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mercredi, 10 juillet 2024

10 juillet. Saint Pasquier, ou saint Pasquaire ou encore saint Pascharius, évêque de Nantes, confesseur. VIIe.

- Saint Pasquier, ou saint Pasquaire ou encore saint Pascharius, évêque de Nantes, confesseur. VIIe.
 
Pape : Saint Agathon. Roi de Francs : Dagobert II ; Clovis IV.
 
" Un Chrétien qui possède le véritable zèle ne prend pas ombrage des succès des autres : il est loin de les voir d'un oeil de jalousie, parce qu'il sait que la charité le rend participant des succès qu'ils obtiennent."
Dom Lobineau. Eloge de saint Pasquaire.
 

Statue de saint Pasquier. Eglise Saint-Pasquier de Nantes. Bretagne.

Pasquier naquit à Nantes. Ayant reçu une bonne éducation et s'étant pénétré de l'importance du Salut, il renonça au monde, qui lui offrait cependant des avantages temporels, mais au milieu duquel il est si aisé de se perdre, et se consacra au Seigneur, en embrassant l'état ecclésiastique.

Sa vertu le fit choisir pour remplir le siège de Nantes, après la mort de l'évêque Harco, qui l'occupait et qui n'est connu que de nom. Les Saints, pénétrés des maximes de l'Evangile dont l'humilité est une des principales, ont toujours fui l'élévation et les honneurs ; aussi Pasquaire réclama-t-il fortement contre son élection, et ne se soumit-il à recevoir la consécration épiscopale que lorsqu'il vit clairement que telle était la volonté de Dieu.

Connaissant toute l'importance de la charge pastorale et l'étendue des devoirs qu'elle impose, il s'acquitta de ses obligations avec l'exactitude et le zèle d'un homme animé de l'Esprit de Dieu. Il s'appliqua surtout à bien régler son clergé, à instruire son peuple et à soulager les pauvres, auxquels il distribua tout son patrimoine, qui était considérable.

Quoiqu'il s'adonnât tout entier au service du prochain et qu'il n'épargnât rien pour éclairer et amener au Salut les âmes confiées à ses soins, il sentait néanmoins qu'il n'opérait pas tout le bien qu'il aurait voulu faire.


Eglise Saint-Pasquier de Nantes. Bretagne.

Son désir était d'avoir de pieux coopérateurs qui eussent prêché autant par leurs exemples que par leurs discours, et dont la vie régulière et pénitente pût servir à tous de modèle. Parlant un jour à son troupeau de la vie monastique, son discours toucha tellement ses auditeurs qu'ils montrèrent le plus grand empressement à obtenir de ces hommes de Dieu, qui devaient les éclairer par leurs paroles et les édifier par leur sainte vie.

Voyant son peuple dans des dispositions si bienveillantes, Pasquier envoya au monastère de Fontenelle, auprès de saint Lambert qui en était abbé, des personnes de confiance pour lui demander quelques-uns de ses moines, afin de les établir dans le diocèse de Nantes. Répondant aux voeux du saint évêque, le vénérable abbé lui envoya 12 de ses frères, à la tête desquels se trouvait le célèbre saint Hermeland. Ils arrivèrent bientôt à Nantes, et leur premier soin fut d'aller dans l'église de Saint-Pierre implorer le secours du Ciel et en attirer les bénédictions sur leur entreprise.

Informé de leur présence dans le lieu saint, Pasquier, plein de joie, va les trouver, les reçoit comme des anges, et bénit Dieu de ce que, remplissant son désir le plus ardent, Il donnait à son diocèse des hommes qui loueraient sans cesse la sainte Trinité et l'aideraient à mener les âmes au Salut.

Après avoir passé quelque temps avec eux dans des entretiens de piété, il les conduisit dans l'île d'Aindre (ou Indre), placée au milieu de la Loire et distante de Nantes de deux lieues. Il les y établit.

Les autres actions du saint pasteur ne nous sont pas connues ; mais son zèle pour la sanctification de son troupeau, et sa charité envers saint Hermeland et ses compagnons, sont autant de titres qui prouvent combien est fondé le culte que lui rend depuis longtemps son Eglise. Il mourut vers le commencement du VIIIe siècle, le 10 juillet, jour auquel il est honoré dans le diocèse de Nantes. Sa fête y était célébrée autrefois du rite double. On ne voit pas que son corps ait été jamais levé de terre, et l'on ignore où se trouve son tombeau.

Rq : On lira la notice que consacre dom Lobineau à saint Pasquier. Très courte, elle précède la notice de saint Hermeland (fêté au 25 novembre), qui succéda à saint Pasquier, et sur lequel nous avons d'amples renseignements :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114592x.pagination

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dimanche, 30 juin 2024

30 juin. Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.

- Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.

Papes : Saint Pierre ; saint Lin (successeur). Empereur romain : Néron.

" Ô Paul ! Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce."
Saint Pierre Damien.


Sebastiano Torriggiani. Basilique Saint-Pierre. Rome. XVIe.

Les Grecs unissent aujourd'hui dans une même solennité la mémoire des illustres saints, les douze Apôtres, dignes de toute louange (Menées, 3o juin.). Rome, tout absorbée hier par le triomphe que le Vicaire de l'Homme-Dieu remportait dans ses murs, voit le successeur de Pierre et sa noble cour aller porter au Docteur des nations, couché d'hier, lui aussi, en sa tombe glorieuse, l'hommage reconnaissant de la Ville et du monde. Suivons par la pensée le peuple romain qui , plus heureux que nous, accompagne le Pontife et fait retentir de ses chants de victoire la splendide Basilique de la voie d'Ostie.

Au vingt-cinq janvier, nous vîmes l'Enfant-Dieu, par le concours d'Etienne le protomartyr, amener à sa crèche, terrassé et dompté, le loup de Benjamin (Gen. XLIX, 27.) qui, dans la matinée de sa jeunesse fougueuse, avait rempli de larmes et de sang l'Eglise de Dieu. Le soir était venu, comme l'avait vu Jacob, où Saul le persécuteur allait plus que tous ses devanciers dans le Christ accroître le bercail, et nourrir le troupeau de l'aliment de sa céleste doctrine (de nouveau, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter les traits qui suivent à dom Prosper Guéranger, en son ouvrage : " Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles.").

Par un privilège qui n'a pas eu de semblable, le Sauveur déjà assis à la droite du Père dans les cieux, daigna instruire directement ce néophyte, afin qu'il fût un jour compté au nombre de ses Apôtres. Mais les voies de Dieu n'étant jamais opposées entre elles, cette création d'un nouvel Apôtre ne pouvait contredire la constitution divinement donnée à l'Eglise chrétienne par le Fils de Dieu. Paul, au sortir des contemplations sublimes durant lesquelles le dogme chrétien était versé dans son âme, dut se rendre à Jérusalem, afin de " voir Pierre ", comme il le raconta lui-même à ses disciples de Galatie. Il dut, selon l'expression de Bossuet, " conférer son propre Evangile avec celui du prince des Apôtres " (Sermon sur l'unité.).


La conversion de saint Paul sur le chemin de Damas.
Le Caravage. XVIe.

Agréé dès lors pour coopérateur à la prédication de l'Evangile, nous le soyons, au livre des Actes, associé à Barnabé, se présenter avec celui-ci dans Antioche après la conversion de Cornélius, et l'ouverture de l'Eglise aux gentils par la déclaration de Pierre. Il passe dans cette ville une année entière signalée par une abondante moisson. Après la prison de Pierre à Jérusalem et son départ pour Rome, un avertissement d'en haut manifeste aux ministres des choses saintes qui présidaient à l'Eglise d'Antioche, que le moment est venu d'imposer les mains aux deux missionnaires, et on leur confère le caractère sacré de l'ordination.

A partir de ce moment, Paul grandit de toute la hauteur d'un Apôtre, et l'on sent que la mission pour laquelle il avait été préparé est enfin ouverte. Tout aussitôt, dans le récit de saint Luc, Barnabé s'efface et n'a plus qu'une destination secondaire. Le nouvel Apôtre a ses disciples à lui, et il entreprend, comme chef désormais, une longue suite de pérégrinations marquées par autant de conquêtes. Son premier pas est en Chypre, et c'est là qu'il vient sceller avec l'ancienne Rome une alliance qui est comme la sœur de celle que Pierre avait contractée à Césarée. En l'année 43, où Paul aborda en Chypre, l'île avait pour proconsul Sergius Paulus, recommandable par ses aïeux, mais plus digne d'estime encore pour la sagesse de son gouvernement. Il désira entendre Paul et Barnabé. Un miracle de Paul, opéré sous ses yeux, le convainquit de la vérité de l'enseignement des deux Apôtres, et l'Eglise chrétienne compta, ce jour-là, dans son sein un héritier nouveau du nom et de la gloire des plus illustres familles romaines. Un échange touchant eut lieu à ce moment. Le patricien romain était affranchi du joug de la gentilité par le Juif, et en retour, le Juif, qu'on appelait Saul jusqu'alors, reçut et adopta désormais le nom Paul, comme un trophée digne de l'Apôtre des gentils.

De Chypre, Paul se rend successivement en Cilicie, dans la Pamphylie, dans la Pisidie, dans la Lycaonie. Partout il évangélise, et partout il fonde des chrétientés. Il revient ensuite à Antioche, en l'année 47, et il trouve l'Eglise de cette ville dans l'agitation. Un parti de Juifs sortis des rangs du pharisaïsme consentait à l'admission des gentils dans l'Eglise, mais seulement à la condition qu'ils seraient assujettis aux pratiques mosaïques, c'est-à-dire à la circoncision, à la distinction des viandes, etc. Les chrétiens sortis de la gentilité répugnaient à cette servitude à laquelle Pierre ne les avait pas astreints, et la controverse devint si vive que Paul jugea nécessaire d'entreprendre le voyage de Jérusalem, où Pierre fugitif de Rome venait d'arriver. Il partit donc avec Barnabé, apportant la question à résoudre aux représentants de la loi nouvelle réunis dans la ville de David.


Diego Velázquez. XVIIe.

Outre Jacques qui résidait habituellement à Jérusalem comme évêque, Pierre, ainsi que nous l'avons dit, et Jean, y représentèrent en cette circonstance tout le collège apostolique. Un décret fut formulé où toute exigence à l'égard des gentils relativement aux rites judaïques était interdite, et cette disposition était prise au nom et sous l'influence de l'Esprit-Saint. Ce fut dans cette réunion de Jérusalem que Paul fut accueilli par les trois grands Apôtres comme devant exercer spécialement l'apostolat des gentils. Il reçut de la part de ceux qu'il appelle les colonnes, une confirmation de cet apostolat surajouté à celui des douze. Par ce ministère extraordinaire qui surgissait en faveur de ceux qui avaient été appelés les derniers, le christianisme affirmait définitivement son indépendance à l'égard du judaïsme, et la gentilité allait se précipiter en foule dans l'Eglise.

Paul reprit le cours de ses excursions apostoliques à travers les provinces qu'il avait déjà évangélisées, afin d'y confirmer les Eglises. De là, traversant la Phrygie, il vit la Macédoine, s'arrêta un moment à Athènes, d'où il se rendit à Corinthe, où il séjourna un an et demi. A son départ, il laissait dans cette ville une Eglise florissante, non sans avoir excité contre lui la fureur des Juifs. De Corinthe, Paul se rendit à Ephèse, qui le retint plus de deux ans. Il y obtint un tel succès auprès des gentils, que le culte de Diane en éprouva un affaiblissement sensible. Une émeute violente s'ensuivit, et Paul jugea que le moment était venu de sortir d'Ephèse. Durant son séjour dans cette ville, il avait révélé à ses disciples la pensée qui l'occupait déjà depuis longtemps :
" Il faut, leur dit-il, que je voie Rome."
La capitale de la gentilité appelait l'Apôtre des gentils.

L'accroissement rapide du christianisme dans la capitale de l'Empire avait mis en présence, d'une manière plus frappante qu'ailleurs, les deux éléments hétérogènes dont l'Eglise d'alors était formée. L'unité d'une même foi réunissait dans le même bercail les anciens juifs et les anciens païens. Il s'en rencontra quelques-uns dans chacune de ces deux races qui, oubliant trop promptement la gratuité de leur commune vocation, se laissèrent aller au mépris de leurs frères, les réputant moins dignes qu'eux-mêmes du baptême qui les avait tous faits égaux dans le Christ. Certains Juifs dédaignaient les Gentils, se rappelant le polythéisme qui avait souillé leur vie passée de tous les vices qu'il entraînait à sa suite. Certains Gentils méprisaient les Juifs, comme issus d'un peuple ingrat et aveugle, qui, abusant des secours que Dieu lui avait prodigués, n'avait su que crucifier le Messie.


Flagellation de saint Paul et de saint Silas.
Louis Testelin. Cathédrale Notre Dame. Paris. XVIIe.

En l'année 53, Paul, qui fut à même de connaître ces débats, profita d'un second séjour à Corinthe pour écrire aux fidèles de l'Eglise romaine la célèbre Epître dans laquelle il s'attache à établir la gratuité du don de la foi, Juifs et Gentils étant indignes de l'adoption divine et n'ayant été appelés que par une pure miséricorde ; Juifs et Gentils, oubliant leur passé, n'avaient qu'à s'embrasser dans la fraternité d'une même foi, et à témoigner leur reconnaissance à Dieu qui les avait prévenus par sa grâce les uns et les autres. Sa qualité d'Apôtre reconnu donnait à Paul le droit d'intervenir en cette manière, au sein même d'une chrétienté qu'il n'avait pas fondée.

En attendant qu'il pût contempler de ses yeux l'Eglise reine que Pierre avait établie sur les sept collines, l'Apôtre voulut accomplir encore une fois le pèlerinage de la cité de David. Mais la rage des Juifs de Jérusalem se déchaîna à cette occasion jusqu'au dernier excès. Leur orgueil en voulait surtout à cet ancien disciple de Gamaliel, à ce complice du meurtre d'Etienne, qui maintenant conviait les Gentils à s'unir aux fils d'Abraham sous la loi de Jésus de Nazareth. Le tribun Lysias l'arracha des mains de ces acharnés qui allaient le mettre en pièces. La nuit suivante, le Christ apparut à Paul et lui dit :
" Sois ferme ; car il te faudra rendre de moi à Rome le même témoignage que tu me rends en ce moment à Jérusalem."

Ce ne fut pourtant qu'après une captivité de plus de deux années que Paul, en ayant appelé à l'empereur, aborda l'Italie au commencement de l'année 56. Enfin l'Apôtre des Gentils fit son entrée dans Rome. L'appareil d'un triomphateur ne l'entourait pas : c'était un humble prisonnier juif que l'on conduisait au dépôt où s'entassaient les prévenus qui avaient appelé à César. Mais Paul était ce Juif qui avait eu le Christ lui-même pour conquérant sur le chemin de Damas. Il n'était plus Saul le Benjamite ; il se présentait sous le nom romain de Paul, et ce nom n'était pas un larcin chez celui qui, après Pierre, devait être la seconde gloire de Rome et le second gage de son immortalité. Il n'apportait pas avec lui, comme Pierre, la primauté que le Christ n'avait confiée qu'à un seul ; mais il venait rattacher au centre même de l'évangélisation des gentils, la délégation divine qu'il avait reçue en leur faveur, comme un affluent verse ses eaux dans le cours du fleuve qui les confond avec les siennes et les entraîne à l'océan Paul ne devait pas avoir de successeur dans sa mission extraordinaire ; mais l'élément qu'il venait déposer dans l'Eglise mère et maîtresse représentait une telle valeur que, dans tous les siècles, on entendra les pontifes romains, héritiers du pouvoir monarchique de Pierre, faire appel encore à un autre souvenir, et commander au nom des " bienheureux Apôtres Pierre et Paul ".


Saint Paul rend aveugle le faux prophète Barjesu
et convertit le proconsul Sergius.
Nicolas Loir. Cathédrale Notre-Dame. Paris. XVIIe.

Au lieu d'attendre en prison le jour où sa cause serait appelée, Paul eut la liberté de se choisir un logement dans la ville, obligé seulement d'avoir jour et nuit la compagnie d'un soldat représentant la force publique, et auquel, selon l'usage en pareil cas, il était lié par une chaîne qui l'empêchait de fuir, mais laissait libres tous ses mouvements. L'Apôtre continuait ainsi de pouvoir annoncer la parole de Dieu. Vers la fin de l'année 57, on accorda enfin à Paul l'audience à laquelle lui donnait droit l'appel qu'il avait interjeté à César. Il comparut au prétoire, et le succès de son plaidoyer amena l'acquittement.

Paul, devenu libre, voulut revoir l'Orient. Il visita de nouveau Ephèse, où il établit évoque son disciple Timothée. Il évangélisa la Crète, où il laissa Tite pour pasteur. Mais il ne quittait pas pour toujours cette Eglise romaine qu'il avait illustrée par son séjour, accrue et fortifiée par sa prédication ; il devait revenir pour l'illuminer des derniers rayons de son apostolat, et l'empourprer de son sang glorieux.

