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vendredi, 02 juin 2023

2 juin. Saint Pothin, évêque, sainte Blandine, vierge, et leurs compagnons, tous martyrs à Lyon. 177.

- Saint Pothin, évêque, sainte Blandine, vierge, et leurs compagnons, tous martyrs à Lyon. 177.

Pape : Saint Eleuthère. Empereur : Marc-Aurèle.

" Les reliques d'un seul Martyr suffise pour exciter l'allégresse d'une ville. Pour nous,, voici que nous possédons tout un peuple de Martyrs. Gloire à notre terre, nourricière de céleste combattants, mère féconde d'héroïques vertus."
Homélie de saint Eucher, évêque de Lyon, sur Sainte blandine.


Verrière représentant saint Pothin, sainte Blandine et saint Irénée.
Chapelle Sainte-Blandine à Lyon.

Lyon est une colonie romaine fondée une cinquantaine d'années avant l'ère chrétienne. Son excellente position géographique lui permit de devenir le chef-lieu d'une grande province, avec sa garnison, son hôtel des monnaies, ses sociétés financières et commerciales, ses corporations comme celle des bateliers du Rhône et de la Saône. Ses négociants étaient en relations avec le monde entier.

Lyon avait ses bâtiments officiels, ses lieux de distraction comme l'amphithéâtre, ses faubourgs avec ses villas luxueuses. Des routes bien tenues rayonnaient autour de la ville, et des aqueducs. Un monument sacré avait été dédié à Rome et à Auguste. Son autel se dressait entre deux victoires colossales.

Chaque année, au 1er août, la ville était le théâtre de grandes solennités religieuses. Alors se réunissait l'assemblée des cités gauloises de Lyonnaise, d'Aquitaine et de Belgique, pour célébrer le culte impérial. Une foire, des jeux rehaussaient l'éclat de ces fêtes qui attiraient une foule d'étrangers. C'était le grand rassemblement de la paix romaine, de la prospérité romaine et gauloise. En termes évangéliques, c'était la fête de César et de Mammon, l'argent.

Une chrétienté se forma là de bonne heure. L'Évangile lui était venu d'Orient par la Méditerranée et la vallée du Rhône. Lyon était ville " épiscopale ", pointe avancée du christianisme vers la vallée du Rhin. La communauté de Vienne, en 177, était administrée, semble-t-il, par le diacre Sanctus, délégué de l'évêque lyonnais. Peut-être cependant Lyon et Vienne formaient-elles deux communautés distinctes.
Sous le " sage " empereur Marc-Aurèle, il y eut plusieurs persécutions. L'an 177, peu avant l'ouverture des réjouissances annuelles, une hostilité soudaine éclata contre les éléments chrétiens dans ce milieu lyonnais si cosmopolite.

Saint Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique, (T. V, ch. 1.), nous a conservé presque entièrement une admirable lettre aux Églises d'Asie et de Phrygie, qui renferme tout le récit des combats récemment livrés par les martyrs de Lyon et de Vienne. Ils souffrirent à l'amphithéâtre municipal et à l'amphithéâtre des Gaules. Ils furent la grande attraction pour un public sanguinaire.

Parmi ces vaillants, plusieurs portent des noms grecs : l'évêque de Lyon, Pothin, un nonagénaire ; Vettius Epagathus ; le médecin Alexandre, venu de Phrygie, mais établi en Gaule depuis des années ; Attale de Pergame, Alcibiade, Ponticus, Biblis... D'autres noms sont latins Sanctus, Maturus, Blandine...


Eglise Saint-Pothin à Lyon.

Voici une traduction de cette lettre vénérable, perle de la littérature chrétienne du IIe siècle :

" Les serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères d'Asie et de Phrygie qui ont la même foi et la même espérance que nous dans la Rédemption paix, grâce et gloire de la part de Dieu, Père, et du Christ Jésus Notre-Seigneur.

La force de la persécution, par ici, la rage et la violence des païens contre les saints, toutes les souffrances qu'ont supportées les bienheureux martyrs, défient les narrations que nous pourrions faire de vive voix ou par écrit. En effet, l'ennemi est tombé sur nous de toute sa force : avant-goût de son avènement quand il aurait ses facilités. Il alla partout, stylant ses suppôts et les exerçant contre les serviteurs de Dieu, en sorte qu'on nous pourchassa d'abord dans les maisons, dans les bains, au forum ; puis on fit défense générale à chacun de nous de paraître en aucun lieu.

Mais la grâce de Dieu prit ses mesures défensives. Elle réserva les faibles et aligna contre l'ennemi des colonnes inébranlables dont l'endurance attirerait tout l'effort du Méchant. Ces vaillants abordèrent la lutte et subirent toute espèce d'outrages et de tortures. Des supplices, que d'autres estimeraient formidables, furent pour eux peu de chose : ils se hâtaient vers le Christ et montraient par leur exemple que " les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être manifestée en nous " (Rom., VIII, 18.).

Et d'abord, ils supportèrent généreusement les manifestations populaires : insultes, coups, violences, spoliations, grêles de pierres, emprisonnements, tout ce qu'une foule enragée a coutume d'imaginer contre des ennemis détestés. Ensuite, ils furent traduits au forum, questionnés en public par le tribun et les magistrats municipaux. Ils confessèrent leur foi et furent tous jetés en prison jusqu'au retour du gouverneur.

Quand il fut là, on les mena devant lui et il les traita avec la cruauté d'usage. Vettius Epagathus se trouvait avec nos frères. Il débordait de charité envers Dieu et le prochain ; sa vie austère lui méritait, malgré sa jeunesse, l'éloge donné au vieillard Zacharie ; oui, " il marchait sans reproche dans tous les commandements et observances du Seigneur " (Luc., I, 6.). Il était diligent pour rendre service, très zélé pour Dieu, tout bouillant de l'esprit. Un pareil homme ne put tolérer la procédure extravagante instituée contre nous.

Dans un sursaut d'indignation, il réclama la parole, lui aussi, pour défendre ses frères et montrer qu'il n'y avait rien d'irréligieux ni d'impie parmi nous. Mais ceux qui étaient autour du tribunal crièrent haro sur lui, car c'était un homme connu, et le gouverneur n'admit point cette requête pourtant juste. Il se contenta de lui demander s'il était chrétien, lui aussi. Epagathus le reconnut d'une voix vibrante, et fut admis ainsi au nombre des martyrs. Il s'était comporté en avocat des chrétiens c'est qu'il avait en lui le Paraclet, l'Esprit, plus abondamment que Zacharie, ce qu'il prouva par son ardente charité qui l'exposa à la mort, pour le salut de ses frères. Il était, il est un véritable disciple du Christ, " suivant l'Agneau partout où il va " (Apoc., 14, 4).

Dès lors, il se fit un partage parmi les chrétiens. Les uns se révélèrent bien prêts au martyre et de tout coeur rendirent ce témoignage suprême. D'autres montrèrent qu'ils étaient sans entraînement, sans préparation, faibles et incapables de supporter la tension d'un grand combat. Dix environ parmi eux tombèrent et furent pour nous cause d'une grande peine et d'une componction immense. Ils brisèrent le courage des autres qui n'étaient pas encore arrêtés et qui, malgré de rudes épreuves, assistaient les confesseurs et gardaient la liaison avec eux. Alors nous fûmes en proie à une grande inquiétude : comment tourneraient les professions de la foi ? Nous pensions à leur issue et nous craignions que quelqu'un ne tombât."

Cependant, chaque jour, on en saisissait qui étaient dignes de compléter le nombre des martyrs. C'est ainsi qu'on rafla dans les deux Églises (Lyon et Vienne) les plus zélés, les artisans de ce qui existe par ici. On arrêta aussi quelques-uns de nos serviteurs qui étaient païens, car le gouverneur avait décrété de nous rechercher tous. Ceux-ci, influencés par Satan, terrifiés par les tortures qu'ils voyaient infliger aux saints, et incités à cela par les soldats, nous calomnièrent en nous accusant de repas de Thyeste et d'incestes d'Oedipe, et d'autres énormités qu'il ne nous est pas permis de dire, ni même de penser ou croire possibles chez des hommes.

Ces racontars se répandirent ; tous devinrent fous furieux contre nous. Des gens qui, naguère, étaient de nos relations et continuaient à nous ménager nous trouvèrent du coup absolument intolérables et grincèrent des dents contre nous. Ainsi s'accomplissait la parole de Notre-Seigneur : " Il viendra un temps où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu " (Jean., 16, 2).


Le martyr de sainte Blandine et de ses compagnons.
Jean-Léon Gérome. XIXe.

Alors les saints martyrs n'eurent plus qu'à endurer des supplices au-dessus de toute description. Satan brûlait d'envie de leur tirer, à eux aussi, quelque parole de calomnie. Surexcitée, toute la colère de la plèbe, du gouverneur et de l'armée tomba sur Sanctus, le diacre de Vienne, sur Maturus, un néophyte, mais un généreux combattant, sur Attale de Pergame, qui fut toujours la colonne et le soutien de notre Eglise, et sur Blandine. En elle le Christ montra que ce qui paraît aux hommes sans prix, sans beauté, méprisable, est en grand honneur auprès de Dieu, à cause de l'amour - qu'on lui prouve par des actes, et non par les fanfaronnades de l'imagination.

Nous craignions tous, avec sa maîtresse selon la chair, qui combattait elle aussi parmi les martyrs, qu'elle ne pût faire franchement profession de la foi, à cause de sa faiblesse physique. Mais Blandine fut remplie d'une telle force qu'elle fatigua et découragea les bourreaux, qui se succédèrent près d'elle depuis le matin jusqu'au soir, et épuisèrent tout l'arsenal des supplices. Ils s'avouèrent vaincus ils n'avaient plus rien à lui faire.

Ils s'étonnaient qu'il lui restât encore un souffle de vie, alors que tout son corps était déchiré et labouré. Ils certifiaient que le moindre de ces tourments était suffisant pour ôter la vie et tout leur assortiment n'avait pas réussi! Mais la bienheureuse, comme un généreux athlète, retrouvait des forces à confesser sa foi. C'était pour elle un réconfort, un repos et un apaisement de ses souffrances de dire :
" Je suis Chrétienne, et chez nous il n'y a rien de mal."

Sanctus lui aussi se classait hors-concours en supportant, avec une générosité surhumaine, toutes les violences des tortionnaires. Les impies espéraient, par la durée et l'intensité des supplices, obtenir de lui un motif de condamnation. Il leur résista avec une telle fermeté qu'il ne dit ni son nom, ni son pays, ni sa ville d'origine, ni s'il était esclave ou libre, mais à toutes les interrogations il répondait en latin :
" Je suis Chrétien."

C'était là sa réponse pour le nom, la cité, la race, pour tout successivement, et les païens ne purent tirer de lui autre refrain. Alors une grande émulation saisit gouverneur et bourreaux, en sorte que n'ayant plus rien à lui faire subir, ils lui appliquèrent finalement des lames d'airain ardentes sur les parties les plus sensibles du corps. Celles-ci brûlaient, mais lui, invincible, inflexible, ferme dans sa confession, s'abreuvait et se fortifiait à la source céleste d'eau vive qui jaillit du sein du Christ. Son pauvre corps attestait ce qu'il avait enduré ; tout n'y était que plaies et meurtrissures. Cette chair contractée n'avait plus forme humaine. Mais le Christ qui souffrait en lui acquérait une grande gloire en ruinant l'ennemi et en montrant par un exemple mémorable que rien n'est à craindre avec l'amour du Père, rien n'est douloureux avec la gloire du Christ.


Martyre de saint Pothin.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XIVe.

Les impies, quelques jours après, recommencèrent à torturer le martyr. Ils pensaient qu'en appliquant les mêmes tortures sur des plaies encore soulevées et phlegmoneuses, ils viendraient à bout de lui puisqu'il ne supportait même pas le contact des mains ; ou bien sa mort dans les supplices inspirerait de la crainte aux autres. Mais rien de tel n'arriva à Sanctus. Bien mieux ! son pauvre corps se releva, se redressa dans ces nouveaux supplices; il reprit sa forme, l'usage de ses membres. Ainsi ce ne fut pas une torture, mais une cure, par le grâce du Christ, ce deuxième supplice.

Biblis était une de celles qui avaient apostasié, et le diable croyait déjà l'avoir assimilée. Désireux d'obtenir sa condamnation par calomnie, il la fit mener au supplice : il la forcerait bien à nous charger d'impiétés, cette femmelette sans énergie. Mais quoi! pendant la torture, Biblis reprit conscience et se réveilla comme d'un profond sommeil. La douleur momentanée lui fit penser au châtiment sans fin de la géhenne. Elle contrecarra les calomniateurs par cette réplique :
" Comment pourraient-ils manger des enfants, ces gens qui ne doivent même pas prendre du sang d'animaux ?"

Dès lors elle se déclara chrétienne et elle fut mise au rang des martyrs.

