mercredi, 31 octobre 2007
31 octobre. Vigile de la Toussaint.
- Vigile de la Toussaint.
" Le nombre de ceux que je vis alors dans le Ciel était si prodigieux, que les calculs de l'homme seraient impuissants à l'apprécier."
Apocalypse selon saint Jean. VII, 9.
Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.
Jeune et abstinence.
Préparons nos âmes aux grâces que le ciel s'apprête à verser sur la terre, en retour des hommages de celle-ci. Telle sera demain l'allégresse de l'Eglise, qu'elle semblera déjà se croire en possession de l'éternité. Aujourd'hui pourtant, c'est sous les livrées de la pénitence qu'elle se montre à nos yeux, confessant bien qu'elle n'est qu'une exilée (Heb. XI, 13.).
La Paradis. Giovanni di Paolo di Grazia. XVe.
Avec elle, jeûnons et prions. Nous aussi, que sommes-nous que des voyageurs, en ce monde où tout passe et se hâte de mourir ?
D'années en années, la solennité qui va s'ouvrir compte parmi nos compagnons d'autrefois des élus nouveaux qui bénissent nos pleurs et sourient à nos chants d'espérance.
D'années en années, le terme se rapproche où nous-mêmes, admis à la fête des cieux, recevrons l'hommage de ceux qui nous suivent, et leur tendrons la main pour les aider à nous rejoindre au pays du bonheur sans fin.
Toussaint. Le Caravage. XVIIe.
Sachons, dès cette heure, affranchir nos âmes ; gardons nos cœurs libres, au sein des vaines sollicitudes, des plaisirs faux d'une terre étrangère : il n'est pour l'exilé d'autre souci que celui de son bannissement, d'autre joie que celle où il trouve l'avant-goût de la patrie.
Dans ces pensées, disons avec l'Eglise en ce jour de Vigile :
ORAISON
Jugement dernier. Bible arménienne. Barlam d'Iran. XVIIe.
" Seigneur notre Dieu, faites couler abondamment sur nous votre grâce ; et, comme nous prévenons la glorieuse solennité de vos Saints, puissions-nous mériter par une sainte vie de les suivre au bonheur. Par Jésus-Christ."
En la manière que nous l'avons commencé, terminons ce mois par un hommage à Marie, Reine du très saint Rosaire et Reine des Saints. Les anciens Missels Dominicains nous en fourniront la formule.
SEQUENCE
Comédie. Dante. Maître de Coëtivy. XVe.
" Voici qu'au jardin virginal bourgeonnent les nouvelles pousses et se forment les fleurs ; c'est la fertilité du printemps.
C'est la fin des frimas ; l'hiver s'en est allé, et les pluies et la neige avec lui ; les roses ont apparu sur la terre, semées des cieux.
La rose a produit le lis ; puis du jardin de son fils, tant qu'a duré leur exil, elle a cueilli et moissonné
Pour les justes la joie, pour les pécheurs une nouvelle innocence, pour les élus la gloire, pour tous le salut :
Dons que le Christ apporta des cieux, qu'il assura par ses souffrances à la terre, sauvant le monde qu'il était venu vaincre.
Il se repose sous le feuillage du rosier, se blesse à ses épines, se couronne de ses fleurs : et de la sorte nous appelle, nous justifie, nous récompense.
Grâce donc à la tige bénie, à ses feuilles, à ses ronces, à ses roses, la patrie est à nous ; ses délices nous attendent là où demeure l'auguste jardinière,
L'impératrice qui se complaît dans les associations de notre milice sainte, comme elle préside à la triple hiérarchie des neuf chœurs.
Triomphatrice nouvelle, qui réparez l'antique désastre, à vous nos chants !
Mais voici qu'à nouveau l'ennemi menace et rugit ; si vous ne l'arrêtez, c'en est fait des chrétiens.
Nous vous saluons, ô vous la demeure du Verbe, sanctuaire de l'Esprit-Saint, fille du Père souverain.
Contre les traits de l'ennemi, dans les dangers multiples de cette vie, que votre secours soit sur nous toujours.
Qu'après le combat notre couronne soit formée des roses et des lis que produit le parterre des cieux.
Amen."
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dimanche, 21 octobre 2007
Dimanche 21 octobre 2007. XXIe dimanche après la Pentecôte.
- XXIe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.
Le mauvais serviteur refuse de patienter vis-à-vis de son débiteur. G. Doré. XIXe.
Les Dimanches qui vont suivre sont les derniers du Cycle ; mais le degré de proximité qui les met en rapport avec son dernier terme, varie chaque année selon le mouvement de la Pâque. Cette mobilité rend impossible la recherche d'un accord précis entre la composition de leurs Messes et les lectures de l'Office de la nuit, qui se font à terme fixe depuis le mois d'août en la manière que nous avons dite (VIIe Dim. ap. la Pentec.).
Cependant l'instruction que les fidèles doivent tirer de la sainte Liturgie serait incomplète, la préoccupation de l'Eglise dans ces dernières semaines ne leur apparaîtrait pas aussi claire qu'il convient pour les dominer pleinement, s'ils ne se rappelaient que les mois d'octobre et de novembre sont remplis, le premier par la lecture des Machabées qui nous animent pour les derniers combats, le second par celle des Prophètes annonçant les jugements de Dieu (Myst. du Temps ap. la Pentec. tome I.).
A LA MESSE
Durand de Mende, dans son Rational, s'applique à montrer que ce Dimanche et ceux qui le suivent relèvent toujours de l'Evangile des noces divines, et n'en sont que le développement.
" Parce que, dit-il pour aujourd'hui, ces noces n'ont point de plus grand ennemi que la jalousie de Satan contre l'homme, l'Eglise traite, en ce Dimanche, de la guerre contre Satan et de l'armure qu'il nous faut revêtir pour soutenir cette guerre, comme on le verra dans l'Epître. Et parce que le cilice et la cendre sont les armes de la pénitence, l'Eglise emprunte, dans l'Introït, la voix de Mardochée qui priait Dieu sous le cilice et la cendre (Dur. Ration. VI, 138.)."
Les réflexions de l'évêque de Mende sont fondées. Mais, si la pensée de l'union divine qui se consommera bientôt ne quitte pas l'Eglise, c'est surtout néanmoins en s'oubliant elle-même, pour ne songer qu'aux hommes dont le salut lui a été confié par l'Epoux, qu'elle se montrera véritablement Epouse dans les malheurs des derniers temps. Nous l'avons dit : l'approche du jugement final, l'état lamentable du monde dans les années qui précéderont immédiatement ce dénouement de l'histoire humaine, inspire et remplit maintenant la Liturgie. Aujourd'hui, la partie de la Messe qui frappait surtout nos pères était l'Offertoire tiré de Job, avec ses Versets aux exclamations si expressives, aux répétitions si instantes ; et l'on peut dire, en effet, que cet Offertoire donne bien le vrai sens qu'il convient d'attribuer au vingt et unième Dimanche après la Pentecôte.
Le monde, réduit, comme Job sur son fumier, à la misère la plus extrême, n'a plus rien à espérer que de Dieu seul. Les saints qu'il renferme encore, entrant pour lui dans les dispositions du juste de l'Idumée, honorent le Seigneur par une patience et une résignation qui n'enlèvent rien à la puissance et à l'ardeur de leurs supplications. C'est le sentiment qui met tout d'abord en leur bouche la prière sublime que Mardochée formulait pour son peuple condamné à une extermination absolue, figure de celle qui attend le genre humain (Esth. XIII, 9-11.).
EPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Ephésiens. Chap. VI.