L'Apôtre avait achevé ses courses évangéliques dans l'Orient ; il avait confirmé les Eglises fondées par sa parole, et les épreuves, pas plus que les consolations, n'avaient manqué sur sa route. Tout à coup un avertissement céleste, semblable à celui que Pierre lui-même devait recevoir bientôt, lui enjoint de se rendre à Rome où le martyre l'attend. C'est saint Athanase (De fuga sua, XVIII.) qui nous instruit de ce fait, rapporté aussi par saint Astère d'Amasée. Ce dernier nous dépeint l'Apôtre entrant de nouveau dans Rome, " afin d'enseigner les maîtres du monde, de s'en faire des disciples, et par eux de lutter avec le reste du genre humain ". " Là, dit encore l'éloquent évêque du quatrième siècle, Paul retrouve Pierre vaquant au même travail. Il s'attèle avec lui au char divin, et se met à instruire dans les synagogues les enfants de la loi, et au dehors les gentils." (Homil. VIII.).


Lucas Cranach. XVIe.

Rome possède donc enfin réunis ses deux princes : l'un assis sur la Chaire éternelle, et tenant en mains les clefs du royaume des cieux ; l'autre entouré des gerbes qu'il a cueillies dans le champ de la gentilité. Ils nése sépareront plus, même dans la mort, comme le chante l'Eglise. Le moment qui les vit rapprochés fut rapide ; car ils devaient avoir rendu à leur Maître le témoignage du sang, avant que le monde romain fût affranchi de l'odieux tyran qui l'opprimait. Leur supplice fut comme le dernier crime, après lequel Néron s'affaissa, laissant le monde épouvanté de sa fin aussi honteuse qu'elle fut tragique.

C'était en l'année 65 que Paul était rentré dans Rome. Il y signala de nouveau sa présence par toutes les œuvres de l'apostolat. Dès son premier séjour, sa parole avait produit des chrétiens jusque dans le palais de César. De retour sur le grand théâtre de son zèle, il retrouva ses entrées dans la demeure impériale. Une femme qui vivait dans un commerce coupable avec Néron, se sentit ébranlée par cette parole à laquelle il était dur de résister. Un échanson du palais fut pris aussi dans les filets de l'Apôtre. Néron s'indigna de cette influence d'un étranger jusque dans sa maison, et la perte de Paul fut résolue. Jeté en prison, l'Apôtre ne laissa pas refroidir son zèle, et continua d'annoncer Jésus-Christ. La maîtresse de l'empereur et son échanson abjurèrent, avec l'erreur païenne, la vie qu'ils avaient menée, et leur double conversion hâta le martyre de Paul. Il le sentait, et on s'en rend compte en lisant ces lignes qu'il écrit à Timothée :
" Je travaille, dit-il, jusqu'à porter les fers, comme un méchant ouvrier ; mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée : à cause des élus, je supporte tout. Me voici à cette heure comme la victime déjà arrosée de l'eau lustrale, et le temps de mon trépas est proche. J'ai vaillamment combattu, j'ai achevé ma course, j'ai été le gardien de la foi ; la couronne de justice m'est réservée, et le Seigneur, juge équitable, me la donnera."
(II Tim.).

Le 29 juin de l'année 66, tandis que Pierre traversait le Tibre sur le pont Triomphal et se dirigeait vers la croix dressée dans la plaine Vaticane, un autre martyre se consommait sur la rive gauche du fleuve. Paul, entraîné le long de la voie d'Ostie, était suivi aussi par un groupe de fidèles qui s'étaient joints à l'escorte du condamné. La sentence rendue contre lui portait qu'il aurait la tête tranchée aux Eaux Salviennes. Après avoir suivi environ deux milles la voie d'Ostie, les soldats conduisirent Paul par un sentier qui se dirigeait vers l'Orient, et bientôt on arriva sur le lieu désigné pour le martyre du Docteur des gentils. Paul se mit à genoux et adressa à Dieu sa dernière prière ; puis, s'étant bandé les yeux, il attendit le coup de la mort. Un soldat brandit son glaive, et la tête de l'Apôtre, détachée du tronc, fit trois bonds sur la terre. Trois fontaines jaillirent aussitôt aux endroits qu'elle avait touchés. Telle est la tradition gardée sur le lieu du martyre, où l'on voit trois fontaines sur chacune desquelles s'élève un autel.


Saint Paul et ses disciples. Plaque de piété. France. XIIe.

SEQUENCE

Adam de Saint-Victor nous a fourni le thème de nos chants dans une admirable Séquence. Le Missel de Liège de l'an 1527 nous donnera aujourd'hui la suivante, dont la simplicité ne manque ni de charmes, ni de profondeur :

" Au Docteur des nations, nations, applaudissez , et, de la voix, publiez vos vœux.

Au pasteur appartient de conduire le troupeau ; aux brebis d'honorer le pasteur.

Vase d'élection, rempli d'honneur, sans vaine enflure, à bon droit recherché de quiconque se plaît au pâturage qu'arrosent les eaux de la vraie fontaine !

Du Docteur des nations la conversion sainte donne la joie en cet exil : exemple à suivre, objet de louange.

Au matin , ravisseur ; sur le soir, magnifique : ce ne fut pas en vain que de Benjamin la figure nous fournit un présage.

La mère enfante un fils de douleur ; le père l'appelle l'élu de la droite, pénétrant le mystère.

Ce que Saul a ravi, Paul en fait le partage ; il distribue les dépouilles de la loi sous la grâce.

Celui qu'Anne établit chef de perversité, le Christ en fait un ministre de la grâce.

Il ne rêve que carnage, et tombe aveuglé ; une voix le reprend, descendant des nues :

" Pourquoi persécuter celui que tu dois suivre ? pourquoi, Saul, regimber contre l'aiguillon ?"

" Tu me poursuis, et l'on croit que tu me rends hommage ! Et c'est contre mes frères que tes sanglantes mains tournent le glaive !"

" C'en est fait de la lettre ; les figures ont cessé : dès cette heure, je te fais le héraut de ma grâce ; lève-toi maintenant, je te l'ordonne."

Ô grâce vraiment pleine, dont l'abondance déborde à flots sur le monde desséché !

Fortunée vocation, non provenue du mérite ; largesse immense, nullement due !

Par le chemin de l'eau, par le feu de l'Esprit, il passe de ses ardeurs fiévreuses à la divine fraîcheur.

Son nom change, et ses mœurs ont changé : deuxième en dignité, premier pour le labeur.

Egal aux Apôtres appelés d'abord, lui dont l'appel est venu des cieux prévaut par ses Epitres.

Trois fois il est battu de verges, une fois lapidé ; trois fois la mer l'engloutit, sans qu'il meure dans ses flots.

Au troisième ciel son esprit est ravi : du regard de l'âme il contemple le mystère de Dieu, mais, empêché de parler, ne sait le redire.

Ô Pasteur illustre, des Pasteurs la gloire, par un heureux sentier, tes troupeaux, amène, conduis, établis-les au lieu du pâturage éternel.

Amen."


Saint-Paul prêchant. Eustache Le Sueur. XVIIe.

HYMNE

Saint Pierre Damien a consacré les accents de son énergique piété au Docteur des nations dans cette Hymne :

" Paul, docteur incomparable trompette éclatante de l'Eglise, nuée qui voles et promènes le tonnerre par tout l'immense circuit des cieux :

Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce.

Oh ! Combien grand est le mérite de Paul ! Il monte au troisième ciel : il entend des paroles mystérieuses qu'il n'ose redire à personne.

Il sème le Verbe en tous lieux ; la moisson se lève abondante ; le grenier du ciel se remplit des fruits des bonnes œuvres.

Comme une lampe au vif éclat, il illumine de ses rayons l'univers ; il chasse les ténèbres de l'erreur, pour que règne seule la vérité.

Louange soit au Père non engendre ; gloire soit au Fils unique ; à l'Esprit qui les égale tous deux soit grandeur souveraine !

Amen."


HYMNE

Enfin, pour nous conformer à la tradition liturgique, qui ne veut pas qu'on célèbre jamais l'un des princes des Apôtres, sans faire aussi mémoire de son glorieux compagnon : nous donnerons ici, dégagée des retouches survenues plus tard, l'œuvre entière d'Elpis, à laquelle l'Hymne des Vêpres d'hier n'empruntait que les deux premières strophes. La troisième est employée par l'Eglise aux autres fêtes de saint Pierre, la quatrième à celles de saint Paul ; les deux réunies formaient hier l'Hymne des Laudes :

" De lumière d'or, de rayons empourprés, vous baignez le monde, Ô Lumière de lumière, embellissant les cieux par un glorieux martyre en ce jour sacré qui donne aux coupables la grâce.

Le portier du ciel, le docteur de l'univers, juges du siècle et vraies lumières du monde, triomphent ensemble, l'un par la croix, l'autre par le glaive; ceints du laurier de la victoire., ils font leur entrée au sénat de la vie.

Bon Pasteur, Ô Pierre, reçois maintenant avec clémence les vœux de ceux qui t'implorent ; dénoue les liens du péché par cette puissance à toi confiée, qui pour tous ouvre ou ferme les cieux.

Docteur illustre, Ô Paul, forme nos mœurs, élève nos pensées par tes soins jusqu'au ciel, en attendant le jour où, le bien dans sa plénitude étant devenu notre partage, tout l'imparfait disparaîtra.

Double olivier où coule la sève d'un unique amour, tous deux rendez-nous dévoués à la foi, fermes dans l’espérance, et, sur toutes choses, pleins de la double charité découlant de sa source ; après la mort de cette chair, obtenez-nous de vivre.

Soit à la Trinité gloire éternelle, honneur, puissance et joie, en l’Unité qui garde l'empire, depuis lors et maintenant, dans les siècles sans fin.

Amen."

 
Le prophète Agabus prédisant à saint Paul
ses souffrances à Jérusalem. Louis Chéron.
Cathédrale Notre-Dame. Paris. XVIIe.
PRIERE

" Ô Paul, à vous aujourd'hui nos vœux ! Etablis heureusement sur la pierre qui porte l'Eglise, pourrions-nous oublier celui dont les travaux, plus que ceux d'aucun autre (I Cor. XV, 10.), ont amené les Gentils nos pères à composer la cité sainte ? Sion, la bien-aimée des premiers jours, a rejeté la pierre, et s'est brisée contre elle (Rom. IX, 32.) : quel est le mystère de cette autre Jérusalem descendue des cieux (Apoc. XXI, 2.), dont cependant tous les matériaux furent tirés des abîmes ? Leurs inébranlables assises proclament la gloire de l'architecte sage (I Cor. III, 10.) qui les posa sur la pierre d'angle : elles-mêmes pierres sans prix, et dont l'éclat dépasse incomparablement la splendeur des parures de la fille de Sion. Qui vaut à la nouvelle venue cette beauté, ces honneurs d'Epouse (Apoc. XXI, 2.) ? Comment les fils de la délaissée sont-ils sortis des retraites impures où leur mère habitait, en la compagnie des dragons et des léopards (Cant. IV, 8.) ? La voix de l'Epoux s'est fait entendre, et elle disait :
" Viens, ma fiancée, viens du Liban ; descends des sommets d'Amana, des hauteurs de Sanir et d'Hermon." ( Ibid.).

Pourtant, de sa personne sacrée, l'Epoux, quand il vivait, ne quitta point l'antique terre des promesses, et sa voix mortelle ne pouvait parvenir à celle qui habitait au delà des confins de Jacob. O Paul, vous l'avez dit : comment donc invoquer, comment croire celui qu'on n'a pas entendu (Rom. X, 14.) ? Mais, à qui sait votre amour de l'Epoux, il suffit, pour enlever toute crainte, que vous-même, Ô Apôtre, ayez signalé le problème.

Nous chantions, au jour de l'Ascension triomphante, et c'était la réponse : Quand la beauté du Seigneur s'élèvera par delà les cieux, il montera sur la nue, et l'aile des vents sera son coursier rapide, et, vêtu de lumière, d'un pôle à l'autre il parcourra les cieux, faisant ses dons aux fils des hommes (Répons des Mat. de l'Asc.). La nuée, l'aile des vents portant aux nations le message de l'Epoux, c'était vous, Ô Paul, choisi d'en haut plus spécialement que Pierre lui-même pour instruire les gentils, ainsi qu'il fut reconnu, et par Pierre, et par Jacques et Jean, ces colonnes de l'Eglise (Gal. II, 7-9.). Qu'ils furent beaux vos pieds, quand, sortant de Sion, vous apparûtes sur nos montagnes, et dîtes à la gentilité : " Ton Dieu va régner." ( Isai. LII, 7.). Qu'elle fut douce votre voix, murmurant à l'oreille de la pauvre abandonnée le céleste appel : " Ecoute, Ô ma fille, et vois, et incline l'oreille de ton cœur." ( Psalm. XLIV, 11.).


Le Ravissement de saint Paul. Domenico Zampieri. XVIIe.

Quelle tendre pitié vous témoigniez à celle qui, si longtemps, vécut étrangère à l'alliance, sans promesse, sans Dieu dans ce monde (Eph. II, 12.) ! Et cependant elle était loin (Ibid. 13.), celle qu'il fallait amener si près du Seigneur Jésus, qu'elle ne formât plus avec lui qu'un seul corps (Ibid. I, 23.) ! Vous connûtes, en cette œuvre immense, et les douleurs de l'enfantement (Gal. IV, 19.), et les soins de la mère allaitant son nouveau-né (I Cor. III, 1-2.) ; vous dûtes porter les longs délais de la croissance de l'Epouse (Eph. IV, 11.), éloigner d'elle toute tache (Ibid. V, 27.), l'illuminer progressivement des clartés de l'Epoux (II Cor. III, 18.) : jusqu'à ce qu'enfin, affermie dans l'amour (Eph. III, 17.), et parvenue à la mesure du Christ même (Ibid. IV, 13.), elle fût vraiment sa gloire (Ibid. V, 23 ; I Cor. XI, 7.), et pût par lui être remplie de toute la plénitude de Dieu (Eph. III, 19.). Que de labeurs pour conduire cette nouvelle création, du limon primitif (Gen. II, 7.), au trône de l'Adam céleste, à la droite du Père (I Cor XV, 45-50 ; Eph. I, 20 ; II, 6.) !

Souvent, repoussé, trahi, mis aux fers (II Tim. II, 9.), méconnu dans les sentiments les plus délicats de votre cœur d'Apôtre (I Cor. IV, IX ; II Cor. I, II, VI, X, XII, 11-21 ; Gal. IV, 11-20 ; Philip. L, 15-18 ; II Tim. IV, 9-16 ; etc.), vous n'eûtes pour salaire que d'indicibles angoisses et des souffrances sans nom. Mais la fatigue, les veilles, la faim, le froid, le dénuement, l'abandon, violences ouvertes, attaques perfides, dangers de toutes sortes (II Cor. XI.), loin de l'abattre, excitaient votre zèle (Ibid. XII, 10.) ; la joie surabondait en vous (Ibid. VII, 4.) ; car ces souffrances étaient le complément de celles mêmes que Jésus avait endurées (Col. I, 24 ; Eph. V, 25.), pour acheter l'alliance que depuis si longtemps l’éternelle Sagesse ambitionnait de conclure (Eph. III, 8-10.). Comme elle vous n'aviez qu'un but, où passaient toute votre force et votre douceur (Sap. VIII, 1.) : sur le pavé poudreux des voies romaines, au fond des mers où vous jetait la tempête, à la ville, au désert, au troisième ciel où vous portait l'extase, sous les fouets des Juifs ou le glaive de Néron (II Cor. XI, XII.), gérant partout l'ambassade du Christ (Ibid. VI, 20 : Eph. VI, 20.), vous jetiez à la vie comme au trépas, à toutes les puissances de la terre et des cieux, le défi d'arrêter la puissance du Seigneur (II Cor. XIII, 3.), ou son amour (Rom. VIII, 35-38.) qui vous soutenait dans la grande entreprise. Et, comme sentant le besoin d'aller au-devant des étonnements que pouvait susciter l'enthousiasme de votre grande âme, vous lanciez aux nations ce cri sublime :
" Taxez-moi de folie, mais, par pitié, supportez-moi : je suis jaloux de vous, jaloux pour Dieu ! C'est qu'en effet, je vous ai fiancées à l'unique Epoux : laissez-moi faire que vous soyez pour lui une vierge très pure !" ( II Cor.II, XI, 1-2.).


Saint Paul prêchant. Joseph-Benoît Suvée. XVIIIe.

