lundi, 18 novembre 2024
18 novembre. Dédicace des basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul. 1626.
- Dédicace des basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul. 1626.
Pape : Urbain VIII.
" Quod duce te mundus surrexit in astra triumphans, hanc constantinus victor tibi condidit aulam."
" Parce que le monde sous ta conduite s'est élevé triomphant jusqu'aux cieux, Constantin vainqueur construisit ce temple à ta gloire."
Inscription qui, dans l'ancienne basilique vaticane, se détachait en lettres d'or au sommet de l'arc triomphal.
Jamais en moins de mots le génie romain ne s'exprima si magnifiquement ; jamais n'apparut mieux la grandeur de Simon fils de Jean sur les sept collines. En 15o6, la sublime dédicace tombant de vétusté périt avec l'arc sous lequel, à la suite du premier empereur chrétien, peuples et rois, le front dans la poussière, s'étaient pressés durant douze siècles en présence de la Confession immortelle, centre et rendez-vous du monde entier. Mais la coupole lancée dans les airs par le génie de Michel-Ange, désigne toujours à la Ville et au monde le lieu où dort le pêcheur galiléen, successeur des Césars, résumant dans le Christ dont il est le Vicaire les destinées de la ville éternelle.
La seconde gloire de Rome est la tombe de Paul sur la voie d'Ostie. Cette tombe, à la différence de celle de Pierre qui continue de plonger dans les profondeurs de la crypte vaticane, est portée jusqu'à fleur de terre par un massif de maçonnerie, sur lequel pose le vaste sarcophage. On fut à même de constater cette particularité en 1841, lorsque l'on reconstruisit l'autel papal. Il parut évident que l'intention de soustraire le tombeau de l'apôtre aux inconvénients qu'amènent les débordements du Tibre, avait obligé de soulever ainsi le sarcophage de la place où d'abord Lucine l'avait établi (Voir XVI Septembre, en la Légende de saint Corneille.).
Le pèlerin n'a garde de s'en plaindre, lorsque par le soupirail qui s'ouvre au centre de l'autel, son œil respectueux peut s'arrêter sur le marbre qui ferme la tombe, et y lire ces imposantes paroles, tracées en vastes caractères de l'époque constantinienne :
" PAULO APOSTOLO ET MARTYRI."
" A Paul Apôtre et Martyr."
(Dom Guéranger, Sainte Cécile et la Société romaine aux deux premiers siècles, ch. VI.).
Reliquaire contenant une part importante des reliques de saint Pierre. Basilique Saint-Pierre.
Ainsi Rome chrétienne est protégée au nord et au midi par ces deux citadelles. Associons-nous aux sentiments de nos pères, lorsqu'ils disaient de la cité privilégiée :
" Janitorante fores fixit sacraria Petrus :
Quis neget has arces instar esse poli ?
Parte alia Pauli circumdant atria muros :
Hos inter Roma est: hic sedet ergo Deus."
" Pierre, le portier, fixe ! à l'entrée sa demeure sainte ;
Qui niera que cette ville soit pareille aux cieux ?
A l'autre extrémité, Paul, de son temple, en garde les murs ;
Rome est assise entre les deux : là donc est Dieu."
Tombe de saint Paul. Basilique Saint-Paul-Hors-Les-Murs. Rome.
Donc aussi la présente fête méritait d'être plus qu'une solennité locale; l'Eglise mère, en l'étendant à toute Eglise dans ces derniers siècles, a mérité la reconnaissance du monde. Grâce à elle, nous pouvons tous ensemble aujourd'hui faire en esprit ce pèlerinage ad limina (Ad limina Apostolorum, aux seuils des basiliques des Apôtres, où l'on se prosternait avant d'entrer dans les basiliques mêmes) que nos aïeux accomplissaient au prix de tant de fatigues, ne croyant jamais en acheter trop cher les saintes joies et les bénédictions.
" Célestes monts, sommets brillants de la Sion nouvelle ! Là sont les portes de la patrie, les deux lumières du monde en sa vaste étendue ! Là, Paul comme un tonnerre fait entendre sa voix ; là, Pierre retient ou lance la foudre. Par celui-là les cœurs des hommes sont ouverts, par celui-ci les cieux. Celui-ci est la pierre de fondement, celui-là l'ouvrier du temple où s'élève l'autel qui apaise Dieu. Tous deux, fontaine unique, épanchent les eaux qui guérissent et désaltèrent." (Venant. Fortunat. Miscellanea, III, 7.).
Plaque de la tombe de saint Paul. Basilique Saint-Paul-Hors-Les-Murs. Rome.
L'Eglise romaine a consigné, dans les Leçons qui suivent, ses traditions concernant les basiliques dont la dédicace fait l'objet de la fête de ce jour.
Parmi les lieux sacrés qui attirèrent autrefois la vénération des chrétiens, les plus célèbres et les plus fréquentés furent ceux où l'on gardait les corps des saints, ou quelque reste ou mémoire des Martyrs. Au nombre et en tête de ces saints lieux fut toujours cette partie glorieuse du Vatican qu'on appelait la Confession de saint Pierre. Là, en effet, de toutes les parties du monde affluaient les chrétiens ; là était pour eux la pierre de la foi, le fondement de l'Eglise ; leur vénération pour le lieu consacré parle tombeau du Prince des Apôtres se traduisait par les plus religieuses et les plus pieuses démonstrations.
Là, l'empereur Constantin le Grand vint le huitième jour après son baptême, et déposant le diadème et se prosternant, répandit une grande abondance de larmes ; puis s'armant de la pioche et du hoyau, il creusa le sol et en retira douze charges de terre en l'honneur des douze Apôtres, désignant ainsi l'emplacement de la basilique qu'il voulait construire à leur Prince. Elle fut dédiée par le Pape saint Silvestre le quatorze des calendes de décembre, en la manière que, le cinq des ides de novembre, il avait consacré l'église du Latran, mais en y élevant un autel de pierre qu'il oignit du chrême, et prescrivant que désormais tout autel devrait être de pierre. Le bienheureux Silvestre dédia pareillement sur la voie d'Ostie la basilique de saint Paul Apôtre, que l'empereur Constantin avait de même construite avec magnificence l'enrichissant ainsi que la première de biens-fonds, d'ornements, et de présents considérables.
Or, comme la basilique vaticane tombait de vétusté, elle fut par la piété de nombreux Pontifes réédifiée depuis les fondations plus magnifique et plus grande ; l'an 1626, en ce même jour, Urbain VIII la consacrait solennellement. L'an 1823, un violent incendie consumait entièrement la basilique de la voie d'Ostie ; relevée plus belle qu'auparavant par le zèle persévérant de quatre Pontifes et comme reconquise sur la destruction, Pie IX mit à profit pour sa consécration la très heureuse circonstance de la définition de l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie qu'il venait de proclamer, et qui des contrées les plus éloignées de l'univers catholique avait attiré à Rome nombre d'évêques et de cardinaux ; ce fut le dixième jour de décembre de l'année mil huit cent cinquante-quatre, qu'entouré d'une si brillante couronne de prélats et de princes de l'Eglise il accomplit la solennelle dédicace, en en fixant la mémoire annuelle au présent jour.
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mercredi, 23 octobre 2024
23 octobre. Saint Pierre Pascal, religieux de l'Ordre Notre-Dame de la Merci, évêque de Jaën en Espagne, martyr. 1300.
- Saint Pierre Pascal, religieux de l'Ordre Notre-Dame de la Merci, évêque de Jaën en Espagne, martyr. 1300.
Pape : Boniface VIII. Roi de Castille : Ferdinand IV, l'Ajourné. Roi d'Aragon : Jacques II. Roi de France : Philippe IV le Bel.
" C'est l'oeuvre propre des âmes justes que de nourrir les pauvres et de racheter les captifs."
Lactance.
Saint Pierre Pascal, religieux de l'Ordre de Notre-Dame de la Merci
pour le rachat des captifs : ici éclairé par un ange dans le cachot
obscur où il attendit son martyr. Zurbaran. XVIIe.
Depuis que les Maures se furent emparés des plus belles provinces d'Espagne, vers l'année 714, Dieu ne manqua jamais de susciter des personnes d'une insigne piété, pour y soutenir généreusement la foi contre leur presécution, et pour assister les captifs qui gémissaient sous leur tyrannie. Les ancêtres de notre saint, originaire de Valence, se signalèrent dans ces actes de piété et de miséricorde, et même cinq d'entre eux donnèrent leur sang pour la religion.
Les parents de saint Pierre Pascal, qui héritèrent d'eux ce zèle pour la foi chrétienne, employaient leurs grands biens à entretenir le couvent du Saint-Sépulcre dans la même ville de Valence, et à racheter les esclaves chrétiens. C'était aussi chez eux que logeait ordinairement saint Pierre Nolasque, lorsqu'il allait traviller en ce lieu au rachat de ces malheureux.
Comme il vit qu'ils n'avaient pas d'enfants, il pria Dieu qu'Il leur en donnât un qui pût imiter leur ferveur et continuer l'exercice de la charité qu'ils pratiquaient avec tant de constance. Sa prière fut exaucée, et notre saint fut cet enfant d'oraison et de bénédiction qu'il avait demandé avec tant d'instance. Notre saint naquit le 6 décembre 1227 et on le nomma Pierre Nicolas en considération de saint Nicolas dont on célébrait la fête ce jour-là et de saint Pierre Nolasque qui l'avait obtenu par sses larmes et ses prières.
Dès son enfance, il donna des marques éclatantes de la sainteté à laquelle il était appelé par la divine providence; Il était ravi de porter lui-même aux pauvres l'aumône que son père avait coutûme de leur donner. Il réservait toujours pour eux la moitié de sa viande et de son pain, et il était impossible aux jours de jeûne, de la faire manger le matin.
Quand il eut appris son cathéchisme, son plaisir était de l'enseigner aux autres enfants des Chrétiens et des Maures. Il sentit dès lors un si grand désir de mourir martyr, qu'un jour il pria les petits Maures de le traiter comme leurs pères traitaient les Chrétioens qu'ils tenaient captifs ; et ces petits barbares l'outragèrent alors si cruellement, qu'il eût été massacré si l'on eût couru à son secours. Une autre fois, pendant une horrible persécution des mêmes infidèles, qui étaient maîtres de Valence, on eut bien de la peine à le retenir dans la maison, tant il souhaitait d'endurer la mort pour la cause de son Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ.
Statue de saint Pierre Pascal.
Lorsqu'il eut appris les premiers principes de la grammaire au couvent du Saint-Sépulcre, il fut mis sous la conduite d'un très vertueux prêtres, natif de Narbonne et docteur de la faculté de Paris, que ses parents avaient racheté avec une somme considérable.
Il devint aussi saint que savant à l'école d'un si bon maître. Le temps qui lui restait après ses études, il l'employait à apprendre le chant et les cérémonies de l'Eglise, à prier, à méditer, à lire les saintes Ecritures et à secourir, par des paroles pleines de ferveur et d'onction, et souvent aussi par des aumônes, les pauvres et les esclaves qu'il voyait dans la misère.
Vers ce temps, le roi d'Aragon défit les Maures et consuit sur eux le royaume et la ville de Valence ; et, comme il fut informé du mérite extraordinaire de Pierre Pascal, il le nomma chanoine de la cathédrale. Cette dignité obligea notre saint de se perfectionner dans la connaissance des saintes Lettres ; ainsi, sachant que l'Université de Paris était la mère de toutes les sciences, il y vint avec son précepteur et y fit son cours de théologie.
Sa vertu et et son bel esprit lui attirèrent bientôt l'estime et l'amour des plus éclairés d'entre les docteurs. L'évêque même le prit en affection, et lui ayant conféré les ordres sacrés, il lui commanda de prêcher l'Evangile. Ses prédications furent applaudies de tout le monde et produisirent de grands fruits parmi ses auditeurs. Il enseigna aussi publiquement dans une chaire de l'Université, et reçut le bonnet de docteur n'ayant encore que vingt-trois ans.
Cependant, la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ le pressait toujours, et il brûlait du désir d'assister les esclaves chrétiens, qui, outre les misères du corps, étaient tous les jours en danger de faire naufrage dans la foi. Ainsi il forma le dessein de se faire religieux de l'Ordre de la Merci, d'autant plus que cet Ordre est particulièement appliqué à la dévotion et à la vénération de la très sainte Vierge, pour laquelle il avait une singulière dévotion lui-même.
Il reourna pour cela en Espagne et se présenta à saint Pierre Nolasque qu'il regardait comme son père, puisque c'était par ses prières qu'il avait été obtenu du Ciel. Ce saint instituteur l'obligea encore à faire un an les fonctions de chanoine, pour édifier tout son chapitre par l'exemple de ses vertus ; ensuite, lui ayant fait faire une retraite dans un couvent de son ordre nommé Notre-Dame du Puche, il lui donna l'habit de religieux à Valence, le jour des Rois de l'année 1251.