" Mes Frères, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans sa vertu toute-puissante. Revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable ; car nous n'avons point à lutter contre des hommes de chair et de sang, mais contre les princes et les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l'air. C'est pourquoi prenez l'armure de Dieu, afin de pouvoir résister, au jour mauvais, et demeurer parfaits en toutes choses. Tenez donc ferme, les reins ceints dans la vérité, revêtus de la cuirasse de justice, les pieds chaussés pour marcher dans la voie de l'Evangile de paix; ayez toujours le bouclier de la foi, sur lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés de l'esprit mauvais ; prenez aussi le casque du salut, et l'épée spirituelle qui est la parole de Dieu."
Les commencements de l'union divine sont, d'ordinaire, sous le charme d'une sérénité sans mélange. L'éternelle Sagesse qui, tout d'abord, a conduit l'homme par les épreuves laborieuses de la purification de l'esprit et des sens, le laisse, quand l'alliance est conclue, reposer sur son sein, et achève de se l'attacher par des délices enivrantes qui sont l'avant-goût des joies célestes. Il semble que, selon la prescription du Deutéronome (Deut. XXIV, 5.), nulle guerre, nul souci, ne doivent troubler les premiers temps de cette union fortunée. Mais une telle exemption des charges publiques ne se prolonge jamais ; car la guerre est la condition de tout homme ici-bas (Job. VII, 1.).
Le Très-Haut se complaît dans la lutte ; il n'est point de nom qui lui soit plus souvent appliqué par les Prophètes que celui de Dieu des armées. Son Fils, qui est l'Epoux, se présente à la terre comme le Seigneur puissant dans les combats (Psalm. XXIII, 8. 6.). L'épithalame sacré nous le montre ceignant l'épée (Psalm. XLIV, 4.), et se faisant jour par ses flèches aiguës au travers des ennemis (Ibid. 6.), pour arriver dans la valeur et la victoire jusqu'à son Epouse (Ibid. 5.). Pareille à lui, cette Epouse dont il a convoité la beauté (Ibid. 12.), qu'il veut associer à toutes ses gloires (Ibid. 10.), s'avance au-devant de lui dans l'éclat d'une parure de guerre (Cant. IV, 4.), entourée de chœurs chantant les hauts faits de l'Epoux (Ibid. VII, 1.), terrible elle-même comme une armée rangée en bataille (Ibid. VI, 9.). L'armure des forts charge ses bras et sa poitrine ; son cou rappelle la tour de David avec ses remparts et ses mille boucliers.
Dans les délices de son union avec l'Epoux, les plus vaillants guerriers l'entourent. Leur titre à cet honneur est la sûreté de leur glaive et leur science des combats ; chacun d'eux a l'épée au côté, dans la crainte des surprises de la nuit (Cant. III, 7-8.). Car d'ici que se lève le jour éternel, et que les ombres de la vie présente s'évanouissent (Ibid. IV, 6.) dans la lumière de l'Agneau pleinement vainqueur (Apoc. XXI, 9, 23.), la puissance est aux chefs de ce monde de ténèbres, nous dit saint Paul ; et c'est contre eux qu'il nous faut revêtir l'armure de Dieu dont il parle, si nous voulons être en mesure de résister, au jour mauvais.
Les jours mauvais, que signalait l'Apôtre Dimanche dernier déjà (Eph. V, 16.), sont nombreux dans la vie de chaque homme et dans l'histoire du monde. Mais, pour chaque homme et pour le monde, il est un jour mauvais entre tous : celui de la fin et du jugement, dont l'Eglise chante que le malheur et la misère en feront un jour grand d'amertume (Resp. Libéra me.). Les années ne sont données à l'homme, les siècles ne se suivent pour le monde, que dans le but de préparer le dernier jour. Heureux les combattants du bon combat et les vainqueurs en ce jour terrible (II Tim. IV, 7.), ceux qui, selon le mot du Docteur des nations, apparaîtront alors debout sur les ruines et parfaits en tout ! Ils ne connaîtront point la seconde mort (Apoc. 11, 11.) ; couronnés du diadème de la justice (II Tim. IV, 8.), ils régneront avec Dieu (Apoc. XX, 6.) sur le trône de son Verbe (Ibid. III, 21.).
La guerre est facile avec l'Homme-Dieu pour chef. Il ne nous demande, par son Apôtre, que de chercher notre force en lui seul et dans la puissance de sa vertu. C'est appuyée sur son Bien-Aimé que l'Eglise monte du désert ; soutenue ainsi, elle afflue de délices dans les plus mauvais jours (Cant. VIII, 5.). L'âme fidèle se sent émue d'amour à la pensée que les armes qu'elle porte sont celles mêmes de l'Epoux. Ce n'est point en vain que les Prophètes nous l'avaient dépeint à l'avance ceignant le premier le baudrier de la foi (Isai. XI, 5.), prenant le casque du salut (Ibid. LIX, 17.), le bouclier, la cuirasse de justice (Sap. V, 19-20.), le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu (Apoc. II, 16.) : l'Evangile nous l'a montré descendu dans la lice pour former les siens, par son exemple, au maniement de ces armes divines.
Armes multiples en raison de leurs multiples effets, et qui toutes cependant, offensives ou défensives, se résument dans la foi. Il est facile de le voir en lisant notre Epître, et c'est ce que notre chef divin a voulu nous apprendre, lorsqu'à la triple attaque dirigée contre lui sur la montagne de la Quarantaine, il se contenta de répondre en invoquant par trois fois l'Ecriture (Matth. IV, 1-11.). La victoire qui triomphe du monde est celle de notre foi, dit saint Jean (I Johan. V, 4.) ; c'est dans le combat de la foi que Paul, à la fin de sa carrière, résume les luttes de son existence (II Tim. IV, 7.) et de toute vie chrétienne (I Tim. VI, 12.).
C'est la foi qui, en dépit des conditions désavantageuses signalées par l'Apôtre, assure le triomphe aux hommes de bonne volonté. Si l'on devait, dans la lutte engagée, estimer les espérances de succès des parties adverses à la comparaison de leurs forces respectives, la présomption ne serait certes pas en notre faveur. Car ce n'est point à des êtres de chair et de sang comme nous le sommes, qu'il nous faut tenir tête, mais à des ennemis insaisissables, remplissant l'air et pourtant invisibles, intelligents et forts, connaissant à merveille les tristes secrets de notre pauvre nature déchue, et tournant tous leurs avantages contre l'homme à le tromper, pour le perdre en haine de Dieu. Créés à l'origine pour refléter dans la pureté d'une nature toute spirituelle l'éclat divin de leur auteur, ils montrent, accompli en eux par l'orgueil, ce hideux prodige de pures intelligences dévouées au mal et à la haine de la lumière.
Comment donc nous, qui déjà ne sommes par notre nature qu'obscurité, lutterons-nous avec ces puissances spirituelles mettant leur intelligence au service de la nuit ?
" En devenant lumière ", dit saint Jean Chrysostome (Chrys. Hom. XXII in ep. ad Eph.). La face du Père, il est vrai, ne doit point luire directement sur nous avant le grand jour de la révélation des fils de Dieu ; mais d'ici là, pour suppléer à notre cécité, nous avons la parole révélée (II Petr. II, 19.). Le baptême a ouvert l'ouïe en nous, quoique non encore les yeux ; Dieu parle par l'Ecriture et son Eglise, et la foi nous donne une certitude aussi grande que si déjà nous voyions.