Hier, Ô Paul, s'est consommée votre œuvre : ayant tout donné, vous vous êtes donné par surcroît vous-même (Ibid. XII, 15.). Le glaive, abattant votre tête sacrée, achève, comme vous l'aviez prédit, le triomphe du Christ (Philipp. I, 20.). La mort de Pierre fixe en son lieu prédestiné le trône de l'Epoux ; mais c'est à vous surtout que la gentilité, prenant place comme Epouse à sa droite (Psalm. XLIV, 10.),doit de pouvoir dire en se tournant vers la Synagogue sa rivale :
" Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem ; c'est pourquoi le Roi m'a aimée, et m'a choisie pour reine." ( Cant I, 4 ; IV, 8.).

Louange donc à vous, Ô Apôtre, et maintenant et toujours ! L'éternité ne saurait épuiser notre reconnaissance à nous, nations. Achevez votre œuvre en chacun de nous pour ces siècles sans fin ; ne permettez pas que, par la défection d'aucun de ceux qu'appelait le Seigneur à compléter son corps mystique, l'Epouse soit privée d'un seul des accroissements sur lesquels elle pouvait compter. Soutenez contre le découragement les prédicateurs de la parole sainte, tous ceux qui, par la plume ou à un titre quelconque, poursuivent votre œuvre de lumière; multipliez les vaillants apôtres qui reculent sans fin les limites de la région des ténèbres sur notre globe. Vous promites autrefois de rester avec nous, de veiller toujours au progrès de la foi dans nos âmes, d'y faire germer sans fin les très pures délices de l'union divine (Philip. I, 25-26.). Tenez votre promesse; en allant à Jésus, vous n'en laissez pas moins votre parole engagée à tous ceux qui, comme nous, ne purent ici-bas vous connaître (Col. II, 1.). Car c'est à eux que, par l'une de vos Epîtres immortelles, vous laissiez l'assurance de pourvoira " consoler leurs cœurs, les ordonnant dans l'amour, versant en eux dans sa plénitude et ses richesses immenses la connaissance du mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ". (Ibid. 2-3.).

Dans cette saison du Cycle où règne l'Esprit qui fait les saints (Rom. VIII.), faites comprendre aux chrétiens de bonne volonté que leur seul baptême suffit à les investir de cette vocation sublime, où trop souvent ils ne voient que la part du petit nombre. Puissent-ils pénétrer la grande, et pourtant si simple notion, que vous leur donnez du mystère où réside le principe le plus universel, le plus absolu de toute vie chrétienne (Rom. VI.) : ensevelis avec Jésus sous les eaux, incorporés à lui par le seul fait, comment n'auraient-ils pas tout droit, tout devoir, d'être saints, de prétendre s'unir à Jésus dans sa vie comme ils l'ont fait dans sa mort ? " Vous Êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu " (Col. III. 3.), disiez-vous à nos pères. Ce que vous proclamiez pour tous alors sans distinction, répétez-le à tous, Ô grand Apôtre ! Docteur des nations, ne laissez pas dévier en elles la lumière, au grand détriment du Seigneur et de l'Epouse.


Le Ravissement de saint Paul. Nicolas Poussin. XVIIe.

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samedi, 29 juin 2024

29 juin. Saint Pierre et saint Paul, Apôtres, martyrs. 66.

- Saint Pierre et saint Paul, Apôtres, martyrs. 66.

Empereur romain : Néron.

" Saint Pierre est le chef du collège apostolique et la colonne inébranlable du tabernacle de la nouvelle loi. Il veille sur le dépôt de notre foi, soutient l'édifice de l'Eglise, et nous ouvre la porte du ciel."
Saint Grégoire le Grand, Hom. ; Saint Pierre Chrysologue, serm.

" Admirez l'Apôtre saint Paul ; il avait persécuté Jésus, et voilà qu'il L'annonce à haute voix ; il avait semé la zizanie, et voilà qu'il répand partout le bon grain. Du loup rapace il devient pasteur vigilant, et l'édifice qu'il a ruiné tout à l'heure, il s'emploie tout entier maintenant à le reconstruire."
Saint Pierre Chrysologue, hom.


Saint Paul & saint Pierre. Anonyme flamand. XVIe.

" Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ?"

Voici l'heure où la réponse que le Fils de l'homme exigeait du pêcheur de Galilée, descend des sept collines et remplit la terre. Pierre ne redoute plus la triple interrogation du Seigneur. Depuis la nuit fatale où le coq fut moins prompt à chanter que le premier des Apôtres à renier son Maître, des larmes sans fin ont creusé deux sillons sur les joues du Vicaire de l’Homme-Dieu ; le jour s'est levé où tarissent ces pleurs. Du gibet où l'humble disciple a réclamé d'être cloué la tête en bas, son cœur débordant redit enfin sans crainte la protestation qui, depuis la scène des bords du lac de Tibériade, a silencieusement consumé sa vie :
" Oui, Seigneur ; vous savez que je vous aime !" (Johan. XXI.).

Jour sacré, où l'oblation du premier des Pontifes assure à l'Occident les droits du suprême sacerdoce ! Jour de triomphe, où l'effusion d'un sang généreux conquiert à Dieu la terre romaine ; où, sur la croix de son représentant, l'Epoux divin conclut avec la reine des nations son alliance éternelle !

Ce tribut de la mort, Lévi ne le connut pas ; cette dot du sang, Jéhovah ne l'avait point exigée d'Aaron : car on ne meurt pas pour une esclave, et la synagogue n'était point l'Epouse (Gal. IV, 22-31.). L'amour est le signe qui distingue le sacerdoce des temps nouveaux du ministère de la loi de servitude. Impuissant, abîmé dans la crainte, le prêtre juif ne savait qu'arroser du sang de victimes substituées à lui-même les cornes de l'autel figuratif. Prêtre et victime à la fois, Jésus veut plus de ceux qu'il appelle en participation de la prérogative sacrée qui le fait pontife à jamais selon l'ordre de Melchisédech (Psalm. CIX.).
" Je ne vous appellerai plus désormais serviteurs, déclare-t-il à ces hommes qu'il vient d'élever au-dessus des Anges, à la Cène ; je ne vous appellerai plus serviteurs, car le serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai communiqué tout ce que j'ai reçu de mon Père (Johan. XV, 15.). Comme mon Père m'a aimé, ainsi je vous ai aimés ; demeurez donc en mon amour." (Ibid. 9.).


Saint Pierre. Marco Zoppo. XVe.

Or, pour le prêtre admis de la sorte en communauté avec le Pontife éternel, l'amour n'est complet que s'il s'étend à l'humanité rachetée dans le grand Sacrifice. Et, qu'on le remarque : il y a là pour lui plus que l'obligation, commune à tous les chrétiens, de s'entr'aimer comme membres d'un même Chef ; car, par son sacerdoce, il fait partie du Chef, et, à ce titre, la charité doit prendre en lui quelque chose du caractère et des profondeurs de l'amour que ce Chef divin porte à ses membres. Que sera-ce, si, au pouvoir qu'il possède d'immoler le Christ lui-même, au devoir qu'il a de s'offrir avec lui dans le secret des Mystères, la plénitude du pontificat vient ajouter la mission publique de donner à l'Eglise l'appui dont elle a besoin, la fécondité que l'Epoux céleste attend d'elle ? C'est alors que, selon la doctrine exprimée de toute antiquité par les Papes, les Conciles et les Pères, l'Esprit-Saint l'adapte à son rôle sublime en identifiant pleinement son amour à celui de l'Epoux dont il remplit les obligations, dont il exerce les droits. Mais alors aussi, d'après le même enseignement de la tradition universelle, se dresse devant lui le précepte de l'Apôtre ; sur tous les trônes où siègent les évêques de l'Orient comme de l'Occident, les anges des Eglises se renvoient la parole :
" Epoux, aimez vos Epouses, comme le Christ a aimé l'Eglise, et s'est livré pour elle afin de la sanctifier." (Eph. V, 25-26.).

Telle apparaît la divine réalité de ces noces mystérieuses, qu'à tous les âges l'histoire sacrée flétrit du nom d'adultère l'abandon irrégulier de l'Eglise premièrement épousée. Telles sont les exigences d'une union si relevée, que celui-là seul peut y être appelé qui demeure établi déjà sur les sommets de la perfection la plus haute ; car l'Evêque doit se tenir prêt à justifier sans cesse de ce degré suprême de charité, dont le Seigneur a dit :
" Il n'y a point de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime." (Johan. XV, 13.).
Là ne réside point seulement la différence du mercenaire et du vrai pasteur (Ibid. X, 11-18.) ; cette disposition du Pontife à défendre jusqu'à la mort l'Eglise qui lui fut confiée, à laver dans son sang toute tache déparant la beauté de l'Epouse (Eph. V, 27.), est la garantie du contrat qui l'unit à cette très noble élue du Fils de Dieu, le juste prix des joies très pures qui lui sont réservées.
" Je vous ai révélé ces choses, avait dit le Seigneur instituant le Testament de la nouvelle alliance, afin que ma propre joie soit en vous, et que votre joie soit pleine." (Johan. XV, 11.).

Si tels devaient être les privilèges et obligations des chefs des Eglises, combien plus du pasteur de tous ! En confiant à Simon fils de Jean l'humanité régénérée, le premier soin de l'Homme-Dieu avait été de s’assurer qu'il serait bien le vicaire de son amour (Ambr. in Luc. X.) ; qu'ayant reçu plus que les autres, il aimerait plus qu'eux tous (Luc. VII, 47 ; Johan. XXI, 15.) ; qu'héritier de la dilection de Jésus pour les siens qui étaient dans le monde, il les aimerait comme lui jusqu'à la fin (Ibid. XIII, 1.). C'est pourquoi l'établissement de Pierre au sommet de la hiérarchie sainte, concorde dans l'Evangile avec l'annonce de son martyre (Ibid. XXI, 18.) : pontife souverain, il devait suivre jusqu'à la Croix l'hiérarque suprême (Ibid. 19, 22.).


Saint Pierre. Peter-Paul Rubens. XVIIe.

Les fêtes de ses deux Chaires à Antioche et à Rome, nous ont rappelé la souveraineté avec laquelle il préside au gouvernement du monde, l'infaillibilité de la doctrine qu'il distribue comme nourriture au troupeau tout entier; mais ces deux fêtes, et la primauté dont elles rendent témoignage au Cycle sacré, appelaient pour complément et pour sanction les enseignements de la solennité présente. Ainsi que la puissance reçue par l'Homme-Dieu de son Père (Matth. XXVIII, 18.), la pleine communication faite par lui de cette même puissance au chef visible de son Eglise avait pour but la consommation de la gloire poursuivie par le Dieu trois fois saint dans son œuvre (Johan. XVII, 4.) ; toute juridiction, tout enseignement, tout ministère ici-bas, nous dit saint Paul d'autre part, aboutit à la consommation des saints (Eph. IV, 12.), qui ne fait qu'un avec la consommation de cette gloire souveraine : or, la sainteté de la créature, et, tout ensemble, la gloire du Dieu créateur et sauveur, ne trouvent leur pleine expression qu'au Sacrifice embrassant pasteur et troupeau dans un même holocauste.

C'est pour cette fin dernière de tout pontificat, de toute hiérarchie, que, depuis l'Ascension de Jésus, Pierre avait parcouru la terre. A Joppé, lorsqu'il était encore au début de ses courses d'Apôtre, une faim mystérieuse s'était saisie de lui : " Lève-toi, Pierre ; tue et mange ", avait dit l'Esprit ; et, dans le même temps, une vision symbolique présentait réunis à ses yeux les animaux de la terre et les oiseaux du ciel (Act. X, 9-16.). C'était la gentilité qu'il devait joindre, sur la table du banquet divin, aux restes d'Israël. Vicaire du Verbe, il partagerait sa faim immense : sa parole, comme un glaive acéré, abattrait devant lui les nations ; sa charité, comme un feu dévorant, s'assimilerait les peuples ; réalisant son titre de chef, un jour viendrait que, vraie tête du monde, il aurait fait de cette humanité, offerte en proie à son avidité, le corps du Christ en sa propre personne. Alors, nouvel Isaac, ou plutôt vrai Christ, il verrait, lui aussi, s'élever devant lui la montagne où Dieu regarde, attendant l'oblation (Gen. XXII, 14.).


Saint Paul. Bernardo Daddi. XIVe.

Regardons, nous aussi ; car ce futur est devenu le présent, et, comme au grand Vendredi, nous avons part au dénouement qui s'annonce. Part bienheureuse, toute de triomphe : ici du moins, le déicide ne mêle pas sa note lugubre à l'hommage du monde, et le parfum d'immolation qui déjà s'élève de la terre ne remplit les cieux que de suave allégresse. Divinisée par la vertu de l'adorable hostie du Calvaire, on dirait, en effet, que la terre aujourd'hui se suffit à elle-même. Simple fils d'Adam par nature, et pourtant vrai pontife souverain, Pierre s'avance portant le monde : son sacrifice va compléter celui de l'Homme-Dieu qui l'investit de sa grandeur (Col. I, 24.) ; inséparable de son chef visible, l'Eglise aussi le revêt de sa gloire (I Cor. XI, 7.). Loin d'elle aujourd'hui les épouvantements de cette nuit en plein midi, où elle cacha ses pleurs, quand pour la première fois la Croix fut dressée. Elle chante ; et son lyrisme inspiré célèbre " la pourpre et l'or dont la divine lumière compose les rayons de ce jour qui donne aux coupables la grâce " (Hymn. Vesp.). Dirait-elle plus du Sacrifice de Jésus lui-même ? C'est qu'en effet, par la puissance de cette autre croix qui s'élève, Babylone aujourd'hui devient la cité sainte. Tandis que Sion reste maudite pour avoir une fois crucifié son Sauveur, Rome aura beau rejeter l'Homme-Dieu, verser son sang dans ses martyrs, nul crime de Rome ne prévaudra contre le grand fait qui se pose à cette heure : la croix de Pierre lui a transféré tous les droits de celle de Jésus, laissant aux Juifs la malédiction ; c'est elle maintenant qui est Jérusalem.

Telle étant donc la signification de ce jour, on ne s'étonnera pas que l'éternelle Sagesse ait voulu la relever encore, en joignant l'immolation de Paul l'Apôtre au sacrifice de Simon Pierre. Plus que tout autre, Paul avait avancé par ses prédications l'édification du corps du Christ (Eph. IV, 12.) ; si, aujourd'hui, la sainte Eglise est parvenue à ce plein développement qui lui permet de s'offrir en son chef comme une hostie de très suave odeur, qui mieux que lui méritait donc de parfaire l'oblation, d'en fournir de ses veines la libation sacrée (Col. I, 24 ; II Cor. XII, 15.) ? L'âge parfait de l'Epouse étant arrivé (Eph. IV, 13.), son œuvre à lui aussi est achevée (II Cor. XI, 2.). Inséparable de Pierre dans ses travaux par la foi et l'amour, il l'accompagne également dans la mort (Ant. Oct. Apost. ad Benedictus.) ; tous deux ils laissent la terre aux joies des noces divines scellées dans leur sang, et montent ensemble à l'éternelle demeure où l'union se consomme (II Cor. V.).


Saint Paul. Giuseppe de Ribera. XVIIe.

MENEES DES GRECS POUR CETTE SOLENNITE

Nous extrayons ici quelques perles de la mer sans rivages où se complaît comme toujours la Liturgie grecque. Il doit nous plaire aussi de constater comment, malgré plus d'un essai d'altération frauduleuse des textes de sa Liturgie, Byzance condamne elle-même son propre schisme en ce jour ; Pierre n'y cesse point d'être proclamé par elle le roc et le fondement de la foi, la base souveraine, le prince et premier prince des Apôtres, le gouverneur et le chef de l'Eglise, le porte-clefs de la grâce et du royaume des cieux :


" Vous avez donné les saints Apôtres à votre Eglise comme son orgueil et sa joie, Ô Dieu ami des hommes ! Pierre et Paul, flambeaux spirituels, soleils des âmes, resplendissent en elle magnifiquement ; l'univers brille de leurs rayons ; c'est par eux que vous avez dissipé les ténèbres de l'Occident, Jésus très puissant, sauveur de nos âmes.

Vous avez établi la stabilité de votre Eglise , Ô Seigneur, sur la fermeté de Pierre et sur la science et l'éclatante sagesse de Paul. Pierre, coryphée des illustres Apôtres, vous êtes le rocher de la foi ; et vous, admirable Paul, le docteur et la lumière des églises : présents devant le trône de Dieu, intercédez pour nous auprès du Christ.

Que le monde entier acclame les coryphées Pierre et Paul, disciples du Christ : Pierre, base et rocher ; Paul, vase d'élection. Tous deux, attelés sous le même joug du Christ, ont attiré à la connaissance de Dieu tous les hommes, les nations, les cités et les îles. Rocher de la foi, délices du monde, tous deux confirmez le bercail que vous avez acquis par votre magistère.

