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dimanche, 16 avril 2023

Dimanche in Albis ou dimanche de Quasimodo.

- Le dimanche in Albis, appelé vulgairement dimanche de Quasimodo.


 
L'incrédulité de saint Thomas. Email peint. Léonard Limosin. XVe.

Des cœurs droits et disposés à la foi n'auraient eu aucune peine à se rendre, dès le premier bruit de la disparition du corps. Jean ne lit qu'entrer dans le sépulcre, que voir les linceuls, et aussitôt il comprit tout et commença à croire. Mais l'homme est rarement aussi sincère ; il s'arrête sur le chemin, comme s'il voulait obliger Dieu à faire de nouvelles avances. Ces avances, Jésus daigna les faire. Il se montra à Madeleine et à ses compagnes qui n'étaient pas incrédules, mais seulement distraites par l'exaltation d'un amour trop naturel. Au jugement des Apôtres, leur témoignage n'était que le langage de quelques femmes que l'imagination avait égarées. Il fallut que Jésus vînt en personne se montrer à ces hommes rebelles, à qui leur orgueil faisait perdre la mémoire de tout un passé qui eût suffi à lui seul pour les éclairer sur le présent. Nous disons leur orgueil ; car la foi n'a pas d'autre obstacle que ce vice. Si l'homme était humble, il s'élèverait jusqu'à la foi qui transporte les montagnes.

Or Thomas a entendu Madeleine, et il a dédaigne son témoignage ; il a entendu Pierre, et il a décliné son autorité ; il a entendu ses autres frères et les disciples d'Emmaüs, et rien de tout cela ne l'a dépris de sa raison personnelle. La parole d'autrui qui, lorsqu'elle est grave et désintéressée, produit la certitude dans un esprit sensé, n'a plus cette efficacité chez beaucoup de gens, dès qu'elle a pour objet d'attester le surnaturel. C'est là une profonde plaie de notre nature lésée par le péché. Trop souvent nous voudrions, comme Thomas, avoir expérimenté nous-mêmes ; et il n'en faut pas davantage pour nous priver de la plénitude de la lumière. Nous nous consolons comme Thomas parce que nous sommes toujours du nombre des disciples ; car cet Apôtre n'avait pas rompu avec ses frères; seulement il n'entrait pas en part de leur bonheur. Ce bonheur, dont il était témoin, ne réveillait en lui que l'idée de faiblesse ; et il se savait un certain gré de ne le pas partager.

Tel est de nos jours encore le chrétien entaché de rationalisme. Il croit, mais c'est parce que sa raison lui fait comme une nécessité de croire ; c'est de l'esprit et non du cœur qu'il croit. Sa loi est une conclusion scientifique, et non une aspiration vers Dieu et la vérité surnaturelle. Aussi cette foi, comme elle est froide et impuissante ! Comme elle est restreinte et embarrassée ! Comme elle craint de s'avancer, en croyant trop ! A la voir se contenter si aisément de vérités diminuées (Ps. XI.), pesées dans la balance de la raison, au lieu de voler à pleines ailes comme la foi des saints, on dirait qu'elle est honteuse d'elle-même. Elle parle bas, elle craint de se compromettre ; quand elle se montre, c'est sous le couvert d'idées humaines qui lui servent de passeport. Ce n'est pas elle qui s'exposera à un affront pour des miracles qu'elle juge inutiles, et qu'elle n'eût jamais conseillé à Dieu d'opérer. Dans le passé comme dans le présent, le merveilleux l'effraie ; n'a-t-elle pas eu déjà assez d'effort à faire pour admettre celui dont l'acceptation lui est strictement nécessaire ?


 
L'incrédulité de Thomas. Ivoire de morse. Allemagne. XIIe.

La vie des saints, leurs vertus héroïques, leurs sacrifices sublimes, tout cela l'inquiète. L'action du christianisme dans la société, dans la législation, lui semble léser les droits de ceux qui ne croient pas ; elle entend réserver la liberté de l'erreur et la liberté du mal ; et elle ne s'aperçoit même pas que la marche du monde est entravée depuis que Jésus-Christ n'est plus Roi sur la terre.

Or c'est pour ceux dont la foi est si faible et si près du rationalisme, que Jésus ajoute aux paroles de reproche qu'il adressa à Thomas, cette sentence qui ne le regardait pas seul, mais qui avait en vue tous les hommes et tous les siècles :
" Heureux ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru !"
Thomas pécha, pour n'avoir pas eu la disposition à croire. Nous nous exposons à pécher comme lui, si nous n'entretenons pas dans notre foi cette expansion qui la mêlerait à tout, et lui ferait faire ce progrès que Dieu récompense par des flots de lumière et de joie au cœur. Une fois entrés dans l'Eglise, le devoir pour nous est de considérer désormais toute chose au point de vue surnaturel; et ne craignons pas que ce point de vue, réglé par les enseignements de l'autorité sacrée, nous entraîne trop loin.
" Le juste vit de la foi " (Rom. I, 17.) ; c'est sa nourriture continuelle. La vie naturelle est transformée en lui pour jamais, s'il demeure fidèle à son baptême.

Croyons-nous donc que l'Eglise avait pris tant de soins dans l'instruction de ses néophytes qu'elle les avait initiés par tant de rites qui ne respirent que les idées et les sentiments de la vie surnaturelle, pour les abandonner sans remords dès le lendemain à l'action de ce dangereux système qui place la foi dans un recoin de l'intelligence, du cœur et de la conduite, afin de laisser plus librement agir l'homme naturel ? Non, il n'en est pas ainsi. Reconnaissons donc notre erreur avec Thomas ; confessons avec lui que jusqu'ici nous n'avons pas cru encore d'une foi assez parfaite. Comme lui, disons à Jésus :
" Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu ; et j'ai souvent pensé et agi comme si vous n'étiez pas en tout mon Seigneur et mon Dieu. Désormais je croirai sans avoir vu ; car je veux être du nombre de ceux que vous avez appelés heureux."

A LA MESSE

Ce Dimanche, appelé vulgairement le Dimanche de Quasimodo, porte dans la Liturgie le nom de Dimanche in albis, et plus explicitement in albis depositis, parce que c'était en ce jour que les néophytes paraissaient à l'Eglise sous les habits ordinaires. Au moyen âge, on l'appelait Pâque close : sans doute pour exprimer qu'en ce jour l'Octave de Pâques se terminait. La solennité de ce Dimanche est si grande dans l'Eglise, que non seulement il est du rite Double, mais qu'il ne cède jamais la place à aucune fête, de quelque degré supérieur qu'elle soit.

A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pancrace, sur la Voie Aurélia. Les anciens ne nous ont rien appris sur les motifs qui ont fait désigner cette Eglise pour la réunion des fidèles en ce jour. Peut-être l'âge du jeune martyr de quatorze ans auquel elle est dédiée l'a-t-il fait choisir de préférence, par une sorte de rapport avec la jeunesse des néophytes qui sont encore aujourd'hui l'objet de la préoccupation maternelle de l'Eglise.

ÉPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Jean, Apôtre. I, Chap. V.



Notre Seigneur Jésus-Christ entouré de Notre Dame et de saint Jean. Rogier van der Weyden. XVe.

" Mes bien-aimés, quiconque est né de Dieu est victorieux du monde ; et la victoire qui soumet le monde, c'est notre foi. Quel est celui qui triomphe du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C'est ce même Jésus-Christ qui est venu avec l'eau et le sang ; non seulement avec l'eau, mais avec l'eau et avec le sang. Et c'est l'Esprit qui rend témoignage que le Christ est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois sont une même chose. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois sont une même chose. Si nous recevons le témoignage des hommes, celui de Dieu est plus grand. Or ce grand témoignage de Dieu, c'est celui qu'il a rendu au sujet de son Fils. Celui qui croit au Fils de Dieu, a en soi le témoignage de Dieu."

L'Apôtre saint Jean célèbre en ce passage le mérite et les avantages de la foi ; il nous la présente comme une victoire qui met le monde sous nos pieds, le monde qui nous entoure, et le monde qui est au dedans de nous. La raison qui a porte l'Eglise à faire choix pour aujourd'hui de ce texte de saint Jean se devine aisément, quand on voit le Christ lui-même recommander la foi dans l'Evangile de ce Dimanche.

" Croire en Jésus-Christ, nous dit l'Apôtre, c'est vaincre le monde " ; celui-là n'a donc pas la foi véritable qui soumet sa foi au joug du monde. Croyons d'un cœur sincère, heureux de nous sentir enfants en présence de la vérité divine, toujours disposés à accueillir avec empressement le témoignage de Dieu. Ce divin témoignage retentira en nous, selon qu’il nous trouvera désireux de l'entendre toujours davantage. Jean, à la vue des linceuls qui avaient enveloppé le corps de son maître, se recueillit et il crut ; Thomas avait de plus que Jean l'attestation des Apôtres qui avaient vu Jésus ressuscité, et il ne croyait pas. Il n'avait pas soumis le monde à sa raison, parce que la foi n'était pas en lui.

EVANGILE


La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. XX.



L'incrédulité de saint Thomas. Détail d'un triptyque. Maître de Saint-Barthélémy. Cologne. XVIe.

" En ce temps-là, sur le soir, le jour d'après le sabbat, les portes du lieu où les disciples étaient rassemblés étant fermées, de peur des Juifs, Jésus vint, et debout au milieu d'eux, il leur dit :
" La paix soit avec vous !"
Et ayant dit ces mots, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent dans la joie de voir le Seigneur. Il leur dit de nouveau :
" La paix soit avec vous ! Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie."
Cela dit, il souffla sur eux et leur dit :
« Recevez le Saint-Esprit. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. »
Or Thomas appelé Didyme, l'un des douze, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc :
" Nous avons vu le Seigneur."
Mais il leur dit :
" Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt là où étaient les clous, et ma main dans son côté, je ne croirai point."
Huit jours après, les disciples étant encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes fermées, et debout au milieu d'eux, il leur dit :
" La paix soit avec vous !"
Puis il dit à Thomas :
" Mets ici ton doigt, et vois mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais fidèle."
Thomas répondant lui dit :
" Mon Seigneur et mon Dieu !"
Jésus lui dit :
" Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru ; heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru."
Jésus fit encore devant ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont point écrits en ce livre ; mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu, et qu'en le croyant vous ayez la vie en son nom."


 
L'incrédulité de saint Thomas. Le Caravage. XVIe.

Nous avons insisté suffisamment sur l'incrédulité de saint Thomas ; il est temps maintenant de glorifier la foi de cet Apôtre. Son infidélité nous a aidés à sonder notre peu de foi ; que son retour nous éclaire sur ce que nous avons à faire pour devenir de vrais croyants. Thomas a contraint le Sauveur, qui compte sur lui pour en faire une des colonnes de son Eglise, à descendre avec lui jusqu'à la familiarité ; mais à peine a-t-il introduit son doigt téméraire dans les plaies de son maître que, tout aussitôt, il se sent subjugué. Le besoin de réparer, par un acte solennel de foi, l'imprudence qu'il a commise en se croyant sage et prudent, se fait sentir à lui : il jette un cri, et ce cri est la protestation de foi la plus ardente qu'un homme puisse faire entendre : " Mon Seigneur et mon Dieu !"

Remarquez qu'il ne dit pas seulement ici que Jésus est son Seigneur, son Maître ; qu'il est bien le même Jésus dont il a été le disciple ; ce ne serait pas encore la foi. Il n'y a plus foi, quand on palpe l'objet. Thomas aurait eu la foi de la Résurrection, s'il avait cru sur le témoignage de ses frères ; maintenant, il ne croit plus simplement, il voit, il a l'expérience. Quel est donc le témoignage de sa foi ? C'est qu'il atteste en ce moment que son Maître est Dieu. Il ne voit que l'humanité de Jésus, et il proclame tout d'un coup la divinité de ce Maître.
D'un seul bond, son âme loyale et repentante s'est élancée jusqu'à l'intelligence des grandeurs de Jésus : " Vous êtes mon Dieu !" lui dit-il.

Ô Thomas, d'abord incrédule, la sainte Eglise révère votre foi, et elle la propose pour modèle à ses enfants au jour de votre fête. La confession que vous avez faite aujourd'hui vient se placer d'elle-même à côté de celle que fit Pierre, lorsqu'il dit à Jésus :
" Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant !" Par cette profession que ni la chair, ni le sang n'avaient inspirée, Pierre mérita d'être choisi pour être le fondement de l'Eglise ; la vôtre a fait plus que réparer votre faute ; elle vous rendit pour un moment supérieur à vos frères, que la joie de revoir leur Maître transportait, mais sur lesquels la gloire visible de son humanité avait fait jusqu'alors plus d'impression que le caractère invisible de sa divinité.

16 avril. Saint Paterne ou saint Pair, évêque d'Avranches, et saint Scubilion, le compagnon de sa solitude. 565.

- Saint Paterne ou saint Pair, évêque d'Avranches, et saint Scubilion, le compagnon de sa solitude. 565.

Pape : Jean III. Roi de France : Sigebert Ier.

" Efforcez-vous d'affermir votre vocation et votre élection par les bonnes oeuvres."
II Pet., I, 10.