Par sa docilité d'enfant, le juste marche en paix dans la simplicité de l'Evangile. Mieux que le bouclier, mieux que le casque et la cuirasse, la foi le couvre contre les dangers ; elle émousse les traits des passions, et rend impuissantes les ruses ennemies Point n'est besoin avec elle de subtils raisonnements ni de considérations prolongées : pour découvrir les sophismes de l'enfer ou prendre une décision dans un sens ou dans l'autre, ne suffit-il pas, en toute circonstance, de la parole de Dieu qui ne manque jamais ? Satan craint qui s'en contente. Il redoute plus un tel homme que toutes les académies ; il sait qu'en toute rencontre, il sera broyé sous ses pieds (Rom. XVI, 20.) avec une rapidité plus grande que celle de la foudre (Luc. X, 18.). Ainsi, au jour du grand combat (Apoc. XII, 7.), fut-il précipité des cieux par un seul mot de Michel l'Archange, devenu, comme nous l'avons dit, notre modèle et notre défenseur en ces jours.
L'Eglise, dans le Graduel et le Verset, rappelle au Seigneur qu'il n'a jamais cessé d'être le refuge de son peuple ; sa bonté, comme sa puissance, est d'avant tous les âges, parce qu'il est Dieu dès l'éternité. Qu'il protège donc maintenant les siens réduits à préparer dans leur petit nombre, comme autrefois Israël, l'exode final de l'Eglise quittant pour la vraie terre promise ce monde redevenu infidèle.
ÉVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XVIII.
Le mauvais serviteur refuse de patienter vis-àvis de son débiteur (détail). G. Doré. XIXe.
" En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples cette parabole :
Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Et ayant commencé à le faire, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents. Or, comme il n'avait pas de quoi rendre, son maître ordonna de le vendre avec sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait, pour payer sa dette. Mais ce serviteur, se jetant à ses pieds, le priait disant :
" Ayez patience à mon endroit, et je vous rendrai tout."
Le maître ayant donc pitié de ce serviteur, le renvoya et lui remit sa dette.
Mais ce serviteur, étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et le saisissant il l'étouffait, disant : Rends ce que tu dois. Et son compagnon, se jetant à ses pieds, le suppliait disant :
" Ayez patience à mon endroit, et je vous rendrai tout."
Mais l’autre ne voulut point l'entendre, et, s'en allant, il le fit mettre en prison jusqu'à ce qu'il payât sa dette.
Les serviteurs ses compagnons, voyant ce qui se passait, en furent grandement centristes, et ils vinrent raconter à leur maître tout ce qui était arrivé.
Alors son maître, le faisant venir, lui dit :
" Méchant serviteur, je vous ai remis toute votre dette, parce que vous m'en avez prié ; ne fallait-il donc pas que vous aussi eussiez pitié de votre compagnon, comme moi-même j'ai eu pitié de vous ?"
Et le maître en colère le livra aux bourreaux, jusqu'à ce qu'il eût payé toute sa dette.
Ainsi fera pour vous mon Père céleste, si vous ne pardonnez chacun à votre frère, du fond de vos cœurs."
" Juge vengeur et juste, accordez-nous remise avant le jour des comptes (Sequ. Dies irae.) !"
C'est le cri qui s'échappe du cœur de l'Eglise en ces jours, lorsqu'elle songe au sort de ses innombrables fils moissonnés chaque année par la mort ; c'est la supplication qui doit s'élever de toute âme vivante, à la lecture de l'Evangile que nous venons d'entendre. La Prose des morts, d'où est tirée cette exclamation poignante, n'est point seulement une prière sublime pour les trépassés; elle est également, dans cette partie du Cycle, l'expression de l'attente de nous tous qui vivons encore, qui semblons abandonnés, oubliés sur le soir des siècles, et pourtant ne préviendrons point au pied du redoutable tribunal " ceux qui dorment déjà du grand sommeil " (I Thess. V, 14-16.).
" Combien grande sera la terreur, dit la sainte, Mère Eglise, quand le juge viendra pour tout scruter rigoureusement ! La trompette éclatante, retentissant par les sépulcres de l'univers, rassemblera tous les humains devant le trône. La mort et la nature seront dans la stupeur, lorsque ressuscitera la créature pour répondre à son juge.
On produira le livre écrit renfermant tout l'objet du jugement du monde. Quand donc s'assiéra le juge, tout ce qui se cache apparaîtra, rien ne demeurera sans vengeance. Que dirai-je alors, malheureux ? quel défenseur implorerai-je, quand à peine rassuré sera le juste ? Roi de majesté redoutable, qui sauvez gratuitement ceux qui doivent l'être, sauvez-moi, source de miséricorde. Souvenez-vous, ô doux Jésus, que je suis la cause de votre venue : ne me perdez pas en ce jour (Sequ. Dies irae.) !"
Sans nul doute, une telle prière a toute chance d'être exaucée, lorsqu'elle s'adresse ainsi à celui qui n'a rien plus à cœur que notre salut, et qui, pour l'obtenir, s'est dévoué aux fatigues, aux tourments, à la mort de la croix. Mais nous serions inexcusables et mériterions doublement la condamnation, en ne profitant pas des avis qu'il nous donne lui-même, pour parer d'avance aux angoisses de " ce jour de larmes où l'homme coupable se lèvera de sa cendre pour être jugé " (Ibid.). Méditons donc la parabole de notre Evangile, qui n'a d'autre but que de nous enseigner un moyen sûr d'apurer dès maintenant nos comptes avec le Roi éternel.
Nous sommes tous, aie bien prendre, ce serviteur négligent, débiteur insolvable, que son maître est en droit de vendre avec tout ce qu'il possède et de livrer aux bourreaux. La dette contractée par nos fautes envers la Majesté souveraine est de telle nature qu'elle requiert, en toute justice, des tourments sans fin, et suppose un enfer éternel où, payant sans cesse, l'homme pourtant ne s'acquitte jamais. Louange donc et reconnaissance infinie au divin créancier ! Touché par les prières du malheureux qui le supplie de lui donner le temps de s'acquitter, il va plus loin que sa demande et lui remet dès l'instant toute sa dette.
Mais c'est à la condition pour le serviteur, la suite le fait bien voir et la clause est trop juste, d'en user avec ses compagnons comme son maître l'a fait avec lui. Exaucé si grandement par son Seigneur et Roi, délivré gratuitement d'une dette infinie, pourrait-il rejeter, venant d'un égal, cette même prière qui l'a sauvé, et se montrer impitoyable au sujet des obligations contractées envers lui ?
" Tout homme sans doute, dit saint Augustin, a son frère pour débiteur ; car quel est l'homme qui n'ait jamais été offensé par personne ? Mais quel est l'homme aussi qui ne soit le débiteur de Dieu, puisque tous ont péché ? L'homme est donc à la fois débiteur de Dieu, créancier de son frère. C'est pourquoi le Dieu juste t'a posé cette règle d'en agir avec ton débiteur comme il le fait avec le sien... (Aug. Serm. LXXXIII, 2.)."
Tous les jours nous prions, tous les jours nous faisons monter la même supplication aux oreilles divines, tous les jours nous nous prosternons pour dire : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à nos débiteurs (Matth. VI, 12.). De quelles dettes parles-tu ? de toutes tes dettes, ou seulement d'une partie ? Tu vas dire : De toutes. Remets donc tout toi-même à ton débiteur, puisque c'est la règle posée, la condition acceptée (Aug. Ibid. 4.)."
" Il est plus grand, dit saint Jean Chrysostome, de remettre au prochain ses torts envers nous qu'une dette d'argent; car, en lui remettant ses péchés, nous imitons Dieu (Chrys. in ep. ad Eph. Hom. XVII, 1.)."