Les supplices tyranniques se trouvaient sans force, grâce au Christ qui donnait patience aux bienheureux. Le diable combina d'autres machinations. Il fit enfermer les martyrs dans l'endroit le pins malsain et le plus obscur de la prison, les fit mettre aux ceps, les pieds écartés jusqu'au cinquième trou, sans parler des mauvais traitements que des gardiens acharnés et possédés du démon ont accoutumé d'infliger aux détenus. C'est ainsi qu'un bon nombre périrent d'asphyxie dans la geôle. Le Seigneur avait voulu qu'ils partissent ainsi pour souligner sa puissance. En effet, quelques-uns, si cruellement torturés qu'ils semblaient ne plus pouvoir vivre, même avec les plus grands soins, subsistèrent dans la prison, privés du secours des hommes, mais fortifiés par le Seigneur, et rendus vaillants de corps et d'âme au point de réconforter et de consoler les autres. Tandis que d'autres, des nouveaux, qui avaient été arrêtés récemment et dont le corps n'avait pas enduré la question, ne pouvaient souffrir cette geôle intolérable, et succombèrent.

Le bienheureux Pothin, chargé du ministère de l'épiscopat à Lyon, avait plus de 90 ans. Il était très infirme, pouvait à peine respirer à cause de sa débilité. Mais l'ardeur de l'Esprit le rendit fort, avec un vif désir du martyre.

Il fut lui aussi traîné devant le tribunal. Son corps était épuisé par la vieillesse et la maladie, mais son âme gardait sa vigueur pour que, par elle, le Christ triomphât. Mené au tribunal par les soldats, avec un cortège des magistrats de la cité et de tout le peuple, qui poussait contre lui des cris variés, comme s'il était le Christ en personne, il rendit cet admirable témoignage, le gouverneur lui ayant demandé quel était le dieu des chrétiens :
" Si tu en es digne, tu sauras."

Alors il fut entraîné sans ménagements, pris dans un réseau de coups ; ceux qui l'entouraient s'en donnaient à coeur joie, et du pied et du poing, sans même considérer son âge ; ceux qui étaient loin empoignaient le premier objet venu et le lui lançaient. Tous pensaient qu'ils auraient gravement manqué à leur devoir civique et religieux, s'ils s'étaient montrés tièdes à l'insulter. Ils croyaient que leurs dieux trouvaient ainsi vengeance. Pothin respirait à peine lorsqu'il fut enfin jeté en prison. Il y rendit l'âme deux jours après. Alors se manifesta dans sa grandeur la Providence de Dieu, et la miséricorde immense de Jésus apparut. Ce n'est pas tous les jours que notre confrérie est ainsi à l'honneur, mais cela fut bien dans la manière du Christ.

Ceux qui, aussitôt pris, avaient renié leur foi, se trouvaient écroués eux aussi et partageaient les souffrances des martyrs. En l'occurrence, leur apostasie ne leur procura donc aucun avantage.


Détail du retable de l'autel de sainte Blandine.
Eglise Saint-Martin-d'Ainay. Lyon. XVIIIe.

Ceux, en effet, qui avaient reconnu ce qu'ils étaient, furent mis sous les verrous comme chrétiens sans autre accusation. Mais nos renégats étaient détenus pour homicides et attentats à la pudeur, avec double peine par rapport aux autres. Ceux-ci se sentaient allégés par la joie du martyre, l'espoir des biens promis, l'amour du Christ et l'Esprit du Père.

Tandis que les autres étaient torturés par leur conscience, en sorte qu'on les distinguait au passage rien qu'à leur mine, Les confesseurs avançaient, joyeux, l'air resplendissant de majesté et aussi de grâce, à ce point que leurs chaînes faisaient élégants atours et parures, comme à une robe nuptiale des ganses brochées d'or. Ils répandaient le parfum du Christ, si bien que certains pensaient à des onctions d'essence pour la toilette. Les apostats baissaient les yeux, honteux, repoussants, parfaitement ignobles. Le comble, c'est que les païens les couvraient d'outrages, les traitaient de canailles et de capons. On les accusait de meurtres : ils avaient perdu le titre qui donne l'honneur, la gloire et la vie.

A cette vue, les autres se sentirent d'autant plus fermes, et ceux qu'on arrêtait confessaient leur foi sans barguigner, loin de tout calcul diabolique. Après ces tournois, les épreuves finales des martyrs furent variées à merveille. De mille fleurs bariolées ils tressèrent une couronne et l'offrirent au Père : ils méritaient bien, ces vaillants athlètes qui avaient soutenu un combat multiforme et remporté de grandes victoires, de recevoir la couronne magnifique de l'immortalité.

Maturus, Sanctus, Blandine et Attale furent conduits aux bêtes dans l'amphithéâtre, en spectacle inhumain pour les païens : c'était jour de combat avec les bêtes, offert précisément à l'occasion des nôtres.

Maturus et Sanctus, de nouveau, subirent à l'amphithéâtre tous les tourments, comme s'ils n'avaient rien souffert déjà. Ou plutôt ils étaient comme des champions qui ont battu l'adversaire dans plusieurs rencontres, et qui luttent cette fois pour la couronne, ils passèrent encore par les fouets, selon l'usage du pays, subirent les assauts des bêtes, et tout ce qu'un peuple délirant réclamait bruyamment çà et là. Le clou fut la chaise de fer où la grillade des corps puait la graisse. Mais les païens n'étaient pas rassasiés ; leur folie allait crescendo, voulait vaincre la constance des victimes.

Cependant, de Sanctus ils n'obtinrent rien, que cette profession de la foi qu'il répétait depuis le début. Et comme les martyrs avaient encore du souffle après ce grand combat, ils furent immolés pour aboutir. En ce jour, au lieu du programme varié des duels de gladiateurs, il y eut les saints offerts en spectacle au monde.


L'amphithéâtre des trois Gaules à Lyon ;
lieu du martyre de nos Saints.

Blandine, suspendue à un poteau, était exposée en pâture aux bêtes qu'on avait lâchées. La vue de ce crucifix improvisé, qui priait d'une voix assurée, animait grandement les combattants. Ils voyaient dans leur soeur, durant le combat, avec les yeux du corps, celui qui avait été crucifié pour eux afin de garantir aux fidèles que souffrir pour la gloire du Christ donne part au Dieu vivant. Aucune des bêtes, cette fois-là, ne toucha à Blandine.
On la détacha donc de son poteau et on la remit en prison, en réserve pour un autre combat. Ses multiples performances disqualifiaient irrémédiablement le Serpent tortueux et stimulaient nos frères. Cette petite, cette faible, cette méprisée, avec le grand athlète imbattable, le Christ, qu'elle avait revêtu, était victorieuse à plusieurs reprises de l'Adversaire. De haute lutte elle s'adjugeait la couronne de l'immortalité.


Bannière de sainte Blandine. Eglise Notre-Dame.
Clohars-Carnoët. Bretagne. XVIIIe.

Attale, lui aussi, fut violemment réclamé par le public, car il était très connu. Lutteur en pleine forme, il fit son entrée, fort de sa bonne conscience. Il s'était soigneusement exercé dans l'armée chrétienne, et toujours il avait rendu témoignage, parmi nous, à la vérité. On lui fit faire le tour de l'amphithéâtre, précédé d'un tableau où était écrit en latin " Attale chrétien ".

Le peuple se montait extrêmement contre lui. Mais le gouverneur, ayant su qu'il était citoyen romain, ordonna de le ramener avec le reste en prison, fit son rapport à César et attendit sa réponse.
Alcibiade, un des martyrs, vivait très chichement. D'abord il ne changea rien du tout à son régime, se contentant de pain et d'eau et s'efforçant de maintenir ce menu dans son cachot. Mais Attale, après sa première performance à l'amphithéâtre, eut une révélation à son sujet : Alcibiade avait tort de s'abstenir des choses créées par Dieu et de laisser aux autres une occasion de scandale. Persuadé, Alcibiade prit de tout sans scrupules et avec actions de grâces. Car les martyrs étaient visités par la grâce de Dieu et l'Esprit-Saint les conseillait.

Le temps qui s'écoulait n'était pas perdu pour eux. Leur patience faisait éclater l'infinie miséricorde du Christ. Les vivants faisaient revivre les morts, les martyrs graciaient les martyrs manqués. Et ce fut une grande joie pour l'Eglise, la Vierge Mère, de recevoir vivants ceux qu'elle avait rejetés morts. Grâce aux confesseurs, nombre de renégats se reprirent. Ils étaient conçus à nouveau, la vie se ranimait en eux. Il apprenaient à confesser la foi. Désormais vivants et énergiques, ils vinrent devant le tribunal. Dieu est doux, il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion; il les aida quand ils furent interrogés de nouveau par le gouverneur. La réponse de César, en effet, était de mettre à mort les persévérants ; les renégats, de les libérer.

La grande fête annuelle, qui amène un concours immense de tous les peuples, commençait alors. Le gouverneur fit venir les bienheureux à son tribunal dans une audience théâtrale, avec défilé devant le public. Il les interrogea derechef. Ceux qui parurent nantis du droit de cité romaine eurent le tête tranchée; les autres, il les envoya aux fauves.

Le Christ fut magnifiquement glorifié par ceux qui, une première fois, l'avaient désavoué. Contre l'attente des païens ils le confessèrent alors. On les avait interrogés séparément, comme si on voulait les libérer ; mais ils confessèrent-leur Foi et s'ajoutèrent à la liste des martyrs. Resta exclu ce qui n'avait jamais eu trace de foi, jamais compris l'histoire de la robe nuptiale (Matth., XXII, 11.), jamais eu la crainte de Dieu ; des gens qui par leur volte-face avaient couvert de honte leur Eglise, des fils de perdition enfin ! Tous les autres furent réunis à l'Église.


Saint Pothin. Sébastien-Melchior Cornu.
Chapelle du palais de l'Elysée. XIXe.

A l'interrogatoire assistait Alexandre de Phrygie, médecin en Gaule depuis bien des années. Tous le connaissaient pour son amour de Dieu et sa franchise; il avait bien sa part de grâce pour l'apostolat. Debout près du tribunal, il faisait des signes de tête aux accusés pour les inciter à confesser. C'était visible pour ceux qui entouraient le tribunal on peut dire qu'il enfantait des martyrs. Les gens, irrités de voir les ci-devant renégats se rétracter, accusèrent hautement Alexandre d'être la cause de ce changement. Le gouverneur le fait comparaître, lui demande son identité.
Alexandre répond :
" Chrétien !"

Agacé, le gouverneur le condamne aux bêtes.

Le lendemain, il entra dans l'arène avec Attale, car le gouverneur, pour plaire au public, livrait de nouveau Attale aux bêtes. Ils passèrent par tous les instruments de supplice inventés pour l'amphithéâtre et soutinrent un combat très dur. Enfin, on les immola eux aussi. Alexandre ne prononça pas un mot, ne fit pas entendre un cri ; il s'entretenait avec Dieu dans son coeur.

Pour Attale, il fut placé sur la chaise de fer et brûlé. Comme une fumée et une odeur de graisse s'exhalaient de son corps, il dit au public en latin :
" Voyez c'est vous, à cette heure, qui êtes des mangeurs d'hommes. Nous autres, nous ne mangeons pas d'hommes, et nous ne faisons rien de mal."
On lui demanda quel étoit le nom de Dieu :
" Dieu, dit-il, n'a pas de nom comme un homme."


Après tous ces supplices, le dernier jour des combats singuliers, Blandine fut réintroduite, avec Ponticus, un jeune gars d'une quinzaine d'années. Chaque jour ils avaient été amenés pour voir les autres souffrir. On voulait les contraindre à jurer par les idoles. Ils restèrent calmes et dédaigneux. Fureur du public qui fut sans pitié pour l'âge de l'enfant, sans respect pour le sexe de Blandine. On les livra à toutes les atrocités ; ils parcoururent tout le cycle des supplices. Après chaque épreuve, on les pressait de jurer, mais sans pouvoir y réussir. Ponticus était encouragé par sa soeur : les païens voyaient bien que c'était elle qui l'exhortait et l'affermissait. Il endura vaillamment toutes les tortures et rendit l'âme.

La bienheureuse Blandine restait la dernière. Comme une noble mère qui lance ses fils vainqueurs pour qu'ils la devancent chez le roi, elle soutint elle aussi tous les combats de ses enfants et se hâta de les rejoindre. Joyeuse et allègre de s'en aller, elle avait l'air d'une invitée à un repas de noces et non pas jetée aux fauves. Après les fouets, puis les bêtes, puis le gril, elle fut mise dans un filet et livrée à un taureau. Plusieurs fois projetée en l'air par l'animal, elle n'avait plus le sentiment de ce qui se passait, tant elle était prise par son espérance, son attente des promesses, son entretien avec le Christ. On l'immola elle aussi. Et les païens eux-mêmes avouaient que jamais, chez eux, une femme n'avait enduré des souffrances aussi nombreuses et aussi cruelles.