Saint Paterne et saint Scubilion.
Verrière de l'église Saint-Patrice. Rouen. Normandie.

Saint Paterne, dit autrement saint Pair, naquit à Poitiers, ville de Guyenne, vers l'an 480, de parents fort illustres par leur noblesse et par les charges qu'ils possédaient. Son père y remplissait des fonctions importantes. Après la mort de celui-ci, Julite, sa veuve, éleva son fils dans les principes qu'une mère vertueuse peut inspirer à ses enfants, et le jeune Paterne fit de grands progrès dans l'exercice de la loi chrétienne.

Il avait ainsi atteint sa vingtième année, lorsque cédant à une inspiration du ciel, il prit l'habit religieux au monastère d'Ansion, appelé depuis Saint-Jouin-de-Marnes. Son esprit d'ordre, sa discrétion, son amour de la régularité persuadèrent à son abbé qu'il remplirait bien la charge de cellérier, et en effet il s'en acquitta de manière à prouver qu'un jour il pourrait diriger des affaires autrement importantes.

Bientôt, il voulut chercher une solitude plus retirée, afin d'y vivre selon une pratique plus parfaite de l'humilité, de la mortification et de la pénitence. Il s'en ouvrit à son confrère nommé Scubilion et ils s'enfuirent en secret dans une région lointaine pour se fixer dans la Normandie, non loin de la ville de Coutances, ville déjà pourvue d'un évêché. Il n'y vécurent pas longtemps sans que le peuple, attiré vers eux par des vertus qui l'édifiait, ne leur rendît bientôt importunes des visites journalières qui leur ôtaient la liberté de la prière et des saints exercices.


Eglise Saint-Pair. Saint-Pair-sur-Mer
(cette commune s'appelait autrefois Scicy). Cotentin.

Ils y vécurent quelques temps comme des ermites, en un lieu fort solitaire ; enfin, un homme de bien de ce pays les pria d'aller à un village nommé Scicy, pour en convertir les habitants qui vivaient encore dans les ténèbres du paganisme. Ils y allèrent et y semèrent le bon grain de l'Evangile ; mais cette terre, n'étant pas disposée à le recevoir, ne produisit pas le fruit qu'on pouvait en attendre. Au contraire, les habitants, féroces comme des bêtes sauvages, les accablèrent d'outrages.

Cependant, les deux saints personnages se retirèrent dans une caverne où il vécurent pendant trois. Au bout de ce temps, l'abbé d'Ansion, Générosus, qui, admirant l'excès de leur pénitence, essaya néanmoins de la modérer : il reconduisit saint Scubilion au monastère poitevin, et recommanda saint Paterne à l'évêque de Coutances, Léontien. Ce prélat, connaissant les talents que Dieu vait donné pour la prédication de l'Evangile à notre Saint, l'ordonna diacre d'abord, puis prêtre en 512.


Saint Paterne. Eglise Saint-Paterne.
Louvigné-de-Bais. Marches de Bretagne.

Saint Paterne fit bien profiter le talent du Seigneur et, rejoint par saint Scubilion sur ordre de l'abbé d'Ansion, il entreprit de convertir la contrée de Scicy, d'arracher les restes de l'idolâtrie, et, de faire ainsi pour toutes les contrées qu'il parcourut avec son saint confrère : le Cotentin, le Bessin, le pays du Mans, d'Avranches, de Rennes en Bretagne (à ce sujet, on ne confondra pas saint Patern, dit l'Ancien, premier évêque de Vannes au Ve siècle, que l'on fête au 15 avril, et dont une magnifique église de cette ville porte le nom et conserve une infime et précieuse partie de ses reliques). Il établit dans toutes ces provinces des monastères qu'il peupla de saints religieux dont il fut le supérieur et l'abbé.

Dieu l'honora de si grands et de si fréquents miracles, que le bruit de sa sainteté se répandit bientôt à la cour de Childebert, roi de France ; et ce prince l'envoya prier de venir à Paris. Ce ne fut sur son parcours que miracles : par ses prières et le signe de la croix, il rendait la vue aux aveugles, délivrait les possédés, etc.


Eglise Saint Paterne. Louvigné-de-Bais. Marches de Bretagne.

Après avoir satisfait à ce que le roi désirait de lui, il s'en retourna en sa première solitude du Cotentin, près de Scicy, jusqu'à ce que Notre Seigneur Jésus-Christ lui fit voir en songe trois saints évêques décédés depuis peu, saint Melaine, saint Léontien et saint Vigor le consacré lui-même évêques. Pensant être trompé par une illusion, saint Paterne n'en parla à personne, mais bientôt l'évêque d'Avranches décéda et il fut porté sur le siège épiscopal par la volonté unanime du clergé et du peuple.

Saint Paterne gouverna cette église l'espace de treize ans avec tout le zèle et toute la sollicitude d'un vigilant prélat. Il assista au troisième concile de Paris, en 557, et, de retour à Avranches, il tomba malade le lendemain de Pâques, alors qu'il se disposait à rendre visite au monastère de Scicy qu'il avait fondé et qui était si cher à son coeur puisque c'est saint Scubilion qui en était l'abbé.

Se sentant en danger, il envoya prier saint Scubilion de le venir assister en ce dernier passage. Mais son messager en rencontra un autre en chemin, qui venait de la part de ce saint abbé, aussi tombé malade, lui faire la même prière. Ainsi, l'évêque et l'abbé moururent le même jour, le 16 avril 565, pour se rencontrer ensemble à une même heure devant le tribunal de Dieu et dans la posssession de l'éternité bienheureuse.

Nos deux Saints choisirent leur sépulture dans l'église du monastère de Scicy. Il arriva de plus, que les convois, dont l'un était conduit par saint Lô (ou Laud), évêque de Coutances, et l'autre par Lascivius, évêque d'un autre lieu, arrivèrent ensemble et au même moment devant la porte de l'église du monastère.


Tombe renfermant le sarcophage de saint Pair.
Eglise Saint-Pair. Saint-Pair-sur-Mer. Cotentin.

RELIQUES

Les reliques de saint Paterne et de saint Scubilion se toruvent toujours dans l'église de Scicy - devenue aujourd'hui Saint-Pair-sur-Mer -, qui est depuis longtemps l'église paroissiale.

Des parties de ces reliques ont été détachées et ont été transportées à Issoudun et à Orléans, où l'on bâtit des églises du nom de saint Paterne. Il faut mentionner que celle d'Issoudun n'existe plus : elle fut ravagée pendant la tempête révolutionnaire. Les saintes reliques ont été sauvé par un brave homme et existent toujours et sont conservées dans l'église Saint-Cyr de la même ville. Cette ville avait aussi reçu des reliques de saint Patern l'Ancien, premier évêque de Vannes ; les bêtes sauvages révolutionnaires s'en emparèrent et les détruisirent.


Eglise Saint-Paterne. Orléans.

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samedi, 15 avril 2023

15 avril. Saint Pierre Gonzalez, appelé plus usuellement saint Elme ou saint Telme, dominicain. 1248.

- Saint Pierre Gonzalez, appelé plus usuellement saint Elme ou saint Telme, dominicain. 1248.
 
Papes : Clément III ; Innocent IV. Rois de Léon : Alphonse IX ; Ferdinand III, de Castille.
 
" Il est bon Seigneur que Vous m'ayez humilié."
Saint Elme.
 

Saint Pierre Gonzalez naquit, l'an 1190, dans la ville d'Astorga, en Espagne, d'une famille distinguée. Son oncle, évêque de Palencia, charmé de ses talents, le pourvut d'un canonicat et le fit ensuite nommer doyen du Chapitre de sa cathédrale.

Le jour de sa prise de possession, Gonzalez, naturellement vaniteux, voulut traverser la ville sur un cheval superbement paré. C'est là que la Providence l'attendait : sa vanité se repaissait des applaudissements de la foule, quand le cheval se cabra, renversant dans la boue l'orgueilleux cavalier, au milieu des huées de la populace. Cette humiliation fut un coup de la grâce. Pierre se releva tout confus, et dit à haute voix :
" Puisque le monde se moque de moi, je me moquerai de lui à mon tour."
Il tint parole.
 

Saint Pierre Gonzalez. Eglise Saint-Dominique.
San Cristobal de las Casas. Chiapas. Mexique. XVIIIe.

Dans la solitude, le jeûne et la prière, il dompta son orgueil et devint un modèle de pénitence et d'humilité. Décidé à rompre entièrement avec le siècle, il se démit de sa dignité pour se faire humble enfant de Saint-Dominique et employer ses talents à gagner des âmes au Ciel.

Il passait la plus grande partie des nuits à méditer, à prier, à étudier, et consacrait le jour à instruire les fidèles. Les libertins fondaient en larmes à ses sermons, et venaient à ses pieds avouer leurs désordres : il fut l'instrument d'une multitude de conversions.


Saint Ferdinand III de Castille et Leon. Enluminure anonyme. XIIIe.

Le roi d'Espagne, saint Ferdinand III (il fut canonisé en 1671), voulut attacher Gonzalez à sa personne et l'emmener partout avec lui, même à la guerre. Le saint religieux profita de la confiance du prince pour procurer la gloire de Dieu et il vint à bout de réformer bien des désordres, vivant toujours à la cour ou dans les camps, avec la même austérité et la même régularité que dans le cloître.

Notre Saint accompagna Ferdinand III dans toutes ses expéditions contre les Maures, et eut une grande part à ses victoires par ses prières, par ses conseils, mais aussi par les réformes qu'il lui inspira et qui touchaient aux moeurs des soldats et de leurs chefs.


Gravure de Manuel Pablo Nunez. XVIe.

La prise de Cordoue, en 1236, fut pour lui une occasion de déployer son zèle. Il modéra l'ardeur des vainqueurs, sauva l'innocence des vierges de l'insolence des soldats, et fit épargner le sang ennemi. Il exorcisa et purifia les mosquées dont beaucoup avaient été des églises aux premiers temps des Espagnes.

La grande mosquée de Cordoue fut ainsi changée en cathédrale. On y trouva les cloches et les ornements que les Maures avaient fait apporter de Compostelle, deux cents ans auparavant, sur les épaules des Chrétiens. Ferdinand III obligea les vaincus à les rapporter à Compostelle de la même manière.


Saint Pierre Gonzalez. Statue votive. Ecouen. XVIIe.

Quelques seigneurs licencieux résolurent de le perdre et gagnèrent à prix d'argent une courtisane pour le séduire. Gonzalez, comprenant les intentions de la malheureuse, allume un grand feu et se place au milieu, enveloppé de son manteau. A la vue de ce prodige, la misérable tombe à genoux et se convertit sincèrement ; les seigneurs qui l'avaient gagnée en firent autant.

Cependant, malgré toutes les sollicitations du roi, Gonzalez quitta la cour : ayant assez fait pour les grands, il aspirait à instruire et à consoler les pauvres habitants des campagnes. Il passa le reste de sa vie à les évangéliser, avec un incroyable succès : les montagnes les plus escarpées, les lieux les plus inaccessibles, la grossièreté ou l'ignorance des populations enflammaient sa charité ; des miracles accompagnaient ses paroles et leur faisaient porter de merveilleux fruits, surtout parmi les marins espagnols.


Un jour qu'il prêchait, le démon souleva un orage épouvantable, et la foule s'enfuyait déjà cherchant un abri, quand Gonzalez, par un grand signe de Croix, divisa les nuages, de sorte qu'il ne tomba pas une goutte d'eau. Il délivra très souvent par miracle des matelots qui avaient imploré son secours dans le danger.

Pierre Gonzalez connaissant, par révélation, sa fin prochaine, voulut se retirer à Compostelle, pour y mourir entre les bras de ses frères en religion ; mais il tomba gravement malade à Tuy où il prêchait le carême, et y mourut le jour de Pâques, l'an 1248, à l'âge de cinquante-huit ans. Ses reliques reposent dans la cathédrale de cette localité.


Cathédrale Sainte-Marie. Les reliques de saint Pierre Gonzalez
y sont toujours vénérées. Tuy. Galice. Espagne.

Saint Pierre Gonzalez, connu en Espagne sous le nom de saint Elme, est représenté marchant sur les eaux et tenant une flamme. Cette flamme désigne le feu de saint Elme. Il est quelquefois représenté avec cette flamme sur le front. Il est le patron des marins.

Le pape Innocent IV béatifia saint Pierre Gonzalez en 1254 et accorda au dominicains d'Espagne d'en faire l'office. Benoît XIV, au XVIIIe siècle, approuva son office pour tout l'Ordre de Saint-Dominique.

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vendredi, 14 avril 2023

14 avril. Saint Prétextat, évêque de Rouen, martyr. 588.

- Saint Prétextat, évêque de Rouen, martyr. 588.

Pape : Benoît Ier ; Pélage II. Roi de France : Sigebert Ier ; Chilpéric Ier ; Clotaire II.


" La souffrance n'a de prix qu'autant qu'elle est supportée saintement ; et c'est de celle-ci que Jésus-Christ a dit " Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés "."
Matth. V, 5.

