière dont ils devaient repousser les assauts de l'esprit du mal.
Aujourd'hui notre Chef adoré, qui veut être le modèle de ses membres en toutes leurs épreuves (Heb. II, 17-18; IV, 15.), nous apparaît aux prises, non plus avec la perfidie de Satan, mais avec l'hypocrisie de ses pires ennemis, les Pharisiens. Ils cherchent à le perdre en le surprenant dans ses paroles (Matth. XXII, 15.), ainsi que le feront jusqu'à la fin des temps, contre son Eglise, les représentants du monde ennemi qu'il a condamné (Johan. XVI, 8-11.).

Mais de même que son Epoux divin, l'Eglise, assistée par lui pour continuer son œuvre sur la terre au milieu des mêmes tentations et des mêmes embûches, trouvera dans sa fidélité aussi simple qu'inébranlable à la loi de Dieu et à la vérité le secret de toutes les victoires. Les hérétiques, suppôts de Satan, les princes du monde, rongeant le frein imposé par le christianisme à leur ambition et à leurs convoitises, tenteront vainement de circonvenir la dépositaire des oracles divins par leurs propositions ou leurs questions captieuses.
Mise en demeure de parler, elle parlera toujours ; qu'est-elle, en effet, comme Epouse de ce Verbe divin qui est la parole éternelle du Père ? Que peut-elle être, qu'une voix pour l'annoncer aux hommes ou le chanter dans les cieux ? Mais aussi, non seulement sa parole, revêtant la force et la pénétration de Dieu même, ne sera jamais sujette à surprise ; comme un glaive à deux tranchants, presque toujours elle ira plus loin que n'eussent voulu les questionneurs hypocrites de l'Eglise, en confondant leurs sophismes et en mettant à nu les intentions criminelles de leurs cœurs (Heb. IV, 12.). De leur tentative sacrilège il ne restera pour eux que la honte, avec le dépit d'avoir amené la glorification de la vérité sous un nouveau jour et accru la lumière pour les enfants soumis de la Mère commune.

Ainsi advint-il aux Pharisiens de notre Evangile. Ils voulaient voir, dit l'Homélie du jour, si le Sauveur, qui se proclamait Dieu, n'ajouterait point à cause de cela quelque chose au commandement de l'amour divin, afin de pouvoir ensuite le condamner comme ayant tenté de corrompre la lettre du plus grand des préceptes de la loi (Chrys. Hom. LXXII in Matth.).
Mais l'Homme-Dieu déjoue leurs pensées ; il rappelle à ceux qui l'interrogent sur le grand commandement le texte même du décalogue, et continuant la citation, il montre qu'il n'ignore point le mobile secret qui les pousse, en leur rappelant aussi le second commandement, semblable au premier, le commandement de l'amour du prochain qui condamne leurs homicides menées. Ils sont ainsi convaincus de n'aimer ni le prochain, ni Dieu même, puisque le premier commandement ne peut être observé sans le second qui en découle et le complète.

Cependant le Seigneur achève de les confondre et les contraint à reconnaître eux-mêmes implicitement la divinité du Messie. Interrogés à leur tour, ils avouent que le Christ doit descendre de David ; mais, s'il est son fils, comment David l'appelle-t-il son Seigneur aussi bien qu'il le fait pour Dieu même, dans le psaume cix où il chante les grandeurs du Messie ?
La seule explication possible est que le Messie, qui devait dans le temps et comme homme sortir de David, était Dieu et Fils de Dieu dès avant tous les temps, selon la parole du même psaume : Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore (Psalm. CIX, 3.). Cette réponse qui les eût condamnés, les Pharisiens ne la donnèrent pas ; mais leur silence était un aveu, en attendant que la vengeance du Père contre ces vils ennemis de son Christ accomplît la prophétie, et fît d'eux l'escabeau de ses pieds dans le sang et la honte, au jour terrible des justices de Jéhovah sur la ville déicide.

Nous, chrétiens, pour la plus grande honte de l'enfer qui suscita contre le Fils de Dieu les embûches de la synagogue expirante, sachons tirer de ces efforts de la haine une instruction qui profite à l'amour. Les Juifs, en rejetant Jésus-Christ, manquèrent à la fois aux deux préceptes qui constituent la charité et résument toute la loi ; si nous aimons Jésus-Christ au contraire, pour la même raison toute la loi se trouve accomplie.


Jésus et les docteurs de la Loi. Missel romain. XIVe.