Mais ce n'était pas assez pour assouvir leur fureur et leur cruauté contre les saints. Excitées par la Bête féroce de l'enfer, ces tribus féroces et barbares s'apaisaient malaisément : voire leur démence se renouvela, cette fois contre des cadavres. Le fait d'avoir été vaincus ne les humiliait pas, car ils ne pouvaient former un raisonnement; non, cela échauffait leur fureur, comme chez la bête. Le gouverneur et le peuple faisaient preuve envers nous de la même haine sans fondement. Par là s'accomplissait l'Écriture :
" Que l'injuste devienne plus injuste encore, et que le juste augmente en vertu !"
(Cf. Apoc., 22, 11; Ez., 2, 27, selon les LXX.)

Ceux qui étaient morts asphyxiés en prison, on les jeta aux chiens, avec sentinelles de jour et de nuit pour nous interdire de les enterrer. Semblablement, on exposa ce dont n'avaient pas voulu les bêtes ou le bûcher, des lambeaux déchirés ou carbonisés, des têtes coupées, des troncs mutilés. Cela resta également sans sépulture, avec une garde de soldats pendant plusieurs jours. Des païens frémissaient et grinçaient des dents contre les martyrisés on aurait dû les soumettre à des supplices encore plus forts ! D'autres se gaussaient des morts et les insultaient. Ils vantaient leurs idoles qui, disaient-ils, avaient bien puni ces gens-là. Quelques-uns, plus modérés, paraissaient éprouver une certaine pitié ; ils se répandaient en plaintes :
" Où est leur Dieu ? A quoi bon ce culte qu'ils ont préféré à leur vie ?"
Ainsi leurs sentiments étaient assez variés.

De notre côté, vive était la douleur de ne pouvoir enterrer les corps. La nuit ne nous fut pas favorable; l'argent se trouva sans séduction, les prières échouèrent. La garde était acharnée, comme si elle avait un réel intérêt à priver ces os de sépulture.

Les corps des martyrs furent donc exposés aux injures de l'air pendant 6 jours. Ensuite on les brûla. Les cendres furent balayées par les impies jusqu'au Rhône qui coule près de là, de peur qu'il ne restât sur la terre une relique. Ils faisaient cela comme s'ils pouvaient vaincre Dieu et ôter aux morts la résurrection.

" Rendons sans objet, disaient-ils, leur espérance dans une résurrection. C'est par elle qu'ils ont introduit chez nous une religion étrangère et nouvelle, qu'ils méprisent les tourments, qu'ils sont prêts à marcher joyeusement à la mort. Maintenant, voyons s'ils ressusciteront et si leur dieu est capable de les secourir et de les tirer de nos mains."

CULTE

A la fin du IIe siècle, l'Occident n'avait pas encore commencé à rendre un culte aux martyrs comme l'Orient le pratiquait depuis longtemps. De sorte que les premiers martyrs furent souvent oubliés par les générations postérieures ou n'eurent pas les honneurs qu'ils nous semblent mériter.


La primatiale Saint-Jean-Baptiste à Lyon.

Les martyrs de Lyon eurent la chance d'avoir le récit de leur mort écrit par un témoin direct, ce qui pour les modernes est d'un prix inestimable, mais leurs corps avaient disparu entièrement dans les eaux du Rhône et comme, aux premiers siècles, la dévotion des fidèles s'accrochait volontiers aux souvenirs sensibles, leur culte n'eut pas le même éclat que celui de beaucoup d'autres. C'est ainsi qu'on a la surprise de constater que des Gaulois : saint Victrice de Rouen et saint Sidoine Apollinaire ne les nomment pas dans leurs longues énumérations de martyrs. Grégoire de Tours, il est vrai, rachètera cette omission ; il nous dit que sa grand'mère Leucadia appartenait à la famille de Vettius Epagathus, le premier de la liste (Historia Francorum, I. 1, ch. 29.), et il raconte, par ailleurs, que les martyrs eux-mêmes seraient apparus aux fidèles pour leur indiquer le lieu où ils pourraient ramasser leurs cendres (De gloria martyrum, ch. 49.).

Cette seconde assertion est bien suspecte ; d'après le contexte, il semble que la révélation aurait eu lieu, à l'époque même de leur mort. Or la lettre des chrétiens de Lyon n'y fait aucune allusion, saint Augustin non plus ; il sous-entend même le contraire en disant que la sépulture n'a aucune importance (P. L., t. 40, col. 600.), et dans une homélie attribuée à saint Eucher, l'orateur explique longuement que les cendres des martyrs furent jetées dans le Rhône, sans rien ajouter.


La basilique Notre-Dame de Fourvière. A son emplacement actuel,
saint Pothin avait fondée une chapelle en l'honneur de Notre Dame.

L'absence des reliques explique la difficulté de la localisation du culte des martyrs ; les basiliques s'élevaient en effet ordinairement sur les tombeaux. Cependant la vision racontée par Grégoire de Tours entra dans la tradition lyonnaise et, au IXe siècle, Adon atteste que les fidèles vont à l'église des Apôtres vénérer les cendres des martyrs.

Cette église des Apôtres et des 48 martyrs a changé son vocable pour prendre le nom de Saint-Nizier. Son origine est très ancienne, et elle fut cathédrale jusqu'au Ve siècle, époque à laquelle Saint-Étienne reçut ce titre. Peut-on penser qu'elle s'élève exactement là où saint Pothin réunissait les fidèles ? C'est possible, mais ce n'est pas sûr.

Actuellement plusieurs lieux sont considérés à Lyon comme étant ceux où les martyrs ont souffert. Remarquons d'abord que, dans l'antiquité, le culte ne se fixait pas au lieu du supplice. Par exemple, il a fallu attendre le XVIe siècle pour que le Colisée fût considéré par les Romains comme un lieu saint ; au Moyen Age, ils n'y voyaient qu'une carrière de pierres. Si des fouilles permettaient de retrouver un ancien oratoire ou quelque inscription, si un texte attestait sûrement une tradition très ancienne, nous pourrions savoir où furent emprisonnés, jugés et mis à mort les martyrs de Lyon. Mais il n'y a rien de tel.

La prison de l'Antiquaille est totalement ignorée avant le XVIe siècle, et s'il est vraisemblable de placer la prison auprès du Forum, il ne l'est pas du tout de croire que c'était un souterrain de 6 mètres sur 3. Saint Grégoire de Tours écrit que les martyrs ont souffert à Ainay et que pour cela on les appelle quelquefois martyrs d'Ainay. Ce texte n'autorise pourtant pas à situer le lieu de leur exécution auprès de l'église Saint-Martin d'Ainay, car autrefois les collines de la rive droite de la Saône portaient le nom de Puy d'Ainay. Saint-Martin d'Ainay fut pourtant pendant le Moyen Age le but d'une grande procession en l'honneur des martyrs. Les Lyonnais s'y rendaient pour y célébrer la Fête des merveilles.

En fait, la tradition lyonnaise ne nous apporte à peu près rien. L'Église universelle connut de bonne heure saint Pothin et ses compagnons. Eusèbe, en insérant le récit de leur martyre dans son Histoire ecclésiastique, leur donna la célébrité, car il fut beaucoup lu en Orient, et en Occident dans la traduction de Rufin.

Le martyrologe hiéronymien annonce au 2 Juin les 48 martyrs et énumère leurs noms. Le vénérable Bède composa une notice d'après le récit que donne Eusèbe. Ils devaient garder une belle place puisque les plus célèbres auteurs de martyrologes du IXe siècle, l'anonyme dont le livre est conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote latin 3879, Florus et Adon habitaient à Lyon. Ils sont passés de là dans le martyrologe romain.

Leur office n'a jamais été célébré par l'Église universelle, mais seulement par le diocèse de Lyon et quelques diocèses voisins.

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jeudi, 01 juin 2023

1er juin. Sainte Angèle de Mérici, vierge, fondatrice des Ursulines. 1540.

- Sainte Angèle de Mérici, vierge, fondatrice des Ursulines. 1540.
 
Pape : Paul III. Empereur d'Autriche, roi de Sardaigne et de Corse : Charles Quint. Roi de France : François Ier.
 
" Ce que la compagnie de Jésus fut pour les hommes, celle de sainte Ursule le fut pour les femmes. C'est à ces deux compagnies en effet que l'Europe - et la France en particulier - doivent en grande partie le bonheur d'avoir conservé la vraie doctrine."
Ch. de Sainte-Foi, Vie des premières Ursulines de France.
 

Sainte Angèle de Mérici. Italie. XVIIe.

Sainte Angèle de Mérici naquit à Desonzano, sur le lac de Garde. Ses parents, de petite noblesse (son père était Jean de Mérici et sa mère de la famille des Biancosi de Salo), était profondément chrétiens. Ils désiraient que leurs cinq enfants trouvassent leur bonheur dans la gloire de Dieu. Pour réaliser cet idéal, ils avaient fait un vrai sanctuaire de la maison paternelle où chacun travaillait sous le regard de Dieu et récitait la prière en commun. Une lecture dans un livre de piété ou dans la Vie des Saints terminait la journée.


Slovénie, XVIIIe.

A ces pieuses pratiques, Angèle ajoutait les rigueurs de la pénitence. Elle voua sa virginité au Seigneur à l'âge de neuf ans et renonça le jour même à toute parure. Elle perdit son père vers l'âge de treize ans ; sa mère mourut deux ans plus tard. Un oncle nommé Barthélémy la prit alors chez lui et s'attacha à favoriser ses pratiques de dévotion. Six ans s'écoulèrent avant que Dieu vienne lui ravir son unique soeur de sang et de sentiments ; le décès de l'oncle Barthélémy suivit de près cette perte vivement ressentie.

Doublement orpheline, Angèle, cette jeune fille d'une " beauté hors du commun " rentra à la maison paternelle, acheva de se dépouiller de tout ce qu'elle possédait et se livra aux plus grandes austérités. Elle était alors âgée de vingt-deux ans. Afin de se sanctifier plus sûrement, elle s'affilia au Tiers-Ordre de Saint-François d'Assise.


En 1506, un jour qu'elle travaillait aux champs, une lumière éclatante l'environna soudain. Angèle vit une échelle s'élever du sol jusqu'au ciel et une troupe innombrable de vierges qui en parcouraient les échelons, soutenues par des anges. Une des vierges se tourna vers elle et lui dit :
" Angèle, sache que Dieu t'a ménagé cette vision pour te révéler qu'avant de mourir tu fonderas, à Brescia, une société de vierges semblable à celles-ci."
Dieu fournit à Sa servante les moyens de réaliser cet oracle, seulement vingt ans après la mémorable vision.


Statue japonaise. XIXe.

La réputation de sainteté d'Angèle Mérici s'était répandue jusque dans la ville de Brescia. Les Patengoli, riche famille et grands bienfaiteurs des oeuvres pies, habitaient cette cité. En 1516, ayant perdu coup sur coup leurs deux fils, ils invitèrent Angèle à venir habiter avec eux pour les consoler dans leur peine. A partir de ce moment, sainte Angèle se fixa à Brescia, édifiant la ville par ses vertus. Chaque jour, on la voyait en compagnie de jeunes filles de son âge, rassembler les fillettes et leur enseigner la doctrine chrétienne, visiter les pauvres et les malades, instruire les grandes personnes qui venaient, en foule, écouter leurs conférences. Ces pieuses filles s'ingéniaient à rechercher les pécheurs jusque dans leur lieu de travail.

Suivant une pratique très usitée à cette époque, sainte Angèle Mérici entreprit plusieurs pèlerinages. Comme elle se rendait un jour à Jérusalem avec un groupe de pèlerins, une mystérieuse cécité se déclara dans la ville de Candie, l'affligeant tout le reste du parcours, pour ne cesser qu'à son retour exactement au même endroit où elle avait perdu l'usage de la vue. Dans cette pénible circonstance, la Sainte vit comme un symbole du renoncement qui devait être à la base de tous ses projets. Le pape Clément VII, instruit des vertus et des miracles de sainte Angèle, lui réserva un accueil des plus bienveillants.


Statue thaïlandaise. Début du XXe.

Le souvenir de la merveilleuse vision demeurait toujours au fond de son coeur. Un jour, Angèle réunit douze jeunes filles qui désiraient tendre à la vie parfaite. Elle leur proposa de mener une vie retirée dans leurs demeures et les rassemblaient fréquemment pour les former à la pratique des vertus chrétiennes. En 1533, ce noviciat achevé, sainte Angèle Mérici leur révéla son plan, leur démontrant que l'ignorance religieuse était la cause des ravages exercés par le protestantisme et que la fondation d'une société de religieuses d'une forme nouvelle pour l'époque, unissant la vie contemplative à l'instruction des enfants, constituerait un remède efficace à l'état déplorable qui régnait dans l'Église.