Pierre, vous qui paissez les brebis, défendez contre le loup rusé le troupeau de votre bercail ; gardez de chutes funestes vos serviteurs ; car tous nous vous avons pour vigilant protecteur auprès de Dieu, et la joie que nous goûtons en vous est notre salut.

Paul, flambeau du monde, bouche incomparable du Christ Dieu vivant , qui comme le soleil visitez tous les rivages dans votre prédication de la foi divine : délivrez des liens du péché ceux qui vous nomment avec amour et veulent vous imiter, confiants dans votre aide.


Rome bienheureuse, à toi ma louange et ma vénération, à toi mes hymnes et mon chant de gloire ; car en toi sont gardés et la dépouille des coryphées, et les dogmes divins dont ils furent le flambeau ; reliques sans prix de vases incorruptibles.


Très-haut prince des Apôtres, souverain chef et dispensateur du trésor royal, ferme base de tous les croyants, solidité, socle, sceau et couronnement de l'Eglise catholique, Ô Pierre qui aimez le Christ, conduisez ses brebis aux bons pâturages, menez ses agneaux dans les prés fertiles."


Saint Pierre et saint Paul. Masaccio Tommaso di ser Giovanni Cassai.
Retable. Sainte Marie Majeure. Rome. XVe.

PRIERE

" Ô Pierre, nous aussi nous saluons la glorieuse tombe où vous êtes descendu. C'est bien à nous, les fils de cet Occident que vous avez voulu choisir, c'est à nous avant tous qu'il appartient de célébrer dans l'amour et la foi les gloires de cette journée. Si toutes les races s'ébranlent à la nouvelle de votre mort triomphante ; si les nations proclament, chacune en leur langue, que de Rome doit sortir pour le monde entier la loi du Seigneur : n'est-ce pas par la raison que cette mort a fait de Babylone la cité des oracles divins, saluée par le fils d'Amos en sa prophétie (Isai. II, 1-5.) ? n'est-ce pas que la montagne préparée pour porter la maison du Seigneur dans le lointain des âges, se dégage des ombres, et apparaît en pleine lumière à cette heure aux yeux des peuples ?

L'emplacement de la vraie Sion est fixé désormais ; car la pierre d'angle a été posée en ce jour (Ibid. XXVIII, 16.), et Jérusalem ne doit avoir d'autre fondement que cette pierre éprouvée et précieuse. Ô Pierre, c'est donc sur vous que nous devons bâtir ; car nous voulons être les habitants de la cité sainte. Nous suivrons le conseil du Seigneur (Matth. VII, 24-27.), élevant sur le roc nos constructions d'ici-bas, pour qu'elles résistent à la tempête et puissent devenir une demeure éternelle. Combien notre reconnaissance pour vous, qui daignez nous soutenir ainsi, est plus grande encore en ce siècle insensé qui, prétendant construire à nouveau l'édifice social, voulut l'établir sur le sable mouvant des opinions humaines, et n'a su que multiplier les éboulements et les ruines ! La pierre qu'ont rejetée les modernes architectes,en est-elle moins la tête de l'angle ? Et sa vertu n'apparaît-elle pas alors même, selon ce qui est écrit, en ce que, n'en voulant pas, c'est contre elle qu'ils se heurtent et se brisent (I Petr. II, 6-8.) ?


Saint Pierre recevant les Clefs et saint Paul recevant la Loi.
Evangiles de Noailles. IXe.

Debout, parmi ces ruines, sur le fondement contre lequel les portes de l'enfer ne prévaudront pas, nous avons d'autant mieux le droit d'exalter ce jour où le Seigneur a, comme le chante le Psaume, affermi la terre (Psalm. XCII, 1.).
Certes le Seigneur était grand, lorsqu'il lançait les mondes dans l'espace, en les équilibrant par ces lois merveilleuses dont la découverte est l'honneur de la science ; mais son règne, sa beauté, sa puissance éclatent bien plus, quand il place en son lieu la base faite pour porter le temple dont tous les mondes méritent à peine d'être appelés le parvis. Aussi était-ce bien de ce jour immortel, dont à l'avance elle savourait divinement les très pures délices, que l'éternelle Sagesse chantait, préludant à nos joies et conduisant déjà nos chœurs :

" Lorsque les monts élevaient leur masse sur une immuable base et que le monde s'étayait sur ses pôles, lorsque s'établissait le firmament et que s'équilibrait l'abîme, quand le Seigneur posait les fondements de la terre, j'étais avec lui, disposant tout de concert ; et chaque jour m'apportait une nouvelle allégresse, et je me jouais devant lui sans cesse, je me jouais dans l'orbe du monde ; car mes délices sont d'être avec les fils des hommes." (Prov. VIII.).

Maintenant donc que l'éternelle Sagesse élève sur vous, Ô Pierre, la maison de ses délices mystérieuses (Prov. IX.), où pourrions-nous elle-même la trouver ailleurs, nous enivrer à son calice, avancer dans l'amour ? De par Jésus remonté dans les cieux, n'est-ce pas vous qui avez désormais les paroles de la vie éternelle (Johan. VI, 69.) ? En vous se poursuit le mystère du Dieu fait chair habitant avec nous. Notre religion, notre amour de l'Emmanuel sont incomplets dès lors, s'ils n'atteignent jusqu'à vous. Et vous-même ayant rejoint le Fils de l'homme à la droite du Père, le culte que nous vous rendons pour vos divines prérogatives, s'étend au Pontife votre successeur, en qui vous continuez de vivre par elles : culte réel, allant au Christ en son Vicaire, et qui, partant, ne saurait s'accommoder de la distinction trop subtile entre le Siège de Pierre et celui qui l'occupe. Dans le Pontife romain, vous êtes toujours, Ô Pierre, l'unique pasteur et le soutien du monde. Si le Seigneur a dit : " Personne ne vient au Père que par moi " (Ibid. XIV, 6.) ; nous savons que personne n'arrive que par vous au Seigneur. Comment les droits du Fils de Dieu, le pasteur et l'évêque de nos âmes (I Petr. II, 25.), auraient-ils à souffrir en ces hommages de la terre reconnaissante ? Nous ne pouvons célébrer vos grandeurs, sans qu'aussitôt attirant nos pensées à Celui dont vous êtes comme le signe sensible, comme un auguste sacrement, vous ne nous disiez, ainsi qu'à nos pères, par l'inscription de votre antique statue :
" CONTEMPLEZ LE DIEU VERBE, LA PIERRE DIVINEMENT TAILLÉE DANS L'OR, SUR LAQUELLE ÉTANT ÉTABLI, JE NE SUIS PAS ÉBRANLÉ !"

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samedi, 22 juin 2024

22 juin. Saint Paulin, évêque de Nole. 434.

- Saint Paulin, évêque de Nole. 434.

Pape : Sixte III. Empereur romain d'Occident : Valentinien III.

" Allez dans la Campanie, voyez Paulin, cet homme si grand par sa naissance, par son génie et par ses richesses ; voyez avec quelle générosité c serviteur de Dieu s'est dépouillé de tout pour ne posséder que Dieu ; voyez comme il a renoncé à l'orgueil du monde pour embrasser l'humilité de la croix ; voyez comment il emploie présentement à louer Dieu ces trésors de science qui sont perdus quand on ne les consacrent pas à celui qui les a donnés."
Saint Augustin. Ep. XXVI ad Livent.


Saint Paulin. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. XVe.

Il n'y a jamais eu personne qui ait fait plus d'efforts pour se cacher et pour se rendre inconnu dans le monde que saint Paulin ; et il n'y a jamais eu personne qui ait reçu plus de louanges, personne que les saints Pères se soient plus étudiés à relever par leurs éloges. Saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme et saint Grégoire le Grand, que l'Eglise latine reconnaît pour ses 4 principaux docteurs, ont voulu être ses panégyristes, et ils ont été suivis en cela par beaucoup d'autres Pères qui ont cru que c'était louer la vertu même que de donner des louanges à cet excellent évêque de Nole. II naquit, vers l'année 353, à Bordeaux ou à Embrau, qui n'en est éloigné que de 4 lieues. Ses parents étaient de Rome, et des plus nobles de cette ville, maîtresse du monde ; ils comptaient dans leur maison des consuls et des patrices, et plusieurs même estiment que son père était de la famille des Anicius, la plus illustre de toutes les familles de Rome. Ils avaient de si riches possessions, non-seulement dans l'Italie, mais aussi dans les Gaules et dans l'Espagne, que le poète Ausone ne fait point difficulté de les appeler des royaumes. [Ponce Paulin, père de notre Saint, était préfet du prétoire dans les Gaules, et le premier magistrat de l'empire d'Occident].

Paulin reçut une éducation conforme à sa naissance ; et, lorsqu'il fut en âge d'étudier, il eut pour précepteur le même Ausone, qui passait pour le premier orateur et le plus excellent poète de son temps. Le disciple ne fut pas longtemps sans égaler et même sans surpasser son maître ; il devint si éloquent, que saint Jérôme, ayant lu une apologie qu'il avait faite pour la défense de l'empereur Théodose contre les calomnies des païens, la loua comme un des ouvrages les plus éloquents de cette époque, et dit que Théodose était heureux d'avoir pour défenseur un tel panégyriste. Il ajoute que Paulin est un écrivain accompli et que l'Eglise acquerrait un grand trésor s'il voulait s'appliquer à composer sur l'Ecriture sainte et sur les mystères de notre religion. Ausone même avoue qu'il était devenu meilleur poète que lui, et qu'il avait remporté en ce genre d'écriture un prix d'honneur que lui-même n'avait pas remporté.

Ces excellentes qualités, jointes aux biens immenses dont il se vit bientôt l'héritier, le rendirent célèbre par tout le monde. On dit qu'il fut quelque temps à la cour de l'empereur Valentinien l'ainé, et plaida aussi, étant jeune, plusieurs causes au barreau. Dieu lui donna une femme digne de lui et dont la noblesse et les grandes richesses étaient relevées par une vertu au-dessus du commun.


Bréviaire franciscain. XVe.

C'est la célèbre Thérasie, espagnole, qui contribua si heureusement à lui faire quitter le monde, et qui fut la compagne inséparable de sa vie pauvre et retirée, comme nous le dirons dans la suite. L'empereur trouva tant de jugement et de solidité dans son esprit, qu'il le fit consul à un âge où à peine les autres commencent à être employés aux affaires publiques, et lui donna ensuite le gouvernement de Rome, sous le nom de préfet. Lorsqu'il se fut très-dignement acquitté de ces grandes charges, les diverses négociations dont on le chargea et ses affaires domestiques l'obligèrent pendant 15 ans à divers voyages, tant dans les Gaules qu'en Italie et en Espagne.

Dans ces voyages, il alla quelquefois à Milan, où il eut le bonheur de fréquenter saint Ambroise, qui conçut pour lui une affection toute singulière, comme il le témoigne dans son épître 45. il y fut aussi connu de saint Augustin et d'Alipius, auxquels il a depuis écrit plusieurs lettres. Il eut un fils à Alcala de Hénarès, qui est une ville de l'Espagne Tarragonaise ; mais il ne le posséda que 8 jours, et, quoiqu'il eût souhaité fort longtemps cette bénédiction de son mariage, il en fut privé presque aussitôt qu'il l'eut reçue, afin que rien ne l'empèchât de renoncer entièrement au monde.

Ce qui commença à l'en dégager, ce fut un pèlerinage au tombeau de saint Félix, prêtre de Nole et martyr. Les grands miracles qui se firent devant ses yeux lui donnèrent tant d'affection pour ce glorieux martyr de Jésus-Christ, qu'il résolut dès lors, quoiqu'il n'eùt que 27 ans, de se retirer dans les terres qu'il avait auprès de cette ville, pour y passer le reste de sa vie en hommè privé. Il fut néanmoins encore plus de 15 ans sans exécuter ce dessein.

Les entretiens qu'il eut avec saint Ambroise et les sages conseils de Thérasie, son épouse, aidèrent aussi beaucoup à lui faire connaître la vanité des grandeurs du siècle ; mais celui qui acheva sa conversion fut saint Delphin, évêque de Bordeaux. II reçut de lui le baptême à l'âge de 38 ans, comme il paraît par une épître qu'il écrivit peu de temps après à saint Augustin, touchant ses 5 livres contre les Manichéens.

Ensuite il se retira, pour la seconde fois, en Espagne, et s'arrêta à Barcelone, où il commença à faire profession de la vie solitaire ; mais comme sa conduite donnait de l'admiration à tout le peuple, et que sa chasteté, sa modestie, son insigne charité et son oraison continuelle le faisaient juger digne des emplois ecclésiastiques, un jour de la Nativité de Notre-Seigneur, les clercs et les laïques demandèrent instamment à l'évêque Lampius qu'il l'ordonnât prêtre. Saint Paulin s'y opposa de toutes ses forces, non pas, comme il le dit lui-même en l'épître VIe, qu'il dédaignât d'être le ministre de Jésus-Christ dans cette église peu considérable, mais parce qu'il regardait le sacerdoce comme une dignité au-dessus de ses mérites, et que, d'ailleurs, il avait résolu de vivre dans la retraite auprès de Nole, dans la Campanie. Il se rendit néanmoins enfin à leur volonté, mais à condition qu'il ne serait nullement lié à l'église de Barcelone, et qu'il aurait une entière liberté de s'en aller quand il le voudrait.


Saint Paulin échangé contre un esclave. Vie de saints. R. de Monbaston. XIVe.

En effet, après avoir séjourné 4 ans en Espagne, le désir de la vie parfaite embrasant son coeur de plus en plus, il vendit les biens qu'il avait en ce pays, et en distribua le prix aux pauvres; il repassa ensuite dans les Gaules, pour y faire la même chose. Il donna la liberté à ses esclaves, il ouvrit ses greniers, qui étaient remplis de grains, aux nécessiteux, et employa l'argent qu'il tira de la vente de ses terres et de ses maisons à racheter les captifs, à délivrer les prisonniers, à relever une infinité de familles que divers accidents avaient ruinées, à payer les dettes de ceux qui étaient persécutés par leurs créanciers, à fournir de quoi à un grand nombre de veuves et d'orphelins, à marier de pauvres filles que la nécessité aurait pu engager dans le désordre, à pourvoir aux secours des malades, et, pour tout dire en un mot, à enrichir les pauvres en s'appauvrissant lui-même.

Se voyant ainsi déchargé du poids, difficile à porter, des richesses, il se rendit à Milan, où saint Ambroise le reçut avec une joie et une tendresse merveilleuses et le pria même de trouver bon qu'il le mit au nombre des prêtres de son église ; notre Saint ne put le lui refuser, quoiqu'il se conservât toujours la liberté d'aller où Dieu l'appellerait. On a cru, avec beaucoup de raison, que ce grand docteur, qui était déjà fort âgé, jetait les yeux sur lui pour lui succéder après sa mort ; mais comme elle arriva dans un temps où saint Paulin était fort éloigné de Milan, le vieillard saint Simplicien fut mis en sa place.

Après que notre Saint eut fait quelque séjour dans cette ville, capitale de la Ligurie, il passa à Rome, capitale de l'empire. Le peuple, qui l'avait vu autrefois dans ses dignités éminentes de consul et de préfet, et qui connaissait ses rares qualités et l'excellence de sa vertu, l'y reçut avec un honneur extraordinaire. Il fut visité, principalement dans une maladie, par tout ce qu'il y avait de magistrats et de grands seigneurs en cette ville.

Ceux des villes voisines qui ne purent pas lui rendre ce devoir par eux-mêmes lui envoyèrent des députés pour lui témoigner la joie qu'ils avaient de son retour, et la part qu'ils prenaient à son incommodité. Il y eut même peu d'évêques des environs qui ne le vinssent voir ou qui ne lui écrivissent, pour le congratuler de ce qu'il avait quitté les espérances du monde pour embrasser l'état ecclésiastique.

Ces témoignages d'estime et de respect donnèrent de la jalousie aux principaux du clergé de Rome, et, au lieu d'être les premiers à lui faire honneur, ils n'eurent pour lui que de la froideur et de l'indifférence, et lui suscitèrent même quelque persécution. Le souverain Pontife ne lui témoigna pas non plus beaucoup d'amitié ; et il se plaint lui-même, en sa première épître à Sévère, de la réception un peu froide qu'il lui fit. Mais comme c'était le pape Sirice, qui a mérité, par sa piété et par les grands services qu'il a rendus à l'Eglise, d'être mis au nombre des Saints, il faut croire, avec le cardinal Baronius, que ce qui l'aigrit contre saint Paulin, ne fut autre chose qu'un zèle un peu trop ardent pour l'observance de la discipline ecclésiastique, qu'il crut avoir été violée dans l'ordination de ce saint prêtre car il avait été promu au sacerdoce aussitôt après son baptême et sans avoir passé par les degrés inférieurs, ou sans y être demeuré un temps suffisant, avant de monter plus haut. Néanmoins, Paulin n'était point coupable, puisque, s'il avait souffert cette ordination, ce n'était que par force et contre sa volonté ; et, d'ailleurs, cette manière de conférer les ordres sans garder les interstices, ni même les degrés ecclésiastiques, était en ce temps-là, autorisée par beaucoup d'exemples.