Concile de Paris : saint Prétextat et Chilpéric Ier.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Le roi d'Austrasie, Sigebert Ier, venait de succomber sous les coups des sicaires de Frédégonde, l'épouse de Chilpéric Ier, roi de Neustrie et roi de Paris ; il laissait une jeune veuve, la reine Brunehaut, qui eut le malheur de plaire au fils de sa rivale, le jeune Mérovée. Le mariage de Brunehaut avec Mérovée fut béni en 576, à Rouen, par saint Prétextat, qui était évêque de cette ville depuis l'année 549. Un pareil mariage était contraire aux Canons ; mais Prétextat, juge de la cause, accorda dispense et passa outre de là, grande colère à la cour de Chilpéric, où l'on fit entendre que le saint Evêque trempait dans la révolte de Mérovée. On ne tarda pas à lui faire son procès.

Le roi avait appris que cet évêque distribuait des présents au peuple ; il le manda à sa cour, et ayant découvert que la reine Brunehaut lui avait laissé ses trésors en dépôt, il les lui enleva et le fit garder en exil, jusqu'à ce qu'il eut fait terminer cette affaire par un jugement canonique. Il convoqua donc à ce sujet à Paris un concile de quarante-cinq évêques dans la basilique de Saint-Pierre, en 579.

Sigebert Ier, roi d'Austrasie.
Recueil des rois de France. Jean de Tillet. XVIe.

Le roi parut lui-même au milieu de l'assemblée, et, adressant la parole à Prétextat qui avait eu ordre de se rendre au Concile, il lui dit :
" A quoi avez-vous pensé, évêque, de marier Mérovée, qui aurait dû être mon fils, et qui est mon ennemi, avec sa tante, c'est-à-dire avec la femme de son oncle ? Ignorez-vous les dispositions des saints Canons à ce sujet ? Mais vous n'en êtes pas demeuré là : vous avez conspiré avec lui et donné des présents pour me faire assassiner ; vous m'avez fait un ennemi de mon fils, vous avez séduit mon peuple par argent, afin que personne ne me gardât la fidélité promise, et vous avez voulu m'enlever ma couronne."
Les Francs, qui étaient présents en grand nombre, frémirent à ce discours et voulaient ouvrir les portes de l'église pour en tirer Prétextat et le lapider ; mais le roi les en empêcha.

Ce saint Evêque nia avec fermeté tous les faits avancés contre lui, malgré les dépositions de faux témoins, qui montrèrent divers présents
qu'il leur avait faits pour les engager à être fidèles à Mérovée. Il répondit :
" Vous dites vrai je vous ai fait divers présents, mais ce n'a pas été en vue de tenter votre fidélité au roi. Vous m'aviez donné des chevaux de prix et plusieurs autres choses ; que pouvais-je faire de mieux que de témoigner ma reconnaissance par des présents mutuels ?"

Assassinat de Sigebert Ier par les sicaires de Frédégonde.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

On parut se contenter de cette réponse, et le roi, ayant ainsi terminé la première séance, se retira dans son palais pour y mieux concerter ses accusations. Après le départ de Chilpéric, les évêques demeurèrent dans la sacristie, et, comme ils conféraient ensemble, Aétius, archidiacre de l'Eglise de Paris, les y vint trouver et leur dit :
" Évêques du Seigneur, qui êtes assemblés, écoutez-moi, c'est maintenant que vous allez rendre votre nom illustre ou vous déshonorer à jamais. Personne ne vous regardera plus comme des évêques si vous manquez de fermeté et si vous laissez périr votre frère."

La crainte de Frédégonde avait fermé la bouche aux évêques ; ils demeurèrent dans le silence et se mirent le doigt sur les lèvres, comme pour faire entendre qu'ils ne voulaient point parler.
Alors Grégoire, évêque de Tours, prenant la parole, dit :
" Très-saints évêques, et vous surtout qui avez plus de part à la confiance du roi, écoutez-moi. Donnez à ce prince un conseil salutaire et digne des évêques, de peur qu'il ne perde son royaume et ne flétrisse sa gloire en suivant les mouvements de sa colère contre un ministre du Seigneur."
Les évêques gardèrent encore le silence.

Le Concile s'étant assemblé pour la seconde séance, le roi y vint dès le matin et dit :
" Les Canons ordonnent de déposer un évêque convaincu de larcin."
Les Prélats demandèrent quel était l'évêque accusé de ce crime. Le roi répondit :
" Vous avez vu ce qu'il nous a volé."
Il avait montré, en effet, trois jours auparavant, deux coffres pleins de meubles et de bijoux précieux, estimés plus de trois mille sous d'or, et un sac qui en contenait environ deux mille en espèces, prétendant que Prétextatles lui avait dérobés.

Brunehaut, veuve de Sigebert, roi d'Austrasie épouse Mérovée II,
fils de Chilpéric Ier et de Frédégonde, roi et reine de Neustrie.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Prétextat répondit :
" Je crois, prince, que vous vous souvenez qu'après que la reine Brunehaut eut quitté Rouen, j'allai vous trouver et que je vous dis qu'elle m'avait laissé en dépôt cinq coffres et qu'elle envoyait souvent ses gens me les demander ; mais que je ne voulais pas m'en dessaisir sans votre agrément. Vous me dites : " Défaites-vous de cela, rendez à cette femme ce qui lui appartient, de peur que ce ne soit une semence d'inimitié entre mon neveu Childebert et moi. Ainsi étant retourné à Rouen, je délivrai aux gens de Brunehaut un coffre ; car ils ne purent en emporter davantage. Etant revenus, ils demandèrent les autres. Je voulus encore avoir votre consentement, et vous répondîtes : " Défaites-vous de tout cela, Ô évêque, de peur que ce ne soit un sujet de scandale ". Je leur donnai encore deux coffres ainsi, deux sont demeurés chez moi. Pourquoi donc me calomniez-vous et nommez-vous larcin ce qui est un dépôt ?"
Le roi répliqua :
" Si c'était un dépôt, pourquoi avez-vous ouvert un de ces coffres, et partagé un drap d'or à des gens que vous vouliez engager à me chasser de mon royaume ?"
L'évêque reprit :
" Je vous ai déjà dit que j'avais reçu des présents de ces personnes, et que, n'ayant rien alors à leur donner, je pris quelque chose de ce dépôt : je regardais comme à moi tout ce qui appartenait à mon fils Mérovée, que j'ai tenu sur les fonts du baptême."

Assassinat de Sigebert Ier par les sicaires de Frédégonde.
Le roman de Renard le contrefait. XIVe.

Le roi demeura confus, et la simple vérité triompha cette fois de tous les artifices de la calomnie. Chilpéric, étant sorti du Concile, dit à quelques prélats qui étaient ses flatteurs :
" J'avoue que les réponses de l'évêque m'ont confondu, et je sais dans ma conscience qu'il dit vrai. Que ferai-je donc maintenant pour contenter la reine à son sujet ?"
Après y avoir pensé un moment, il ajouta :
" Allez et dites-lui comme de vous-mêmes et par manière de conseil Vous savez que le roi Chilpéric est plein de bonté et se laisse aisément uéchir humiliez-vous devant lui et dites que vous avez fait ce dont il vous accuse. Alors nous nous jetterons tous à ses pieds pour lui demander votre grâce."
Prétextat, que son innocence ne rassurait pas contre les intrigues de ses ennemis, donna dans le piége qui lui était tendu.

Le lendemain matin, le roi, s'étant rendu à la troisième séance du Concile, dit à Prétextat :
" Si vous ne faisiez des présents à ces personnes que parce que vous en aviez reçu, pourquoi les engagiez-vous à prêter serment d'être fidèles à Mérovée ?"
L'évêque répondit :
" J'ai demandé, je l'avoue, leur amitié pour lui ; j'aurais appelé à son secours non seulement les hommes, mais les anges du ciel si je l'avais pu, parce qu'il était mon fils spirituel par le baptême, ainsi que je l'ai dit."
Comme sur cette réponse la contestation s'échauffait, Prétextat, suivant le conseil perfide qu'on lui avait donné, se prosterna tout à coup en disant :
" J'ai péché contre le ciel et contre vous, Ô prince très miséricordieux : je suis un infâme homicide, j'ai voulu attenter à votre vie et mettre votre fils sur votre trône."

Chilpéric Ier, roi de Neustrie et Frédégonde.
Recueil des rois de France. Jean de Tillet. XVIe.

Le roi, ravi de voir que son artifice avait réussi, se jeta de son côté aux pieds des prélats, et leur dit :
" Très pieux évêques, écoutez un criminel qui confesse un attentat exécrable."
Les évêques, les yeux baignés de larmes, relevèrent le roi, qui s'en retourna au palais après avoir donné ordre qu'on fît sortir Prétextat de l'église. Chilpéric envoya au Concile une collection de Canons, à laquelle on avait ajouté un nouveau recueil d'autres Canons qu'on disait être des Apôtres. On en lut cet article : " Que l'évêque convaincu d'homicide, d'adultère et de parjure soit déposé ". Prétextat, qui reconnut alors trop tard qu'on l'avait joué, demeurait interdit. Bertram, évêque de Bordeaux, lui dit en très-bon courtisan :
" Mon frère, puisque vous êtes dans la disgrâce du roi, vous n'aurez pas notre communion avant qu'il ne vous ait rendu sa bienveillance."

Chilpéric ne voulait pas en rester là il demanda qu'on déchirât la robe de Prétextat, ce qui était une marque ignominieuse de déposition ; ou bien qu'on récitât sur sa tête le Psaume CVIII contenant les malédictions lancées contre Judas ; ou du moins qu'on prononçât contre cet évëque une excommunication perpétuelle. Grégoire de Tours s'opposa avec courage à ces propositions et somma le roi de tenir la parole qu'il avait donnée de ne rien faire contre les Canons ; mais Prétextat fut enlevé du Concile et jeté dans une prison, d'où il tenta de s'évader pendant la nuit. On lui fit subir à cette occasion les plus rudes traitements, puis il fut relégué dans une île près de Coutances, apparemment dans l'île de Jersey. Mélantius, créature de Frédégonde, fut mis sur le siège de Rouen.

Telle fut l'issue du cinquième Concile de Paris, où l'innocence fut enfin opprimée par la puissance du roi, par la lâcheté de quelques évêques et par la simplicité même de Prétextat, qui, durant son exil, expia à l'aide de la pénitence, la faiblesse qu'il avait eue de confesser des crimes dont il était innocent. Il fit un saint usage de ses souffrances et donna le spectacle des plus héroïques vertus.

Assassinat de Chilpéric Ier par les sicaires de
la reine Frédégonde, son épouse.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Dès que les habitants de Rouen eurent appris la mort de Chilpéric, assassiné à son tour à Chelles en 584, ils rappelèrent de son exil leur évêque et le rétablirent sur son siége. Frédégonde s'y opposa de tout son crédit, et Prétextat crut devoir venir à Paris prier Gontran de faire examiner sa cause. Ce prince voulait convoquer un Concile pour ce sujet ; mais Ragnemsode, évêque de Paris, lui présenta, au nom de tous les autres évêques, que cela n'était nullement nécessaire, que le Concile de Paris avait à la vérité imposé une pénitence à Prétextat, mais qu'il ne l'avait pas déposé de l'épiscopat. Ainsi le roi le reçut à sa table et le renvoya à son Eglise.

Mélantius, qui avait été mis à sa place sur le siège de Rouen, en fut chassé, et il alla s'en consoler auprès de Frédégonde, que Gontran relégua au Vau-de-Reuil, à quatre lieues de Rouen.

Mais cette nouvelle Jézabel ne se tint pas tranquille du lieu où elle avait été reléguée, elle fit menacer Prétextat de le faire exiler une seconde fois. Il répondit avec fermeté :
" J'ai toujours été évêque jusque dans mon bannissement, et vous, vous ne serez pas toujours reine. L'exil me servira de degré pour m'élever au royaume céleste mais vous, de votre trône, vous serez précipitée dans l'abîme, si vous ne renoncez à vos péchés pour faire une salutaire pénitence."

On ne disait pas impunément de telles vérités à une reine du caractère de Frédégonde. Des avis si salutaires allumèrent toutes ses fureurs, et l'on en vit bientôt les funestes effets.

La reine Frédégonde ordonnant des supplices.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Le dimanche suivant, le saint Evêque étant allé à l'église le matin plus tôt qu'à l'ordinaire, y chantait les louanges de Dieu, lorsqu'il se sentit frappé d'un coup de poignard par un assassin. Il jeta un cri pour appeler ses clercs mais, personne ne venant à son secours, il se traîna péniblement jusqu'à l'autel et y fit à Dieu par une courte et fervente prière le sacrifice de sa vie. Pendant ce temps-là, le peuple fidèle qui était dans l'église étant accouru à lui, on l'emporta dans sa maison et on le mit dans son lit.