Et qu'est donc, après tout, le tort de l'homme envers l'homme, comparé à l'offense de l'homme envers Dieu ? Cependant, hélas ! celle-ci nous est familière : le juste la connaît sept fois le jour (Prov. XXIV, 16.) ; plus ou moins donc, elle remplit nos journées. Qu'au moins l'assurance d'être pardonnes chaque soir à la seule condition du désaveu de nos misères, nous rende accessibles à la miséricorde pour autrui.
C'est une sainte habitude que celle de ne regagner sa couche qu'à la condition de pouvoir s'endormir sur le sein de Dieu, comme l'enfant d'un jour ; mais si nous éprouvons l'heureux besoin de ne trouver à la fin de nos journées, dans le cœur du Père qui est aux cieux (Matth. VI, 9.), qu'oubli de nos fautes et tendresse infinie, comment prétendre garder en même temps dans notre cœur à nous de fâcheux souvenirs ou des rancunes, petites ou grandes, contre nos frères qui sont aussi ses fils ? Lors même que nous aurions été de leur part l'objet d'injustes violences ou d'atroces injures, leurs fautes contre nous égaleront-elles jamais nos attentats contre ce Dieu très bon dont nous sommes nés les ennemis, dont nous avons causé la mort ?
Il n'est donc point de circonstance où ne s'applique la règle de l'Apôtre : " Soyez miséricordieux, pardonnez-vous mutuellement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ ; soyez les imitateurs de Dieu comme ses fils très chers " (Eph. IV, 32 ; V, 1.). Tu appelles Dieu ton Père, et tu gardes mémoire d'une injure ! " Ce n'est pas là le fait d'un fils de Dieu ", dit encore admirablement saint Jean Chrysostome ; " l'œuvre d'un fils de Dieu, c'est de pardonnera ses ennemis, de prier pour ceux qui le crucifient, de répandre son sang pour ceux qui le haïssent. Voilà qui est digne d'un fils de Dieu ; les ennemis, les ingrats, les voleurs, les impudents, les traîtres, en faire ses frères et ses cohéritiers (Chrys. in ep. ad Eph. Hom. XIV, 3.) !"
Nous donnons ici en son entier le célèbre Offertoire de Job, avec ses Versets. Ce que nous avons dit, au commencement de ce Dimanche, aidera à le faire comprendre. L'Antienne, seule conservée aujourd'hui, nous représente, dit Amalaire, les paroles de l'historien qui raconte simplement les faits, et elle se poursuit à cause de cela directement ; tandis que Job lui-même, le corps épuisé, l'âme remplie d'amertume, est mis en scène dans les versets : leurs répétitions, leurs suspensions, leurs reprises, leurs phrases inachevées, expriment au vif son souffle haletant et sa douleur (Amal. De eccl. Off. L. III, c. 39.).
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dimanche, 14 octobre 2007
14 octobre 2007. XXe dimanche après la Pentecôte.
- XXe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.
La guérison du fils de l'officier à Capharnaüm. Maître de Paul et Barnabé. Flandres. XVIe.
A LA MESSE
L'Evangile d'il y a huit jours avait pour objet la promulgation des noces du Fils de Dieu et de la race humaine. La réalisation de ces noces sacrées est le but que Dieu se proposait dans la création du monde visible, le seul qu'il poursuive dans le gouvernement des sociétés. Dès lors, on ne doit pas s'étonner que la parabole évangélique, en nous révélant sur ce point la pensée divine, ait mis aussi en lumière le grand fait de la réprobation des Juifs et de la vocation des Gentils, qui est à la fois le plus important de l'histoire du monde et le plus intimement lié à la consommation du mystère de l'union divine.
L'exclusion de Juda doit cependant, nous l'avons dit (XIIIe dim. ap. la Pentec.), cesser un jour. Son obstination a valu aux Gentils de voir se diriger vers eux le message de l'amour. Mais aujourd'hui la plénitude des nations (Rom. XI, 25-26.) a entendu l'invitation céleste ; le temps est proche où l'accession d'Israël va compléter l'Église en ses membres, et donner à l'Epouse le signal de l'appel suprême qui mettra fin au long travail des siècles (Rom. VIII, 22.), en faisant apparaître l'Epoux (Apoc. XXII, 17.).
L'heureuse jalousie que l'Apôtre voulait exciter dans les hommes de sa race en se tournant vers les nations (Rom. XI, 13-14), se fera donc sentir enfin au cœur des descendants de Jacob. Quelle joie au ciel, quand leur voix, repentante et suppliante, s'unira devant Dieu aux chants d'allégresse de la gentilité célébrant l'entrée de ses peuples sans nombre dans la salle du banquet divin ! Un tel concert sera véritablement le prélude du grand jour salué par saint Paul à l'avance, lorsqu'il disait des Juifs dans son patriotique enthousiasme : " Si leur chute a été la richesse du monde et leur diminution la richesse des Gentils, que sera-ce de leur plénitude ?" (Ibid. 12.).
Or la Messe du XXe Dimanche après la Pentecôte nous donne un avant-goût de ce moment fortuné, où la reconnaissance du nouveau peuple ne sera plus seule à chanter les bienfaits divins. Les anciens liturgistes s'accordent à nous la montrer composée, par moitié, des accents des prophètes fournissant à Jacob l'expression du repentir qui lui vaudra le retour des divines faveurs, et, par moitié, des formules inspirées dans lesquelles les nations, déjà rangées dans la salle du festin des noces, exhalent leur amour (Berno Aug. V ; Rup. De div. Off. XII, 20 ; Durand. Ration, VI, 137.). Le chœur des Gentils se fait entendre au Graduel et dans la Communion, le chœur des Juifs dans l'Introït et l'Offertoire.
ÉPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul , Apôtre , aux Ephésiens. Chap. V.
" Mes Frères, voyez avec quelle circonspection vous devez vous conduire, non comme des insensés, mais comme des sages, rachetant le temps, car les jours sont mauvais. C'est pourquoi ne soyez pas imprudents, mais comprenez quelle est la volonté de Dieu. Ne vous laissez pas entraîner aux excès du vin, d'où vient la luxure ; mais remplissez-vous de l'Esprit-Saint, vous entretenant de psaumes, d'hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant dans vos cœurs au Seigneur, rendant grâces en tout temps pour toutes choses à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, vous soumettant les uns aux autres dans la crainte du Christ."
L’approche de la consommation des noces du Fils de Dieu coïncidera ici-bas avec un redoublement des fureurs de l'enfer pour perdre l'Epouse. Le dragon de l'Apocalypse (Apoc. XII, 9.), l'ancien serpent séducteur d'Eve, vomissant comme un fleuve sa bave immonde (Ibid. 15.), déchaînera toutes les passions pour entraîner la vraie mère des vivants sous l'effort. Cependant il sera impuissant à souiller le pacte de l'alliance éternelle ; et, sans forces contre l'Eglise, il tournera sa rage contre les derniers fils de la nouvelle Eve, réservés pour l'honneur périlleux des luttes suprêmes qu'a décrites le prophète de Pathmos (Ibid. 17.).
