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mardi, 17 septembre 2024

17 septembre. Les stigmates de saint François d'Assise. 1224.

- Les stigmates de saint François d'Assise. 1224.
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Pape : Honorius III. Roi de France : Louis VIII le Lion. Empereur germanique : Frédéric II Hohenstaufen.
 
" Que veulent dirent ces plaies ? Ce sont des bouches éloquentes qui persuadent le mépris du monde et la gloire de la croix."
R. P. Nouet. Méditations.
 

Saint François d'Assise. Francisco de Zurbaran. XVIIe.

Bientôt la grande figure du patriarche d'Assise reparaîtra au ciel de la sainte Liturgie ; nous aurons alors à louer Dieu pour les merveilles que sa grâce opéra en lui. Aujourd'hui, si personnel que soit à François le glorieux épisode, objet de la fête, il le dépasse pourtant par ce qu'il exprime.

L'Homme-Dieu vit toujours dans son Eglise ; la reproduction de ses mystères en cette Epouse qu'il se veut semblable, est l'explication de l'histoire. Or, au XIIIe siècle, on dirait que la charité, rebutée par plusieurs, concentre en quelques-uns les feux qui suffisaient jadis à embraser des multitudes ; autant que jamais la sainteté resplendit, et cependant l'heure du refroidissement a sonné pour les peuples.


Saint François d'Assise recevant les stigmates. Giotto.

C'est aujourd'hui même l'affirmation de l'Eglise (Collecte de la fête), pour laquelle, en effet, commence la série des défections sociales avec leurs reniements, leurs trahisons, leurs dérisions, soufflets, crachats du prétoire, aboutissant à la mise hors la loi dont nous sommes témoins. L'ère de la Passion est ouverte ; l'exaltation de la sainte Croix, jusqu'ici triomphante aux yeux des nations, prend du ciel, d'où regardent les Anges, un aspect d'adaptation plus intime de l'Epouse aux souffrances de l'Epoux crucifié. Ne soyons pas étonnés si, comme fait l'artiste en présence d'un marbre précieux, l'Esprit choisit la chair du séraphin d'Assise pour y rendre pleinement sa divine pensée.

Il manifeste ainsi au monde la direction plus spéciale qu'il entend maintenant donner aux âmes ; il offre au ciel un premier exemplaire, un exemplaire complet de l'ouvrage nouveau qu'il médite : l'union plénière, sur la Croix même, du corps mystique au Chef divin. François est le premier qu'honore l'élection d'en haut ; mais après lui le signe sacré sera recueilli par d'autres, qui personnifieront également l'Eglise ; les Stigmates du Seigneur Jésus seront toujours ici ou là, désormais, visibles sur terre.

Deux ans avant sa mort, saint François s'était retiré dans la Toscane avec cinq de ses Frères, sur le mont Alverne, afin d'y célébrer l'Assomption de la Très Sainte Vierge et préparer la fête de l'archange saint Michel par quarante jours de jeûne.

C'était aux environs de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, François priait les bras étendus dans l'attente de l'aube, agenouillé devant sa cellule.
" Ô Seigneur Jésus-Christ, disait-il, accorde-moi deux grâces avant que je meure. Autant que cela est possible, que dans mon âme et aussi dans mon corps, je puisse éprouver les souffrances que Toi, Tu as dû subir dans Ta cruelle Passion, et ressentir cet amour démesuré qui T'a conduit, Toi, le Fils de Dieu, à souffrir tant de peines pour nous, misérables pécheurs !"


Saint François d'Assise recevant les stigmates. El Greco. XVIIe.

Tandis qu'il contemplait avec grand recueillement les souffrances du Sauveur, voici qu'il vit descendre du ciel un séraphin sous la forme d'un homme crucifié, attaché à une croix. Cet esprit céleste portait six ailes de feu dont deux s'élevaient au-dessus de sa tête, deux s'étendaient horizontalement, tandis que deux autres se déployaient pour voler et les deux dernières recouvraient tout le corps. Devant cet étrange spectacle, l'âme de François éprouva une joie mêlée de douleur. Le séraphin s'approcha de lui et cinq rayons de lumière et de feu jaillirent des cinq plaies de l'ange crucifié pour venir frapper le côté, les deux mains et les deux pieds du Saint, y imprimant pour toujours la trace des sacrés stigmates de Notre-Seigneur.

La mystérieuse apparition disparut aussitôt, laissant le pauvre d'Assise en proie à d'inexprimables souffrances. Son côté droit laissait paraître une large plaie pourpre dont le sang sortait avec une telle abondance que ses habits en étaient tout imprégnés. Les têtes des clous apparaissaient au-dessus des mains ainsi qu'au-dessus des pieds ; leurs pointes étaient repliées de l'autre côté et enfoncées dans la chair.

Saint Bonaventure qui a écrit la vie de saint François une trentaine d'années après sa mort, affirme que ceux qui virent et touchèrent ces stigmates constatèrent que les clous étaient miraculeusement formés de sa chair et tellement adhérants que lorsqu'on les pressait d'un côté, ils avançaient tout d'une pièce de l'autre. Ces clous se trouvaient si bien unis à la chair et à la peau de saint François que même après sa mort, on essaya vainement de les en arracher. Des milliers de témoins oculaires ont contemplé les fascinantes empreintes pendant la vie et après la mort du grand dévot de la Passion de Jésus.

Attentif à tenir ses stigmates cachées, saint François couvrait ses mains et marchait chaussé. Il ne put cependant les dissimuler longtemps, car il lui devint trop douloureux de poser la plante des pieds par terre, aussi devait-il recourir malgré lui à la continuelle assistance de ses frères. Dieu qui pour la première fois, décorait un homme des stigmates de Son Fils unique, voulut manifester leur origine céleste en accordant quantités de miracles par leur vertu surnaturelle et divine.

Le pape Benoît XI voulut honorer par un anniversaire solennel et un office public, cette grâce qui n'avait jamais été accordée auparavant à la sainte Eglise. Le souverain pontife Sixte V ordonna d'insérer, dans le martyrologe romain, la mémoire des Stigmates de saint François, au 17 septembre. Le pape Paul V étendit cette fête à l'Eglise universelle dans le but d'éveiller l'amour de Jésus crucifié dans tous les coeurs.

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lundi, 16 septembre 2024

16 septembre. Saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr. 258.

- Saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr. 258.
On lira l'introduction à la notice du pape saint Corneille, auquel saint Cyprien de Carthage est associé.

Papes : Saint Fabien ; saint Corneille ; saint Lucius Ier. Empereurs romains : Trébonien Galle ; Hostilien ; Volusien ; Emilien (période de l'anarchie militaire) ; Valérien (période des trente tyrans).

" Extra Ecclesiam nulla salus."
" Hors de l'Eglise, point de salut."

Saint Cyprien. De unita ecclesiae.

" La parole du prédicateur n'est efficace qu'autant qu'elle est corroborée par ses exemples."
Saint Cyprien. De Zelo et livore.

Saint Cyprien de Carthage. Maître de Messkirch. Stuttgart. XVIe.

Cyprien vient de cypro, mélange, et ano, en haut ; ou bien de cypro, qui signifie tristesse ou héritage. Car il allia la grâce à la vertu, la tristesse pour le péché à l’héritage des joies célestes.

Cyprien, né dans le paganisme, descendait d'une illustre et opulente famille son père était sénateur. Une éducation digne de son rang et une étude passionnée des lettres et de la philosophie firent briller de bonne heure l'heureux génie dont la nature l'avait doué. La gloire littéraire était, à cette époque, l'un des premiers titres à l'admiration. Ses concitoyens obtinrent de lui qu'il ouvrît un cours public d'éloquence.

Cyprien menait, comme les païens de son temps, une vie tout à la fois laborieuse, sensuelle et fastueuse, lorsqu'une circonstance, qu'on pouvait appeler un événement, vint changer cette destinée. A son entrée dans le monde, un homme d'un bel esprit, d'une instruction variée, faisait par les agréments de sa conversation les délices de la haute société de Carthage. Son nom était Coecilius, qui, après sa conversion, édifia les fidèles de Carthage par une fervente et solide piété qui lui mérita, plus tard, d'être appelé aux fonctions du saint ministère. Coecilius fut jusqu'à sa mort un apôtre dévoué de cette religion qui avait été tant de fois l'objet de ses dédains et de ses railleries.

Son zèle affectueux s'attacha particulièrement au jeune Cyprien. Celui-ci délibéra longtemps. Il lui en coûta de soumettre l'orgueil du philosophe à l'autorité des faits et des enseignements divins. Sa volonté se montra plus rebelle encore que son intelligence. Déjà son esprit, convaincu par les raisonnements de Coecilius et éclairé de la lumière d'en haut, admirait les rapports intimes qui unissent la raison, la conscience et la foi ; mais son coeur frémissait à la pensée de se détacher de tous les objets qui l'avaient séduit et le retenaient captif. Lui, élevé au sein du luxe et des honneurs, et, comme il dit, au milieu des faisceaux ; accoutumé aux agréments d'une société brillante et enjouée, aux hommages d'une foule de clients empressés, lui qui, jouissant dans le monde païen de toute la considération d'un sage et d'un honnête homme, savait, de son propre aveu, allier avec cette prétendue sagesse la volupté et les plaisirs, pourrait-il s'astreindre à une vie sobre, retirée, humiliée, pénitente ? Tenterait-il de rompre des chaînes que leur charme rendait indissolubles, des penchants nés de son tempérament, des habitudes qui étaient devenues une seconde nature ?

Scènes de la vie de saint Cyprien. Martyre
de saint Cyprien. Homéliaire. XIIe.

Cependant, au milieu de tout ce tumulte des passions, la conscience ne cessait de lui crier :
" Courage, Cyprien Quoi qu'il en coûte, allons à Dieu !"
Il obéit enfin à cette voix ; il se lève, et, foulant aux pieds son propre cœur, il s'élance généreusement au baptême. Dès ce moment, c'est lui-même qui l'atteste, il s'opéra au fond de son âme une transformation complète ce qui restait obscur devint lumineux ce qui paraissait impossible lui fut facile il prit en dégoût le faste et l'orgueil de la vie, se sentit de l'attrait pour l'humilité de l'Evangile, et trouva dans la folie de la croix, non-seulement la vraie sagesse, mais aussi le vrai bonheur.

Lorsque saint Cyprien fut enfin baptisé, il rédigea le Traité à Donatus :
" Quand les eaux de la régénération eurent nettoyé les impuretés de ma vie passée, la lumière jaillit d'en haut dans mon coeur et l'Esprit me transforma en homme nouveau par une seconde naissance. Alors d'un coup, d'une manière miraculeuse, la certitude remplaça le doute, les mystères furent révélés, et la ténèbre devint lumière. Alors il fut possible de reconnaître que ce qui était né de la chair et avait vécut dans le péché était terrestre, mais que ce que l'Esprit Saint avait vivifié devenait de Dieu. En Dieu et de Dieu vient toute notre force. A travers Lui, pendant que nous vivons sur terre, nous voyons l'ébauche de la future béatitude."

La vocation de Cyprien n'était pas une vocation commune ; aussitôt après sa conversion, il vendit ses vastes possessions, parmi lesquelles étaient compris de magnifiques jardins situés sous les murs de Carthage, et il en distribua le prix aux pauvres. Un an s'était à peine écoulé, et l'illustre néophyte, par une exception que justifiait sa science, l'ardeur et la sincérité de sa foi, fut élevé au sacerdoce. L'an 248, l'assemblée des fidèles de Carthage le proclama évêque. Il voulut se dérober par la fuite à cette dignité mais le peuple chrétien accourut à sa demeure, et, à force d'instances, obtint son consentement.

Saint Cyprien de Carthage. Mosaïque. Détail.
Basilique Saint-Apollinaire-la-Neuve. Ravenne. Italie. VIe.

Le choix d'un si grand homme pour gouverner l'église de Carthage, dans un temps où l'on attendait à tout moment une nouvelle persécution, inspira un merveilleux courage aux chrétiens ils étaient persuadés que, par ses paroles et par ses exemples, il les fortifierait contre la malice de leurs ennemis. On ne peut expliquer la piété et la vigueur, la miséricorde et la sévérité qu'il fit paraître dans l'administration de sa charge. La sainteté et la grâce éclataient tellement dans toutes ses démarches, qu'il ravissait les cœurs de ceux qui le voyaient. Son visage était grave et marquait en même temps une pieuse gaieté. Ses actions étaient si bien tempérées par la bonté et par la fermeté, que l'on ne savait si l'on devait plus le craindre que l'aimer, ou plutôt on l'aimait et on le craignait tout ensemble.