Splendeur de la gloire éternelle (Heb. I, 3.), un par nature avec le Père et l'Esprit-Saint, il est le Dieu que nous prescrit d'aimer le premier commandement; et le second, d'autre part, ne trouve qu'en lui d'application possible. Car non seulement il est homme aussi véritablement qu'il est Dieu ; mais encore il est l'homme par excellence (Johan. XIX, 5.) : l'homme parfait, sur le type duquel et pour qui ont été formés tous les autres (Rom. VIII, 29.) ; leur modèle et leur frère à tous (Heb. II, 17.) ; le chef en même temps qui les régit comme roi (Johan. XVIII, 37.), qui les offre à Dieu comme pontife (Heb. X, 14.) ; la tête qui communique à tous les membres de l'humanité beauté et vie, mouvement et lumière ; le rédempteur de cette humanité tombée, et doublement dès lors la source de tout droit, la dernière et la plus haute raison, sinon l'objet direct, de tout amour légitime ici-bas.
Rien ne compte qu'en lui devant Dieu. Dieu n'aime les hommes, dit saint Augustin (Aug. in Johan. Tract, CX.), que parce qu'ils sont les membres de son Fils ou qu'ils peuvent le devenir ; c'est son Fils qu'il aime en eux tous : il aime ainsi d'un même amour, quoique non également, et son Verbe, et la chair de son Verbe, et les membres de son Verbe fait chair. Or la charité, c'est l'amour tel qu'il est en Dieu, communiqué par l'Esprit-Saint aux créatures. Ce que nous devons donc aimer par la charité en nous et dans autrui, c'est le Verbe divin comme étant dans les autres et en nous-mêmes, ou pour qu'il y soit, d'après une autre expression de l'évêque d'Hippone (Serm. CCLV, in dieb. pasch.).

Mais par suite, en dehors des damnés bannis pour jamais du corps de l'Homme-Dieu, gardons-nous d'exclure personne de l'amour. Qui peut se vanter d'avoir la charité du Christ, s'il n'embrasse pas son unité, dit encore saint Augustin (Epist. LXI.) ? qui peut l'aimer, sans aimer avec lui l'Eglise qui est son corps, sans aimer tous ses membres ? Ce que l'on fait à l'un des plus petits comme aux plus dignes, en bien comme en mal, c'est à lui qu'on le fait, déclare-t-il (Matth. XXV, 40, 45.). Aimons donc le prochain comme nous-mêmes à cause du Christ qui est en chacun de nous, et qui donne à tous union et croissance dans la charité (Eph. IV, 15-16.).

Le même Apôtre qui disait : " La fin de la loi, c'est la charité " (I Tim. 1, 5.), a dit aussi : " La fin de la loi, c'est le Christ " (Rom. X, 4.) ; et nous voyons maintenant l'harmonie de ces deux propositions. Nous comprenons également la connexité de la parole de notre Evangile. Dans ces deux commandements sont renfermés toute la loi et les prophètes, et de cette autre parole du Seigneur : " Scrutez les Ecritures, car elles rendent témoignage de Moi " (Johan. V, 39.). La plénitude de la loi qui règle les mœurs est dans la charité (Rom. XIII, 10.), dont le Christ est le but ; comme l'objet des Ecritures révélées n'est autre encore que l'Homme-Dieu résumant dans son adorable unité, pour les siens, la morale et le dogme. Il est leur foi et leur amour, " la fin de toutes nos résolutions, dit saint Augustin ; car tous nos efforts ne tendent qu'à nous parfaire en lui, et c'est là notre perfection, d'arriver jusqu'à lui ; parvenu donc à lui, ne cherche pas au delà : il est ta fin " (Aug. Enarr. in Ps. LVI.). Et le saint docteur nous donne, arrivés à ce point, la meilleure formule de l'union divine : " Adhérons à lui seul, jouissons de lui seul, soyons tous un en lui : haereamus uni, fruamur uno, permaneamus unum " (De Trinit. IV, I. 1.).

dimanche, 16 septembre 2007

16 septembre 2007. IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.

- IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.



Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.


Ô vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur (1) ! Est-ce donc le premier cri de la douce enfant dont la venue a causé joie si pure à la terre ; et fallait-il arborer si tôt le drapeau de la souffrance sur le berceau où repose tant d'innocence et d'amour ? Le cœur de l'Eglise pourtant ne l'a pas trompée; cette fête, à cette date, est toujours la réponse à la question de l'humanité dans l'attente : Que sera cette enfant ?

