mardi, 28 mai 2024
28 mai. Saint Augustin de Cantorbéry, Apôtre de l'Angleterre. 605.
Office de Noël. Bréviaire romain.
Anonyme. Chapelle Notre-Dame-des-Vertus. La Flèche. Maine. XVIIe.
Quatre cents ans étaient à peine écoulés, depuis le départ d'Eleuthère pour la patrie céleste, qu'un second apôtre de la grande lie britannique s'élevait de ce monde, au même jour, vers la gloire éternelle. La rencontre de ces deux pontifes sur le cycle est particulièrement touchante, en même temps qu'elle nous révèle la prévoyance divine qui règle le départ de chacun de nous, en sorte que le jour et l'heure en sont fixés avec une sagesse admirable. Plus d'une fois nous avons reconnu avec évidence ces coïncidences merveilleuses qui forment un des principaux caractères du cycle liturgique. Aujourd'hui, quel admirable spectacle dans ce premier archevêque de Cantorbéry, saluant sur son lit de mort le jour où le saint pape à qui l'Angleterre doit la première prédication de l'Evangile, monta dans les cieux, et se réunissant à lui dans un même triomphe ! Mais aussi qui n'y reconnaîtrait un gage de la prédilection dont le ciel a favorisé cette contrée longtemps fidèle, et devenue depuis hostile à sa véritable gloire ?
L'œuvre de saint Eleuthère avait péri en grande partie dans l'invasion des Saxons et des Angles, et une nouvelle prédication de l'Evangile était devenue nécessaire. Rome y pourvut comme la première fois. Saint Grégoire le Grand conçut cette noble pensée ; il eût désiré assumer sur lui-même les fatigues de l'apostolat dans cette contrée redevenue infidèle ; un instinct divin lui révélait qu'il était destiné à devenir le père de ces insulaires, dont il avait vu quelques-uns exposés comme esclaves sur les marchés de Rome. Mais du moins il fallait à Grégoire des apôtres capables d'entreprendre ce labeur auquel il ne lui était pas donné de se livrer en personne. Il les trouva dans le cloître bénédictin, où lui-même avait abrité sa vie durant plusieurs années. Rome alors vit partir Augustin à la tête de quarante moines se dirigeant vers l'île des Bretons, sous l'étendard de la croix.
Ainsi la nouvelle race qui peuplait cette île recevait à son tour la foi par les mains d'un pape ; des moines étaient ses initiateurs à la doctrine du salut. La parole d'Augustin et de ses compagnons germa sur ce sol privilégié. Il lui fallut, sans doute, du temps pour s'étendre à l'île tout entière ; mais ni Rome, ni l'ordre monastique n'abandonnèrent l'œuvre commencée ; les débris de l'ancien christianisme breton finirent par s'unir aux nouvelles recrues, et l'Angleterre mérita d'être appelée longtemps l'île des saints.
Les gestes de l'apostolat d'Augustin dans cette île ravissent la pensée. Le débarquement des missionnaires romains qui s'avancent sur cette terre infidèle en chantant la Litanie ; l'accueil pacifique et même bienveillant que leur fait dès l'abord le roi Ethelbert ; l'influence de la reine Berthe, française et chrétienne, sur l'établissement de la foi chez les Saxons ; le baptême de dix mille néophytes dans les eaux d'un fleuve au jour de Noël, la fondation de l'Eglise primatiale de Cantorbéry, l'une des plus illustres de la chrétienté par la sainteté et la grandeur de ses évêques : toutes ces merveilles montrent dans l’évangélisation de l'Angleterre un des traits les plus marqués de la bienveillance céleste sur un peuple. Le caractère d'Augustin, calme et plein de mansuétude, son attrait pour la contemplation au milieu de tant de labeurs, répandent un charme de plus sur ce magnifique épisode de l'histoire de l'Eglise ; mais on a le cœur serré quand on vient à songer qu'une nation prévenue de telles grâces est devenue infidèle à sa mission, et qu'elle a tourné contre Rome, sa mère, contre l'institut monastique auquel elle est tant redevable, toutes les fureurs d'une haine parricide et tous les efforts d'une politique sans entrailles.
L'exemple de sa vie, la doctrine céleste qu'il prêchait et qu'il confirmait par beaucoup de miracles, adoucirent tellement le caractère de ces insulaires, qu'il amena pour la plus grande part à la loi chrétienne, appuyé, non sans difficulté, sur la hiérarchie chrétienne celtique du Pays de Galles et de Cornouailles (" corne " ou " langue de terre de Galles "). Enfin, le roi lui-même, fut régénéré dans la fontaine sacrée avec un nombre considérable des gens de sa suite. Berthe, l'épouse royale, qui était chrétienne, s'en réjouit grandement. Un jour de Noël, il administra le baptême à plus de dix mille personnes dans les eaux de la rivière d'York ; et l'on raconte que tous ceux de ces néophytes qui étaient atteints de quelque maladie, reçurent en cette circonstance la santé de leurs corps avec le salut de leurs âmes.
Ordonné évêque par le commandement de saint Grégoire, il établit son siège à Cantorbéry, dans l'Eglise du Sauveur qu'il avait bâtie, et il y plaça une partie des moines qui l'aidaient dans ses travaux. Il fonda ensuite dans les faubourgs le monastère de Saint-Pierre, qui plus tard fut appelé du nom d'Augustin lui même. Le même saint Grégoire lui accorda l'usage du pallium et les pouvoirs nécessaires pour établir la hiérarchie ecclésiastique en Angleterre, en même temps qu'il lui envoyait un nouveau renfort d'ouvriers, savoir Mellitus, Justus, Paulin et Rufinien.
Ayant réglé les affaires de cette Eglise , Augustin tint un concile avec les évêques et les docteurs des anciens Bretons, qui étaient depuis longtemps en désaccord avec l'Eglise Romaine dans la célébration de la Pâque et sur plusieurs autres rites. Mais comme ils refusaient de se rendre et à l'autorité du Siège Apostolique, et aux miracles qu'il faisait pour les ramener à la concorde, inspiré par un esprit prophétique, Augustin leur prédit les désastres qui les attendaient. Enfin, après avoir accompli les plus grands travaux pour Jésus-Christ, illustre par ses miracles, ayant préposé Mellitus à l'Eglise de Londres, Justus à celle de Rochester, Laurent à la sienne, il passa au ciel le sept des calendes de juin, sous le règne d'Ethelbert, quelques mois après que son bien aimé père, saint Grégoire le Grand, eût passé lui aussi dans le royaume éternel.
On l'ensevelit au monastère de Saint-Pierre, qui devint par la suite le lieu de sépulture des archevêques de Cantorbéry et de plusieurs rois. Les peuples d'Angleterre lui rendirent un culte fervent. Le Souverain Pontife Léon XIII a étendu son Office et sa Messe à toute l'Eglise.
HYMNE
Cette Hymne en l'honneur de l'apôtre de l'Angleterre a été approuvée par le Saint-Siège au XIXe. Elle fut probablement composée par dom Prosper Guéranger qui se garde bien de le rapporter dans son Année liturgique :
Saint Augustin de Cantorbéry. Belbello de Pavie.
" Ile féconde des saints, célèbre ton apôtre, exalte dans tes pieux concerts le fils de Grégoire.
Rendue fertile par ses labeurs, tu donnas une moisson abondante ; et longtemps les fleurs de sainteté qui couvraient ton sol répandirent sur toi un éclat supérieur.
Suivi d'une troupe de quarante moines, il débarqua sur tes rivages, Ô terre des Anglais ! Il portait l'étendard du Christ ; messager de la paix, il venait en apporter les gages.
Bientôt la croix est plantée sur ton sol comme un éclatant trophée, la parole du salut se répand de toutes parts ; et un roi barbare reçoit lui-même la foi d'un cœur docile.
La nation renonce à ses coutumes sauvages ; elle se plonge dans les eaux sanctifiées d'un fleuve,et renaît à la vie de l'âme le jour même où le Soleil de justice se leva sur le monde.
Ô Pasteur auguste , du haut du ciel, gouverne toujours tes fils ; ramène dans les bras de la mère désolée l'ingrat troupeau qui s'est éloigné d'elle.
Heureuse Trinité, qui envoyez sans cesse sur votre vigne la rosée de la grâce, daignez faire renaître l'antique foi, afin qu'elle fleurisse comme aux anciens jours.
Amen."
Saint Augustin de Cantorbéry présentant la Très Sainte Trinité
Vous avez régné glorieusement sur cette région, ô Christ ! Vous lui avez donné des pontifes, des docteurs, des rois, des moines, des vierges, dont les vertus et les services ont porté au loin la renommée de l'Ile des saints ; et la grande part d'honneur dans une si noble conquête revient aujourd'hui à Augustin, votre disciple et votre héraut. Votre empire a duré longtemps, Ô Jésus, sur ce peuple dont la foi fut célèbre dans le monde entier ; mais, hélas ! des jours funestes sont venus, et l'Angleterre n'a plus voulu que vous régniez sur elle (Luc. XIX, 14.), et elle a contribué à égarer d'autres nations soumises à son influence. Elle vous a haï dans votre vicaire, elle a répudié la plus grande partie des vérités que vous avez enseignées aux hommes, elle a éteint la foi, pour y substituer une raison indépendante qui a produit dans son sein toutes les erreurs. Dans sa rage hérétique, elle a foulé aux pieds et brûlé les reliques des saints qui étaient sa gloire, elle a anéanti l'ordre monastique auquel elle devait le bienfait du christianisme,elle s'est baignée dans le sang des martyrs, encourageant l'apostasie et poursuivant comme le plus grand des crimes la fidélité à l'antique foi.
En retour, elle s'est livrée avec passion au culte de la matière, à l'orgueil de ses flottes et de ses colonies ; elle voudrait tenir le monde entier sous sa loi. Mais le Seigneur renversera un jour ce colosse de puissance et de richesse. La petite pierre détachée de la montagne l'atteindra à ses pieds d'argile, et les peuples seront étonnés du peu de solidité qu'avait cet empire géant qui s'était cru immortel. L'Angleterre n'appartient plus à votre empire, Ô Jésus ! Elle s'en est séparée en rompant le lien de communion qui l'unit si longtemps à votre unique Eglise. Vous avez attendu son retour, et elle ne revient pas ; sa prospérité est le scandale des faibles, et c'est pour cela que sa chute, que l'on peut déjà prévoir, sera lamentable et sans retour.
Saint Grégoire le Grand et l'esclave anglais.
En attendant cette épreuve terrible que votre justice fera subir à l'île coupable, votre miséricorde, Ô Jésus, glane dans son sein des milliers d'âmes, heureuses de voir la lumière, et remplies pour la vérité qui leur apparaît, d'un amour d'autant plus ardent, qu'elles en avaient été plus longtemps privées. Vous vous créez un peuple nouveau au sein même de l'infidélité, et chaque année la moisson est abondante. Poursuivez votre oeuvre miséricordieuse, afin qu'au jour suprême ces restes d'Israël proclament, au milieu des désastres de Babylone, l'immortelle vie de cette Eglise dont les nations qu'elle a nourries ne sauraient se séparer impunément.
Saint apôtre de l'Angleterre, Augustin, votre mission n'est donc pas terminée. Le Seigneur a résolu de compléter le nombre de ses élus, en glanant parmi l'ivraie qui couvre le champ que vos mains ont ensemencé. Venez en aide au labeur des nouveaux envoyés du Père de famille. Par votre intercession, obtenez ces grâces qui éclairent les esprits et changent les cœurs. Révélez à tant d'aveugles que l'Epouse de Jésus est " unique ", comme il l'appelle lui-même ; que la foi de Grégoire et d'Augustin n'a pas cessé d'être la foi de l'Eglise catholique, et que trois siècles de possession ne sauraient créer un droit à l'hérésie sur une terre qu'elle n'a conquise que par la séduction et la violence, et qui garde toujours le sceau ineffaçable de la catholicité."
