dimanche, 16 septembre 2007
16 septembre 2007. IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.
- IIIe dimanche de septembre, dimanche de Notre Dame des 7 douleurs.
Extraits de l'Année liturgique de dom Prosper Guéranger.
Ô vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur (1) ! Est-ce donc le premier cri de la douce enfant dont la venue a causé joie si pure à la terre ; et fallait-il arborer si tôt le drapeau de la souffrance sur le berceau où repose tant d'innocence et d'amour ? Le cœur de l'Eglise pourtant ne l'a pas trompée; cette fête, à cette date, est toujours la réponse à la question de l'humanité dans l'attente : Que sera cette enfant ?
Raison d'être de Marie, le Sauveur à venir doit en être en tout l'exemplaire. C'est à titre de Mère que fut annoncée, qu'est apparue la Vierge bénie, et dès lors à titre de Mère de douleurs, parce que le Dieu dont la naissance prochaine est le motif de sa propre naissance sera en ce monde l’homme des douleurs et de l'infirmité (2). A qui vous comparer ? chante le prophète des lamentations: ô Vierge, votre affliction est comme l'océan (3). Sur la montagne du Sacrifice, comme mère elle donna son fils, comme épouse elle s'offrit avec lui ; par ses souffrances d'épouse et de mère, elle fut la corédemptrice du genre humain. Une première fête des Douleurs de Marie, préludant aux récits de la grande Semaine, a gravé dans nos âmes cet enseignement et ces souvenirs.
Le Christ ne meurt plus (4) ; pour Notre-Dame, de même, a cessé la souffrance. Néanmoins la passion du Christ se poursuit dans ses élus, dans son Eglise contre laquelle, à son défaut, se rue l'enfer. A cette passion du corps mystique dont elle est aussi mère, la compassion mystérieuse de Marie reste acquise; que de fois ne l'ont pas attesté les larmes coulant des yeux de ses images les plus vénérées ! Là encore, là surtout, est aujourd'hui l'explication de cette reprise inaccoutumée par la Liturgie sainte d'une fête célébrée déjà dans une autre saison sous un titre identique.
Le lecteur qui compulse le recueil des ordonnances du Siège apostolique sur les Rites sacrés, s'étonne d'y rencontrer après le 20 mars 1809 une interruption prolongée ; lacune insolite, ne prenant fin que le 18 septembre 1814 par le décret qui institue au présent Dimanche une nouvelle commémoration des Douleurs de la Bienheureuse Vierge (5). 1809-1814 : lustre fatal, où le gouvernement de la chrétienté demeura suspendu ; années de sang, qui revirent l'agonie de l'Homme-Dieu dans son Vicaire captif. Toujours debout près de la Croix cependant, la Mère des douleurs offrait à Dieu les souffrances de l'Eglise ; à la suite de l'épreuve, n'ignorant pas d'où lui venait la miséricorde reconquise, Pie VII dédiait ce jour à Marie comme mémorial nouveau de la journée du Calvaire.
Dès le XVII° siècle, les Servîtes étaient par privilège en possession de cette seconde fête, qu'ils célèbrent sous le rit Double de première classe avec Vigile et Octave. C'est d'eux que l'Eglise voulut en emprunter l'Office et la Messe. Honneur et privilège bien dus à cet Ordre, établi par Notre-Dame sur le culte de ses souffrances, et qui s'en était fait l'apôtre. Héritier des sept bienheureux fondateurs, Philippe Benizi propagea la flamme allumée par eux sur les hauteurs du mont Senario ; grâce au zèle de ses successeurs et fils, la dévotion des sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie, jadis pour eux patrimoine de famille, est aujourd'hui le trésor de la terre entière.
La prophétie du vieillard Siméon, la fuite en Egypte, la perte de l'Enfant divin dans Jérusalem, le portement de Croix, le crucifiement, la descente de Croix, la sépulture de Jésus : septuple mystère, autour duquel Notre-Dame aime à voir grouper les aspects quasi infinis des souffrances qui firent d'elle la Reine des Martyrs, la première rose et la plus belle du champ de Dieu. Ayons à cœur la recommandation du livre de Tobie, dont l'Eglise fait lecture cette semaine en l'Office du Temps: Honorez votre Mère, et n'oubliez jamais les douleurs qu'elle a endurées pour vous donner la vie (6).