Raison d'être de Marie, le Sauveur à venir doit en être en tout l'exemplaire. C'est à titre de Mère que fut annoncée, qu'est apparue la Vierge bénie, et dès lors à titre de Mère de douleurs, parce que le Dieu dont la naissance prochaine est le motif de sa propre naissance sera en ce monde l’homme des douleurs et de l'infirmité (2). A qui vous comparer ? chante le prophète des lamentations: ô Vierge, votre affliction est comme l'océan (3). Sur la montagne du Sacrifice, comme mère elle donna son fils, comme épouse elle s'offrit avec lui ; par ses souffrances d'épouse et de mère, elle fut la corédemptrice du genre humain. Une première fête des Douleurs de Marie, préludant aux récits de la grande Semaine, a gravé dans nos âmes cet enseignement et ces souvenirs.

Le Christ ne meurt plus (4) ; pour Notre-Dame, de même, a cessé la souffrance. Néanmoins la passion du Christ se poursuit dans ses élus, dans son Eglise contre laquelle, à son défaut, se rue l'enfer. A cette passion du corps mystique dont elle est aussi mère, la compassion mystérieuse de Marie reste acquise; que de fois ne l'ont pas attesté les larmes coulant des yeux de ses images les plus vénérées ! Là encore, là surtout, est aujourd'hui l'explication de cette reprise inaccoutumée par la Liturgie sainte d'une fête célébrée déjà dans une autre saison sous un titre identique.

Le lecteur qui compulse le recueil des ordonnances du Siège apostolique sur les Rites sacrés, s'étonne d'y rencontrer après le 20 mars 1809 une interruption prolongée ; lacune insolite, ne prenant fin que le 18 septembre 1814 par le décret qui institue au présent Dimanche une nouvelle commémoration des Douleurs de la Bienheureuse Vierge (5). 1809-1814 : lustre fatal, où le gouvernement de la chrétienté demeura suspendu ; années de sang, qui revirent l'agonie de l'Homme-Dieu dans son Vicaire captif. Toujours debout près de la Croix cependant, la Mère des douleurs offrait à Dieu les souffrances de l'Eglise ; à la suite de l'épreuve, n'ignorant pas d'où lui venait la miséricorde reconquise, Pie VII dédiait ce jour à Marie comme mémorial nouveau de la journée du Calvaire.

Dès le XVII° siècle, les Servîtes étaient par privilège en possession de cette seconde fête, qu'ils célèbrent sous le rit Double de première classe avec Vigile et Octave. C'est d'eux que l'Eglise voulut en emprunter l'Office et la Messe. Honneur et privilège bien dus à cet Ordre, établi par Notre-Dame sur le culte de ses souffrances, et qui s'en était fait l'apôtre. Héritier des sept bienheureux fondateurs, Philippe Benizi propagea la flamme allumée par eux sur les hauteurs du mont Senario ; grâce au zèle de ses successeurs et fils, la dévotion des sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie, jadis pour eux patrimoine de famille, est aujourd'hui le trésor de la terre entière.

La prophétie du vieillard Siméon, la fuite en Egypte, la perte de l'Enfant divin dans Jérusalem, le portement de Croix, le crucifiement, la descente de Croix, la sépulture de Jésus : septuple mystère, autour duquel Notre-Dame aime à voir grouper les aspects quasi infinis des souffrances qui firent d'elle la Reine des Martyrs, la première rose et la plus belle du champ de Dieu. Ayons à cœur la recommandation du livre de Tobie, dont l'Eglise fait lecture cette semaine en l'Office du Temps: Honorez votre Mère, et n'oubliez jamais les douleurs qu'elle a endurées pour vous donner la vie (6).

A LA MESSE

Sous les magnificences de la sainte Liturgie, le Sacrifice quotidien n'est autre substantiellement que celui du Calvaire. Comme assistance au pied de la Croix dans la journée de la grande oblation, le chant d'entrée nous montre quelques femmes, un seul homme, faisant cortège en larmes à la Mère des douleurs. Nous retrouverons dans l'Evangile cet Introït et jusqu'à son Verset qui, contre l'usage, n'est pas emprunté des Psaumes.

EPITRE

Lecture du livre de Judith. CHAP. XIII.

" Le Seigneur vous a bénie dans sa force, réduisant par vous à néant nos ennemis. Ô fille de notre race, le Seigneur Dieu très haut vous a bénie plus que toutes les femmes qui sont sur la terre. Béni soit le Seigneur qui a créé le ciel et la terre ; car il a en ce jour exalté votre nom de telle sorte que votre louange ne cessera plus dans la bouche des humains : à jamais ils auront souvenir de la puissance du Seigneur, et comment, n'épargnant point votre âme en présence du malheur et de l'angoisse de votre peuple, vous êtes intervenue devant notre Dieu pour empêcher sa ruine."