Afin de mieux atteindre toutes les âmes dans le besoin, la fondatrice implanta les bases d'un Ordre sans clôture. Ses soeurs parcouraient les prisons et les hôpitaux, recherchaient les pauvres pour les instruire et rompaient généreusement leur pain avec eux. Remontant le cours du mal jusqu'à sa source, sainte Angèle Mérici pensait qu'on ne pouvait réformer les moeurs que par la famille, laquelle dépendait surtout de la mère. Elle réalisait que la mauvaise éducation des jeunes filles provenait de la carence de mères chrétiennes. Dans les desseins de Dieu, la congrégation des Ursulines devait rayonner à travers le monde par l'éducation des jeunes filles.


Statue de sainte Angèle de Mérici au Vatican.

Le 25 novembre 1535, à Brescia, les premières religieuses du nouvel institut prononcèrent les trois voeux traditionnels de pauvreté, chasteté et obéissance, ajoutant celui de se consacrer exclusivement à l'enseignement. Sainte Angèle Mérici plaça sa congrégation sous le patronage de sainte Ursule.

Dieu l'avait gratifiée des dons éminents de science infuse et de prophétie. Elle parlait latin sans l'avoir étudié, expliquait les passages les plus difficiles des Livres Saints et traitait les questions théologiques avec une si admirable fermeté et précision, que les plus doctes personnages recouraient volontiers à ses lumières. Ses dernières années furent marquées par de fréquentes extases.


Sainte Angèle Mérici mourut le 28 janvier 1540 à lâge de 65 ans. Pendant trois nuits, toute la ville de Brescia contempla une lumière extraordinaire au-dessus de la chapelle où reposait le corps de la Sainte qui s'est conservé intact de toute corruption. Le pape Pie VII l'a canonisée en 1807.

Sa dernière demeure était située non loin de l'église Sainte-Afre, desservie par les chanoines de Saint-Jean-de-Latran. Son corps y fut exposé pendant 30 jours et aucune corruption ne se constata ; son visage conservait ses couleurs naturelles et son expression de douceur et de modestie éclatait toujours.

La vile de Desenzano del Garda, qui l'avait vu naître la choisie comme avocate et patronne et l'ajouta à ses autres saints patrons.


Statue de sainte Angèle de Mérici. Desenzano del Garda.

Les Ursulines se sont répandues dans le monde entier et à une vitesse miraculeuse. Le Canada français leur doit la permanence de la foi jusqu'à l'effondrement récent. Mais il serait incomplet et injuste de limiter leur sainte influence à ce continent, comme en témoigne les belles et touchantes représentations de sainte Angèle illustrant cette notice.

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mercredi, 31 mai 2023

31 mai. Marie Reine, Mère et Médiatrice de toutes grâces. XIXe.

- Notre Dame la Très Sainte Vierge Marie, Reine, Mère et Médiatrice de toutes grâces. XIXe.


Que la très Sainte Vierge Marie soit la Médiatrice de toutes les grâces, ce n'est pas une doctrine nouvelle, et l'Office et la Messe approuvée par le pape Pie XI ne sont que la confirmation officielle d'une vérité qui découle de la Maternité divine de Marie et de tout le plan de Dieu dans l'ordre de notre salut.
 
Cette fête était de plus en plus dans les voeux des serviteurs les plus fervents et les plus éclairés de la très Sainte Vierge ; elle dérive de toute la doctrine de l'Église, de l'enseignement des Docteurs et des Saints ; il suffit de nommer, parmi d'autres, saint Éphrem, saint Bernard, saint Bernardin, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, dont le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge est, en quelque sorte, l'illustration magnifique de cette Médiation universelle de la Mère de Dieu.

Le titre par excellence de Marie, Sa gloire suprême, le principe de toutes Ses grandeurs et de toutes Ses vertus, c'est Sa Maternité divine. Si la tradition de l'Église L'appelle la Trésorière du Royaume des Cieux, la Toute-puissance suppliante, la Dispensatrice de la grâce, la Corédemptrice, la Reine du Ciel et de la terre, etc., c'est en raison de Sa divine Maternité. Mais le titre qui semble le mieux résumer tous les autres et le plus heureusement exprimer la mission de la glorieuse Mère de Dieu, c'est celui de Médiatrice de toutes les grâces, Médiatrice d'intercession, et de plus, Médiatrice de dispensation et de distribution de toutes les grâces.

C'est bien à cette doctrine que reviennent ces paroles des plus grands docteurs et serviteurs de Marie :
" Tout ce qui convient à Dieu par nature convient à Marie par grâce... Telle a été la Volonté de Dieu, qu'Il a voulu que nous recevions tout par Marie... Tous les dons, vertus, grâces du Saint-Esprit Lui-même, sont administrés par les mains de Marie, à qui Elle veut, quand Elle veut, autant qu'Elle veut..."

Toute la Liturgie mariale suppose ou exprime la doctrine de Marie Médiatrice universelle de toutes les grâces.

Piéta. Anonyme italien. XVIIe.

PRIERE

" Ô Marie, très Sainte Mère de Dieu et Mère des hommes, en ce mois où par toute la terre, jusque dans les endroits les plus petits et les plus reculés, vous allez être encore plus louée et priée par toutes les âmes ferventes et chrétiennes, en ce mois où vous allez obtenir de Dieu des bienfaits plus grands et plus nombreux pour tous, nous voulons, nous aussi, vous témoigner davantage notre dévotion et notre amour.
 
Priez pour nous, Sainte Vierge Marie, obtenez-nous tout ce qui peut faire notre bonheur en ce monde et en l’autre ; inspirez-nous de vous prier, de vous honorer, de vous aimer, pour que toujours, par votre protection, nous soyons bénis et aimés de Dieu, à la vie et à la mort.
 
Et vous, ô Bienheureuse Jeanne d’Arc, priez aussi pour nous, afin qu’à votre exemple nous ayons de plus en plus de la dévotion pour la Très Sainte Vierge, et qu’ainsi nous méritions plus de grâces pour nous et pour l’Eglise et la France que vous avez tant aimées."

mardi, 30 mai 2023

30 mai. Sainte Jeanne d'Arc, vierge et martyre. 1431.

- Sainte Jeanne d'Arc, vierge et martyre. 1431.

Pape : Martin V. Roi de France : Charles VII.

" En Nom Dieu ! Les hommes d'armes batailleront, et Messire Dieu leur donnera la victoire !"
Sainte Jeanne d'Arc à Poitiers. Mars 1430.


Sainte Jeanne d'Arc au couronnement de Charles VII. Ingres. XIXe.

Sainte Jeanne d'Arc montre une fois de plus, et d'une manière particulièrement éclatante, deux choses : combien Dieu aime la France et comme il est vrai qu'Il Se plaît à choisir les plus faibles instruments pour l'accomplissement des plus grandes choses.

A ce sujet, l'humble copiste d'Hodie Mecum souhaite faire une mise au point.

Bien des partis, des courants, des pseudos monarchistes même, tous prétendument amoureux de la France et de la patrie, réclament pour eux la mémoire et l'exemple de notre Sainte, recourent à son intercession par d'étranges et bien peu orthodoxes prières poétiques, analogiques ou métaphoriques, au gré de leurs intérêts immédiats, et surtout de la captation de l'attention de braves gens généreux mais égarés dans des " actions " politiques vaines et dont l'issue est toujours, oui toujours ! perdue !


Charles VII. Jean Fouquet. XVe.

Depuis plus de 300 ans environ, c'est-à-dire, depuis que Louis XIV et ses successeurs, de suspectes mémoires au moins à ce titre, refusèrent d'arborer et de brandir fièrement sur les étendards francs, le Sacré-Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ (que nous fêtons d'ailleurs aujourd'hui), Souverain-Prêtre et Souverain-Roi et Souverain-Maître de la France - demande présentée par Notre Seigneur Jésus-Christ Soi-même par l'intermédiaire de sainte Marguerite-Marie Alacoque -, ces faux dévôts de sainte Jeanne d'Arc toujours édulcorent et jettent un voile sur quelqu'aspect de la vie de la sainte, sur le surnaturel divin qui éclate magnifiquement à tous les moments de cette épopée catholique et française.

Tronquée par eux, dissimulée, quand ce n'est pas habilement ridiculisée, la geste chrétienne et toute miraculeuse de notre petite et sainte bergère, devient un récit fastidieux, incompréhensible, légendaire, incertain.


Vision de saint Michel Archange par sainte Jeanne d'Arc.
E. Thirion, XIXe.

Nous donnons quelques ressources bibliographiques, à la fin de cette trop courte notice, qui sont à consulter en priorité. Elles n'ont rien à voir avec les élucubrations nationalistes, matérialistes, modernistes et libérales qui pullulent depuis un siècle-et-demi, et qui ne sauraient bien entendu satisfaire toute âme authentiquement chrétienne, toute personne, française ou non, authentiquement attachée à la France et à sa mission élective et particulière dans l'histoire.

Nous allons rappeler le contexte historique dans lequel " Monseigneur Dieu " sucita une nouvelle fois une humble bergère pour, entre autres vérités, rappeler à la France, au Français et à leur roi que c'est du sacre que procède la légitimité du pouvoir et non pas du sang, de la dynastie ou encore de l'élection ; laquelle peut certes désigner légitimement le prince, mais en aucun cas lui donner légitimement le pouvoir :
" Messire Dieu premier servi !"


Statue de sainte Jeanne d'Arc. Place Saint-Augustin. Paris.

De très anciens commentateurs, français et étrangers, et après eux toute la tradition la plus orthodoxe et irréprochable, appelèrent le sacre des rois de France le " huitième sacrement ". Cette appellation, par extension et par licence certes, fut employée pour marquer la singularité de ce sacre par rapport à tous les autres sacres de rois chrétiens. Seul le roi de France en effet, est le Lieutenant - le Tenant lieu - de Dieu sur terre. L'élection divine du roi des Francs est un pacte que Dieu engage avec le roi des Francs pour autant que ce roi se conforme à Sa volonté.

C'est en ce sens, et en ce sens seul, que la France, sous le seigneurage de son roi très Chrétien, dument sacré selon les formules essentielles exactes et exhaustives du sacre que saint Remi institua sous la dictée du Saint-Esprit et administra à Clovis, est universelle. Est-il besoin de dire que l'universalisme maçonnique, républicain et révolutionnaire est l'universalisme du démon !?


Sainte Jeanne d'Arc au siège d'Orléans. Jules Eugène Lenepveu. XIXe.

A l'époque où paru notre Sainte, des guerres cruelles désolaient le royaume de France. Une rivalité, dégénérant souvent en inimitié, s'était établie entre l'Angleterre et la France, depuis que les Français d'Anjou, sous Henri Plantagenêt, étaient devenus maîtres de l'Angleterre.

Ce qui envenima ce mal, ce fut surtout la postérité de Philippe Le Bel. Ce roi qui le premier et le plus violemment revendiqua l'autonomie du pouvoir temporel contre la souveraineté de Notre Seigneur Jésus-Christ, avait marié sa fille Isabelle à Edouard II, roi d'Angleterre. Leur fils, La postérité masculine de Philippe Le Bel s'étant éteinte - qui ne voit pas en cela que Dieu, très mécontent des outrages des quatre derniers capétiens directs, voulu changer de lignée en établissant les Valois ? -, Edouard III revendiqua indument le royaume du chef de sa mère.

Ce ne sont plus hélas les Français qui sont les plus fervents dévôts
de leur immense sainte, quant il ne la ridiculisent pas...
Dieu merci, les Ecossais, en vertu de la " Vieille alliance ",
palient cette sombre et tragique décadence.
Plaque commémorative de la bataille de Patay.

A la tête d'une puissante armée et d'une flotte nombreuse, deux fois il débarqua sur le sol français : la première en 1346 et la seconde en 1355. Les Français perdirent la bataille de Poitiers en 1356, le roi Jean II fut fait prisonnier, et Calais se rendit à Edouard. Charles V lui reprit à peu près toute ses conquêtes ; mais après sa mort, survenue le 16 septembre 1380, les ducs d'Anjou, de Berri et de Bourgogne, se disputèrent le gouvernement de leur neveu, le jeune roi Charles VI, et du royaume.

Charles VI tomba hélas en démence. Passagère et par crise au début, elle devint bien vite invalidante. Le duc de Bourgogne fit assassiner le frère du roi, le duc d'Orléans. La guerre civile éclata entre les Bourguignons et les Armagnacs. Charles VI - fut-ce pendant une crise ou un répit ? - donna sa fille Catherine en mariage au roi d'Angleterre Henri V, et le déclara régent du royaume et héritier de la couronne de France, à l'exclusion de toute autre personne de la famille royale, son fils compris (!?) le 21 mai 1420.

A la mort de Charles VI, dont les circonstances sont suspectes, le 22 octobre 1421, Henri de Lancastre fut donc proclamé roi d'Angleterre et de France. Son oncle et tuteur, le duc de Bedford, fut nommé régent.