A LA MESSE
Sous les magnificences de la sainte Liturgie, le Sacrifice quotidien n'est autre substantiellement que celui du Calvaire. Comme assistance au pied de la Croix dans la journée de la grande oblation, le chant d'entrée nous montre quelques femmes, un seul homme, faisant cortège en larmes à la Mère des douleurs. Nous retrouverons dans l'Evangile cet Introït et jusqu'à son Verset qui, contre l'usage, n'est pas emprunté des Psaumes.
EPITRE
Lecture du livre de Judith. CHAP. XIII.
" Le Seigneur vous a bénie dans sa force, réduisant par vous à néant nos ennemis. Ô fille de notre race, le Seigneur Dieu très haut vous a bénie plus que toutes les femmes qui sont sur la terre. Béni soit le Seigneur qui a créé le ciel et la terre ; car il a en ce jour exalté votre nom de telle sorte que votre louange ne cessera plus dans la bouche des humains : à jamais ils auront souvenir de la puissance du Seigneur, et comment, n'épargnant point votre âme en présence du malheur et de l'angoisse de votre peuple, vous êtes intervenue devant notre Dieu pour empêcher sa ruine."
Ô grandeur de notre Judith entre les créatures !
" Dieu, dit le pieux et profond Père Faber, Dieu semble choisir en lui les choses qui sont le plus incommunicables pour les communiquer à Marie d'une manière mystérieuse. Voyez comme il l'a déjà mêlée aux desseins éternels de l'univers dont il la rend presque cause et type partiel. La coopération de la sainte Vierge au salut du monde nous présente un nouvel aspect de sa magnificence. Ni l'Immaculée Conception, ni l'Assomption ne nous donnent une plus haute idée de Marie que le titre de corédemptrice. Ses douleurs n'étaient pas nécessaires à la rédemption, mais dans les conseils de Dieu elles en étaient inséparables. Elles appartiennent à l'intégrité du plan divin. Les mystères de Jésus ne sont-ils pas ceux de Marie, et les mystères de Marie ne sont-ils pas ceux de Jésus ? La vérité paraît être que tous les mystères de Jésus et ceux de Marie n'étaient pour Dieu qu'un seul mystère. Jésus lui-même est la douleur de Marie sept fois répétée, sept fois agrandie. Durant les heures de la Passion, l'offrande de Jésus et celle de Marie étaient réunies en une seule. Quoique de dignité, de valeur évidemment différentes, elles étaient offertes avec des dispositions semblables, allant du même pas, embaumées des mêmes parfums, consumées par le même feu; oblation simultanée faite au Père par deux cœurs sans tache pour les péchés d'un monde coupable, dont ils avaient librement assumé les démérites (7)."
Aux tourments de la grande Victime, aux pleurs de Marie, sachons unir nos larmes. C'est dans la mesure où nous l'aurons fait en cette vie, que nous pourrons nous réjouir au ciel avec le Fils et la Mère ; si Notre-Dame, comme chante le Verset, est elle-même aujourd'hui reine du ciel et souveraine du monde, il n'est personne parmi les élus dont les souvenirs de souffrance puissent être comparés aux siens.
A la suite du Graduel, la touchante complainte attribuée au bienheureux franciscain Jacopone de Todi, le Stabat Mater, nous donnera une belle formule de prière et d'hommage à la Mère des douleurs.
STABAT MATER
Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrymosa,
Dura pendebat filius.
Cujus animam gementem,
Contristatam, et dolentem,
Pertransivit gladius.
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti !
Quœ maerebat, et dolebat,
Pia Mater du m videbat
Nati poenas inclyti.
Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christisi videret
Intanto supplicio ?
Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio ?
Pro peccatis suae gentis
Vidit Jesumin tormentis,
Et flagellis subditum.
Viditsuum dulcem natum
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.
Eia, Mater, fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.
Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.