Quoi qu'il en soit, ce grand personnage se voyant devenu une occasion de plainte et de murmure, sortit promptement de Rome et se rendit, selon le dessein qu'il avait conçu 15 ans auparavant, à une maison qui lui appartenait auprès de Nole. Thérasia, son épouse, l'y suivit aussi ; mais ils logèrent séparément : et, ayant pris l'un et l'autre un habit de pénitence semblable à celui des solitaires, ils se mirent à pratiquer chacun de son côté toutes les pratiques de la vie religieuse. Un changement si admirable fit aussitôt grand bruit dans le monde ; les païens, encore nombreux dans le sénat et dans les premières magistratures de l'empire, en parlèrent avec beaucoup d'indignation, et comme d'une action extravagante.

Il y eut même des personnes considérables parmi les fidèles qui ne le purent goûter; elles disaient ouvertement que Paulin, étant capable de rendre de si grands services à l'Etat, commettait une injustice en lui dérobant ses soins, ses conseils et sa personne, pour mener une vie oisive dans un lieu champêtre et éloigné de la compagnie des autres hommes. Ausone, son ancien précepteur, fut surtout de ce nombre ; et il en écrivit souvent à ce cher disciple, dès le temps même qu'il quitta l'Aquitaine pour se retirer à Barcelone. Mais la grâce du Saint-Esprit, qui voulait donner aux grands du monde, en la personne de Paulin, un excellent modèle du mépris de toutes les choses de la terre, le fortifia contre ces plaintes et lui fit connaître, par expérience, que ce qu'il avait quitté était beaucoup moindre que ce qu'il gagnait en suivant Jésus-Christ ; elle lui mit dans la bouche des réponses si saintes et si évangéliques, qu'elles servent encore aujourd'hui de justification à tous ceux qui, imitant son exemple, renoncent aux plus grands emplois et aux fortunes les plus avantageuses pour suivre l'étendard de la Croix, et pour se faire humbles disciples d'un Dieu pauvre et souffrant pour l'amour des hommes.

Aussi, tandis que Paulin était blâmé par les gens du siècle, il était, au contraire, loué par tout ce qu'il y avait alors de docteurs et de saints personnages sur la terre. Saint Martin, qui vivait encore, et qui l'avait autrefois guéri par attouchement, d'une grande incommodité à l'oeil, le proposait à ses disciples comme un exemple achevé de la perfection évangélique, et leur disait souvent qu'il était presque le seul dans le monde qui eût accompli les préceptes de l'Evangile ; que c'était lui qu'il fallait suivre, que c'était lui qu'il fallait imiter, et que la plus grand bonheur de son siècle était d'avoir porté un homme si rare et si admirable. C'est ce que rapporte Sulpice Sévère, en la vie de ce saint évêque de Tours.


Saint Paulin de Nôle. Père Pierre Lacour. XIXe.

Saint Ambroise n'en parlait aussi que comme d'un prodige ; et, dans l'épître à Saban, il ne peut assez relever sa générosité d'avoir quitté ce que le monde a de plus éclatant pour embrasser l'abjection et la pauvreté de la vie religieuse. Saint Jérôme lui écrivit de Bethléem et le dissuada du voyage de Jérusalem, où notre Saint avait dessein de se retirer pour une plus grande perfection, lui représentant que son désert de la Campanie était beaucoup plus tranquille et plus propre aux exercices de la vie monastique, que cette ville, qui était alors pleine de trouble et de confusion.

Il lui prescrivit en même temps quelques règles de la vie solitaire qu'il avait embrassée, et lui témoigna qu'il ne pouvait assez louer sa résolution, d'autant plus recommandable, que ce qu'il avait abandonné pour Dieu avait plus de charmes pour l'arrèter dans le siècle. Dans une autre épître, adressée à Julien, il l'appelle un prêtre d'une foi très-fervente, et dit que, s'il avait quitté des richesses temporelles, il en était devenu plus riche par l'heureuse possession de Jésus-Christ, et que, s'il avait renoncé aux premiers honneurs de l'empire, la vie humble et abjecte à laquelle il s'était consacré l'avait rendu incomparablement plus glorieux qu'il n'était auparavant, puisque ce que l'on perd pour Jésus-Christ ne se perd point, mais se change en quelque chose de meilleur et de plus utile. Saint Augustin et saint Alipius liérent aussi une étroite amitié avec notre Saint, et se firent gloire d'avoir un fréquent commerce de lettres avec lui.

Le premier, lui adressant un jour un de ses disciples, lui mande qu'il l'envoie à son école, parce qu'il est sûr qu'il profitera beaucoup plus par son exemple, qu'il ne pouvait profiter de toutes les remontrances et de toutes les exhortations qu'il lui faisait ; et, écrivant à Décentius, il lui conseilla d'aller voir Paulin, parce qu'il trouverait en sa personne la modestie d'un véritable disciple de Jésus-Christ. Il y eut même une illustre compagnie d'évêques d'Afrique, qui, remplis d'une haute idée de sa sainteté, lui envoyèrent des députés avec une lettre, pour lui témoigner l'estime et la vénération qu'ils avaient pour son mérite. Le pape saint Anastase, qui succéda à Sirice, conçut aussi les mêmes sentiments pour lui ; car, à peine fut-il élevé au souverain pontificat, qu'il écrivit en sa faveur à tous les évêques de Campanie, leur témoignant l'amour qu'il avait pour ce saint prêtre. Et, une fois que notre Saint vint à Rome, pour assister à la solennité de la fête de saint Pierre, il l'y reçut avec de grandes démonstrations de bienveillance et d'honneur ; depuis, il l'invita à l'anniversaire de son couronnement : invitation que les papes ne faisaient ordinairement qu'aux évêques.

Enfin, saint Paulin était si célèbre par toute l'Europe, qu'on le proposait continuellement pour exemple à ceux qu'on voulait détromper de l'estime des biens de la terre et attirer au service de Jésus-Christ, comme fit saint Eucher dans son épître à Valérien. Ainsi, sa conduite fut d'une grande utilité pour toute l'Eglise, et elle servit non-seulement à la conversion d'une infinité de pécheurs, mais aussi à mettre en honneur la vie monastique et à la faire embrasser, par un grand nombre de personnes de toutes sortes de conditions.


Saint Paulin de Nole exorcisant un possédé. Bréviaire romain. XVe.

Au reste, c'est une chose merveilleuse que la modestie et l'humilité avec lesquelles il recevait toutes ces louanges. Il ne manquait jamais, dans ses réponses, d'en témoigner son mécontentement, parce qu'il ne voyait rien en lui que de méprisable, et qu'il ne souhaitait aussi que du mépris. Sulpice Sévère l'ayant prié de lui envoyer son portrait, il ne fit point difficulté de traiter cette demande de folie, et lui répondit qu'il ne pouvait pas la lui accorder, parce qu' il ne portait plus l'image de Dieu dans sa pureté, l'ayant, disait-il, souillée par la corruption de l'homme terrestre.

Cependant, ayant appris que, malgré ce refus, ce fidèle ami l'avait fait peindre dans un baptistère, à l'opposite de saint Martin, il lui en exprima sa douleur, et tourna cette action à son propre désavantage, disant que cela s'était fait par une conduite particulière de la divine Providence, afin que les nouveaux baptisés eussent devant les yeux, en sortant des fonts baptismaux, d'un côté celui qu'ils devaient imiter en la personne de saint Martin, et de l'autre, celui dont ils devaient fuir l'exemple, en la personne du pécheur Paulin.

Comme ce n'est pas assez d'entrer dans la voie de la perfection, si l'on n'y persévère avec constance, notre Saint persévéra toute sa vie dans l'amour de la pauvreté et de la mortification. Il avait changé sa vaisselle d'argent en vaisselle de bois et de terre, et jamais il n'en voulut avoir d'autre. Sa table était si frugale, que les religieux les plus austères avaient de la peine à en supporter la rigueur. La viande et le poisson en étaient bannis, et l'on n'y servait point d'autres mets que des herbes et des légumes. Ayant tout donné, il était lui-même dans la disette ; et cette nécessité lui attira une des plus rudes humiliations dont un homme de son rang soit capable ; ceux qui l'avaient autrefois honoré pour ses grands biens et pour les avantages qu'ils espéraient de sa libéralité, et les esclaves mêmes qu'il avait affranchis, l'abandonnèrent et le traitèrent quelquefois avec mépris.

Cependant il croyait toujours n'avoir rien souffert pour Dieu :
" Ô misérables que nous sommes ! disait-il, nous pensons avoir donné quelque chose à Dieu, nous nous trompons, nous trafiquons seulement avec lui, nous avons peu quitté pour avoir beaucoup, nons avons abandonné les choses de la terre qui ne sont rien, pour acquérir les biens du Ciel qui sont solides, permanents et véritables. Ô ! que nous avons les choses à bon marché ! Dieu nous a rachetés bien plus cher : il nous a donné son sang et sa vie, dont le prix est infini, pour acquérir de misérables esclaves !"

Etant dans ces sentiments, il ne s'arrêtait jamais dans le chemin de la perfection ; mais il s'y avançait à tous moments par la pratique de toutes les vertus, tant intérieures qu'extérieures.
Nous avons déjà remarqué que saint Jérôme l'appelle, dans une de ses épîtres, " un prêtre d'une foi trés-fervente " ; mais cette foi éclata principalement lorsque les Goths eurent pris Nole, et lui eurent enlevé à lui-même tout ce qu'il avait dans sa maison pour sa subsistance.

Saint Augustin, au premier livre de la Cité de Dieu, chapitre X, rapporte que ces barbares s'étant alors saisis de sa personne, et voulant le tourmenter pour l'obliger dedéclarer où était son trésor, il disait à Dieu, dans le secret de son coeur :
" Seigneur, ne souffrez pas que je sois tourmenté pour de l'or ou de l'argent ; car vous savez où sont tous mes biens."


Saint Paulin échangé contre un esclave. Vies de saints. R. de Montbaston. XIVe.

Cette prière, animée d'une foi vive et d'une parfaite confiance en la bonté divine, fut si efficace, qu'on ne lui fit aucun mal, et qu'il ne fut point non plus emmené en captivité. Cependant, sa nécessité devint si grande, qu'à peine avait-il du pain pour se nourrir, parce que, les Goths ayant tout enlevé, il n'était rien resté dans Nole pour la subsistance de ceux qu'ils y avaient laissés.

Mais dans une si grande misère, il ne pouvait manger un morceau de pain sans en faire part à ceux qu'il voyait dans la même peine, parce qu'il savait que Dieu, qui nourrit les oiseaux du ciel et les animaux de la terre, ne manquerait jamais de lui donner les choses nécessaires à la vie. On raconte qu'un pauvre étant venu lui demander l'aumône, il l'envoya à Thérasie, qui, de son épouse, était devenue sa soeur, lui disant de donner à ce pauvre ce qu'elle pourrait ; elle lui répondit qu'il ne restait plus en sa maison qu'un petit pain qui ferait tout son diner.
" Donnez-le, répliqua le Saint ; Jésus-Christ, qui demande par la bouche et par la main de ce pauvre, doit être préféré à nous."


Thérasie, contre sa coutume, n'en fit rien, parce qu'elle jugea sans doute, selon la prudence humaine, que, dans un besoin égal, la vie de ce grand homme était préférable à celle du mendiant, et qu'ainsi il valait mieux garder le pain que de le donner à cet étranger. Mais elle apprit bientôt que la Foi de Paulin était plus opulente et plus efficace que la précaution timide et défiante dont elle avait usé ; car, incontinent après, il arriva des hommes qui lui amenaient une grande provision de blé et de vin, s'excusant d'ailleurs et du peu qu'ils apportaient et de leur retardement, sur ce qu'une tempête avait submergé un de leurs vaisseaux qui était chargé de froment.
" Voilà, dit alors Paulin à Thérasie, le châtiment de votre incrédulité. Vous avez dérobé au pauvre le pain que je lui voulais donner, et Dieu, en punition, nous a privés de ce vaisseau de blé que sa providence nous envoyait."

Cette grande foi était dans notre saint prêtre la source de toutes les autres vertus. On ne peut assez dignement représenter sa douceur, sa miséricorde pour toutes sortes d'affligés, sa recounaissancé pour ceux qui lui faisaient du bien, sa vénération pour les excellents prélats qui vivaient do son temps, sa dévotion envers les Saints, et surtout envers saint Félix, dont il rendit la mémoire si célèbre par tout le monde ; et, enfin, son grand amour pour Jésus-Christ dont, selon le témoignage de saint Augustin, il jetait partout une odeur très-sainte et très-agréable.

Il y avait 15 ans que Paulin vivait dans la retraite, lorsqu'on l'élut pour succéder à Paul, évêque de Nole, qui mourut sur la fin de l'année 409.
" Dans la prélature, dit Uranius, un de ses prêtres, en l'abrégé de sa vie, il n'affecta point de se faire craindre, mais il s'étudia à se faire aimer de tout le monde. Comme il n'était point touché des injures que l'on faisait à sa personne, rien n'était capable de le mettre en colère ; il ne séparait jamais la miséricorde du jugement ; mais s'il était obligé de châtier, il le faisait d'une telle manière, qu'il était aisé de voir que c'étaient des châtiments de père, et non pas des vengeances de juge irrité. Sa vie était l'exemple de toutes sortes de bonnes oeuvres, et son accueil était le soulagement de tous les misérables. Qui a jamais imploré son secours sans en recevoir une consolation très-abondante ? Et quel pécheur a-t-il jamais rencontré qu'il ne lui ait présenté la main pour le relever de sa chute ? Il était humble, bénin, charitable, miséricordieux et pacifique ; il n'eut jamais de fierté ni de dédain pour qui que ce fût. II encourageait les faibles, il adoucissait ceux qui étaient d'une humeur emportée et violente. Il aidait les uns par l'autorité et le crédit que lui donnait sa charge, d'autres par la profusion de ses revenus, dont il ne se réservait que ce qui lui était absolument nécessaire ; d'autres, enfin, par ses sages conseils, dont on trouvait toujours de grands trésors dans sa conversation et dans ses lettres. Personne n'était éloigné de lui sans désirer de s'en approcher ; et personne n'avait le bonheur de lui parler sans souhaiter de ne s'en séparer jamais."

En un mot, comme sa réputation était si grande, qu'à peine il y avait un seul lieu sur la terre où le nom de Paulin ne fût célèbre ; aussi ses bienfaits étaient si étendus, que les îles et les solitudes les plus éloignées en étaient participantes. Comme le remarque l'auteur des livres de la " Vocation des Gentils ", qui sont attribués à saint Prosper, quoique Paulin eût abandonné ses propres biens pour Jésus-Christ, il ne laissa pas, néanmoins, d'avoir grand soin des biens ecclésiastiques de son évêché, parce qu'il n'ignorait pas qu'il n'en était que le dépositaire et le gardien ; et que, étant le patrimoine des pauvres, il était obligé de les conserver pour ceux en faveur desquels les fidèles les avaient donnés à l'Eglise. Mais il en conserva les fonds avec soin, il en distribua les revenus avec une liberté sans mesure ; de sorte qu'il n'était pas moins pauvre dans l'épiscopat qu'il l'avait été dans le monastère ; rien ne demeurant entre ses mains, il était autant dans la disette, sous l'éclat de la prélature, qu'il l'était sous l'humble habit de religieux.

Il ne faut pas oublier ici que ses éminentes vertus lui attirèrent même la vénération des empereurs. Honorius, fils du grand Théodose, avait pour lui la plus grande estime ; il voulut qu'il fût presque le seul arbitre du différend qui survint dans l'Eglise romaine pour la succession au pontificat du pape saint Zozime. Car, ayant ordonné l'assemblée d'un Concile pour examiner les prétentions d'Eulalius, schismatique, contre le droit légitime de saint Boniface, et sachant que ce saint évêque n'y pouvait pas assister, parce qu'il était tombé malade, il fit différer ce concile jusqu'à ce qu'il fut entré en convalescence. Il lui écrivit ensuite une lettre pleine d'un souverain respect, lui témoignant que rien ne pouvait être décidé sans lui ; il le prie de se trouver au Concile pour apprendre au monde la volonté de Dieu, pour déclarer à l'Eglise quel était son véritable pasteur, et pour lui donner à lui-même sa bénédiction.

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dimanche, 09 juin 2024

9 juin. Saint Prime et saint Félicien, frères, martyrs. 286.

- Saint Prime & saint Félicien, frères, martyrs. 286.
 
Pape : Saint Caïus. Empereurs : Dioclétien (Orient) ; Maximien Hercule (Occident).
 