De son côté, Charles VII, déshérité par son père, s'était retiré à Bourges et avait été reconnu par une minorité significative des grands du royaume, mais faible en moyens et en hommes. Les partisans du roi se battirent, se battirent bien même, mais ils n'essuyèrent que des échecs. Le duc de Bedford voulut alors pousser son avantage est porter ses conquêtes au-delà de la Loire. Il mit donc le siège devant la ville-clef qu'était Orléans, bientôt réduite à l'estrémité.

Charles VII, apprenant la situation, impuissant à secourir la ville, envisagea sérieusement, et fit commencer des préparatifs, de s'enfuir en Espagne ou en Ecosse. Avait-il oublié que " c'est le sacre qui fait le roi " ? Avait-il oublié les promesses du dit sacre ? Toujours est-il que Dieu intervint tout puissamment et lui envoya l'humble mais Ô combien décisif secours : sainte Jeanne d'Arc !


Manuscrit français du XVe.

Sainte Jeanne d'Arc naquit à Domremy, dans la Lorraine actuelle, le 6 janvier 1412 ; ses parents, Jacques d'Arc et Isabelle Romée, qui avaient aussi trois fils et une autre fille, étaient des cultivateurs faisant valoir leur petit bien. La première parole que lui apprit sa mère fut le nom de Jésus ; toute sa science se résuma dans le Pater, l'Ave, le Credo et les éléments essentiels de la religion. Elle approchait souvent du tribunal de la pénitence et de la Sainte Communion ; tous les témoignages contemporains s'accordent à dire qu'elle était " une bonne fille, aimant et craignant Dieu, priant beaucoup Jésus et Marie.
Son curé put dire d'elle :
" Je n'ai jamais vu de meilleure chrétienne, et il n'y a pas sa pareille dans toute la paroisse."


Saint Michel apparaît à la sainte bergère.
Gravure d'après dessin. XXe.

La France était alors à la merci des Anglais et des Bourguignons, leurs alliés ; la situation du roi Charles VII était, nous l'avons vu, désespérée. A vue humaine, tout était perdu ! " Mais Dieu Se souvint de Son peuple ", et afin que l'on vît d'une manière évidente que le salut venait de Lui seul, Il Se servit de l'humble fille des champs, de l'humble bergère.


Départ de Vaucouleurs. Scherrer. XIXe.

Sainte Jeanne avait treize ans quand l'Archange saint Michel lui apparut une première fois, vers midi, dans le jardin de son père, lui donna des conseils pour sa conduite et lui déclara que Dieu voulait sauver la France par elle. Les visions se multiplièrent ; l'Archange protecteur de la France était accompagné de sainte Catherine et de sainte Marguerite, que Dieu donnait à Jeanne comme conseillères et comme soutien.

Jusqu'ici la vie de Jeanne est l'idylle d'une pieuse bergère ; elle va devenir l'épopée d'une guerrière vaillante et inspirée ; elle avait seize ans quand le roi Charles VII, convaincu de sa mission par des signes miraculeux, lui remit la conduite de ses armées. Bientôt Orléans fut délivrée ; de défaite en défaite, supérieurs en nombre et en force, les Anglais tremblèrent bientôt à la simple évocation de la jeune fille, et bien des batailles remportées n'en furent point, faute de combattant...


Entrée dans Orléans. Scherrer. XIXe.

Quelques mois plus tard, et en cela, et en cela seul, consistait la mission terrestre que Dieu avait confié à sainte Jeanne d'Arc, le roi était sacré à Reims et devenait ainsi pleinement Charles VII, roi de France. Cela est si vrai que jamais avant le sacre, sainte Jeanne d'Arc ne l'appela autrement que " Gentil dauphin ".

C'est le sacre chrétien qui fait le roi de France ! Le sacre seul ! Pas la volonté d'un seul ! Pas la volonté du plus grand nombre ! Pas la volonté de tous ! La désignation d'une ou de plusieurs personnes n'est pas la dévolution de la légitimité de l'exercice du seigneurage de la France " En Nom Dieu " !

Le lecteur voudra bien pardonner la chaleur du propos, mais le très humble copiste qui rédige ces lignes chercha des années durant, trop longtemps et en vain, dans le maquis des modernes et autres faux dévôts de la Sainte, la signification précise et exacte de cette geste toute divine et toute humaine à la fois, pour n'être pas quelque peu vif depuis que " Monseigneur Dieu " lui fit la grâce de le mettre enfin en connaissance de la simple et exacte mission de sainte Jeanne d'Arc.


Jeanne d'Arc conduite devant ses juges. Vigiles de Charles VII. XVe.

Ce n'est pas le lieu ici de relater le détail, très bien connu et rapporté par le postulateur de la cause de notre sainte, le père Jean-Baptiste Ayroles s.j., de la vie de sainte Jeanne d'Arc. Le lecteur se reportera aux indications bibliographiques données à la fin de cette notice.


Sainte Jeanne d'Arc interrogée par le cardinal de Winchester.
P. Delaroche. XIXe.

Rappelons néanmoins que, dans les vues divines, la vie de Jeanne devait être couronnée par l'apothéose du martyre : elle fut trahie à Compiègne, vendue aux Anglais, et après un long emprisonnement, où elle subit tous les outrages, condamnée et brûlée à Rouen, le 30 mai 1431. Son âme s'échappa de son corps sous la forme d'une colombe, et son coeur ne fut pas touché par les flammes.


Sainte Jeanne d'Arc communie avant d'aller au martyre.
Image pieuse du XIXe.

L'Église a réhabilité sa mémoire et l'a élevée au rang des Saintes. Sainte Jeanne d'Arc demeure la gloire de la France, sa Protectrice puissante et bien-aimée. Elle a été déclarée sa Patronne secondaire par un Bref du Pape Pie XI, le 2 mars 1922.


Image pieuse du XXe.

Rq : On lira en matière d'introduction la notice que les Petits Bollandistes consacrent à notre si chère Sainte (T. XV, pp. 389 et suiv.) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30745g

Il est très vivement recommandé, le lecteur l'aura compris, de lire les sources suivantes :

- " L'Université de Paris au temps de Jeanne d'Arc et la cause de sa haine contre la libératrice " par le père Jean-Baptiste Ayroles s.j. disponible en consultation et téléchargement sur le site suivant :
http://www.a-c-r-f.com/principal.html
- " La vraie Jeanne d'Arc ", en cinq tomes, par le père Jean-Baptiste Ayroles s.j., et dont les quatre premiers tomes sont disponibles en téléchargement, le cinquième l'étant en consultation, sur un site remarquable consacré à notre Sainte et dont nous recommandons la consultation, même si toutes les ressources ne sont pas d'égal intérêt, (http://www.stejeannedarc.net) :
==> T. I à IV :

http://www.stejeannedarc.net/livres/livres.php
==> T. V :
http://www.stejeannedarc.net/ayroles-V/ayroles-V.php
- " Jeanne d'Arc et les héroïnes juives ", par l'abbé Joseph Lémann, sur le même site :
http://www.a-c-r-f.com/principal.html
- " La mission posthume de sainte Jeanne d'Arc ", par Mgr Henri Delassus, extraits disponibles sur le même site :
http://www.a-c-r-f.com/principal.html
- " Panégyrique de sainte Jeanne d'Arc ", par le cardinal Pie, disponible sur le même site :
http://www.a-c-r-f.com/principal.html
- " Jeanne d'Arc et la monarchie ", par l'abbé Marie-Léon Vial, disponible en téléchargement sur l'excellent site de la bibliothèque Saint-Libère :
http://liberius.net/livre.php?id_livre=107
- La croix présentée à sainte Jeanne d'Arc : http://blog.catholicapedia.net/wp-content/uploads/2020/05/La-croix-pr%C3%A9sent%C3%A9e-%C3%A0-Jeanne-d%E2%80%99Arc-sur-son-b%C3%BBcher.pdf


Enfin, sur le Net, un nombre très important de sites, de tous pays, sont en ligne. La passion universelle autour de notre Sainte est à l'image de l'universalité, lorsqu'elle est chrétienne, de son pays la France. Dans cette profusion, beaucoup de sites sont à éviter car n'apportant que très peu d'intérêt quand ils ne sont pas sots, nuisibles ou injurieux.

Dans ce foisonnement, on relèvera et recommandera, pour la recherche iconographique remarquable notamment, et même si sa ligne éditoriale est hasardeuse, un site danois anglophone de grande qualité :

http://www.jeanne-darc.dk
Et une bibliographie francophone considérable rassemblée sur le lien suivant :
http://www.ljcreation.com/jeannedarc/pages_php/jdc_liste_...

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lundi, 29 mai 2023

29 mai. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, Carmélite. 1607.

- Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, Carmélite. 1607.
 
Pape : Paul V.
 
" Elle aimait le prochain au-dessus de toute expression. Elle avait pris l'habitude de ne pas dire les hommes mais les âmes."
 

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi. Bartolommeo Gennari. XVIIe siècle.

Le Cycle pascal nous offre trois illustres vierges que l'Italie a produites. Nous avons salué dans notre admiration la vaillante Catherine de Sienne ; sous peu de jours, nous célébrerons Angèle de Mérici, entourée de son essaim de jeunes filles ; aujourd'hui le lis de Florence, Madeleine de Pazzi, embaume toute l'Eglise de ses parfums. Elle a été l'amante et l'imitatrice du divin crucifié ; n'est-il pas juste qu'elle ait part aux allégresses de sa résurrection ?

Madeleine de Pazzi a brillé sur le Carmel par son éclatante pureté et par l'ardeur de son amour. Elle a été, comme Philippe Néri, l'une des plus éclatantes manifestations de la divine charité au sein de la vraie Eglise, se consumant à l'ombre du cloître comme Philippe dans les labeurs du ministère des âmes, ayant recueilli l'un et l'autre, pour l'accomplir en eux, cette parole de l'Homme-Dieu :
" Je suis venu allumer le feu sur la terre ; et quel est mon désir, sinon qu'il s'enflamme ?" (Luc. XII. 40.).

La vie de l'Epouse du Christ fut un miracle continuel. L'extase et les ravissements étaient journaliers chez elle. Les plus vives lumières lui furent communiquées sur les mystères, et, afin de l'épurer davantage pour ces sublimes communications, Dieu lui fit traverser les plus redoutables épreuves de la vie spirituelle. Elle triompha de tout, et son amour montant toujours, elle ne trouvait plus de repos que dans la souffrance, par laquelle seule elle pouvait alimenter le feu qui la consumait. En même temps son cœur débordait d'amour pour les hommes ; elle eût voulu les sauver tous, et sa charité si ardente pour lésâmes s'étendait avec héroïsme jusqu'à leurs corps. Tant que dura ici-bas cette existence toute séraphique, le ciel regarda Florence avec une complaisance particulière ; et le souvenir de tant de merveilles a maintenu dans cette ville, après plus de deux siècles, un culte fervent à l'égard de l'insigne épouse du Sauveur des hommes.

L'un des plus frappants caractères de la divinité et de la sainteté de l'Eglise apparaît dans ces existences privilégiées, sur lesquelles se montre avec tant d'éclat l'action directe des mystères de notre salut.
" Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique." (Johan. III, l6.).
 
Et ce Fils de Dieu daigne se passionner pour une de ses créatures, produisant en elle de tels effets, que tous les hommes sont à même d'y prendre une idée de l'amour dont son Cœur divin est embrasé pour ce monde qu'il a racheté au prix de son sang. Heureux ceux qui savent goûter ce spectacle, qui savent rendre grâces pour de tels dons ! Ils ont la vraie lumière, tandis que ceux qui s'étonnent et hésitent font voir que les lueurs qui sont en eux luttent encore avec les ténèbres de la nature déchue.

Chapelle des Pazzi. Filippo Brunelleschi. XIVe.

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, l'une des fleurs les plus suaves qui aient embaumé les jardins du Carmel, naquit le 2 avril 1566 à Florence de l'illustre famille des Pazzi. Son père était Camille Géri de Pazzi et sa mère Marie-Laurence de Bondelmonte. Elle fut nommée Ctaherine à son baptême en l'honneur de sainte Catherine de Sienne qu'elle eut toujours en grande vénération.

Dès l'âge de sept ans, à l'école du Ciel, elle était formée à l'oraison, et elle paraissait presque un prodige de mortification. Toute une nuit elle porta une couronne d'épines sur sa tête, avec des douleurs inexprimables, pour imiter son Amour crucifié. Chaque fois que sa mère avait communié, l'enfant s'approchait d'elle et ne pouvait plus la quitter, attirée par la douce odeur de Jésus-Christ.

A partir de sa Première Communion, elle fut prête à tous les sacrifices, et c'est dès lors qu'elle fit à Jésus le voeu de n'avoir jamais d'autre époux que Lui. C'est en effet à l'âge de 12 ans qu'elle fit le voeu de conserver la virginté. Aussi, quand plus tard, son père voulut la marier, elle s'écria :
" Je livrerais plutôt ma tête au bourreau que ma chasteté à un homme."
Son père avait été nommé gouverneur de la ville de Cortone par le grand-duc de Toscane et avait laissé notre sainte en pension chez les religieuses de Saint-Jean à Florence.