Le code de loi de saint Ethelbert, le plus ancien code écrit en langue germanique, institue un système complexe d'amendes.
Dans son Historia ecclesiastica gentis Anglorum, saint Bède le Vénérable le mentionne comme le troisième roi à détenir tous les imperium sur les autres royaumes anglo-saxons. À la fin du IXe siècle, la Chronique anglo-saxonne mentionne Æthelbert comme un bretwalda, ou " souverain britannique ".
Saint Ethelbert fut canonisé pour son rôle dans la propagation du christianisme parmi les Anglo-Saxons. Sa fête, initialement le 24 février, fut déplacée au 25 du même mois.
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vendredi, 10 mai 2024
10 mai. Saint Antonin, archevêque de Florence. 1459.
- Saint Antonin, archevêque de Florence. 1459.
Papes : Clément VII ; Pie II. Empereurs d'Allemagne : Wenceslas ; Frédéric III.
" Toutes sortes de biens me sont venu avec elle, et j'ai reçu par ses mains des honneurs et des grâces sans fin."
Saint Antonin appliquant à sa dévotion à la très sainte Vierge Marie, ce que Salomon dit de la Sagesse.
" Si Dieu ne se proposait de mettre en possession de son héritage ceux qui sont éprouvés, Il ne prendrait pas soin de les former par la tribulation."
Saint Antonin de Florence.
Saint Antonin. Buste. Cloître du couvent Saint-Marc.
Florence. Grand duché de Toscane. XVIe.
Saint Antonin, ainsi appelé au lieu d'Antoine, parce qu'il était de petite taille, naquit Florence en 1389. Son père était notaire, et se nommait Nicolas Pierrozi, et sa mère Thomassine ; ils prirent un grand soin de l'élever dans la crainte de Dieu. Ils n'eurent pas beaucoup de peine, parce qu'il était d'un si bon naturel que l'on eût dit que la vertu était née avec lui. A l'âge de dix ans, il ne manquait pas d'aller tous les jours dans une église de Saint-Michel pour y faire ses prières au pied du Crucifix et à l'autel de la Sainte Vierge, à l'honneur de laquelle il disait ce répons :
" Sancta et immaculata Virginitas."
Ce fut là que, quelques années après, il conçut le dessein de se faire religieux de l'Ordre des Frères Prêcheurs : il en demanda l'habit au Père Dominici, qui fut depuis cardinal-archevêque de Raguse, et légat du Saint-Siège en Hongrie. Ce pieux et savant Dominicain faisait alors bâtir un couvent de son Ordre à Fiésole, à deux milles de Florence. Voyant le petit Antoine de si faible complexion en apparence, qu'il ne semblait pas qu'il pût supporter les rigueurs de la Règle, il lui demanda à quelles études il s'appliquait ; l'enfant répondit qu'il étudiait le droit-canon :
" Eh bien ! lui dit Dominici pour l'ajourner, je vous recevrai dans notre Ordre quand vous saurez votre droit par coeur."
Cette réponse fut loin d'étonner le postulant : redoublant de courage, il étudia avec tant d'ardeur, qu'en peu de temps il apprit par coeur les règles et le texte du droit ; c'est pourquoi le Père, reconnaissant évidemment l'opération de la main de Dieu sur ce jeune homme, lui donna le saint habit, l'an 1407, la seizième année de son âge.
Saint Antonin demandant au T. R. P. Dominici à être reçu
dans l'Ordre de Saint-Dominique. Bernardino Poccetti. XVIIe.
Nous ne nous arrêterons point ici à décrire avec quelle ferveur il passa son noviciat, et prononça ses voeux au couvent de Cortone, où les supérieurs l'avaient envoyé. Le pape Nicolas V le jugeait digne d'être canonisé dès le temps de sa vie ; preuve convaincante qu'il avait fait de grands progrès en la perfection. Son zèle et son courage surpassaient ses forces, et les rigueurs de la Règle lui semblaient si légères, que, ne s'en contentant point, il couchait encore sur la dure, ne quittait point le cilice, et prenait la discipline toutes les nuits : il ajoutait aussi à l'office du choeur celui de la Vierge et celui des morts, avec les sept Psaumes de la Pénitence, et quelquefois le Psautier tout entier. Son recueillement était si grand pendant ses prières, et particulièrement pendant l'oraison mentale, qu'on l'a vu plusieurs fois élevé de terre.
Il eut bien voulu toujours continuer ce genre de vie mais l'obéissance l'appliqua bientôt au secours du prochain car il fut élu supérieur des couvents de Fiésole, de Cortone, de Gaëte, de Florence, de Sienne, de Pistoie, de Naples et de Rome, et les gouverna l'un après l'antre et partout il maintint l'observance de la Règle, non seulement par ses pressantes exhortations, mais encore par ses exemples. Il était le premier àtout ; et quoiqu'il fût ensuite vicaire-général de la Congrégation de Naples et de Toscane, et provincial de la province romaine, il s'abaissait néanmoins jusqu'aux ministères les plus humbles de la communauté où il résidait. Il disait tous les jours la sainte messe, et en servait une autre; il prêchait fort souvent et avec beaucoup de succès, et il écoutait, avec une patience et une assiduité merveilleuses, les confessions de ceux dont il avait touché les coeurs par la force de ses paroles.
Saint Antonin. Statue. Place des Offices.
Florence. Grand duché de Toscane. XVIIe.
Cependant l'archevêché de Florence vint à vaquer, par la mort du cardinal Barthélemy Zarabella, et il y avait neuf mois entiers que l'on était en contestation sur l'élection d'un successeur, lorsque le pape Eugène IV, jetant les yeux sur le Père Antonin, vicaire-général de la Congrégation réformée de Naples, le nomma archevêque de cette grande ville et voyant qu'il refusait obstinément, il lui fit commandement, " en vertu du Saint-Esprit et de la sainte obéissance, sous peine de péché mortel et même d'excommunication, d'accepter cette charge ". Ne pouvant plus s'opposer à des ordres si précis, il leva les yeux et les mains au ciel puis, se tournant vers quelques personnes doctes qu'il avait assemblées pour savoir si, vu son incapacité, il était obligé d'obéir à ce commandement :
" Vous savez, dit-il, mon Dieu, que j'accepte cette charge contre ma volonté, pour ne pas résister à celle de votre vicaire : assistez-moi donc, Seigneur, ainsi que vous savez que j'en ai besoin."
Il fit ensuite son entrée à Florence, les pieds nus et les yeux baignés de larmes, tandis que toute la ville retentissait de joie de posséder un si digne pasteur, le considérant comme un Saint et, en effet, il l'était devant Dieu, qui pénètre le secret des coeurs.
Cette nouvelle dignité ne lui fit rien changer dans sa vie privée car il garda toujours jusqu'aux moindres observances de son Ordre de sorte que ceux qui n'eussent pas été informés de son nouveau caractère, l'eussent plutôt pris pour un simple religieux que pour l'archevêque de Florence. Sa table, son lit, sa chambre et généralement tous les meubles de son palais archiépiscopal, ne ressentaient que la pauvreté religieuse. Son train n'était composé que de six personnes, à qui il donnait de bons gages, afin de les empêcher de rien recevoir de ceux qui avaient quelque affaire à l'archevêché. Il prenait lui-méme connaissance des causes qui devaient se juger à son tribunal, ne se contentant pas des soins de son officiai, auquel, néanmoins, il donnait tous les ans cent ducats d'or, afin qu'il rendît la justice sans nul salaire. Tout le monde se trouvait si bien de ses jugements, de ses avis et de ses conseils, qu'on lui donna le titre d'Antonin-des-Conseils, avant même qu'il fût archevêque.
Notre Dame intercédant pour saint Antonin et saint Vincent Ferrier.
Dessin. Ecole des frères Caraches. XVIIe.
Quoique d'un accès si facile pour toutes les personnes qui demandaient son assistance, il se montrait néanmoins extrêmement réservé à l'égard des femmes il ne leur parlait que par nécessité, et ses yeux pudiques n'osaient les regarder. Il prêchait ordinairement les dimanches et les fêtes en quelque église de la ville, il faisait même des instructions familières et des catéchismes. Il tenait exactement ses synodes, visitait son diocèse, et enfin n'omettait rien de ce que doit faire un bon prélat. Il récitait d'abord ses Matines avec ses clercs domestiques, suivant la pratique de son Ordre mais, apprenant qu'on ne les chantait pas avec assez de respect dans la cathédrale, il voulut y assister, pour remédier à ce désordre.
Voilà quelle était la vigilance de ce saint Prélat mais ce qui est merveilleux, c'est que, parmi tant de différentes fonctions, il ne perdit jamais la solitude, la paix ni la sérénité de son coeur, parce que, comme il l'avoua lui-même à un de ses chanoines appelé François de Chastillon, il s'y était formé de bonne heure un oratoire, où il se retirait souvent. Il remit l'état ecclésiastique dans sa splendeur, et en retrancha plusieurs désordres que les guerres civiles y avaient causés. C'est pourquoi le Pape, qui connaissait la pureté de son zèle et la justice de ses jugements, défendit d'appeler des sentences qu'il aurait données. Il sut très-bien user de cette faveur à l'avantage de l'église de Florence. Il la délivra des pratiques impies, immorales et funestes de la magie de la plaie non moins déplorable de l'usure des charlatans et des comédiens. Certains joueurs avaient inventé un nouveau brelan, où la jeunesse de Florence perdait tous les jours de grosses sommes d'argent, au grand préjudice des familles ; le saint Archevêque défendit d'abord ce jeu, sous peine d'excommunication ; ensuite il allait lui-même sur les lieux et en chassait honteusement ceux qu'il y rencontrait, renversant les tables, les dés, l'argent et les jetons. Son zèle le porta encore à purger les églises de ces causeurs insolents, qui en profanent la sainteté par leurs entretiens sacriléges ; il les en chassait tous.
Saint Antonin faisant l'aumône.
Dessin. Sigismondo Coccapani. XVIIe.
Il ne craignit pas même de s'opposer aux magistrats et au bras séculier, lorsque, passant les bornes de leur puissance, ils entreprenaient sur les droits et les immunités de l'Eglise. Il réprimait leurs violences par les censures ecclésiastiques, sans appréhender les menaces qu'on lui faisait. Un jour, quelqu'un l'ayant menacé de le jeter par la fenêtre et de le faire priver de son évêché, il répondit avec calme qu'il ne se jugeait pas digne du martyre, et qu'il avait toujours désiré être déchargé de l'épiscopat ; que, dans cet espoir, il avait toujours gardé la clé de sa chambre du couvent de Saint-Marc, pour s'y retirer. Voilà quel a été le zèle de ce grand archevêque ; disons maintenant quelque chose de sa douceur et de sa compassion pour les pauvres et pour toutes sortes de malheureux.
Il divisait le revenu de son bénéfice en trois parties :
- la première, fort médiocre, était pour l'entretien de sa maison ;
- la seconde, pour la réparation du palais archiépiscopal qui tombait en ruine ;
- la troisième, pour le soulagement des pauvres, et celle-ci était la plus grosse et devint enfin presque le total, parce que le palais étant réparé, il ne pensa plus qu'aux pauvres.