Son habillement était modeste et également éloigné de la superfluité et de l'avarice. Il ne voulait pas se distinguer des autres par une vaine ostentation de réforme, ni s'exposer non plus au mépris par une épargne sordide mais il gardait en tout une juste et honnête modération. Sa charité envers les pauvres était inépuisable ; son zèle pour la discipline ecclésiastique. invincible ; ses travaux pour l'instruction de ses ouailles, immenses. En un mot, il était le père de son peuple, le bon pasteur de son troupeau, le modèle des autres prélats et l'admiration même des impies et des idolâtres.

Mais ce repos, dont l'Eglise jouit quelque temps, fut bientôt troublé par le cruel Dèce, qui envahit l'empire après la mort de Philippe (249) ; car, à peine ce tyran se vit-il en état de faire des édits, qu'il en publia de très rigoureux contre les chrétiens ce qui lâcha la bride à la fureur des idolâtres contre eux, et remplit toutes les provinces de carnages effroyables. Les démons seuls pouvaient inventer de pareils supplices beaucoup de chrétiens étaient en danger de perdre la foi avec la couronne du martyre. C'est ainsi qu'en parle saint Cyprien, et il remarque encore que les premiers qui se laissèrent emporter par cette tempête à renier Jésus-Christ, furent ceux qui, dans le calme de la paix, l'avaient déjà renié par mauvaise vie, et qui, s'étant attachés à leurs biens, à leurs familles et à leurs plaisirs, par des liens que condamne l'Evangile, ne purent se résoudre à perdre, pour la défendre, les choses qu'ils aimaient avec tant de passion. Le saint évêque n'oublia rien alors pour fortifier ses ouailles contre une si violente attaque il les anima à la victoire par ses puissantes exhortations il les prépara à la pénitence, et les rendit dignes du martyre par la pratique de toutes les vertus chrétiennes.

Les idolâtres, qui savaient combien un pasteur si vigilant et si généreux donnait de courage aux fidèles, tâchèrent, par toutes sortes de moyens, de se saisir de lui, et le désir qu'ils avaient de le mettre à mort était si violent, qu'on cria plusieurs fois, du milieu de l'amphithéâtre, de l'amener pour être déM~é par les bêtes féroces, ï! s'y fût volontiers exposé maïs, au lieu de suivre son xcle, il suivit le mouvement du Saint-Esprit et le conseil de ceux qui, jugeant par inspiration d'en haut, lui persuadèrent de se retirer, afin de se conserver pour son troupeau. En effet, qu'auraient fait ses pauvres ouailles si, dans une si terrible conjoncture, elles se fussent vues privées de leur pasteur ? Qui aurait eu soin de la pudicité des vierges, que les païens s'efforçaient de séduire ? Qui aurait ramené à la pénitence ceux que la crainte ou la faiblesse faisait succomber à la rigueur des tourments ? Qui aurait, défendu la mérité contre les hérétiques ? Qui aurait maintenu l'unité contre les schismatiques ? Qui aurait entretenu la paix et la loi évangélique parmi son peuple ? Qui aurait consolé ceux à qui on avait ravi tous leurs biens en haine de la religion ? Qui aurait animé les confesseurs, qui portaient déjà sur leur front les marques de leur foi et de leur constance, à soutenir un second martyre auquel ils étaient réservés ? Enfin, qui aurait, porté les âmes à la patience, à la fidélité et à la persévérance, si l'Eglise de Carthage avait perdu cet admirable évêque ?
Il ne s'absenta pas pour éviter le martyre, mais pour le remettre à une autre occasion moins préjudiciable à son peuple. Ce ne fut pas la crainte de la mort qui lui donna cette pensée, mais le désir de servir davantage les Chrétiens. Il se réservait pour rétablir les malades, pour guérir les blessés, pour affermir les chancelants, pour relever ceux qui éLaient tombés et pour entretenir tout son troupeau dans une fermeté inébranlable au milieu de l'orage.

Saint Cyprien de Carthage. Gravure. A. Thevet. XVIIe.

Il sortit donc de Carthage après avoir assemblé les fidèles, pour leur dire le sujet et les motifs de sa retraite, et demeura caché dans un lieu de sûreté, d'où il pourvoyait sans cesse à leurs besoins, en veillant sur eux et en leur écrivant des épîtres admirables qui faisaient les mêmes effets que s'il eût été présent. Il faisait venir dans des lieux écartés, tantôt les uns, tantôt les autres, pour les exhorter à souffrir avec constance les tourments des persécuteurs. Il eut soin que, pendant la nuit, il y eût des personnes destinées à ensevelir ceux qui étaient morts dans la rigueur des supplices que ceux qui n'avaient enduré que les douleurs de la torture fussent soigneusement pansés pour guérir leurs plaies ; et, enfin, que ceux qui avaient perdu leurs biens par l'injustice des tyrans fussent secourus par les aumônes des autres. Une furieuse peste, qui ravagea en même temps toute la ville, lui fournit de nouvelles occasions de faire éclater son zèle pastoral. Il pourvut aux nécessités spirituelles et temporelles des malades, qui étaient abandonnés de tout le monde. Il partagea les emplois de ceux qu'il avait chargés de les assister, afin que personne ne manquât de secours, pas même les idolâtres ; et chacun, animé par ses lettres toutes remplies du feu de la charité, se portait avec une ferveur incroyable à exécuter les instructions qu'il leur donnait. Comme la persécution avait enlevé le pape saint Fabien, il consulta sur sa retraite le clergé de Rome, pendant la vacance du Siège apostolique il était prêt à se sacrifier, si on le jugeait nécessaire, pour le bien de son Eglise. Sa retraite fut louée et approuvée par ces vénérables ecclésiastiques, qui connurent le besoin qu'avaient les fidèles de la vigilance d'un si bon pasteur.

Ces malheurs furent suivis d'un autre encore plus dangereux, puisqu'il tendait à renverser la discipline ecclésiastique que tous les supplices n'avaient pu ébranler. Plusieurs Chrétiens de Carthage, qui n'étaient pas bien fermes dans la foi, craignant la perte de leurs biens, de leurs charges et de leur vie, renièrent leur foi. Les uns le firent ouvertement les autres, pensant diminuer leur crime, prirent des magistrats des billets qui attestaient qu'ils avaient obéi aux édits de l'empereur, ayant en secret, ou par eux-mêmes, ou par des personnes supposées, protesté, en leur présence, qu'ils renonçaient à Jésus-Christ ; se délivrant ainsi, par argent, de faire cette renonciation en public, comme la loi générale l'ordonnait. De là ils furent appelés Libellatiques, (de libellus, billet).
L'Eglise d'Afrique ne les recevait à la communion qu'après une longue pénitence mais, comme elle les obligeait à des satisfactions très rudes, ils s'adressaient souvent aux confesseurs et aux martyrs qui étaient en prison ou qui allaient à la mort, pour obtenir, par leur intercession, la remise des peines canoniques qui leur restaient à souffrir. Le respect que l'on avait pour des personnes qui souffraient pour la gloire de Jésus-Christ était si grand, qu'à leur recommandation, on recevait les pénitents à la communion ecclésiastique, quoiqu'ils n'eussent pas accompli le temps prescrit par les canons. Mais cette indulgence des saints confesseurs produisit un fort mauvais effet ; on admettait trop facilement ceux qui avaient sacrifié ou qui avaient reçu des billets des magistrats.
Saint Cyprien en fut averti dans sa retraite, et tâcha d'y remédier par trois excellentes épîtres qu'il écrivit à son clergé, aux martyrs, aux confesseurs et à son peuple, les exhortant à ne pas se relâcher de la discipline, sans considérer la différence de la chute et le temps écoulé de la pénitence.

Félicissime, homme turbulent, qui, avec cinq prêtres, s'était opposé à l'élection de saint Cyprien, et, depuis, n'avait laissé passer aucune occasion de faire de la peine au saint Evêque, se souleva contre lui et fit tout ce qu'il put pour le mettre en mauvaise intelligence avec les confesseurs de Jésus-Christ. Car, non content de travailler à cette division, qui ne put réussir, il forma ouvertement le schisme, dressa autel contre autel, assemblant son parti sur une montagne hors de la ville, et excommunia tous ceux qui ne lui adhéraient pas. Mais, autant son excommunication était frivole, autant fut juste et terrible celle de notre Saint, qui, ne pouvant dissimuler davantage le désordre que ce rebelle causait parmi le peuple, ni les autres crimes dont il était coupable, le frappa d'anathème. Cependant, voyant que ceux qui avaient obtenu ces recommandations des confesseurs lui faisaient de grandes instances, à lui et aux autres évêques, pour être admis à la communion de l'Eglise, et que son autorité seule ne pouvait pas apaiser le trouble qui s'était élevé pour ce sujet dans Carthage, il écrivit de nouveau au clergé de Rome, le Saint-Siège étant encore vacant.

Saint Cyprien de Carthage. Gravure. XIXe.

Cet illustre clergé jugea sa rigueur très saine, et lui répondit qu'user de la douceur dont il se plaignait, ce n'était pas guérir, mais tuer le malade ; qu'il fallait que les pénitents frappassent aux portes de l'Eglise et ne s'effarassent pas de les rompre ; qu'ils se prosternassent sur le seuil, mais qu'ils n'entreprissent point de passer outre ; qu'ils veillassent à l'entrée du camp céleste, mais armés de modestie et se souvenant d'avoir été déserteurs qu'ils devaient se servir de leurs larmes comme d'ambassadeurs, et de leurs gémissements, tirés du fond de leurs poitrines, comme d'avocats, afin de prouver la grandeur de leur tristesse et d'effacer la honte de leur péché. Enfin, il conclut que, par l'avis de plusieurs évêques voisins, on avait trouvé à propos de ne rien innover jusqu'à l'élection d'un successeur à la place du pape saint Fabien, et que cependant on prolongeât la réconciliation de ceux qui pourraient attendre, et qu'on l'accordât à ceux qui seraient près de mourir, pourvu qu'ils eussent donné de dignes fruits d'une véritable pénitence. Saint Cyprien suivit cet accommodement, par lequel il retint et conserva la discipline ecclésiastique dans son ancienne intégrité.

Dans son excellent traité sur ceux qui étaient tombés durant la persécution, il rapporte des châtiments terribles dont Dieu punit l'irrévérence des personnes qui, après s'être souillées des viandes offertes aux idoles, osaient recevoir Jésus-Christ sans avoir été purifiées par une véritable pénitence et sans avoir mérité la réconciliation. Il raconte, entre autres, qu'un homme coupable de crime ayant reçu l'Eucharistie dans sa main ne trouva que de la cendre quand il voulut la manger, et qu'une petite fille, qui avait été portée par sa nourrice au temple des dieux, et à qui on avait fait goûter quelque liqueur offerte aux idoles, ne put jamais avaler le sang de Jésus-Christ que le diacre lui présenta dans l'église, selon la coutume du temps, et qu'elle fit tant de résistance, qu'elle obligea la nourrice de confesser ce qui s'était passé.

Cette conduite de saint Cyprien, si conforme aux Canons et autorisée par l'Eglise de Rome, devait le mettre à l'abri de la censure mais l'esprit des schismatiques n'épargne jamais personne, et la plus éminente sainteté est exposée à leur malice. Privat, que le saint Evêque n'avait point voulu admettre dans un synode, cabala avec cinq évêques coupables d'apostasie pour en mettre un autre sur le siège de Carthage, et Fortunat, l'un des prêtres qui avaient déjà formé le schisme avec Félicissime, leur paraissant propre pour leur dessein, ils l'ordonnèrent évêque, et aussitôt ils députèrent le même Félicissime à Rome, vers saint Corneille, qui avait succédé à saint Fabien, pour obtenir sa communion par surprise et pour accuser saint Cyprien. Cette ambassade fut rejetée d'abord mais les schismatiques, ne perdant pas courage, importunèrent le Pape avec tant d'ardeur, que, ne voyant arriver personne de la part de notre Saint, et s'étonnant de son silence dans une affaire si importante, il lui écrivit en des termes qui témoignaient quelque mécontentement de lui. Mais saint Cyprien se justifia enfin, et lui répondit avec tant de modestie, que Corneille fut entièrement désabusé.