C'est alors surtout que les chrétiens fidèles devront se souvenir des avis de l'Apôtre, et se conduire avec la circonspection qu'il recommande, mettant tous leurs soins à garder pure leur intelligence non moins que leur volonté, dans ces jours mauvais. Car la lumière n'aura point alors à subir seulement les assauts des fils de ténèbres étalant leurs perverses doctrines ; elle sera plus encore, peut-être, amoindrie et faussée par les défaillances des enfants de lumière eux-mêmes sur le terrain des principes, par les atermoiements, les transactions, l'humaine prudence des prétendus sages. Plusieurs sembleront ignorer pratiquement que l'Epouse de l'Homme-Dieu ne peut succomber sous le choc d'aucune force créée. S'ils se souviennent que le Christ s'est engagé à garder lui-même son Eglise jusqu'à la fin des siècles (Matth. XXVIII, 20.), ils n'en croiront pas moins faire merveille en apportant à la bonne cause le secours d'une politique dont les concessions ne seront pas toujours pesées suffisamment au poids du sanctuaire : sans songer que le Seigneur n'a point besoin, pour l'aider à tenir sa promesse, d'habiletés détournées ; sans se dire surtout que la coopération qu'il daigne accepter des siens, pour la défense des droits de l'Eglise, ne saurait consister dans l'amoindrissement ou la dissimulation des vérités qui font la force et la beauté de l'Epouse.
Combien oublieront la maxime de saint Paul écrivant aux Romains que se conformer à ce siècle, chercher une adaptation impossible de l'Evangile avec un monde déchristianisé, n'est point le moyen d'arriver à discerner sûrement le bon, le meilleur, le parfait aux yeux du Seigneur (Rom. XII, 2.) ! Aussi sera-ce un grand et rare mérite, en bien des circonstances de ces temps malheureux, de comprendre seulement quelle est la volonté de Dieu, comme le dit notre Epître.
Veillez, dirait saint Jean, à ne point perdre le fruit de vos œuvres ; assurez-vous la pleine récompense qui n'est donnée qu'à la plénitude persévérante de la doctrine et de la foi (II Johan. 8-9.). Au reste, alors comme toujours, selon la parole de l'Esprit-Saint, la simplicité des justes les conduira sûrement (Prov. XI, 3.) ; l'humilité leur donnera la Sagesse (Ibid. 2.) ; et, s'attachant uniquement à cette très noble compagne, ils seront vraiment sages par elle et sauront ce qui plaît au Seigneur (Sap. IX, 10.). Ils comprendront qu'aspirant comme l'Eglise à l'union au Verbe éternel, pour eux comme pour l'Eglise la fidélité à l'Epoux n'est autre chose que la fidélité à à la vérité ; car le Verbe, objet de leur commun amour, n'est autre en Dieu que le rayonnement de la vérité infinie (Sap. VII, 25-26.).
Leur unique soin sera donc toujours de se rapprocher du Bien-Aimé par une ressemblance plus grande avec lui, c'est-à-dire par une reproduction plus complète du vrai dans leurs paroles et leurs actes. Et en cela ils serviront la société comme elle doit l'être, mettant en pratique le conseil du Seigneur qui nous demande de chercher d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et de nous confier en lui pour le reste (Matth. VI, 33.). Laissant à d'autres la recherche d'humaines et louvoyantes combinaisons, d'incertains compromis destinés, dans la pensée de leurs auteurs, à retarder de quelques semaines, de quelques mois peut-être, le flot montant de la révolution, ils comprendront différemment, pour eux, le conseil de racheter le temps que nous donne l'Apôtre.
L'Epoux avait acheté le temps d'un grand prix, pour être employé par ses membres mystiques à la glorification du Très-Haut. Perdu parla multitude dévoyée dans la révolte et l'orgie, les âmes fidèles le rachèteront en donnant une telle intensité aux actes de leur foi et de leur amour, que rien ne soit diminué, s'il se peut, jusqu'au dernier moment, du tribut qu'offrait chaque jour la terre à la Trinité souveraine. Contre la bête à la bouche insolente et pleine de blasphèmes (Apoc. XIII, 5-6.), ils reprendront le cri de Michel contre Satan promoteur de la bête (Ibid. 2.) : Qui est comme Dieu !
L'antiquité chrétienne appelait les dernières semaines du Cycle à son déclin : Semaines du saint Ange ; nous avons vu comment, dans un de ces Dimanches (XVIIe dim. ap. la Pentec.), elle chantait l'arrivée du grand Archange au secours du peuple de Dieu, ainsi que Daniel l'avait annoncé pour les derniers jours du monde (Dan. XII, 1.).
Quand donc commenceront les épreuves de la fin, lorsque l'exil dispersera les baptisés et que le glaive s'abattra sur leurs têtes (Apoc. XIII, 7, 10.) aux applaudissements d'un monde prosterné devant la bête et son image (Ibid. 3, 4, 8, 15.), n'oublions point que nous avons un chef choisi par Dieu, acclamé par l'Eglise, pour nous conduire dans ces derniers combats où la défaite des saints (Ibid. 7.) sera plus glorieuse que les triomphes de l'Eglise aux jours de sa domination sur le monde. Ce que Dieu alors, en effet, demandera des siens, ce ne sera plus ni le succès de la diplomatie, ni la victoire armée, mais la fidélité à sa vérité, à son Verbe : fidélité d'autant plus franche et plus entière, que la défection sera plus universelle autour de la petite troupe rangée sous la bannière de l'Archange. Proféré par une seule poitrine fidèle avec la vaillance de la foi et l'ardeur de l'amour en de telles circonstances, le cri de saint Michel, une fois déjà vainqueur des infernales légions, honorera plus Dieu que ne l'atteindront les ignobles blasphèmes des millions d'êtres dégradés sectateurs de la bête.
Pénétrons-nous de ces pensées que suggèrent les premières lignes de notre Epître ; comprenons également les autres instructions qu'elle renferme et qui, du reste, ne s'éloignent pas des premières. Pour ce Dimanche où se lisait autrefois l'Evangile des noces du Fils de l'homme et de l'appel à son divin banquet, la sainte Eglise remarque opportunément, dans l'Epître, combien l'ivresse et les délices des noces sacrées sont différentes des joies mondaines. La sérénité, la pureté, la paix du juste admis dans l'intimité divine, font en son âme un festin continuel (Prov. XV, 16.) dont la Sagesse est le mets savoureux (Eccli. XXIV, 20.) et l'éternelle convive (Sap. VIII, 16 ; Apoc. III, 20.). Laissant le monde à ses mesquins et trop souvent honteux plaisirs, le Verbe et l'âme, qu'il a remplie de l’Esprit-Saint par un mode ineffable (Cant. I, 1.), s'unissent pour chanter le Père souverain dans un concert merveilleux, où l'action de grâces et la louange trouvent sans cesse un nouvel aliment.
Le hideux spectacle qu'offrira la terre, quand ses habitants se porteront en foule au-devant de la prostituée siégeant sur la bête et leur offrant la coupe d'ignominie (Apoc. XVII, 1-5.), n'empêchera point le ciel de se reposer délicieusement dans la contemplation de ces âmes fortunées. Car les convulsions du monde agonisant, les poursuites de la femme ivre du sang des martyrs (Ibid. 6.), loin de troubler l'harmonie qui s'élève de l'âme unie au Verbe, ne feront que donner plus d'ampleur à ses notes divines, plus de suavité à ses accents humains. " Qui donc, en effet, nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Sera-ce la tribulation ou l'angoisse ? la faim ou la nudité ? les dangers, la persécution, le glaive ? Oui, sans doute, il est écrit qu'à cause de vous, tous les jours on nous met à mort, qu'on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie (Psalm. XLIII, 22.)! Mais en tout cela nous sommes vainqueurs, à cause de celui qui nous a aimés. Car je suis sûr que ni la mort, ni la vie, ni anges, ni principautés, ni vertus, ni choses présentes, ni choses futures, ni violence, ni rien de ce qui est dans les hauteurs, ni rien de ce qui est dans les abîmes, ni créature quelconque ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur (Rom. VIII, 35-39.)."