Il faisait tous les jours de grandes aumônes à sa porte, sans la refuser à personne et c'était avec tant de profusion, que quelquefois il ne restait plus rien pour sa maison. Aux grandes fêtes de l'année, il distribuait deux cents ducats d'or en diverses oeuvres dé piété ; il vendait même ses meubles, ses livres et ses habits pour assister les nécessiteux avec plus de libéralité. Aussi était-il l'asile de tous ceux qui étaient dans la misère.
Saint Antonin de Florence et saint Vincent Ferrier.
Fernando Yanez de la Almedina. XVe.
En voici un bel exemple Un habitant de Florence vint le supplier de l'aider à doter trois de ses filles : le charitable Prélat n'ayant rien alors à lui donner, lui conseilla de visiter chaque jour l'église de l'Annonciade, lui assurant que Notre-Dame elle-même doterait ses filles. Comme il s'y en allait un matin, il trouva deux aveugles qui, croyant n'être entendus de personne, se racontaient l'un à l'autre leur bonne fortune l'un disait qu'il avait deux cents ducats cousus dans son bonnet, et l'autre qu'il en avait trois cents dans son pourpoint. Il avertit le saint Archevêque qui fit venir ces aveugles ; et, après leur avoir reproché leur malice, de frustrer les véritables pauvres, en recevant des aumônes dont ils n'avaient pas besoin, il les condamna à payer une amende de quatre cent cinquante ducats, qui servirent à doter les trois jeunes filles. Ce fut là un trait de prudence et de cette justice que l'on appelle distributive.
En voici un autre de charité qui n'est pas moins considérable. Le Saint, passant une fois par la rue Saint-Ambroise, aperçut, sur la maison d'une bonne veuve, des anges qui paraissaient se réjouir il voulut savoir qui étaient ceux qui y demeuraient, et il y trouva trois jeunes personnes qui, pour gagner leur pain et celui de leur mère, travaillaient jour et nuit, sans même excepter les fêtes; il en eut compassion, et leur assigna une rente annuelle pour vivre, afin qu'elles ne fussent plus obligées de travailler les fêtes. La piété et la bonne conduite disparurent avec la nécessité du travail. Saint Antonin, passant une autre fois par lé même endroit, n'y vit plus les anges, mais un démon si horrible, qu'il l'effraya de son regard : il en donna avis à la mère et aux jeunes filles, et leur retrancha une partie de son aumône, de crainte que l'oisiveté ne leur causât un plus grand malheur.
Saint Antonin. Statue. Cathédrale Saint-Pierre.
Poitiers. XVIIIe.
C'était encore trop peu, pour saint Antonin, de donner ses biens, s'il ne consacrait aussi sa personne et sa vie pour le salut de ses ouailles dans un temps de contagion, tous les riches abandonnaient Florence, pour éviter le mauvais air ; le Saint y demeura généreusement pour assister les pestiférés, et ne craignit point de les visiter et de leur administrer lui-même les Sacrements. C'est cette charité du prochain, et ce grand zèle à le servir, qui lui ont fait mettre la main à la plume au milieu de ses fonctions épiscopales, et composer tant de beaux et excellents traités pour la consolation des âmes, pour l'instruction des peuples et pour la satisfaction des savants.
C'est aussi cette charité qui lui a fait opérer tant de miracles, guérir des malades désespérés des médecins, ressusciter des morts et multiplier du pain et de l'huile. Ses paroles avaient aussi une vertu admirable car un habitant de Florence lui ayant fait présent, le premier jour de l'année, d'un panier de fruits, dans l'espérance d'en recevoir quelque bonne récompense, et voyant que le Saint, pour toute reconnaissance, ne lui disait que ce mot : " Dieu vous le rende ", il s'en alla tout mécontent. L'Archevêque le sachant le fit rappeler, et mit en sa présence le panier de fruits dans le bassin d'une balance, et dans l'autre un billet contenant ces paroles : " Dieu vous le rende ".
Le billet se trouva peser plus que le panier le pauvre homme, tout confus, lui demanda pardon. Il fit encore paraître la force de ses paroles lorsque, pour donner de la terreur à quelques personnes qui le pressaient de fulminer une sentence d'excommunication pour un sujet qui ne le méritait pas, il prit un pain blanc, sur lequel il prononça quelque anathème, et aussitôt ce pain devint plus noir que des charbons.
Translation des reliques de saint Antonin.
Détail. Domenico Passignano. XVIe.
Etant âgé de soixante-dix ans, il tomba malade d'une petite fièvre ; il prévit qu'il allait bientôt mourir, quoiqu'on lui promît une prompte guérison c'est pourquoi il reçut promptement les Sacrements, et rendit ainsi sa belle âme à Dieu avec ces paroles :
" Mes yeux sont toujours élevés vers mon Seigneur, parce que c'est lui qui dégagera mes pieds des filets."
Ce fut le 2 mai, veille de l'Ascension, l'an 1459, la treizième année de son épiscopat. Un religieux de l'Ordre de Cîteaux, qui faisait son oraison, vit monter son âme au ciel sous la forme d'un petit enfant environné d'une nuée.
Son corps, conformément à son testament, fut porté en l'église du couvent de Saint-Marc. Le pape Pie II, qui était alors à Florence, donna sept ans et autant de quarantaines d'indulgences à tous ceux qui le visiteraient et lui baiseraient les pieds. Il demeura huit jours ainsi exposé, exhalant une très-agréable odeur. H s'est fait plusieurs miracles à son tombeau, d'après lesquels le pape Adrien VI fit le décret de sa canonisation, l'an 1523. La bulle de canonisation n'a été publiée que par Clément VII, successeur d'Adrien VI.
On représente saint Antonin :
- tenant de la main gauche sa crosse épiscopale, et dans la main droite une balance où est placé, d'un côté le panier de fruits que lui apporte un paysan, et de l'autre un bout de papier avec ces mots : " Que Dieu vous le rende ".
Nous avons raconté ce trait. On prétend que le Saint se servit de la même comparaison vis-à-vis d'un hôtelier qui lui avait fourni un frugal repas dans un voyage alors l'écrit porte ces mots, qu'on récite aux grâces : alors l'écrit porte ces mots :
" Retribue dignare, Domine, omnibus nobis bona facientibus, vitam aeternam."
" Récompensez, Seigneur, par le don de la vie éternelle, tous ceux qui nous font du bien."
- On place près de lui le titre de ses ouvrages Summa theologica ; opus Chronicum, etc.
- On lui attribue aussi le lis de la virginité mais l'attribut principal du Saint est évidemment la balance.
Le corps incorrompu de saint Antonin. Vénéré en l'église Saint-Marc.
Couvent Saint-Marc. Florence. Grand duché de Toscane.
ÉCRITS DE SAINT ANTONIN
Nous avons plusieurs écrits de saint Antonin :
1. Une Somme théologique, divisée en quatre parties. On y trouve une explication des vertus et des vices, avec les motifs qui portent a'ia pratique des unes et à la fuite des autres.
2. Un Abrégé d'histoire appelé aussi Chronique tripartite, depuis la création, du monde jusqu'à l'an 1458. L'auteur montre de la sincérité et de la bonne foi ; mais il manque souvent d'exactitude lorsqu'il raconte des faits éloignés de son temps.
3. Une Petite Somme où sont renfermées les instructions nécessaires aux confesseurs.
4. Quelques Sermons et quelques Traités p particuliers sur les vertus et les vices. Voir le Père Echard, De Script. Ord. Praedict., T. Ier, p. 818, et les Ballerini, dans la vie de saint Antonin, qu'ils ont mise à la tête de leur édition des oeuvres du saintarchevêque. Le Père Mamachi a donné aussi une édition de la Somme théologique de saint Antonin, aves des notes très prolixes. Elle parut à Florence en 1741.
Le pape Clément VII fit aussi écrire sa Vie par le Père Vincent Mainard de Géminten, procureur général de l'Ordre de Saint-Dominique. C'est celle qui est rapportée au troisième volume de Surius, et que nous avons suivie pour cette hagiographie, avec d'autres documents que les continuateurs de Bollandus ont donné au public.
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jeudi, 02 mai 2024
2 mai. Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, docteur de l'Eglise. 373.
- Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, docteur de l'Eglise. 373.
Papes : Saint Marcellin ; saint Damase. Empereurs : Dioclétien ; Valens.
" En louant saint Athanase, c'est la vertu même que je loue. N'est-ce pas en effet louer la vertu que de faire l'élogede celui qui réunissait toutes les vertus dans sa personne ? Athanase fut la colonne de l'Eglise? Il devint, par sa conduite, le modèle des évêques. On était orthodoxe qu'autant que l'on professait la même doctrine que lui."
Saint Grégoire de Naziance, panégyrique de saint Athanase.
Saint Athanase. Fresque. Eglise du Saint-Sauveur.
Le cortège de notre divin Roi, qui s'accroît chaque jour d'une manière si brillante, se renforce aujourd'hui par l'arrivée de l'un des plus valeureux champions qui aient jamais combattu pour sa gloire. Est-il un nom plus illustre que celui d'Athanase parmi les gardiens de la Parole de vérité que Jésus a confiée à la terre ? Ce nom n'exprime-til pas à lui seul le courage indomptable dans la garde du dépôt sacré, la fermeté du héros en face des plus terribles épreuves, la science, le génie, l'éloquence, tout ce qui peut retracer ici-bas l'idéal de la sainteté du Pasteur unie à la doctrine de l'interprète des choses divines ? Athanase a vécu pour le Fils de Dieu ; la cause du Fils de Dieu fut la même que celle d'Athanase ; qui bénissait Athanase bénissait le Verbe éternel, et celui-là maudissait le Verbe éternel qui maudissait Athanase.
Jamais [dom Prosper Guéranger, dans L'année liturgique, écrit ici depuis le milieu du XIXe siècle] notre sainte foi ne courut sur la terre un plus grand péril que dans ces tristes jours qui suivirent la paix de l'Eglise, et furent témoins de la plus affreuse tempête que la barque de Pierre ait jamais essuyée. Satan avait en vain espéré éteindre dans des torrents de sang la race des adorateurs de Jésus ; le glaive de Dioclétien et de Galérius s'était émoussé dans leurs mains, et la croix paraissant au ciel avait proclamé le triomphe du christianisme.
Tout à coup l'Eglise victorieuse se sent ébranlée jusque dans ses fondements ; dans son audace l'enfer a vomi sur la terre une hérésie qui menace de dévorer en peu de jours le fruit de trois siècles de martyre. L'impie et obscur Arius ose dire que celui qui fut adoré comme le Fils de Dieu par tant de générations depuis les Apôtres, n'est qu'une créature plus parfaite que les autres. Une immense défection se déclare jusque dans les rangs de la hiérarchie sacrée ; la puissance des Césars se met au service de cette épouvantable apostasie ; et si le Seigneur lui-même n'intervient, les hommes diront bientôt sur la terre que la victoire du christianisme n'a eu d'autre résultat que de changer l'objet de l'idolâtrie, en substituant sur les autels une créature à d'autres qui avaient reçu l'encens avant elle.
Mais celui qui avait promis que les portes de l'enter ne prévaudraient jamais contre son Eglise, veillait à sa promesse. La foi primitive triompha; le concile de Nicée reconnut et proclama le Fils consubstantiel au Père ; mais il fallait à l'Eglise un homme en qui la cause du Verbe consubstantiel fut, pour ainsi dire, incarnée, un homme assez docte pour déjouer tous les artifices de l'hérésie, assez fort pour attirer sur lui tous ses coups, sans succomber jamais.
Fresque. Monastère Protaton. Mont-Athos. Grèce. VIIIe.