Comme l'Eglise jouissait d'une assez grande paix dans les premières années du règne de Valérien, qui avait succédé à Gallus et à Volusien, notre saint prélat profita de ce calme et s'appliqua à établir une bonne discipline dans son diocèse. Il réfuta, entre autres, l'erreur de ceux qui n'offraient que de l'eau dans le sacrifice de l'autel ; il leur prouva, par une foule de passages des saintes Ecritures, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, que le vin était absolument nécessaire à ce mystère, et que sans cet élément on ne pouvait pas avoir le Sang de Jésus-Christ. Il témoigne lui-même, dans son épître LXIII à Cécilius, que cet abus pouvait être venu de ce que, durant la persécution, les fidèles, qui s'assemblaient la nuit, pour célébrer les divins mystères et pour participer à l'Eucharistie, craignaient, le matin, d'être découverts par l'odeur du vin.

Décollation de saint Cyprien et de saint Corneille.
Bréviaire à l'usage de Langres. XVe.

Il assembla aussi un synode, pour remédier à plusieurs autres abus qui s'étaient glissés parmi le peuple. On y excommunia Géminius Victor après sa mort, on défendit d'offrir l'oblation pour le repos de son âme et de faire aucune prière dans l'Eglise pour son soulagement, parce que, contre les Canons, il avait institué un prêtre tuteur de ses enfants.
" Celui-là, disent les évêques, ne mérite pas d'être nommé à l'autel de Dieu, dans la prière des prêtres, qui a voulu détourner de l'autel les ministres du Seigneur et les embarrasser du soin des affaires temporelles, tout à fait éloigné de leur profession."

Ils ne se mirent pas en peine des lois civiles, qui n'exemptaient personne de la charge des pupilles mais ils eurent seulement égard au bien des Eglises et à l'assistance spirituelle des fidèles, par le soin et les prières de leurs pasteurs.
Il fit condamner de nouveau dans ce synode ceux que l'on appelait Libellatiques, comme coupables d'infidélité et d'apostasie. Il en assembla encore plusieurs autres, touchant le baptême conféré par les hérétiques, qu'il croyait être nul et devoir être réitéré quand les baptisés revenaient à l'Eglise. Il eut, pour ce sujet, de grandes contestations avec le pape saint Etienne, qui soutint, fondé sur la tradition, et définit que ce baptême était valide, mais comme cette question regarde purement l'histoire ecclésiastique, que nous ne prétendons pas traiter ici, il suffit de dire avec saint Augustin, dans son épître XLVIII que, si l'on ne trouve pas que saint Cyprien ait changé de sentiment, il est néanmoins véritable qu'il l'a fait, que ceux auxquels son opinion plaisait peuvent bien avoir supprimé sa rétractation, et que plusieurs mêmes ont avancé qu'il n'avait jamais tenu cette erreur, mais que des imposteurs, pour se couvrir de son autorité, lui avaient attribué ce qu'il n'avait jamais cru.
Voici les paroles fort remarquables de ce grand Docteur :
" Ou saint Cyprien n'a jamais eu l'opinion que vous lui attribuez, ou, s'il l'a eue, il l'a reformée sur la règle de la vérité, ou enfin il a couvert cette tache de sa conscience très candide et très sincère par l'onction de sa charité, puisqu'il s'est perpétuellement maintenu dans l'unité de l'Eglise."

Notre saint prélat travaillait ainsi sans relâche au salut de son peuple et au rétablissement de la discipline, lorsque le proconsul Aspasius Paternus, après avoir employé en vain les menaces et les promesses pour ébranler sa fermeté, l'envoya en exil. Il se retira à Curube, petite ville assise sur le promontoire de Mercure, vis-à-vis de la Sicile, etdistante seulement de cinquante milles de Carthage. Là, ayant eu révélation que, dans un an, il devait être couronné du martyre, il employa tout ce temps à s'y préparer par toutes sortes d'oeuvres de charité. Il écrivit aux autres évêques et aux prêtres d'Afrique qui avaient été relégués en des lieux sauvages, où ils souffraient de grandes misères, une lettre de consolation qu'il est impossible de lire sans se sentir embrasé de ce feu divin qui le brûlait et d'un désir ardent de souffrir pour Jésus-Christ. Il leur envoya aussi beaucoup de choses dont ils avaient besoin pour leur subsistance. Il étendit encore ses soins charitables sur les chrétiens qui étaient en prison, leur écrivant en des termes très pressants pour les fortifier dans la confession de leur foi et les animer à la patience. Quand il sut que Galëre-Maximien avait succédé à Aspasius, il revint à Carthage et se cacha dans les jardins qui lui avaient autrefois appartenu, et qu'il avait vendus pour assister les pauvres, afin que de là il pût veiller sur son peuple qui venait souvent l'y trouver.

Saint Cyprien et le Proconsul.
Bréviaire-missel de Montier-la-Celle. Champagne. XIIIe- XIVe.

Mais, ayant appris qu'on avait donné ordre de se saisir de lui pour le mener à Utique, où était le proconsul, il se retira ailleurs, dans un lieu de sûreté, pour y attendre l'occasion de souffrir la mort dans sa ville, en présence de son cher troupeau et, de crainte que sa retraite ne fût mal expliquée par les fidèles, il leur écrivit une lettre pour leur en rendre raison.
" Ayant été averti, leur dit-il, que l'on envoyait des soldats pour nous mener à Utique, nous nous sommes absenté par le conseil de nos amis, estimant qu'il était plus convenable que nous confessassions la vérité dans la principale ville de notre diocèse que dans un autre lieu, afin d'y instruire le peuple par l'exemple de notre mort, et d'y fortifier les faibles par notre confession parce qu'en ce moment, ce que dit l'évêque confesseur de Jésus-Christ, il le dit comme étant la bouche de tous. L'honneur de notre Eglise, qui est maintenant si glorieuse, seraitbeaucoup diminué, si l'on nous faisait mourir dans un pays étranger. Il est donc à propos que nous recevions la couronne du martyre à la vue de Carthage. C'est la grâce que nous demandons continuellement à Dieu pour nous et pour vous, afin que, mourant devant vos yeux, nous vous montrions le chemin du ciel."
Saint Cyprien ne mourut pas néanmoins dans Carthage mais ce fut en un lieu si proche et en présence de tant de monde de la ville, que l'on peut dire que son souhait fut accompli.

Le proconsul le fit prendre et amener devant lui à une maison de campagne dans le voisinage de laquelle il s'était retiré. Celui qui l'avait fait prisonnier le retint la première nuit dans son logis. Cette maison fut aussitôt environnée d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards qui y accoururent pour voir ce que deviendrait leur saint évêque. Il y avait beaucoup de jeunes filles dans la troupe et, comme la peur de la mort ne l'empêchait pas de veiller sur son troupeau, il donna ordre qu'on les séparât et qu'on les gardât dans l'obscurité, de crainte que les soldats ne leur fissent quelque violence. Saint Augustin loue admirablement cette vigilance du saint Martyr.

Le matin étant venu, il fut conduit devant le proconsul, qui lui fit voir l'ordre qu'il avait des empereurs pour l'obliger de sacrifier aux dieux. Mais, le trouvant insensible à toutes ses remontrances et à ses menaces, il le condamna à avoir la tête tranchée. Saint Cyprien ouït tranquillement cette cruelle sentence, et, élevant son cœur à Dieu :
" Je vous rends grâces, dit-il, mon Seigneur, de ce que vous daignez retirer mon âme de la prison de ce corps mortel."
Les fidèles, qui ne l'abandonnaient point, crièrent de leur côté d'une même voix :
" Allons, et faisons-nous décapiter avec lui !"
Le bourreau parut tremblant quand il lui fallut faire son office, mais le martyr l'encouragea à lui donner le coup ; et, pour le récompenser de la grâce qu'il allait lui procurer, il lui fit distribuer vingt-cinq pièces d'or. Après cette action héroïque, il se dépouilla de ses habits, qui consistaient en une dalmatique, en un mantelet et en une robe de lin.

Abbaye Saint-Pierre de Moissac. Elle reçut de saint
Charlemagne les reliques de saint Cyprien de Carthage.
Moissac. Diocèse de Montauban.

Le cardinal Baronius croit que le camail et le rochet des éveques d'aujourd'hui y ont quelque rapport. Tous ceux qui voyaient ce spectacle fondaient en larmes, tandis que lui seul était dans une extrême joie qui paraissait jusque sur son visage. Chacun jeta des linges pour recevoir son sang, afin de le garder comme un précieux trésor. Il se banda les yeux lui-même et se fit lier les mains par un de ses prêtres, puis, s'étant mis à genoux, il reçut généreusement le coup de la mort. Dès qu'on eut abattu sa tête, les clercs, accompagnés de chrétiens, enlevèrent son corps et l'enterrèrent avec beaucoup de solennité, portant des cierges allumés à leurs mains ils furent d'autant plus hardis à lui rendre ces derniers devoirs en public, sans se soucier du proconsul ni de la fureur des idolâtres, qu'ils souhaitaient tous ardemment de mourir pour Jésus-Christ, à l'exemple de leur saint Pasteur. Son martyre arriva le 14 septembre.

Le nom de saint Cyprien est un des plus beaux noms du christianisme, et ce grand homme, un de ceux qu'on admire et surtout qu'on aime le plus. Dieu, qui se plaît à se manifester par sa miséricorde plus que par sa justice, a voulu aussi que, dans l'homme, la bonté fût le plus puissant attrait pour gagner les cœurs. Cyprien n'occupa que dix ans le siège de Carthage mais combien son ministère fut laborieux et fécond dans ses résultats Ses derniers regards se reposèrent avec joie sur une église plus nombreuse, plus dévouée, plus fidèle qu'il ne l'avait reçue, et les larmes des païens qui coulèrent à son supplice lui présagèrent que Carthage serait bientôt toute chrétienne.

On le représente :
1. tenant une épée dans la main, pour désigner le genre de mort qu'il a enduré ;
2. tenant une couronne, d'après une mosaïque de Ravenne.

Rq : On lira dans le tome XI des Petits Bollandistes (pp. 140 et suiv.) les éléments concernants le culte et les reliques du grand saint Cyprien ainsi que ses écrits.

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16 septembre. Saint Corneille, pape, martyr. 253.

- Saint Corneille, pape, & saint Cyprien, évêque, martyrs. 253 ; 258.

Papes : Saint Fabien (prédecesseur) ; saint Lucius Ier (successeur). Empereurs romains : Trébonien Galle ; Hostilien ; Volusien ; Emilien (période de l'anarchie militaire) ; Valérien (période des trente tyrans).

" Apprenez à vous soumettre à Dieu pour choisir non pas ce que vous voulez, mais ce que vous savez lui être agréable."
Saint Ambroise de Milan.

Saint Corneille. Maître de Messkirch. Stuttgart. XVIe.

" Rencontre à laquelle sourient les Anges ! L'enfer voulut un jour, dans une querelle fameuse (Sur la question de la validité du baptême donné par les hérétiques), opposer Cyprien au Siège suprême ; or voici que, représailles dignes d'elle, la Sagesse présente en une même fête au commun hommage de la terre et des cieux l'évêque de Carthage et l'un des plus nobles successeurs de Pierre.

Noble entre tous, Corneille le fut par la naissance, comme en témoigne son tombeau, retrouvé naguère dans la crypte de famille où les plus beaux noms de l'ancien patriciat lui formaient un cortège d'honneur. L'élévation au pontificat souverain d'un héritier des Scipions reliait dans Rome les grandeurs du passé à celles de l'avenir. C'était le temps où Dèce, redoutant plus d'apprendre l'élection d'un Pape que de voir se lever un compétiteur à l'empire (Cyprian. Epist. X, ad Antonianum. IX), avait lancé l'édit de la septième persécution générale. Mais le césar qu'un bourg de Pannonie vient de donner à la capitale du monde n'arrêtera pas les destinées de la Ville éternelle. En face du sanguinaire empereur et de ses pareils passés ou futurs, dont la cité reine ne connut les pères qu'à titre d'esclaves ou d'ennemis vaincus, le  Romain  authentique,  le descendant des Cornelii, se révèle à la simplicité native qu'on nous décrit en lui, au calme accompagnant sa force d'âme, à l'intrépide fermeté de sa race  qui le fait triompher le premier de l'usurpateur que la flèche des Goths attend sur les bords des marais Danubiens (Cyprian. Epist. X, ad Antonianum. IX). Ô saint Pontife, plus grand pourtant étes-vous encore par l'humilité qu'admirait en vous Cyprien, votre illustre ami, par cette pureté de votre âme virginale qui selon  lui vous rendit l'élu de Dieu et de son Christ (Ibid. VIII).