Comme ce fervent novice avait toujours mené une vie innocente et pénitente dans le monde, il n'eut aucune peine à se former aux exercice de la religion. Après sa profession, il alla à Barcelone, auprès de son bienheureux supérieur, et s'y occupa à prêcher et à enseigner la théologie, jusqu'à ce que le roi d'Aragon le demanda pour précepteur de l'infant Don Sanche, son fils, qui voulait embrasser l'état ecclésiastique. Il se rendit pour cela à Sagragosse, et s'acquitta si dignement de cette importante fonction, que son illustre disciple, à qui il apprit particulièrement la science des Saints, voulut embrasser son institut et se faire, comme lui, religieux de la Merci.
Cette retraite du jeune prince donna liberté à saint Pierre Pascal d'aller racheter des esclaves au pays des Maures. Il en ramena un grand nombre de Tolède, et ceux qu'il ne put pas délivrer, il les confessa, les exhorta à la patience et les laissa parfaitement consolés. A son retour, il trouva un ordre de saint Pierre Nolasque de se rendre au plus tôt auprès de lui. C'est que le saint voulait mourir entre ses bras et le faire héritier de son esprit et de son zèle. Peu d'année après, le prince infant, dont nous venons de perler, fut élu archevêque de Tolède ; et, comme il n'avait pas encore l'âge assignée par les Canons pour gouverner cette Eglise, il demanda au pape Urbain IV saint Pierre Pascal pour son co-adjuteur.
Sa sainteté, qui était informée des mérites de cet excellent religieux, approuva ce choix et le nomma pour cela évêque titulaire de Grenade, qui était encore sous la puissance des Maures. Il fut sacré, en cette qualité, l'an 1262, après quoi il entreprit, avec le zèle d'un véritable pasteur, la conduite de ce grand archevêché, qui lui était confié ; il en visita les villes, les bourgs et les villages, y fit des missions apostoliques et n'épargna rien pour en bannir tous les désordres. La discipline ecclésiastique s'y étant beaucoup relâchée, il fit des règlements admirables pour la rétablir dans sa première vigueur. Comme l'ignorance y régnait parmi les curés, il composa un excellent livre pour leur instruction. Le peuple, vivant dans le vice et le libertinage, il employa toute sa vigilance pastorale pour le réformer ; mais il fut enfin déchargé de ce fardeau par le décès de l'archevêque, qui mourut en 1275, des blessures qu'il avait reçues dans un combat contre les Maures.
Cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption de Jaën. Andalousie. Espagne.
Alors il se retira dans un couvent de son Ordre, afin d'y attendre l'occasion de faire de nouveaux voyages pour la rédemption des captifs. Il demandait souvent à Dieu qu'il lui fût ordonné de passer à Tunis, en Afrique, où il espérait que son zèle contre l'impiété des Mahométans lui procurait la couronne de martyre. Cependant il fit des missions très fructueuses en diverses provinces d'Espagne et de Portugal, et il fonda des monastères de son institut à Tolède, à Baeza, à Xérès, pour avoir des ouvriers qui pussent seconder son zèle ? L'état de l'Eglise de Grenade, affligée et accablée sous la tyrannie des infidèles, le touchait extrêmement ; il se crut donc obligé de s'y rendre pour offrir son secours aux esclaves chrétiens, qui pour être dans les fers, ne laissaient pas d'être les ouailles de son troupeau.
On ne peut exprimer les fruits que sa présence produisit dans cette ville. Il était la lumière et le soutien de ces pauvres persécutés ; il les visitait en prison, les servait dans leurs maladies, les consolait dans leurs angoisses, les soulageait dans leur pauvreté et leur misère, leur administrait les Sacrements et les instruisait des points nécessaires de la doctrine de l'Eglise. Plusieurs, désespérés par le mauvais traitement de leurs patrons, furent affermis par ses ferventes exhortations. Les rénégats rentrèrent, par ses soins, dans le giron de l'Eglise.
Il convertit à la foi quantité de Maures et de Juifs, et procura à un grand nombre de Chrétiens une double liberté, en les retirant en même temps de la servitude du péché et de l'esclavage des hommes. Il fonda à Jaën un couvent de son Ordre, afin que les religieux pussent aller de là secrètement à Grenade, pour l'assistance des captifs.
Les infidèles ne purent s'empêcher d'admirer sa vertu, et il n'y en avait presque point qui ne lui portassent un singulier respect. Un des juges de la ville ayant arrêté prisonniers les Pères Rédempteur de Castille et d'Aragon, et saisi tout l'argent qu'ils apportaient pour le rachat des captifs, bien qu'ils fussent munis de bons passeports, il alla le trouver, et lui parla avec tant de courage et de fermeté, qu'il le contraig^nit enfin de lui rendre les Pères prisonniers avec tout leur argent.
Les nécessités pressantes de son Eglise l'ayant obligé de faire un voyage à Rome, il y fut reçu avec de grands témoignages d'estime et d'amitié par le pape Nicolas IV, qui l'avait bien connu à Tolède, lorsqu'étant général de l'Ordre de Saint-François et à Sainte-Marie-Majeure, par le commandement de Sa Sainteté, et y fit des conversions admirables. Etant aux pieds des tombeaux des Apôtres, il leur demanda avec instance d'avoir part à ce zèle du salut des âmes dont ils avaient été embrasés, et il ne faut point douter que cette demande lui fut accordée.
Le Pape, merveilleusement édifié de son zèle, le jugea fort propre pour prêcher la croisade, et l'envoya pour cela en France et en Espagne, avec l'autorité de Légat. Il prêcha, depuis Rome jusqu'à Paris, dans presque toutes les villes et les bourgs où il entra, et fit en plusieurs lieux de grands miracles pour témoignage que c'était la volonté de Dieu qu'on prît les armes pour le recouvrement de la Terre sainte. A Paris, le roi et toute la cour, l'Université et le peuple l'accueillirent avec les honneurs dus à son mérite et à son carcatère. On vint à ses sermons avec empressement, et le succès fut si grand, que, si l'Espagne eût pu répondre à l'ardeur des Français, qui s'enrôlèrent en foule pour cette bonne oeuvre, on aurait pu venir à bout de cette entreprise. On remarque qu'étant dans la ville, il y soutint avec beaucoup de lumière et de courage le mystère de la conception immaculée de la trsè sainte Vierge, et cette Reine des anges, pour lui témoigner sa reconnaissance, lui apparu la nuit suivante, environnée de séraphins, et lui mit sur la tête une couronne de gloire. Il reçut encore d'autres faveurs extraordinaires en ce voyage, tant de son ange gardien que de Notre Seigneur.
L'an 1269, on l'élut évêque de Jaën. Ce diocèse n'avait point de pasteur depuis cinq ans, et il était en la puissance des Maures ; on peut juger de là combien il avait besoin d'un prélat zélé et vigilant. Il le visita avec grand soin, en reconnut tous les désordres et y appliqua des remèdes si convenables, qu'on y vit, en peu de temps, refleurir la discipline chrétienne. L'année suivante, il retourna à Grenade, où il employa tout son revenu au soulagement des pauvres et au rachat des esclaves.
Il entreprit même de convertir encore des Mahométans, et sa parole eut tant de force, qu'il y en eut beaucoup qui renoncèrent aux rêveries de Mahomet pour embrasser la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les partisans de l'Alcoran lui en firent un crime d'Etat ; on l'arrêta prisonnier, on le chargea de chaînes et on lui fit subir de très rudes traitements. Dès que l'on apprit ce malheur dans Jaën et dans Baeza, le clergé et le peuple chrétien se cotisèrent et lui envoyèrent une somme considérable d'argent pour payer sa rançon : il la reçut avec beaucoup de reconnaissance ; mais par charité, dont il n'y a presque point d'exemple, au lieu de l'employer pour se mettre lui-même en liberté, il l'employa à la délivrance de quantité de femmes et d'enfants, dont la faiblesse lui faisait craindre qu'ils n'abandonnassent enfin la religion chrétienne.
Il composa dans sa prison plusieurs traités pour servir de préservatifs aux fidèles, et pour désabuser les rénégats qui s'étaient laissé séduire par les contes de Mahomet. Ainsi, comme un autre saint Paul, il engendra plusieurs enfants spirituels dans les chaînes. Il fut consolé dans cet état par plusieurs visions célestes. La plus considérable fut celle où Notre Seigneur Jésus-Christ se présenta à lui sous la figure d'un enfant de quatre à cinq ans, et vêtu en esclaves pour lui servir la messe. Le saint évêque, après son action de grâces, croyant que c'était un enfant comme les autres, lui fit quelques demandes sur le cathéchisme ; il y répondit avec une sagesse et une modestie qui le surprirent. Mais quand il vint à lui demander ce que c'était que Jésus-Christ ; alors l'enfant découvrit qui il était, et lui dit :
" Pierre, c'est Moi qui suis Jésus-Christ ; considère Mes mains et Mon côté, tu y trouveras les marques de mes plaies. Au reste, parce que tu es demeuré prisonnier pour donner la liberté à Mes esclaves, tu M'as fait Moi-même ton prisonnier."
Et ayant dit ce paroles, Il disparut.
Sous les traits d'un petit enfant de 5 ans, Notre Seigneur Jésus-Christ
sert la messe de saint Pierre Pascal. Jerónimo Jacinto de Espinosa. XVIIe.
Les Alfaquis ayant été informés des compositions qu'il faisait dans sa prison contre les erreurs de leur secte, le firent enfermer dans un cachot fort obscur sans permettre à personne de le voir. Mais les anges l'éclairèrent au milieu de ces ténèbres, et l'on dit même qu'il lui fournirent des plumes, de l'encre et du papier pour achever un nouveau traité contre les extravagances de l'Alcoran. L'impossibilité où il se voyait d'assister les Chrétiens esclaves et les Barbares qu'il avait convertis l'affligeait extrêmement.
Mais les anges le portèrent plusieurs fois dans les lieux où ces infortunés, presque au désespoir, réclamaient son secours. Il passait souvent ses les nuits en oraison, et pratiquait de sanglantes mortifications, pour leur obtenir de Dieu la fermeté et la persévérance, et il avait la consolation d'apprendre du Ciel même le bon succès de ses prières. Il n'était presque jamais sans la compagnie de ces esprits bienheureux. Ses gardes virent souvent sa prison toute lumineuse ; et un jour ils en virent sortir un enfant d'une grâce et d'une beauté ravissante. Ces merveilles furent cause que le prince le fit élargir, mais avec défense de rien écrire à l'avenir, contre la foi de Mahomet.
Il se moqua de cette défense, et il ne laissa pas, dans la liberté dont il jouissait, de composer un livre très fort et très pressant contre cette secte abominable. Un jour, pendant qu'il travaillait, les Chrétiens virent sur sa tête un globe de feu qui le couvrait de tous côtés d'une lumière admirable.
Pour las Alfaquis et les Marabouts, dès qu'ils en furent informés, ils lui suscitèrent une furieuse persécution, et demandèrent opiniâtrement qu'il fût arrêter et mis à mort. Il firent tant de vacarme, que le roi, craignant une sédition générale, et même un attentat contre sa personne royale, pâre qu'on savait qu'il avait un exemplaire de cet écrit, l'abandonna à leur fureur.
Il se prépara avec joie à ce sacrifice qu'il avait tant désiré, et dont il devait être la victime. Son ange gardien lui ayant déclér qu'il serait massacré le lendemain matin, il passa toute la nuit en prières, s'offrant à Notre Seigneur Jésus-Christ pour le salut des Chrétiens, ses enfants, et des Maures, ses persécuteurs.
Il senti néanmoins des craintes et des frayeurs, et il souffrit une agonie pareille à celle que Notre Seigneur Jésus-Christ endura au jardin des Oliviers ; mais il se calma bientôt par un parfait abandon aux dispositions de la divine Providence.
Son Sauveur lui apparut alors, comme attaché à la croix, et revêtu des splendeurs de l'éternité, Il lui dit :
" Pierre, J'ai été sensible comme toi, et J'ai partout enduré d'horribles tourments pour ton amour."
Cela répandit un telle onction dans son âme, qu'il ne respira plus depuis que le martyre.
Les geoliers furent témoins de cette clarté extraordinaire qui les fit tomber à la renverse, et ils en informèrent les Chrétiens. Le matin, saint Pierre Pascal célébra la messe avec une admirable ferveur d'esprit ; et, comme il était à genoux au pied de l'autel, faisant son action de grâces, les Maures lui coupèrent la tête, et lui procurèrent par ce moyen la gloire d'une immortalité bienheureuse.
Ce fut le 6 janvier 1300, qui était la soixante-treizième année de son âge. Ils voulurent brûler son saint corps, ses habits, ses ornements sacrés, son cilice, sa discipline et tout ce qui lui avait servi, afin qu'on ne leur rendît aucun culte religieux ; mais une terreur subite leur fit prendre la fuite, et donna lieu aux Chrétiens de s'en saisir et de les transporter dans un lieu secret. Ils revêtirent le corps de ses habits pontificaux et l'enterrèrent dans les grottes d'une montagne, près de Matzzemore, avec toute la pompe que leur état de servitude purent leur permettre.