Ô grandeur de notre Judith entre les créatures !

" Dieu, dit le pieux et profond Père Faber, Dieu semble choisir en lui les choses qui sont le plus incommunicables pour les communiquer à Marie d'une manière mystérieuse. Voyez comme il l'a déjà mêlée aux desseins éternels de l'univers dont il la rend presque cause et type partiel. La coopération de la sainte Vierge au salut du monde nous présente un nouvel aspect de sa magnificence. Ni l'Immaculée Conception, ni l'Assomption ne nous donnent une plus haute idée de Marie que le titre de corédemptrice. Ses douleurs n'étaient pas nécessaires à la rédemption, mais dans les conseils de Dieu elles en étaient inséparables. Elles appartiennent à l'intégrité du plan divin. Les mystères de Jésus ne sont-ils pas ceux de Marie, et les mystères de Marie ne sont-ils pas ceux de Jésus ? La vérité paraît être que tous les mystères de Jésus et ceux de Marie n'étaient pour Dieu qu'un seul mystère. Jésus lui-même est la douleur de Marie sept fois répétée, sept fois agrandie. Durant les heures de la Passion, l'offrande de Jésus et celle de Marie étaient réunies en une seule. Quoique de dignité, de valeur évidemment différentes, elles étaient offertes avec des dispositions semblables, allant du même pas, embaumées des mêmes parfums, consumées par le même feu; oblation simultanée faite au Père par deux cœurs sans tache pour les péchés d'un monde coupable, dont ils avaient librement assumé les démérites (7)."

Aux tourments de la grande Victime, aux pleurs de Marie, sachons unir nos larmes. C'est dans la mesure où nous l'aurons fait en cette vie, que nous pourrons nous réjouir au ciel avec le Fils et la Mère ; si Notre-Dame, comme chante le Verset, est elle-même aujourd'hui reine du ciel et souveraine du monde, il n'est personne parmi les élus dont les souvenirs de souffrance puissent être comparés aux siens.

A la suite du Graduel, la touchante complainte attribuée au bienheureux franciscain Jacopone de Todi, le Stabat Mater, nous donnera une belle formule de prière et d'hommage à la Mère des douleurs.

STABAT MATER

Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrymosa,
Dura pendebat filius.

Cujus animam gementem,
Contristatam, et dolentem,
Pertransivit gladius.

O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti !

Quœ maerebat, et dolebat,
Pia Mater du m videbat
Nati poenas inclyti.

Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christisi videret
Intanto supplicio ?

Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio ?

Pro peccatis suae gentis
Vidit Jesumin tormentis,
Et flagellis subditum.

Viditsuum dulcem natum
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.

Eia, Mater, fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.

Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.

Sancta Mater, istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.

Tui nati vulnerati,
Tam dignati pro me pati,
Pœnas mecum divide.

Fac me tecum pieflere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.

Juxta crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.

Virgo virginum praeclara,
Mihi jam non sis amara :
Fac me tecum plangere.

Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore filii.

Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus,
In die judicii.

Christe, cum sit hinc exire,
Da per Matrem me venire
Ad palmam Victoriae.

Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria.

Amen. Alleluia.


Debout au pied de la croix
A laquelle son fils était suspendu,
La Mère des douleurs pleurait.

Son âme,
En proie aux gémissements et a la désolation,
Fut alors transpercée d'un glaive.

Oh ! qu'elle fut triste et affligée,
Cette Mère bénie
D'un fils unique !

Elle gémissait et soupirait,
Cette tendre Mère,
A la vue des angoisses de cet auguste fils.

Qui pourrait retenir ses larmes,
En voyant la Mère du Christ
En proie à cet excès de douleur ?

Qui pourrait contempler,
Sans une tristesse profonde,
Cette Mère du Sauveur souffrant avec son fils ?

Elle avait sous les yeux Jésus livré aux tourments,
Déchiré de coups de fouets,
Pour les péchés de ses frères.

Elle voyait ce tendre fils mourant,
Et sans consolation,
Jusqu'au dernier soupir.

Ô Mère, ô source d'amour,
Faites que je sente votre douleur,
Que je pleure avec vous.

Faites que mon cœur aime avec ardeur
Le Christ mon Dieu,
Et ne songe qu'à lui plaire.

Mère sainte,
Imprimez profondément dans mon cœur
Les plaies du Crucifié.

Donnez-moi part
Aux douleurs que votre fils
A daigné endurer pour moi.

Faites que je pleure de compassion avec vous,
Que je compatisse à votre Crucifié,
Tous les jours de ma vie.