Près de vous, quelle n'est pas la grandeur de Cyprien lui-même ! Quel sillon de lumière a tracé dans le ciel de l'Eglise le converti du prêtre Cœcilius ! Dans la générosité de son âme conquise au Christ, il abandonne et les richesses et les honneurs, héritage de famille, et la gloire acquise dans les joutes de l'éloquence. A l'admiration de tous on dirait que, selon  le mot de son historien, la moisson des vertus précède en lui les semailles (Pontius Diac. De vita et pass. Cypr., XI). Par une exception justifiée, néophyte encore il est déjà pontife. Il lésera dix ans, durant lesquels Carthage, l'Afrique, le monde, auront les yeux fixés sur lui ; les païens, criant : " Cyprien au lion !", les chrétiens, attendant son mot d'ordre. Dix années qui représenteront une des périodes les plus troublées de l'histoire : dans l'empire, anarchie au sommet, invasions sur toutes les frontières, peste promenant partout l'épouvante ; dans l'Eglise, après une longue paix qui avait endormi les âmes, les persécutions de Dèce, de Gallus, de Valérien, dont la première, éclatant comme la foudre, multipliera les défaillances de la première heure et causera les schismes du lendemain, par la trop hâtive indulgence de plusieurs ou l'excessive rigueur de  quelques autres envers les tombés.

Saint Corneille et saint Cyprien de Carthage. Bréviaire romain. XVe.

Or, qui donc (Pontius Diac. De vita et pass. Cypr. VII) enseignera à ceux-ci la pénitence (Cypr. De lapsis), aux hérétiques la vérité, aux schismatiques l'unité (De unitate Ecclesiae), aux fils de  Dieu la prière  et la paix (De oratione Dominica) ? Qui ramènera les vierges aux règles de  leur vie sainte (De habitu virginis) ? Qui retournera contre les gentils leurs sophismes blasphématoires (Lib. ad Demetrianum, et De idolorum vanitate) ? Sous la  mort séparant et frappant, qui rappellera les biens futurs et consolera les âmes (De mortalitate) ? De qui apprendront-elles et la miséricorde (De opere et eleemosynis), et la patience (De bono patientiae), et le secret de changer en douceur de salut les poisons provenant des morsures de l'envie (De zelo et livore) ? Qui enfin élèvera les martyrs à la hauteur de l'appel de Dieu ? qui soutiendra les confesseurs sous la torture, au fond des cachots, dans l'exil ? qui  préservera des embûches de la liberté retrouvée les survivants du Martyre (De exhortatione martyrii, et Epistolae ad confessores) ?

Dans son calme incomparable, Cyprien, toujours prêt, semble défier les puissances de l'enfer, de la terre et des cieux. Jamais troupeau n'aura eu main plus sûre pour le rallier sous l'irruption soudaine et déconcerter le sanglier de la forêt. Et quelle fierté inspire au pasteur la dignité de cette famille chrétienne dont Dieu l'a fait le guide et le rempart! L'amour de l'Eglise, si l'on peut ainsi parler, est la note toute spéciale de l'évêque de Carthage ; en d'immortels épanchements avec ses très forts et très heureux frères, confesseurs du Christ, honneur de la Mère commune, il s'écrie :
" Ô bienheureuse notre Eglise, qu'illumine des plus purs rayons la divine condescendance, qu'illustre en nos temps le glorieux sang des martyrs ! Elle était blanche autrefois des oeuvres de nos frères ; la voilà maintenant empourprée du suc sorti des veines de ses héros. Ni les lis, ni les roses ne manquent à ses fleurs." (Epist. VIII, Ad martyres et confessores).

Etrange infirmité des plus fermes esprits d'ici-bas ! Ce fut cet amour même, ce fut, bien légitime, mais faussement appliqué, son exclusivisme jaloux pour la très noble Epouse du Sauveur, qui fit dévier Cyprien dans la grave question de la validité du baptême conféré par les sectes dissidentes. " Seule l’unique, disait-il, a les clefs, la puissance de l'Epoux ; c'est son honneur que nous défendons, en repoussant l'eau adultère de l'hérésie." (Epist. ad Jubaianum, I, XI).

Saint Corneille et saint Cyprien de Carthage.
Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.

C'était oublier que si, grâce à la miséricordieuse libéralité du Sauveur, le plus indispensable des Sacrements ne perd pas sa vertu, quel qu'en soit le ministre, étranger à l'Eglise ou son ennemi, il n'a de fécondité pourtant même alors que pour et par l'Epouse, ne valant qu'en union de ce qu'elle fait elle-même. Mais il est donc bien vrai : sainteté ou science ne donnent pas à l'homme l'infaillibilité, que la divine promesse assure au seul successeur de Pierre.

Pareille démonstration pouvait avoir son prix ; et sans doute ce fut la raison pour laquelle Dieu permit dans la haute intelligence du primat de l'Afrique romaine une éclipse passagère. Le péril ne pouvait être grave, ni définitive l'erreur, en celui dont la pensée maîtresse est toute dans ces mots que rappellent moins volontiers les adversaires de nos dogmes :
" Celui qui ne garde pas l'unité de l'Eglise, croit-il qu'il garde la foi ? Celui qui abandonne la Chaire de Pierre sur laquelle est fondée l'Eglise, peut-il se flatter d'être encore dans l'Eglise ?" (De unitate Ecclesiae, IV)."
Dom Prosper Guéranger.

Saint Corneille. Panneau peint sur bois.
Anonyme. Ecole Flamande. XVIe.

Corneille signifie qui comprend la circoncision. En effet, il comprit et conserva un grand détachement pour les choses superflues, les licites et même les nécessaires. Corneille peut venir aussi de corne, et de léos, peuple, comme si on disait la corne ou la force du peuple.

L'Eglise de Rome, après avoir demeuré un an et quelques mois sans pasteur, se consola de ce retard par l'élection de Corneille, qui avait toutes les qualités nécessaires pour la conduite d'un vaisseau agité par une tempête que l'empereur Dèce avait excitée. Il parvint à ce premier trône de l'Eglise par la science et la vertu, les seuls degrés par où l'on y montait en ces bienheureux siècles.
" Il en était d'autant plus digne, dit saint Cyprien, qu'il témoigna par une pudeur virginale et par une humilité sincère, qu'en cette élection, où plusieurs évêques se trouvèrent, on lui faisait violence et qu'il ne se croyait pas capable de porter le grand fardeau qu'on lui mettait sur les épaules."

Il était romain de nation, fils de Castin, et avait passé par toutes les fonctions ecclésiastiques, où son zèle. sa prudence s'étaient fait admirer der toiles fidèles. Aussi, ce furent ces seules vertus qui l'engagèrent à accepter cette charge, où l'on ne pouvait entrer en ce temps-là qu'en s'exposant à toutes sortes de supplices.

Saint Cornély. Imagerie populaire.
Pellerin éditeurs. XIXe.

Il eut d'abord un furieux schisme à combattre Novat, évêque d'une Eglise d'Afrique, dont on ne sait point le nom, y donna commencement. Ce schismatique se montrait tout à fait indigne de cette prélature. Saint Cyprien, qui avait une grande aversion de la médisance, dit de lui qu'il était amateur de nouveautés, avare, arrogant et superbe. Il nous le représente comme un boute-feu capable d'embraser tout le monde comme un séditieux, propre à exciter des tempêtes et à faire faire de tristes naufrages à la foi, et comme l'ennemi juré de la paix et de la tranquillité publiques.

II ajoute que les pupilles dont sa charge l'obligeait d'être le père, trouvaient en lui un brigand impitoyable les veuves, un séducteur de leur pudicité et les pauvres, un cœur de barbare, insensible à leur misère qu'il avait laissé mourir de faim son propre père, et qu'après sa mort il ne s'était pas mis en peine de lui rendre le devoir de la sépulture. Pour éviter la punition de ses crimes, il s'enfuit à Rome, où il trouva un instrument propre à son dessein. Ce fut le prêtre Novatien, homme d'une ambition cachée, mais très ardente et capable de tout entreprendre. La philosophie et l'éloquence par lesquelles il s'était acquis une grande réputation l'avaient tellement enflé qu'il éclata en plaintes et en murmures à l'élection de Corneille, comme si on lui avait fait injure de ne pas le choisir lui-même pour le souverain pontificat. Novat réchauffa et l'aigrit encore davantage sur ce sujet par des louanges artificieuses qu'il lui donna et par le mépris de celui qu'on lui avait préféré. Ils s'unirent ensemble d'un malheureux lien d'ambition et de vengeance, et commencèrent à semer parmi les fidèles des calomnies atroces contre ce saint Pontife, pour le décrier et le rendre odieux.

Enfin, ils surent si bien colorer leur mauvais dessein, que plusieurs même de ceux qui, durant la persécution, avaient glorieusement confessé la foi, se laissèrent abuser. Novatien avait toujours protesté qu'il fuyait l'épiscopat; mais la suite fit bien voir qu'il cachait sous ces protestations un désir désordonné d'y parvenir. Il écrivit à trois évêques d'Italie, simples et ignorants, pour les prier de venir au plus tôt à Rome y pacifier les troubles de l'Eglise, leur témoignant qu'il n'y avait qu'eux qui fussent capables de les faire cesser.

Baptême de sainte Basila.
Speculum historiale. V. de Bauvais. XVe.

Dès que ces prélats furent arrivés, il les fit recevoir par des personnes de sa faction, qui les invitèrent à un grand festin qu'on leur avait préparé puis, quand ils furent troublés par le vin qu'on leur fit boire avec excès, il entra dans la salle du banquet; et là même il se fit ordonner évêque par une ridicule imposition de leurs mains. Jamais homme ne fut plus inhabile à cette dignité; car, outre qu'il avait été possédé du démon et délivré par les exorcismes, il avait reçu le baptême au lit de la mort et, dans la persécution précédente, il avait renié sa prêtrise pour se conserver la vie irrégularités capitales, selon les Canons. Un des évêques qui avaient fait cette ordination profane se repentit bientôt après de sa faute, et l'ayant confessée humblement avec beaucoup de larmes, il fut reçu à la pénitence et mis au nombre des laïques. Voilà quel fut le premier schisme et le premier antipape de l'Eglise.

Novatien, après son ordination, écrivit à plusieurs évêques, et particulièrement à saint Cyprien, pour tâcher de les surprendre et de les attirer à sa communion. Ses lettres n'étaient que des invectives contre Corneille, mêlées d'une doctrine perverse et hérétique. Il se plaignait, entre autres choses, que le saint Pape recevait trop facilement à la communion ceux qui avaient sacrifié aux idoles, et disait qu'il fallait les en exclure pour toujours, et la refuser aussi à ceux qui étaient tombés dans des fautes énormes après le baptême, en laissant les uns et les autres au jugement de Dieu. Ainsi, sous un faux prétexte d'honorer sa justice, il offensait sa miséricorde, et jetait le désespoir dans les âmes au lieu d'y porter la crainte et l'horreur du péché. Corneille, que son intérêt paruculier n'eût point fait agir, voyant que cette pernicieuse doctrine allait faire perdre beaucoup d'âmes assembla un concile à Rome, dans lequel il fut décidé que l'on garderait un juste accommodement dans la prolongation ou la diminution du temps de la pénitence, afin, d'un côté, de ne pas lâcher la bride au péché, et, de l'autre, de ne pas ôter aux pécheurs l'espérance de la rémission. On ajouta que les prêtres qui auraient renoncé à la foi pourraient bien être reçus à la communion, mais non pas dans l'exercice de leur ordre.

A la suite de ce décret, plusieurs personnes qui avaient été séduites par les artifices des Novatiens, demandèrent à rentrer dans l'Eglise. Le saint Pape, pour les recevoir, assembla les prêtres de Rome avec cinq évêques, et, par leur avis, il accorda à ces brebis égarées, parmi lesquelles plusieurs avaient confessé le nom de Jésus-Christ dans la persécution, la grâce, de la réconciliation, dont leurs prières et leurs larmes, jointes à la surprise qui avait été faite à leur simplicité par les schismatiques, les firent juger dignes; mais, pour exterminer entièrement l'erreur des Novatiens, il convoqua encore au même lieu un synode de soixante évêques, et peut-être davantage de prêtres et de diacres par un commun consentement, elle fut condamnée, et tous ceux qui la suivaient furent frappés d'anathème.