Ce fut Athanase ; quiconque adore et aime le Fils de Dieu doit aimer et glorifier Athanase. Exilé jusqu'à cinq fois de son Eglise d'Alexandrie, poursuivi à mort par les ariens, il vint chercher tantôt un refuge, et tantôt un lieu d'exil dans l'Occident, qui apprécia l'illustre confesseur de la divinité du Verbe. Pour prix de l'hospitalité que Rome s'honora de lui accorder, Athanase lui fit part de ses trésors. Admirateur et ami du grand saint Antoine, il cultivait avec une tendre affection l'élément monastique, que la grâce de l'Esprit-Saint avait fait éclore dans les déserts de son vaste patriarcat ; il porta à Rome cette précieuse semence, et les moines qu'il y amena furent les premiers que vit l'Occident. La plante céleste s'y naturalisa ; et si sa croissance fut lente d'abord, elle y fructifia dans la suite au delà de ce qu'elle avait fait en Orient.
Athanase, qui avait su exposer avec tant de clarté et de magnificence dans ses sublimes écrits le dogme fondamental du christianisme, la divinité de Jésus-Christ, a célébré le mystère de la Pâque avec une éloquente majesté dans les Lettres festales qu'il adressait chaque année aux Eglises de son patriarcat d'Alexandrie. La collection de ces lettres, que l'on regardait comme perdues sans retour, et qui n'étaient connues que par quelques courts fragments, a été retrouvée presque tout entière, dans le monastère de Sainte-Marie de Scété, en Egypte. La première, qui se rapporte à l'année 329, débute par ces paroles aux fidèles soumis à son autorité pastorale et qui expriment admirablement les sentiments que doit réveiller chez tous les chrétiens l'arrivée de la Pâque :
" Venez, mes bien-aimés, venez célébrer la fête ; l'heure présente vous y invite. En dirigeant sur nous ses divins rayons, le Soleil de justice nous annonce que l'époque de la solennité est arrivée. A cette nouvelle, faisons fête, et ne laissons pas l'allégresse s'enfuir avec le temps qui nous l'apporte, sans l'avoir goûtée."
Durant ses exils, Athanase continua d'adresser à ses peuples la Lettre pascale ; quelques années seulement en furent privées. Voici le commencement de celle par laquelle il annonçait la Pâque de l'année 338 ; elle fut envoyée de Trêves à Alexandrie :
" Bien qu'éloigné de vous, mes Frères, je n'ai garde de manquer à la coutume que j'ai toujours observée à votre égard, coutume que j'ai reçue de la tradition des Pères. Je ne resterai pas dans le silence, et je ne manquerai pas de vous annoncer l'époque de la sainte Fête annuelle, et le jour auquel vous en devez célébrer la solennité. En proie aux tribulations dont vous avez sans doute entendu parler, accablé des plus graves épreuves, placé sous la surveillance des ennemis de la vérité qui épient tout ce que j'écris, afin d'en faire une matière d'accusation et d'accroître par là mes maux, je sens néanmoins que le Seigneur me donne de la force et me console dans mes angoisses. J'ose donc vous adresser la proclamation annuelle, et c'est au milieu de mes chagrins, à travers les embûches qui m'environnent, que je vous envoie des extrémités de la terre l'annonce de la Pâque qui est notre salut. Remettant mon sort entre les mains du Seigneur, j'ai voulu célébrer avec vous cette fête : la distance des lieux nous sépare, mais je ne suis pas absent de vous. Le Seigneur qui accorde les fêtes, qui est lui-même notre fête, qui nous fait don de son Esprit, nous réunit spirituellement par le lien de la concorde et de la paix."
Qu'elle est magnifique, cette Pâque célébrée par Athanase exilé sur les bords du Rhin, en union avec son peuple qui la fêtait sur les rives du Nil ! Comme elle révèle le lien puissant de la sainte Liturgie pour unir les hommes et leur faire goûter au même moment, et en dépit des distances, les mêmes émotions saintes, pour réveiller en eux les mêmes aspirations de vertu ! Grecs ou barbares, l'Eglise est notre patrie commune ; mais la Liturgie est, avec la Foi, le milieu dans lequel nous ne formons tous qu'une même famille, et la Liturgie n'a rien de plus expressif dans le sens de l'unité que la célébration de la Pâque. Les malheureuses Eglises de l'Orient et de l'empire russe, en s'isolant du reste du monde chrétien pour fêter à un jour qui n'est qu'à elles la Résurrection du Sauveur, montrent déjà par ce seul fait qu'elles ne font pas partie de l'unique bergerie dont il est l'unique pasteur.
Eglise Sainte-Colombe. La Flèche. Maine. XIXe.
Une lutte perpétuelle est l'inévitable condition du bien dans l'humanité déchue. Dieu le fit voir à son Eglise, lorsque, après avoir si glorieusement vaincu la persécution, elle eut à repousser les attaques non moins formidables de l'hérésie. Celle-ci, il est vrai, dès l'apparition du Christianisme, avait cherché à troubler les conquêtes de la foi ; mais, devant le glaive des tyrans et la gloire des martyrs, elle avait fait peu de bruit et obtenu peu de succès.
Pour comprendre la vie de saint Athanase, il est nécessaire de connaître le schisme de Mélécien et l'hérésie arienne. Saint Pierre, prédécesseur d'Achillas sur le siège d'Alexandrie, par son indulgence envers les Chrétiens qui avaient offert de l'encens aux idoles pour échapper à la mort et qui s'en repentaient, avait déplu à Mélèce, évêque de Lycopolis. Ce dernier se sépara de la communion de Pierre et forma un schisme ; ses partisans prirent le nom de Méléciens. Arius, qui des sables de la Libye était venu chercher fortune dans la capitale de l'Egypte, se joignit à ces schismatiques.
Néanmoins, il parvint à gagner, par un faux repentir, les bonnes grâces d'Achillas, patriarche d'Alexandrie, qui l'éleva au sacerdoce et lui confia le gouvernement d'une de ses paroisses nommée Baucolis.
Ce n'était pas assez pour son ambition : il aspirait au patriarcat ; mais saint Alexandre lui fut justement préféré, pour sa piété, sa charité envers les pauvres, sa science sacrée et son éloquence. Blessé dans son orgueil et voulant à toute fin jouer un rôle dans le monde, il se fit chef d'une nouvelle doctrine, qui fut bientôt déclarée hérétique.
Il enseignait que Notre Seigneur Jésus-Christ n'est pas Dieu, mais une simple créature, plus parfaite que les autres, et formée avant elles, non pas cependant de toute éternité.
Or, si Notre Seigneur Jésus-Christ n'est pas Dieu, à quoi aboutissent les espérances des Chrétiens !?
Arius ne négligea rien pour répandre ces erreurs dans le peuple ; il alla jusqu'à les mettre en chansons pour les ouvriers, les meuniers, les matelots, les voyageurs.
Alexandre, n'ayant pu ramener cet hérésiarque par les voies de la douceur, le fit condamner par un concile tenu à Alexandrie, et écrivit aux évêques qui n'avaient pu y assister, pour leur en faire connaître les décisions.
Jamais, peut-être, aucun chef d'hérésie ne posséda à un plus haut degré qu'Arius les qualités propres à ce maudit et funeste rôle. Instruit dans les lettres et dans la philosophie des Grecs, doué d'une rare souplesse de dialectique et de langage, il excellait à donner à l'erreur les traits et le charme de la vérité? Son extérieur aidait à la séduction. D'un âge déjà avancé, il joignait à une haute taille la dignité du vieillard. Son orgueil se dérobait sous un vêtement simple, sous un visage modeste, recueilli, mortifié, qui lui donnait un faux air de sainteté, et avec lequel il savait allier un abord gracieux, un ton doux et insinuant.
Saint Athanase. Icône. Prizren. Kossovo. XXe.
Banni du sanctuaire, il quitta Alexandrie où il s'était fait déjà de nombreux partisans, et alla demander asile à Eusèbe, évêque de Césarée, dans la Palestine. Celui-ci était l'un des plus savants hommes de son siècle et l'auteur d'excellents ouvrages pour lesquels la postérité a partagé l'admiration de ses contemporains. Par son habileté dialectique, il sut entrer dans les grâces d'Eusèbe et obtenir de lui sa neutralité. Il sut alors intéresser plusieurs autres évêques de la région et en particulier un autre Eusèbe, parent de la famille impériale, qui avait apostasié dans la dernière persécution, et qui, de sa propre autorité, avait osé abandonner le siège de Béryte, en Judée, pour celui de Nicomédie, siège de la cour impériale.
Son rang, sa naissance, sa réputation donnait à cet Eusèbe un ascendant certain. Il fit venir Arius à Nicomédie, prit son parti et revendiqua auprès de la cour impériale son " rétablissement " sur le siège d'Alexandrie. Alexandre fut intraitable et renouvella ses condamnations.
L'empereur Constantin fut très irrité de ce trouble religieux qui agitait ses états. L'Eusèbe de Nicomédie lui représenta que le différent entre Alexandre et Arius n'était qu'une vaine querelle de mots et que l'origine de ces troubles devait être attribuée au zèle amer d'Alexandre et non point à Arius.
Fort de cette présentation mensongère, l'empereur écrivit alors aux deux parties, et députa Osius, évêque de Cordoue, en les exhortant à la concorde et à la réconciliation. Mais le mal gagnait et ses exhortations ne servirent à rien, si ce n'est peut-être, hélas, à confortéer Arius et ses sectateurs.
La mission d'Osius ne fut pas vaines. Celui-ci mesura à quel point Arius était de mauvaise foi et à quel point le parti d'Alexandre, pour ferme qu'il était, était la marque du pilier inébranlable qui soutien la vraie foi. Cela lui inspira, afin, entre autre, d'éclairer toute l'Eglise sur la perversité d'Arius, de préparer un concile, qui se réunit à Nicée, non loin de Nicomédie, en 325.
Parmi les 318 éminents participants à ce concile, il ne s'en trouva que 17 qui était infectés de l'hérésie d'Arius. Depuis le 19 juin jusqu'au 25 août, on discuta de divers points de dogme et de discipline, jusqu'au jour où Arius vint exposer sa doctrine. Les Pères du concile avaioent bien du mal à écouter calmement les monstruosités de l'hérésiarques.
Enfin, on présenta les conclusions dans une séance solennelle, qu'Osius présidait à la place du pape et en présence de l'empereur. L'hérésie fut terrassée devant le terme consubstantiel, expression aussi concise qu'énergique de l'unité de nature dans les trois personnes divines. L'univers répéta avec transport le symbole de Nicée, magnifique développement du symbole des Apôtres, hymne sublime de foi, d'amouret de reconnaissance.
Les évêques ariens le souscrivirent, après plus ou moins de résistance, à l'exception de deux, qui furent déposés par le concile et, avec Arius, condamnés par l'empereur au bannissement.
Parmi ceux qui, au concile, furent des plus décisifs adversaires d'Arius, se distingua un jeune lévite, savant, fort dans la foi, éloquent et simple à la fois, et qui déjoua les voies les plus perverses de l'hérésiarque jusqu'à ce qu'il soit confondu tout de bon : saint Athanase. Cette contribution déterminante à la victoire de l'Eglise lui attira définitivement une haine implacable et jamais démentie de la part des Ariens par lui confondus.
Enfant d'une famille distinguée et chrétienne d'Alexandrie, il s'était attaché de bonne heure à saint Alexandre qui l'avait élevé et aimé comme un fils. Progressant rapidement dans les lettres et la piété, il combla de joie son saint maître au point que celui-ci, nous l'avons vu, se l'attacha pour aller au concile de Nicée, alors qu'Athanase n'était encore que diacre.