Sancta Mater, istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.
Tui nati vulnerati,
Tam dignati pro me pati,
Pœnas mecum divide.
Fac me tecum pieflere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.
Juxta crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.
Virgo virginum praeclara,
Mihi jam non sis amara :
Fac me tecum plangere.
Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.
Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore filii.
Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus,
In die judicii.
Christe, cum sit hinc exire,
Da per Matrem me venire
Ad palmam Victoriae.
Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria.
Amen. Alleluia.
Debout au pied de la croix
A laquelle son fils était suspendu,
La Mère des douleurs pleurait.
Son âme,
En proie aux gémissements et a la désolation,
Fut alors transpercée d'un glaive.
Oh ! qu'elle fut triste et affligée,
Cette Mère bénie
D'un fils unique !
Elle gémissait et soupirait,
Cette tendre Mère,
A la vue des angoisses de cet auguste fils.
Qui pourrait retenir ses larmes,
En voyant la Mère du Christ
En proie à cet excès de douleur ?
Qui pourrait contempler,
Sans une tristesse profonde,
Cette Mère du Sauveur souffrant avec son fils ?
Elle avait sous les yeux Jésus livré aux tourments,
Déchiré de coups de fouets,
Pour les péchés de ses frères.
Elle voyait ce tendre fils mourant,
Et sans consolation,
Jusqu'au dernier soupir.
Ô Mère, ô source d'amour,
Faites que je sente votre douleur,
Que je pleure avec vous.
Faites que mon cœur aime avec ardeur
Le Christ mon Dieu,
Et ne songe qu'à lui plaire.
Mère sainte,
Imprimez profondément dans mon cœur
Les plaies du Crucifié.
Donnez-moi part
Aux douleurs que votre fils
A daigné endurer pour moi.
Faites que je pleure de compassion avec vous,
Que je compatisse à votre Crucifié,
Tous les jours de ma vie.
Mon désir est de demeurer
Avec vous près de la croix,
Et de m'associer pour toujours à votre deuil.
Vierge, la plus noble des vierges,
Ne me soyez pas sévère ;
Laissez-moi pleurer avec vous.
Que je porte en moi la mort du Christ ;
Que je partage sa Passion ;
Que je garde le souvenir des plaies qu'il a souffertes.
Faites que ses blessures soient miennes ;
Que je sois enivré de la croix
Et du sang de votre fils.
Ô Vierge, gardez-moi des feux dévorants ;
Défendez-moi vous-même
Au jour du jugement.
Ô Christ, quand il me faudra sortir de cette vie,
Accordez-moi, par votre Mère,
La palme victorieuse.
Et lorsque mon corps devra subir la mort,
Daignez accorder à mon âme
La gloire du paradis.
Amen. Alleluia.
(1). Thren. I, 12. — (2). Isai. LIII. — (3). Thren. II, 13. — (4). Rom. VI, 9. — (5). Gardellini, Decreta authentica Congr. Sacr. Rit. — (6). Tob. IV, 3-4. — (7). FABER, Le Pied de la Croix, IX, I, II.
EVANGILE
Crucifixion. Livre d'heures. XVe.
La suite du saint Evangile selon saint Jean Chap. XIX.
" En ce temps-là, debout près de la Croix de Jésus, étaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa Mère, et debout près d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils. Et ensuite il dit au disciple : Voilà votre mère. Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui."
Femme, voilà votre fils. — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Paroles de Jésus sur la Croix. N'a-t-il donc plus ni Père au ciel, ni Mère ici-bas ! Mystère de justice, et encore plus d'amour : Dieu a tant aimé le monde qu'il adonné pour lui son Fils (1), jusqu'à le substituer aux hommes pécheurs dans la malédiction (2) due au péché (3) ; et Notre-Dame, dans son union sublime au Père, n'a pas épargné davantage, mais livré comme lui (4) pour nous tous ce même Fils de sa virginité. Si de ce chef nous appartenons au Père souverain, nous sommes bien aussi à Marie désormais ; nous avons été, des deux parts, achetés d'un grand prix (5) : le Fils unique, échangé pour les fils d'adoption.