Saint Cornély. Eglise Saint-Pierre-aux-Liens.
Baye. Cornouailles. Bretagne. XVIIIe.

Lorsque saint Corneille eut ainsi remporté la victoire sur les schismatiques, il s'éleva contre l'Eglise une autre persécution bien plus cruelle que la précédente, qui fut allumée par les empereurs Gallus et Volusien. Il en parle en ces termes dans sa lettre à Lupicin, évêque de Vienne :
" Vous saurez que l'arche du Seigneur est fort agités par le vent de la persécution, et que les chrétiens sont tourmentés de tous côtés par des supplices inouïs auxquels les empereurs les condamnent. Il y a, dans Rome, un lieutenant expressément établi pour les faire périr. Nous ne pouvons plus célébrer les divins Mystères ni publiquement, ni dans les caves qui ne sont pas tout à fait secrètes. Plusieurs ont déjà été couronnés du martyre. Priez Dieu qu'il nous fasse la grâce d'achever fidèlement notre course, qui ne durera plus guère, selon la révélation que nous en avons eue. Saluez en notre nom tous ceux qui nous aiment en Jésus-Christ."

Il fut d'abord relégué à Centumcelles, aujourd'hui Civita-Vecchia ; mais comme il n'avait plus de patrie sur la terre, il ne regarda point cet éloignement comme un exil. De ce lieu il écrivit plusieurs lettres à saint Cyprien, qui lui fit aussi de belles réponses; il lui donna de grands éloges pour le zèle et la fermeté qu'il faisait paraître à défendre la foi, à encourager les fidèles et à soutenir généreusement les intérêts de l'Eglise. Mais, ce pieux commerce de lettres ayant été découvert par Dèce, que l'on informa d'ailleurs des visites que les chrétiens rendaient souvent à leur saint pasteur, il le fit venir à Rome, et, après lui avoir reproché, par une calomnie ordinaire aux tyrans, qu'il avait des intrigues avec les ennemis de l'Etat, et qu'il écrivait contre son service, il lui proposa de deux choses l'une : ou de sacrifier aux dieux de l'empire ou de s'attendre à perdre la vie. Corneille s'étant moqué de ces menaces,il lui fit frapper la bouche avec des cordes plombées, puis l'envoya au temple de Mars avec ordre, s'il refusait de sacrifier aux idoles, de lui trancher la tête.

Avant cette exécution, Ceréalis, qui le gardait, le pria de passer par sa maison pour voir Salustie, sa femme, qui était paralytique depuis quinze ans. Corneille y étant entré, se mit en prières pour elle après quoi il lui dit avec une foi vive :
" Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, levez-vous et soutenez~vous sur vos pieds !"
Et, à l'heure même, elle se leva en pleine santé, criant à haute voix :
" Jésus-Christ est le vrai Dieu et le vrai fils de Dieu !"

Martyre de saint Corneille.
Vies de saints. XIVe.

Le Pape lui administra le baptême et à toute sa famille, ainsi qu'aux soldats de Ceréalis, qui se convertirent à la vue d'un si grand miracle. Ces conversions irritèrent de nouveau l'empereur, qui fit conduire ces néophytes avec Corneille au temple de Mars, pour y sacrifier aux idoles. Mais ces généreux serviteurs du vrai Dieu ayant craché contre les statues au lieu de les adorer, ils furent aussitôt décapités. La nuit suivante, la bienheureuse Lucine, avec quelques ecclésiastiques de Rome, enlevèrent leurs corps et les ensevelirent dans une crypte de son prx~MM, dépendante du cimetière de Calliste, sur la voie Appienne.

CULTE ET RELIQUES

Le pape Adrien Ier mit depuis les reliques de saint Corneille dans l'église qu'il fit bâtir sous son invocation.

A l'instance de Charles le Chauve, empereur et roi de France, le corps de saint Corneille a été transféré et apporté dans la ville de Compiègne, et déposé dans une célèbre abbaye que ce prince y avait fait bâtir en l'honneur de la sainte Vierge et des saints martyrs Corneille et Cyprien. En 1852, on retrouva à Rome, sur la voie Appienne, dans la catacombe de Calliste, exactement au lieu où il avait été enseveli, le tombeau de saint Corneille. Aujourd'hui ses reliques reposent dans l'église de Saint-Jacques, de Compiègne, avec d'ailleurs, et entre autres, un voile très précieux ayant appartenu à Notre Dame la très sainte Vierge Marie.

Eglise Saint-Jacques. Les reliques de saint Corneille
s'y trouvent toujours. Compiègne. Île-de-France.

Relevons que l’abbaye Saint-Corneille fut classée " bien national " en 1791 en même temps que celle du Val-de-Grâce. De nombreux acquéreurs achetèrent les bâtiments pour en faire des entrepôts. Quelques moines quittèrent la ville, les autres se cachèrent. Mais, les dénonciations furent très rares et l’offensive anti-catholique ne fut le fait que d’une poignée de Compiégnois, aidés par les militaires stationnés dans la ville. D'ailleurs, en mai 1793, la municipalité s’associa encore à la Fête-Dieu.
Cependant, le conventionnel en mission, André Dumont (1764-1838) accomplit par la force la fermeture des églises et organisa leur pillage, offensive à laquelle se rallièrent servilement les autorités locales.
Le passage de Collot d’Herbois et Isoré se traduisit dans le district par 72 arrestations dont 11 ecclésiastiques.

Le 10 août 1793, les sans-culottes de Compiègne envahirent l'abbaye Saint-Corneille et la pillèrent. Les corps des rois furent dispersés et leurs statues brûlées. Pendant cette profanation de tombes, ces bêtes féroces firent connaître le même sort aux restes des seigneurs et ecclésiastiques reposant dans l’église de l’abbaye, mais, surtout, à un grand nombre de reliques, même si de pieuses mains sauvèrent une partie de celle-ci avant le sac. Celles qui furent sauvées sont aujourd'hui au trésor de l'église Saint-Jacques de cette ville.

Bonaparte, Premier Consul, signa le décret qui ordonnait la destruction de l’abbaye Saint-Corneille, mais l’édifice ne fut détruit qu’en 1822. Les bâtiments encore debout de l’abbaye furent presque complètement brûlés en 1940 du fait d'un bombardement.

Des vastes bâtiments rebâtis à l'époque gothique, il ne subsiste plus que le cloître, restauré dans son état du XIVe siècle et quelques éléments de clocher et d'avant nef ; ces vestiges accueillent l'une des bibliothèques municipales, qui conserve dans sa réserve précieuse quelques ouvrages venant de l’abbaye.

L'abbaye Saint-Corneille au XVIIIe. Compiègne.

Saint Jérôme met saint Corneille parmi les écrivains ecclésiastiques, à cause de plusieurs épîtres qu'il écrivit en diverses occasions:  nous venons d'en marquer quelques-unes. Pendant deux ans qu'il tint le siége, il ne fit aucune ordination, parce que le schisme et les persécutions l'en empêchèrent. Mais, quoique son pontificat ait si peu duré, et que l'on y ait mis bien des obstacles, il ne laisse pas d'être très remarquable par les choses que ce grand homme a faites pour l'honneur de l'Eglise et par sa fermeté dans les tempêtes qui éprouvèrent son courage. Sa mort arriva le 14 de ce mois, mais l'Eglise ne fait sa fête que le 16.

Martyre de saint Corneille.
Gravure. Jacques Callot. XVIIe.

On le représente :
1. donnant le baptême ;
2. parfois entouré de vaches et de bœufs, à cause de la consonnance de son nom avec celui des bêtes à cornes : un jeu de mots aura sans doute déterminé le choix de ce Pape pour le patronage des grands troupeaux.
En Bretagne, il est encore invoqué comme protecteur des vaches et des bœufs, et on l'appelle Cornéli ou Cornély.

Saint Cornély bénissant le bétail. Statue de la façade de l'église
Saint-Cornély de Carnac. Carnac. Pays d'Auray. Bretagne. XVIIe.

En Pas de Calais, la commune d'Englos fut sauvée d'une épidémie en 1832 grâce à la neuvaine à saint Corneille que le conseil municipal demanda au curée de la paroisse Saint-Corneille (connue sous le vocable de Saint-Cornil) de dire. La ville de Lille compta 3000 morts de cette épidémie, Englos ne déplora aucun malade.

Buste votif à saint Cornil en remerciement de la protection
que le saint pape apporta à la population du village d'Englos
lors de l'épidémie de 1832 qui sévit dans toute l'Europe et
dans le Pas-de-Calais en particulier. Englos. Pas-de-Calais. XIXe.

Ajoutons enfin que l'épilepsie est appelée depuis longtemps le " mal de saint Corneille " et que l'on invoque ce grand saint et ce grand pape en vue de sa guérison et de la guérison des maladies nerveuses en général.

Saint Cornély protecteur des bestiaux.
Imagerie populaire. Pellerin éditeurs. XIXe.

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jeudi, 29 février 2024

29 février. Saint Dosithée de Gaza, solitaire. VIe.

- Saint Dosithée de Gaza, solitaire. VIe.

" Obéissez à vos chefs et soyez-leur soumis ; car ils veillent, sachant bien qu'il doivent rendre compte de vos âmes."
Saint Paul, Heb., XIII.


Saint Dosithée de Gaza. D'après une ancienne icône byzantine.

Dosithée vient de Dosis, Don, et de Théos, Dieu, c'est-à-dire le don de Dieu, donc l'équivalent grec du latin Dieudonné.

On ne connaît rien du lieu ni du temps où il vécut. Il fut élevé par un des principaux officiers de l’armée de l’empereur d’Orient. Dosithée reçut de son officier une éducation mondaine un peu molle et relâchée. Il était sensible et ne manquait pas de générosité. Cependant, l’officier ne l’informa jamais de la vie des Chrétiens.

Dosithée eut un jour l’occasion d’aller à Jérusalem et il profita de ce séjour pour visiter Gethsémani. Là, Dosithée se trouva tout à coup devant un tableau qui représentait les supplices des damnés. Une dame qui était là lui expliqua ce que signifiait tout ce qui était représenté sur le tableau. Dosithée lui exprima sa crainte de subir tous ces supplices. Alors la dame lui dit que pour éviter cela, il devait jeûner et prier.

Il fut si troublé par cette rencontre qu’il changea subitement de régime alimentaire et passa le plus clair de son temps à genoux en prière et son aspiration à mener une vie sainte le conduisit bientôt jusqu’à celui de Gaza en Palestine, chez l’abbé Séride (Séridos), qui gouvernait un monastère de plusieurs dizaine de Cénobites et qui faisait aussi office d'hôpital.

L’abbé, voyant un jeune homme si “ bien fait, délicat, vêtu en habit de cour ” craignait que ce ne fût une passade, une velléité de nanti. Il fit donc examiner Dosithée par saint Dorothée, un des moines-infirmiers.

A toutes les questions que posait Dorothée, Dosithée répondait invariablement “ je veux me sauver ”. Un peu décontenancé, Dorothée passa rapporta à Séride que Dosithée était indemne de tout vice, mais qu’il faudrait le ménager.


Cénobites orientaux. Manuscrit byzantin du Xe.

Dorothée conseilla alors à Dosithée de manger ce qu’il voulait et autant qu’il voulait. Celui-ci lui répondit qu’il avait mangé un pain de cinq livres, soit deux kilos et demi. Dorothée.
 
Mais deux jours après, il lui conseilla d’en retrancher une partie et lui demanda ensuite s’il avait assez mangé. Dosithée répondit qu’il n’avait pas tout mangé mais qu’il s’en trouvait bien quand même. Tous les jours, il lui demandait de retrancher une partie du pain et finit par lui conseiller de ne manger que trois onces par jour ainsi que quelques petits restes de poisson ou d’autres mets qu’on servait aux malades.

Comme Dorothée était infirmier-chef, il prit Dosithée à son service, le sachant doux, propre, soigneux et serviable.

Seulement, Dosithée, quand il n’obtenait pas le résultat voulu, se fâchait et certains mots un peu rudes lui échappaient. Chaque fois que cela lui arrivait, il allait dans sa cellule et fondait en larmes, prosterné contre terre, regrettant ses emportements.

Dorothée venait alors le trouver pour le calmer et l’encourager à persévérer puis lui rappeler qu’il n’avait pas à crier contre les malades car c’étaient des représentants de Notre Seigneur Jésus-Christ. Après bien des soupirs, Dosithée repartait travailler car il avait une confiance absolue en son maître.