Mon désir est de demeurer
Avec vous près de la croix,
Et de m'associer pour toujours à votre deuil.

Vierge, la plus noble des vierges,
Ne me soyez pas sévère ;
Laissez-moi pleurer avec vous.

Que je porte en moi la mort du Christ ;
Que je partage sa Passion ;
Que je garde le souvenir des plaies qu'il a souffertes.

Faites que ses blessures soient miennes ;
Que je sois enivré de la croix
Et du sang de votre fils.

Ô Vierge, gardez-moi des feux dévorants ;
Défendez-moi vous-même
Au jour du jugement.

Ô Christ, quand il me faudra sortir de cette vie,
Accordez-moi, par votre Mère,
La palme victorieuse.

Et lorsque mon corps devra subir la mort,
Daignez accorder à mon âme
La gloire du paradis.

Amen. Alleluia.




(1). Thren. I, 12.(2). Isai. LIII.(3). Thren. II, 13.(4). Rom. VI, 9.(5). Gardellini, Decreta authentica Congr. Sacr. Rit.(6). Tob. IV, 3-4.(7). FABER, Le Pied de la Croix, IX, I, II.

EVANGILE


Crucifixion. Livre d'heures. XVe.

La suite du saint Evangile selon saint Jean Chap. XIX.


" En ce temps-là, debout près de la Croix de Jésus, étaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa Mère, et debout près d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils. Et ensuite il dit au disciple : Voilà votre mère. Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui."

Femme, voilà votre fils. — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Paroles de Jésus sur la Croix. N'a-t-il donc plus ni Père au ciel, ni Mère ici-bas ! Mystère de justice, et encore plus d'amour : Dieu a tant aimé le monde qu'il adonné pour lui son Fils (1), jusqu'à le substituer aux hommes pécheurs dans la malédiction (2) due au péché (3) ; et Notre-Dame, dans son union sublime au Père, n'a pas épargné davantage, mais livré comme lui (4) pour nous tous ce même Fils de sa virginité. Si de ce chef nous appartenons au Père souverain, nous sommes bien aussi à Marie désormais ; nous avons été, des deux parts, achetés d'un grand prix (5) : le Fils unique, échangé pour les fils d'adoption.

C'est au pied de la Croix que Notre-Dame est devenue véritablement la Reine de la miséricorde. Au pied de l'autel où le renouvellement du grand Sacrifice se prépare, recommandons-nous de sa toute-puissance sur le divin Cœur.

(1). Johan. III, 16.(2). Gal. III, 13.(3). I Cor. V, 21.(4). Rom. VIII, 32.(5). I Cor. VI, 20.

dimanche, 09 septembre 2007

9 septembre. XVe dimanche après la Pentecôte.

- XVe dimanche après la Pentecôte.

Extraits de " L'année liturgique " de dom Prosper Guéranger.


La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils. Jean-Germain Drouais. XVIIIe.


A LA MESSE

L'épisode si touchant de la veuve de Naïm donne aujourd'hui son nom au quinzième Dimanche après la Pentecôte. L'Introït nous présente la forme des prières que nous devons adresser au Seigneur dans tous nos besoins. L'Homme-Dieu a promis, Dimanche dernier, d'y pourvoir toujours, à la condition d'être servi par nous fidèlement dans la recherche de son royaume. En lui adressant nos supplications, montrons-nous confiants dans sa parole, comme il est juste de l'être, et nous serons exaucés.

ÉPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. V et VI.

" Mes Frères, si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi selon l'Esprit. Ne nous laissons point emporter par le désir de la vaine gloire, nous provoquant les uns les autres, nous jalousant les uns les autres. Mes Frères, si un homme tombe par surprise en quelque faute, vous quiètes spirituels, relevez-le dans un esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion que la tentation peut aussi l'atteindre. Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. Car si quelqu'un s'estime être quelque chose, lorsqu'il n'est rien, il se trompe lui-même. Mais que chacun examine ses œuvres, et ainsi il aura sa gloire seulement en lui-même, et non dans les autres. Car chacun portera son propre fardeau. Que celui à qui l'on enseigne les choses de la foi assiste de ses biens en toute manière celui qui l'instruit. Ne vous y trompez pas : on ne se moque point de Dieu. L'homme recueillera ce qu'il aura semé : celui qui sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption ; celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la vie éternelle. Ne nous lassons point de faire le bien : nous recueillerons, le temps venu, sans nous lasser. Donc, tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à nos frères dans la foi."

La sainte Eglise reprend la lecture de saint Paul où elle l'avait laissée il y a huit jours. C'est la vie spirituelle, la vie produite par l'Esprit-Saint dans nos âmes pour remplacer celle de la chair, qui continue d'être l'objet des instructions apostoliques.