Dieu ne laissa pas ce massacre impuni ; il affligea bientôt la ville de Grenade de la famine, de la peste et d'horribles tremblements de terre. Le roi vit se femmes et ses enfants tourmentés par des douleurs secrètes qui leur déchiraient les entrailles ; il mourut lui-même misérablement, confessant que c'était le saint évêque de Jaën qui le châtiait ; et le prince, son fils, perdit aussi la couronne et la vie.
On représente saint Pierre Pascal :
1. enchaîné, un glaive dans le coeur ;
2. parlant à un enfant dont le visage rayonne ;
3. égorgé au pied de l'autel.
CULTE ET RELIQUES
Dans la crainte que les reliques du saint martyr ne leur fût une source continuelle de malheurs, les Maures de Grenade les donnèrent volontiers aux députés de Jaën et de Baeza, qui les leur vinrent demander. Comme ces députés les emportaient, il y eut contestations entre eux, à laquelle des deux villes elles devaient appartenir. Pour la terminer à l'amiable, on convint qu'elles seraient mise sur une mule aveugle, à laquelle on donnerait la liberté d'aller où elle voudrait, et qu'elles resteraient là ou cette mule les proterait. La chose fut exécutée et la mule les porta à Baeza.
Cathédrale Sainte-Marie de Baeza ou sont conservées les reliques
de saint Pierre Pascal. Andalousie. Espagne.
Il s'est fait de grands miracles par les mérites de saint Pierre Pascal, tant pendant sa vie qu'après sa mort. En 1484, les chanoines de Baeza ordonnèrent dans leur assemblée qu'on entretiendrait jour et nuit une lampe ardente devant son tombeau. Huit ans après, Isabelle, reine de Castille, et le roi Ferdinand, son mari, firent bâtir une chapelle en son honneur.
Enfin, le pape Clément X, par un bref du 28 juin 1673, accorda à tout l'Ordre de Notre-Dame de la Merci pour le rachat des captifs d'en réciter l'office et de célébrer la messe de ce saint martyr à tout le clergé, tant séculier que régulier, des diocèses de Valence, de Grenade, de Jaën et de Tolède, et ordonna que son éloge fût inséré dans le martyrologe romain le 23 octobre et le 6 décembre, jour de la naissance de notre saint comme on l'a vu.
Nous avons de lui huit livres pleins de piété et d'érudition dont il a enrichi la république des lettres chrétiennes.
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mardi, 22 octobre 2024
22 octobre. Saint Philippe, évêque d'Héraclée, et ses compagnons, martyrs à Andrinople en Roumélie. 304.
- Saint Philippe, évêque d'Héraclée, et ses compagnons, martyrs à Andrinople (ou Adrianople) en Roumélie. 304.
Pape : Saint Marcellin. Empereur romain d'Orient : Dioclétien. Empereur romain d'Occident : Maximien-Hercule.
" Celui qui brûle d'arriver dans léternelle patrie doit être d'autant plus froid pour l'amour des biens du siècle, qu'il s'élève plus ardemment à l'amour de Dieu."
Saint Grégoire le Grand.
Martyre de saint Philippe d'Héraclée et de ses compagnons.
Vies de saints. J. de Vignay. XVe.
Philippe fut éprouvé d'abord en qualité de diacre, ensuite avec celle de prêtre dans les travaux que l'Église impose à ses ministres.
Son application à ses devoirs lui avait valu la louange des hommes, et ses vertus, les joies de la conscience ; l'honnêteté de ses moeurs l'avait en même temps mis à l'abri de tout reproche. Ce fut donc du consentement des frères qu'il fut enfin élevé à la dignité épiscopale. Confirmant alors dans la foi ses disciples, le prêtre Sévère et le diacre Hermès, par de fréquents entretiens, il eut le bonheur de les voir partager non seulement ses pensées, mais encore la gloire de sa passion ; en sorte qu'après les avoir eus pour ministres dans l'offrande du glorieux mystère, il les eut pour compagnons dans son martyre.
Malgré la menace de la persécution, son coeur ne se. laissa point troubler. Un grand nombre lui conseillaient de quitter la ville ; il s'y refusa, nous apprenant par son exemple à ambitionner de tels supplices et non à les craindre. Il dit : " Que la volonté de Dieu s'accomplisse !" et demeura dans son église, où il exhortait chacun à la patience :
" Frères, vous dont la foi est sincère, les temps annoncés par les prophéties sont proches. Le siècle penche vers sa ruine ; il semble rouler le cercle de ses derniers jours. Le diable dans sa rage obstinée nous menace ; le pouvoir lui a été donné pour un peu de temps ; il vient, non point, il est vrai, pour perdre les serviteurs du Christ, mais pour les éprouver. Le jour de l'Épiphanie approche ; c'est un avertissement de nous préparer à la gloire. Que ni les menaces des impies, ni leurs tourments ne vous épouvantent ; car le Christ donne à ses soldats la patience de souffrir et la récompense de tous les supplices qu'ils endurent. J'ai la confiance que tous les efforts de nos ennemis sont inutiles."
Andrinople, Adrianople ou Adrianopolis (ville fondée par
l'empereur Hadrien) et aujourd'hui Edirne en Turquie,
en Roumélie, est située à l'Ouest du Bosphore. Héraclée-Sintique,
ou Périnthe et aujourd'hui Erékli en Turquie était non loin de
cette ville, vers la Mer Noire.
Le bienheureux Philippe parlait encore, quand l'homme de police de la cité, Aristomaque, arriva pour fermer l'église des chrétiens, en y apposant les scellés de la part du gouverneur.
Philippe dit :
" Homme crédule, qui t'imagines que le Dieu tout-puissant habite plutôt dans des murs de pierre que dans les coeurs des hommes. Tu ignores cette parole d'Isaïe : Le ciel est mon trône, et la terre est l'escabeau de mes pieds. Quelle maison espérez-vous donc me construire ?"
Le lendemain, l'homme de police vint faire l'inventaire de tout le mobilier de l'église et y apposa le sceau de l'empereur.
Tous étaient tristes ; Philippe avec Sévère, Hermès et les autres, s'interrogeait, plein d'anxiété, sur son propre devoir. Appuyé contre la porte, il ne permettait pas que personne s'éloignât du siège qui lui avait été confié. Il parlait de l'avenir. A quelque temps de là, les frères étant réunis à Héraclée pour célébrer le jour du Seigneur, le président Basse trouva Philippe, environné de tous les fidèles, debout à la porte de l'église.
Basse voulut les juger séance tenante ; il s'assit et les fit approcher ; puis, s'adressant à Philippe et à la foule :
" Qui de vous est le maître des chrétiens, le docteur de leur Eglise ?"
Philippe répondit :
" C'est moi que tu cherches."
Basse continua :
" Tu connais la loi de l'empereur qui défend aux chrétiens de tenir des réunions ; il veut que dans tout l'univers les hommes de cette secte se convertissent aux idoles ou soient mis à mort. Ainsi donc tous les vases que vous avez, qu'ils soient d'or ou d'argent ou de toute autre matière, quel que soit d'ailleurs le prix du travail, de même aussi les Ecritures que vous lisez et que vous enseignez, seront soumis à l'examen de notre puissance. Que si vous ne le faites pas de bon gré, vous y serez réduits par les tourments."
Philippe répondit :
" S'il te plaît de nous faire souffrir, notre âme est prête.
Prends donc ce corps infirme, déchire-le comme tu voudras, mais ne t'attribue pas un pouvoir quelconque sur mon âme. Quant aux vases que tu demandes, prends-les, nous n'y sommes pas attachés. Ce n'est pas avec un métal précieux, c'est par la crainte de Dieu que nous honorons le Seigneur ; c'est la beauté du coeur, et non l'ornement d'une église, qui plaît au Christ. Quant à nos Ecritures, tu ne peux les recevoir, et il serait indigne à moi de te les livrer."
Le président fit approcher les bourreaux. Mucapor entra : c'était une sorte de monstre bestial. Le président appela le prêtre Sévère ; on ne le trouva pas, il fit alors torturer Philippe.
Le supplice se prolongeait sans mesure, lorsque Hermès s'écria :
" Juge, avec tes impitoyables recherches quand même on te livrerait tous nos saints Livres, et qu'il ne resterait plus aucune trace écrite de cette vénérable tradition dans tout l'univers, nos fils, fidèles à la mémoire de leurs pères, et animés par le zèle de leur propre salut, auraient bientôt refait des volumes en plus grand nombre, et ils enseigneraient avec d'autant plus d'ardeur la crainte respectueuse que nous devons au Christ."
On le fouetta longtemps ; ensuite il entra dans le lieu où l'on conservait cachés tous les vases sacrés ainsi que les Écritures. Il y fut suivi par Publius, l'assesseur du président, homme avide et voleur. Il se mit aussitôt à détourner avec adresse quelques-uns des vases dont on avait fait l'inventaire.
Hermès voulut blâmer son audace et l'arrêter ; l'autre lui meurtrit le visage au point que le sang jaillit en abondance. Basse, l'ayant appris, fit venir Hermès ; la vue de son visage tout sanglant l'irrita contre Publius, et il fit soigner la victime. Les vases, ainsi que toutes les Écritures, furent, par ordre du président, remis aux mains d'un officier. Il fit ensuite conduire au forum Philippe et tous les autres, entourés de gardes.
Pendant que la foule roulait vers le forum, le président chargea les soldats d'y porter toutes les Écritures, et il se rendit au palais. Le toit de l'église des chrétiens fut dépouillé de ses ornements. On activait à coups de fouet la répugnance de ceux qui étaient chargés de cet office, de peur qu'ils ne fussent trop lents à détruire. Pendant ce temps on alluma des feux sur le forum dans lesquels on jeta toutes les Écritures divines. Les flammes s'élancèrent vers le ciel si impétueuses et si menaçantes que les spectateurs pris de peur s'enfuirent. Quelques-uns cependant, au milieu de cette exécution, étaient demeurés sur le forum qui sert de marché à la ville, et entouraient le bienheureux Philippe.
Quand la nouvelle de ce malheur arriva, le saint prit la parole :
" Habitants d'Héraclée, juifs et païens, à quelque secte, à quelque religion que vous apparteniez, sachez que l'heure des derniers temps n'est pas éloignée, cette heure que l'Apôtre nous apprenait à craindre, lorsqu'il disait : Voilà que du haut du ciel la colère de Dieu va se révéler pour punir l'impiété et l'injustice des hommes.
Sur Sodome autrefois a pesé la juste colère de Dieu, à cause des crimes de. ses habitants. Si donc les habitants d'Héraclée redoutent le jugement de Sodome, qu'ils fuient ses injustices, et recherchent enfin le Dieu qui s'est réservé le jugement ; qu'ils abandonnent le vain culte des pierres et assurent leur salut. Ceux qui dans l'Orient ont vu les feux de Sodome ont eu là un signe du jugement, un exemple de la colère de Dieu. Mais ces feux ne devaient pas être seulement manifestés en Orient ; la Sicile et même l'Italie ont eu aussi leur merveilleux enseignement. Le saint homme Lot avec ses filles fut arraché par les Anges à la ville de Sodome, parce qu'il était exempt de péché et plein d'horreur pour les crimes de ses concitoyens. De même autrefois, en Sicile, une immense quantité d'eau s'élança de la bouche du cratère divin, en même temps qu'une flamme vengeresse descendait du ciel pour punir les pécheurs.
Tout fut consumé, à l'exception de deux jeunes vierges qui échappèrent au danger. Même au milieu de la frayeur universelle, la prudence ne les avait point abandonnées : leur père était accablé par la vieillesse et les infirmités, elles l'emportèrent pieusement dans leurs bras.
Mais en cherchant à échapper à l'incendie, le doux fardeau qu'elles portaient les arrêta dans leur fuite ; un cercle de flammes pétillantes les environnait, et elles se virent contraintes d'essayer un moyen de salut désespéré.
Le Christ tout-puissant ne voulut pas laisser succomber tant de piété filiale et de dévouement. Par le secours sensible de sa majesté souveraine, il rendit le père à ses enfants et les enfants à leur père, en sorte que l'on put comprendre que ce n'était pas Dieu qui avait manqué, mais bien plutôt le mérite et la vertu à tous ceux qui furent les victimes de l'incendie.
Aussitôt donc s'ouvrit pour les vierges une voie libre et sûre, et partout où elles dirigeaient leurs pas, vous eussiez vu la flamme tracer, comme en se jouant, la route devant elles. Le feu suspendait son souffle embrasé ; doux et caressant comme le zéphir, il embellissait même tous les lieux sur leur passage ; on eût dit qu'à la volonté de ces vierges tout s'animait d'une nouvelle vie."