Mais la haine des Ariens se poursuivit. La malice des hérétiques ne servit qu'à faire ressortir l'énergie de cette volonté de fer, la sainteté de ce grand coeur, les ressources de cet esprit fécond, la splendeur de ce fier génie. Exilé par l'empereur Constantin, il lui fit cette réponse :
" Puisque vous cédez à mes calomniateurs, le Seigneur jugera entre vous et moi."
Et certes, avant de mourir, Constantin le rappela, et Athanase fut reçu en triomphe dans sa ville épiscopale. Le vaillant champion de la foi eut à subir bientôt un nouvel exil, et deux conciles ariens ne craignirent pas de pousser la mauvaise foi et l'audace jusqu'à le déposer de son siège.
Dans un concile réuni à Tyr, et composé d'évêques ariens pour la plupart, ils subornèrent une femme pour lui faire dire qu'Athanase, étant logé chez elle, lui avait fait violence. Il fut donc introduit, et avec lui l'un de ses prêtres nommé Timothée, qui, feignant d'être Athanase, s'adressa ainsi à cette femme :
" C'est donc moi qui ai logé chez vous, moi qui vous ai violée ?
— Oui ! répondit-elle effrontément ; c'est vous qui m'avez fait violence " ; et elle affirmait le fait avec serment, implorant la justice des évêques pour être vengée d'une telle injure. La fourberie fut ainsi découverte, et l'impudence de cette femme fut confondue.
Les Ariens firent aussi courir le bruit qu'un évêque nommé Arsène avait été assassiné par Athanase. Ils tinrent cet évêque caché, et produisirent la main d'un mort, accusant Athanase d'avoir coupé cette main à Arsène pour s'en servir dans des opérations magiques. Mais Arsène, s'étant échappé de nuit, vint se présenter devant le concile, et par sa présence dévoila la scélératesse impudente des ennemis d'Athanase. Ils ne laissèrent pas de dire que la justification d'Athanase était le résultat d'opérations magiques, et ne cessèrent de conspirer contre sa vie. Ils le firent exiler, et il fut relégué à Trêves dans la Gaule.
Sous le règne de l'empereur Constance, qui était fauteur des ariens, Athanase fut agité par de longues et rudes tempêtes : il eut à souffrir d'incroyables persécutions, et parcourut une grande partie du monde romain. Chassé diverses fois de son Eglise, dont un long temps qu'il passa dans les Gaules à Trèves, où il se lia avec l'évêque de ce siège, saint Maximin, il y fut rétabli à plusieurs reprises par l'autorité du pape Jules, par la protection de l'empereur Constant, frère de Constance, par les décrets du Concile de Sardique et de celui de Jérusalem. Mais les ariens ne cessèrent pas un seul jour d'être ses ennemis acharnés. Leur fureur opiniâtre le réduisit jusqu'à chercher une retraite dans une citerne pour éviter la mort, et il demeura là cinq ans, sans avoir d'autre confident qu'un de ses amis qui lui portait en secret sa nourriture.
Après la mort de Constance, Julien l'Apostat, qui lui succéda à l'empire, ayant permis aux évoques exilés de retourner à leurs Eglises, Athanase rentra dans Alexandrie, et y fut reçu avec de grands honneurs. Mais peu après, par l'intrigue des mêmes ariens, il se vit persécuté par Julien, et obligé à s'éloigner encore. Les satellites de ce prince le poursuivant pour le mettre à mort, il fit retourner exprès vers eux le vaisseau sur lequel il s'enfuyait, et dans la rencontre ceux-ci avant demandé combien Athanase était loin encore, il leur répondit lui-même qu'il l'était peu.
Ils continuèrent ainsi à le poursuivre en lui tournant le dos ; et, s'étant ainsi sauvé de leurs mains, il rentra à Alexandrie, et s'y tint caché jusqu'à la mort de Julien. Une autre tempête s'étant élevée contre lui, il demeura caché durant quatre mois dans le sépulcre de son père.
Enfin, délivré par le secours divin de tant de périls de tous genres, il mourut dans son lit à Alexandrie, sous Valens. Sa vie et sa mort furent illustrées par de grands miracles. Il a compose beaucoup d'ouvrages célèbres, dans lesquels il a pour but de nourrir la piété et d'éclaircir la foi catholique. Il gouverna très saintement l'Eglise d'Alexandrie, durant quarante-six ans, au milieu des plus étonnantes vicissitudes.
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samedi, 27 avril 2024
27 avril. Saint Anastase Ier, pape. 401.
- Saint Anastase Ier, pape. 401.
Empereur d'Occident : Honorius. Empereur d'Orient : Arcadius.
" La patience, c'est le martyre."
Saint Bonaventure.
Saint Anastase Ier. Maître de Saint-Ildefonse. Esapgne. XVe.
Saint Anastase, romain d'origine, était fils de Maxime, et fut, après la mort de saint Sirice, ordonné évêque de Rome. Pendant qu'il gouvernait avec éclat, l'hérésie, accréditée sous le nom d'Origène, partie des régions de l'Orient, vint fondre sur l'Eglise comme une violente tempête, et menaça de troubler la pure doctrine et d'ébranler la vraie foi. Il était un homme " d'une très-riche pauvreté et d'une sollicitude apostolique " (Saint Jérôme).
Saint Anastase, ayant vu le monstre de l'erreur lever sa tête funeste, se hâta de lui porter un coup mortel ; il fit taire tous les sifflements de l'hydre. Les hérétiques eurent beau se cacher, il sut les faire sortir de leurs retraites obscures ; par ses lettres, il condamna en Occident ce qui avait été déjà condamné en Orient. Le zèle ne lui tit jamais défaut pour veiller à la garde de la foi de ses peuples. Aucune province de son empire spirituel, en quelque lieu de la terre qu'elle fût située, n'échappait à sa surveillance ses lettres avaient partout prévenir les fausses doctrines, ou les anéantir.
Un concile de l'église d'Afrique lui envoya, ainsi qu'à Vénérius, évêque de Milan, un évêque en députation pour obtenir du secours en faveur de cette Eglise alors affligée d'une grave disette de ministres sacrés, et exposée à voir périr un grand nombre d'âmes au milieu de populations plongées dans la misère, parmi lesquelles on n'aurait pas trouvé même un diacre ou un homme lettré.
Saint Anastase écrivit à ces mêmes évêques d'Afrique, les exhortant avec la sollicitude et la sincérité d'une charité paternelle et fraternelle tout ensemble, s'opposer ouvertement et avec vigueur aux piéges et aux fraudes perverses dont se servaient les Donatistes pour faire la guerre à l'Eglise catholique. Ce fut par l'autorité de ce Pontife que l'on décida que les évêques donatistes, et les clercs de tous ordres seraient reçus dans l'unité catholique, pour y exercer les offices ecclésiastiques selon qu'il paraitrait expédient à ceux qui avaient intérêt pour leur salut à l'exercice ou à la suspension de leur ministère.
Il arrêta que nul homme d'outre-mer ne serait admis à l'honneur de la déricature sans une lettre signée par cinq évêques. Il régla que la lecture des saints évangiles serait faite par les prêtres, non pas assis, mais debout et inclinés. Il construisit, dans la ville de Rome, la basilique Crescentienne, située dans la deuxième région, sur la voie Mamertine.
En deux ordinations faites au mois de décembre, il créa huit prêtres, cinq diacres et des éveqnes pour divers diocèses ; enfin il s'endormit en paix, et fut enseveli dans le cimetière de l'Orso Pileato (ainsi nommé d'un joueur de paume qui s'appelait Ursus Pileatus et qui avait son mausolée en cet endroit), sous les empereurs Arcadius et Honorius.
Saint Jérôme écrit que l'Eglise n'eut pas longtemps le bonheur de le posséder, de peur que Rome, la tête du monde, ne tombât sous un si grand évêque il fut ravi et transporté dans l'autre monde, le royaume de la vraie vie, afin qu'il n'entreprit pas de s'opposer par ses prières à l'exécution d'une sentence irrévocable car, peu de temps après sa mort, Rome fut prise par les Goths et saccagée.
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dimanche, 21 avril 2024
21 avril. Saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, Docteur de l'Eglise. 1109.
Saint Anselme in Proslogium.
Saint Anselme apprenant sa nomination à Cantorbéry par le roi Guillaume le Conquérant en personne.
Moine, Evêque et Docteur, Anselme réunit en sa personne ces trois grands apanages du chrétien privilégié ; et si l'auréole du martyre n'est pas venue apporter le dernier lustre à ce noble faisceau de tant de gloires, on peut dire que la palme a manqué à Anselme, mais qu'il n'a pas manqué à la palme. Son nom rappelle la mansuétude de l'homme du cloître unie à la fermeté épiscopale, la science jointe à la piété ; nulle mémoire n'a été à la fois plus douce et plus éclatante.
Le Piémont le donna à la France et à l'Ordre de saint Benoît. Anselme, dans l'abbaye du Bec, réalisa pleinement le type de l'Abbé tel que l'a tracé le Patriarche des moines d'Occident : " Plus servir que commander."
Il fut de la part de ses frères l'objet d'une affection sans égale, et dont l'expression est arrivée jusqu'à nous. Sa vie leur appartenait tout entière, soit qu'il s'appliquât à les conduire à Dieu, soit qu'il prît plaisir à les initier aux sublimes spéculations de son intelligence. Un jour il leur fut enlevé malgré tous ses efforts, et contraint de s'asseoir sur la chaire archiépiscopale de Cantorbéry. Successeur en ce siège des Augustin, des Dunstan, des Elphège, des Lanfranc, il fut digne de porter le pallium après eux, et par ses nobles exemples, il ouvrit la voie à l'illustre martyr Thomas qui lui succéda de si près.
Bas-relief. Abbatiale de l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes.
Sa vie pastorale fut tout entière aux luttes pour la liberté de l'Eglise. En lui l'agneau revêtit la vigueur du lion :
" Le Christ ne veut pas d'une esclave pour épouse ; il n'aime rien tant en ce monde que la liberté de son Eglise."
Le temps n'est plus où ce Fils de Dieu consentait à être enchaîné par d'indignes liens, afin de nous affranchir de nos péchés ; il est ressuscité glorieux, et il veut que son épouse soit libre comme lui. Dans tous les siècles, elle a à combattre pour cette liberté sacrée, sans laquelle elle ne pourrait remplir ici-bas le ministère de salut que son Epoux divin lui a confié. Jaloux de son influence, les princes de la terre, qui n'ignorent pas qu'elle est reine, se sont ingéniés à lui créer mille entraves.
De nos jours [Nous reprenons ici la notice de dom Prosper Guéranger dans L'année liturgique, et qui parle donc dans la deuxième moitié du XIXe siècle], un grand nombre de ses enfants ont perdu jusqu'à la notion des franchises auxquelles elles a droit : sans aucun souci de sa royauté, il ne lui désirent d'autre liberté que celle qu'elle partagera avec les sectes qu'elle condamne ; ils ne peuvent comprendre que, dans de telles conditions, l'Eglise que le Christ a faite pour régner, est en esclavage.
Ce n'est pas ainsi qu'Anselme l'entendait ; et tout enfant de l'Eglise doit avoir de telles utopies en horreur. Les grands mots de progrès et de société moderne ne sauraient le séduire ; il sait que l'Eglise n'a pas d'égale ici-bas ; et s'il voit le monde en proie aux plus terribles convulsions, incapable de s'asseoir désormais sur un fondement stable, tout s'explique pour lui par cette raison que l'Eglise n'est plus reine. Le droit de notre Mère n'est pas seulement d'être reconnue pour ce qu'elle est dans le secret de la pensée de chacun de ses fidèles ; il lui faut l'appui extérieur. Jésus lui a promis les nations en héritage ; elle les a possédées selon cette divine promesse ; mais aujourd'hui, s'il advient qu'un peuple la mette hors la loi, en lui offrant une égale protection avec toutes les sectes qu'elle a expulsées de son sein, mille acclamations se font entendre à la louange de ce prétendu progrès, et des voix connues et aimées, se mêlent à ces clameurs.