L'artificieuse Frédégonde alla aussitôt lui rendre visite pour lui témoigner la part de douleur qu'elle prenait à ce funeste accident.
" Saint évêque, lui dit-elle, nous n'avions pas besoin, ni nous ni le reste de votre peuple, que ce malheur vous arrivât ; mais plût à Dieu qu'on pût découvrir l'assassin pour lui faire expier son crime dans les supplices."
Prétextat, qui n'était pas la dupe de ces indignes artifices, lui répondit avec une sainte liberté :
" Eh ! Quelle autre main a porté le coup que celle qui a tué les rois, qui a versé tant de sang innocent, qui a fait tant de maux à ce royaume ?"
Frédégonde, faisant semblant de ne pas l'entendre, lui répliqua :
" Nous avons d'habiles médecins, qui pourront vous guérir ; souffrez qu'on vous les envoie. Je sens, repartit l'évoque, que le Seigneur m'appelle ; mais vous, qui êtes l'auteur de tous ces crimes, vous serez chargée de malédiction en ce monde, et Dieu vengera mon sang sur votre tête."

Frédégonde s'étant retirée couverte de confusion, saint Prétextat expira après avoir réglé quelques affaires de sa maison, et Romachaire, éveque de Coutances, se rendit à Rouen pour faire la cérémonie des funérailles car c'était un devoir que les évoques voisins se rendaient les uns aux autres. Les citoyens de Rouen, et surtout les Francs qui étaient établis dans cette ville, furent consternés d'un meurtre si atroce.

Chilpéric Ier. Tranche canelée. Bronze. Jean Dassier. Paris. XVIIe.

Un seigneur franc eut le courage d'aller au palais de Frédégonde lui en faire de vifs reproches :
" Vous avez, lui dit-il, commis déjà bien des crimes, mais vous n'en avez pas commis de plus grand que de faire ainsi assassiner un si saint évêque. Que le Seigneur venge au plus tôt le sang innocent !
Pour nous, nous prendrons de si bonnes mesures, que vous ne serez plus en état de commettre de pareils attentats."


Après ce discours, il voulut se retirer ; mais Frédégonde, qui ne se possédait jamais mieux que quand elle méditait une plus cruelle vengeance, l'invita à dîner. Sur le refus qu'il en fit, elle le pressa de prendre un rafraîchissement, afin qu'il ne fût pas dit qu'il était sorti à jeun d'une maison royale. Il se rendit à ses instances et on lui présenta, selon l'usage des anciens Francs, du vin d'absinthe assaisonné de miel. Il s'aperçut aussitôt qu'il avait pris du poison et, après avoir averti ses gens de n'en point boire, il monta à cheval pour s'enfuir, mais le poison était si violent qu'il mourut avant d'arriver à sa maison.

Leudevalde (ou Leudovalde),  évêque de Bayeux (et précédemment de Coutances), premier suffragant de Rouen, écrivit une lettre circulaire à tous les évêques sur le scandale causé par l'assassinat de Prétextat, et, ayant pris conseil probablement des prélats de sa province, il fit fermer toutes les églises de Rouen et défendit d'y faire l'office jusqu'à ce qu'on eût découvert l'auteur du crime.
Cet exemple d'un interdit général sur toute une ville, est remarquable, et c'est le premier qu'on trouve dans l'histoire de l'Eglise en France. Leudovalde fit plus : il fit arrêter quelques personnes suspectes qui accusèrent Frédégonde, et peu s'en fallut que ce zèle ne lui coûtât la vie à lui-même, mais la fidélité de son peuple le défendit contre les embûches qu'on lui dressa.

Saint Grégoire de Tours, saint Prétextat et le roi Chilpéric Ier.
Grandes chronique de France. XVe.

Cependant, Frédégonde, pour se justifier, s'avisa d'un stratagème qui ne tourna qu'à sa honte. Elle fit prendre un de ses esclaves qu'elle savait être l'assassin et le fit cruellement fouetter. Ensuite elle le livra au neveu de Prétextat, croyant qu'il n'avouerait rien, comme sans doute il le lui avait promis. Mais la torture et sa mauvaise conscience lui arrachèrent la vérité. Il confessa qu'il avait reçu cent sous d'or de Frédégonde pour commettre le crime, cinquante de l'évêque Mélantius et cinquante autres de l'archidiacre de Rouen, et que de plus, on lui avait accordé la liberté.

Mais cette femme artificieuse, qui d'ailleurs disposait de toutes les faveurs, malgré des faits si atroces, maintint toujours son autorité ; et, ce qui est encore plus surprenant, elle fit rétablir Mélantius sur le siège de Rouen, encore teint d'un sang que cet indigne prélat avait contribué à faire verser.

Saint Prétextat est honoré par l'Eglise comme martyr le 24 février ; mais on croit qu'il mourut le 14 avril de l'année 588.

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14 avril. Sainte Lydwine de Schiedam, vierge. 1433.

- Sainte Lydwine de Schiedam, vierge. 1433.
Papes : Clément VII ; Eugène IV. Souverains de Hollande : Le comte Albert ; la comtesse Jacqueline.

" Lorsque les flots de la tristesse submergent votre coeur, au lieu de vous désespérer, cherchez promptement la miséricorde de Dieu, comme l'enfant affligé cherche le sein de sa mère."
Sainte Lydwine de Schiedam aux affligés qui venait la visiter.

Saint Lydwine de Schiedam. Gravure. Jean Valdor. XVIIe.

Issus d'ancêtres nobles, mais tombés dans la pauvreté, les parents de Lydwine n'avaient pas pour cela hésité à élever neuf enfants, huit garçons et une fille.

Lydwine vint au monde le 18 mars, dimanche des Rameaux, de l'année 1380, tandis que l'on chantait à l'église la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Elle recut le nom de Lydwine, nom véritablement prophétique par les deux syllabes qui le composent, Lyd et Wyt, qui signifient souffrir amplement.

Elle était une enfant gracieuse et forte, mais aussi d'une avenante beauté.
A l'age de 7 ans, elle commença à consacrer son corps et son âme à Notre Seigneur Jésus-Christ et à rejeter les divertissements de ses compagnes.
A douze ans, sa beauté était admirée de tout le monde.

Quand, à quinze ans, ses charmes et ses qualités lui attirèrent de nombreuses demandes de mariage, elle dit à son père qui envisageait de la marier :
" Je demanderais plutôt à Dieu de me rendre laide pour repousser les regards des hommes."
Son père abandonna son projet et laissa son admirable fille se consacrer ainsi à Notre Seigneur.
Dieu la prit au mot.

À la suite d'une chute où elle eut une côte brisée, on la transporta sur son lit ; elle ne le quitta plus jusqu'à sa mort. Malgré tous les soins prodigués, le mal ne fit qu'empirer. Un abcès se forma qui ne lui permettait plus de rester ni couchée, ni assise, ni levée ; perdant l'usage de ses jambes, elle se traînait sur les genoux, sur les coudes, se cramponnant aux meubles.

La chute de sainte Lydwine.
Gravure. Johannes Brugman. Vie de sainte Lydwine. XVe.

Malgré sa condition, qui n'allait qu'empirer, elle se dépouillait de tout ce qu'elle pouvait pour subvenir au soins des pauvres. Le duc Jean de Bavière, la princesse Marguerite de Hollande - et d'autres personnes de grandes conditions - lui faisaient des dons pour lui permettre de subvenir à son quotidien si douloureux et difficile : elle donnait tout à ses chers pauvres.

Ses pleurs, ses cris, ses gémissements effrayaient et éloignaient tout le monde, sauf ses admirables parents, qui ne cessèrent de la soigner avec amour. Peu à peu il lui devint même impossible de ramper ainsi. Trois plaies profondes s'ouvrirent dans son pauvre corps, dont l'une se remplit de vers, qui y grouillaient en telle quantité qu'on en retirait jusqu'à deux cents en vingt-quatre heures. Comme on soulageait les ulcères, une tumeur lui vint à l'épaule, à laquelle s'ajouta bientôt le " mal des ardents " qui dévora ses chairs jusqu'aux os.

À cette nomenclature incomplète de ses maux, il faut ajouter la torture des remèdes inventés par l'ignorante bonne volonté des médecins, qui ne réussirent guère qu'à remplacer une maladie par une autre.

Le céleste Epoux de notre Sainte voulut faire connaître par des miracles combien son endurance, sa fidélité et ses libéralités lui étaient agréables.

Ainsi Lydwine était couchée sur le dos, impuissante à se remuer, n'ayant que l'usage de la tête et du bras gauche, torturée sans cesse, perdant son sang, dévorée des vers, et pourtant vivant et gardant assez de forces pour ne pas mourir. Et au milieu de tout cela elle était heureuse, et se disait prête à souffrir ainsi pendant de longues années.

À partir de 1414, jusqu'à sa mort, c'est à dire pendant dix-neuf ans, elle ne se nourrit que de la Sainte Eucharistie. Jusqu'à la fin, ses maux s'aggravèrent ; mais ses plaies, ses vomissements n'exhalaient plus que des odeurs suaves et parfumées. Aussi on venait plus volontiers la voir, entretenir et écouter ses pieuses exhortations. Rien de plus ardent que sa charité, toujours au service des malheureux qu'elle secourait malgré son indigente pauvreté, et des affligés qui trouvaient auprès d'elle consolation.

Elle eut souvent la visite de son ange gardien, qui lui apparaissait souvent et ne contribuait ainsi pas peu à son soulagement. Il la transporta en esprit à plusieurs reprise à Jérusalem afin qu'elle pût adorer les Lieux Saints. Il lui dévoilait les peines que souffrent les âmes en efers et au purgatoire. Sainte Lydwine avait d'ailleurs particulièrement à coeur le soin de la délivrance de ces âmes.
D'autres anges lui apparaissaient en forme humaine ; elle leur parlait et connaissait les personnes qu'ils avaient en leur garde.


Bannière de procession de sainte Lydwine. XXe.

Enfin, Dieu lui fit connaître le moment de sa mort. Elle s'y prépara avec toute la dévotion possible. La veille de Pâques, Notre Seigneur Jésus-Christ lui apparut avec sa très sainte Mère et le choeur des Apôtres, et l'oignit d'un baume si précieux, que le lendemain, on sentait auprès d'elle une senteur toute céleste.

Le mercredi de Pâques, 14 avril 1433, ses vommissements ayant repris, elle se mit en oraison, et, dans l'ardeur de sa prière et de son élévation à Dieu, elle rendit son âme à son Epoux céleste, de la manière qu'elle avait désirée, seule, sans autre témoins qu'un petit enfant - qui était son neveu - qu'elle avait gardé auprès d'elle.

Après son trépas, on découvrit la ceinture de crin qu'elle portait en secret depuis sa jeunesse, et qui servit depuis à chasser les démons et autres esprits immondes des corps des possédés.
Son corps, difforme toute sa vie à la suite de ses maladies, devint parfaitement saint, d'une grande beauté et sans plus aucune trace de toutes les diverses et cruelles maladies qu'elle avait souffertes. Il en exhalait un parfum plus suave que jamais.

Sainte Lydwine fut enterrée à Schiedam, en l'église paroisssiale Saint-Jean-Baptiste.
On fit de la maison de son père un monastère de soeurs grises du Tiers Ordre de Saint-François, que même les bêtes féroces calvinistes ne profanèrent pas jusqu'au bout puisqu'elles finirent, parès expulsion violente des religieuse et saccages variés, par le transformer en orphelinat.

Sainte Lydwine de Schiedam. Vitrail. C. Bellot. XXe.
Les reliques de la bienheureuses Lydwine furent transportées à Bruxelles et enchâssées dans la collégiale Sainte-Gudule.

Son culte a été confirmé par Léon XIII en 1890.

Rq : Sa vie a été écrite par ses contemporains Jean Gerlac (qui était aussi son parent), Jean Gautier son confesseur et Jean Bruchmann provincial des Franciscains. Chacun des trois l'avait connu personnellement et aurent à admirer l'héroicité de notre Sainte.
A ce sujet, un livre sur sainte Lydwine de Schiedam est assez connu et a pour auteur, à la fin du XIXe siècle, l'écrivain français d'origine flamande, Joris-Karl Huysmans. On l'évitera. Parce qu'il donne une vision très équivoque de la sainte et que ses commentaires sont parfois du goût certain qu'avait cet auteur pour l'ésotérisme et l'obscurité.

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jeudi, 13 avril 2023

13 avril. Saint Justin le philosophe, et ses compagnons, martyrs. 167.

- Saint Justin le philosophe, et ses compagnons, martyrs. 167.

Pape : Saint Soter. Empereurs : Antonin ; Marc-Aurèle.

" Justin approchait autant de la vertu des Apôtres qu'il approchait de leurs temps."
Methodius apud Photium, cod. 234.
" Notre devoir est de faire connaître à chacun quelle est notre doctrine, afin que les fautes de ceux qui pèchent par ignorance, ne nous soient pas imputées et que nous n'en portions point la peine."
Saint Justin.

Saint Justin. Gravure. Russie. XVIIIe.

Saint Justin naquit vers l'an 103 à Naplouse, ville de la Palestine, appelée autrefois Sichem, près du puits de Jacob, et qui, du temps d'Alexandre le Grand, était métropole de la Samarie. Il n'était pas samaritain, mais grec, païen et incirconcis. Il nous apprend lui-même qu'il employa sa jeunesse à lire les poëtes, les orateurs et les historiens. Après avoir étudié les belles-lettres, il s'appliqua à la philosophie de sorte que, selon l'expression de Fleury, il se fit chrétien avec une grande connaissance de cause, après avoir essayé de toutes les sectes de philosophes.