La chair une fois domptée, nous ne devons pas croire achevé pour cela l'édifice de notre perfection ; outre que la lutte doit continuer après la victoire, sous peine d'en voir compromettre les résultats, il faut veiller à ce que l'une ou l'autre des têtes de la triple concupiscence ne profite point du moment où l'effort de l'âme est porté ailleurs, pour se redresser, et faire des blessures d'autant plus dangereuses souvent qu'on songerait moins à s'en préserver. La vaine gloire principalement, toujours prête à infecter de son venin subtil jusqu'aux actes eux-mêmes de l'humilité et de la pénitence, demande à l'homme qui veut servir Dieu, et non se plaire à lui-même dans sa vertu, une surveillance des plus actives.

Quelle folie ne serait-ce pas à un condamné racheté par la flagellation de la peine capitale qu'il avait méritée, de se glorifier des coups marqués dans sa chair par le fouet à châtier les esclaves ? Que cette folie ne soit jamais la nôtre ! Il parait bien cependant qu'elle pourrait l'être, puisque l'Apôtre fait suivre immédiatement ses avis sur la mortification des passions de la recommandation d'éviter la vaine gloire. Et en effet, nous ne serons assurés pleinement de ce côté, qu'autant que l'humiliation physique infligée au corps aura chez nous pour principe l'humiliation réfléchie de l'âme devant sa misère. Les anciens philosophes avaient, eux aussi, des maximes sur la répression des sens ; et la pratique de ces maximes célèbres était le marchepied dont s'aidait leur orgueil pour s'élever jusqu'aux cieux. C'est qu'ils étaient loin en cela des sentiments de nos pères dans la foi, lesquels, sous le cilice et prosternés en terre (1), s'écriaient du fond de l'humaine bassesse, dans l'intime de leur cœur : " Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon votre grande miséricorde ; car j'ai été conçu dans l'iniquité et mon péché est toujours devant moi " (2).

Imposer des souffrances au corps pour en tirer vanité, qu'est-ce autre chose que ce que saint Paul appelle aujourd'hui semer dans la chair, pour récolter au temps venu, c'est-à-dire au jour où seront manifestées les pensées des cœurs (3), non la gloire et la vie, mais la confusion et la honte éternelle ? Parmi les œuvres de la chair énumérées dans l’Epître précédente se trouvent, en effet, non seulement les actes impurs, mais encore les contentions, les dissensions, les jalousies (4), qui naissent trop souvent de cette vaine gloire sur laquelle l'Apôtre appelle en ce moment notre attention. La production de ces fruits détestables serait un signe trop certain que la sève de la grâce aurait fait place à la fermentation du péché dans nos âmes, que, redevenus esclaves, il nous faudrait compter avec la loi et ses sanctions terribles. On ne se moque pas de Dieu ; et la confiance que donne justement à quiconque vit de l'Esprit la fidélité surabondante de l'amour, ne serait plus, dans ces conditions, qu'une contre-façon hypocrite de la liberté sainte des fils du Très-Haut. Car ceux-là seuls sont ses enfants que l'Esprit-Saint conduit (5) dans la charité (6) ; les autres sont dans la chair, et ne peuvent plaire à Dieu (7).

Si nous voulons au contraire un signe non moins certain sous les obscurités de la foi que l'union divine est notre partage, au lieu de prendre occasion, pour nous enfler vainement, des défauts et des fautes de nos frères, soyons indulgents pour eux dans la considération de notre propre misère ; tendons-leur, quand ils tombent, une main secourable et discrète ; portons mutuellement nos fardeaux dans le chemin de la vie : et alors, ayant t ainsi rempli la loi du Christ, nous saurons (8) que nous demeurons en Lui et Lui en nous. Car ces ineffables paroles employées par Jésus pour marquer son intimité future avec quiconque mangerait la chair du fils de l'homme et boirait son sang au banquet divin (9), saint Jean qui les avait rapportées les reprend mot pour mot, dans ses Epîtres, afin d'en faire l'application à quiconque observe dans l'Esprit-Saint le commandement de l'amour des frères (10).

Oh ! puisse-t-elle donc résonner sans cesse à nos oreilles cette parole de l'Apôtre : Tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous ! Car un jour viendra, qui n'est plus éloigné, où l'ange portant le livre mystérieux, un pied sur la terre et l'autre sur la mer, fera retentir dans les espaces sa voix puissante comme celle du lion, et, la main levée au ciel, jurera par Celui qui vit dans les siècles sans fin que le temps n'est plus (11) ! C'est alors que l'homme recueillera dans l'allégresse ce qu'il avait semé dans les larmes (12) ; il ne s'était point lassé de faire le bien dans les ténébreuses régions de l'exil, il se lassera moins encore de récolter sans fin dans la vivante lumière du jour éternel.