Une fois où Dosithée s’était encore laissé emporter brusquement à la suite d’une bêtise qu’il avait faite, Dorothée lança :
“ Ici, il ne manque plus qu’une bouteille de vin, ça irait bien avec l’ambiance !”
Dosithée obéit à la lettre et courut chercher une bouteille de vin pour l’apporter à Dorothée.
“ Oh insensé, dit Dorothée, j’ai dit cela parce que vous parlez comme un Goth qui crie toujours pour rien, comme s’il était ivre !”
Dosithée rapporta la bouteille dans la cave.

Dorothée s’occupa alors à l’endurcir un peu. Malgré les précautions qu’il prenait, Dosithée subissait difficilement ces épreuves qui devaient servir à renforcer son humilité. Un jour il cracha du sang, atteint par la maladie.
 
Il déclina très vite malgré sa jeunesse. Sa seule impatience allait vers le jour de sa mort, jour où il pourrait “ sortir de son exil ”.

A la dernière extrémité, il demanda à Dorothée :
“ Père permettez-moi de sortir de mon exil.”
Dorothée, lui dit en pleurant :
“ Allez en paix mon fils.”
Et Dosithée expira en toute obéissance.

Un peu plus tard, Dosithée apparut à Dorothée. Il était au milieu d’une troupe de saints et resplendissait de lumière et de gloire.

Certains auteurs anciens attribuent à saint Dosithée la fameuse oraison :
" Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, Ayez pitié de moi, pauvre pécheur."

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dimanche, 04 février 2024

Dimanche de la Sexagésime.

- Dimanche de la Sexagésime.



Noé. Lorenzo Monaco. XVe.

Dans le cours de la semaine qui commence aujourd'hui, la sainte Eglise présente à notre attention l'histoire de Noé et du déluge universel. Malgré la sévérité de ses avertissements, Dieu n'a pu obtenir la fidélité et la soumission de la race humaine. Il est contraint d'employer un châtiment terrible contre ce nouvel ennemi. Toutefois, il a trouvé un homme juste, et, dans sa personne, il fera encore alliance avec nous. Mais auparavant il veut faire sentir qu'il est le souverain Maître, et que tout aussitôt qu'il lui plaira, l'homme si fier d'un être emprunté s'abîmera sous les ruines de sa demeure terrestre.

Nous placerons d'abord ici, comme base des enseignements de cette semaine, quelques lignes du Livre de la Genèse empruntées à l'Office des Matines de ce jour :

Lecture du Livre de la Genèse. Chap. VI.



Noé trouve grâce aux yeux de Dieu.
Bible historiale. Guiard des Moulins. XVe.

" Dieu voyant que la malice des Hommes était extrême sur la terre, et que toutes les pensées de leur coeur se tournaient continuellement vers le mal, il se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre. Et, étant touché de douleur jusqu'au fond du cœur, Il dit :
" J'exterminerai de dessus la terre l'homme que j'ai créé ; je les détruirai tous, depuis l'homme jusqu'aux animaux, depuis ceux qui rampent sur la terre jusqu'aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits."
Mais Noé trouva grâce devant le Seigneur.

Voici les enfants qu'engendra Noé : Noé, homme juste et parfait dans toute la conduite de sa vie, marcha avec Dieu, et engendra trois fils, Sem, Cham et Japheth. Or la terre était corrompue devant Dieu, et remplie d'iniquité. Dieu, voyant donc cette corruption de la terre (car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre), dit à Noé :
" J'ai résolu de faire périr tous les hommes ; ils ont rempli la terre d'iniquité ; je les exterminerai avec la terre."


La catastrophe qui fondit alors sur l'espèce humaine fut encore le fruit du péché ; mais du moins un homme juste s'était rencontré,et le monde fut sauvé d'une ruine totale par lui et par sa famille. Après avoir daigné renouveler son alliance, Dieu permit que la terre se repeuplât, et que les trois enfants de Noé devinssent les pères des trois grandes races qui l'habitent.



Noé trouve grâce aux yeux de Dieu.
Heures à l'usage de Rome. XVe.

Tel est le mystère de l'Office durant cette semaine. Celui de la Messe, qui est figuré par le précédent, est plus important encore. Dans le sens moral, la terre n'est- elle pas submergée sous un déluge de vices et d'erreurs ? Il faut qu'elle se peuple d'hommes craignant Dieu, comme Noé. Cette génération nouvelle, c'est la Parole de Dieu, semence de vie, qui la suscite. C'est elle qui produit ces heureux enfants dont parle le Disciple bien-aimé, " qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu même " (Johan. I, 13.).

Efforçons-nous d'entrer dans cette famille, et, si nous en sommes déjà membres, gardons chèrement notre bonheur. Il s'agit, dans ces jours, d'échapper aux flots du déluge, de chercher un abri dans l'arche du salut ; il s'agit de devenir cette bonne terre dans laquelle la semence fructifie au centuple. Songeons à fuir la colère à venir, pour ne pas périr avec les pécheurs, et montrons-nous avides de la Parole de Dieu qui éclaire et convertit les âmes (Psalm. XVIII.).

Chez les Grecs, ce Dimanche est le septième jour de la semaine qu'ils appellent Apocreos, laquelle commence dès le lundi qui suit notre Dimanche de la Septuagésime. Cette semaine est ainsi nommée dans l’Église grecque, parce qu'elle annonce et précède immédiatement celle où l'on suspend déjà l'usage de la viande, jusqu'à la fête de Pâques.

A LA MESSE

A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs. C'est autour du tombeau du Docteur des nations, du propagateur de la divine semence, du père de tant de peuples par sa prédication, que l'Eglise Romaine réunit les fidèles en ce jour où elle veut leur rappeler que le Seigneur a épargné la terre, à la condition qu'elle se peuplera de vrais croyants et d'adorateurs de son Nom.

EPITRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. II, Chap. XI.



Saint Paul. Filippo di Memmo. XIVe.

" Mes Frères, étant sages comme vous êtes, vous supportez sans peine les imprudents, puisque vous souffrez même qu'on vous réduise en servitude, qu'on vous dévore, qu'on vous pille, qu'on s'élève contre vous, qu'on vous frappe au visage. C'est à ma confusion que je rappelle cela : puisque nous passons pour avoir été trop faibles dans des épreuves semblables. Cependant aucun d'eux - excusez mon imprudence - ne saurait se glorifier de rien que je ne le puisse aussi moi-même.

Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont-ils enfants d'Israël ? Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? J'en suis aussi. Sont-ils ministres du Christ ? Au risque de passer encore comme imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux : j'ai plus souffert de travaux, plus enduré de prisons, plus reçu de coups. Souvent je me suis vu près de la mort.

J'ai reçu des Juifs, à cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet ; j'ai été battu de verges trois fois ; j'ai été lapidé une fois ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer. Fréquemment j'ai été en péril dans les voyages ; en péril sur les fleuves ; en péril du côté des voleurs ; en péril de la part de ceux de ma nation ; en péril de la part des gentils ; en péril dans les villes ; en péril dans les solitudes ; en péril sur la mer ; en péril au milieu des faux frères.

J'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, des veilles fréquentes, fa faim, la soif, des jeûnes réitérés, le froid et la nudité. A ces maux extérieurs ajoutez mes préoccupations quotidiennes, la sollicitude de toutes les Eglises. Qui est faible, sans que je me fasse faible avec lui ? Qui est scandalisé, sans que j'en sois brûlé ? Que s'il est permis de se glorifier, je me glorifierai de mes souffrances.



La flagellation de saint Paul et de saint Silas.
Louis Testelin. Cathédrale Notre Dame. Paris. XVIIe.

Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui est béni dans tous les siècles, sait que je ne mens pas. A Damas, le gouverneur de la province pour le roi Arétas faisait faire la garde dans la ville pour m'arrêter prisonnier : on me descendit par une fenêtre, le long de la muraille, dans une corbeille ; et je m'échappai ainsi de ses mains. S'il faut se glorifier, quoique cela ne convienne pas, je viendrai maintenant aux visions et aux révélations du Seigneur. Je connais en Jésus-Christ un homme qui fut ravi, il y a quatorze ans ; si ce fut en son corps, ou hors de son corps, je n'en sais rien, Dieu le sait ; qui fut ravi, dis-je, jusqu'au troisième ciel. Et je sais que cet homme, si ce fut en son corps, ou hors de son corps, je ne sais, Dieu le sait ; que cet homme, dis-je, fut ravi dans le Paradis, et qu'il entendit des paroles mystérieuses qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en parlant d'un tel homme ; mais, pour moi, je ne veux me glorifier que dans mes infirmités.

Ce ne serait cependant pas imprudence à moi, si je voulais me glorifier, car je dirais la vérité ; mais je me retiens, de peur que quelqu'un ne m'estime au-dessus de ce qu'il voit en moi, ou de ce qu'il entend de moi. Aussi, de peur que la grandeur des révélations ne me causât de l'orgueil, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan, qui me donne des soufflets. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur de l'éloigner de moi, et il m'a répondu : " Ma grâce te suffit " ; car la force se perfectionne dans l'infirmité. Je prendrai donc plaisir à me glorifier dans mes infirmités, afin que la force du Christ habite en moi."


EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. VIII.



Parabole du semeur. Pieter Brueghel l'Ancien. XVIe.

" En ce temps-là, le peuple s'assemblant en foule et se pressant de sortir des villes pour venir au-devant de Jésus, il leur dit en parabole :
" Celui qui sème s'en alla pour semer son grain ; et comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin, où elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent. Et une autre partie tomba sur la pierre, et, après avoir levé, elle sécha, parce qu'elle n'avait point d'humidité. Et une autre tomba au milieu des épines, et les épines croissant avec la semence l'étouffèrent. Et une autre partie tomba sur de la bonne terre, et ayant levé, elle porta du fruit, cent pour un."
En disant cela, il criait :
" Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre."

Ses disciples l'interrogèrent sur le sens de cette parabole, et il leur dit :
" Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour les autres, il ne leur est proposé qu'en paraboles, de sorte que voyant ils ne voient point, et qu'entendant ils ne comprennent point.
Voici donc le sens de cette parabole : La semence est la Parole de Dieu. Ceux qui sont marqués par ce qui tombe le long du chemin, sont ceux qui écoutent ; mais le diable vient, et enlève de leurs cœurs la parole, de peur que croyant, ils ne soient sauvés.
Ceux qui sont marqués par ce qui tombe sur la pierre, sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie ; mais ils n'ont point de racines ; ils croient pour un temps, et ils se retirent à l'heure de la tentation.
Cequi tombe dans les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais en qui elle est étouffée par les inquiétudes, par les richesses et parles plaisirs de cette vie, et ils ne portent point de fruit.
Enfin, ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la conservent dans un cœur bon et excellent, et portent du fruit par la patience."



Parabole du semeur. Heures à l'usage de Rouen. XVe.

Saint Grégoire le Grand observe avec raison que la parabole qui vient d'être lue n'a pas besoin d'explication, la Sagesse éternelle s'étant chargée elle-même de nous en donner la clef. Il ne nous reste donc plus qu'à profiter d'un si précieux enseignement, et qu'à recevoir en bonne terre la semence céleste qui tombe sur nous. Combien de fois jusqu'ici ne l'avons-nous pas laissée fouler aux passants, ou enlever par les oiseaux du ciel ? Combien de fois ne s'est-elle pas desséchée sur le rocher de notre cœur, ou n'a-t-elle pas été étouffée par de funestes épines ? Nous écoutions la Parole ; elle avait pour nous un certain charme qui nous rassurait. Souvent même nous la reçûmes avec joie et empressement ; mais, si quelquefois elle germait en nous, sa croissance était bientôt arrêtée.

Désormais, il nous faut produire et fructifier ; et telle est la vigueur de la semence qui nous est confiée, que le divin Semeur en attend cent pour un. Si la terre de notre cœur est bonne, si nous avons soin de la préparer en mettant à profit les secours que nous offre la sainte Eglise, la moisson sera abondante au jour où le Seigneur, s'échappant vainqueur de son sépulcre, viendra associer ses fidèles croyants aux splendeurs de sa Résurrection.

HYMNE A VÊPRES

Nous terminerons cette journée par une Hymne que nous empruntons aux anciens Bréviaires des Eglises de France, et qui exprime les sentiments dont les fidèles doivent être animés au temps de la Septuagésime :



Parabole du semeur. Missel à l'usage de Saint-Didier d'Avignon. XIVe.

" Les jours de liberté s'écoulent ; ceux des saintes observances arrivent : le temps de la sobriété est proche ; d'un cœur pur cherchons le Seigneur.