" Telle était donc la sainteté de leurs mérites et la puissance de leur piété filiale, que le feu respectait non seulement leurs personnes, mais encore les endroits par où elles passaient. Ce lieu que la flamme n'avait pas osé toucher s'appela depuis la Piété, il a conservé jusqu'aujourd'hui ce nom glorieux qui devra, mieux que tous nos écrits, transmettre à nos descendants le souvenir du miracle. Quant à ce feu intelligent, c'était sans aucun doute le feu divin qui, juge et vengeur de toutes nos actions, descend souvent du ciel sur la terre, et brûle tout ce qu'il y trouve d'inutile. Autrefois la pensée de ce feu inspira je ne sais quel amour de la mort à Hercule, en lui persuadant que les hommes dévorés par les flammes deviennent des dieux ; et l'infortuné héros se brûla sur le mont Igie. Il est vrai que le médecin Esculape, frappé de la foudre sur le mont Cynosyris, trouva dans ce feu comme une consécration divine aux yeux des gentils insensés, qui se prirent à honorer en lui ce qui n'était, certes, pas une puissance quelconque, mais le juste châtiment de ses crimes et sa triste fin.
Assurément ils n'auraient pas imaginé en lui tant de puissance s'il eût continué à vivre. C'est ce même feu qui a brûlé ce que les Éphésiens appellent leur dieu, brûlé le Capitole et le temple de la ville de Rome, brûlé l'empereur Héliogabale ; ce même feu qui n'a point épargné dans Alexandrie l'asile de Sérapis, dévorant à la fois le temple et son Dieu."
" Qui donc, dites-le-moi, pourrait espérer encore du secours de ces vaines idoles, qui non seulement ne peuvent se donner l'être, mais ne sauraient même se le conserver ? Un tel dieu est créé par celui qui l'adore ; et si par hasard le matin il devient la proie des flammes, le soir l'activité vigilante de l'ouvrier l'a remis en état.
Tant qu'on pourra trouver des pierres et du bois, les dieux ne manqueront point parmi les hommes. Dans Athènes, le dieu Bacchus a volontiers laissé brûler son temple, sachant que la foudre consacrerait sa divinité. Minerve avec sa lance a brûlé de même ; ni la tête de la Gorgone qui défend sa poitrine, ni l'éclat de son armure aux mille couleurs n'ont pu la défendre ; plus heureuse, si elle eût continué à tourner ses fuseaux ! De même à Delphes, le temple d'Apollon, que la tempête avait déjà renversé, fut aussi consumé par un feu mystérieux.
Mais celui qui punit respecte partout sa grâce ; s'il éprouve l'homme juste, ce n'est plus une flamme qui châtie, c'est une lumière qui fait éclater la vertu."
Pendant ce long discours, Hermès aperçoit le prêtre Cataphrons et ses ministres, qui portaient aux idoles des mets impies, de sacrilèges offrandes.
Aussitôt il dit aux fidèles qui l'environnaient :
" Ce festin que vous voyez, c'est l'invocation du diable ; on l'apporte pour nous souiller."
Philippe lui dit :
" Que la volonté du Seigneur s'accomplisse !"
En même temps le président Basse arriva, escorté de la foule dans laquelle les uns s'apitoyaient, tandis que la colère, chez les autres, s'emportait aux plus grands excès ; les Juifs surtout étaient les plus violents ; car le jugement de l'Écriture contre eux est toujours vrai ; c'est d'eux que l'Esprit-Saint a dit par son Prophète : Ils ont sacrifié au démon, et non à Dieu.
Le président commença l'interrogatoire ; il dit à Philippe :
" Immole des victimes aux dieux."
Philippe répondit :
" Comment puis-je, moi chrétien, honorer des pierres ?
- Tu ne peux refuser à nos maîtres le tribut d'un sacrifice.
- Nous avons appris à obéir aux princes, à offrir aux empereurs nos hommages : le culte, jamais.
- Mais à la fortune de la ville tu ne refuseras pas un sacrifice. Vois comme sa statue est belle et riante, avec quelle bienveillance elle admet à l'honneur de son service tout ce peuple nombreux.
- Je vois bien qu'elle vous plaît, puisque vous l'honorez ; pour moi je professe hautement que l'oeuvre d'un homme, quel que soit son talent, ne pourra jamais m'arracher au culte du Maître du ciel.
- Laisse-toi toucher par cette statue d'Hercule si belle.
- Ah ! les malheureux, dignes de toutes nos larmes ! ignorer à ce point la sainteté trois fois adorable de la Divinité ! Infortunés que vous êtes, vous abaissez le ciel aux proportions de la terre ; et, dans votre ignorance de la vérité, vous inventez et vous fabriquez l'objet de votre culte ! Qu'est-ce donc que l'or, l'argent, l'airain, le fer ou le plomb ? N'est-ce pas de la terre, cette terre qui dans son sein les nourrit et les forme ?
Vous ignorez la divinité du Christ, qu'aucune intelligence humaine ne peut ni mesurer ni comprendre; et vous osez reconnaître quelque ombre de puissance dans ces dieux que la main d'un ouvrier, peut-être appesanti par le sommeil ou par le vin, vous a façonnés ?
Si, par hasard, de son travail sort une image plus parfaite, aussitôt à cette image vous attribuez la puissance, vous la revêtez de la divinité. Convenez que vos maisons et vos palais sont des ateliers de sacrilèges, où l'impiété se renouvelle sans cesse ; car enfin, lorsque, pour les usages domestiques, vous brûlez quelque morceau de bois, c'est la matière de votre dieu que vous brûlez.
Quelle excuse donnerez-vous d'un pareil crime ? Vous dites, il est vrai : Ce bois n'était pas un dieu ; mais je vous répondrai : Il pouvait le devenir, si l'ouvrier l'avait voulu. Et vous ne comprenez pas dans quelles ténèbres vous êtes plongés ! Parce que le marbre de Paros est beau, le Neptune qu'on y taillera en sera-t-il meilleur ? Et parce que vous avez un bel ivoire, votre Jupiter en retirera-t-il quelque attrait de plus, si vous l'y entaillez ?
Avouez que vos ouvriers ont trouvé un excellent moyen d'accroître la valeur du métal qu'ils emploient ; mais ce n'est pas au profit du dieu ; c'est au leur. Concluons donc que tout cela n'est que de la terre, qu'il faut fouler aux pieds et non pas adorer. Dieu, à notre sentiment, a fait la terre afin que nous en jouissions ; pour vous, il paraîtrait qu'il ne l'a faite que comme une matière destinée à vous fournir des dieux."
Basse se tourna vers Hermès :
" Toi, du moins, sacrifie aux dieux.
- Non ; je suis chrétien.
- Quel est ton rang dans la cité ?
- Je suis décurion ; mais voici mon maître à qui j'obéis en tout.
- Si j'amène Philippe à sacrifier, tu le suivras comme ton maître.
- Non, ni moi je suivrai son apostasie, ni toi tu ne triompheras de sa vertu. Un même esprit, une même force nous animent.
- Tu seras livré au feu, si tu t'obstines dans cette fureur de la résistance.
- Les flammes dont tu me menaces sont impuissantes ; tu ignores le feu éternel qui consume, dans d'interminables souffrances, les disciples du diable.
- Sacrifie au moins à nos maîtres, à nos empereurs ; en disant : Vie et puissance à nos princes !
- Nous aussi, nous aspirons à la vie.
- Sacrifiez donc ; dérobez-vous à ces chaînes, à ces tourments.
- Juge impie, jamais tu ne nous amèneras à ton impiété ; tes menaces, loin de nous amollir, donnent à notre foi plus de courage."
Basse furieux, forçant la voix, commanda qu'on les re-conduisît en prison. Pendant le trajet, des hommes osaient pousser Philippe avec violence ; souvent le saint évêque roulait à terre. Mais il se relevait le visage joyeux, ne témoignant ni indignation ni douleur. La stupeur avait envahi les âmes ; tous étaient en admiration devant un vieillard qui souffrait avec joie tant de cruelles insultes. Cependant les saints martyrs arrivèrent en chantant des psaumes. Après quelques jours de prison, on leur offrit la maison d'un certain Pancrace, où, sous la surveillance des soldats du gouverneur, ils devaient être traités avec tous les égards de l'hospitalité.
Or, comme ils demeuraient dans cette maison, les frères accouraient en foule de toutes parts auprès de ces saints confesseurs, qui les accueillaient avec bonté et leur enseignaient les sacrés mystères. Le diable, témoin de cette affluence, devint furieux de se voir enlever tous ses sujets ; c'est pourquoi, par la trahison et les calomnies, il obtint un nouvel ordre de les re-mettre en prison. Mais la prison était adossée au théâtre, en sorte qu'on avait pu y ménager une communication secrète. Par cette voie, les prisonniers, pénétrant dans l'enceinte réservée aux spectacles, pouvaient y recevoir la foule qui accourait pour les visiter. Cette pieuse avidité était si grande et si universelle, que la nuit même ne suspendait pas la visite des frères.
Sur ces entrefaites, Basse, à la fin de sa présidence annuelle, reçut un successeur dans la personne de Justin. C'était un coeur pervers, incapable de connaître Dieu et trop endurci pour le craindre. Ce changement causa aux frères une grande douleur ; car Basse leur avait montré des égards, et, en présence de la raison, il se laissait vaincre ; même depuis quelque temps sa femme était convertie. A l'arrivée du nouveau président, Zoïle, le magistrat de la cité, au milieu du grand concours des citoyens, fit amener Philippe devant Justin.
Justin lui dit :
" Tu es l'évêque des chrétiens ?
- Je le suis, et je ne puis le nier.
- Les empereurs, nos maîtres, ont daigné ordonner à tous les chrétiens de sacrifier. S'ils refusent, nous devons employer la contraite, et contre l'obstination, le châtiment. Aie donc pitié de ta vieillesse, et ne l'expose pas à des tortures que la jeunesse aurait peine à supporter."
Philippe répondit :
" Des hommes, vos semblables, font des lois, et vous les recevez; vous les gardez par la crainte d'une rapide souffrance; combien plus nous devons, nous, obéir aux ordres de notre Dieu, qui punit les coupables dans des supplices éternels !
- Il est juste d'obéir aux empereurs.
- Je suis chrétien, et je ne puis faire ce que tu m'ordonnes. Tu peux me punir, mais non me contraindre.
- Tu ne soupçonnes pas quels tourments vont t'atteindre.
- Me tourmenter, tu le peux ; me vaincre, jamais. Non, personne ne m'amènera à sacrifier à vos dieux.
- Je t'attacherai les pieds, et tu seras traîné par la ville. Si tu survis, tu attendras en prison de nouveaux supplices.
- Plaise à Dieu que ta parole s'accomplisse avec tes désirs impies."
Alors Justin le fit attacher et traîner, ainsi qu'il avait dit. Bientôt le corps du saint, heurtant avec violence contre un pavé inégal et rude, fut couvert de blessures dans tous ses membres. Les mains des frères le recueillirent et le reportèrent en prison.
Cependant, le prêtre Sévère, pour se soustraire aux recherches, se tenait caché dans une retraite profonde, quand, poussé par un mouvement de l'Esprit-Saint, il se présenta lui-même. Quand on l'eut amené à l'audience, Justin lui dit :
" Je dois en ce moment te donner un conseil : ne te laisse pas séduire par la folie étrange dont Philippe, votre docteur, vient d'être la victime. Sa fureur a été la seule cause de son supplice. Obéis plutôt aux ordres de l'empereur. Épargne ton corps ; aime la vie ; attache-toi avec joie aux biens que t'offre le monde."
Sévère répondit :
" Il me faut être fidèle et garder jusqu'à la fin les mystères.
- Réfléchis, d'un côté le supplice, de l'autre le salut ; tu comprendras facilement qu'il y a avantage de sacrifier aux dieux."
Mais le seul nom de sacrifice excitait l'indignation et l'horreur de Sévère ; le président donna l'ordre de le ramener en prison.
Hermès fut appelé. Justin lui dit :
" Ceux qui t'ont précédé viennent de mépriser les ordres de l'empereur ; tu vas voir leur châtiment. Garde-toi de vouloir partager leurs tortures ; songe à assurer ta vie, la vie de tes enfants ; fuis le péril, sacrifie aux dieux."
Hermès répondit :
" Jamais. J'ai grandi dans cette foi que je défends aujourd'hui ; car c'est depuis le berceau que le saint, mon maître, a imprimé cette vérité dans mon âme. Je ne puis en aucune manière abandonner la voie ; un faux pas serait un crime, déchire-moi à ton gré, j'ai rendu témoignage à mon Dieu.
- Ton assurance n'a d'autre fondement que l'ignorance des maux qui te menacent ; quand tu auras été mis à la torture, tu te repentiras, mais trop tard."
Hermès répondit :
" Quelles que soient les douleurs dont tu veux m'accabler, le Christ, pour qui nous souffrons, les adoucira par ses Anges."