A son retour il lui chercha un parti mais sainte Marie-Madeleine de Pazzi lui représenta son désir d'entrer au Carmel. Elle y entra en habit séculier et quinze jours après en ressortit pour trois mois par obéissance pour son père qui voulait éprouver sa vocation. Enfin, elle fut admise définitivement au Carmel avec la bénédiction affectueuse et chaleureuse de ses parents.


Sainte Marie-Madeleine de Pazzi quelques temps avant
son entrée au Carmel. Tito di Santi. XVIIe.

La sainte épouse du Christ entra au Carmel, parce qu'on y communiait presque tous les jours. Dès lors sa vie est un miracle continuel ; elle ne vit que d'extases, de ravissements, de souffrances, d'amour. Pendant cinq années, elle fut assaillie d'affreuses tentations ; son arme était l'oraison, durant laquelle elle s'écriait souvent :
" Où êtes-Vous, mon Dieu, où êtes-Vous ?"
Un jour, tentée plus fortement qu'à l'ordinaire, elle se jeta dans un buisson d'épines, d'où elle sortit ensanglantée, mais victorieuse.

Le feu de l'amour divin était si brûlant en elle, que n'en pouvant supporter l'ardeur, elle était obligée pour la tempérer de répandre de l'eau sur sa poitrine. Souvent ravie hors d'elle-même, elle éprouvait de longues et merveilleuses extases, dans lesquelles elle pénétrait les mystères célestes, et recevait de Dieu des faveurs admirables. Fortifiée par ces secours, elle soutint un long combat contre les princes des ténèbres, livrée à la sécheresse et à la désolation, abandonnée de tout le monde, et poursuivie de diverses tentations, par la permission de Dieu, qui voulait en faire le modèle d'une invincible patience et de la plus profonde humilité.

Mais Notre Seigneur ne l'abandonna pas qui lui prescrivit des règles admirables pour la conduite de sa vie :
1. d'avoir la même pureté dans toutes ses paroles et toutes ses actions que si elles étaient les dernières heures de sa vie,
2. De ne donner jamais d'avis sans avoir auparavant consulté Jésus-Christ attaché à Sa croix,
3. D'avoir toujours un saint empressement de fair la charité aux autres,
4. De ne faire pas plus de cas de son corpsque de la terre qu'on foule aux pieds,
5. de ne refuser jamais à personne ce qu'elle pourrait accorder,
6. d'avoir autant qu'il lui serait possible beaucoup de condescendance pour les autres,
7. De faire autant de cas de ces règles que si Jésus-Christ même les lui avait données,
8. d'offrir souvent, depuis les six heures du soir jusqu'au temps de la communion, la Passion de Jésus-Christ à son père, et de s'offrir aussi elle-même, et toutes les créatures, en mémoire de ce qu'il fut séparé de sa sainte Mère depuis sa Passion jusqu'à la Résurrection et, enfin, de tâcher de visiter le trèes-saint Sacrement le jour et le nuit, jusqu'à trente fois, si la charité ou l'obéissance ne lui en ôtait les moyens,
9. d'être toujours, et en toutes ses actions, transformée en Jésus-Christ, par la résignation à Sa volonté.


Alessandro Rossi. XVIIe.

Elle avait tant de plaisir à proférer ces mots : " La Volonté de Dieu !" qu'elle les répétait continuellement, disant à ses soeurs :
" Ne sentez-vous pas combien il est doux de nommer la Volonté de Dieu ?"
Un jour, ravie en extase, elle alla par tout le couvent en criant :
" Mes soeurs, oh ! que la Volonté de Dieu est aimable !"
Il plut à Dieu de la crucifier longtemps par des douleurs indicibles, qui la clouaient sur son lit, dans un état d'immobilité en même temps que de sensibilité extraordinaire. Loin de demander soulagement, elle s'écriait bien souvent :
" Toujours souffrir et ne jamais mourir !"

Son coeur était un brasier ardent consumé par l'amour. Quinze jours avant sa mort, elle dit :
" Je quitterai le monde sans avoir pu comprendre comment la créature peut se résoudre à commettre un péché contre son Créateur."
Elle répétait souvent :
" Si je savais qu'en disant une parole à une autre fin que pour l'amour de Dieu, je dusse devenir plus grande qu'un Séraphin, je ne le ferais jamais."
Près de mourir, ses dernières paroles à ses soeurs furent celles-ci :
" Je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, de n'aimer que Lui seul !"

Elle rendit son âme le 15 mai 1607, le lendemain de l'Ascension à midi. Son visage devint si beau et si vermeil que personne ne se lassait de le regarder.
Son corps, revêtu d'une tunique, d'un scapulaire et d'un manteau de taffetas blanc, fut inhumé derrière le grand autel, où, deux ans après, il fut trouvé aussi sain et intact que le jour où il y avait été mis ; de plus, son corps exhalait un parfum admirable, quoiqu'il eût été inhumé sans cerceuil et sans avoir été embaumé.
Urbain VIII l'a déclarée bienheureuse et Clément X l'a canonisée.
Une de ses reliques se trouvait encore au début du XXe siècle à l'Hôtel-Dieu d'Abbeville.


Allégorie du Carmel. Carmel Notre-Dame-de-l'Incarnation. Tours. XIXe.
 
 
 
 
PRIERE
 
 
" Votre vie ici-bas, Ô Madeleine, a semblé celle d'un ange que la volonté divine eût captivé sous les lois de notre nature inférieure et déchue. Toutes vos aspirations vous entraînaient au delà des conditions de la vie présente, et Jésus se plaisait à irriter en vous cette soif d'amour qui ne pouvait s'apaiser qu'aux sources jaillissantes de la vie éternelle. Une lumière céleste vous révélait les mystères divins, votre cœur ne pouvait contenir les trésors de vérité et d'amour que l'Esprit-Saint y accumulait; et alors votre énergie se réfugiait dans le sacrifice et dans la souffrance, comme si l'anéantissement de vous-même eût pu seul acquitter la dette que vous aviez contractée envers le grand Dieu qui vous comblait de ses faveurs les plus chères.

Âme de séraphin, comment vous suivrons-nous ? Qu'est notre amour auprès du vôtre ? Nous pouvons cependant nous attacher de loin à vos traces. L'année liturgique était le centre de votre existence ; chacune de ses saisons mystérieuses agissait sur vous, et vous apportait, avec de nouvelles lumières, de nouvelles ardeurs. L'Enfant divin de Bethlehem, la sanglante Victime de la croix, le glorieux Epoux vainqueur de la mort, l'Esprit rayonnant de sept dons ineffables, vous ravissaient tour à tour ; et votre âme, renouvelée par cette succession de merveilles, se transformait toujours plus en celui qui, pour s'emparer de nos coeurs, a daigné se traduire lui-même dans ces gestes immortels que la sainte Eglise nous fait repasser chaque année avec le secours d'une grâce toujours nouvelle. Vous aimiez ardemment les âmes durant votre vie mortelle, Ô Madeleine ; votre amour s'est accru encore dans la possession du bien suprême ; obtenez-nous la lumière pour voir mieux ce qui ravissait toutes vos puissances, l'ardeur de l'amour pour aimer mieux ce qui passionnait votre coeur."

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dimanche, 28 mai 2023

Dimanche de la Pencôte.

- Le dimanche de la Pencôte.

" Veni Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende."
" Venez , Ô Esprit-Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour."


Duccio di Buoninsegna. XIVe.

La grande journée qui consomme l'oeuvre divine sur la race humaine a lui enfin sur le monde. " Les jours de la Pentecôte sont accomplis ." (Act II, 1.).

Depuis la Pâque, nous avons vu se dérouler sept semaines ; voici le jour qui fait suite et amène le nombre mystérieux de cinquante. Ce jour est le Dimanche, consacré par les augustes souvenirs de la création de la lumière et de la résurrection du Christ ; son dernier caractère lui va être imposé, et par lui nous allons recevoir " la plénitude de Dieu " (Voir la Mystique du Temps Pascal, tome 1, pages 20 à 23.).

Sous le règne des figures, le Seigneur marqua déjà la gloire future du cinquantième jour. Israël avait opéré, sous les auspices de l'agneau de la Pâque, son passage à travers les eaux de la mer Rouge. Sept semaines s'écoulèrent dans ce désert qui devait conduire à la terre promise, et le jour qui suivit les sept semaines fut celui où l'alliance fut scellée entre Dieu et son peuple. La Pentecôte (le cinquantième jour) fut marquée par la promulgation des dix préceptes de la loi divine, et ce grand souvenir resta dans Israël avec la commémoration annuelle d'un tel événement. Mais ainsi que la Pâque, la Pentecôte était prophétique : il devait y avoir une seconde Pentecôte pour tous les peuples, de même qu'une seconde Pâque pour le rachat du genre humain. Au Fils de Dieu, vainqueur de la mort, la Pâque avec tous ses triomphes ; à l'Esprit-Saint, la Pentecôte, qui le voit entrer comme législateur dans le monde placé désormais sous sa loi.


Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.

Mais quelle dissemblance entre les deux Pentecôtes ! La première sur les rochers sauvages de l'Arabie, au milieu des éclairs et des tonnerres, intimant une loi gravée sur des tables de pierre ; la seconde en Jérusalem, sur laquelle la malédiction n'a pas éclaté encore, parce qu'elle contient dans son sein jusqu'à cette heure les prémices du peuple nouveau sur lequel doit s'exercer l'empire de l'Esprit d'amour. En cette seconde Pentecôte, un feu divin s'est emparé d'eux, et ce feu embrasera la terre entière. Jésus avait dit :
" Je suis venu apporter le feu sur la terre, et quel est mon vœu, sinon de le voir s'éprendre ?" (Luc. XII, 49.).
L'heure est venue, et celui qui en Dieu est l'Amour, la flamme éternelle et incréée, descend du ciel pour remplir l'intention miséricordieuse de l'Emmanuel.

En ce moment où le recueillement plane sur le Cénacle tout entier, Jérusalem est remplie de pèlerins accourus de toutes les régions de la gentilité, et quelque chose d'inconnu se remue au fond du cœur de ces hommes. Ce sont des Juifs venus pour les fêtes de la Pâque et de la Pentecôte de tous les lieux où Israël est allé établir ses synagogues. L'Asie, l'Afrique, Rome elle-même, ont fourni leur contingent mêlés à ces Juifs de pure race, on aperçoit des gentils qu'un mouvement de piété a portés à embrasser la loi de Moïse et ses pratiques : on les appelle Prosélytes. Cette population mobile qui doit se disperser sous peu de jours, et que le seul désir d'accomplir la loi a rassemblée dans Jérusalem, représente, par la diversité des langages, la confusion de Babel ; mais ceux qui la composent sont moins influencés que les habitants de la Judée par l'orgueil et les préjugés. Arrivés d'hier, ils n'ont pas, comme ces derniers, connu et repoussé le Messie, ni blasphémé ses oeuvres qui rendaient témoignage de lui. S'ils ont crié devant Pilate avec les autres Juifs pour demander que le Juste fût crucifié, c'est qu'ils étaient entraînés par l'ascendant des prêtres et des magistrats de cette Jérusalem vers laquelle leur piété et leur docilité à la loi les avaient amenés.


Missel à l'usage d'Aix-en-Provence. XIVe.

Soudain un vent violent qui venait du ciel se fait entendre ; il mugit au dehors et remplit le Cénacle de son souffle puissant. Au dehors il convoque autour de l'auguste édifice que porte la montagne de Sion une foule d'habitants de Jérusalem et d'étrangers ; au dedans il ébranle tout, il soulève les cent-vingt disciples du Sauveur, et montre que rien ne lui résiste. Jésus avait dit de lui : " C'est un vent qui souffle où il veut, et vous entendez retentir sa voix " (Johan III, 8.) ; puissance invisible qui creuse jusqu'aux abîmes dans les profondeurs de la mer, et lance les vagues jusqu'aux nues. Désormais ce vent parcourra la terre en tous sens, et rien ne pourra l'arrêter dans son domaine.

Nos yeux tout d'abord cherchent respectueusement Marie, Marie plus que jamais " pleine de grâce ". Une nouvelle mission s'ouvre pour Marie : à cette heure, la sainte Eglise est enfantée par elle ; Marie vient de mettre au jour l'Epouse de son Fils, et de nouveaux devoirs l'appellent. Jésus est monté seul dans les cieux ; il l'a laissée sur la terre, afin qu'elle prodigue à son tendre fruit ses soins maternels.


Anonyme. Flandres. XVIe.