Il le raconte lui-même à peu près en ces termes :
" D'abord, je me donnai à un stoïcien, et après avoir passé bien du temps avec lui, voyant que je n'apprenais rien sur Dieu, car lui-même ne savait rien là-dessus, et disait que cette connaissance n'était pas nécessaire, je le quittai et m'adressai à un péripatéticien, qui se croyait un esprit très-subtil. Il me demanda, après quelques jours, de quel salaire ses peines seraient récompensées je le quittai aussitôt, ne pouvant croire qu'une âme aussi basse pût être celle d'un philosophe.

Comme j'étais toujours avide des secrets de la philosophie, j'allai trouver un pythagoricien, qui était, en grande réputation et n'avait pas lui-même une moindre opinion de sa sagesse. Lorsque je lui eus témoigné le désir d'être son disciple, il me dit :
" Très-bien, mais avez-vous étudié la musique, l'astronomie, la géométrie ? Car ne pensez pas pouvoir rien comprendre de ce qui mène à la béatitude, sans avoir acquis ces connaissances, qui dégagent l'âme des objets sensibles, la rendent propre aux intelligibles, et la mettent en état de contempler la beauté et la bonté souveraine."

Je lui avouai que j'ignorais ces sciences alors il me renvoya, parce qu'il les considérait comme nécessaires. On peut juger quelle fut ma peine, en quittant un homme que je  croyais plein de science ; mais il m'eût fallu employer trop de temps aux études préalables qu'il exigeait de moi j'y renonçai et me déterminai à suivre les Platoniciens.

Il y en avait un dans notre ville, homme de bon sens et des plus distingués d'entre eux. J'eus avec lui plusieurs conversations qui me profitèrent beaucoup. Il me semblait que l'intelligence des choses incorporelles me soulevait de terre, et que la contemplation des idées donnait des ailes à mon esprit. Déjà je m'applaudissais d'être devenu sage en si peu de temps, et j'avais conçu la folle espérance de voir Dieu bientôt c'est le but de la philosophie de Platon. Cette disposition d'esprit me faisait chercher la solitude. Un jour que je me promenais au bord de la mer, je vis, en me retournant, un vieillard qui me suivait d'assez près. Son extérieur était majestueux un air de douceur et de gravité semblait répandu sur toute sa personne nous entrâmes en conversation."

Saint Justin raconte au long cette conversation, dont voici la partie la plus instructive. Ce vieillard lui lit voir que les philosophes mêmes qu'il estimait le plus, Platon et Pythagore, avaient erré dans les principes et n'avaient bien connu ni Dieu, ni l'âme raisonnable. Justin lui demanda quels maîtres il fallait donc suivre, si ceux-là n'avaient pas connu la vérité. Le digne vieillard me dit alors :
" A une époque très-reculée, et bien avant ceux qu'on a cru philosophes, il y a eu des hommes justes, bienheureux et chéris de Dieu, qui, parlant par l'esprit divin, ont annoncé d'avance ce qui se passe aujourd'hui dans le monde. On les appelle Prophètes. Eux seuls ont connu la vérité eux seuls l'ont annoncée aux hommes, sans craindre ni considérer personne. Ils n'ont prêché que ce que leur révélait l'Esprit-Saint. Leurs écrits, que nous avons encore, nous font très bien connaître la première cause et la dernière de tous les êtres. On y trouve beaucoup d'autres questions qui intéressent un philosophe. Ils n'employaient, pour établir la vérité, ni les disputes, ni les raisonnements subtils, ni ces démonstrations abstraites qui sont au-dessus de la portée du commun des hommes. Ce qui doit faire croire à leur parole, ce sont leurs prédictions qui se sont accomplies ou s'accomplissent tous les jours, et les miracles qu'ils opéraient ; ils faisaient cela au nom d'un seul Dieu créateur de toutes choses, et de son fils Jésus-Christ, qui devait, disaient-ils, " venir en ce monde, et qui y est venu en effet ".
Quant à vous, dit-il en finissant, faites d'ardentes prières, pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes car nul ne peut comprendre ces choses, si Dieu et son Christ ne lui en donnent l'intelligence."

A ces mots, le vieillard mystérieux disparut, et Justin ne le revit jamais.

Saint Justin. D'après une Icone byzantine du Xe.

Ce discours fit une vive impression sur le cœur du jeune philosophe il aima dès lors les Prophètes et les amis du Christ, et considéra leur doctrine comme la seule philosophie certaine et utile. Ce qui le porta encore puissamment à croire à la divinité, et dès lors à la vérité de la religion chrétienne, ce fut la constance des martyrs parmi les supplices :
" Si, comme on les en accuse, les Chrétiens étaient friands de chair humaine, voluptueux, intempérants, ils chercheraient à vivre pour jouir plus longtemps, ils ne chercheraient pas à mourir et ils ne souffriraient pas, ils ne mourraient pas avec tant de douceur, de modestie et d'héroïsme."

On ne sait pas au juste en quelle année ni dans quelle ville eut lieu la conversion de saint Justin ce fut entre 132 et 137, et dans la ville de Naplouse, ou, plus probablement, dans celle d'Alexandrie. Il dit lui-même qu'il visita cette ville, et il est certain que le désir de connaître, le fit voyager, surtout en Egypte, pays renommé pour la science des mystères les plus secrets. Comme en devenant chrétien, loin de renoncer à la vie de philosophe, il avait embrassé une philosophie plus sublime et plus sainte, il garda le pallium, ou le manteau, marque distinctive des sages. Avant lui, d'autres chrétiens avaient agi de la sorte, entre autres, saint Aristide d'Athènes, et saint Héraclas, évêque d'Alexandrie. Il est probable qu'on le fit prêtre ou du moins diacre il est certain qu'il mena une vie austère et sainte, ce qui l'a fait nommer par saint Epiphane un grand et qu'il prêchait en toute occasion la vérité, et par ses exemples et par ses discours :
" Notre devoir est de faire connaître à chacun quelle est notre doctrine, afin que les fautes de ceux qui pèchent par ignorance, ne nous soient pas imputées et que nous n'en portions point la peine."
Et ailleurs :
" Comme j'ai obtenu de Dieu la grâce d'entendre les Ecritures, je m'efforce de faire part de cette grâce à tout le monde, de peur que je ne sois condamné au jugement de Dieu. Telle est ma résolution dans toutes mes paroles je n'ai en vue que de dire la vérité je la dirai sans crainte, ni considération aucune, et dussé-je à l'heure même être mis en pièces."
" Voilà un véritable philosophe, dit Rohrbacher, c'est-à-dire un homme qui aime sincèrement la vérité et la sagesse Platon, Sénèque, qui retenaient cette vérité captive, qui n'osaient la prêcher publiquement, de peur de s'exposer à quelque péril Platon, Sénèque, n'aimaient qu'eux-mêmes."

Il n'y avait pas longtemps que notre Saint était chrétien lorsqu'il écrivit son Oraison ou Discours aux Grecs. Il y expose les raisons qui lui ont fait embrasser le christianisme, l'impiété et l'extravagance de l'idolâtrie, la sainteté de la doctrine évangélique, l'auguste autorité des Ecritures qui règlent nos passions, et apaisent les inquiétudes de l'esprit humain. Il traite à peu près le même sujet, mais plus au long, dans sa Parénèse ou exhortation aux Grecs, ouvrage qu'il écrivit à Rome. Il y répand, dit Godescard, les fleurs de l'éloquence, ce qu'il n'a pas fait même dans ses apologies. On y trouve la réfutation des erreurs de l'idolâtrie, avec les preuves de la vanité des philosophes païens. L'auteur reproche à Platon d'avoir essayé d'établir le polythéisme, dans une harangue qu'il prononça en présence des Athéniens, de peur qu'on ne lui ôtât la vie comme à Socrate ce qui montrait de sa part une grande faiblesse, et surtout beaucoup de mauvaise foi, puisqu'il est prouvé par ses écrits qu'il n'admettait qu'un Dieu. Il a cité divers passages (d'Orphée, d'Homère, de Sophocle, de Pythagore, de Platon, de Mercure, d'Acmon ou plutôt Ammon) d'anciens auteurs qui tous ne reconnaissaient qu'une seule divinité. En composant son livre de la Monarchie, il se proposa d'établir l'unité de Dieu par des autorités et des raisons tirées des philosophes païens.

On ne peut douter que saint Justin ne soit aussi l'auteur de l'Epître à Diognète. Cette épître est attribuée à saint Justin dans tous les anciens manuscrits, et l'on ne peut la lut contester, selon Cuve, Ceillier, Maran, etc. Le style en est plus fleuri et plus élevant que celui des autres ouvrais du saint Docteur ; mais on aurait tort d'en inférer qu'il n'en est point l'auteur, comme l'ont montre les critiques que nous venons de citer. A la vérité, cette épitre n'est citée ni par Eusèbe ni par saint Jérôme. Ils ne citent point non pins les ouvrages d'Athénagore en conclura-t-on pour cela qu'ils sont supposés ? L'art de l'imprimerie n'ayant été inventé que fort tard ; est-il étonnant qu'il leur soit échappé quelques écrits ? Tillemont prétend que l'auteur de l'épitre dont il s'agit est plus ancien que saint Justin, parce qu'il se qualifie disciple des Apôtres mais cette raison ne prouve absolument rien. Saint Justin pouvait prendre le même titre, lui qui était contemporain de saint Polycarpe et d'autres saints personnages qui avaient vu quelques-uns des Apôtres.

Ce Diognète, homme de grande considération, était fort versé dans la philosophie. Il avait été le précepteur de Marc-Aurèle, qui eut toujours pour lui autant d'estime que de confiance. A son sujet, dom Le Nourri (Appar. In Bibl. Patr., t. I, p. 445) dit que Diognète était juif mais il est probable qu'il se trompe, puisque Diognète est appelé adorateur des dieux dans la lettre qui lui est adressée par saint Justin. On ne peut toutefois exclure que Diognète ait simulé par ambition son attachement au paganisme ; l’histoire en effet nous donne maintes illustrations de cette esprit de duplicité et de dissimulation chez un grand nombre de membres du peuple réprouvé.

Saint Justin. Dessin. Elie Delaunay. XIXe.

Frappé de la conduite des chrétiens, Diognète désirait connaître ce qui les portait à mépriser le monde et la mort avec toutes ses horreurs, et d'où leur venait cette charité mutuelle, inconnue aux autres hommes, charité si puissante, qu'elle paraissait les rendre insensibles aux plus cruels traitements ? Saint Justin se chargea de lui donner les éclaircissements qu'il demandait. Après avoir démontré la folie du paganisme et l'imperfection de la loi judaïque, il peint les " vertus pratiquées par les chrétiens, et surtout leur humilité, leur douceur, leur amour pour ceux qui les haïssent injustement ", etc. Il ajoute que " les tortures ne servaient qu'à augmenter le nombre et à perfectionner la sainteté des fidèles ".

Vient ensuite une explication claire et précise de la divinité de Jésus-Christ, fils de Dieu et créateur de toutes choses. Ce saint docteur prouve l'insuffisance de la raison, en montrant qu'elle ne peut toute seule nous conduire à la connaissance de Dieu qui a envoyé son fils pour nous enseigner ses adorables volontés et pour payer le prix de notre rédemption dans le temps que nous ne méritions que des supplices. Il développe ce mystère en faisant voir que le Saint a souffert pour les pécheurs, et la personne offensée, pour ceux dont elle avait reçu des outrages :
" Etant, dit-il, dans l'impossibilité d'expier nos crimes par nos propres forces, nous nous trouvons à couvert sous les ailes de la justice elle-même, et nous sommes affranchis de l'esclavage du péché."

Il relève la bonté infinie de Dieu pour l'homme, laquelle éclate en ce que, non content de nous avoir donné l'être, il a créé le monde pour notre usage, nous a soumis toutes choses, et nous a donné son Fils unique, avec la promesse de nous faire régner avec lui si nous l'aimons :
" Présentement que vous le connaissez, poursuit-il, de quelle joie ne devez-vous pas être comblé ? Quels transports d'amour ne devez-vous pas éprouver pour celui qui vous a aimé le premier ? Et quand vous l'aimerez, vous serez l'imitateur de sa bonté. On est véritablement l'imitateur de Dieu, lorsqu'on supporte les fardeaux des autres, qu'on assiste le prochain, qu'on se place au-dessous de ses inférieurs, qu'on partage avec les pauvres les biens qu'on a reçus du ciel. Vous comprendrez alors que Dieu gouverne cet univers ; vous connaîtrez ses mystères vous aimerez et vous admirerez ceux qui souffrent pour lui ; vous condamnerez l'imposture du monde, vous méprisiez la mort, du corps, et ne craindrez que la mort éternelle de l'âme, avec ce feu qui ne s'éteindra jamais. Quand vous saurez ce que c'est que ce feu, vous envierez le bonheur de ceux qui souffrent les flammes pour la justice. Je ne parle pas de choses auxquelles je sois étranger ; ayant été disciple des Apôtres, je suis établi pour enseigner les nations, etc."

Saint Justin ne combattit pas l'hérésie avec moins de force quelle paganisme. Il écrivit contre Marcion des ouvrages que saint Jérôme appelle excellents ; ils se sont perdus ainsi que plusieurs autres écrits auxquels les anciens donnent de grands éloges.