EVANGILE
La guérison du fils de l'officier à Capharnaüm (détail). Maître de Paul et Barnabé. Flandres. XVIe.
La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. IV.
" En ce temps-là, un officier dont le fils était malade à Capharnaüm, ayant appris que Jésus venait de Judée en Galilée, alla vers lui ; et il le priait de descendre et de guérir son fils, car la mort approchait. Jésus lui dit donc : Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point.
L'officier lui dit :
" Seigneur, descendez avant que mon fils ne meure."
Jésus répondit :
" Allez, votre fils est vivant."
L'homme crut à la parole que Jésus lui avait dite, et il s'en alla. Comme déjà il s'en retournait , les serviteurs vinrent à sa rencontre et lui annoncèrent que son fils était vivant. Et comme il s'informait de l'heure où le mieux s'était produit, ils lui dirent :
" Hier, à la septième heure , la fièvre l'a quitté."
Le père reconnut donc que c'était l'heure à laquelle Jésus lui avait dit : " Votre fils est vivant " ; et il crut, ainsi que toute sa maison."
L'Evangile est tiré de saint Jean aujourd'hui, pour la première et l'unique fois dans tout le cours des Dimanches après la Pentecôte. Il donne son nom de l'Officier de Capharnaüm au vingtième Dimanche. L'Eglise l'a choisi parce qu'il n'est pas sans une relation mystérieuse avec l'état du monde, dans les temps auxquels se rapportent prophétiquement les derniers jours du Cycle.
Le monde penche vers sa fin, et lui aussi commence à mourir. Miné par la fièvre des passions dans Capharnaûm, la ville du lucre et des jouissances, déjà il est sans forces pour aller de lui-même au-devant du médecin qui pourrait le guérir. C'est à son père, aux pasteurs qui l'ont engendré dans le baptême à la vie de la grâce, et gouvernent le peuple chrétien comme officiers de la sainte Eglise, c'est à eux de se rendre auprès du Seigneur et de lui demander le salut du malade. Le disciple bien-aimé nous fait savoir, en tête de son récit (Johan. IV, 46.), qu'ils trouveront Jésus à Cana, la ville des noces et de la manifestation de sa gloire au banquet nuptial (Ibid. 11, 11.) ; c'est le ciel, où l'Homme-Dieu réside depuis qu'il a quitté notre terre, laissant ses disciples, privés de l'Epoux (Matth. IX, 15.), s'exercer pour un temps dans le champ de la pénitence.
Etymologiquement, en effet, Capharnaüm signifie le champ de la pénitence et de la consolation qui naît de la pénitence. Telle devait être cette terre pour l'homme depuis sa sortie d'Eden, telle était la consolation à laquelle devait aspirer pendant cette vie le pécheur ; et c'est pour en avoir préféré d'autres, pour avoir voulu faire du champ de la pénitence un paradis nouveau, que le monde est maintenant près de finir. Car il n'a remplacé les délices vivifiantes de l'Eden que par le plaisir défendu qui tue l'âme, énerve les corps, et appelle la vengeance de Dieu.
Son seul remède est dans le zèle des pasteurs, et dans la prière de cette portion du troupeau du Christ qui ne s'est point laissée entraîner aux séductions de la licence universelle. Mais combien il importe que fidèles et pasteurs, sans retours personnels, entrent pleinement sur ce point dans les sentiments de la sainte Eglise ! En butte à l'ingratitude la plus révoltante, aux injustices, aux calomnies, aux perfidies de tout genre, la mère des peuples oublie ses injures pour ne penser qu'à la saine prospérité et au salut des nations qui l'outragent (Allocutions de Léon XIII). Elle sait, à n'en pas douter, que le terme approche où le Très-Haut se fera justice enfin ;et, cependant, elle n'en continue pas moins de lutter contre Dieu, comme Jacob (Gen. XXXII, 24-28.), jusqu'à l'aurore du jour terrible qu'ont annoncé David et la sibylle (Sequ. Dies ira.). A la pensée de l'étang de feu (Apoc. XXI, 8.) dont les vapeurs maudites paraissent déjà empester l'air, et qui bientôt va engloutir en une seule fois tous ses enfants insoumis, elle semble oublier jusqu'à l'approche des noces éternelles et à la véhémence de ses désirs d'Epouse; et, ne se souvenant plus de rien sinon qu'elle est mère, elle prie comme elle l'a toujours fait, mais avec plus d'ardeur que jamais, pour le retardement de la fin, pro mora finis (Tertull. Apol. XXXIX.).
Afin de répondre à sa pensée, " réunissons-nous donc, comme le dit Tertullien, en une seule troupe, en une seule assemblée, pour aller trouver Dieu et l'investir de nos prières comme d'une armée. Cette violence lui est agréable (Ibid.)." Mais c'est à la condition d'être inspirée par une foi entière et que rien ne puisse ébranler. Si c'est notre foi qui nous donne la victoire sur le monde (I Johan. V, 4.), c'est elle aussi qui triomphe de Dieu dans les cas les plus extrêmes. Songeons, comme notre mère l'Eglise, au péril imminent de tant de malheureux qui dansent follement sur l'abîme, où demain va s'engloutir en rugissant leur désespoir. Sans doute, ils sont inexcusables ; Dimanche encore, on les avertissait des pleurs et des grincements de dents réservés, sous les ténèbres extérieures, aux contempteurs des noces sacrées (Matth. XXII, 13.).
Mais ils sont nos frères, et nous ne devons pas nous résigner si facilement au deuil de leur perte. Espérons contre toute espérance. L'Homme-Dieu, qui connaissait de science certaine l'inévitable damnation des pécheurs obstinés, en a-t-il moins versé pour eux tout son sang ? Nous voulons mériter de nous unir à lui par une pleine ressemblance ; ayons donc la résolution de l'imiter en cela même, dans la mesure qui peut être la nôtre : prions sans repos ni trêve pour les ennemis de l'Eglise et nos ennemis, tant que leur damnation n'est pas consommée. Dans cet ordre, rien n'est inutile, rien ne se perd. Quoi qu'il arrive, le Seigneur sera grandement glorifié de notre foi et de l'ardeur de notre charité.
Mettons seulement tous nos soins à ne pas mériter les reproches qu'il adressait à la foi boiteuse (Heb. XII, 13.) de la génération dont faisait partie l'officier de Capharnaüm. Nous savons qu'il n'a nul besoin de descendre du ciel en terre, pour donner leur efficacité aux ordres émanés de sa volonté miséricordieuse. S'il daigne multiplier autour de nous les miracles et les prodiges, nous lui serons reconnaissants pour nos frères plus faibles dans la foi, nous prendrons de là occasion d'exalter sa gloire, mais en protestant que notre âme n'avait plus besoin, pour croire à lui, des manifestations nouvelles de sa puissance.
L'ancien peuple, promenant son infortune méritée sur toutes les rives lointaines, revient, dans l'Offertoire, aux accents de la pénitence, et chante, cette fois avec l'Eglise, son admirable psaume CXXXVI qu'aucun chant d'exil n'égala jamais dans aucune langue.
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dimanche, 07 octobre 2007
7 octobre 2007. XIXe dimanche après la Pentecôte.
- XIXe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger.
Parabole du festin. Le " maître du Fils prodigue ". XVIe. Limousin.
A LA MESSE
L'auguste chef du peuple de Dieu est le salut des siens dans tous leurs maux. Ne l'a-t-il pas montré, dimanche dernier, d'une façon éclatante, en restaurant à la fois le corps et l'âme du pauvre paralytique qui nous figurait tous ? Ecoutons sa voix, dans l'Introït, avec reconnaissance et amour ; promettons-lui la fidélité qu'il demande : sa loi, observée, nous gardera de la rechute.
EPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Ephésiens. Chap. IV.
" Mes Frères, renouvelez-vous selon l'esprit,dans votre âme, et revêtez l'homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité. Pour cela, déposant le mensonge, que chacun parle à son prochain dans la vérité, puisque nous sommes membres les uns des autres. Mettez-vous en colère, et ne péchez pas; que le soleil ne se couche point sur votre colère. Ne donnez point place au diable. Que celui qui volait ne vole plus, mais qu'il travaille plutôt, employant ses mains à quelque occupation honnête, pour avoir de quoi donner à celui qui souffre l'indigence."
La lecture de l'Epître aux Ephésiens, suspendue Dimanche en la manière que nous avons rapportée, est reprise aujourd'hui par la sainte Eglise. L'Apôtre a posé précédemment les principes dogmatiques de la vraie sainteté ; il déduit maintenant les conséquences morales de ces principes.
Rappelons-nous que la sainteté en Dieu est sa vérité même, la vérité vivante et harmonieuse, qui n'est autre que le concert admirable des trois divines personnes unies dans l'amour. Nous avons vu que la sainteté pour les hommes est aussi l'union à l'éternelle et vivante vérité par l'amour infini. Le Verbe a pris un corps pour manifester dans la chair cette vérité parfaite (Johan. I, 14.), dont il est l'expression substantielle (Heb. I, 3.) ; son humanité, sanctifiée directement par la plénitude de la vie divine qui réside en lui (Col. II, 3, 9-10.), est devenue le modèle, et aussi le moyen, la voie unique de la sainteté pour toute créature (Johan. XIV, 6.).
Indépendamment du péché, les conditions de la nature finie retenaient l'homme bien loin de la vie divine (Eph. IV, 18.) ; mais il trouve en Jésus-Christ, tels qu'ils sont en Dieu, les deux éléments de cette vie : la vérité et l'amour. En Jésus, comme complément de son incarnation, la Sagesse aspire à s'unir aussi tous les membres de cette humanité dont il est le chef (Ibid I, 10 ; Col. I, 15-2e.) ; par lui l'Esprit-Saint, dont il est le réservoir sacré (Cf. Johan. IV, 14 ; VII, 37, 39.), se déverse sur l'homme pour l'adapter à sa vocation sublime, et consommer dans l'amour infini qui est lui-même cette union de toute créature avec le Verbe divin. Ainsi nous est communiquée la vie de Dieu, dont l'existence se résume dans la contemplation et l'amour de son Verbe ; ainsi sommes-nous sanctifiés dans la vérité (Ibid. XVII, 17.), en participant à la sainteté même dont Dieu est saint par nature.
Mais si le Fils de l'homme, étant Dieu, participe pour sa race à la vie d'union dans la vérité, qui fait la sainteté de la Trinité souveraine, il ne communique cette vie, cette vérité, cette union déifiante, qu'à ceux des hommes qui sont devenus vraiment ses membres, qui reproduisent entre eux en lui, par l'opération de l'Esprit de vérité et d'amour (Ibid XV, 26.), l'unité dont cet Esprit sanctificateur est en Dieu le lien tout-puissant. " Que tous ils soient UN, comme vous en moi et moi en vous, Ô Père, disait l'Homme-Dieu ; qu’ils soient eux aussi UN en nous : je leur ai donné la gloire, c'est-à-dire la sainteté que vous m'avez donnée, pour qu’ils soient UN comme nous-mêmes nous sommes un, pour que, moi en eux et vous en moi, ils soient consommés et parfaits dans l'unité " (Johan. XVII, 21-23.).Tel est, formulé par le Christ en personne, l'axiome simple et fécond, fondement du dogme et de la morale du christianisme. Jésus, dans cette prière sublime, expliquait ce qu'il venait de dire auparavant : " Je me sanctifie pour eux, afin qu'ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la Vérité ". (Ibid. 19.).
Comprenons maintenant la morale de saint Paul en notre Epître, et ce qu'il entend par cette justice et cette sainteté de la vérité qui est celle du Christ (Rom. XIII, 14.), de l’ homme nouveau que doit revêtir quiconque aspire à la possession des richesses énumérées dans les précédents passages de sa lettre immortelle. Qu'on relise l’Epître du XVIIe Dimanche, et l'on y verra que toutes les règles de l'ascétisme chrétien comme de la vie mystique se résument, pour l'Apôtre, dans ces mots : " Soyons soucieux de l'unité " (Eph. IV, 3.). C'est le principe qu'il donne aux commençants comme aux parfaits ; c'est le couronnement des plus sublimes vocations dans l'ordre de la grâce, comme le fondement et la raison de tous les commandements de Dieu : tellement que, si nous devons nous abstenir du mensonge et dire la vérité à ceux qui nous écoutent, le motif en est, d'après l'Apôtre, que nous sommes membres les uns des autres !
Il est une sainte colère, dont parlait le psalmiste (Psalm. IV, 5.), et qu'inspire en certaines occasions le zèle de la loi divine et de la charité ; mais le mouvement d'irritation soulevé dans l'âme doit, alors même, s'apaiser au plus tôt : le prolonger serait donner place au diable, et lui laisser beau jeu pour ébranler ou renverser en nous, par la rancune et la haine, l'édifice de la sainte unité (Chrys. in ep. ad Eph. Hom. XIV.).
Avant notre conversion, le prochain n'avait pas moins que Dieu même à souffrir de nos fautes ; l'injustice nous coûtait peu, quand elle passait inaperçue ; l'égoïsme était notre loi, c'était la garantie du règne de Satan sur nos âmes. Maintenant que l'Esprit de sainteté a chassé l'indigne usurpateur, le meilleur signe de son empire reconquis est que non seulement les droits d'autrui sont désormais sacrés pour nous, mais que notre travail et toutes nos œuvres s'inspirent de la pensée des besoins du prochain à satisfaire. En un mot, poursuit et conclut l'Apôtre un peu plus loin, étant les imitateurs de Dieu comme ses fils très chers, nous marchons dans l'amour (Eph. V, 1-2.).
Ce n'est point autrement que l'Eglise, d'après saint Basile, manifeste au monde la grandeur des biens conférés à cette terre par l'Incarnation. L'assemblée des chrétiens parfaits montre la nature humaine, auparavant rompue et divisée en mille fragments, rejointe maintenant sur elle-même et pour Dieu ; c'est le résumé de ce que le Sauveur a fait dans la chair (Basil. Const. mon. XVIII.).
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XXII.
Parabole du festin (détail) : celui qui n'a pas revêtu la robe nuptiale est jeté " dans les ténèbres extérieures ; c'est là qu'il y a des pleurs et dfes grincements de dents ". Le " maître du Fils prodigue ". XVIe. Limousin.
" En ce temps-là, Jésus parlant en paraboles aux princes des prêtres et aux pharisiens, leur dit : Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler les invités aux noces, et ils ne voulaient pas venir. De nouveau il envoya d'autres serviteurs, leur disant : Dites aux invités : Voici que j'ai préparé mon dîner ; mes taureaux, mes animaux gras sont égorgés, et tout est prêt : venez aux noces. Mais eux n'en tinrent point compte et s'en allèrent, l'un à sa maison des champs, l'autre à son commerce ; les autres même se saisirent de ses serviteurs, et les tuèrent après les avoir couverts d'outrages. Or le roi, l'ayant appris, en fut ému de colère, et, envoyant ses armées, il extermina ces homicides et brûla leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : Les noces sont bien prêtes, mais ceux qui avaient été invités n'en ont pas été dignes. Allez donc dans les carrefours, et appelez aux noces tous ceux que vous trouverez. Et ses serviteurs, sortant sur les routes, rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, mauvais et bons ; et la salle du festin des noces fut remplie. Or le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et il vit là un homme qui n'était pas revêtu de la robe nuptiale. Et il lui dit : Mon ami, comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale ? Mais lui demeura muet. Alors le roi dit à ses gens : Jetez-le, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures ; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Car il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus."