1. I Par. XXI, 16 ; etc. — 2. Psalm. L. — 3. I Cor. IV, 5. — 4. Gal. V, 19-21. — 5. Rom. VIII, 14. — 6. Gal. IV, 13. — 7. Rom. VIII, 8. — 8. I Johan. IV, 13. — 9. Johan. VI, 57. — 10. I Johan. III, 23-24 ; IV, 12-13. — 11. Apoc. X, 1-6. — 12. Psalm. CXXV, 5.

ÉVANGILE

Suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. VII.

" En ce temps-là, Jésus allait vers une ville appelée Naïm ; et ses disciples allaient avec lui, et une foule nombreuse. Comme il approchait de la porte de la ville, voilà qu'on emportait un mort, fils unique de sa mère ; et celle-ci était veuve, et beaucoup de personnes de la ville l'accompagnaient. Le Seigneur l'ayant vue, il fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez pas. Et il s'approcha, et toucha le cercueil : ceux qui le portaient s'arrêtèrent.

Et il dit : " Jeune homme, je te le commande, lève-toi."

Et le mort se leva, et commença de parler  ; et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant : Un grand prophète s'est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple."


La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils (détail). Jean-Germain Drouais. XVIIIe.

C'est la seconde fois que la sainte Eglise présente l'Evangile qu'on vient d'entendre à nos méditations, et nous ne devons pas nous en étonner; caries Pères choisis par elle pour en donner l'interprétation (1) nous apprennent, dans les deux circonstances, que cette mère désolée qui suit en pleurs le convoi de son fils est l'Eglise même.

Nous la vîmes une première fois apparaître à nos yeux, sous ce touchant symbole, dans les jours consacrés à la pénitence quadragésimale (2), lorsqu'elle préparait par ses jeûnes, unis aux souffrances de l'Epoux, la résurrection de ceux de nos frères qui étaient morts et que nous pûmes voir ensuite s'asseoir près de nous pleins de vie au banquet de la Pâque. Quelles ne furent pas, en ce grand jour, les joies maternelles s'unissant dans son cœur aux allégresses de l'Epouse ! Car, du même coup, Jésus, doublement vainqueur de la mort, mettait fin à son veuvage en sortant du tombeau et lui rendait ses fils. Et les disciples de Jésus qui le suivent de plus près en s'attachant à sa personne dans la voie des conseils, et toute la foule accompagnant l'Eglise chantaient à l'envi ces étonnants prodiges et célébraient la visite de Dieu à son peuple.

La Mère ne pleurait plus. Mais, depuis, l'Epoux a disparu de nouveau, remontant vers son Père; l'Epouse a repris les sentiers du veuvage, et les souffrances de son exil s'accroissent chaque jour immensément. Car des pertes nombreuses n'ont point tardé de se produire parmi les fils ingrats qu'elle avait engendrés, une seconde fois (3), dans la douleur et les larmes. Ces soins multipliés naguère autour des pécheurs, cet enfantement nouveau sous l'œil de son Epoux expirant avaient fait de chacun d'eux, dans la grande semaine, comme l'enfant unique de l'Eglise. Combien, après la communion de tels mystères, dit saint Jean Chrysostome, n'est-il pas douloureux pour sa tendresse de les voir retourner d'eux-mêmes au péché qui les tue ! " Epargnez-moi !", a-t-elle bien droit de dire selon la parole que le saint Docteur met en la bouche de l'Apôtre : " Quel autre enfant, une fois au monde, vient imposer derechef de telles douleurs au sein maternel ?" Car les chutes des fidèles, pour être réparées, ne lui causent pas un moindre travail que l'enfantement de ceux qui n'ont pas cru encore (4).

Et si nous comparons nos temps à cet âge où la bouche des pasteurs faisait entendre par tout l'univers ses accents respectés, est-il un seul des enfants restés fidèles à l'Eglise, qu'un tel rapprochement ne pousse à se serrer davantage autour d'une mère si outrageusement délaissée ?