L'an 150, il composa une apologie publique, adressée à l'empereur Antonin, à ses fils, au sénat, et au peuple romain, pour les personnes de toutes conditions qui sont maltraitées injustement. Ce seul titre indique la force de son raisonnement ; il laisse de côté la question religieuse, et examine si les chrétiens sont jugés selon les lois. La manière de procéder contre eux était une persécution, non un jugement. On leur imputait, pour la forme, les crimes les plus énormes, mais, de fait, on ne punissait en eux que le nom et la profession du christianisme. Pour être absous, il suffisait de nier qu'on fût chrétien, et ceux qui se disaient chrétiens étaient punis sans autre enquête, tandis que la justice exige qu'on examine la vie de chacun et qu'on le punisse selon ses œuvres. Voilà ce que demande saint Justin.

Saint Justin écrivant. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Mais laissons-lui la parole :
" Mais quels crimes reprochait-on aux Chrétiens ? D'abord d'être athées nous le sommes, en effet, dit-il, à l'égard des faux dieux que nous refusons d'adorer, mais non pas à l'égard du vrai Dieu, père de la justice, de la chasteté et de toutes les autres vertus, sans mélange d'aucun vice. Nous l'adorons en vertu et en vérité, nous l'adorons conjointement avec le Christ qui est sorti de lui et nous a enseigné ces choses, ainsi qu'aux anges fidèles nous l'adorons conjointement avec l'esprit prophétique. Rien de plus saint, de plus efficace que la doctrine chrétienne. Les espérances des chrétiens ne sont pas pour cette vie de là leur constance dans le malheur, au milieu des supplices, en face de la mort. Personne ne contribue plus au bon ordre et à la paix d'un Etat que le chrétien, car il est persuadé que personne ne peut se cacher aux regards de Dieu, ni le méchant, ni l'avare, ni le traître, ni l'homme de bien, et que chacun marche à un supplice ou à un salut éternel, selon le mérite de ses œuvres ?

Si tous les hommes croyaient à ces vérités, personne ne choisirait le vice pour un pou de temps, sachant que le vice le conduirait au feu éternel ; il n'y aurait rien qu'il ne fit pour se contenir et acquérir la vertu, afin d'obtenir les biens qui viennent de Dieu. Ni vos lois, ni vos supplices, ne retiennent point les méchants ils savent que l'on peut se cacher de vous qui n'êtes que des hommes ; mais s'ils étaient persuadés qu'il y a un Dieu à qui il est impossible de rien cacher, non-seulement de nos actions, mais de nos pensées, vous conviendrez vous-mêmes que la crainte au moins les rendrait sages. Vous semblez craindre (en abolissant le christianisme, seul frein du mal) que tout le monde ne vive bien et que vous n'ayez plus personne à punir c'est penser en bourreaux et non en princes. On reprochait aux chrétiens, comme une folie, d'adorer un Dieu crucifié. Eh bien c'est pourtant ce culte, cette folie de la croix, qui réforme nos mœurs.

Autrefois, nous aimions la débauche, à présent nous n'aimons que la pureté ; nous qui cherchions l'avenir dans l'art magique, nous nous abandonnons aujourd'hui à la providence de Dieu ; nous ne cherchions que les moyens de nous enrichir, et maintenant nous mettons en commun nos biens pour en faire part aux autres. Nous nous haïssions souvent jadis jusqu'à la mort et, suivant l'usage, ne mangions qu'avec nos compatriotes depuis la venue de Jésus-Christ, nous prions pour nos ennemis, et, malgré les différences de nations, vivons familièrement dans une sainte société. Nous nous efforçons de convertir nos persécuteurs, et nous pourrions en citer plusieurs qui ont déjà changé de vie, en voyant les vertus des chrétiens. Les préceptes de ce Crucifié sont aussi admirables que courts et concis ; quelle pureté divine dans sa morale, par exemple sur la chasteté il condamne jusqu'aux pensées contraires à cette vertu. Il y a
[saint Justin parle de son temps] plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe, qui, à l'âge de soixante à soixante-dix ans, conservent la pureté, ayant suivi dès l'enfance la doctrine de Jésus-Christ ; et je me vante d'en pouvoir montrer de tels dans toutes les conditions je ne parle pas du nombre infini de ceux qui, du désordre, ont passé à la vie réglée."

Le Saint continue de rapporter les préceptes de l'Evangile, sur l'amour des ennemis, sur l'aumône et le désintéressement, sur la patience, sur l'obéissance aux princes. Il prouve ensuite la vérité de la religion chrétienne par les prophéties il rapporte les principales qui regardent Jésus-Christ :
" Si vous voulez savoir, dit-il, comment tout ce qui avait été prédit sur la passion de Jésus-Christ s'est accompli, lisez les Actes de Pilate." [relation du procès de Jésus-Christ envoyée à l'empereur Tibère].
Il renvoie à ces mêmes actes pour prouver que Jésus-Christ a guéri des aveugles et des lépreux, et ressuscité des morts. Il fait voir que la ruine de Jérusalem et la propagation du christianisme se sont accomplies telles qu'elles avaient été prédites ; il prétend que les philosophes ont emprunté aux Prophètes plusieurs de leurs dogmes, Platon, en particulier, à Moïse, et il montre très-bien que l'Eglise, seule bonne maîtresse du genre humain, communique la lumière et la sagesse, non pas à quelque initiés, mais a tous, aux plus petits :
" Chez nous, dit-il, on peut apprendre ces vérités de ceux mêmes qui ne savent pas lire, qui sont grossiers et barbares pour le langage, mais sages et fidèles par l'esprit."

Il fait remarquer ensuite que les empereurs permettaient le libre exercice de toutes les religions, excepté de la religion chrétienne, et qu'ils laissaient même des imposteurs se faire reconnaître comme Dieu.
" On fait une absurde calomnie, lorsqu'on accuse ces Chrétiens de manger des enfants les chrétiens ont la plus grande tendresse, le plus grand respect pour les enfants nous ne nous marions, dit-il, que pour élever des enfants ; quand nous renonçons au mariage, c'est pour garder la continence parfaite. Mais les païens ont la coutume d'exposer les enfants, quand ils ne veulent pas les nourrir, soit par pauvreté, soit pour quelque autre raison, et les philosophes mêmes l'autorisent. Ces enfants, ainsi exposés, périssent, ou sont nourris comme des troupeaux de bétail, et destinés à la prostitution et à des usages qu'on ne peut nommer."

Saint Justin. Détail. Gravure allemande. XVIIe.

Dans la primitive Eglise, les fidèles ne faisaient point connaître aux païens leurs mystères, leurs pratiques, pour ne point les exposer au mépris, à la risée. Saint Justin en parle cependant pour repousser les calomnies ; il explique en quoi consiste le baptême, l'Eucharistie, la messe, la sanctification du dimanche :
" Le jour du soleil [c'est ainsi que les païens nommaient le dimanche], tous ceux qui demeurent à la ville ou à la campagne, s'assemblent en un même lieu, on lit les écrits des Apôtres et des Prophètes ; puis, celui qui préside fait un discours au peuple pour l'exhorter à imiter de si belles choses ; ensuite, nous nous levons tous et nous faisons nos prières ; lorsqu'elles sont faites, on offre, comme je vous l'ai dit, du pain, du vin et de l'eau. Le prélat fait la prière et l'action de grâce, et le peuple répond Amen ; on distribue aux assistants les choses sanctifiées, et on les envoie aux absents par les diacres. On fait une quête, dont le produit, confié au prélat, sert à assister les orphelins, les malades, les pauvres, les prisonniers, les étrangers ; en un mot, le prélat est chargé de tous les nécessiteux. Nous nous assemblons le jour du soleil, parce que c'est le premier où Dieu fit le monde, et que Jésus-Christ ressuscité en ce jour, apparut à ses disciples, et leur enseigna ce que nous vous avons exposé. Si vous trouvez cela raisonnable, respectez-le si vous le jugez ridicule, méprisez-le ; mais ne condamnez pas à mort des gens qui n'ont fait aucun mal."

On croit que cette apologie produisit son effet et fit diminuer la persécution. Antonin envoya en Asie un rescrit où se lisent les paroles suivantes :
" Plusieurs gouverneurs de provinces ayant écrit à mon père au sujet des Chrétiens, il répondit qu'il ne fallait point les inquiéter, à moins qu'ils ne fussent convaincus d'avoir entrepris quelque chose contre l'Etat. Ayant été moi-même consulté sur le même sujet, j'ai répondu que si quelqu'un était accusé simplement d'être chrétien, on devait le renvoyer absous, et faire subir à son accusateur la peine portée par les lois."(Eusèbe, Hist., liv. IV, ch. 13).
D'après Orose et Zonare, ce fut l'apologie de saint Justin qui détermina l'empereur à envoyer un ordre semblable.

Pendant le calme qui succéda à la persécution, notre Saint, qu'on appela un voyageur missionnaire, quitta Rome pour aller en Asie. Avant son retour, sur le point de partir d'Ephèse, lorsqu'il n'attendait plus qu'un temps favorable à la navigation, et se promenait dans les galeries publiques de la ville, son manteau le fit reconnaître pour philosophe ; un autre philosophe, Tryphon, juif le plus renommé de son temps, qui se promenait à ce même endroit, accompagné de six amis ou disciples, l'aborda et eut avec lui un entretien qui dura deux jours.

Saint Justin mit, depuis, ces conférences par écrit et les publia sous le titre de Dialogue avec Tryphon. C'est le plus étendu des écrits de notre Saint. En voici une très-courte analyse.
Saint Justin s'étonne de ce qu'un juif, qui possédait la Bible, cherchât quelque chose pour les grandes vérités religieuses, chez les philosophes qui ne savent rien. Il le prouve en racontant sa propre histoire, sa conversion, et se fait fort de démontrer que la vérité se trouve dans la Bible et dans la doctrine chrétienne. Voilà l'introduction.

Le corps de l'ouvrage se divise en trois parties.
Dans la première, il montre que l'ancienne loi n'était que pour un temps, et qu'elle est maintenant remplacée par la nouvelle.
Dans la deuxième partie, il fait voir que le Christ est Dieu et Sauveur car :
1° Il est le Messie promis dans l'Ancien Testament ;
2° l'Ancien Testament parle déjà d'une seconde personne divine ;
3° l'Ancien Testament parle également de la naissance surnaturelle et de la dignité divine du Christ, de son crucifiement et de la rédemption par la croix ; enfin, de la résurrection générale de tous les hommes.
Dans la troisième partie de son dialogue, saint Justin traite de la vocation des Gentils et de l'établissement de l'Eglise ; il exclut du royaume céleste les hérétiques aussi bien que les infidèles :
" Il me semble, dit saint Justin, que, par ces discours, je devrais persuader les esprits les plus obtus, car ce n'est pas moi qui les ai préparés par un artifice humain. Ce que je vous ai dit, David l'a chanté, Isaïe et Zacharie l'ont prêché, Moïse l'a écrit. Vous le reconnaissez, Tryphon, tout cela se trouve dans vos livres, ou plutôt dans les nôtres car nous les croyons, et vous, vous les lisez sans les entendre."

En effet, nous voyons régner dans ces dialogues de saint Justin, une grande intelligence des saintes Ecritures, surtout des Prophètes. Il en cite tant, et de si longs passages, qu'on est porté à croire qu'il les savait par cœur. Tout ce qui, dans les livres de l'Ancien Testament, peut s'alléguer de plus clair, de plus fort, de plus propre à convaincre l'opiniâtreté judaïque, il l'emploie avec une force si merveilleuse, que Tryphon et ses amis ne savaient que répondre.
Saint Justin répète plusieurs fois, en ce dialogue, que l'Eucharistie est le sacrifice qui doit être offert à Dieu, du levant au couchant, même parmi les Gentils, suivant la prophétie de Malachie, et il nomme expressément l'Eucharistie sacrifice :
" Le pain et la coupe eucharistiques, dit-il, ne sont pas un aliment commun et un breuvage ordinaire, mais la chair et le sang du Verbe de Dieu incarné." (Dial., n. 41).

Il atteste que les dons miraculeux du Saint-Esprit, tels que ceux de guérir les malades et de chasser les démons, par l'invocation du nom de Jésus-Christ, étaient alors fréquents parmi les disciples de Jésus-Christ. Obligé d'admettre que le Christ, vrai Fils de Dieu et vrai Dieu, lumière des nations, devait naître d'une Vierge et être sujet à la souffrance et à la douleur, Tryphon pria Justin de lui démontrer par les prophéties, que le Christ devait souffrir la mort honteuse de la croix, lorsque les livres saints maudissent ceux qui sont condamnés à ce genre de supplice. Justin se mit à lui prouver le mystère de la Croix avec des textes de l'Ecriture, si nombreux, si clairs, mais surtout par le Psaume XXIe, où sont prédits si évidemment la passion et le crucifiement du Messie, que ni Tryphon, ni les siens ne surent que répliquer. Ils quittèrent notre Saint en lui souhaitant une heureuse navigation, tandis que, de son côté, il priait pour eux et leur souhaitait la foi de Jésus-Christ.