C'est au pied de la Croix que Notre-Dame est devenue véritablement la Reine de la miséricorde. Au pied de l'autel où le renouvellement du grand Sacrifice se prépare, recommandons-nous de sa toute-puissance sur le divin Cœur.
(1). Johan. III, 16. — (2). Gal. III, 13. — (3). I Cor. V, 21. — (4). Rom. VIII, 32. — (5). I Cor. VI, 20.
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dimanche, 09 septembre 2007
9 septembre. XVe dimanche après la Pentecôte.
- XVe dimanche après la Pentecôte.
Extraits de " L'année liturgique " de dom Prosper Guéranger.
La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils. Jean-Germain Drouais. XVIIIe.
A LA MESSE
L'épisode si touchant de la veuve de Naïm donne aujourd'hui son nom au quinzième Dimanche après la Pentecôte. L'Introït nous présente la forme des prières que nous devons adresser au Seigneur dans tous nos besoins. L'Homme-Dieu a promis, Dimanche dernier, d'y pourvoir toujours, à la condition d'être servi par nous fidèlement dans la recherche de son royaume. En lui adressant nos supplications, montrons-nous confiants dans sa parole, comme il est juste de l'être, et nous serons exaucés.
ÉPÎTRE
Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. V et VI.
" Mes Frères, si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi selon l'Esprit. Ne nous laissons point emporter par le désir de la vaine gloire, nous provoquant les uns les autres, nous jalousant les uns les autres. Mes Frères, si un homme tombe par surprise en quelque faute, vous quiètes spirituels, relevez-le dans un esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion que la tentation peut aussi l'atteindre. Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. Car si quelqu'un s'estime être quelque chose, lorsqu'il n'est rien, il se trompe lui-même. Mais que chacun examine ses œuvres, et ainsi il aura sa gloire seulement en lui-même, et non dans les autres. Car chacun portera son propre fardeau. Que celui à qui l'on enseigne les choses de la foi assiste de ses biens en toute manière celui qui l'instruit. Ne vous y trompez pas : on ne se moque point de Dieu. L'homme recueillera ce qu'il aura semé : celui qui sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption ; celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la vie éternelle. Ne nous lassons point de faire le bien : nous recueillerons, le temps venu, sans nous lasser. Donc, tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à nos frères dans la foi."
La sainte Eglise reprend la lecture de saint Paul où elle l'avait laissée il y a huit jours. C'est la vie spirituelle, la vie produite par l'Esprit-Saint dans nos âmes pour remplacer celle de la chair, qui continue d'être l'objet des instructions apostoliques.
La chair une fois domptée, nous ne devons pas croire achevé pour cela l'édifice de notre perfection ; outre que la lutte doit continuer après la victoire, sous peine d'en voir compromettre les résultats, il faut veiller à ce que l'une ou l'autre des têtes de la triple concupiscence ne profite point du moment où l'effort de l'âme est porté ailleurs, pour se redresser, et faire des blessures d'autant plus dangereuses souvent qu'on songerait moins à s'en préserver. La vaine gloire principalement, toujours prête à infecter de son venin subtil jusqu'aux actes eux-mêmes de l'humilité et de la pénitence, demande à l'homme qui veut servir Dieu, et non se plaire à lui-même dans sa vertu, une surveillance des plus actives.
Quelle folie ne serait-ce pas à un condamné racheté par la flagellation de la peine capitale qu'il avait méritée, de se glorifier des coups marqués dans sa chair par le fouet à châtier les esclaves ? Que cette folie ne soit jamais la nôtre ! Il parait bien cependant qu'elle pourrait l'être, puisque l'Apôtre fait suivre immédiatement ses avis sur la mortification des passions de la recommandation d'éviter la vaine gloire. Et en effet, nous ne serons assurés pleinement de ce côté, qu'autant que l'humiliation physique infligée au corps aura chez nous pour principe l'humiliation réfléchie de l'âme devant sa misère. Les anciens philosophes avaient, eux aussi, des maximes sur la répression des sens ; et la pratique de ces maximes célèbres était le marchepied dont s'aidait leur orgueil pour s'élever jusqu'aux cieux. C'est qu'ils étaient loin en cela des sentiments de nos pères dans la foi, lesquels, sous le cilice et prosternés en terre (1), s'écriaient du fond de l'humaine bassesse, dans l'intime de leur cœur : " Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon votre grande miséricorde ; car j'ai été conçu dans l'iniquité et mon péché est toujours devant moi " (2).