Qu'elle est touchante, mais aussi qu'elle est glorieuse cette enfance de notre Eglise bien-aimée, reçue dans les bras de Marie,allaitée par elle, soutenue de son appui dès les premiers pas de sa carrière en ce monde ! Il faut donc à la nouvelle Eve, à la véritable " Mère des vivants ", un surcroît de grâces pour répondre à une telle mission : aussi est-elle l'objet premier des faveurs de l'Esprit-Saint.
Il la féconda autrefois pour être la mère du Fils de Dieu ; en ce moment il forme en elle la mère des chrétiens. " Le fleuve de la grâce, comme parle le Roi-prophète, submerge de ses eaux cette Cité de Dieu qui les reçoit avec délices " ; l'Esprit d'amour accomplit à ce moment l'oracle divin du Rédempteur mourant sur la croix. Il avait dit, en désignant l’homme : " Femme, voilà votre fils " ; l'heure est arrivée, et Marie a reçu avec une plénitude merveilleuse cette grâce maternelle qu'elle commence à appliquer dès aujourd'hui, et qui l'accompagnera jusque sur son trône de reine, lorsqu'enfin la sainte Eglise ayant pris un accroissement suffisant, sa céleste nourrice pourra quitter la terre, monter aux cieux et ceindre le diadème qui l'attend.

Regardons maintenant le collège apostolique. Ces hommes que quarante jours de relations avec leur Maître ressuscité avaient relevés, et que nous trouvions déjà si différents d'eux-mêmes, que sont-ils devenus depuis l'instant où l'Esprit divin les a saisis ? Tout ce que le Maître leur avait annoncé est accompli en eux ; et c'est véritablement la Vertu d'en haut qui est descendue pour les armer au combat.
Où sont-ils ceux qui tremblaient devant les ennemis de Jésus, ceux qui doutaient de sa résurrection ? La vérité que le Maître leur a enseignée brille aux regards de leur intelligence ; ils voient tout, ils comprennent tout. L'Esprit-Saint leur a infus le don de la foi dans un degré sublime, et désormais, ils n'aspirent qu'à affronter tous les périls en prêchant, comme Jésus le leur a commandé, à toutes les nations son nom et sa gloire.


Anonyme. Eglise Saint-Christophe, ancien prieuré bénédictin.
Châteaufort. Île-de-France. XVIe.

Il fallait rompre, en effet, avec les siens, mériter par le sacrifice les faveurs de la nouvelle Pentecôte, passer de la Synagogue dans l'Eglise. Plus d'un combat se livra dans les cœurs de ces hommes ; mais le triomphe de l'Esprit-Saint fut complet en ce premier jour. Trois mille personnes se déclarèrent disciples de Jésus, et furent marquées aujourd'hui même du sceau de l'adoption. Demain c'est au temple même que Pierre parlera, et à sa voix cinq mille personnes se déclareront à leur tour disciples de Jésus de Nazareth.

Salut donc, Ô Eglise, noble et dernière création de l'Esprit-Saint, société immortelle qui militez ici-bas, en même temps que vous triomphez dans les cieux.
Ô Pentecôte, jour sacré de notre naissance, vous ouvrez avec gloire la série des siècles que doit parcourir en ce monde l'Epouse de l'Emmanuel. Vous nous donnez l'Esprit divin qui vient écrire, non plus sur la pierre, mais dans nos cœurs, la loi qui régira les disciples de Jésus.
Ô Pentecôte promulguée dans Jérusalem, mais qui devez étendre vos bienfaits à ceux " qui sont au loin ", c'est-à-dire aux peuples de la gentilité, vous venez remplir les espérances que nous fit concevoir le touchant mystère de l'Epiphanie. Les mages venaient de l'Orient ; nous les suivîmes au berceau de l'Entant divin, et nous savions que notre tour viendrait.
Votre grâce, Ô Esprit-Saint, les avait secrètement attirés à Bethléhem ; mais dans cette Pentecôte qui déclare votre souverain empire avec tant d'énergie, vous nous appelez tous ; l'étoile est transformée en langues de feu, et la face de la terre va être renouvelée. Puissent nos cœurs conserver les dons que vous nous apportez, ces dons que le Père et le Fils qui vous envoient nous ont destinés !


Heures à l'usage de Rouen. XVe.

L'importance du mystère de la Pentecôte étant si principale dans l'économie du christianisme, on ne doit pas s'étonner que l'Eglise lui ait assigné dans la sainte Liturgie un rang aussi distingué que celui qu'elle attribue à la Pâque elle-même.
La Pâque est le rachat de l'homme par la victoire du Christ : dans la Pentecôte l'Esprit-Saint prend possession de l'homme racheté ; l'Ascension est le mystère intermédiaire. D'un côté, elle consomme la Pâque en établissant l'Homme-Dieu, vainqueur de la mort et chef de ses fidèles, à la droite du Père ; de l'autre, elle détermine l'envoi de l'Esprit-Saint sur la terre. Cet envoi ne pouvait avoir lieu avant la glorification de Jésus, comme nous dit saint Jean (Johan. VII, 39.), et de nombreuses raisons alléguées par les Pères nous aident à le comprendre. Il fallait que le Fils de Dieu, qui avec le Père est le principe de la procession du Saint-Esprit dans l'essence divine, envoyât personnellement aussi cet Esprit sur la terre.

La mission extérieure de l'une des divines personnes n'est qu'une suite et une manifestation de la production mystérieuse et éternelle qui a lieu au sein de la divinité. Ainsi le Père n'est envoyé ni par le Fils ni par le Saint-Esprit, parce qu'il n'est pas produit par eux. Le Fils a été envoyé aux hommes par le Père, étant engendré par lui éternellement. Le Saint-Esprit est envoyé par le Père et par le Fils, parce qu'il procède de l'un et de l'autre. Mais pour que la mission du Saint-Esprit s'accomplit de manière à donner plus de gloire au Fils, il était juste qu'elle n'eût lieu qu'après l'intronisation du Verbe incarné à la droite du Père, et il était souverainement glorieux pour la nature humaine qu'au moment de cette mission elle fût indissolublement unie à la nature divine dans la personne du Fils de Dieu, en sorte qu'il fût vrai de dire que l'Homme-Dieu a envoyé le Saint-Esprit sur la terre.


Heures à l'usage de Rouen. XVIe.

Cette auguste mission ne devait être donnée à L'Esprit divin que lorsque les hommes auraient perdu la vue de l'humanité de Jésus. Ainsi que nous l'avons dit, il fallait désormais que les yeux et les cœurs des fidèles poursuivissent le divin absent d'un amour plus pur et tout spirituel. Or, à qui appartenait-il d'apporter aux hommes cet amour nouveau, sinon à l'Esprit tout-puissant qui est le lien du Père et du Fils dans un amour éternel ? Cet Esprit qui embrase et qui unit est appelé dans les saintes Ecritures le " don de Dieu " ; et c'est aujourd'hui que le Père et le Fils nous envoient ce don ineffable. Rappelons-nous la parole de notre Emmanuel à la femme de Samarie, au bord du puits de Sichar.


Psautier à l'usage d'Arras. XIIIe.

" Oh ! Si tu connaissais le don de Dieu !" (Johan. IV, 10.).
Il n'était pas descendu encore ; il ne se manifestait jusqu'alors aux hommes que par des bienfaits partiels. A partir d'aujourd'hui, c'est une inondation de feu qui couvre la terre: l'Esprit divin anime tout, agit en tous lieux. Nous connaissons le don de Dieu ; nous n'avons plus qu'à accepter, qu'à lui ouvrir l'entrée de nos cœurs, comme les trois mille auditeurs fidèles que vient de rencontrer la parole de Pierre que nous rappelons ici (Act. II.) :
" Hommes juifs, s'écrie dans la plus haute éloquence le pêcheur du lac de Génézareth, hommes juifs et vous tous qui habitez en ce moment Jérusalem, apprenez ceci et prêtez l'oreille à mes paroles. Non, ces hommes que vous voyez ne sont pas ivres comme vous l'avez pensé ; car il n'est encore que l'heure de tierce ; mais en ce moment s'accomplit ce qu'avait prédit le prophète Joël :
" Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens seront favorisés de visions, et vos vieillards auront des songes prophétiques. Et dans ces jours, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront."
Hommes Israélites, écoutez ceci. Vous vous rappelez Jésus de Nazareth, que Dieu même avait accrédité au milieu de vous par les prodiges au moyen desquels il opérait par lui, ainsi que vous le savez vous-mêmes. Or, ce Jésus, selon le décret divin résolu à l'avance, a été livré à ses ennemis, et vous-mêmes vous l'avez fait mourir par la main des impies. Mais Dieu l'a ressuscite, en l'arrachant à l'humiliation du tombeau qui ne pouvait le retenir.
David n'avait-il pas dit de lui :
" Ma chair reposera dans l'espérance ; car vous ne permettrez pas, Seigneur, que celui qui est votre Saint éprouve la corruption du tombeau ?"
Ce n'était pas en son propre nom que David parlait ; car il est mort, et son sépulcre est encore sous nos yeux ; mais il annonçait la résurrection du Christ qui n'a point été laissé dans le tombeau, et dont la chair n'a pas connu la corruption. Ce Jésus, Dieu lui-même l'a ressuscité, et nous en sommes tous témoins. Elevé à la droite de Dieu, il a, selon la promesse qu'en avait faite le Père, répandu sur la terre le Saint-Esprit, ainsi que vous le voyez et l'entendez. Sachez donc, maison d'Israël, et sachez-le avec toute certitude, que ce Jésus crucifié par vous, Dieu en a fait le Seigneur et le Christ."
" Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, et vous aurez part, vous aussi, au don du Saint-Esprit. La promesse a été faite pour vous et pour vos fils et également pour ceux qui sont loin, c'est-à-dire les gentils : en un mot, pour tous ceux qu'appelle le Seigneur notre Dieu."


Giotto di Bondone. Sienne. XIVe.

Mais voyons à quel moment de l'année l'Esprit divin vient prendre possession de son domaine. Nous avons vu notre Emmanuel, Soleil de justice, s'élever timidement du sein des ombres du solstice d'hiver et monter d'une course lente à son zénith. Dans un sublime contraste, l'Esprit du Père et du Fils a cherche d'autres harmonies. Il est feu, feu qui consume (Deut. IV, 24.) ; il éclate sur le monde au moment où le soleil brille de toute sa splendeur, où cet astre contemple couverte de fleurs et de fruits naissants la terre qu'il caresse de ses rayons. Accueillons de même la chaleur vivifiante du divin Esprit, et demandons humblement qu'elle ne se ralentisse plus en nous. A ce moment de l'Année liturgique, nous sommes en pleine possession de la vérité par le Verbe incarné ; veillons à entretenir fidèlement l'amour que l'Esprit-Saint vient nous apportera son tour.

Fondée sur un passé de quatre mille ans quant aux figures, la Pentecôte chrétienne, le vrai quinquagénaire, est du nombre des fêtes instituées par les Apôtres eux-mêmes. Nous avons vu qu'elle partagea avec la Pâque, dans l'antiquité, l'honneur de conduire les catéchumènes à la fontaine sacrée, et de les en ramener néophytes et régénérés. Son Octave, comme celle de Pâques, ne dépasse pas le samedi par une raison identique. Le baptême se conférait dans la nuit du samedi au dimanche, et pour les néophytes la solennité de la Pentecôte s'ouvrait au moment même de leur baptême. Comme ceux de la Pâque, ils revêtaient alors les habits blancs, et ils les déposaient le samedi suivant, qui était compté pour le huitième jour.


Chapelle du château de Meillant. Meillant. Berry. XVe.

Le moyen âge donna à la fête de la Pentecôte le gracieux nom de Pâque des roses ; nous avons vu celui de Dimanche des roses imposé dans les mêmes siècles de foi au Dimanche dans l'Octave de l'Ascension. La couleur vermeille de la rose et son parfum rappelaient à nos pères ces langues enflammées qui descendirent dans le Cénacle sur chacun des cent vingt disciples, comme les pétales effeuillés de la rose divine qui répandait l'amour et la plénitude de la grâce sur l'Eglise naissante. La sainte Liturgie est entrée dans la même pensée en choisissant la couleur rouge pour le saint Sacrifice durant toute l'Octave. Durand de Mende, dans son Rational si précieux pour la connaissance des usages liturgiques du moyen âge, nous apprend qu'au treizième siècle, dans nos églises, à la Messe de la Pentecôte, on lâchait des colombes qui voltigeaient au-dessus des fidèles en souvenir de la première manifestation de l'Esprit-Saint au Jourdain, et que l'on répandait de la voûte des étoupes enflammées et des fleurs en souvenir de la seconde au Cénacle.


Heures à l'usage de Paris. XIVe.

A LA MESSE

A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pierre. Il était juste de rendre hommage au prince des Apôtres en ce jour où son éloquence inspirée par l'Esprit-Saint conquit à l'Eglise les trois mille chrétiens dont nous sommes les descendants. Actuellement, la Station demeure toujours fixée à Saint-Pierre avec les indulgences qui s'y rapportent ; mais le Souverain Pontife et le sacré Collège se rendent pour la Fonction à la Basilique du Latran, Mère et Chef de toutes les églises de la ville et du monde.