De retour à Rome, notre Saint y trouva un philosophe cynique, qui traitait publiquement les chrétiens d'athées et d'impies. C'était Crescent, connu pour ses amours infâmes et son avarice, et, toutefois, pensionné de l'empereur. Justin le provoqua à une conférence publique, où, en présence d'un grand nombre de témoins, il le convainquit clairement, ou d'ignorer absolument ce qui se passait parmi les Chrétiens, ou d'être le plus méchant des hommes d'une souveraine ignorance, si réellement il croyait les chrétiens tels qu'il le publiait hautement ; de la plus noire malice, si, connaissant leur doctrine et leurs mystères, il osait néanmoins les diffamer, et cherchait à les faire passer dans l'esprit des princes, des magistrats et du peuple, pour des hommes sans religion, sans piété, sans Dieu. Cette discussion en public fut très fréquente. Justin en parle dans sa seconde apologie, adressée l'an 167, aux empereurs, au sénat et au peuple romain. Il y réfute admirablement les calomnies qui servaient de prétextes aux persécuteurs des Chrétiens.

Il fait remarquer qu'on mettait à la question des esclaves, des enfants, des femmes, et qu'on leur faisait souffrir des tourments horribles, jusqu'à ce qu'ils avouassent que les chrétiens étaient coupables des incestes et des repas de chair humaine, dont on les accusait. Il ajoute que ces crimes, reprochés aux chrétiens, ne se trouvent que parmi les païens, où l'on a divinisé tous les vices, où l'on honore les dieux par toutes sortes d'infamies ; mais les Chrétiens suivent d'abord les lumières naturelles, qui nous disent ce qui est honnête ou honteux ; ils se rappellent que Dieu est témoin de leurs actions et de leurs pensées ; ils meurent avec une joie qui est une nouvelle preuve de leur innocence. Ils meurent pour avoir refusé d'adorer vos dieux, dit-il aux païens, et ils ont refusé de les adorer, parce que vos dieux ont commis les crimes que vous nous reprochez et en exigent de semblables. Il ne demande qu'une chose pour lui, c'est la publicité de son écrit, afin qu'il puisse gagner des âmes à Jésus-Christ.

Saint Justin disait, dans cette même requête, à l'empereur-philosophe Marc- Aurèle, qu'il s'attendait de jour en jour, d'après les manœuvres des philosophes, surtout de Crescent, à être attaché à un poteau, pour être brûlé vif ou dévoré par les bêtes. Ce qu'il avait prévu s'accomplit. Tatien, son disciple, dit formellement que la mort de saint Justin fut l'ouvrage de ces faux philosophes, surtout de Crescent, irrités de ce que notre Saint leur reprochait sans cesse leur fourberie, leur avarice et la corruption de leurs mœurs. Nous avons la relation authentique du martyre de ce vrai philosophe, qui scella de son sang sa foi et sa doctrine. Nous reproduisons intégralement ces actes, qui ont été conservés dans toute leur pureté.

Sous le règne de Marc-Aurèle, quelques personnes, passionnées pour le culte des idoles, obtinrent de l'empereur qu'on publiât dans toutes les villes de l'empire des édits contre ceux qui faisaient profession de la véritable religion. Ces édits portaient qu'en quelque lieu qu'on trouvât un chrétien, on s'en saisît, et qu'on l'obligeât sur l'heure à sacrifier aux dieux. Ce fut alors que Justin, et ceux qui étaient avec lui, furent arrêtés et conduits à Rome, où on les fit comparaître devant le tribunal de Rusticus, préfet de la ville.

Ce magistrat, s'adressant à Justin, lui dit :
" Ne veux-tu pas obéir aux dieux et à l'empereur ?"
Justin lui répondit :
" Quiconque obéira à Jésus-Christ notre Sauveur, ne pourra jamais être condamné.
- Quelle science, ou quel art professes-tu, continua le préfet ?
- Jusqu'ici, répliqua Justin, j'ai travaillé à acquérir toutes les connaissances naturelles et humaines, et il n'y a point de genre d'érudition où ma curiosité ne m'ait fait faire quelques progrès ; mais enfin je me suis fixé à la science dos Chrétiens, quoiqu'elle ne soit pas du goût de ceux qui n'en ont que pour l'erreur.
- Quoi ! Misérable, reprit Rusticus, cette science peut-elle te plaire ?
- Oui, sans doute, répliqua Justin, parce qu'elle me fait marcher avec les chrétiens dans la voie de la vérité, et qu'elle contient une doctrine droite et pure.
- Quelle est cette doctrine ? dit le préfet.
- La doctrine que suivent les Chrétiens, répondit Justin, consiste à croire qu'il n'y a qu'un Dieu qui a créé toutes les choses qui se voient et toutes celles qui ne tombent pas sous les sens ; à reconnaître un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, prédit autrefois et annoncé aux hommes par les Prophètes, et qui doit venir juger tout le genre humain. C'est lui qui est l'auteur du salut, et c'est lui qui l'est venu publier dans le monde. Il veut bien être le maître de ceux qui aiment à apprendre de lui les vérités qu'il enseigne. Pour moi, qui suis un homme sans intelligence, j'avoue que j'ai trop peu de lumières pour pouvoir parler de sa divinité d'une manière qui soit digne d'elle. Il n'appartient qu'aux Prophètes de pénétrer dans cet abîme de grandeur, et ce sont eux qui, par l'inspiration de Dieu, ont prédit l'avènement de celui que je viens de nommer son Fils, et ils l'ont prédit plusieurs siècles avant qu'il parût sur la terre."

Procès de saint Justin et de ses compagnons.

Le préfet lui demanda où les chrétiens s'assemblaient. Justin lui répondit qu'il était libre à chacun de se trouver partout où il pouvait :
" Penses-tu, continua-t-il, que nous ayons un lieu déterminé où nous tenions ordinairement nos assemblées ? Nullement. Sache que le Dieu des chrétiens n'est pas enfermé dans un lieu ; il est immense, aussi bien qu'invisible, et il remplit le ciel et la terre. Ainsi il est adoré en tous lieux, et chaque fidèle lui peut rendre hommage en quelque lieu que ce soit.
- Je veux savoir, repartit le préfet, où vous vous assemblez tous, et particulièrement le lieu où tes disciples te vont écouter.
- Je te dirai bien où je demeure, répondit Justin, j'ai logé jusqu'ici tout près d'un nommé Martin, en face du bain Timiotinum. Voici la seconde fois que je viens à Rome, et je ne connais aucun autre logement ; si quelqu'un a voulu me venir trouver, je ne lui ai pas caché la doctrine de la vérité, et je lui ai volontiers communiqué ce que j'en savais.
- Tu es donc chrétien ? lui dit le préfet.
- Oui, je le suis, répondit Justin."

Alors le préfet, se tournant vers Chariton, lui dit :
" Et toi, es-tu Chrétien ?"
Chariton lui répondit :
" Oui, je le suis, par la grâce de Dieu."
Le préfet fit avancer une femme nommée Charitana, et il lui demanda si elle était Chrétienne elle dit qu'elle aussi était Chrétienne, par la miséricorde du Seigneur. Le préfet interrogea aussi Evelpiste sur sa religion et sur sa condition. Evelpiste répondit :
" Je suis serviteur de l'empereur, mais je suis chrétien et affranchi de Jésus-Christ ; et par un effet de sa bonté, j'ai la même espérance que ceux que tu vois, et je vis comme eux dans la même attente."
Le préfet s'adressa ensuite à Hiérax, et lui demanda s'il était Chrétien :
" Assurément, répondit Hiérax, je suis Chrétien, j'adore le même Dieu que ces autres adorent.
- Est-ce Justin, dit le qui t'a fait, Chrétien ?
- Moi, répondit Hiérax, j'ai été Chrétien et je le serai.

Martyre de saint Justin. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Un nommé Péon, qui était présent, dit tout haut :
" Je suis chrétien aussi.
- Et qui t'a instruit ? répliqua le préfet.
- Ce sont mes parents, répondit Péon."

Evelpiste ajouta :
" J'écoutais avec plaisir les Instructions de Justin, mais j'ai aussi appris de mes parents à être chrétien."
Le préfet lui dit :
" Où sont, tes parents ?
- Ils sont en Cappadoce, repartit Evelpiste."

Le préfet posa même question à Hiérax, qui lui fit cette réponse :
" Notre véritable Père, c'est Jésus-Christ, et la foi est notre véritable mère ; c'est par elle que nous croyons en lui. A l'égard des parents que j'ai eus sur la terre, ils sont morts. Au reste, j'ai été tiré de la Phrygie, et l'on m'a amené ici."
Le préfet demanda à Libérien ce qu'il disait, et s'il était aussi chrétien et impie envers les dieux. Libérien répondit qu'il était chrétien, et qu'il adorait le vrai Dieu.

Le préfet revenant à Justin, lui dit :
" Ecoute, toi qui fais l'orateur, et qui te piques d'éloquence et de doctrine, toi qui crois posséder la vraie sagesse, quand je t'aurai fait déchirer à coups de fouet de la tête aux pieds, penses-tu monter au ciel en cet état ?
- J'espère, répondit Justin, que si je souffre pour Jésus-Christ le supplice dont tu me menaces, je recevrai de lui ce qu'ont déjà reçu ceux qui ont gardé ses préceptes car je sais que la grâce de Dieu est réservée jusqu'à la fin du monde à tous ceux qui auront ainsi vaincu.
- Tu t'imagines donc, lui dit le préfet, qu'une grande récompense t'attend dans le ciel ?
- Je ne me l'imagine pas, reprit Justin ; je le sais, et j'en suis si convaincu, que je n'en ai pas le moindre doute."

Le préfet dit :
" Laissons tout cela ; venons au fait, et à ce qui est plus pressé : réunissez-vous tous, et, animés d'un même esprit, préparez-vous à sacrifier aux dieux."
Justin, prenant la parole au nom de tous, dit :
" Un homme de bon sens n'abandonnera jamais la véritable piété pour courir après l'impiété et l'erreur."
Le préfet dit :
" Si vous n'obéissez à notre ordonnance, vous pouvez vous attendre à être traités sans aucune miséricorde."
Saint Justin répondit :
" Nous ne nous souhaitons rien avec plus d'ardeur que de soutenir pour Notre Seigneur Jésus-Christ, et que d'aller à lui par les tourments. C'est ce qui nous donnera de la confiance devant son tribunal terrible, où tous les hommes doivent comparaître, pour être jugés."
Tous dirent la même chose, et ajoutèrent :
" Fais ce que tu voudras nous sommes Chrétiens, et nous ne sacrifierons point aux idoles."
Le préfet ayant entendu ces paroles, prononça cette sentence :
" Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux, ni obéir à l'ordonnance de l'empereur, soient battus des verges et conduits au lieu du supplice, pour y perdre la tête, ainsi que les lois l'ordonnent."

Les saints martyrs furent donc menés au lieu où l'on exécutait les criminels ; et là, parmi les louanges, les actions de grâces et les bénédictions qu'ils donnaient à Dieu, ils furent d'abord fouettés et eurent ensuite la tête tranchée, confessant leur Sauveur jusqu'au dernier soupir. Après leur mort, quelques fidèles enlevèrent secrètement leurs corps et les enterrèrent en un lieu décent.

La cathédrale de Coutances possède de nos jours quelques reliques de saint Justin.
On donne pour attribut à saint Justin la hache ou le glaive ; on le représente aussi discourant en face de la mer.

Décollation de saint Justin et de ses compagnons.

ÉCRITS DE SAINT JUSTIN, SAINT QUADRAT ET SAINT ARISTIDE

Les meilleures éditions des œuvres de saint Justin, avec une tradition latine et des notes
savantes, ont été données :
1° Par le bénédictin de Saint-Maur, dom Prudence Maran (1742, Paris, in-fol.), en même
temps que les œuvres de Tatien, Athénagore. Théophile et Hermias, avec une savante préface. La réimpression, faite à Würtzbourg (1777, 3 vol. in-8°), n'a pas grande valeur.
2° Récemment, par le docteur Otto (1842, Iéna, 3 vol. in-S"), dont une nouvelle édition à part, en 1847-50, sous le titre : Corpus Apologetarum Christ, saeculi secundi ; nous ne parlons pas de l'édition de M. Migne, que tout le monde connait.
M. de Genoude a donne une nouvelle traduction des œuvres de saint Justin. (Les Pères des trois premiers siècles, traduits en français, 6 vol. in-8°, 1837-1843.).
M. Henry de Riancey a aussi traduit la première apologie. (Choix des Pères, 1837).
Il existe deux Monographies de saint Justin, l'une du docteur Otto : De Justini martyris scriptis et doctrina (Ienae, 1841) ; l'autre de Semisch : Justin le Martyr. (Breslau, 1840, 2 vol.).

Saint Justin. Gravure. Jacques Callot. XVIIe.