Dessin. Anonyme d'après Raphaël. XVIe.
De telles épreuves furent épargnées à Anselme. La brutalité des rois normands était moins à redouter que ces systèmes perfides qui sapent par la base jusqu'à l'idée même de l'Eglise, et font regretter la persécution ouverte. Le torrent renverse tout sur son passage ; mais tout renaît aussi lorsque sa source est tarie. Il en est autrement quand les eaux débordées envahissent la terre en l'entraînant après elles.
Tenons-le pour sûr : le jour où l'Eglise, la céleste colombe, n'aura plus ici-bas où poser son pied avec honneur, le ciel s'ouvrira, et elle prendra son vol pour sa patrie céleste, laissant le monde à la veille de voir descendre le juge du dernier jour.
Anselme docteur n'est pas moins admirable qu'Anselme pontife. Sa haute et tranquille intelligence se plut dans la contemplation des vérités divines ; elle en chercha les rapports et l'harmonie, et le produit de ces nobles labeurs occupe un rang supérieur dans le dépôt où se conservent les richesses de la théologie catholique. Dieu avait départi à Anselme le génie. Ses combats, sa vie agitée, ne purent le distraire de ses saintes et dures études, et, sur le chemin de ses exils, il allait méditant sur Dieu et ses mystères, étendant pour lui-même et pour la postérité le champ déjà si vaste des investigations respectueuses de la raison dans les domaines de la foi.
Bas-relief. Lucca della Robbia. Empoli. XVIe.
Anselme, né dans la ville d'Aoste, aux confins de l'Italie, eut pour père Gondulphe et pour mère Hermenberge, nobles et catholiques parents. Dès ses tendres années son assiduité à l'étude et son élan vers la vie parfaite firent pressentir qu'un jour il brillerait à la fois par la sainteté et la doctrine. La fougue de la jeunesse l'entraîna cependant quelque temps dans les plaisirs du siècle ; mais bientôt il se sentit attiré de nouveau aux habitudes de sa vie antérieure.
Renonçant alors à son pays et à sa fortune, il se rendit à l'abbaye du Bec, de l'Ordre de saint Benoît. Ce fut là qu'il émit sa profession religieuse sous l'Abbé Herluin, prélat très zélé pour l'observance, au temps du très docte Lanfranc. La ferveur de sa vie et son application continuelle à s'avancer dans la science et les vertus développèrent tellement ses dispositions, qu'on le regarda bientôt comme un modèle admirable de sainteté et de doctrine.
Son abstinence et sa sobriété étaient si grandes, que l'assiduité au jeûne avait détruit en lui le sentiment des besoins du corps. Il employait le jour aux exercices monastiques, à l'enseignement et à écrire des réponses aux diverses questions qu'on lui adressait sur la religion, et dérobait la plus grande partie de la nuit au sommeil pour rafraîchir son âme dans les méditations divines, auxquelles il se livrait avec une grande abondance de larmes.
Elu Prieur du monastère, il sut se concilier, par sa charité, son humilité et sa prudence, les frères qui lui étaient contraires, à tel point que ces hommes qu'il avait eus pour rivaux s'attachèrent étroitement à lui, en même temps qu'ils se rapprochaient de Dieu : ce qui ne contribua pas peu à l'avancement de l'observance religieuse dans le monastère. A la mort de l'Abbé, Anselme fut établi malgré lui à sa place. Ce fut alors que sa réputation de science et de sainteté se répandit au loin, et le rendit l'objet de la vénération des princes et des évêques. Saint Grégoire VII l'honora de son amitié, et au milieu des grandes épreuves qu'il avait à subir, ce Pontife lui adressa des lettres remplies d'affection, dans lesquelles il recommandait à ses prières sa personne et l'Eglise catholique.
Saint Anselme prit naturellement parti pour son successeur Urbain II contre l'antipape Clément III.
Manuscrit anglais du XIIIe.
A la mort de saint Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, son ancien maître (que l'on fête au 28 mai), saint Anselme se vit contraint par les instances de Guillaume, roi d'Angleterre, ainsi que du clergé et du peuple, à accepter le gouvernement de cette Eglise. Tout aussitôt il s'appliqua à la réforme des moeurs très relâchées de son peuple, et employant d'abord à cet effet ses discours et ses propres exemples, ensuite ses écrits, auxquels il joignit la célébration des conciles, il vint à bout de rétablir la piété antique et la discipline de l'Eglise. Mais bientôt le même roi Guillaume ayant voulu usurper les droits de l'Eglise, et joignant à cet effet la violence aux menaces, Anselme lui résista avec une constance sacerdotale.
Dépouillé des possessions de son siège et condamné à l'exil, il se rendit à Rome auprès d'Urbain II, qui le reçut avec honneur, et le combla de louanges dans le concile de Bari, où Anselme démontra contre l'erreur des Grecs, par d'innombrables témoignages des Ecritures et des saints Pères, que le Saint-Esprit procède aussi du Fils.
Vision de saint Anselme. XVIIIe.
Saint Anselme de Cantorbéry est connu du monde profane pour son établissement des preuves de l'existence de Dieu. Il est utile de savoir que son principal souçi en la matière n'était pas à proprement parler de " prouver l'existe,ce de Dieu ", mais de démontrer principalement, contre l'avis du moine de l'abbaye de Marmoutiers Gaunilon qui soutenait que la foi suffsait et que l'existence de Dieu n'était pas démontrable rationnellement, que la raison, sous l'empire de la foi, accède aux preuves de l'existence de Dieu.
Rappelé en Angleterre, après la mort de Guillaume, par le roi Henri son frère, Anselme s'endormit bientôt dans le Seigneur. Non seulement la renommée de ses miracles et de sa sainteté, ainsi que son insigne dévotion envers la Passion de notre Seigneur et la bienheureuse Vierge sa Mère, l'ont rendu célèbre ; mais il s'est encore illustré par sa doctrine, qui a servi puissamment à la défense de la religion chrétienne, à l'avancement des âmes, en même temps qu'elle a frayé la voie à tous les théologiens qui ont traité la science sacrée selon la méthode scolastique, au point que l'on sent, à la lecture de ses livres, que c’est au ciel même que le ce saint docteur l'a puisée, appuyé fermement sur une dévotion profonde à Notre Dame la très sainte Vierge Marie, dont il soutint, exposa et démontra l'Immaculée conception.
L'Immaculée conception avec saint Anselme et saint Martin.
Très affaibli au seuil de cette vie, un moine qui le veillait lui cita l'Evangile :
" Puisque vous avez été ferme avec moi dans la lutte et dans les tentations, voici que je vais vous préparer le ryaume que mon Père m'a préparé à moi-même, pour que vous mangiez et buviez avec moi, dans mon royaume." (Joan. XXII, 23.).
Saint Anselme sourit et leva les yeux au ciel ; sa respiration devint plus lente. Il se fit mettre sur de la cendre, reçut le saint Viatique et l'Extrême onction (la sainte huile, dont il ne restait que quelques gouttes, s'accrut miraculeusement à cette occasion), et expira le 21 avril 1109. Il fut enterré dans la cathédrale de Cantorbéry.
Canonisé en 1494, il a été mis au rang des docteurs de l'Église par Clément XI en 1720.
Les titres de ses principaux ouvrages, outre le Proslogium déjà cité :
- Monologium de essentia divinitatis, sive exemplum meditandi de ratione fidei ;
- Cur Deus homo ;
- De concordia praescientiae et praedestinationis necnon gratiae Dei cum libero arbitrio ;
- Liber de Conceptu virginali et originali peccato ;
- Liber apologeticus contra Gaunilonem respondentem pro insipiente ;
- De fïde Trinitatis ;
- De Incarnatione Verbi contra blasphemias Roscelini ;
- De casu Diaboli, dialogues ;
- De processione Sancti Spiritus, traité dirigé contre l'Église grecque, dont Anselme avait combattu la doctrine au concile de Bari.
Rq :
- On trouvera la liste des écrits de saint Anselme, ainsi qu'une solide notice biographique, dans la patrologie de M. l'abbé Migne, parue au XIXe, et disponible sur le site de la Bibliothèque natinale de France, Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k209868f.pagination.
- On trouvera une notice hagiographique dans les Petits Bollandistes (T. IV, pp 567 et suiv.) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30734t.pagination.
- On trouvera une version latine de la vie de saint Anselme écrite par son secrétaire, le moine Eadmer : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50356f.
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jeudi, 18 avril 2024
18 avril. Saint Apollinaire de Rome (ou Apollonius), apologiste de la religion chrétienne, martyr. 186.
- Saint Apollinaire de Rome (ou Apollonius ou encore Apollone), apologiste de la religion chrétienne, martyr. 186.
Pape : saint Eleuthère. Empereurs romains : Marc-Aurèle ; Commode.
" Eh bien ! A quoi t'es-tu décidé ?
- A demeurer ferme dans ma religion, comme je te l'avais dit auparavant."
Procès-verbal des auditions de saint Appollonius de Rome inséré dans les Actes authentiques de son martyre.
Marc-Aurèle avait persécuté la religion chrétienne par zèle pour le paganisme. Son fils Commode, qui lui succéda en 180, fut, quoique très-vicieux, moins cruel envers les disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ ; il les favorisa même, en considération de Marcia, qu'il avait honorée du titre d'impératrice. Ce n'était pas que cette femme crût en Notre Seigneur Jésus-Christ ; mais elle s'intéressait fort à une religion dont les maximes lui paraissaient admirables. A la faveur de ce calme, l'Eglise vit augmenter prodigieusement le nombre de ses enfants. Plusieurs personnes de la première qualité se rangèrent sous les étendards de la Croix.
On comptait le sénateur Appollonius parmi ceux qui avaient abjuré l'idolâtrie. Appollonius était fort distingué par son mérite dans les belles-lettres et la philosophie. A peine eut-il connu la vérité qu'il étudia avec autant de succès que d'ardeur l'Ecirture sainte. Il vivait tranquille dans la pratique des bonnes oeuvres, lorsqu'un de ses exclaves, nommé Sévère, l'accusa dêtre chrétien devant Perrenia, préfet du prétoire. Sévère eut les jambes cassées et fut condamné à mort conformément à un édit de Marc-Aurèle, qui avait prononcé la peine de mort contre les accusateurs des Chrétiens, quoiqu'il n'eût point révoqué les lois portées antérieurement contre ces derniers.
A ce sujet, il faut noter que rien n'est plus étrange que la jurisprudence des Romains par rapport aux Chrétiens. On en la preuve dans cet édit et, entre autres, dans la réponse de Trajan à Pline le Jeune, lequel défendait de rechercher les Chrétiens et ordonnait en même temps de les condamner, s'ils étaient déférés en justice pour leur religion. Cela fait très justement dire à Tertullien :
" Quelle inconséquence ! D'où vient que vous êtes contraires à vous-même ? Si vous jugez que nous devons être punis, pourquoi n'approuvez-vous pas que l'on nous recherche ? Et s'il vous semble que nous ne devons point être recherchés, pourquoi ne prononcez-vous pas notre absolution ?"
L'empereur Marc-Aurèle, Marcus Aurelius Antoninus Augustus.