Justin le condamna à la prison. Mais, au bout de deux jours, adoucissant un peu la sévérité de ses ordres, il mit les martyrs sous les lois de l'hospitalité, à la garde d'un citoyen de la ville. Cet état dura peu. Un nouvel ordre les ramena en prison ; et, pendant sept mois entiers, on les retint dans des cachots infects, jusqu'à ce que Justin commandât de les conduire à Andrinople. A leur départ d'Héraclée, la douleur et les regrets furent grands parmi les frères.
Arrivés à Andrinople, les saints furent gardés dans la maison de campagne Sempor, jusqu'à l'arrivée du gouverneur. Il vint enfin ; et, dès le lendemain de son entrée, il fit dresser son tribunal aux Thermes, devant toute la foule du peuple, et ordonna qu'on lui amenât Philippe.
" La délibération a été longue, lui dit-il ; quelle est enfin ta résolution ? Car c'était pour te préparer à un changement qu'un délai t'avait été accordé. Sacrifie donc, si tu veux échapper au supplice et recouvrer la liberté."
Philippe répondit :
" Si notre prison avait été volontaire, tu pourrais nous faire valoir comme une grâce le temps qu'il t'a plu de nous y laisser; mais, comme cette prison n'a été qu'un châtiment qu'il nous a fallu subir, de quel droit veux-tu que j'appelle une libéralité le temps que tu nous y as retenus ? Je te l'ai déjà dit, je suis chrétien ; à toutes tes questions ce sera ma réponse. Jamais je n'adorerai de statues ; je n'adore que le Dieu éternel."
Le président le fit alors dépouiller de ses vêtements. Quand on lui eut enlevé sa longue robe de lin, le président lui dit :
" Consens-tu à faire ce que nous t'ordonnons ? Refuses-tu encore ?"
Philippe répondit :
" Je ne sacrifierai pas."
A cette réponse, Justin donna l'ordre de le frapper de verges. Alors parut un merveilleux prodige : toute la partie antérieure de sa tunique de lin demeurait intacte sous les coups, tandis que l'autre se déchirait en mille endroits. Les verges avaient profondément sillonné tous les membres ; l'oeil sondait dans le corps jusqu'aux profondes retraites de la vie, les entrailles étaient mises à nu ; et cependant l'athlète du Christ demeurait calme et tranquille. Justin fut comme effrayé de tant de courage ; il ordonna de le reconduire en prison, et fit amener Hermès.
Le juge répéta ses menaces, les officiers de leur côté offraient au martyr les conseils de la prudence ; niais ni les menaces ni la persuasion ne purent l'ébranler. Il était aimé de tout le monde, et spécialement des appariteurs du juge ; car il avait été magistrat et s'était attaché tous les officiers du gouverneur.
Saisissant cette occasion de lui témoigner leur reconnaissance, ils s'agitaient avec une tendre sollicitude pour le sauver ; le martyr sortit victorieux de ce nouveau combat et rentra dans sa prison, que remplissait une joie immense : on rendait grâces au Christ et on célébrait la défaite de Satan.
Cette première lutte avait exalté le courage et multiplié les forces. Philippe lui-même, qui avait été jusque-là d'une nature délicate et sensible, au point de ne pouvoir souffrir qu'on le touchât, maintenant défendu par la protection des Anges, ne ressentait plus aucune gêne.
Trois jours après, Justin se trouva au lieu des audiences publiques, fit amener les martyrs, et dit à Philippe :
" D'où te vient cette témérité qui t'emporte à mépriser la vie, et à refuser d'obéir aux ordres de l'empereur ?
- Ce n'est point témérité, mais j'adore le Dieu qui a tout créé et qui jugera les vivants et les morts ; son amour et sa crainte m'inspirent, et je n'ose mépriser sa loi. J'ai obéi de longues années aux empereurs, et, qu'ils me commandent des choses justes, je m'empresserai de les exécuter ; car l'Ecriture divine a ordonné de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. Je l'ai toujours fait. Mais aujourd'hui il est temps de renoncer aux caresses du monde et de ravir le ciel, en dédaignant la terre. Comprends donc que je suis chrétien, et que je refuse de sacrifier aux dieux."
Justin s'adressa à Hermès :
" Si la vieillesse, voisine de la mort, inspire à celui-ci le dégoût des biens d'ici-bas, tu achèteras par un sacrifice des jours plus heureux.
- Je veux te montrer en peu de mots et clairement, à toi et à tes assesseurs, ce que vaut le culte odieux que tu pratiques.
Comment le mensonge poursuit-il ainsi la vérité, le crime l'innocence, que l'homme enfin veuille toujours attaquer l'homme ? Dieu n'avait pas créé dans ce monde un être plus parfait que l'homme ; mais le diable s'est ingénié à profaner l'oeuvre du ciel. Il a inventé ces dieux que vous honorez ; il vous a faits, par vos sacrifices, les esclaves de son empire. Comme des chevaux qui prennent le mors aux dents, n'obéissent plus aux rênes ni à la main qui les conduit, et, brisant le frein salutaire qui les veut arrêter, vont, ignorants de la mort, se jeter dans les précipices, vous, de même, la folie vous emporte ; vous méprisez la parole de Dieu pour écouter et garder les conseils impies du diable. Mais le ciel a parlé. Aux bons, la gloire ; aux méchants, l'infamie ; car la justice appelle sur les uns la récompense, sur les autres le châtiment. Le prophète Zacharie dit : Que le Seigneur te punisse, Ô Satan ! que le Seigneur te punisse, lui qui a choisi Jérusalem. Ce bois à demi brûlé, n'est-ce pas un tison arraché aux flammes ?
Quelle passion vous pousse à chercher un refuge près d'une bûche brûlée, et qui vous donnera la mort ? Si vous voulez brûler avec lui, laissez-nous du moins parcourir le cercle étroit de cette vie terrestre, de manière à nous assurer les biens de l'éternelle vie. Avec cet extérieur malpropre, des vêtements sales, des cheveux mal peignés, vous prétendez honorer les tombeaux et les temples de vos, dieux ; ce n'est point ainsi qu'on adore.
On dirait, au contraire, que vous pleurez, et que vous portez dès avant le jugement la peine du péché. Comment, devant ces folies, demeurez-vous aveuglés ? Votre libérateur vous offre son secours, et vous n'accourez pas vers lui ! Les chiens à l'odeur cherchent leur maître ; au coup de sifflet du guide qu'il a renversé sans le savoir, le, cheval accourt et sait trouver son cavalier ; à la vue de l'étable, le boeuf revient à son maître ; l'âne lui-même sait trouver le lieu où l'abrite celui qui le nourrit. Mais Israël ignore son Seigneur, selon ce qui a été écrit : Israël ne m'a pas connu, moi, le Seigneur de toutes choses ; ils n'ont pas craint le jugement du juste.
Qu'ils périssent donc, ou noyés dans les eaux d'un nouveau déluge, comme au temps de Noé ; ou épuisés de faiblesse, comme les Israélites dans le désert, lorsque leurs genoux tremblants se dérobaient sous eux ; ou enfin consumés dans les flammes, comme ceux qui n'avaient pas observé la loi.
- Crois-tu donc pouvoir faire de moi un chrétien ? dit Justin.
- Ce n'est pas toi seulement, c'est chacun de ceux qui m'entourent ici que je voudrais convertir au Christ. Du reste, ne compte pas que je sacrifie jamais à tes dieux."
Le président prit conseil de ses ministres et de son assesseur, puis il prononça la sentence :
" Philippe et Hermès ont méprisé les décrets de l'empereur ; en conséquence ils ont perdu les noms et les droits du citoyen romain ; nous ordonnons qu'ils soient brûlés vifs, afin que tous apprennent par cet exemple ce qu'il en coûte de mépriser les lois de l'empire."
Aussitôt on fit sortir les confesseurs ; ils marchaient vers le bûcher d'un pas joyeux. On eût dit les deux chefs d'un grand troupeau, choisis au milieu de leurs nombreuses brebis, pour être offerts au Dieu tout-puissant comme une hostie sainte.
Cependant Sévère restait seul en prison, comme un vaisseau abandonné sans gouvernail à la merci des flots, ou comme une brebis tremblante égarée dans la solitude, après avoir perdu son pasteur. Mais son âme s'exaltait dans une immense joie à la nouvelle que ses maîtres étaient conduits au martyre, le terme de toutes ses espérances. Il était tombé à genoux, et, dans sa prière mêlée de gémissements et de larmes, il disait au Seigneur :
" Ô Dieu ! vous êtes le port sûr et tranquille de tous ceux que la tempête agite, l'espérance de ceux qui espèrent. Vous êtes le salut des malades, le secours des indigents, le guide des aveugles, la miséricorde ouverte à tous ceux qui sont dans la peine ; vous êtes un appui dans la fatigue, une lumière dans les ténèbres.
C'est vous qui avez établi la terre sur ses fondements, donné des lois à la mer et distribué à chacun des éléments son rôle et sa place dans la création. Dans votre seule parole, le ciel et les astres, tous les êtres, ont trouvé leur perfection. Vous avez sauvé Noé des eaux et comblé Abraham de richesses ; vous avez délivré Isaac et préparé la victime qui devait le remplacer sur l'autel ; vous avez donné à Jacob le bonheur et la gloire de lutter avec vous ; par vos Anges Lot a été retiré de Sodome, la terre de malédiction ; Moïse vous a vu ; Jésus, fils de Navé, a reçu de vous la sagesse, et vous avez daigné servir de guide à Joseph dans son long exil ; puis arrachant votre peuple à la terre d'Égypte, vous l'avez conduite jusqu'à la terre promise.
C'est vous qui avez secouru dans la fournaise les trois enfants, que votre Majesté sainte a inondés comme d'une rosée divine, pour les préserver des flammes ; c'est vous qui avez fermé la gueule des lions, et donné à Daniel, avec la vie, un repas miraculeux ; vous n'avez pas laissé périr Jonas dans les profondeurs de la mer, ni sous la dent du monstre cruel envoyé pour l'engloutir ; vous avez donné des armes à Judith et délivré Suzanne de l'injustice de ses juges ; par vous, Esther a reçu la gloire, tandis que vous ordonniez de faire périr Aman.
C'est vous enfin qui nous avez amenés des ténèbres à l'éternelle lumière, Ô vous, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; vous êtes vous-même cette lumière toujours victorieuse ; et c'est vous qui m'avez donné le signe de la croix et du Christ.
Ne me rejetez pas, Seigneur, comme indigne des souffrances qu'ont méritées mes collègues ; donnez-moi plutôt une part à leur couronne, afin que je sois réuni dans la gloire avec ceux dont j'ai pu partager. la prison. Après avoir avec eux confessé votre nom à jamais adorable et affronté comme eux les cruels tourments du juge, faites que j'aie le bonheur de jouir avec eux du repos."
Telle était la prière de Sévère ; ces ardents désirs de la foi furent exaucés, et dès le lendemain il mérita de recevoir la grâce du martyre.
Quant à Philippe, il fallut le porter la douleur de ses pieds, après tant de tortures, ne lui permettait pas de marcher. Hermès, retardé lui aussi par de semblables souffrances, le suivait en boitant. Il causait doucement avec Philippe :
" Hâtons-nous d'arriver auprès du Seigneur; nos pieds ne doivent plus nous inquiéter beaucoup ; tout à l'heure nous n'en aurons plus besoin. Les besoins de la vie présente pourront suspendre leur office, quand nous serons entrés dans le royaume du ciel."
Puis s'adressant à la multitude qui les suivait, il ajouta :
" Ces souffrances, Dieu me les avait fait connaître par révélation. Tandis que je dormais, je crus voir une colombe blanche comme la neige. Elle entra dans ma chambre et se reposa sur ma tête ; puis elle descendit sur ma poitrine et m'offrit une nourriture délicieuse; je compris que le Seigneur m'appelait et me jugeait digne du martyre."
Pendant qu'il parlait, on arriva au lieu de l'exécution. D'abord les bourreaux, selon la coutume, recouvrirent de terre les pieds du bienheureux Philippe jusqu'aux genoux, et lui lièrent les mains derrière le dos avec une corde qu'ils fixèrent avec des clous. Puis ils ordonnèrent à Hermès de descendre de même dans la, fosse.
Hermès, qui soutenait avec peine sur un bâton ses pas chancelants, se prit à rire de cet ordre et dit :
" Comment, diable, même ici tu ne saurais me soutenir !"
On jeta aussitôt de la terre sur ses pieds ; mais avant qu'on allumât le bûcher, le malheureux Hermès appela dans la foule des spectateurs un des frères nommé Véloge. Il lui fit jurer par le nom sacré de Notre Seigneur Jésus-Christ qu'il porterait à Philippe, son fils, les dernières volontés d'un père mourant, et lui dirait de payer fidèlement tout ce qu'il pouvait laisser de dettes en mourant, parce que tel est le précepte du Roi de l'univers, qui a ordonné de rendre de bon coeur à chacun les biens que nous en avons reçus.
" Que mon fils soit donc fidèle à faire cette restitution, pour ne pas laisser à son père une cause d'expiation et de souffrance."