On admet généralement que l'apologie de saint Justin fut précédée de celle de saint Quadrat et de celle de saint Aristide :
- Saint Quadrat, disciple des Apôtres, avait reçu !e don de prophétie. Publius, successeur de saint Denys l’Aréopagite sur le siège épiscopal d'Athènes, ayant reçu la couronne du martyre, sous l'empire d'Adrien, vers l'an 125 de Jésus-Christ, saint Quadrat lui succéda sa foi et son zèle ranimèrent le courage des fidèles que la terreur de la persécution avait dispersés.
L'empereur Adrien, étant venu pour la seconde fois à Athènes, en l'an 124, s'y fit initier aux mystères d'Eleusine. La persécution, qui avait déjà commencé contre les chrétiens, devint plus forte depuis cette initiation. C'est ce qui engagea Quadrat prendre la défense de la religion chrétienne dans une apologie qu'il adressa à l’empereur en 126. Saint Quadrat déploya tant d'énergie et de logique dans cette pièce que, dire de saint Jérôme, elle eut la force d'éteindre la persécution dont l'Eglise était alors agitée. Le même saint Jérôme appelle cet ouvrage digne d'un disciple des Apôtres.
Il ne nous reste qu'un fragment dans lequel Quadrat démontre la divinité des miracles de Jésus-Christ par leur permanence. Les prétendus prodiges des imposteurs n'ont pas ce caractère (cf. Dom Ceillier, t. I ; Patrol. de Migne, t. V.).
- Saint Aristide était athénien de naissance et philosophe de profession il en garda l'habit lorsqu’il embrassa la foi ce que fit aussi saint Justin.
Saint Aristide partage avec saint Quadrat l'honneur d'avoir, par son Apologie du Christianisme, rendu la paix à l'Eglise pour quelques années. Il soutint la divinité de Jésus-Christ devant Adrien, non-seulement par ses écrits, mais par un éloquent discours que ce prince lui permit de prononcer en sa présence.

On dit que l'apologie d'Aristide existe encore au monastère de Medelli, à six kilomètres d'Athènes ce serait à vérifier.

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mercredi, 12 avril 2023

12 avril. Saint Sabas le Goth, martyr. 372.

- Saint Sabas le Goth, martyr. 372.
 
Pape : Saint Damase. Empereurs : Valentinien Ier ; Valens. Roi des Goths : Athanaric.

" Les saints sont les ramifications et la continuation de Jésus-Christ."

" De quelque nation que soit un homme, s'il craint Dieu et s'il aime la justice, il est agréable à Dieu."
Saint Pierre.


Icône roumaine du XVIe.

Né de race gothique et vivant en Gothie dans un milieu corrompu, il a tellement su ressembler aux saints et il a comme eux honoré le Christ par la pratique de toutes les vertus qu'il a brillé dans le monde comme un astre. Ayant embrassé le christianisme dès l'enfance, il s'imposa un idéal de perfection et voulut le réaliser au moyen de la science du Christ.

Comme tout concourt à l'avantage de ceux qui aiment Dieu, il obtint la récompense due à sa vocation sublime par une lutte vaillante contre l'ennemi, sa force contre les traverses de cette vie et la paix qu'il sut conserver avec tout le monde. Il n'est pas permis de le taire, maintenant qu'il est allé se reposer en Dieu, afin d'en garder la mémoire et de réconforter les âmes pieuses ; nous devons donc entreprendre le récit de ses hauts faits.

Il fut donc orthodoxe dans la foi, empressé à remplir les devoirs de la justice, doux, pieux, plus savant que disert, pacifique à l'égard de tous, véridique, ennemi de l'idolâtrie, modeste et - ce qui convient bien aux humbles - soumis, parlant sans jactance, doux, incliné à tout ce qui était bon; psalmodiant à l'église, dont il prenait grand soin, méprisant la fortune et les biens, dont il n'usait que dans la mesure du nécessaire, sobre, réservé en toute occasion, particulièrement dans le commerce avec les femmes, jeûnant et priant chaque jour, étranger à la vaine gloire, stimulant tout le monde à l'adoption d'une vie pure, pratiquant les vertus de son état, évitant les contradictions, observant enfin une foi sans compromis, celle qui fait ses oeuvres par la charité, et s'entretenant toujours familièrement avec Dieu. Il se montra, non en passant, mais souvent, avant son martyre, le vigoureux défenseur de la piété.

Les princes et les juges de Gothie ayant commencé à poursuivre les chrétiens qu'ils voulaient contraindre à manger les mets offerts aux idoles, quelques païens s'entendirent pour qu'on présentât aux chrétiens qui étaient de leur parenté des viandes qui passeraient pour avoir été immolées aux idoles, quoiqu'il n'en fût rien ; ce stratagème sauverait leurs parents et bernerait les persécuteurs.

À cette nouvelle, le bienheureux Sabas refusa non seulement de prendre sa part de ces mets défendus, mais il s'avança au milieu de l'assemblée et dit : " Celui qui mange de ces viandes cesse d'être chrétien ", et ainsi il mit en garde afin que tous ne tombassent dans le piège du démon ; mais ceux qui avaient imaginé la ruse en prirent occasion de le faire expulser de la ville ; ils le rappelèrent plus tard.

Une nouvelle persécution étant déclarée, plusieurs païens de la ville qui offraient des sacrifices voulurent jurer que leur cité ne contenait aucun chrétien; mais cette fois encore Sabas vint tranquillement au milieu de l'assemblée et dit :
" Que personne ne jure en ce qui me concerne, car je suis chrétien."
Lorsque le persécuteur fut sur les lieux, les susdits païens mirent leurs parents à l'abri et jurèrent que la ville ne renfermait qu'un seul chrétien.
Le prince impie se le fit amener ; c'était Sabas. Quand il fut présent, le prince questionna les assistants sur la fortune de Sabas. " Il n'a, dit-on, que ses habits ", ce qui lui valut le mépris du juge : " Celui qui est en pareil équipage, dit-il, ne peut être ni utile ni dangereux ", et il le fit relâcher.

Une grande persécution fut ensuite provoquée en Gothie par les méchants, et comme la fête de Pâques était proche, Sabas voulut se rendre dans une autre ville chez le prêtre Gatthica, afin de célébrer ce saint jour. Sur la route, il vit un homme de haute taille et d'un aspect magnifique et vénérable qui lui dit :
" Retourne sur tes pas et rends-toi chez le prêtre Sansala.
- Mais Sansala est absent, dit Sabas."
Il s'était enfui en effet devant la persécution et s'était réfugié sur le territoire romain ; cependant la fête de Pâques l'avait mené chez lui, ce que Sabas ignorait et qui explique sa réponse; il continua donc sa route vers la demeure de Gatthica. Comme il ne se conformait pas à l'indication donnée par le grand inconnu, soudain, quoiqu'il fît beau temps alors, il tomba une telle tempête de neige que la route devint impraticable et Sabas ne put continuer. Il comprit à l'instant que Dieu s'opposait à son voyage et le voulait voir retourner auprès du prêtre Sansala. Il rendit grâces et rebroussa chemin. Arrivé chez Sansala, il lui raconta, ainsi qu'à d'autres, son aventure.

Ils célébrèrent ensemble la Pâque. Dans le cours de la troisième nuit qui suivait la fête, Atharid, fils de Rothest, conformément à l'édit des méchants, envahit la ville avec une grande troupe de gens sans aveu et, saisissant le prêtre endormi dans sa maison, il le fit garrotter, ainsi que Sabas, qu'on avait arrêté tout nu dans son lit. On mit le prêtre dans un chariot. Quant à Sabas, on le mena parmi les buissons d'épines récemment brûlés, nu comme lorsqu'il sortit du ventre de sa mère ; on le lia et le flagella avec des verges et des bâtons, ce qui montre à quel point ils étaient cruels et féroces à l'égard des serviteurs de Dieu.

Mais la patience et la foi du juste triomphèrent de la brutalité de ses ennemis. À l'aube, il rendit grâces à Dieu et dit à ses bourreaux :
" Ne m'avez-vous pas conduit nu et sans chaussures dans des terrains difficiles et semés de ronces ? Regardez si mes pieds sont blessés et si mon corps porte la trace des coups que vous m'avez donnés."
Ils ne virent en effet aucune ecchymose ; alors enlevant l'essieu du chariot, ils le lui mirent sur les épaules et attachèrent ses mains aux extrémités ; ils attachèrent de même ses pieds à un autre essieu et, le jetant par-dessus les essieux, ils l'étendirent sur le dos ; enfin ils ne le laissèrent pas avant que la plus grande partie de la nuit ne fût écoulée. Mais pendant que les surveillants dormaient, une femme qui s'était levée de nuit afin de préparer à manger aux ouvriers, coupa ses liens. Une fois délivré, il demeura sur place sans inquiétude, avec cette femme, et il l'aidait de son mieux. Quand le jour parut, le cruel Atharid, mis au courant de ce qui s'était passé, lui fit lier les mains et suspendre à la poutre de la maison.

Eglise Saint-Nicolas. Saint Sabas fut martyrisé
à quelques lieues de là. Transylvanie. VIIe.
Peu de temps après arrivèrent des envoyés d'Atharid, apportant des mets offerts aux idoles, qui dirent à Sabas et au prêtre :
" L'illustre Atharid vous envoie ceci afin que vous mangiez et vous sauviez de la mort.
- Nous n'en mangerons pas, dit le prêtre. Cela nous est défendu. Engagez Atharid à nous faire plutôt crucifier ou tuer de toute autre façon.
- Qui envoie cela ? dit Sabas .
- Le seigneur Atharid.
- Il n'y a qu'un seul Seigneur, c'est Dieu, qui est dans le ciel. Ces mets de perdition sont impurs et profanes, comme Atharid lui-même qui les a envoyés."

Un des serviteurs, mis en colère par cette réponse, tordit sur le saint la pointe de son javelot avec tant de fureur que tous les assistants crurent qu'il allait mourir sur le coup. Mais Sabas, dominant la douleur par la sainteté, lui dit :
" Croiras-tu maintenant que j'ai soutenu ton choc ? Mais sache que tu ne m'as pas plus endolori que si tu m'avais jeté un peloton de laine."
Ce qui confirma ses paroles fut son attitude, car il ne cria pas, ni même, ainsi qu'on fait lorsqu'on souffre, il ne gémit pas et on ne vit nulle trace de violence sur son corps.

Sur le rapport qui fut fait de tout cela à Atharid, il donna l'ordre de mettre à mort Sabas. Les bourreaux, ayant renvoyé le prêtre Sansala, amenèrent Sabas sur la berge du Mussovo, afin de l'y noyer. Le bienheureux, se rappelant l'ordre du Seigneur et n'aimant pas son prochain moins que lui-même demanda :
" Pourquoi ne pas tuer le prêtre avec moi, quel péché a-t-il donc commis ?
- Cela ne te regarde pas, lui répondit-on."
Alors Sabas s'écria dans la joie de l'Esprit-Saint :
" Tu es béni, Seigneur, et le Nom de ton Fils soit loué pendant les siècles. Amen. Atharid s'est condamné et livré lui-même à la mort éternelle, mais il m'a envoyé à la vie qui n'a pas de fin. Telle est ta Volonté dans tes serviteurs, Seigneur Dieu."

Tandis qu'on le conduisait mourir, il ne cessa de louer Dieu, ne jugeant pas comparables les misères de cette vie avec la gloire future qui est révélée aux saints. En arrivant sur la rive, les bourreaux se dirent entre eux :
" Pourquoi ne renvoyons-nous pas cet innocent ? Atharid en saura-t-il jamais rien ?"
Sabas leur dit :
" Vous badinez ; faites ce qui vous est commandé. Je vois ce qui vous est caché. Voici que m'attendent ceux qui doivent m'introduire dans la gloire."
Alors on le mena jusqu'au fleuve. Lui louait Dieu et rendait grâces (ce qu'il ne cessa de faire jusqu'à la fin). On lui attacha une pierre au cou et on le précipita. Sa mort par l'eau et le bois fut ainsi un symbole exact du salut. Sabas avait trente-huit ans. Il mourut le cinquième jour de la semaine pascale, c'est-à-dire la veille des ides d'avril, sous le règne de Valens et Valentinien et sous le consulat de Modeste et Arintheus.

Les bourreaux retirèrent de l'eau son cadavre et le laissèrent sans sépulcre. Mais ni les bêtes féroces, ni les oiseaux de proie n'y touchèrent. Des fidèles le gardèrent, et le glorieux gouverneur de la Scythie, Junius Soranus, adorateur du vrai Dieu, ayant envoyé des gens sûrs, le fit transporter en terre romaine et, voulant faire bénéficier sa patrie de ce trésor, de ce fruit illustre par sa foi, l'envoya en Cappadoce, conformément au désir des prêtres et à la Volonté de Dieu, qui donne sa Grâce à ceux qui Le craignent. C'est pour cela que, le jour où le martyr fut couronné, offrez le sacrifice et rappelez tout ceci aux frères, afin que, se réjouissant dans toute l'Église catholique et apostolique, ils louent le Seigneur, qui Se choisit ses serviteurs.

On représente saint Sabas suspendu par un doigt à un arbre, car ses actes disent qu'on lui tira violemment les mains et les pieds ; tenant en main un fagot d'épines pour rappeler qu'il fut traîné au milieu des ronces ; plongé dans l'eau. Il est spécialement honoré par les catholiques de Roumanie et en particulier par ceux de Valachie.

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