Imposer des souffrances au corps pour en tirer vanité, qu'est-ce autre chose que ce que saint Paul appelle aujourd'hui semer dans la chair, pour récolter au temps venu, c'est-à-dire au jour où seront manifestées les pensées des cœurs (3), non la gloire et la vie, mais la confusion et la honte éternelle ? Parmi les œuvres de la chair énumérées dans l’Epître précédente se trouvent, en effet, non seulement les actes impurs, mais encore les contentions, les dissensions, les jalousies (4), qui naissent trop souvent de cette vaine gloire sur laquelle l'Apôtre appelle en ce moment notre attention. La production de ces fruits détestables serait un signe trop certain que la sève de la grâce aurait fait place à la fermentation du péché dans nos âmes, que, redevenus esclaves, il nous faudrait compter avec la loi et ses sanctions terribles. On ne se moque pas de Dieu ; et la confiance que donne justement à quiconque vit de l'Esprit la fidélité surabondante de l'amour, ne serait plus, dans ces conditions, qu'une contre-façon hypocrite de la liberté sainte des fils du Très-Haut. Car ceux-là seuls sont ses enfants que l'Esprit-Saint conduit (5) dans la charité (6) ; les autres sont dans la chair, et ne peuvent plaire à Dieu (7).
Si nous voulons au contraire un signe non moins certain sous les obscurités de la foi que l'union divine est notre partage, au lieu de prendre occasion, pour nous enfler vainement, des défauts et des fautes de nos frères, soyons indulgents pour eux dans la considération de notre propre misère ; tendons-leur, quand ils tombent, une main secourable et discrète ; portons mutuellement nos fardeaux dans le chemin de la vie : et alors, ayant t ainsi rempli la loi du Christ, nous saurons (8) que nous demeurons en Lui et Lui en nous. Car ces ineffables paroles employées par Jésus pour marquer son intimité future avec quiconque mangerait la chair du fils de l'homme et boirait son sang au banquet divin (9), saint Jean qui les avait rapportées les reprend mot pour mot, dans ses Epîtres, afin d'en faire l'application à quiconque observe dans l'Esprit-Saint le commandement de l'amour des frères (10).
Oh ! puisse-t-elle donc résonner sans cesse à nos oreilles cette parole de l'Apôtre : Tandis que nous en avons le temps, faisons du bien à tous ! Car un jour viendra, qui n'est plus éloigné, où l'ange portant le livre mystérieux, un pied sur la terre et l'autre sur la mer, fera retentir dans les espaces sa voix puissante comme celle du lion, et, la main levée au ciel, jurera par Celui qui vit dans les siècles sans fin que le temps n'est plus (11) ! C'est alors que l'homme recueillera dans l'allégresse ce qu'il avait semé dans les larmes (12) ; il ne s'était point lassé de faire le bien dans les ténébreuses régions de l'exil, il se lassera moins encore de récolter sans fin dans la vivante lumière du jour éternel.
1. I Par. XXI, 16 ; etc. — 2. Psalm. L. — 3. I Cor. IV, 5. — 4. Gal. V, 19-21. — 5. Rom. VIII, 14. — 6. Gal. IV, 13. — 7. Rom. VIII, 8. — 8. I Johan. IV, 13. — 9. Johan. VI, 57. — 10. I Johan. III, 23-24 ; IV, 12-13. — 11. Apoc. X, 1-6. — 12. Psalm. CXXV, 5.
ÉVANGILE
Suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. VII.