Nos cantiques et nos louanges apaiseront celui qui est notre juge et Seigneur : il ne refuse pas le pardon, lui qui veut que l'homme implore de lui sa grâce.

Après avoir subi le joug de Pharaon, après avoir porté les chaînes de la cruelle Babylone, que l'homme affranchi cherche la céleste Jérusalem, sa patrie.

Fuyons de cet exil ; cherchons demeure auprès du Fils de Dieu : la plus grande gloire pour le serviteur, c'est de devenir le cohéritier de son maître.

Ô Christ ! Soyez notre guide dans cette nouvelle souvenez-vous que nous sommes vos brebis pour lesquelles, ô pasteur, vous avez donné votre vie et subi la mort.

Au Père, au Fils, soit la gloire ; honneur pareil au saint Paraclet ; comme il était au commencement, et maintenant et toujours.

Amen."

dimanche, 28 janvier 2024

Dimanche de la Septuagésime.

- Dimanche de la Septuagésime.



La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

La sainte Eglise nous rassemble aujourd'hui pour repasser avec nous le lamentable récit de la chute de notre premier père. Un si affreux désastre nous fait déjà pressentir le dénouement de la vie mortelle du Fils de Dieu fait homme, qui a daigné prendre sur lui la charge d'expier la prévarication du commencement et toutes celles qui l'ont suivie. Pour être en mesure d'apprécier le remède, il nous faut sonder la plaie. Cette semaine sera donc employée à méditer la gravité du premier péché, et toute la suite des malheurs qu'il a entraînés sur l'espèce humaine.

Autrefois l'Eglise lisait en ce jour, à l'Office de Matines, la narration simple et sublime par laquelle Moïse a initié toutes les générations à ce triste événement. La disposition actuelle de la Liturgie n'amène pas cette lecture avant le Mercredi de cette semaine, les jours qui précèdent étant employés à lire le récit des six jours de la création. Nous placerons néanmoins dès aujourd'hui cette importante lecture, comme le fondement des enseignements de la semaine.

Lecture du Livre de la Genèse. Chap. III. :



Eve écoute le serpent. Ars moriendi. XVe.

" Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait formés sur la terre. Il dit à la femme :
" Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du jardin ?"
La femme lui répondit :
" Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le jardin ; mais, pour ce qui est du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a commandé de n'en point manger, et de n'y point toucher, de peur que nous ne mourrions."
Le serpent dit à la femme :
" Assurément, vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que le jour où vous en aurez mangé, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal."
La femme donc considéra que le fruit de cet arbre était bon à manger, qu'il était beau et agréable à la vue, et, en ayant pris, elle en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi. Et en même temps, leurs yeux furent ouverts à tous deux.



Adam et Eve mange du fruit de l'Arbre.
Heures à l'usage de Rouen. XVIe.

Ayant reconnu leur nudité, ils entrelacèrent des feuilles de figuier, et s'en firent des ceintures. Et ayant entendu la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin après midi, à l'heure où il s'élève un vent doux, Adam et son épouse se cachèrent sous l'ombrage des arbres du jardin, pour fuir la face du Seigneur Dieu.
Et le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit :
" Où es tu ?"
Il répondit :
" J'ai entendu votre voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu ; c'est pourquoi je me suis caché."
Le Seigneur reprit :
" Qui t'a appris que tu étais nu, si ce n'est que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais commandé de ne pas manger ?"
Et Adam répondit :
" La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé."
Et le Seigneur Dieu dit à la femme :
" Pourquoi as-tu fait cela ?"
Elle répondit :
" Le serpent m'a trompée , et j'en ai mangé."



Dieu surprend Adam et Eve. Ars moriendi. XVe.

Et le Seigneur Dieu dit au serpent :
" Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et les bêtes de la terre. Tu ramperas sur ton ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne : elle t'écrasera la tête, et tu tâcheras de la mordre au talon."
Il dit aussi à la femme :
" Je multiplierai tes angoisses après que tu auras conçu ; tu enfanteras tes fils dans la douleur ; tu seras sous la puissance de l'homme, et il te dominera."
Il dit ensuite à Adam :
" Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais commandé de ne pas manger, la terre sera maudite à cause de ce que tu as fait : tu tireras d'elle ta nourriture à force de travail, tous les jours de ta vie. Elle te produira des épines et des ronces, et tu te nourriras de l'herbe de la terre. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes en la terre dont tu as été tiré : car tu es poussière, et tu rentreras dans la poussière."



Adam et Eve sont chassés du Paradis.
La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

La voilà cette page terrible des annales humaines. Elle seule nous explique la situation présente de l'homme sur la terre. Par elle aussi, nous apprenons l'attitude qui nous convient à l'égard de Dieu. Nous reviendrons sur ce lugubre récit dans les jours qui vont suivre ; dès à présent, il doit faire le principal objet de nos réflexions. Reprenons maintenant l'explication de la Liturgie d'aujourd'hui.

Dans l'Eglise grecque, le dimanche que nous appelons de la Septuagésime est désigné sous le nom de Prosphonésime, c'est-à-dire Proclamation, parce qu'il annonce au peuple le jeûne du Carême qui doit bientôt commencer. Il est aussi appelé le dimanche de l'Enfant prodigue, parce qu'on y lit cette parabole, comme une invitation aux pécheurs de recourir à la miséricorde de Dieu. Il faut observer néanmoins que ce Dimanche est le dernier jour de la semaine appelée Prosphonésime, laquelle commence dès le lundi précédent, selon la manière de compter des Grecs.

A LA MESSE

La Station, à Rome, est dans l'Eglise de Saint-Laurent-hors-les-Murs. Les anciens liturgistes font remarquer la relation qui existe entre le juste Abel, dont le sang répandu par son frère fait l'objet d'un des Répons des Matines d'aujourd'hui, et le courageux martyr sur le tombeau duquel l'Eglise Romaine vient ouvrir la Septuagésime.

ÉPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. Chap. IX.



La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

" Mes Frères, ne savez-vous pas que, quand on court dans la lice, tous courent, mais qu'un seul remporte le prix ? Courez donc de telle sorte que vous le remportiez. Or, tout athlète garde en toutes choses la tempérance, et ils ne le font que pour gagner une couronne corruptible ; la nôtre au contraire sera incorruptible. Pour moi, je cours, mais non pas comme au hasard ; je combats, mais non pas en donnant des coups en l'air ; je châtie mon corps, et je le réduis en servitude ; de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne devienne moi-même réprouvé. Je ne veux pas que vous ignoriez, mes Frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous passé la mer ; qu'ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer ; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient de l'eau de la Pierre spirituelle qui les suivait ; et cette Pierre était Jésus-Christ. Mais cependant, sur un si grand nombre, il y en eut peu qui fussent agréables à Dieu."

La parole énergique de l'Apôtre vient augmenter encore l'émotion que nous apportent les grands souvenirs qui se rattachent à ce jour. Il nous dit que ce monde est une arène dans laquelle il faut courir, et que le prix n'est que pour ceux dont la marche est agile et dégagée. Gardons-nous donc de ce qui pourrait appesantir notre course et nous faire manquer la couronne.

Ne nous faisons pas illusion : rien n'est sûr pour nous, tant que nous ne sommes pas au bout de la carrière. Notre conversion n'a pas été plus sincère que celle de saint Paul, nos œuvres plus dévouées et plus méritoires que les siennes; toutefois, il le confesse lui-même, la crainte de devenir réprouvé n'est pas entièrement éteinte dans son cœur. Il châtie son corps, et il le réduit en servitude.

L'homme dans l'état actuel n'a plus cette volonté droite qu'avait Adam avant son péché, et dont cependant il sut faire un si malheureux usage. Un penchant fatal nous entraîne, et nous ne pouvons garder l'équilibre qu'en sacrifiant la chair à l'esprit.
Cette doctrine paraît dure au grand nombre, et c'est pour cela que beaucoup n'arriveront pas au terme de la carrière, et n'auront pas part à la récompense qui leur était destinée.

Comme les Israélites dont parle ici l'Apôtre, ils mériteront d'être ensevelis dans le désert, et ne verront pas la terre promise. Néanmoins, les mêmes merveilles dont turent témoins Josué et Caleb s'étaient accomplies sous leurs yeux ; mais rien ne guérit l'endurcissement d'un cœur qui s'obstine à mettre tout son espoir dans les choses de la vie présente, comme si leur périlleuse vanité ne se révélait pas d'elle-même à chaque heure.

Mais si le cœur se confie en Dieu, s'il se fortifie par la pensée que le secours divin ne manque jamais à celui qui l'implore, il parcourra sans faiblir l'arène de cette vie, et il arrivera heureusement au terme. Le Seigneur a les yeux constamment ouverts sur celui qui travaille et qui souffre.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XX.



Les ouvriers de la dernière heure.
Nicolaes Cornelisz Moyaert. Pays-Bas. XVIIe.

" En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples cette parabole :
" Le royaume des cieux est semblable à un père de famille qui sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Etant demeuré d'accord avec eux d'un denier pour leur journée, il les envoya dans sa vigne. Et étant sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se tenaient sur la place sans rien faire, et il leur dit :
" Allez-vous-en aussi dans ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste."
Et ils y allèrent.
Il sortit encore sur la sixième et la neuvième heure, et il fit la même chose.
Enfin étant sorti sur la onzième heure, il en trouva d'autres qui étaient là, et il leur dit :
" Pourquoi demeurez-vous ici le long du jour sans travailler ?"
Et ils lui dirent :
" Parce que personne ne nous a loués."
Il leur dit :
" Allez-vous-en aussi dans ma vigne."
Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant :
" Appelle les ouvriers, et donne-leur le salaire, en commençant par les derniers et finissant par les premiers."

Ceux donc qui n'étaient venus que vers la onzième heure, s'étant approchés, reçurent chacun un denier. Ceux qui étaient venus les premiers pensèrent qu'ils allaient recevoir davantage ; mais ils ne reçurent que chacun un denier. Et en le recevant, ils murmuraient contre le père de famille et disaient :
" Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et vous leur avez donné autant qu'à nous qui avons porté le poids du jour et de la chaleur."
Mais il répondit à l'un d'eux :
" Mon ami, je ne vous fais point de tort. N'êtes-vous pas convenu avec moi d'un denier ? Prenez ce qui vous appartient et vous en allez ; mais je veux donner à ce dernier autant qu'à vous. Est-ce qu'il ne m'est pas permis de faire ce que je veux ? Votre œil est-il mauvais parce que je suis bon ? Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers, parce qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus."



Missel à l'usage de Saint-Didier d'Avignon. XIVe.

Il importe de bien saisir ce célèbre passage de l'Evangile, et d'apprécier les motifs qui ont porté l'Eglise à le placer en ce jour. Considérons d'abord les circonstances dans lesquelles le Sauveur prononce cette parabole, et le but d'instruction qu'il s'y propose directement. Il s'agit d'avertir les Juifs que le jour approche où leur loi tombera pour faire place à la loi chrétienne, et de les disposer à accueillir favorablement l'idée que les Gentils vont être appelés à former alliance avec Dieu.

La vigne dont il est ici question est l'Eglise sous ses différentes ébauches, depuis le commencement du monde, jusqu'à ce que Dieu vînt lui-même habiter parmi les hommes et constituer sous une forme visible et permanente la société de ceux qui croient en lui.

Le matin du monde dura depuis Adam jusqu'à Noé ; la troisième heure s'étendit de Noé jusqu'à Abraham ; la sixième heure commença à Abraham pour aller jusqu'à Moïse ; la neuvième heure fut l'âge des Prophètes, jusqu'à l'avènement du Seigneur. Le Messie est venu à la onzième heure, lorsque le monde semblait pencher à son déclin. Les plus grandes miséricordes ont été réservées pour cette période durant laquelle le salut devait s'étendre aux Gentils par la prédication des Apôtres.

C'est ce dernier mystère par lequel Jésus-Christ veut confondre l'orgueil judaïque. Il signale les répugnances que les Pharisiens et les Docteurs de la Loi éprouvaient en voyant l'adoption s'étendre aux nations, par les remontrances égoïstes que les ouvriers des premières heures osent faire au Père de famille. Cette obstination sera punie comme elle le mérite. Israël, qui travaillait avant nous, sera rejeté à cause de la dureté de son cœur; et nous, Gentils, qui étions les derniers, nous deviendrons les premiers, étant faits membres de cette Eglise catholique, qui est l'Epouse du Fils de Dieu.