Cet empereur avait un fond de faiblesse qui le disposa, entre autre,
à écouter sans rougir les sottises d'un Sextus, et à être,
sous des apparences de prudence et de stoïcisme,
d'une indécision coupable vis-à-vis des Chrétiens.
Mais revenons à saint Appollonius. Saint Eusèbe de Césarée raconte son martyre et saint Jérôme rappelle sa qualité de sénateur. La découverte récente des actes authentiques (début du XIXe siècle) permet de compléter ces détails. Apollonius avait donc été dénoncé comme chrétien par un délateur de ses esclaves nommé Sévère nous l'avons vu. Il fut traduit par Perennia, préfet du prétoire, devant le Sénat. En cette circonstance Apollonius présenta au Sénat, pour sa défense, une apologie en règle du christianisme.
La longueur des discours d'Apollonius fut en effet conséquente puisque sa qualité de sénateur fit qu'on lui permit de s'expliquer comme il le souhaitait. En plein Sénat, il fit une excellente et très solide apologie de la vraie religion. Malheureusement cette pièce ne nous est pas parvenue. Saint Jérôme, qui l'avait lue, rapporte que l'élégance et la sûreté s'y trouvaient réunies à une connaissance profonde de la littérature sacrée et profane.
Trois jours après la comparution devant le Sénat il fut interrogé par le préfet seul. Il persista dans sa confession et fut condamné à être décapité. C'est ce que nous allons lire maintenant.
Le Christ, qui donne toutes choses, prépare une couronne de justice aux hommes de bonne volonté qui se tiennent attachés fermement à la foi en Dieu ; quant aux élus de Dieu, ils sont appelés à lui afin que, ayant livré le bon combat avec courage, ils obtiennent la réalisation des promesses qu'un Dieu, ennemi du mensonge, a faites à ceux qui l'aiment et qui croient en lui de toute leur âme.
L'un d'entre eux fut le saint martyr et vaillant champion du Christ, Apollonius. Il passa à Rome une existence remplie par les exercices de la piété et de l'ascèse, et, impatient de posséder le gage de sa vocation, il fut au nombre de ceux qui rendirent témoignage à Jésus-Christ ; ce qu'il fit en présence du Sénat et du préfet Terentius. Il s'exprima avec une grande hardiesse. Voici le procès-verbal de sa déposition.
Bréviaire franciscain. XVe.
Le préfet donna ordre d'introduire Apollonius devant le Sénat, il lui dit :
" Apollonius, pourquoi résistes-tu aux lois invincibles et, aux décrets des empereurs et refuses-tu de sacrifier aux dieux ?"
Apollonius lui répondit :
" Parce que je suis Chrétien, c'est pourquoi je crains Dieu qui a fait le ciel et la terre et je ne sacrifie pas aux faux dieux.
- Tu dois te repentir de ces pensées à cause des édits des empereurs, et prêter serment par la fortune de Commode."
Apollonius exposa alors hautement et souverainement sa conduite :
" Ecoutez maintenant l'exposé de ma conduite. Celui qui regrette ses actions justes et vertueuses est impie et n'a pas d'espérance ; celui au contraire qui se repent de ses actions contraires aux lois et de ses pensées coupables et n'y retombe plus, celui-là aime Dieu et s'essaye à faire passer son expérience dans la réalité. En ce qui me concerne, je suis absolument résolu d'observer le beau et glorieux commandement de Dieu que nous a enseigné. Notre-Seigneur le Christ à qui la pensée de l'homme est révélée et qui voit tout ce qui se fait en secret comme à découvert. Sans doute, il est préférable de ne pas jurer du tout, mais de vivre en toutes choses dans la paix et dans la foi. La vérité n'est-elle pas en elle-même un grand serment ? Et pour la même raison il est mauvais et répréhensible de jurer par le Christ, mais le mensonge a produit les mécréants à cause desquels on a employé le serment. Je veux jurer volontairement, par le vrai Dieu, que nous aussi nous aimons l'empereur et prions pour lui."
Le préfet repartit :
" Approche alors, et sacrifie à Apollon, et aux autres dieux, et à l'image de l'empereur."
- Quant à changer d'idées ou à prêter serment je m'en suis expliqué. En ce qui concerne le sacrifice, les Chrétiens et moi nous offrons un sacrifice non sanglant à Dieu, Maître du ciel et de la terre, et de la mer et de tout ce qui a la vie, et nous offrons ce sacrifice non pas à l'image, mais pour les personnes douées d'intelligence et de raison qui ont été choisies de Dieu pour gouverner les hommes. Voilà pourquoi, conformément aux ordres du Dieu à qui il appartient de commander, nous offrons nos prières à celui qui habite dans le ciel, au seul Dieu qui puisse gouverner la terre avec justice, tenant pour assuré que l'empereur tient de Lui ce qu'il est, et d'aucun autre, si ce n'est du Roi, du Dieu, qui tient toutes choses dans sa main."
- A coup sûr ce n'est pas pour philosopher qu'on t'a amené ici. Je te laisse un jour de répit, tu peux réfléchir sur tes intérêts et choisir la vie ou la mort."
Et il le fit reconduire en prison.
L'empereur Commode, Lucius Aelius Aurelius Commodus, sous le
règne duquel le sénateur saint Appollonius souffrit son martyre.
Trois jours après le préfet le fit comparaître de nouveau et lui dit :
" Eh bien ! A quoi t'es-tu décidé ?
- A demeurer ferme dans ma religion, comme je te l'avais dit auparavant, répondit Apollonius.
- Vu le décret du Sénat je te réitère de te repentir et de sacrifier aux dieux auxquels la terre entière rend hommage et offre des sacrifices ; il est préférable pour toi de vivre parmi nous plutôt que souffrir une mort avilissante. Il me semble que tu ne dois pas ignorer le décret du Sénat.
- Je sais le commandement du Dieu tout-puissant et je demeure ferme dans ma religion, je ne rends pas hommage aux idoles fabriquées de main d'homme, façonnées avec de l'or, de l'argent, ou du bois ; qui ne peuvent ni voir, ni entendre, parce qu'elles sont l'ouvrage d'hommes qui ignorent le vrai service de Dieu. Mais j'ai appris à adorer le Dieu du ciel, à ne rendre hommage qu'à lui seul, qui a insufflé le souffle de la vie dans tous les hommes et qui ne cesse de départir la vie à chacun d'eux. Je n'entends pas m'avilir moi-même et me jeter dans l'abîme. Il est honteux de rendre hommage à de vils objets, c'est une action ignominieuse d'adorer en vain, et les hommes qui le font commettent le péché.
Ceux qui ont inventé ces adorations étaient fous, plus fous encore que ceux qui adorent et rendent hommage. Dans leur folie, les Égyptiens adorent un oignon. Les Athéniens, jusqu'à nos jours, fabriquent et adorent une tête de boeuf en cuivre qu'ils nomment la fortune d'Athènes, et ils lui font une place en évidence près de la statue de Jupiter et d'Héraclès, à telle enseigne qu'ils lui adressent leurs prières. Et cependant cela ne vaut guère mieux que la boue séchée ou une poterie brisée.
Ils ont des yeux et ils ne voient pas, ils ont des oreilles et ils n'entendent pas, ils ont des mains mais ils ne savent qu'en faire, ils ont des pieds et ils ne marchent pas ; c'est qu'apparence n'est pas substance, et je pense que Socrate lui aussi se moque des Athéniens quand il jure par l'arbre populaire, par le chien et par le bois sec.
Les hommes, en adorant ces choses, pèchent d'abord contre eux-mêmes. De plus, ils sont coupables d'impiété envers Dieu parce qu'ils ignorent la vérité. Les Égyptiens, je reviens à eux, ont donné le nom de Dieu à l'oignon, à la truelle de bois, aux fruits des champs que nous mangeons, qui entrent dans l'estomac et que nous rejetons. Ils ont adoré cela; mais ce n'est pas tout, ils rendent hommage au poisson, à la colombe, au chien, à la pierre, au loup, dans lesquels ils adorent les fantaisies de leur imagination. Enfin, les hommes pèchent encore toutes les fois qu'ils adressent leurs hommages aux hommes, aux anges ou aux démons et les appellent leurs dieux."
Le préfet s'impatienta :
" Assez philosophé, nous sommes pleins d'admiration ; maintenant Apollonius, rappelle-toi ce décret du Sénat qui ne tolère nulle part de Chrétiens.
- Sans doute, mais un décret humain, fût-il du Sénat, ne prévaut pas contre un décret de Dieu. Il est bien vrai que les hommes inconséquents haïssent leurs bienfaiteurs et les font mourir, et de la sorte les hommes restent éloignés de Dieu. Mais tu n'ignores pas que Dieu a décrété la mort, après la mort le jugement pour tous les hommes, rois ou mendiants, potentats, esclaves ou hommes libres, philosophes ou ignorants.
On peut mourir de deux manières. Les disciples du Christ meurent tous les jours en mortifiant leurs désirs et en se renonçant à eux-mêmes suivant ce qu'enseignent les saintes Écritures.
Quant à nous, nous ne cédons pas aux mauvais désirs, nous ne jetons pas des regards impurs, pas de coups d'oeil furtifs, notre oreille se refuse à écouter le mal, de peur que nos âmes en soient souillées. Mais puisque nous observons une conduite si pure et que nous pratiquons de si saintes résolutions, nous ne trouvons rien de si ardu à mourir pour le vrai Dieu, de qui vient tout ce que nous avons, par qui nous sommes tout ce que nous sommes, pour qui nous affrontons les tortures afin d'éviter la mort éternelle.
Bien plus, nous ne nous offensons pas quand on confisque nos biens, parce que nous savons que, soit dans la vie, soit dans la mort, nous appartenons à Dieu. La fièvre, la jaunisse et toute autre maladie peut tuer un homme. Moi-même, je puis m'attendre à mourir de l'une d'elles."
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.
Le préfet interrogea alors :
" Tu veux mourir ?
- Mon désir est de vivre dans le Christ, mais je n'ai pas sujet de craindre la mort à cause de mon attachement à la vie. Il n'y a rien de plus désirable que la vie éternelle, source d'immortalité pour l'âme qui a mené une vie honnête.
- Je n'y comprends plus rien du tout, intervint le préfet.
- Et cependant que puis-je dire de plus ? C'est à la parole de Dieu d'illuminer le coeur comme la lumière naturelle luit devant les yeux."
Un philosophe qui se trouvait là dit :
" Apollonius, tu te fais tort à toi-même, tu es sorti du chemin de la vérité, ce qui ne t'empêche pas de croire que tu développes de hautes vérités.
- J'ai appris à prier et non à outrager, mais la façon dont tu parles témoigne l'aveuglement du coeur, car la vérité ne semble une insulte qu'à ceux qui ont perdu le sens.
- Explique-toi, lui dit alors le préfet.
- Le Verbe de Dieu, le Sauveur des âmes et des corps, s'est fait homme en Judée et il a pratiqué tout le bien possible ; il était rempli de sagesse et enseignait une religion pure, digne des enfants des hommes et d'imposer silence au péché. Il enseignait à apaiser la colère, modérer les désirs, détruire ou contenir les appétits, chasser la mélancolie, être compatissant, accroître l'amour, repousser la vaine gloire, s'abstenir de la vengeance, n'être pas intraitable, mépriser la mort, non pas tant par mépris que par indulgence pour ceux qui ont perdu toute loi, obéir aux lois de Dieu, honorer les princes, adorer Dieu, garder notre volonté fidèle au Dieu immortel, prévoir le jugement qui suit la mort, attendre la récompense qui suit la résurrection et que Dieu accorde à ceux qui ont vécu dans la sainteté.