" En ce temps-là, Jésus allait vers une ville appelée Naïm ; et ses disciples allaient avec lui, et une foule nombreuse. Comme il approchait de la porte de la ville, voilà qu'on emportait un mort, fils unique de sa mère ; et celle-ci était veuve, et beaucoup de personnes de la ville l'accompagnaient. Le Seigneur l'ayant vue, il fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez pas. Et il s'approcha, et toucha le cercueil : ceux qui le portaient s'arrêtèrent.
Et il dit : " Jeune homme, je te le commande, lève-toi."
Et le mort se leva, et commença de parler ; et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant : Un grand prophète s'est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple."
La veuve de Naïm implorant Notre Seigneur Jésus de rescussiter son Fils (détail). Jean-Germain Drouais. XVIIIe.
C'est la seconde fois que la sainte Eglise présente l'Evangile qu'on vient d'entendre à nos méditations, et nous ne devons pas nous en étonner; caries Pères choisis par elle pour en donner l'interprétation (1) nous apprennent, dans les deux circonstances, que cette mère désolée qui suit en pleurs le convoi de son fils est l'Eglise même.
Nous la vîmes une première fois apparaître à nos yeux, sous ce touchant symbole, dans les jours consacrés à la pénitence quadragésimale (2), lorsqu'elle préparait par ses jeûnes, unis aux souffrances de l'Epoux, la résurrection de ceux de nos frères qui étaient morts et que nous pûmes voir ensuite s'asseoir près de nous pleins de vie au banquet de la Pâque. Quelles ne furent pas, en ce grand jour, les joies maternelles s'unissant dans son cœur aux allégresses de l'Epouse ! Car, du même coup, Jésus, doublement vainqueur de la mort, mettait fin à son veuvage en sortant du tombeau et lui rendait ses fils. Et les disciples de Jésus qui le suivent de plus près en s'attachant à sa personne dans la voie des conseils, et toute la foule accompagnant l'Eglise chantaient à l'envi ces étonnants prodiges et célébraient la visite de Dieu à son peuple.
La Mère ne pleurait plus. Mais, depuis, l'Epoux a disparu de nouveau, remontant vers son Père; l'Epouse a repris les sentiers du veuvage, et les souffrances de son exil s'accroissent chaque jour immensément. Car des pertes nombreuses n'ont point tardé de se produire parmi les fils ingrats qu'elle avait engendrés, une seconde fois (3), dans la douleur et les larmes. Ces soins multipliés naguère autour des pécheurs, cet enfantement nouveau sous l'œil de son Epoux expirant avaient fait de chacun d'eux, dans la grande semaine, comme l'enfant unique de l'Eglise. Combien, après la communion de tels mystères, dit saint Jean Chrysostome, n'est-il pas douloureux pour sa tendresse de les voir retourner d'eux-mêmes au péché qui les tue ! " Epargnez-moi !", a-t-elle bien droit de dire selon la parole que le saint Docteur met en la bouche de l'Apôtre : " Quel autre enfant, une fois au monde, vient imposer derechef de telles douleurs au sein maternel ?" Car les chutes des fidèles, pour être réparées, ne lui causent pas un moindre travail que l'enfantement de ceux qui n'ont pas cru encore (4).
Et si nous comparons nos temps à cet âge où la bouche des pasteurs faisait entendre par tout l'univers ses accents respectés, est-il un seul des enfants restés fidèles à l'Eglise, qu'un tel rapprochement ne pousse à se serrer davantage autour d'une mère si outrageusement délaissée ?
" Resplendissante alors de tout l'éclat des joyaux spirituels dont l'Epoux l'avait ornée au jour de ses noces, dit saint Laurent Justinien, elle tressaillait de l'accroissement de ses fils en vertu comme en nombre, les appelant à monter plus haut toujours, les offrant à son Dieu, les portant dans ses bras jusqu'aux cieux. Obéie d'eux, elle était bien la mère du bel amour et de la crainte (5), belle comme la lune, éclatante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (6).