Le saint martyr voulait parler des nombreux dépôts que la confiance des fidèles avait remis en ses mains.
Il ajouta avec une tendresse toute paternelle :
" Tu es jeune ; cherche ta vie dans le travail, comme faisait ton père ; à son exemple, vis toujours dans la paix et l'union avec le prochain."
Quand il eut achevé, les bourreaux lui lièrent les mains derrière le dos et mirent le feu au bûcher. Au milieu des flammes, tant que les martyrs purent formuler une parole, on entendit leurs cantiques ; quand leurs forces furent épuisées, l'Amen annonça que tout était consommé.
On trouva le bienheureux Philippe les bras étendus, comme dans la prière. Le corps du vieillard s'était renouvelé dans l'éclat de la jeunesse ; il semblait encore provoquer l'ennemi, et chercher une couronne dans de nouveaux supplices et de nouveaux combats. De même le visage du bienheureux Hermès était intact ; une couleur de vie animait ses traits ; seulement, comme trace du combat qu'il venait de soutenir, l'extrémité de ses oreilles était demeurée légèrement livide. A cette vue, tous ensemble, on rendit grâces au Dieu tout-puissant, qui donne la gloire et la couronne à ceux qui espèrent en lui.
Le diable ne put voir, sans dépit, tant de merveilles ; l'inspira à Justin de jeter dans l'Ebre les corps des martyrs. En apprenant cette nouvelle cruauté, les fidèles d'Andrinople préparèrent leurs filets et montèrent sur leurs barques , dans l'espérance que quelqu'un d'eux aurait le bonheur de retrouver une si riche proie. Dieu ne fut pas sourd à leurs voeux; presque aussitôt les saintes reliques tombèrent dans les filets et furent retirées entières. Ce trésor, plus précieux que l'or et les plus riches perles, fut caché à douze milles, d'Héraclée, dans une ville que l'on appelle dans la langue du pays Ogetistyron, c'est-à-dire, en notre langue, le lieu des possesseurs. En ce lieu se trouvaient des sources nombreuses ; un bois, de riches moissons, des vignes en faisaient l'ornement. Mais aujourd'hui la Majesté divine y multiplie les miracles, pour prouver à tous qu'il ne peut laisser dans l'obscurité ses serviteurs, quand on a vu jusqu'aux abîmes profonds d'un fleuve les restituer d'eux-mêmes à notre vénération. C'est ainsi qu'il nous avertit de ne pas trembler devant les supplices, mais plutôt de tendre avec ardeur vers la couronne.
Amen.
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samedi, 19 octobre 2024
19 octobre. Saint Pierre d'Alcantara, de l'ordre des frères mineurs, confesseur. 1562.
- Saint Pierre d'Alcantara, de l'ordre des frères mineurs, confesseur. 1562.
Pape : Pie IV. Roi de France : Charles IX. Roi d'Espagne : Philippe II.
" Marchant dès son jeune âge dans l'innocence, évitant la sensualité et les plaisirs dangereux,fuyant le commerce des hommes, il s'adonnait à la contemplation des choses divines, et déjà embrasé de l'amour céleste, il croissait en sagesse et en grâce et, par la maturité de sa conduite, devançait le cours des années."
Bulle de sa canonisation.
Saint Pierre d'Alacantara. Luis Tristan.
Palais archi-épiscopal. Toléde. XVIe.
Pierre naquit à Alcantara, en Espagne, de nobles parents. Il fit présager dès ses plus tendres années sa sainteté future. Entré à seize ans dans l'Ordre des Mineurs, il s'y montra un modèle de toutes les vertus. Chargé par l'obéissance de l'office de prédicateur, innombrables furent les pécheurs qu'il amena à sincère pénitence.
Mais son désir était de ramener la vie franciscaine à la rigueur primitive ; soutenu donc par Dieu et l'autorité apostolique, il fonda heureusement le très étroit et très pauvre couvent du Pedroso, premier de la très stricte observance qui se répandit merveilleusement par la suite dans les diverses provinces de l'Espagne et jusqu'aux Indes. Sainte Thérèse, dont il avait approuvé l'esprit, fut aidée par lui dans son œuvre de la réforme du Carmel. Elle avait appris de Dieu que toute demande faite au nom de Pierre était sûre d'être aussitôt exaucée ; aussi prit-elle la coutume de se recommander à ses prières, et de l'appeler Saint de son vivant.
Extase de saint Pierre d'Alcantara.
Melchior Pérez Holguín. Bolivie. XVIIIe.
Les princes le consultaient comme un oracle ; mais sa grande humilité lui faisait décliner leurs hommages, et il refusa d'être le confesseur de l'empereur Charles-Quint. Rigide observateur de la pauvreté, il ne portait qu'une tunique, et la plus mauvaise qui se pût trouver. Tel était son délicat amour de la pureté, qu'il ne souffrit pas même d'être touché légèrement dans sa dernière maladie par le Frère qui le servait. Convenu avec son corps de ne lui accorder aucun repos dans cette vie, il l'avait réduit en servitude, n'ayant pour lui que veilles, jeûnes, flagellations, froid, nudité, duretés de toutes sortes. L'amour de Dieu et du prochain qui remplissait son cœur, y allumait parfois un tel incendie, qu'on le voyait contraint de s'élancer de sa pauvre cellule en plein air, pour tempérer ainsi les ardeurs qui le consumaient.
Son don de contemplation était admirable ; l'esprit sans cesse rassasié du céleste aliment, il lui arrivait de passer plusieurs jours sans boire ni manger. Souvent élevé au-dessus du sol,il rayonnait de merveilleuses splendeurs. Il passa à pied sec des fleuves impétueux. Dans une disette extrême, il nourrit ses Frères d'aliments procurés par le ciel. Enfonçant son bâton en terre, il en fit soudain un figuier verdoyant. Une nuit que, voyageant sous une neige épaisse, il était entré dans une masure où le toit n'existait plus, la neige, suspendue en l'air, fit l'office de toit pour éviter qu'il n'en fût étouffé.
Sainte Thérèse rend témoignage au don de prophétie et de discernement des esprits qui brillait en lui. Enfin, dans sa soixante-troisième année, à l'heure qu'il avait prédite, il passa au Seigneur, conforté par une vision merveilleuse et la présence des Saints. Sainte Thérèse, qui était loin de là, le vit au même moment porté au ciel ; et, dans une apparition qui suivit, elle l'entendit lui dire : " Ô heureuse pénitence, qui m'a valu si grande gloire !" Beaucoup de miracles suivirent sa mort, et Clément IX le mit au nombre des Saints.
Saint Pierre d'Alcantara (détail). D'après Claudio Coello. XVIIe.
" Le voilà donc le terme de cette vie si austère, une éternité de gloire !" (Ste Thérèse, Vie, XXVII.)
Combien furent suaves ces derniers mots de vos lèvres expirantes : " Je me suis réjoui de ce qui m'a été dit : Nous irons-dans la maison du Seigneur "(Psalm. CXXI, 1.). L'heure de la rétribution n'était pas venue pour ce corps auquel vous étiez convenu de ne donner nulle trêve en cette vie, lui réservant l'autre ; mais déjà la lumière et les parfums d'outre-tombe, dont l'âme en le quittant le laissait investi, signifiaient à tous que le contrat, fidèlement tenu dans sa première partie, le serait aussi dans la seconde. Tandis que, vouée pour de fausses délices à d'effroyables tourments, la chair du pécheur rugira sans fin contre l'âme qui l'aura perdue ; vos membres, entrés dans la félicité de l'âme bienheureuse et complétant sa gloire de leur splendeur, rediront dans les siècles éternels à quel point votre apparente dureté d'un moment fut pour eux sagesse et amour.
Et faut-il donc attendre la résurrection pour reconnaître que, dès ce monde, la part de votre choix fut sans conteste la meilleure ? Qui oserait comparer, non seulement les plaisirs illicites, mais les jouissances permises de la terre, aux délices saintes que la divine contemplation tient en réserve dès ce monde pour quiconque se met en mesure de les goûter ? Si elles demeurent au prix de la mortification de la chair, c'est qu'en ce monde la chair et l'esprit sont en lutte pour l'empire (Gal. V, 17.) ; mais la lutte a ses attraits pour une âme généreuse, et la chair même, honorée par elle, échappe aussi par elle à mille dangers.
Saint Pierre d'Alcantara donnant la sainte communion
à sainte Thérèse d'Avila. Livio Mehus. XVIIe.
Vous qu'on ne saurait invoquer en vain, selon la parole du Seigneur, si vous daignez vous-même lui présenter nos prières, obtenez-nous ce rassasiement du ciel qui dégoûte des mets d'ici-bas. C'est la demande qu'en votre nom nous adressons, avec l'Eglise, au Dieu qui rendit admirable votre pénitence et sublime votre contemplation (Collecte de la fête.). La grande famille des Frères Mineurs garde chèrement le trésor de vos exemples et de vos enseignements ; pour l'honneur de votre Père saint François et le bien de l'Eglise, maintenez-la dans l'amour de ses austères traditions. Continuez au Carmel de Thérèse de Jésus votre protection précieuse ; étendez-la, dans les épreuves du temps présent, sur tout l'état religieux. Puissiez-vous enfin ramener l'Espagne, votre patrie, à ces glorieux sommets d'où jadis la sainteté coulait par elle à flots pressés sur le monde ; c'est la condition des peuples ennoblis par une vocation plus élevée, qu'ils ne peuvent déchoir sans s'exposer à descendre au-dessous du niveau même où se maintiennent les nations moins favorisées du Très-Haut.
" Bienheureuse pénitence, qui m'a mérité une telle gloire !" C'était la parole du Saint de ce jour, en abordant les cieux ; tandis que Thérèse de Jésus s'écriait sur la terre : " Ah ! quel parfait imitateur de Jésus-Christ Dieu vient de nous ravir, en appelant à la gloire ce religieux béni, Frère Pierre d'Alcantara !"
Le monde, dit-on, n'est plus capable d'une perfection si haute ; les santés sont plus faibles, et nous ne sommes plus aux temps passés. Ce saint était de ce temps, sa mâle ferveur égalait néanmoins celle des siècles passés, et il avait en souverain mépris toutes les choses de la terre. Mais sans aller nu-pieds comme lui, sans faire une aussi âpre pénitence, il est une foule d'actes par lesquels nous pouvons pratiquer le mépris du monde, et que notre Seigneur nous fait connaître dès qu'il voit en nous du courage. Qu'il dut être grand celui que reçut de Dieu le saint dont je parle, pour soutenir pendant quarante-sept ans cette pénitence si austère que tous connaissent aujourd'hui !
Saint Pierre d'Alcantara. Bernardo Strozzi. XVIIe.
" De toutes ses mortifications, celle qui lui avait le plus coûté dans les commencements, c'était de vaincre le sommeil ; dans ce dessein, il se tenait toujours à genoux ou debout. Le peu de repos qu'il accordait à la nature, il le prenait assis, la tête appuyée contre un morceau de bois fixé dans le mur; eût-il voulu se coucher, il ne l'aurait pu, parce que sa cellule n'avait que quatre pieds et demi de long. Durant le cours de toutes ces années, jamais il ne se couvrit de son capuce, quelque ardent que fût le soleil, quelque forte que fût la pluie. Jamais il ne se servit d'aucune chaussure.
Il ne portait qu'un habit de grosse bure, sans autre chose sur la chair ; j'ai appris toutefois qu'il avait porté pendant vingt années un cilice en lames de fer-blanc, sans jamais le quitter. Son habit était aussi étroit que possible ; par-dessus il mettait un petit manteau de même étoffe ; dans les grands froids il le quittait, et laissait quelque temps ouvertes la porte et la petite fenêtre de sa cellule ; il les fermait ensuite, il reprenait son mantelet, et c'était là, nous disait-il, sa manière de se chauffer et de faire sentir à son corps une meilleure température.
Saint Jean de Capistran apparaissant à
saint Pierre d'Alcantara. Luca Giordano. XVIIe.
Il lui était fort ordinaire de ne manger que de trois en trois jours ; et comme j'en paraissais surprise, il me dit que c'était très facile à quiconque en avait pris la coutume. Sa pauvreté était extrême, et sa mortification telle qu'il m'a avoué qu'en sa jeunesse il avait passé trois ans dans une maison de son Ordre sans connaître aucun des Religieux, si ce n'est au son de la voix, parce qu'il ne levait jamais les yeux, de sorte qu'il n'aurait pu se rendre aux endroits où l'appelait la règle, s'il n'avait suivi les autres. Il gardait cette même modestie par les chemins. Quand je vins a le connaître, son corps était tellement exténué, qu'il semblait n'être formé que de racines d'arbres (Ste Thérèse, Vie, ch. XXVII, XXX, traduction Bouix.)."