" Resplendissante alors de tout l'éclat des joyaux spirituels dont l'Epoux l'avait ornée au jour de ses noces, dit saint Laurent Justinien, elle tressaillait de l'accroissement de ses fils en vertu comme en nombre, les appelant à monter plus haut toujours, les offrant à son Dieu, les portant dans ses bras jusqu'aux cieux. Obéie d'eux, elle était bien la mère du bel amour et de la crainte (5), belle comme la lune, éclatante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (6).
Comme le térébinthe elle étendait ses rameaux (7), et, sous leur ombre, protégeait ceux qu'elle avait engendrés contre la chaleur du jour, la tempête et la pluie. Tant qu'elle put donc elle travailla, nourrissant dans son sein tous ceux qu'elle parvenait à rassembler. Mais son zèle, tout incessant qu'il fût, a redoublé depuis qu'elle en a vu plusieurs, et des multitudes, abandonner la ferveur première. Depuis nombre d'années, elle gémit en voyant s'étendre chaque jour l'offense de son Créateur, ses propres pertes et la mort de ses fils. Celle qui se revêtait de pourpre a pris la robe de deuil, et ses parfums n'exhalent plus leur odeur ; une corde a remplacé sa ceinture d'or, on ne voit plus sa brillante chevelure, et le cilice tient lieu d'ornement sur son sein (8).
Aussi ne peut-elle arrêter maintenant ses lamentations et ses pleurs. Sans cesse elle prie, cherchant si par quelque manière elle n'arrivera point à retrouver dans le présent sa beauté passée, quoiqu'elle défaille presque en sa supplication, regardant comme impossible de redevenir ce qu'elle était. La parole prophétique s'est accomplie pour elle : tous ils se sont détournés de la voie, ensemble ils sont devenus inutiles ; il n'y en a point qui fassent le bien, il n'y en a pas même un seul (9) !... Les œuvres multipliées par les enfants de l'Eglise contre les préceptes divins montrent bien, dans ceux qui les font, des membres pourris et étrangers au corps du Christ.
L'Eglise, cependant, se souvient de les avoir engendrés dans le bain du salut ; elle se souvient des promesses par lesquelles ils s'étaient engagés à renoncer au démon, aux pompes du siècle et à tous les crimes. Elle pleure donc leur chute, comme étant leur vraie mère, et elle espère toujours obtenir leur résurrection par ses larmes.
Ô quelle pluie de larmes est répandue ainsi tous les jours en présence du Seigneur ! que de prières ferventes cette vierge très pure envoie, parle ministère des saints anges, au Christ salut des pécheurs ! Elle crie dans le secret des cœurs, dans les retraites isolées, comme dans ses temples au grand jour, afin que la divine miséricorde rappelle à la vie ceux qui sont ensevelis dans le bourbier des vices. Qui dira son intime allégresse, quand elle reçoit vivants ceux qu'elle pleurait comme morts ? Si la conversion des pécheurs réjouit tellement le ciel
(10), combien aussi la Mère ! Selon la mesure de la douleur qu'elle avait conçue de leur perte (11), la consolation déborde alors en son cœur (12)."

Chrétiens préservés de la défection par la miséricorde du Seigneur, il nous appartient de compatir aux angoisses de l'Eglise, et d'aider en tout les démarches de son zèle pour sauver nos frères. Il ne peut nous suffire de n'être point de ces fils insensés qui sont la douleur de leur mère (13) et méprisent le sein qui les a portés (14). Quand nous ne saurions pas de l'Esprit-Saint lui-même que c'est thésauriser que d'honorer sa mère (15) le souvenir de ce que lui a coûté notre naissance (16) nous porterait assez à ne manquer aucune occasion de sécher ses pleurs.
Elle est l'Epouse du Verbe, aux noces duquel prétendent aussi nos âmes ; s'il est vrai que cette union soit la nôtre également, prouvons-le comme l'Eglise, en manifestant dans nos œuvres l'unique pensée, l'unique amour que communique l'Epoux dans ses intimités, parce qu'il n'en est point d'autre en son cœur : la pensée de la gloire de son Père à restaurer dans le monde, l'amour des pécheurs à sauver.

1. Ambr. in Luc. v ; Aug. Serm. 44, de verb. Dom. — 2. Fer. V post Dom. IV Quadr. — 3. Gal. IV, 19. — 4. Chrys. De pœnit. Hom. I. — 5. Eccli. XXIV, 24. — 6. Cant. VI, 9. — 7. Eccli. XXIV, 22. — 8. Isai. III, 24. — 9. Psalm. XIII, 3. — 10. Luc. XV, 7. — 11. Psalm. XCIII, 19. — 12. Laur. Just. De compunct. et planctu christ. perfect. — 13. Prov. XVII, 25. — 14. Ibid. XXX, 17. — 15. Eccli. III, 5. — 16. Tob. IV, 4.