Il enseignait tout ce que je viens de dire avec beaucoup de force par ses paroles et par ses actions, tous ceux à qui il avait accordé quelque bienfait lui rendaient gloire. Mais enfin il fut mis à mort, comme, avant lui, les sages et les justes l'ont été eux aussi ; car il semble que les justes soient un reproche aux méchants.
Nous lisons dans la divine Écriture : " Saisissons-nous de l'homme juste, car il est un sujet de reproche pour nous " ; et un philosophe [Socrate] dit de son côté : " Le juste sera torturé, on lui crachera au visage, enfin il sera crucifié."
De même que les Athéniens ont porté contre lui une injuste sentence de mort et l'ont accusé faussement pour obéir à la canaille, de même notre Sauveur fut condamné à mort par les méchants que l'envie et la malice dévoraient, suivant la parole prophétique : " Il fera du bien à tous et les persuadera, par sa bonté, d'adorer Dieu le Père et Créateur de toutes choses, en qui nous aussi nous croyons et à qui nous rendons hommage, parce que nous avons été instruits de ses saints commandements que nous ignorions, ce qui rend notre erreur moins profonde " ; aussi, après une vie sainte, comptons-nous recevoir la vie future."
Le préfet :
" J'espérais que la nuit te porterait conseil.
- Et moi aussi j'espérais que la nuit te porterait conseil et que ma réponse t'ouvrirait les yeux, et que ton coeur porterait des fruits, que tu adorerais Dieu, le Créateur de toutes choses, et que tu lui offrirais tes prières sous forme de compassion, car la compassion réciproque est un sacrifice non sanglant qui ne laisse pas d'être agréable à Dieu."
Le magistrat conclut enfin :
" Je voudrais bien t'accorder ton pardon, mais c'est impossible, il y a ce décret du Sénat, mais c'est sans haine que je prononce ta sentence."
Et il ordonna qu'on lui coupât la tête.
Apollonius lui répondit :
" Dieu soit béni pour ta sentence !"
Et aussitôt les bourreaux l'entraînèrent et lui coupèrent la tête. Lui n'avait pas cessé de rendre honneur au Père et au Fils et au Saint-Esprit, à qui soit la gloire pour toujours.
Amen.
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mercredi, 17 avril 2024
17 avril. Saint Anicet, pape et martyr. 161.
- Saint Anicet, pape et martyr. 166.
Papes : saint Pie Ier (prédécesseur) ; saint Soter (successeur). Empereurs romains : Antonin le Pieux ; Lucius Verus ; Marc-Aurèle.
" La vie des clercs tout entière doit se distinguer de celle des laïques."
Saint Anicet aux évêques des Gaules.
Un Pape martyr du deuxième siècle se montre aujourd'hui sur le Cycle. Les martyrs se sont donnés rendez-vous auprès de Jésus ressuscité. Ils sont ces aigles dont il nous parle dans son Evangile, et qui volent de concert vers l'objet de leurs désirs (Matth. XXIV, 28.). Anicet n'est pas le seul pape honoré de la palme que nous aurons à fêter en ces jours ; d'autres réclameront bientôt nos hommages.
Quant à lui, ses actions nous sont peu connues, tant il plonge avant dans les fondements même de l'Eglise. Sur la chaîne des Pontifes, il est le onzième anneau après saint Pierre ; mais sa sainteté et son courage ont rendu sa mémoire immortelle. On sait que le grand saint Polycarpe, dont nous avons honoré la mémoire au vingt-six janvier, vint de Smyrne à Rome pour visiter Anicet et conférer avec lui. Il est resté aussi quelques traces du zèle que le saint pape fît paraître pour défendre son troupeau contre les atteintes des deux hérésiarques Valentin et Marcion ; enfin nous savons qu'il fut martyr, et c'est assez pour sa gloire.
Saint Anicet était originaire du bourg d'Amisa, en Syrie. Son père se nommait Jean et était habitant du bourg d'Omise ; il gouverna l'Église sous Marc-Aurèle, et succéda, sur le trône pontifical, à Pie Ier. Il était le onzième sucesseur de saint Pierre.
Il arrivait à la tête de l'Église en des temps difficiles. Il eut à combattre le Gnosticisme, qui était alors à son apogée et dont le siège était à Rome, avec ses chefs, Valentin, Marcion et Apelles parmis les plus tristement fameux.
Ces hérétiques, qui avaient la prétention de prendre dans chaque religion, dans chaque système philosophique, ce qu'il y avait de " meilleur ", enseignaient erreur sur erreur, altérant toutes les vérités dans tous les dogmes, et se disant volontiers Chrétiens avec les Chrétiens, Païens avec les Paîens, etc.
Outre les pernicieuses doctrines qu'ils enseignaient, se donnant donc pour chrétiens, ils rendirent la religion odieuse par leur vie désordonnée et leurs actions infâmes. Saint Anicet s'opposa aux progrès de l'hérésie de toute la force de son autorité et de sa doctrine et Dieu, en même temps, le consolait par l'arrivée de plusieurs saints personnages.
C'est sous son pontificat que saint Justin le Philosophe (que nous fêtons le 13 avril) vint passer quelque temps à Rome et y composa cette seconde apologie de la religion chrétienne qui lui valut le martyre.
En 157, Hégésippe, Juif converti, vint à Rome et composa, à la demande de notre saint Pape, une histoire de l'Eglise, qui s'étendait depuis la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ jusqu'au pontificat de saint Anicet, et dont nous ne conservons hélas que les fragments qu'Eusèbe de Césarée à gardé dans son Commentaires sur les Actes des Apôtres.
La cinquième année du règne de Marc-Aurèle, Anicet reçut la visite de saint Polycarpe, évêque de Smyrne, en Asie, et ancien disciple de saint Jean l'Évangéliste. C'est lui, rappelons-le au passage, qui avait coutume de répéter, en se bouchant les oreilles et s'enfuyant du mauvais lieu où il lui arrivait de pouvoir se trouver :
"Dans quel siècle, mon Dieu ! M'avez-vous fait naître !"
Saint Polycarpe prêchant. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
Il s'agit entre autre d'une illustration, sinon de l'obligation, du moins de l'usage, dès le commencement de l'Eglise, de la visite Ad limina Apostolorum.
On voit en effet, et l'on peut citer une foule d'exemples, dès les premiers temps de l'Eglise, des évêques allant visiter les Papes, même ceux des catacombes ; mais on ne voit pas un seul Pape usant de réciprocité et allant visiter ou consulter un autre siège.
Et cela est tellement éloquent que la notoriété allait à l'époque pour saint Polycarpe, qui avait vécu dans l'intimité de saint Jean, tandis qu'Anicet n'était qu'un simple prêtre issu d'une ancienne colonie d'Athènes : c'est bien saint Polycarpe qui alla au Pape.
Saint Polycarpe vin aussi pour consulter saint Anicet sur la question de la célébration de la fête de Pâques, question qui ne fut décidée que sous le pape Victor.
Saint Anicet et saint Polycarpe ne purent s'entendre, mais cela ne troubla en rien leur bonne harmonie. Pour preuve, nous avons le témoignage de saint Irénée de Lyon qui rapporte que " Anicet voulut, pour rendre hommage à Polycarpe, que ce dernier célébrât les saints mystères dans l'église de Rome, en sa présence ".
Saint Polycarpe avait parlé au peuple assemblé, et sa parole avait converti grand nombre d'hérétiques ; l'insolence de Marcion avait été confondue par cette parole si connue du Saint :
" Je te connais pour le fils aîné de Satan."
Se séparant enfin et à regret, ils ne devaient plus se revoir qu'au ciel où le martyre les conduisit tous deux.
On attribue à ce pape un décret adressé aux évêques des Gaules qui " défendait aux clercs de laisser croître et d'entretenir leur chevelure ", et " leur ordonnait de couper leurs cheveux en forme de couronne sur le sommet de la tête ", ce qui est la tonsure.
Cette recommandation n'était ni vaine ni anecdotique. En effet, ce rappel de la première épître de saint Paul aux Corinthiens (XI, 14.), où l'Apôtre disait que " la nature elle-même nous apprend que c'est une honte, pour un homme, de laisser croître sa chevelure ", s'adressait opportunément aux évêques des Gaules, pays où il était une mode, un honneur, voire un besoin de porter les cheveux très longs.
Et encore, saint Germain de Constantinople rapporte à ce sujet une tradition qui a son importance :
" La couronne ou tonsure du prêtre, outre sa signification de renoncement aux frivolités du monde, rappelle un fait de l'histoire évangélique. Quand saint Pierre fut envoyé par le Sauveur pour annoncer l'avénement du Messie aux bourgades de Palestine, les Juifs, incrédules à sa prédication, se saisirent de sa personne, et par dérision lui coupèrent les cheveux en rond sur le haut de la tête. Au retour de cette première mission, le Christ bénit son apôtre, et cette bénédiction changea en couronne de gloire, plus précieuse que l'or et les perles, la couronne d'ignominies infligée à saint Pierre."
Enfin, la mention expresse de cette coutume se trouve dans le livre de la hiérarchie ecclésiastique de saint Denys l'Aréopagite.
Saint Anicet ordonna aussi qu'un prêtre ne pourrait être sacré évêque que par trois autres prélats, comme le Concile de Nicée l'a aussi défini plus tard, et que, pour le Métropolitain, tous les évêques de sa province assisteraient au sacre.
Saint Anicet fit cinq fois les ordres au mois de décembre, et ordonna dix-sept prêtres, quatre diacres et neuf évêques pour divers lieux. Il vécut dans le pontificat huit ans, huit mois et vingt-quatre jours. Il reçut la couronne du martyre pour la foi du Christ, et fut enseveli sur la voie Appienne, dans le cimetière qui fut depuis appelé de Calliste.
RELIQUES
Le corps de saint Anicet fut exhumé en 1604, par la permission de Clément VIII, et donné à Jean Ange, duc d'Altemps (qui était parent avec l'illustre famille des Borromée), qui le mit dans une chapelle de son palais, bâtie tout exprès et très richement ornée.
Le chef de saint Anicet fut donnée au duc de Bavière, et il existe une relique de notre saint Pape à Saint-Vulfran d'Abbeville.
Dans les représentation artistiques, on place près de saint Anicet une roue qui aurait été l'instrument de son supplice.
PRIERE
" Saint Pontife, admis depuis tant de siècles dans la gloire du Christ dont vous fûtes le vicaire et le martyr, nous célébrons aujourd'hui d'un cœur filial votre mémoire bénie. Nous vénérons en vous l'une des glorieuses assises de la maison de Dieu ; et si votre nom est venu jusqu'à nous sans être accompagné du récit des oeuvres par lesquelles vous avez mérité la palme, nous savons du moins qu'il fut cher aux fidèles de votre temps. Au ciel, vous conservez le zèle pastoral qui vous anima sur la terre pour la gloire de votre Maître : soyez-y propice, Ô Anicet, à l'Eglise de nos temps.
Plus de deux cents Pontifes se sont succédé après vous sur la Chaire de Pierre, et le juge du dernier jour n'est pas descendu encore. Assistez votre successeur qui est notre Père, et secourez son troupeau, au milieu des dangers inouïs, qui l'assiègent. Vous avez gouverné l'Eglise durant la tempête ; priez Jésus ressuscité, afin qu'il se lève et commande à l'orage ; mais demandez-lui pour nous la constance. Elevez nos pensées vers la patrie céleste, afin qu'à votre exemple nous soyons toujours prêts à obéir au signal divin. Nous sommes les fils des martyrs ; leur foi est la nôtre, notre espérance doit être commune."
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