On sait que trois familles illustres et méritantes composent aujourd'hui le premier Ordre de saint François ; le peuple chrétien les connaît sous le nom de Conventuels, Observantins et Capucins. Une pieuse émulation de réforme toujours plus étroite avait amené, dans l'Observance même, la distinction des Observants proprement ou primitivement dits, des Réformés, des Déchaussés ou Alcantarins, et des Récollets ; d'ordre plushistorique que constitutionnel, sil'onpeut ainsi parler, cette distinction n'existe plus depuis que, le 4 octobre 1897, en la fête du patriarche d'Assise, le Souverain Pontife Léon XIII a cru l'heure venue de ramener à l'unité la grande famille de l'Observance, sous le seul nom d'Ordre des Frères Mineurs qu'elle devra porter désormais (Constit apost. Felicitate quadam.).
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samedi, 05 octobre 2024
5 octobre. Saint Placide et ses compagnons, martyrs à Messine en Sicile. 541.
Pape : Vigile. Empereur romain d'Orient : Justinien Ier.
" Combattons énergiquement, afin que Dieu nous couronne pour l'éternité."
Saint Bonaventure. Serm. XII Pentec.
Saint Benoît ordonne saint Placide. Miracle de saint Maur marchant
Placide, né à Rome, eut pour père Tertullus, de la très noble famille des Anicii. Il fut, encore enfant, offert à Dieu et confié à saint Benoît. D'une admirable innocence, tels furent ses progrès dans la vie monastique, qu'il compta parmi les principaux disciples du maître. Il était présent, lorsqu'une source miraculeuse jaillit, à la prière de celui-ci, au désert de Sublac. Un autre prodige est celui dont il fut l'objet lorsque, tout jeune encore, étant allé puiser au lac il y tomba et fut sauvé, au commandement du bienheureux père, par le moine Maur courant à pied sec sur les eaux.
Il accompagna Benoît lors de sa retraite en Campanie et, dans sa vingt-deuxième année, fut envoyé en Sicile pour y défendre contre d'injustes déprédations les possessions et droits assurés par son père au monastère du Mont-Cassin. De grands et nombreux prodiges marquèrent sa route, et ce fut précédé de la renommée de sa sainteté qu'il parvint à Messine. Il lut le premier qui introduisit dans l'île la discipline monastique, en construisant non loin du port, sur le domaine paternel, un monastère où trente moines furent rassemblés.
Martyre de saint Placide et de ses compagnons. Correggio. XVIIe.
Rien qui l'emportât sur lui en placidité douce, en humilité ; en prudence, gravité, miséricorde, perpétuelle tranquillité d'âme, il surpassait tout le monde. La contemplation des choses célestes absorbait le plus souvent ses nuits, ne s'asseyant un peu que lorsque s'imposait la nécessité du sommeil. Combien grand n'était pas son amour du silence ! Fallait-il parler, tout son discours était du mépris du monde et de l'imitation de Jésus-Christ. Son zèle pour le jeûne était tel, qu'il s'abstenait toute l'année de chair et de laitage ; pendant le Carême, les mardi, jeudi et Dimanche, il se contentait de pain et d'eau fraîche, se passant les autres jours de toute nourriture. Il ne but jamais de vin, porta perpétuellement le cilice. Cependant si grands, si nombreux étaient les miracles de Placide, que leur éclat lui amenait en foule, implorant guérison, les malades non seulement du voisinage, mais encore de l'Etrurie et de l'Afrique ; toutefois il avait pris, dans son insigne humilité, l'habitude d'opérer au nom de saint Benoît ces divers miracles et de lui en attribuer le mérite.
Sa sainteté, ses prodiges favorisaient grandement les progrès de la religion chrétienne, quand, la cinquième année depuis sa venue en Sicile, eut lieu une irruption subite de Sarrasins. Or, il se trouva que dans ces mêmes jours Eutychius et Victorinus, frères de Placide, avec sa sœur la vierge Flavia, étaient arrivés de Rome pour lui faire visite ; les barbares, surprenant l'église du monastère pendant l'office de nuit, s'emparèrent d'eux, ainsi que de Donat, de Fauste, du diacre Firmat et des trente moines.
Eglise Saint-Placide. Messine, Sicile.
Donat eut aussitôt la tête tranchée. Les autres, amenés devant Manucha le chef des pirates, furent sommés d'adorer ses idoles ; ce qu'ayant sans faiblir refusé de faire, on les jeta pieds et poings liés en prison sans aucune nourriture, après les avoir frappés de verges, et avec ordre de les frapper tous les jours. Mais Dieu les soutint ; lorsque après beaucoup de jours on les ramena au tyran, leur constance dans la foi fut la même ; de nouveau flagellés à plusieurs reprises, on les suspendit nus la tête en bas au-dessus d'une fumée épaisse, pour les étouffer. Chacun les croyait morts ; le lendemain, ils reparaissaient pleins de vie, miraculeusement guéris, sans aucune blessure.
Alors le tyran s'en prit séparément à la vierge Flavia, et ne pouvant rien sur elle par menaces, il la fit suspendre nue par les pieds à une haute poutre Mais comme il lui imputait à infamie cette épreuve :
" L'homme et la femme, dit la vierge, ont un seul Dieu pour créateur et auteur ; c'est pourquoi mon sexe ne me sera pas imputé près de lui à démérite, ni davantage cette nudité que je supporte pour son amour à lui qui, pour moi, ne voulut pas être seulement dépouillé de ses vêtements, mais encore attaché aune croix."
La crucifixion, dite de Saint-Placide, fut réalisée par Velasquez
Sur cette réponse Manucha furieux, après avoir repris contre elle le supplice des verges et de la fumée, ordonne qu'on la livre à la prostitution. Mais la vierge priait ; Dieu paralysa ceux qui voulurent l'approcher, et les punit de douleurs subites en tous leurs membres. Après la vierge, ce fut au frère de soutenir l'assaut. Comme il dénonçait la vanité des idoles, Manucha lui fit briser à coups de pierres la bouche et les dents, puis commanda qu'on lui coupât la langue jusqu'à la racine ; mais le martyr n'en parlait pas avec moins de netteté et d'aisance. La colère du barbare s'accrut à ce prodige ; sur Placide, sa sœur et ses frères, renversés à terre, il ordonne qu'on entasse en poids énorme des ancres et des meules, sans pourtant arriver davantage a leur nuire. Enfin, de la seule famille de Placide trente-six martyrs eurent la tête tranchée avec leur chef, sur le rivage du port de Messine ; ils remportèrent la palme avec beaucoup d'autres, le trois des nones d'octobre, l'an du salut 539 ou 541. Quelques jours plus tard, Gordien, moine de ce même monastère échappé par la fuite, retrouva tous les corps intacts et les ensevelit avec larmes. Quant aux barbares, ils furent peu après engloutis par les ondes vengeresses de la mer en punition de leur cruauté.
En 1588. la découverte à Messine des reliques du martyr et de ses compagnons de victoire est venue confirmer la véracité des Actes de leur glorieuse Passion. Ce fut à cette occasion que le Pape Sixte-Quint étendit la célébration de leur fête à toute l'Eglise sous le rit simple.
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mercredi, 11 septembre 2024
11 septembre. Saint Patient, évêque de Lyon. 491.
" Nos oeuvres sont d'autant plus agréables au Souverain Juge que nous les faisons avec une charité plus ardente."
Saint Laurent Justinien.
Saint Grégoire de Tours écrivant. Missel de Besançon. XIVe.
L'histoire ne nous apprend rien de certain touchant la naissance, l'éducation et les premiers emplois de saint Patient, évêque de Lyon. Il fut choisi, pour gouverner l'Eglise de cette ville, après la mort de saint Eucher.
Il assista, vers l'an 470, à l'ordination de Jean, évêque de Châlon-sur-Saône, où se trouvèrent saint Euphrone, évêque d'Autun, et les autres prélats de la première Lyonnaise.
Sidoine Apollinaire, qui le regardait comme son évêque avant qu'il fût lui-même élevé à l'épiscopat, ne parle de lui qu'avec de grands éloges. Il témoigne qu'il ne lui manquait aucune des vertus qui forment le grand et le saint prélat. II relève principalement sa charité pastorale pendant une cruelle famine qui désola son diocèse et les provinces voisines occupées par les Burgondes.
Le roi Chilpéric et saint Grégoire de Tours.
Saint Grégoire de Tours n'a point oublié ce bel endroit de la vie de saint Patient, et il nous fait remarquer que cette famine était la même où le sénateur Ecdice, beau-frère de saint Sidoine Apoilinaire, fit paraître une charité semblable à l'égard de la province d'Auvergne. Ce généreux Chrétien fit le plus noble usage des grands biens de la famille de Sidoine et de la sienne, qui étaient les premières du pays ; car, voyant que la famine croissait de jour, il envoya de ses gens avec des chevaux et des chariots dans toutes les villes du voisinage, pour se faire amener tous ceux qui étaient les plus pressés par la disette et la misère.
Une si belle action, faite uniquement pour Dieu, comme le remarque saint Grégoire, méritait d'être consacrée dans les fastes de l'Eglise. C'est parce que nous n'aurons pas occasion d'en parler ailleurs, que nous l'avons jointe ici, pour n'en pas laisser perdre la mémoire.
La charité de saint Patient n'était pas moins d'éclat, puisque, selon saint Sidoine, elle s'étendit jusqu'aux extrémités des Gaules, sans se borner aux nécessités qu'il connaissait. Il considérait toujours la nature des besoins avant que de regarder la qualité des indigents. Il prévenait ceux qui ne pouvaient venir jusqu'à lui.
Sa vigilance et sa pénétration lui faisaient découvrir les misères les plus cachées du fond des provinces ; et comme il n'était pas moins touché de la honte et de la modestie des pauvres absents que des plaintes et des cris de ceux qui lui étaient présents, il n'était pas moins appliqué à essuyer les larmes de ceux qu'il ne pouvait voir que celles des personages qui s'exposaient à sa vue.
Saint Sidoine Apollinaire. Bréviaire. XIVe.
Sidoine ajoute que ce qu'il faisait pour l'extirpation des hérésies, la conversion des barbares, la réformation des moeurs de son peuple, l'embellissement des églises de son diocèse, lui était commun avec les autres saints prélats de son temps, mais qu'il ne partageait avec personne la gloire de s'être épuisé pour acheter des blés, de les avoir fait distribuer gratuitement par toutes les provinces des Gaules que les Wisigoths, conduits par leur roi Evaric, avaient ravagées le long du Rhône et de la Saône jusqu'à la Loire ; et d'avoir disposé divers magasins le long de ces rivières, principalement sur le Rhône, où il avait sauvé les villes d'Arles, de Riez, d'Avignon, d'Orange, de Viviers, de Valence et de Saint-Paul-Trois-Châteaux, qui le regardaient comme leur libérateur et comme un second Joseph.
L'Auvergne et tout le reste de l'Aquitaine avaient ressenti aussi les effets de ses libéralités dans ces désolations publiques, et ces provinces choisirent Sidoine Apollinaire pour lui en marquer dignement leur reconnaissance.
La grandeur et la solidité de la vertu de notre saint prélat ne parurent pas moins dans toutes ses autres actions. Il savait allier les règles de l'abstinence avec celles de la bienséance, qui l'obligeaient de bien recevoir ceux qui se présentaient à sa table. Ce sage tempérament lui servait à gagner les coeurs de ceux qu'il tâchait d'attirer à Dieu. Aussi le roi Gondebaud, fils de Chilpéric, oncle de sainte Clotilde, qui demeurait dans sa ville, avait coutume de louer les repas qu'il donnait, et la reine publiait avec admiration sa sobriété et ses jeûnes.
Tout croissait sous sa main dans la maison du Seigneur dont il avait l'intendance ; il n'y avait que le nombre des hérétiques qui diminuait de jour en jour, par l'application qu'il apportait à les convertir.
Les Burgondes, maîtres du pays, étaient Ariens de secte, et la plupart suivaient les impiétés des Photiniens , qui avaient poussé l'Arianisme jusqu'aux derniers excès. Saint Patient en ramena un très-grand nombre à l'Eglise par la force de ses prédications et par la douceur de la conduite qu'il gardait à leur égard.
Eglise Saint-Irénée de Lyon.
Notre Saint construisit de nouvelles églises ; d'autres furent restaurées et embellies par ses soins. C'est à lui, notamment, que se rapportent la construction de l'église primitive de Saint-Irénée, et la transformation en un riche sanctuaire de la grotte où saint Zacharie avait déposé les corps des glorieux Martyrs.
" Ici, sous un même toit, sont construits deux temples dont Patient fut le fondateur. Un rayon de lumière venant d'en haut éclaire les corps des martyrs, jadis ensevelis dans une grotte profonde. Le sanctuaire inférieur resplendit, tandis que le faîte de l'édifice surgit avec majesté dans les airs. Celui-là chemine sûrement vers le Ciel, qui prépare au Christ, sur la terre, d'aussi magnifiques demeures."
C'était bien là cette crypte, remarquable par la richesse de ses ornements, dont les historiens nous ont laissé la description, et qui, plus tard, fut indignement profanée et presque entièrement détruite par les Calvinistes.