" La persécution fait jaillir les saintes palmes des martyrs."
Cassiodor. sub psalm. XCIII.
 

Saint Prime et saint Félicien avec les attributs de leur martyre,
les lions et les ours. Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.

Les roses et les lis alternent sans fin dans la couronne tressée, par les siècles à l'Epouse du Fils de Dieu. En ce monde qui le sait si peu, tout n'a qu'un but : donner dès ici-bas les attraits du ciel à l'Eglise, agencer sa parure pour l'éternité ; parure sublime, faite des vertus des saints, qui doit rendre l'élue du Verbe digne de s'asseoir à la droite de l'Epoux au plus haut des cieux (Apoc. XIX, 7-8 ; Psalm. XLIV, 10.).

Le Cycle sacré, en sa révolution annuelle, nous donne l'image du travail incessant par lequel l'Esprit-Saint, diversifiant les mérites des serviteurs de Dieu, compose ainsi pour les noces éternelles l'admirable variété des ornements de l'Eglise dont ils sont les membres. Deux martyrs, empourprés de leur sang, viennent aujourd'hui relever la blancheur éclatante des œuvres de Norbert ; leur gloire est de celles que n'éclipse aucune autre ; mais ils n'en disposent pas moins nos yeux, par cette variété merveilleuse, à contempler délicieusement aussi la douce lumière que Marguerite, la perle de l'Ecosse, projettera demain sur le monde.

Prime et Félicien, Romains opulents, étaient déjà parvenus à la maturité de l'âge, quand la voix du Seigneur se fit entendre à eux pour les retirer de la vanité des idoles. Frères par le sang, ils le devinrent plus encore par leur commune fidélité à l'appel de la grâce. Ensemble ils se montrèrent les intrépides soutiens des confesseurs du Christ, au milieu des atroces persécutions qui sévirent sur l'Eglise dans la seconde moitié du troisième siècle de notre ère. Un même combat devait aussi terminer leur vie ici-bas, et les engendrer le même jour au ciel. Ils méritèrent de devenir, dans leurs précieux restes, le trésor principal du célèbre sanctuaire consacré sur le mont Cœlius au premier des martyrs.


Martyre de saint Prime et saint Félicien.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard, comblé de félicité. Le premier est souverain et grand en dignité pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité pour la gloire dont il jouit. Le second est appelé vieillard, non à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect qu'inspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour la gravité de ses moeurs.

Les deux frères Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclétien et de Maximien par les prêtres des idoles qui prétendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux, si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l’ordre des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un ange les vint visiter, délia leurs chaînes ; alors ils se promenèrent librement dans leur prison où ils louaient le Seigneur à haute voix.

Peu de temps après on les amena de nouveau devant les empereurs ; et là ayant persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à coups de fouets, puis séparés l’un de l’autre. Le président dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et d'immoler aux dieux. Félicien lui répondit :
" Me voici parvenu à l’âge de 80 ans, et il y en a 30 que je connais la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu : il peut me délivrer de tes mains."
Alors le président commanda de le lier et de l’attacher avec des clous par les mains et par les pieds :
" Tu resteras ainsi, lui dit-il, jusqu'à ce que tu consentes à nous obéir."
Comme le visage du martyr était toujours joyeux, le président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on ne lui servît aucun aliment.

Après cela, il se fit amener saint Prime, et lui dit :
" Eh bien ! Ton frère a consenti à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il est vénéré comme un grand personnage dans un palais : fais donc comme lui !
- Quoique tu sois le fils du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un point, quand tu avançais que mon frère avait consenti à exécuter les ordres de l’empereur du ciel."


Vies de saints. J. de Montbaston. XIVe.

Les conseillers d'impiété virent bientôt que leurs paroles ne pourraient rien obtenir ; on cloua ses pieds et ses mains à un tronc d'arbre, et on le laissa ainsi suspendu durant trois jours, sans lui donner à manger ni à boire. Le lendemain, Prime fut appelé devant le préteur qui lui parla ainsi :
" Vois combien la prudence de ton frère est supérieure à la tienne ; il a obéi aux empereurs, et il est comblé d'honneurs auprès d'eux. Toi-même, si tu veux l'imiter, tu partageras les mêmes honneurs et les mêmes grâces."
Prime répondit :
" J'ai connu par un ange ce qui est arrivé à mon frère. De même que je suis étroitement lié à lui par la volonté, puissé-je n'en pas être séparé non plus dans le martyre !"

Peu après, il les fit conduire à l'amphithéâtre, et on lâcha deux lions sur eux ; mais ces animaux se prosternèrent aux pieds des martyrs, et ils les caressaient de la tête et de la queue. Plus de douze mille hommes étaient venus à ce spectacle ; cinq cents embrassèrent la religion chrétienne avec leurs familles.

Le président irrité fit lâcher encore deux ours cruels qui devinrent doux comme les lions. Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Seigneur.

Le préteur, ému de ces faits, donna ordre de frapper les martyrs de la hache et de faire jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de proie qui les laissèrent intacts. Les Chrétiens leur donnèrent alors une honorable sépulture.


Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.
 
PRIERE
 
 
 
" Vétérans des combats du Seigneur, apprenez-nous quelle force il convient d'apporter à tout âge au service de Dieu. Moins heureux que nous ne le sommes, vous connûtes tard l'Evangile et les richesses sans prix qu'il confère au chrétien. Mais votre jeunesse fut renouvelée comme celle de l'aigle au saint baptême (Psalm. CII, 5.), et durant trente années l'Esprit-Saint produisit en vous des fruits innombrables. Lorsqu'enfin, dans une extrême vieillesse, eut sonné l'heure du triomphe final, votre courage égala celui des plus valeureux combattants.

C'était la prière alimentée par les paroles des psaumes qui soutenait en vous un tel héroïsme, ainsi qu'en témoignent les actes de votre martyre. Réveillez parmi nous la foi dans la parole de Dieu ; ses promesses nous feront, comme à vous, mépriser la vie présente. Rappelez la piété aux sources vraies qui fortifient rame, à la connaissance, à l'usage quotidien des formules sacrées qui rattachent si sûrement la terre au ciel d'où elles sont descendues."

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dimanche, 02 juin 2024

2 juin. Saint Pothin, évêque, sainte Blandine, vierge, et leurs compagnons, tous martyrs à Lyon. 177.

- Saint Pothin, évêque, sainte Blandine, vierge, et leurs compagnons, tous martyrs à Lyon. 177.

Pape : Saint Eleuthère. Empereur : Marc-Aurèle.

" Les reliques d'un seul Martyr suffise pour exciter l'allégresse d'une ville. Pour nous,, voici que nous possédons tout un peuple de Martyrs. Gloire à notre terre, nourricière de céleste combattants, mère féconde d'héroïques vertus."
Homélie de saint Eucher, évêque de Lyon, sur Sainte blandine.


Verrière représentant saint Pothin, sainte Blandine et saint Irénée.
Chapelle Sainte-Blandine à Lyon.

Lyon est une colonie romaine fondée une cinquantaine d'années avant l'ère chrétienne. Son excellente position géographique lui permit de devenir le chef-lieu d'une grande province, avec sa garnison, son hôtel des monnaies, ses sociétés financières et commerciales, ses corporations comme celle des bateliers du Rhône et de la Saône. Ses négociants étaient en relations avec le monde entier.

Lyon avait ses bâtiments officiels, ses lieux de distraction comme l'amphithéâtre, ses faubourgs avec ses villas luxueuses. Des routes bien tenues rayonnaient autour de la ville, et des aqueducs. Un monument sacré avait été dédié à Rome et à Auguste. Son autel se dressait entre deux victoires colossales.

Chaque année, au 1er août, la ville était le théâtre de grandes solennités religieuses. Alors se réunissait l'assemblée des cités gauloises de Lyonnaise, d'Aquitaine et de Belgique, pour célébrer le culte impérial. Une foire, des jeux rehaussaient l'éclat de ces fêtes qui attiraient une foule d'étrangers. C'était le grand rassemblement de la paix romaine, de la prospérité romaine et gauloise. En termes évangéliques, c'était la fête de César et de Mammon, l'argent.

Une chrétienté se forma là de bonne heure. L'Évangile lui était venu d'Orient par la Méditerranée et la vallée du Rhône. Lyon était ville " épiscopale ", pointe avancée du christianisme vers la vallée du Rhin. La communauté de Vienne, en 177, était administrée, semble-t-il, par le diacre Sanctus, délégué de l'évêque lyonnais. Peut-être cependant Lyon et Vienne formaient-elles deux communautés distinctes.
Sous le " sage " empereur Marc-Aurèle, il y eut plusieurs persécutions. L'an 177, peu avant l'ouverture des réjouissances annuelles, une hostilité soudaine éclata contre les éléments chrétiens dans ce milieu lyonnais si cosmopolite.

Saint Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique, (T. V, ch. 1.), nous a conservé presque entièrement une admirable lettre aux Églises d'Asie et de Phrygie, qui renferme tout le récit des combats récemment livrés par les martyrs de Lyon et de Vienne. Ils souffrirent à l'amphithéâtre municipal et à l'amphithéâtre des Gaules. Ils furent la grande attraction pour un public sanguinaire.

Parmi ces vaillants, plusieurs portent des noms grecs : l'évêque de Lyon, Pothin, un nonagénaire ; Vettius Epagathus ; le médecin Alexandre, venu de Phrygie, mais établi en Gaule depuis des années ; Attale de Pergame, Alcibiade, Ponticus, Biblis... D'autres noms sont latins Sanctus, Maturus, Blandine...


Eglise Saint-Pothin à Lyon.

Voici une traduction de cette lettre vénérable, perle de la littérature chrétienne du IIe siècle :

" Les serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères d'Asie et de Phrygie qui ont la même foi et la même espérance que nous dans la Rédemption paix, grâce et gloire de la part de Dieu, Père, et du Christ Jésus Notre-Seigneur.

La force de la persécution, par ici, la rage et la violence des païens contre les saints, toutes les souffrances qu'ont supportées les bienheureux martyrs, défient les narrations que nous pourrions faire de vive voix ou par écrit. En effet, l'ennemi est tombé sur nous de toute sa force : avant-goût de son avènement quand il aurait ses facilités. Il alla partout, stylant ses suppôts et les exerçant contre les serviteurs de Dieu, en sorte qu'on nous pourchassa d'abord dans les maisons, dans les bains, au forum ; puis on fit défense générale à chacun de nous de paraître en aucun lieu.

Mais la grâce de Dieu prit ses mesures défensives. Elle réserva les faibles et aligna contre l'ennemi des colonnes inébranlables dont l'endurance attirerait tout l'effort du Méchant. Ces vaillants abordèrent la lutte et subirent toute espèce d'outrages et de tortures. Des supplices, que d'autres estimeraient formidables, furent pour eux peu de chose : ils se hâtaient vers le Christ et montraient par leur exemple que " les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être manifestée en nous " (Rom., VIII, 18.).

Et d'abord, ils supportèrent généreusement les manifestations populaires : insultes, coups, violences, spoliations, grêles de pierres, emprisonnements, tout ce qu'une foule enragée a coutume d'imaginer contre des ennemis détestés. Ensuite, ils furent traduits au forum, questionnés en public par le tribun et les magistrats municipaux. Ils confessèrent leur foi et furent tous jetés en prison jusqu'au retour du gouverneur.

Quand il fut là, on les mena devant lui et il les traita avec la cruauté d'usage. Vettius Epagathus se trouvait avec nos frères. Il débordait de charité envers Dieu et le prochain ; sa vie austère lui méritait, malgré sa jeunesse, l'éloge donné au vieillard Zacharie ; oui, " il marchait sans reproche dans tous les commandements et observances du Seigneur " (Luc., I, 6.). Il était diligent pour rendre service, très zélé pour Dieu, tout bouillant de l'esprit. Un pareil homme ne put tolérer la procédure extravagante instituée contre nous.

Dans un sursaut d'indignation, il réclama la parole, lui aussi, pour défendre ses frères et montrer qu'il n'y avait rien d'irréligieux ni d'impie parmi nous. Mais ceux qui étaient autour du tribunal crièrent haro sur lui, car c'était un homme connu, et le gouverneur n'admit point cette requête pourtant juste. Il se contenta de lui demander s'il était chrétien, lui aussi. Epagathus le reconnut d'une voix vibrante, et fut admis ainsi au nombre des martyrs. Il s'était comporté en avocat des chrétiens c'est qu'il avait en lui le Paraclet, l'Esprit, plus abondamment que Zacharie, ce qu'il prouva par son ardente charité qui l'exposa à la mort, pour le salut de ses frères. Il était, il est un véritable disciple du Christ, " suivant l'Agneau partout où il va " (Apoc., 14, 4).

Dès lors, il se fit un partage parmi les chrétiens. Les uns se révélèrent bien prêts au martyre et de tout coeur rendirent ce témoignage suprême. D'autres montrèrent qu'ils étaient sans entraînement, sans préparation, faibles et incapables de supporter la tension d'un grand combat. Dix environ parmi eux tombèrent et furent pour nous cause d'une grande peine et d'une componction immense. Ils brisèrent le courage des autres qui n'étaient pas encore arrêtés et qui, malgré de rudes épreuves, assistaient les confesseurs et gardaient la liaison avec eux. Alors nous fûmes en proie à une grande inquiétude : comment tourneraient les professions de la foi ? Nous pensions à leur issue et nous craignions que quelqu'un ne tombât."

Cependant, chaque jour, on en saisissait qui étaient dignes de compléter le nombre des martyrs. C'est ainsi qu'on rafla dans les deux Églises (Lyon et Vienne) les plus zélés, les artisans de ce qui existe par ici. On arrêta aussi quelques-uns de nos serviteurs qui étaient païens, car le gouverneur avait décrété de nous rechercher tous. Ceux-ci, influencés par Satan, terrifiés par les tortures qu'ils voyaient infliger aux saints, et incités à cela par les soldats, nous calomnièrent en nous accusant de repas de Thyeste et d'incestes d'Oedipe, et d'autres énormités qu'il ne nous est pas permis de dire, ni même de penser ou croire possibles chez des hommes.

Ces racontars se répandirent ; tous devinrent fous furieux contre nous. Des gens qui, naguère, étaient de nos relations et continuaient à nous ménager nous trouvèrent du coup absolument intolérables et grincèrent des dents contre nous. Ainsi s'accomplissait la parole de Notre-Seigneur : " Il viendra un temps où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu " (Jean., 16, 2).


Le martyr de sainte Blandine et de ses compagnons.
Jean-Léon Gérome. XIXe.

Alors les saints martyrs n'eurent plus qu'à endurer des supplices au-dessus de toute description. Satan brûlait d'envie de leur tirer, à eux aussi, quelque parole de calomnie. Surexcitée, toute la colère de la plèbe, du gouverneur et de l'armée tomba sur Sanctus, le diacre de Vienne, sur Maturus, un néophyte, mais un généreux combattant, sur Attale de Pergame, qui fut toujours la colonne et le soutien de notre Eglise, et sur Blandine. En elle le Christ montra que ce qui paraît aux hommes sans prix, sans beauté, méprisable, est en grand honneur auprès de Dieu, à cause de l'amour - qu'on lui prouve par des actes, et non par les fanfaronnades de l'imagination.

Nous craignions tous, avec sa maîtresse selon la chair, qui combattait elle aussi parmi les martyrs, qu'elle ne pût faire franchement profession de la foi, à cause de sa faiblesse physique. Mais Blandine fut remplie d'une telle force qu'elle fatigua et découragea les bourreaux, qui se succédèrent près d'elle depuis le matin jusqu'au soir, et épuisèrent tout l'arsenal des supplices. Ils s'avouèrent vaincus ils n'avaient plus rien à lui faire.

Ils s'étonnaient qu'il lui restât encore un souffle de vie, alors que tout son corps était déchiré et labouré. Ils certifiaient que le moindre de ces tourments était suffisant pour ôter la vie et tout leur assortiment n'avait pas réussi! Mais la bienheureuse, comme un généreux athlète, retrouvait des forces à confesser sa foi. C'était pour elle un réconfort, un repos et un apaisement de ses souffrances de dire :
" Je suis Chrétienne, et chez nous il n'y a rien de mal."

Sanctus lui aussi se classait hors-concours en supportant, avec une générosité surhumaine, toutes les violences des tortionnaires. Les impies espéraient, par la durée et l'intensité des supplices, obtenir de lui un motif de condamnation. Il leur résista avec une telle fermeté qu'il ne dit ni son nom, ni son pays, ni sa ville d'origine, ni s'il était esclave ou libre, mais à toutes les interrogations il répondait en latin :
" Je suis Chrétien."