L'Evangile qu'on vient d'entendre a fait donner plus spécialement le nom de Dimanche des conviés aux noces au dix-neuvième Dimanche après la Pentecôte. Dès le commencement néanmoins de la série dominicale qui prend son point de départ à la descente de l'Esprit-Saint, l'Eglise proposait à ses fils l'enseignement évangélique qu'elle offre aujourd'hui derechef à leurs méditations ; au deuxième Dimanche après la Pentecôte, elle empruntait à saint Luc (Luc. XIV, 16-24.) l'exposé de la parabole du grand repas aux nombreux invités, que saint Matthieu, précisant davantage, appelle maintenant le festin des noces.
Placée ainsi au début et vers la fin de la saison liturgique à laquelle préside l'Esprit sanctificateur, cette parabole éclaire toute la partie de l'année qu'elle domine en cette manière, et révèle de nouveau le vrai but qu'y poursuit l'Eglise. Mais combien la lumière n'a-t-elle pas grandi, depuis le jour où nous furent présentées pour la première fois ces allégories mystérieuses ! Ce certain homme, homo quidam , qui fit un grand souper et y appela beaucoup de gens, est devenu le roi qui fait les noces de son fils et nous donne en ces noces l'image du royaume des cieux.
L'histoire du monde, elle aussi, s'est depuis lors développée sous nos yeux, comme l'ont fait, en passant d'un évangéliste à l'autre, les termes eux-mêmes de l'allégorie. Les anciens et premiers conviés, qui d'abord se bornaient à décliner l'invitation du père de famille, ont crû en audace ; s'emparant des porteurs du message que leur adressait l'amour (Dimanche dans l'Oct. du S.-Sacr., comment, sur l'Ev.), ils les ont couverts d'insultes et mis à mort. Nous avons assisté à la vengeance de cet homme qui était Dieu même, du père d'Israël devenu le roi des nations ; nous avons vu ses armées perdre les homicides et briller leur ville (IXe Dim. ap. la Pentec.). Et voilà qu'enfin, malgré le refus des invités de Juda et leur opposition perfide à la célébration des noces du Fils de Dieu, les noces sont prêtes et la salle est remplie.
Le roi céleste a laissé aux serviteurs de son amour le soin d'appeler de toute race les nouveaux conviés ; mais maintenant que les envoyés, selon ses ordres, ont parcouru la terre entière (Psalm. XVIII, 5.), rassemblé les nations pour ce jour de la joie de son cœur (Cant. III, 11.), il va descendre en personne, pour s'assurer lui-même que rien ne manque aux apprêts de la fête et donner le signal du festin éternel des noces sacrées.
Or, pour une telle fête, en un tel lieu, rien ne saurait manquer que de la part des conviés ; que ceux-ci veillent donc à ne pas attirer sur eux, dans cet universel et suprême examen, la défaveur du très-haut prince qui les appelle à son alliance. S'il a daigné les convoquer, malgré leur pauvreté sordide, des places publiques et de tous les carrefours, il leur a laissé tout le temps de déposer les haillons du passé ; sachant bien qu'ils ne pouvaient se pourvoir eux-mêmes, il a mis à leur disposition, pour le banquet nuptial, les plus riches vêtements de sa grâce et des vertus. Malheur donc à quiconque serait trouvé, au dernier jour, sans la robe nuptiale de la charité ! sa faute n'aurait point d'excuse, et le roi la punirait justement par l'exclusion de la salle du festin, comme une insulte à son fils.
Tout ce qui précède, dans les Dimanches qui viennent de s'écouler, nous a montré l'Eglise soucieuse uniquement de préparer l'humanité à ces noces merveilleuses, dont la célébration est le seul but qu'ait poursuivi le Verbe divin en venant sur la terre. Dans son exil qui se prolonge, l'Epouse du Fils de Dieu nous est apparue comme le vivant modèle de ses fils ; mais elle n'a point cessé non plus de les disposer par ses instructions à l'intelligence du grand mystère de l'union divine.
Il y a trois semaines (XVIe Dim. ap. la Pentec.), abordant plus directement qu'elle ne l'avait fait jusque-là le sujet de son unique préoccupation de Mère et d'Epouse, elle leur rappelait l'appel ineffable. Huit jours plus tard (XVIIe Dim.), par ses soins, l'Epoux des noces auxquelles on les conviait se révélait à eux dans cet Homme-Dieu devenu l'objet du double précepte de l'amour qui résume toute la loi. Aujourd'hui, l'enseignement est complet. Elle le précise dans l'Office de la nuit, où saint Grégoire nous donne toute sa pensée ; avec la double autorité d'un grand Docteur et d'un grand Pape, au nom même de l'Eglise, il explique ainsi l'Evangile :
" Le royaume des cieux est l'assemblée des justes. Le Seigneur dit en effet par un prophète : Le ciel est mon trône " (Isai. LXVI, 1.) ; et Salomon dit d'autre part : " L'âme du juste est le trône de la Sagesse " (Sap. VII, 27.), pendant que Paul appelle le Christ : Sagesse de Dieu (I Cor. I, 24.). Si donc le ciel est. le trône de Dieu, nous devons conclure évidemment que, la Sagesse étant Dieu et l'âme du juste le trône de la Sagesse, cette âme est un ciel... Le royaume des cieux est donc bien l'assemblée des justes... Si ce royaume est déclaré semblable à un roi qui fait les noces de son fils, votre charité comprend aussitôt quel est ce roi, père d'un fils roi comme lui-même, à savoir celui dont il est dit dans le psaume : " Ô Dieu, confiez au Roi vos jugements, et votre justice au Fils du Roi (Psalm LXXI, 2.) !"
Dieu le Père a fait les noces de Dieu son Fils, quand il l'a uni à la nature humaine, quand il a voulu que celui qui était Dieu avant les siècles devînt homme sur la fin des siècles. Mais nous devons éviter le danger de laisser à entendre qu'il puisse exister dualité de personnes en notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ... A cause de cela, il peut être à la fois plus clair et plus sûr de dire que le Père a fait les noces du Roi son Fils, en lui unissant par le mystère de l'incarnation la sainte Eglise. Le sein de la Vierge mère a été la chambre nuptiale de cet Epoux, dont le Psalmiste dit (Psalm. XVIII, 6.) : " Il a placé sa tente dans le soleil, il est l’Epoux qui s'avance de sa chambre nuptiale " (Greg. Hom. XXXVIII in Ev.).
Malgré sa qualité d'Epouse chérie du Fils de Dieu, l'Eglise n'en est pas moins sujette ici-bas aux tribulations. Les ennemis de l'Epoux, ne pouvant plus atteindre directement le Seigneur, portent sur elle leur rage. Le Seigneur voit dans ces épreuves, supportées par l'Eglise avec amour, un nouveau trait de cette conformité qu'elle doit avoir avec lui en toutes choses; il la laisse donc souffrir en ce monde, se contentant de la soutenir toujours et de la sauver, comme ledit l'Offertoire, au milieu des maux qui vont croissant autour d'elle.
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