Evangéliaire à l'usage de Cambrai. XIIIe.

Telle est l'interprétation donnée à cette parabole par les saints Pères, notamment par saint Augustin et saint Grégoire le Grand ; mais cet enseignement du Sauveur présente encore un autre sens également justifié par l'autorité de ces deux saints Docteurs. Il s'agit ici de l'appel que Dieu adresse à chaque homme pour l'inviter à mériter le Royaume éternel par les pieux labeurs de cette vie.

Le matin, c'est notre enfance ; la troisième heure, selon la manière de compter des anciens, est celle où le soleil commence à monter dans le ciel : c'est l'âge de la jeunesse.

La sixième heure, par laquelle on désignait ce que nous appelons Midi, est l'âge d'homme.

La onzième heure précède de peu d'instants le coucher du soleil : c'est la vieillesse.

Le Père de famille appelle ses ouvriers à ces différentes heures ; c'est eux de se rendre, dès qu'ils ont entendu sa voix ; mais il n'est pas permis à ceux qui sont conviés dès le matin de retarder leur départ pour la vigne, sous le prétexte qu'ils se rendront plus tard, lorsque la voix du Maître se fera entendre de nouveau. Qui les a assurés que leur vie se prolongera jusqu'à la onzième heure ? Lorsque la troisième sonne, peut-on compter même sur la sixième ? Le Seigneur ne convoquera au travail des dernières heures que ceux qui seront en ce monde lorsqu'elles viendront à sonner ; et il ne s'est point engagé à adresser une nouvelle invitation à ceux qui auront dédaigné la première.

vendredi, 05 janvier 2024

5 janvier. La Vigile de l'Epiphanie.

- La Vigile de l'Epiphanie.


Adoration des bergers. Andrea Mantegna. XVIe.

La fête de Noël est terminée ; les quatre Octaves ont achevé leur cours ; et nous voici en présence de la solennité de l'Epiphanie du Seigneur. Une seule journée nous reste pour nous préparer à la Manifestation pleine de mystère que nous doit faire de sa gloire celui qui est l'Ange du grand Conseil. Encore quelques heures, et l'étoile se sera arrêtée, et les Mages frapperont à la porte de la maison de Bethléhem.

Cette Vigile n'est pas, comme celle de Noël, un jour de pénitence. L'Enfant que nous attendions alors, dans la componction et dans l'ardeur de nos désirs, est venu ; il reste avec nous et nous prépare de nouvelles faveurs. Ce jour d'attente d'une nouvelle solennité est un jour de joie comme ceux qui l'ont précédé. Cette Vigile ne sera donc point marquée par le jeûne ; et la sainte Eglise n'y revêtira point ses habits de deuil. Aujourd'hui, elle se pare de la couleur blanche, comme elle le fera demain. Ce jour est le douzième de la Naissance de l'Emmanuel.

Célébrons donc cette Vigile dans l'allégresse de nos cœurs, et préparons nos âmes aux nouvelles faveurs qui leur sont réservées.


Adoration des bergers. Anonyme flamand. XVIe.

L'Eglise Grecque observe le jeûne aujourd'hui, en mémoire de la préparation au Baptême qui s'administrait autrefois, principalement en Orient, dans la nuit qui précédait le saint jour de l'Epiphanie. Elle bénit encore les eaux avec une grande solennité en cette fête ; nous parlerons avec détail de cette cérémonie dont les vestiges ne sont pas encore entièrement effacés dans l'Occident.

La sainte Eglise Romaine fait mémoire en ce jour d'un de ses Papes Martyrs, saint Télesphore. Ce Pontife monta sur le Siège Apostolique l'an 127 ; et parmi les décrets qu'il rendit, on remarque celui par lequel il établissait l'usage de célébrer la Messe durant la nuit de Noël, pour honorer l'heure delà Naissance du Christ, et un autre dans lequel il décrète que l'Hymne Angélique Gloria in excelsis Deo serait chantée ordinairement au commencement du saint Sacrifice. Cette piété du saint Pape envers le grand mystère que nous célébrons en ces jours, rend sa mémoire plus vénérable encore à l'époque de l'année où elle tombe. Télesphore souffrit un glorieux martyre, selon l'expression de saint Irénée, et fut couronné de la gloire céleste, l'an 138.


Adoration des bergers. Jacopo Negretti. Début du XVIe.

A LA MESSE

La Messe de la Vigile de l'Epiphanie est la même que celle du Dimanche dans l'Octave de Noël, sauf la commémoration de saint Télesphore et l'Evangile.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. II.


Adoration des bergers. Luca Signorelli. XVIe.

" En ce temps-là, Hérode étant mort, voici que l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Egypte, lui disant : " Lève-toi, et prends l'Enfant et sa Mère, et va dans la terre d'Israël " ; car ils sont morts, ceux qui poursuivaient la vie de l'Enfant. Joseph, s'étant levé, prit l'Enfant et sa Mère, et vint dans la terre d'Israël. Mais ayant appris qu'Archélaüs régnait en Judée, en la place d'Hérode son père , il craignit d'y aller ; et averti en songe, il se retira dans la Galilée. Et il vint habiter dans la ville qui est appelée Nazareth, afin que fût accompli ce qui avait été dit par les Prophètes : Il sera appelé Nazaréen."

IN CHRISTI NATIVITATE

Pour couronnement des pièces liturgiques qui nous ont aidé si suavement à pénétrer le mystère de Noël, nous avons réservé les strophes suivantes. Nulles autres ne pouvaient mieux convenir à ce jour qui prépare l'introduction des Mages près de la Crèche. Elles sont tirées du poème que le prince des mélodes de l'Eglise Grecque, saint Romanus, consacra, comme prémices de son génie, à la Vierge Mère. Nous regrettons de ne pouvoir donner ici le texte même, remis dans nos temps en honneur par un illustre prince de l'Eglise (Analecta sacra spicilegio solesmensi parata, I.), et dont aucune traduction ne saurait rendre l'incomparable harmonie.

La Vierge aujourd'hui met au monde Celui qui dépasse la nature ; la terre donne une grotte pour gîte à l'inaccessible. Les Anges avec les bergers font assaut de louanges ; les Mages sont en route à la suite de l'étoile. Car pour nous voici qu'est né, enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles.


Adoration des bergers. Francesco de Rossi. XVIe.

Voici qu'en Bethléhem Eden est ouvert ; venez donc, et voyons : quel mets suave est là caché pour nous ! Venez : dans cette grotte, abreuvons-nous des délices du paradis. Là fleurit, sans être arrosée, la tige qui produit la grâce. Là est le puits qu'aucune main n'a creusé , et dont David un jour eût voulu boire. Ici tout d'un coup, grâce à la Vierge qui enfante, d'Adam et de David la soif est apaisée. Donc hâtons-nous d'aller où vient de naître, enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles.

Le père de la mère a voulu être son fils ; le sauveur des enfants gît enfant dans une crèche. Fixant ses yeux sur lui, celle qui l'enfante a dit :
" Qu'est-ce cela, Ô mon fils ! En quelle manière as-tu pris germe en moi ? En quelle manière as-tu trouvé en moi vie et croissance ? Je te vois, Ô fruit de mes entrailles, et suis dans la stupeur ; mon sein s'emplit de lait, et je n'ai point connu d'homme. Et tandis que je t'admire en ces langes, je contemple la fleur de ma virginité toujours sauve, Ô toi qui l'as gardée, en daignant naître, enfant d'un jour, Dieu avant tous les siècles.

Roi très-haut, qui t'attire au milieu des mendiants ? Créateur des cieux, pourquoi viens-tu chez les habitants de la terre ? Une grotte fait tes délices, une crèche est ton amour ! Voici bien que pour ta servante il n'y a point de place dans l'hôtellerie ; et non seulement pas de place : pas de grotte même, car celle-ci est à d'autres. Pourtant à Sara, quand elle eut un fils, beaucoup de terre fut donnée : à moi, pas une tanière ; pour tout j'ai cet antre où tu as voulu habiter, enfant d'un jour, Dieu avant tous les siècles."


Adoration des bergers. Lorenzo d'Andrea d'Oderigo. XVIe.

Tandis qu'elle formule ces pensées dans son cœur et s'adresse suppliante à Celui qui connaît les mystères, elle apprend que les Mages sont là, cherchant le nouveau-né. Venant à eux :
" Qui êtes-vous ?" dit la Vierge.
Ceux-ci lui répondent :
" Bien plutôt, quelle est ta naissance, Ô toi qui as mis au monde un tel enfant ? De quel père, de quelle mère es-tu descendue, toi qui nourris un fils dont tu es la mère sans qu'il ait eu de père ? A la vue de son étoile, nous avons prononcé de concert qu'elle annonçait, enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles.
Balaam en effet nous avait avec soin préparés à comprendre les oracles dont il fut le prophète, lorsqu'il prédit le lever d'une étoile : étoile éteignant toutes divinations et présages ; étoile résolvant les paraboles des sages, leurs énigmes et sentences ; étoile dont la lumière l'emporte d'autant mieux sur le soleil qui nous éclaire, qu'elle-même a créé tous les astres ; par elle il était annonce que de Jacob sortirait comme la lumière, l’enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles."

Ayant entendu si merveilleux discours , Marie prosternée adora l'enfant né de ses entrailles, et dit en pleurs :
" Grandes pour moi, Ô mon fils, grandes sont toutes les choses que vous avez faites avec mon indigence. Car voici que dehors se tiennent les Mages, et ils vous cherchent ; les rois des nations de l'Orient désirent votre visage ; le contempler est la prière des riches de votre peuple. Ce peuple n'est-il pas vôtre, en effet, pour qui vous êtes né, enfant d'un jour, Dieu avant tous les siècles ?
Puis donc qu'ils sont vôtres, Ô mon fils, ordonnez qu'ils entrent sous votre toit, pour voir cette opulente pauvreté, cette noble indigence ; car je vous ai pour richesses et pour gloire, aussi n'ai-je point à rougir, en vous sont la grâce et la vérité ; et maintenant permettez qu'ils viennent en cet abri : comment m'inquiéterais-je de ma misère, vous possédant, vous le trésor que viennent contempler les princes, l'objet de l'étude des rois et des Mages cherchant où est né, enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles ?"


Adoration des bergers. Jacob Jordaens. Début du XVIIe.

Jésus le Christ et notre vrai Dieu se fit entendre intérieurement au cœur de sa mère, et lui dit :
" Introduis ceux qu'amène ma parole ; car cette parole est la lumière de ceux qui me cherchent, étoile aux yeux, force pour l'âme intelligente. C'est elle qui, comme mon serviteur, a conduit les Mages, et maintenant elle s'est arrêtée pour remplir son office et désigner par ses rayons l'endroit où est né, enfant d'un jour, le Dieu d'avant tous les siècles.
Maintenant donc reçois-les, ô toute belle, reçois ceux qui m'ont reçu ; car je suis en eux, comme je suis dans tes bras, et, en les accompagnant, je ne t'ai point quittée."
Elle donc ouvre la porte et reçoit l'assemblée des Mages ; elle ouvre, celle qui est la porte fermée à tous, que seul le Christ a traversée ; elle ouvre, celle qui fut toujours close, celle qui jamais rien ne perdit des trésors de la virginité ; elle ouvre, celle par qui fut donnée au monde, porte des cieux, l'enfant d'un jour, Dieu avant tous les siècles.

Les dernières paroles de notre Avent étaient celles de l'Epouse, dans la prophétie du Disciple bien-aimé :
" Venez, Seigneur Jésus ! Venez !"
Nous terminerons cette première partie du Temps de Noël par ces paroles d'Isaïe que la sainte Eglise a répétées avec triomphe :
" Un petit Enfant nous est né! Les cieux ont envoyé leur rosée, le juste est descendu du ciel, la terre a enfanté son Sauveur, LE VERBE S'EST FAIT CHAIR, la Vierge a produit son doux fruit, Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. Le Soleil de justice brille maintenant sur nous, les ténèbres sont passées ; au ciel, Gloire à Dieu ! Sur la terre, Paix aux hommes !"


Adoration des bergers. Jusepe de Ribeira. XVIIe.

" Tous ces biens nous sont venus par l'humble et glorieuse Naissance de cet Enfant. Adorons-le dans son berceau, aimons-le pour tant d'amour ; et préparons les présents que nous irons demain lui offrir avec les Mages. L'allégresse de la sainte Eglise continue, la nature angélique est dans l'étonnement, toute la création tressaille de bonheur : Un petit Enfant nous est né !"