C'était là sa réponse pour le nom, la cité, la race, pour tout successivement, et les païens ne purent tirer de lui autre refrain. Alors une grande émulation saisit gouverneur et bourreaux, en sorte que n'ayant plus rien à lui faire subir, ils lui appliquèrent finalement des lames d'airain ardentes sur les parties les plus sensibles du corps. Celles-ci brûlaient, mais lui, invincible, inflexible, ferme dans sa confession, s'abreuvait et se fortifiait à la source céleste d'eau vive qui jaillit du sein du Christ. Son pauvre corps attestait ce qu'il avait enduré ; tout n'y était que plaies et meurtrissures. Cette chair contractée n'avait plus forme humaine. Mais le Christ qui souffrait en lui acquérait une grande gloire en ruinant l'ennemi et en montrant par un exemple mémorable que rien n'est à craindre avec l'amour du Père, rien n'est douloureux avec la gloire du Christ.


Martyre de saint Pothin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XIVe.

Les impies, quelques jours après, recommencèrent à torturer le martyr. Ils pensaient qu'en appliquant les mêmes tortures sur des plaies encore soulevées et phlegmoneuses, ils viendraient à bout de lui puisqu'il ne supportait même pas le contact des mains ; ou bien sa mort dans les supplices inspirerait de la crainte aux autres. Mais rien de tel n'arriva à Sanctus. Bien mieux ! son pauvre corps se releva, se redressa dans ces nouveaux supplices; il reprit sa forme, l'usage de ses membres. Ainsi ce ne fut pas une torture, mais une cure, par le grâce du Christ, ce deuxième supplice.

Biblis était une de celles qui avaient apostasié, et le diable croyait déjà l'avoir assimilée. Désireux d'obtenir sa condamnation par calomnie, il la fit mener au supplice : il la forcerait bien à nous charger d'impiétés, cette femmelette sans énergie. Mais quoi! pendant la torture, Biblis reprit conscience et se réveilla comme d'un profond sommeil. La douleur momentanée lui fit penser au châtiment sans fin de la géhenne. Elle contrecarra les calomniateurs par cette réplique :
" Comment pourraient-ils manger des enfants, ces gens qui ne doivent même pas prendre du sang d'animaux ?"

Dès lors elle se déclara chrétienne et elle fut mise au rang des martyrs.

Les supplices tyranniques se trouvaient sans force, grâce au Christ qui donnait patience aux bienheureux. Le diable combina d'autres machinations. Il fit enfermer les martyrs dans l'endroit le pins malsain et le plus obscur de la prison, les fit mettre aux ceps, les pieds écartés jusqu'au cinquième trou, sans parler des mauvais traitements que des gardiens acharnés et possédés du démon ont accoutumé d'infliger aux détenus. C'est ainsi qu'un bon nombre périrent d'asphyxie dans la geôle. Le Seigneur avait voulu qu'ils partissent ainsi pour souligner sa puissance. En effet, quelques-uns, si cruellement torturés qu'ils semblaient ne plus pouvoir vivre, même avec les plus grands soins, subsistèrent dans la prison, privés du secours des hommes, mais fortifiés par le Seigneur, et rendus vaillants de corps et d'âme au point de réconforter et de consoler les autres. Tandis que d'autres, des nouveaux, qui avaient été arrêtés récemment et dont le corps n'avait pas enduré la question, ne pouvaient souffrir cette geôle intolérable, et succombèrent.

Le bienheureux Pothin, chargé du ministère de l'épiscopat à Lyon, avait plus de 90 ans. Il était très infirme, pouvait à peine respirer à cause de sa débilité. Mais l'ardeur de l'Esprit le rendit fort, avec un vif désir du martyre.

Il fut lui aussi traîné devant le tribunal. Son corps était épuisé par la vieillesse et la maladie, mais son âme gardait sa vigueur pour que, par elle, le Christ triomphât. Mené au tribunal par les soldats, avec un cortège des magistrats de la cité et de tout le peuple, qui poussait contre lui des cris variés, comme s'il était le Christ en personne, il rendit cet admirable témoignage, le gouverneur lui ayant demandé quel était le dieu des chrétiens :
" Si tu en es digne, tu sauras."

Alors il fut entraîné sans ménagements, pris dans un réseau de coups ; ceux qui l'entouraient s'en donnaient à coeur joie, et du pied et du poing, sans même considérer son âge ; ceux qui étaient loin empoignaient le premier objet venu et le lui lançaient. Tous pensaient qu'ils auraient gravement manqué à leur devoir civique et religieux, s'ils s'étaient montrés tièdes à l'insulter. Ils croyaient que leurs dieux trouvaient ainsi vengeance. Pothin respirait à peine lorsqu'il fut enfin jeté en prison. Il y rendit l'âme deux jours après. Alors se manifesta dans sa grandeur la Providence de Dieu, et la miséricorde immense de Jésus apparut. Ce n'est pas tous les jours que notre confrérie est ainsi à l'honneur, mais cela fut bien dans la manière du Christ.

Ceux qui, aussitôt pris, avaient renié leur foi, se trouvaient écroués eux aussi et partageaient les souffrances des martyrs. En l'occurrence, leur apostasie ne leur procura donc aucun avantage.


Détail du retable de l'autel de sainte Blandine.
Eglise Saint-Martin-d'Ainay. Lyon. XVIIIe.

Ceux, en effet, qui avaient reconnu ce qu'ils étaient, furent mis sous les verrous comme chrétiens sans autre accusation. Mais nos renégats étaient détenus pour homicides et attentats à la pudeur, avec double peine par rapport aux autres. Ceux-ci se sentaient allégés par la joie du martyre, l'espoir des biens promis, l'amour du Christ et l'Esprit du Père.

Tandis que les autres étaient torturés par leur conscience, en sorte qu'on les distinguait au passage rien qu'à leur mine, Les confesseurs avançaient, joyeux, l'air resplendissant de majesté et aussi de grâce, à ce point que leurs chaînes faisaient élégants atours et parures, comme à une robe nuptiale des ganses brochées d'or. Ils répandaient le parfum du Christ, si bien que certains pensaient à des onctions d'essence pour la toilette. Les apostats baissaient les yeux, honteux, repoussants, parfaitement ignobles. Le comble, c'est que les païens les couvraient d'outrages, les traitaient de canailles et de capons. On les accusait de meurtres : ils avaient perdu le titre qui donne l'honneur, la gloire et la vie.

A cette vue, les autres se sentirent d'autant plus fermes, et ceux qu'on arrêtait confessaient leur foi sans barguigner, loin de tout calcul diabolique. Après ces tournois, les épreuves finales des martyrs furent variées à merveille. De mille fleurs bariolées ils tressèrent une couronne et l'offrirent au Père : ils méritaient bien, ces vaillants athlètes qui avaient soutenu un combat multiforme et remporté de grandes victoires, de recevoir la couronne magnifique de l'immortalité.

Maturus, Sanctus, Blandine et Attale furent conduits aux bêtes dans l'amphithéâtre, en spectacle inhumain pour les païens : c'était jour de combat avec les bêtes, offert précisément à l'occasion des nôtres.

Maturus et Sanctus, de nouveau, subirent à l'amphithéâtre tous les tourments, comme s'ils n'avaient rien souffert déjà. Ou plutôt ils étaient comme des champions qui ont battu l'adversaire dans plusieurs rencontres, et qui luttent cette fois pour la couronne, ils passèrent encore par les fouets, selon l'usage du pays, subirent les assauts des bêtes, et tout ce qu'un peuple délirant réclamait bruyamment çà et là. Le clou fut la chaise de fer où la grillade des corps puait la graisse. Mais les païens n'étaient pas rassasiés ; leur folie allait crescendo, voulait vaincre la constance des victimes.

Cependant, de Sanctus ils n'obtinrent rien, que cette profession de la foi qu'il répétait depuis le début. Et comme les martyrs avaient encore du souffle après ce grand combat, ils furent immolés pour aboutir. En ce jour, au lieu du programme varié des duels de gladiateurs, il y eut les saints offerts en spectacle au monde.


L'amphithéâtre des trois Gaules à Lyon ;
lieu du martyre de nos Saints.

Blandine, suspendue à un poteau, était exposée en pâture aux bêtes qu'on avait lâchées. La vue de ce crucifix improvisé, qui priait d'une voix assurée, animait grandement les combattants. Ils voyaient dans leur soeur, durant le combat, avec les yeux du corps, celui qui avait été crucifié pour eux afin de garantir aux fidèles que souffrir pour la gloire du Christ donne part au Dieu vivant. Aucune des bêtes, cette fois-là, ne toucha à Blandine.
On la détacha donc de son poteau et on la remit en prison, en réserve pour un autre combat. Ses multiples performances disqualifiaient irrémédiablement le Serpent tortueux et stimulaient nos frères. Cette petite, cette faible, cette méprisée, avec le grand athlète imbattable, le Christ, qu'elle avait revêtu, était victorieuse à plusieurs reprises de l'Adversaire. De haute lutte elle s'adjugeait la couronne de l'immortalité.


Bannière de sainte Blandine. Eglise Notre-Dame.
Clohars-Carnoët. Bretagne. XVIIIe.

Attale, lui aussi, fut violemment réclamé par le public, car il était très connu. Lutteur en pleine forme, il fit son entrée, fort de sa bonne conscience. Il s'était soigneusement exercé dans l'armée chrétienne, et toujours il avait rendu témoignage, parmi nous, à la vérité. On lui fit faire le tour de l'amphithéâtre, précédé d'un tableau où était écrit en latin " Attale chrétien ".

Le peuple se montait extrêmement contre lui. Mais le gouverneur, ayant su qu'il était citoyen romain, ordonna de le ramener avec le reste en prison, fit son rapport à César et attendit sa réponse.
Alcibiade, un des martyrs, vivait très chichement. D'abord il ne changea rien du tout à son régime, se contentant de pain et d'eau et s'efforçant de maintenir ce menu dans son cachot. Mais Attale, après sa première performance à l'amphithéâtre, eut une révélation à son sujet : Alcibiade avait tort de s'abstenir des choses créées par Dieu et de laisser aux autres une occasion de scandale. Persuadé, Alcibiade prit de tout sans scrupules et avec actions de grâces. Car les martyrs étaient visités par la grâce de Dieu et l'Esprit-Saint les conseillait.

Le temps qui s'écoulait n'était pas perdu pour eux. Leur patience faisait éclater l'infinie miséricorde du Christ. Les vivants faisaient revivre les morts, les martyrs graciaient les martyrs manqués. Et ce fut une grande joie pour l'Eglise, la Vierge Mère, de recevoir vivants ceux qu'elle avait rejetés morts. Grâce aux confesseurs, nombre de renégats se reprirent. Ils étaient conçus à nouveau, la vie se ranimait en eux. Il apprenaient à confesser la foi. Désormais vivants et énergiques, ils vinrent devant le tribunal. Dieu est doux, il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion; il les aida quand ils furent interrogés de nouveau par le gouverneur. La réponse de César, en effet, était de mettre à mort les persévérants ; les renégats, de les libérer.

La grande fête annuelle, qui amène un concours immense de tous les peuples, commençait alors. Le gouverneur fit venir les bienheureux à son tribunal dans une audience théâtrale, avec défilé devant le public. Il les interrogea derechef. Ceux qui parurent nantis du droit de cité romaine eurent le tête tranchée; les autres, il les envoya aux fauves.

Le Christ fut magnifiquement glorifié par ceux qui, une première fois, l'avaient désavoué. Contre l'attente des païens ils le confessèrent alors. On les avait interrogés séparément, comme si on voulait les libérer ; mais ils confessèrent-leur Foi et s'ajoutèrent à la liste des martyrs. Resta exclu ce qui n'avait jamais eu trace de foi, jamais compris l'histoire de la robe nuptiale (Matth., XXII, 11.), jamais eu la crainte de Dieu ; des gens qui par leur volte-face avaient couvert de honte leur Eglise, des fils de perdition enfin ! Tous les autres furent réunis à l'Église.


Saint Pothin. Sébastien-Melchior Cornu.
Chapelle du palais de l'Elysée. XIXe.

A l'interrogatoire assistait Alexandre de Phrygie, médecin en Gaule depuis bien des années. Tous le connaissaient pour son amour de Dieu et sa franchise; il avait bien sa part de grâce pour l'apostolat. Debout près du tribunal, il faisait des signes de tête aux accusés pour les inciter à confesser. C'était visible pour ceux qui entouraient le tribunal on peut dire qu'il enfantait des martyrs. Les gens, irrités de voir les ci-devant renégats se rétracter, accusèrent hautement Alexandre d'être la cause de ce changement. Le gouverneur le fait comparaître, lui demande son identité.
Alexandre répond :
" Chrétien !"

Agacé, le gouverneur le condamne aux bêtes.

Le lendemain, il entra dans l'arène avec Attale, car le gouverneur, pour plaire au public, livrait de nouveau Attale aux bêtes. Ils passèrent par tous les instruments de supplice inventés pour l'amphithéâtre et soutinrent un combat très dur. Enfin, on les immola eux aussi. Alexandre ne prononça pas un mot, ne fit pas entendre un cri ; il s'entretenait avec Dieu dans son coeur.

Pour Attale, il fut placé sur la chaise de fer et brûlé. Comme une fumée et une odeur de graisse s'exhalaient de son corps, il dit au public en latin :
" Voyez c'est vous, à cette heure, qui êtes des mangeurs d'hommes. Nous autres, nous ne mangeons pas d'hommes, et nous ne faisons rien de mal."
On lui demanda quel étoit le nom de Dieu :
" Dieu, dit-il, n'a pas de nom comme un homme."


Après tous ces supplices, le dernier jour des combats singuliers, Blandine fut réintroduite, avec Ponticus, un jeune gars d'une quinzaine d'années. Chaque jour ils avaient été amenés pour voir les autres souffrir. On voulait les contraindre à jurer par les idoles. Ils restèrent calmes et dédaigneux. Fureur du public qui fut sans pitié pour l'âge de l'enfant, sans respect pour le sexe de Blandine. On les livra à toutes les atrocités ; ils parcoururent tout le cycle des supplices. Après chaque épreuve, on les pressait de jurer, mais sans pouvoir y réussir. Ponticus était encouragé par sa soeur : les païens voyaient bien que c'était elle qui l'exhortait et l'affermissait. Il endura vaillamment toutes les tortures et rendit l'âme.

La bienheureuse Blandine restait la dernière. Comme une noble mère qui lance ses fils vainqueurs pour qu'ils la devancent chez le roi, elle soutint elle aussi tous les combats de ses enfants et se hâta de les rejoindre. Joyeuse et allègre de s'en aller, elle avait l'air d'une invitée à un repas de noces et non pas jetée aux fauves. Après les fouets, puis les bêtes, puis le gril, elle fut mise dans un filet et livrée à un taureau. Plusieurs fois projetée en l'air par l'animal, elle n'avait plus le sentiment de ce qui se passait, tant elle était prise par son espérance, son attente des promesses, son entretien avec le Christ. On l'immola elle aussi. Et les païens eux-mêmes avouaient que jamais, chez eux, une femme n'avait enduré des souffrances aussi nombreuses et aussi cruelles.

Mais ce n'était pas assez pour assouvir leur fureur et leur cruauté contre les saints. Excitées par la Bête féroce de l'enfer, ces tribus féroces et barbares s'apaisaient malaisément : voire leur démence se renouvela, cette fois contre des cadavres. Le fait d'avoir été vaincus ne les humiliait pas, car ils ne pouvaient former un raisonnement; non, cela échauffait leur fureur, comme chez la bête. Le gouverneur et le peuple faisaient preuve envers nous de la même haine sans fondement. Par là s'accomplissait l'Écriture :
" Que l'injuste devienne plus injuste encore, et que le juste augmente en vertu !"
(Cf. Apoc., 22, 11; Ez., 2, 27, selon les LXX.)

Ceux qui étaient morts asphyxiés en prison, on les jeta aux chiens, avec sentinelles de jour et de nuit pour nous interdire de les enterrer. Semblablement, on exposa ce dont n'avaient pas voulu les bêtes ou le bûcher, des lambeaux déchirés ou carbonisés, des têtes coupées, des troncs mutilés. Cela resta également sans sépulture, avec une garde de soldats pendant plusieurs jours. Des païens frémissaient et grinçaient des dents contre les martyrisés on aurait dû les soumettre à des supplices encore plus forts ! D'autres se gaussaient des morts et les insultaient. Ils vantaient leurs idoles qui, disaient-ils, avaient bien puni ces gens-là. Quelques-uns, plus modérés, paraissaient éprouver une certaine pitié ; ils se répandaient en plaintes :
" Où est leur Dieu ? A quoi bon ce culte qu'ils ont préféré à leur vie ?"
Ainsi leurs sentiments étaient assez variés.

De notre côté, vive était la douleur de ne pouvoir enterrer les corps. La nuit ne nous fut pas favorable; l'argent se trouva sans séduction, les prières échouèrent. La garde était acharnée, comme si elle avait un réel intérêt à priver ces os de sépulture.