Mais rien n'égale la magnificence des restaurations qu'il fit à la basilique principale des Machabées, si même, comme le texte de saint Sidoine semble le faire entendre, il ne la rebâtit pas entièrement. La solennité de la dédicace dura 8 jours, pendant lesquels Fauste, évêque de Riez, célèbre par son talent oratoire, se fit entendre fréquemment.
Saint Patient fit construire 2 autres églises, celles de Saint-Romain et de Saint-Pierre le Vieux. La première occupait la place où, suivant la tradition, les eaux qui tombaient de la colline, teintes du sang des confesseurs de la Foi, après le massacre ordonné par Sévère, avaient formé comme un lac avant de s'écouler dans la Saône. La seconde était destinée à perpétuer la date du jour où avait eu lieu ce massacre. C'était la veille de la fête de saint Pierre, Apôtre. On croit que saint Patient bâtit encore l'église de Saint-Pierre et saint-Saturnin, dont les historiens rapportent la fondation à l'an 490.
Basilique-cathédrale Sainte-Trophime d'Arles.
Saint Patient assista, l'an 475, au concile d'Arles, assemblé par les soins de Léonce, évêque de cette ville. On dit qu'il assembla quelque temps après un autre concile dans Lyon, et qu'il y produisit un travail où il avait rassemblé et réduit les dogmes ecclésiastiques. C'est néanmoins ce qu'il n'est pas aisé de vérifier, non plus que la souscription prétendue de notre Saint et des autres évêques à la lettre de Fauste.
Nous ne connaissons aucun écrit de lui ; cependant on lui attribue communément la 48e homélie de celles qui portent le nom d'Eusèbe d'Emèse. C'est une réfutation des erreurs des Photiniens et des Ariens. Mais on peut dire que l'Eglise lui est redevable de la Vie de saint Germain d'Auxerre, qu'il a fait écrire par Constance, prêtre de son clergé.
Il mourrut vers l'an 491, et peut-être le 14 septembre, jour auquel on célèbre sa fête à Lyon. C'est celui aussi où on a marqué son nom dans le martyrologe romain moderne. Il n'en est point fait mention dans les anciens. Son corps fut enterré, ou du moins transporté dans l'église Saint-Just. Ses reliques y furent trouvées longtemps après ; on les y conserva religieusement jusqu'au XVIe siècle, où elles furent dissipées avec beaucoup d'autres, dans les troubles des Huguenots qui ruinèrent l'église de Saint-Just.
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11 septembre. Saint Prote, saint Hyacinthe et sainte Eugénie *, frères, eunuques, martyrs. 262.
- Saint Prote, saint Hyacinthe et sainte Eugénie *, frères, eunuques, martyrs. 262.
Pape : Saint Denys. Empereur romain : Gallien.
" Le Ciel serait sans douceur si la vie était sans souffrance."
Saint Augustin.
Saint Prote et saint Hyacinthe et sainte Eugénie.
Extraits de La légende dorée du bienheureux Jacques de Voragine :
Prote et Hyacinthe furent, eu raison de leur illustre noblesse chez les Romains, attachés à la maison de la fille de Philippe, nommée Eugénie (qui est fêtée au 25 décembre, jour de son martyre), et ses émules dans l’étude de la philosophie. Le sénat avait, confié à ce Philippe la préfecture d'Alexandrie où il conduisit avec lui Claudia, sa femme, Avitus et Sergius, ses fils, et Eugénie, sa fille.
Or, Eugénie avait atteint la perfection dans la science des lettres et des arts libéraux ; Prote et Hyacinthe, qui avaient étudié avec elle, possédaient aussi toutes les sciences dans le plus haut degré. Parvenue à l’âge de quinze ans Eugénie fut demandée en mariage par Aquilin, fils du consul Aquilin. Eugénie lui dit :
" Quand on doit faire choix d'un mari, il faut moins s'attacher à la naissance qu'à la bonne conduite."
Les livres qui renferment la doctrine de saint Paul lui étant tombés entre les mains, elle commença à devenir chrétienne au fond du coeur.
Saint Prote et saint Hyacinthe.
Il était à cette époque permis aux chrétiens d'habiter dans les environs d'Alexandrie, et il arriva que Eugénie, allant à une maison de campagne comme pour se délasser, entendit les chrétiens qui chantaient :
" Omnes du gentium daemonia, Dominas autem caelos fecit " (Ps. XCV). (" Tous les dieux des nations sont des démons ; mais le Seigneur est le créateur des cieux ").
Alors elle dit aux jeunes Prote et Hyacinthe qui avaient étudié avec elle :
" Nous nous sommes livrés à une étude scrupuleuse des syllogismes des philosophes, mais les arguments d'Aristote, les idées de Platon, les avis de Socrate, en un mot, les chants des poètes, les maximes des orateurs et des philosophes sont effacés par cette sentence ; je ne dois qu'à une puissance usurpée le titre de votre maîtresse, mais la science m’a faite votre sœur, soyons donc frères et suivons Jésus-Christ."
Cette résolution leur plaît ; elle prend alors des habits d'homme, et vient au monastère dont le chef Hélénus ne permettait l’entrée à aucune femme. Cet Igélénus, dans une discussion avec un hérétique, n'ayant pu détruire la force des arguments qu'on lui opposait, fit allumer un grand feu afin que celui qui ne serait pas brûlé fût reconnu comme ayant la croyance véritable. Ce qui fut fait ; Hélénus entra le premier dans le feu d'où il sortit sain et entier ; mais l’hérétique ne voulant pas y entrer fut chassé par tous.
Or, Eugénie s'étant présentée à Hélénus et ayant dit qu'elle était un homme : " Tu as raison, lui répondit Hélénus, de te dire homme, car bien que tu sois une femme, tu te comportes comme un homme ".
Sainte Eugénie. Frontal de l'église Sainte-Eugénie.
Dieu en effet lui avait révélé son sexe. Elle reçut donc de ses mains, avec Prote et Hyacinthe, l’habit monastique et se fit appeler frère Eugène. Quand le père et la mère d'Eugénie virent son char revenir vide à la maison, ils en furent contristés et firent partout chercher leur fille, sans pouvoir la trouver. Ils interrogent des devins pour savoir ce qu'elle était devenue ; ceux-ci leur répondent qu'elle est transportée par les dieux parmi les astres. En conséquence son père fit élever une statue à sa fille qu'il commanda à tous d'adorer. Quant à Eugénie, elle persévéra avec ses compagnons dans la crainte de Dieu, et fut choisie pour gouverner la communauté après la mort du supérieur.
Il se trouvait alors à Alexandrie une matrone riche et noble du nom de Mélancie (Mélas, veut dire noir) que sainte Eugénie avait délivrée de la fièvre quarte en lui faisant des onctions avec de l’huile au nom de Jésus-Christ Pour cette raison, Mélancie envoya beaucoup de présents à Eugénie qui ne les accepta point. Or, cette matrone, dans la conviction que frère Eugène était un homme, lui faisait de trop fréquentes visites. En voyant sa bonne grâce, sa jeunesse et la beauté de son extérieur, elle brûla d'amour pour lui et se tourmenta l’esprit pour trouver le moyen d'avoir commerce ensemble. Alors feignant une maladie, elle envoya le prier de venir chez elle pour la voir. Quand il fut arrivé, elle lui déclara comment elle était éprise d'amour pour lui, elle lui exposa ses désirs et le pria d'avoir commerce avec elle.
Aussitôt elle le saisit, l’embrasse, le baise et l’exhorte à commettre le crime. Frère Eugène, rempli d'horreur de ces avances, lui dit : " C'est à juste titre que tu portes le nom de Mélancie : tu es remplie de noirceur et de perfidie ; tu es une noire et obscure fille des ténèbres, une amie du diable, un foyer de débauche, une soeur d'angoisses sans fin et une fille de mort éternelle ".
Mélancie se voyant déçue, dans la crainte qu'Eugène ne publiât le crime, voulut le découvrir la première et se mit à crier qu'Eugène a voulu la violer. Elle alla trouver le préfet Philippe et elle porta plainte en ces termes : " Un jeune homme perfide qui se dit Chrétien est venu chez moi pour me guérir ; il entre, se jette sur moi et veut me faire violence : si je n'avais été délivrée par le moyen d'une servante qui était dans l’intérieur de ma chambre, il m’eût fait partager sa débauche ".
Le préfet, à ce récit, fut enflammé de colère, et avait envoyé une multitude d'appariteurs, il fit prendre Eugène et les autres serviteurs de Jésus-Christ, qu'on avait chargés de chaînes : il fixa un jour où ils devaient tous être livrés aux morsures des bêtes.
Puis les ayant fait venir devant lui, il dit à Eugènie :
" Dis-moi, infâme scélérat, si votre Christ vous a enseigné, pour doctrine, de vous livrer à la corruption et d'oser attenter avec une impudente rage à la vertu des matrones ?"
Eugénie, qui conservait la tète baissée pour ne pas être reconnue, répondit :
" Notre-Seigneur a enseigné la chasteté et a promis la vie éternelle à ceux qui gardent la virginité. Nous pouvons montrer que cette Mélancie commet un faux témoignage ; mais il vaut mieux que nous souffrions, plutôt qu'elle soit punie après avoir été convaincue ; nous perdrions alors le fruit de notre patience. Toutefois qu'elle amène la servante qu'elle dit avoir été témoin de notre crime afin que par ses aveux les mensonges puissent être réfutés."
Martyr de sainte Eugénie, de saint Prote et de saint Hyacinthe.
Cette femme fut amenée, et comme elle avait été endoctrinée par sa maîtresse, elle ne cessait de prétendre contre Eugène qu'il avait voulu violer sa dame. Tous les gens de la maison, qui avaient été également corrompus, attestaient qu'il en était ainsi ; alors Eugénie dit :
" Le temps de se taire est passé et le temps de parler est arrivé : je ne veux pas qu'une impudique charge d'un crime les serviteurs de Jésus-Christ et que la fausseté soit glorifiée. Or, afin que la vérité l’emporte et que la sagesse triomphe de la malice, je démontrerai la vérité sans être mue par la vanité mais par la gloire de Dieu."
En disant ces mots, elle déchira sa tunique depuis sa tète jusqu'à la ceinture, et alors on vit qu'elle était une femme, puis elle dit au préfet :
" Tu es mon père, Claudia est ma mère ; ces deux jeunes gens qui sont assis avec toi, Avitus et Sergius, ce sont mes frères ; je suis Eugènie ta fille ; ces deux-ci, c'est Prote et Hyacinthe."
A ces mots, le père qui commençait à reconnaître sa fille se jeta dans ses bras pour l’embrasser ainsi que la mère, en versant un torrent de larmes.
Eugènie est aussitôt revêtue de ses habits couverts d'or et portée aux nues. Le feu du ciel tomba sur Mélancie et la consuma avec les siens. Ce fut ainsi qu'Eugénie convertit à la foi de Jésus-Christ. son père, sa mère, ses frères et toute sa famille ; de telle sorte que le père, ayant été cassé de sa dignité, fut ordonné évêque par les chrétiens, et fut tué par les infidèles après avoir persévéré dans le bien.
Martyr de saint Prote et saint Hyacinthe.
Claudia retourna à Rome avec ses deux fils et Eugénie et ils y convertirent beaucoup de personnes à Jésus-Christ. Or, Eugénie, par l’ordre de l’empereur, fut attachée à une grosse pierre et précipitée dans le Tibre ; mais la pierre s'étant brisée, Eugénie marchait saine et sauve sur les eaux. Alors elle est jetée dans une fournaise ardente ; mais la fournaise s'éteignit et devenait pour la martyre un lieu de rafraîchissement. Ensuite elle est renfermée dans un cachot obscur, mais une lumière toute resplendissante rayonnait pour elle ; et après avoir été laissée dix jours sans nourriture, le Sauveur lui apparut et lui dit eu lui présentant un pain très blanc : " Reçois cette nourriture de Ma main ; Je suis ton Sauveur, que tu as aimé de toute l’étendue de ton esprit ; le jour que Je suis descendu sur la terre, Je te prendrai moi-même ".
En effet, au jour de la naissance du Seigneur, un bourreau est envoyé lui couper la tête. Elle apparut ensuite à sa, mère et lui prédit qu'elle la suivrait. le dimanche après. Quand arriva le dimanche, Claudia s'étant mise en prières, rendit l’esprit.
Prote et Hyacinthe ayant été traînés au temple des idoles, brisèrent la statue en faisant une prière, et comme ils ne voulaient pas sacrifier, ils accomplirent dans la suite leur martyre en ayant la tête coupée. Or, ils pâtirent sous Valérien et Gallien, vers l’an du Seigneur 256 (262 selon les découvertes ultérieures à la rédaction de la Légende dorée du bienheureux Jacques de Voragine et exposées dans les Petits bollandistes).
* Nous incluons ici la vie de sainte Eugénie, fêtée au 25 décembre, jour de son martyre.
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