Comme le térébinthe elle étendait ses rameaux (7), et, sous leur ombre, protégeait ceux qu'elle avait engendrés contre la chaleur du jour, la tempête et la pluie. Tant qu'elle put donc elle travailla, nourrissant dans son sein tous ceux qu'elle parvenait à rassembler. Mais son zèle, tout incessant qu'il fût, a redoublé depuis qu'elle en a vu plusieurs, et des multitudes, abandonner la ferveur première. Depuis nombre d'années, elle gémit en voyant s'étendre chaque jour l'offense de son Créateur, ses propres pertes et la mort de ses fils. Celle qui se revêtait de pourpre a pris la robe de deuil, et ses parfums n'exhalent plus leur odeur ; une corde a remplacé sa ceinture d'or, on ne voit plus sa brillante chevelure, et le cilice tient lieu d'ornement sur son sein (8).
Aussi ne peut-elle arrêter maintenant ses lamentations et ses pleurs. Sans cesse elle prie, cherchant si par quelque manière elle n'arrivera point à retrouver dans le présent sa beauté passée, quoiqu'elle défaille presque en sa supplication, regardant comme impossible de redevenir ce qu'elle était. La parole prophétique s'est accomplie pour elle : tous ils se sont détournés de la voie, ensemble ils sont devenus inutiles ; il n'y en a point qui fassent le bien, il n'y en a pas même un seul (9) !... Les œuvres multipliées par les enfants de l'Eglise contre les préceptes divins montrent bien, dans ceux qui les font, des membres pourris et étrangers au corps du Christ.
L'Eglise, cependant, se souvient de les avoir engendrés dans le bain du salut ; elle se souvient des promesses par lesquelles ils s'étaient engagés à renoncer au démon, aux pompes du siècle et à tous les crimes. Elle pleure donc leur chute, comme étant leur vraie mère, et elle espère toujours obtenir leur résurrection par ses larmes.
Ô quelle pluie de larmes est répandue ainsi tous les jours en présence du Seigneur ! que de prières ferventes cette vierge très pure envoie, parle ministère des saints anges, au Christ salut des pécheurs ! Elle crie dans le secret des cœurs, dans les retraites isolées, comme dans ses temples au grand jour, afin que la divine miséricorde rappelle à la vie ceux qui sont ensevelis dans le bourbier des vices. Qui dira son intime allégresse, quand elle reçoit vivants ceux qu'elle pleurait comme morts ? Si la conversion des pécheurs réjouit tellement le ciel (10), combien aussi la Mère ! Selon la mesure de la douleur qu'elle avait conçue de leur perte (11), la consolation déborde alors en son cœur (12)."
Chrétiens préservés de la défection par la miséricorde du Seigneur, il nous appartient de compatir aux angoisses de l'Eglise, et d'aider en tout les démarches de son zèle pour sauver nos frères. Il ne peut nous suffire de n'être point de ces fils insensés qui sont la douleur de leur mère (13) et méprisent le sein qui les a portés (14). Quand nous ne saurions pas de l'Esprit-Saint lui-même que c'est thésauriser que d'honorer sa mère (15) le souvenir de ce que lui a coûté notre naissance (16) nous porterait assez à ne manquer aucune occasion de sécher ses pleurs.
Elle est l'Epouse du Verbe, aux noces duquel prétendent aussi nos âmes ; s'il est vrai que cette union soit la nôtre également, prouvons-le comme l'Eglise, en manifestant dans nos œuvres l'unique pensée, l'unique amour que communique l'Epoux dans ses intimités, parce qu'il n'en est point d'autre en son cœur : la pensée de la gloire de son Père à restaurer dans le monde, l'amour des pécheurs à sauver.
1. Ambr. in Luc. v ; Aug. Serm. 44, de verb. Dom. — 2. Fer. V post Dom. IV Quadr. — 3. Gal. IV, 19. — 4. Chrys. De pœnit. Hom. I. — 5. Eccli. XXIV, 24. — 6. Cant. VI, 9. — 7. Eccli. XXIV, 22. — 8. Isai. III, 24. — 9. Psalm. XIII, 3. — 10. Luc. XV, 7. — 11. Psalm. XCIII, 19. — 12. Laur. Just. De compunct. et planctu christ. perfect. — 13. Prov. XVII, 25. — 14. Ibid. XXX, 17. — 15. Eccli. III, 5. — 16. Tob. IV, 4.
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