Les corps des martyrs furent donc exposés aux injures de l'air pendant 6 jours. Ensuite on les brûla. Les cendres furent balayées par les impies jusqu'au Rhône qui coule près de là, de peur qu'il ne restât sur la terre une relique. Ils faisaient cela comme s'ils pouvaient vaincre Dieu et ôter aux morts la résurrection.

" Rendons sans objet, disaient-ils, leur espérance dans une résurrection. C'est par elle qu'ils ont introduit chez nous une religion étrangère et nouvelle, qu'ils méprisent les tourments, qu'ils sont prêts à marcher joyeusement à la mort. Maintenant, voyons s'ils ressusciteront et si leur dieu est capable de les secourir et de les tirer de nos mains."

CULTE

A la fin du IIe siècle, l'Occident n'avait pas encore commencé à rendre un culte aux martyrs comme l'Orient le pratiquait depuis longtemps. De sorte que les premiers martyrs furent souvent oubliés par les générations postérieures ou n'eurent pas les honneurs qu'ils nous semblent mériter.


La primatiale Saint-Jean-Baptiste à Lyon.

Les martyrs de Lyon eurent la chance d'avoir le récit de leur mort écrit par un témoin direct, ce qui pour les modernes est d'un prix inestimable, mais leurs corps avaient disparu entièrement dans les eaux du Rhône et comme, aux premiers siècles, la dévotion des fidèles s'accrochait volontiers aux souvenirs sensibles, leur culte n'eut pas le même éclat que celui de beaucoup d'autres. C'est ainsi qu'on a la surprise de constater que des Gaulois : saint Victrice de Rouen et saint Sidoine Apollinaire ne les nomment pas dans leurs longues énumérations de martyrs. Grégoire de Tours, il est vrai, rachètera cette omission ; il nous dit que sa grand'mère Leucadia appartenait à la famille de Vettius Epagathus, le premier de la liste (Historia Francorum, I. 1, ch. 29.), et il raconte, par ailleurs, que les martyrs eux-mêmes seraient apparus aux fidèles pour leur indiquer le lieu où ils pourraient ramasser leurs cendres (De gloria martyrum, ch. 49.).

Cette seconde assertion est bien suspecte ; d'après le contexte, il semble que la révélation aurait eu lieu, à l'époque même de leur mort. Or la lettre des chrétiens de Lyon n'y fait aucune allusion, saint Augustin non plus ; il sous-entend même le contraire en disant que la sépulture n'a aucune importance (P. L., t. 40, col. 600.), et dans une homélie attribuée à saint Eucher, l'orateur explique longuement que les cendres des martyrs furent jetées dans le Rhône, sans rien ajouter.


La basilique Notre-Dame de Fourvière. A son emplacement actuel,
saint Pothin avait fondée une chapelle en l'honneur de Notre Dame.

L'absence des reliques explique la difficulté de la localisation du culte des martyrs ; les basiliques s'élevaient en effet ordinairement sur les tombeaux. Cependant la vision racontée par Grégoire de Tours entra dans la tradition lyonnaise et, au IXe siècle, Adon atteste que les fidèles vont à l'église des Apôtres vénérer les cendres des martyrs.

Cette église des Apôtres et des 48 martyrs a changé son vocable pour prendre le nom de Saint-Nizier. Son origine est très ancienne, et elle fut cathédrale jusqu'au Ve siècle, époque à laquelle Saint-Étienne reçut ce titre. Peut-on penser qu'elle s'élève exactement là où saint Pothin réunissait les fidèles ? C'est possible, mais ce n'est pas sûr.

Actuellement plusieurs lieux sont considérés à Lyon comme étant ceux où les martyrs ont souffert. Remarquons d'abord que, dans l'antiquité, le culte ne se fixait pas au lieu du supplice. Par exemple, il a fallu attendre le XVIe siècle pour que le Colisée fût considéré par les Romains comme un lieu saint ; au Moyen Age, ils n'y voyaient qu'une carrière de pierres. Si des fouilles permettaient de retrouver un ancien oratoire ou quelque inscription, si un texte attestait sûrement une tradition très ancienne, nous pourrions savoir où furent emprisonnés, jugés et mis à mort les martyrs de Lyon. Mais il n'y a rien de tel.

La prison de l'Antiquaille est totalement ignorée avant le XVIe siècle, et s'il est vraisemblable de placer la prison auprès du Forum, il ne l'est pas du tout de croire que c'était un souterrain de 6 mètres sur 3. Saint Grégoire de Tours écrit que les martyrs ont souffert à Ainay et que pour cela on les appelle quelquefois martyrs d'Ainay. Ce texte n'autorise pourtant pas à situer le lieu de leur exécution auprès de l'église Saint-Martin d'Ainay, car autrefois les collines de la rive droite de la Saône portaient le nom de Puy d'Ainay. Saint-Martin d'Ainay fut pourtant pendant le Moyen Age le but d'une grande procession en l'honneur des martyrs. Les Lyonnais s'y rendaient pour y célébrer la Fête des merveilles.

En fait, la tradition lyonnaise ne nous apporte à peu près rien. L'Église universelle connut de bonne heure saint Pothin et ses compagnons. Eusèbe, en insérant le récit de leur martyre dans son Histoire ecclésiastique, leur donna la célébrité, car il fut beaucoup lu en Orient, et en Occident dans la traduction de Rufin.

Le martyrologe hiéronymien annonce au 2 Juin les 48 martyrs et énumère leurs noms. Le vénérable Bède composa une notice d'après le récit que donne Eusèbe. Ils devaient garder une belle place puisque les plus célèbres auteurs de martyrologes du IXe siècle, l'anonyme dont le livre est conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote latin 3879, Florus et Adon habitaient à Lyon. Ils sont passés de là dans le martyrologe romain.

Leur office n'a jamais été célébré par l'Église universelle, mais seulement par le diocèse de Lyon et quelques diocèses voisins.

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dimanche, 26 mai 2024

26 mai. Saint Philippe de Néri, fondateur de l'Oratoire. 1595.

- Saint Philippe de Néri, fondateur de l'Oratoire. 1595.
 
Papes : Léon X ; Clément VII.
 
" Si nous voulons aider avec zèle notre prochain, nous ne devons réserver pour nous-même ni lieu, ni heure, ni saison."
Saint Philippe de Néri.
 

D'après nature. Pierre-Paul Rubens. XVIIe.

Notre saint est né en 1515 à Florence de deux parents illustres par la naissance, François de Néri et Lucrèce Soldi. Il perdit sa mère alors qu'il était encore bien jeune mais en trouva une seconde dans la personne de la deuxième épouse que son père prit à la suite de la douloureuse disparition de Lucrèce.

Dès l'âge de 5 ans, on ne l'appelait plus que le bon petit Philippe tant il était non seulement obéissant mais encore généreux et agréable à tous, s'approchant avec innocence et coeur de certains pieux religieux de la ville dont il voulait imiter les exemples.
 
Bientôt François de Néri l'envoya chez un parent, Romulus, pour apprendre le négoce et compléter son éducation. Cet homme bon fut tellement charmé par Philippe qu'il résolut d'en faire son héritier.

Corrado Giaquinto. XVIIIe.

Il n'en fallait pas plus pour que notre saint ne vît dans cette favorable disposition un piège du démon. Il quitta alors le domicile de son oncle, se remettant dans les mains du Seigneur, afin d'aller à Rome étudier. Là, il rencontra un Florentin installé à Rome, Galeatto Caccia, qui fut charmé lui aussi des desseins de saint Philippe et qui lui offrit de l'héberger et de lui fournir l'essentiel. En retour, notre saint s'engagea à parfaire l'éducation des enfants de son bienfaiteur ; ce qu'il fit avec talent et pour le plus grand bonheur de leur père.

Il passa chez Galeatto Caccia deux années dans l'isolement et la piété. Bientôt, cette vie vertueuse fut connut et la rumeur de piété de notre saint alla jusqu'à Florence. Sa soeur, Elizabeth, n'en fut pas étonné et dit bien volontiers que dans leur jeune âge elle avait distinguer chez son frère les disposition d'un grand saint.

C'est alors que le jeune homme se sentit attirer par l'étude de la philosophie et qu'il entra au collège romain où il suivit les cours des meilleurs maîtres avec intelligence et succès. A l'issu, il poursuivit ses études au collèges des Augustins et réussit ramarquablement sa théologie.


Eglise Sainte-Croix. Paulmy. Touraine. XVIIe.

Il garda toute sa vie durant deux livres, ayant vendu les autres à la fin de ses études pour en distribuer le prix aux pauvres : la sainte Bible et la somme de saint Thomas d'Aquin qu'il consultait souvent et particulièrement dès qu'un problème délicat se présentait à lui.

Laïc jusqu'à l'âge de 36 ans, il exerça son apostolat de simple prêtre entièrement au coeur de la Rome du XVIe siècle. L'attention qu'il porte aux déshéritée est le centre de son oeuvre. Ses actions furent nombreuses.

Il fonda d'abord une maison de convalescence pour les malades, auxquels il rendait continuellement visite dans les hôpitaux. Il créa pour les pélerins, une Confraternité spéciale et leur construisit une grande maison dédiée à la Sainte Trinité.

Il pris soin des malades mentaux, abandonnés jusqu'alors par les rues, et fonda pour les accueillir l'institut de Santa Maria della Pietà, premier établissement de ce genre. L'écho de son oeuvre se répandit bientôt et influença profondément la vie de la ville et celle de l'église. Pendant 50 ans, saint Philippe représenta le seul point de référence pour tous, papes, saints, puissants et humbles, évêques et laiques. Il dirigea leurs consciences comme confesseur, les aida à résoudre leurs problèmes quotidiens, donna à leur foi un sens plus élevé et conscient.


Dessin d'étude. Paolo di Mattheis. XVIIe.

La création de l'Oratoire Séculier, fut une de ses entreprises les plus innovatrices. Il y reccueillit des hommes de tout milieu et de toute culture, les unissant dans l'amour pour la musique et la culture et les impliquant dans des moments d'approfondissement spirituel par la lecture de la Bible et la prière. Avec son charisme, il réussissait à les employer tous, nobles comme gens du peuple, dans des activités caritatives et pour assister les malades dans les hôpitaux.

Il était particulièrement habile pour inciter les artistes à mettre leur génie au service de Dieu : c'est ainsi que naquirent les Oratoires de musique, les Annales d'Histoire Ecclésiastique et un regain d'intéret pour l'archéologie sacrée.

Toujours gai, il communiquait sa joie à ceux qui l'approchaient. Pour cette raison, le peuple de Rome s'en souvient comme du " Saint de la Joie ".
Il aimait les jeunes, les éduquait joyeusement à la vie chrétienne tout en comprenant leurs besoins.
" Tenez vous tranquilles, si vous pouvez !", aimait-il dire aux jeunes qui vivaient dans les rues de Rome, souvent abandonnés à eux-mêmes.
Il fonda pour eux la première école organisée et un collège pour les pauvres les plus capables.


Notre Dame apparaissant à saint Philippe Néri. G. Tiepolo. XVIIe.

La Visite aux Sept Eglises est une autre de ses initiatives. Pendant la période de Carnaval il emmenait des milliers de personnes de tout rang, dans de longues promenades aux basiliques antiques perdues dans la campagne romaine et riches de la mémoire des martyrs. C'était ainsi une occasion de joie sereine mais aussi de reccueillement et de prière.

Il fonda la Congrégation de l'Oratoire, premier exemple de vie en commun du clergé séculier, qui s'est diffusé ensuite en Italie et dans beaucoup d'autres nations.
Derrière cet infatigable engagement missionnaire et pastoral, il eut toujours une intense vie de prières, riche d'expériences mystiques. L'expérience qu'il eut le jour de la Pentecôte 1544, fut fondamentale pour sa vie. Ce jour là, dans les Catacombes de saint Sébastien, une boule de feu pénétra dans son coeur en lui dilatant la poitrine.

L'an du salut 1595, le huit des calendes de juin, jour auquel tombait la fête du Saint-Sacrement, après avoir célébré le Sacrifice dans les transports d'une pieuse joie, et avoir exercé les autres fonctions ordinaires, il s'endormit dans le Seigneur âgé de quatre-vingts ans, un peu après minuit, à l'heure même qu'il avait prédite. Après sa mort il éclata encore par ses miracles. Canonisé en 1622, saint Philippe Neri est aujourd'hui un des saints patrons de la ville de Rome.

Saint Philippe de Néri et saint Charles Borromée.
Anonyme du XVIIe. Bourgogne.
 
PRIERE
 
" Vous avez aimé le Seigneur Jésus, Ô Philippe, et votre vie tout entière n'a été qu'un acte continu d'amour ; mais vous n'avez pas voulu jouir seul du souverain bien. Tous vos efforts ont tendu à le faire connaître de tous les hommes, afin que tous l'aimassent avec vous et parvinssent à leur fin suprême. Durant quarante années, vous fûtes l'apôtre infatigable de la ville sainte, et nul ne pouvait se soustraire à l'action du feu divin qui brûlait en vous. Nous qui sommes la postérité de ceux qui entendirent votre parole et admirèrent les dons célestes qui étaient en vous, nous osons vous prier de jeter aussi les regards sur nous. Enseignez-nous à aimer notre Jésus ressuscité. Il ne nous suffit pas de l'adorer et de nous réjouir de son triomphe ; il nous faut l'aimer : car la suite de ses mystères depuis son incarnation jusqu'à sa résurrection, n'a d'autre but que de nous révéler, dans une lumière toujours croissante, ses divines amabilités.

C'est en l'aimant toujours plus que nous parviendrons à nous élever jusqu'au mystère de sa résurrection, qui achève de nous révéler toutes les richesses de son coeur. Plus il s'élève dans la vie nouvelle qu'il a prise en sortant du tombeau, plus il apparaît rempli d'amour pour nous, plus il sollicite notre cœur de s'attacher à lui. Priez, Ô Philippe, et demandez que " notre coeur et notre chair tressaillent pour le Dieu vivant " (Psalm. LXXXIII, 2.).

Après le mystère de là Pâque, introduisez-nous dans celui de l'Ascension ; disposez nos âmes à recevoir le divin Esprit de la Pentecôte ; et lorsque l'auguste mystère de l'Eucharistie brillera à nos regards de tous ses feux dans la solennité qui approche, vous, ô Philippe, qui l'ayant fêté une dernière fois ici-bas, êtes monté à la fin de la journée au séjour éternel où Jésus se montre sans voiles, préparez nos âmes à recevoir et à goûter « ce pain vivant qui donne la vie au monde." (Johan. VI, 33.).
 
Notre Dame avec notamment saint Jean-Baptiste et
saint Philippe Néri. Pietro da Cortona. XVIIe.
 
La sainteté qui éclata en vous, Ô Philippe, eut pour caractère l'élan de votre âme vers Dieu, et tous ceux qui vous approchaient participaient bientôt à cette disposition, qui seule peut répondre à l'appel du divin Rédempteur. Vous saviez vous emparer des âmes, et les conduire à la perfection par la voie de la confiance et la générosité du coeur. Dans ce grand oeuvre votre méthode fut de n'en pas avoir, imitant les Apôtres et les anciens Pères, et vous confiant dans la vertu propre de la parole de Dieu. Par vous la fréquentation fervente des sacrements reparut comme le plus sûr indice de la vie chrétienne. Priez pour le peuple fidèle, et venez au secours de tant d'âmes qui s'agitent et s'épuisent dans des voies que la main de l'homme a tracées, et qui trop souvent retardent ou empêchent l'union intime du créateur et de la créature.

Vous avez aimé ardemment l'Eglise, Ô Philippe ; et cet amour de l'Eglise est le signe indispensable de la sainteté. Votre contemplation si élevée ne vous distrayait pas du sort douloureux de cette sainte Epouse du Christ, si éprouvée dans le siècle qui vous vit naître et mourir. Les efforts de l'hérésie triomphante en tant de pays stimulaient le zèle dans votre coeur : obtenez-nous de l'Esprit-Saint cette vive sympathie pour la vérité catholique qui nous rendra sensibles à ses défaites et à ses victoires. Il ne nous suffit pas de sauver nos âmes ; nous devons désirer avec ardeur et aider de tous nos moyens l'avancement du règne de Dieu sur la terre, l'extirpation de l'hérésie et l'exaltation de notre mère la sainte Eglise : c'est à cette condition que nous sommes enfants de Dieu. Inspirez-nous par vos exemples, Ô Philippe, cette ardeur avec laquelle nous devons nous associer en tout aux intérêts sacrés de la Mère commune. Priez aussi pour cette Eglise militante qui vous a compté dans ses rangs comme un de ses meilleurs soldats. Servez vaillamment la cause de cette Rome qui se fait honneur de vous être redevable de tant de services. Vous l'avez sanctifiée durant votre vie mortelle ; sanctifiez-la encore et défendez-la du haut du ciel."

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