Le moment de célébrer le saint Sacrifice est arrivé. Remplie de l'Esprit divin, l'Eglise va payer le tribut auguste de sa reconnaissance en offrant la victime qui nous a mérité un tel don par son immolation. Déjà l'Introït retentit avec un éclat et une mélodie non pareils. Le chant grégorien s'élève rarement à un tel enthousiasme. Les paroles contiennent un oracle du livre de la Sagesse, qui reçoit son accomplissement aujourd'hui. C'est l'Esprit divin se répandant sur le monde, et comme gage de sa présence donnant aux saints Apôtres la science de la parole dont il est la source.

ÉPÎTRE

Lecture des Actes des Apôtres. Chap. II.


Louis Galloche. Nantes. XVIIIe.

" Les jours de la Pentecôte étant accomplis, et tous les disciples se trouvant réunis dans un même lieu, il se fit tout à coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux qui venait du ciel, et qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils virent apparaître comme des langues de feu qui se partagèrent, et s'arrêtèrent sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur en mettait l'expression dans la bouche. Or, il y avait à Jérusalem des Juifs remplis de religion, et appartenant à toutes les nations qui sont sous le ciel. Le bruit de ce qui venait de se passer s'étant répandu, il s'en rassembla un grand nombre, et ils furent très étonnés de ce que chacun d'eux les entendait parler en sa propre langue. Ils en étaient tous hors d'eux-mêmes, et dans leur étonnement, ils se disaient les uns aux autres : Tous ces gens qui nous parlent ne sont-ils pas Galiléens ? Comment donc les entendons nous parler chacun la langue de notre pays ? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux d'entre nous qui ha bitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce.le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Egypte et la contrée de la Libye qui est proche de Cyrène ; et ceux d'entre nous qui sont venus de Rome, Juifs et Prosélytes; Crétois et Arabes, nous les entendons parler chacun en notre langue les merveilles de Dieu."


Psautier à l'usage d'Arras. XIIIe.

Quatre grands événements signalent l'existence de la race humaine sur la terre, et tous les quatre témoignent de la bonté infinie de Dieu envers nous. Le premier est la création de l'homme et sa vocation à l'état surnaturel, qui lui donne pour fin dernière la vision et la possession éternelle de Dieu. Le second est l'incarnation du Verbe divin qui, unissant la nature humaine à la nature divine dans le Christ, élevé l'être créé à la participation de la divinité, et fournit en même temps la victime nécessaire pour racheter Adam et sa race de leur prévarication. Le troisième événement est la descente du Saint-Esprit, dont nous célébrons l'anniversaire en ce jour. Enfin le quatrième est le second avènement du Fils de Dieu qui viendra délivrer l'Eglise son épouse, et l'emmènera au ciel pour célébrer avec elle les noces éternelles. Ces quatre opérations divines, dont la dernière n'est pas accomplie encore, sont la clef de l'histoire humaine ; rien n'est en dehors d'elles ; mais l'homme animal ne les voit même pas, il n'y songe pas.
" La lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas comprise." (Johan. I, 5.).

Béni soit donc le Dieu de miséricorde qui " nous a appelés des ténèbres à l'admirable lumière de la foi " (I Petr. II, 9.). Il nous a faits enfants de cette génération " qui n'est ni de la chair et du sang, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu " (Johan. I, 3.). Par cette grâce, nous voici aujourd'hui attentifs à la troisième des opérations divines sur ce monde, à la descente de l'Esprit-Saint, et nous avons entendu le récit émouvant de sa venue. Cette tempête mystérieuse, ce feu, ces langues, cette ivresse sacrée, tout nous transporte au centre même des divins conseils, et nous nous écrions :
" Dieu a-t-il donc tant aimé ce monde ?"
Jésus, quand il était avec nous sur la terre, nous le disait :
" Oui, Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique." (Ibid. III, 16.).

Aujourd'hui il nous faut compléter cette sublime parole et dire :
" Le Père et le Fils ont tant aimé le monde, qu'ils lui ont donné leur Esprit-Saint."
Acceptons un tel don, et comprenons enfin ce qu'est l'homme. Le rationalisme, le naturalisme, prétendent le grandir en s'efforçant de le captiver sous le joug de l'orgueil et de la sensualité ; la foi chrétienne nous impose l'humilité et le renoncement ; mais pour prix elle nous montre Dieu lui-même se donnant à nous.

ÉVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. XIV.


Peinture monumentale. Eglise Saint-Etienne.
Vallouise. Comté de Nice. XIVe.

" En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples :
" Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole ; et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m'aime pas, ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous avez entendue n'est pas ma parole, mais celle de mon Père qui m'a envoyé. Je vous ai dit ceci, demeurant encore avec vous ; mais le Paraclet, l'Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je vous la donne, non comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble point et ne s'effraie point.
Vous avez entendu que je vous ai dit :
" Je m'en vais, et je reviens à vous. Si vous m'aimez, vous vous réjouirez de ce que je vais au Père, parce que le Père est plus grand que moi."
Je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez. Je ne vous parlerai plus beaucoup ; car le Prince de ce monde vient, et il n'a rien en moi qui soit à lui ; mais c'est afin que le monde connaisse que j’aime le Père, et que, selon le commandement que le Père m'a donné, ainsi je fais."


Anonyme. Eglise Saint-Christophe, ancien prieuré bénédictin.
Châteaufort. Île-de-France. XVIe.

La venue de l'Esprit-Saint n'est pas seulement un événement qui intéresse la race humaine considérée en général ; chaque homme est appelé à recevoir cette même visite qui aujourd'hui " renouvelle la face de la terre entière " (Psalm. CLI, 30.). Le dessein miséricordieux du souverain Seigneur de toutes choses s'étend jusqu'à vouloir contracter une alliance individuelle avec chacun de nous. Jésus ne demande de nous qu'une seule chose : il veut que nous l'aimions et que nous gardions sa parole. A cette condition, il nous promet que son Père nous aimera, et viendra avec lui habiter notre âme. Mais ce n'est pas tout encore. Il nous annonce la venue de l'Esprit-Saint, qui par sa présence complétera l'habitation de Dieu en nous. L'auguste Trinité tout entière se fera comme un nouveau ciel de cette humble demeure, en attendant que nous soyons transportés après cette vie au séjour même où nous contemplerons l'hôte divin, Père, Fils et Saint-Esprit, qui a tant aimé sa créature humaine.

Jésus nous enseigne encore dans ce passage, tiré du discours qu'il adressa à ses disciples après la Cène, que le divin Esprit qui descend sur nous aujourd'hui est envoyé par le Père, mais par le Père " au nom du Fils " ; de même que dans un autre endroit Jésus dit que " c'est lui-même qui enverra l'Esprit-Saint " (Johan. XV, 26.). Ces diverses manières de s'exprimer ont pour but de nous révéler les relations qui existent dans la Trinité divine entre les deux premières personnes et le Saint-Esprit. Ce divin Esprit est du Père, mais il est aussi du Fils ; c'est le Père qui l'envoie ; mais le Fils l'envoie aussi ; car il procède de l'un et de l'autre comme d'un même principe.


Heures à l'usage de Rome. XVe.

En ce grand jour de la Pentecôte, notre reconnaissance doit donc être la même envers le Père qui est la Puissance, et envers le Fils qui est la Sagesse ; car le don qui nous arrive du ciel vient de tous les deux. Eternellement le Père a engendré son Fils, et quand la plénitude des temps fut venue, il l'a donné aux hommes pour être dans la nature humaine leur médiateur et leur sauveur ; éternellement le Père et le Fils ont produit l'Esprit-Saint, et, à l'heure marquée, ils l'ont envoyé ici-bas pour être dans les hommes le principe d'amour, comme il l'est entre le Père et le Fils. Jésus nous enseigne que la mission de l'Esprit est postérieure à la sienne, parce qu'il a fallu que les hommes fussent d'abord initiés à la vérité par celui qui est la Sagesse. En effet, ils n'auraient pu aimer ce qu'ils ne connaissaient pas. Mais lorsque Jésus a consommé son œuvre tout entière, qu'il a fait asseoir son humanité sur le trône de Dieu son Père, de concert avec le Père il envoie l'Esprit divin pour conserver en nous cette parole qui est " esprit et vie " (Ibid. VI, 64.), et qui est en nous la préparation de l'amour.


Missel à l'usage d'Autun. XVe.

PRIERE

" Que vous êtes belle, Ô Eglise de Dieu, rendue sensible dans cet auguste prodige de l'Esprit divin qui agit désormais sans limites ! Vous nous retracez le magnifique spectacle qu'offrait la terre, lorsque la race humaine ne parlait qu'un seul langage. Et cette merveille ne sera pas seulement pour la journée de la Pentecôte, et elle ne durera pas seulement la vie de ceux en qui elle éclate en ce moment. Après la prédication des Apôtres, la forme première du prodige s'effacera peu à peu, parce qu'elle cessera d'être nécessaire ; mais jusqu'à la fin des siècles, Ô Eglise, vous continuerez de parler toutes les langues ; car vous ne serez pas confinée dans un seul pays, mais vous habiterez tous les pays du monde. Partout on entendra exprimer une même foi dans la langue de chaque peuple, et ainsi le miracle de la Pentecôte, renouvelé et transformé, vous accompagnera toujours, Ô Eglise ! Et demeurera l'un de vos principaux caractères.

C'est ce qui fait dire au grand docteur saint Augustin parlant aux fidèles, ces paroles admirables :
" L'Eglise répandue parmi les nations parle toutes les langues. Qu'est cette Eglise, sinon le corps du Christ ? Dans ce corps vous êtes un membre. Etant donc membre d'un corps qui parle toutes les langues, vous avez droit de vous considérer vous-même comme participant au même don."
(In Johan. Tract. XXII.).


Juan De Flandes. Madrid. XVe.

Durant les siècles de foi, la sainte Eglise, source unique de tout véritable progrès dans l'humanité, avait fait plus encore ; elle était parvenue à réunir dans une même forme de langage les peuples qu'elle avait conquis. La langue latine fut longtemps le lien du monde civilisé. En dépit des distances, les relations de peuple à peuple, les communications de la science, les affaires même des particuliers lui étaient confiées ; l'homme qui parlait cette langue n'était étranger nulle part dans tout l'Occident et au delà. La grande hérésie du XVIe siècle émancipa les nations de ce bienfait comme de tant d'autres, et l'Europe, scindée pour longtemps, cherche, sans le trouver, ce centre commun que l'Eglise seule et sa langue pouvaient lui offrir.

Mais méditons sur le Cénacle dont les portes sont désormais ouvertes, et continuons à y contempler les merveilles du divin Esprit."


Le Titien. XVIe.

28 mai. Saint Germain, évêque de Paris. 576.

- Saint Germain, évêque de Paris. 576.

Papes : Saint Gélase ; Benoît Ier. Rois de France : Clovis Ier ; Childebert II.

" Tout pontife pris d'entre les hommes est étabi pour les hommes dans les choses qui ont rapport à Dieu... Il faut qu'il soit capable de compassion à l'égard de ceux qui sont dans l'ignorance et l'égarement, parce qu'il est lui-même environné de faiblesse."
Ad. Haeb., V, 1 et 2.


Saint Germain. Bréviaire à l'usage de Paris. Maître de Bedford. XVe.

Fortunat, évêque de Poitiers, qui a écrit le premier les actions admirables de saint Germain, évêque de Paris, en parle en des termes si avantageux, qu'il ne fait point difficulté de l'égaler aux plus illustres Martyrs, et même de le comparer aux plus grands Apôtres. Il naquit en Bourgogne, au diocèse d'Autun, de parents riches et " sociologiquement " chrétiens. Un hagiographe précise même davantage en disant :
" Le glorieux et bien-aimé de Dieu, monsieur saint Germain, natif d'Autun, au faubourg Saint-Blaise, de la grande rue, autrement la rue Sainte-Anastasie..."

Sa mère fit ce qu'elle put pour lui faire perdre la vie dans ses propres entrailles. Elle prit pour cela beaucoup de poisons, et ne négligea pas les moyens les plus violents. Mais la Providence, infaillible dans ses décrets, ne permit pas qu'elle vint à bout d'un dessein si criminel ; la fureur de cette mère dénaturée contre son enfant ne cessa pas avec sa naissance ; et si elle ne le fit pas mourir, elle continua toujours de le maltraiter et de lui être impitoyable.


Germain échappant au poison abortif que prit sa mère.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

La cause de cette étrange aversion était, dit-on, la crainte de voir sa maison trop chargée d'enfants. La grand'mère de Germain ne fut pas moins cruelle envers lui que sa mère : car aimant passionnément un autre de ses petits-fils, nommé Stratide, cousin de notre Saint, elle ne pouvait souffrir que celui-ci partageât son héritage avec lui. Afin de s'en défaire, elle donna 2 bouteilles à sa servante, l'une de vin et l'autre de poison, et lui marqua celle de vin pour Stratide, et celle de poison pour Germain; mais Dieu dissipa les artifices de cette marâtre, en permettant que la servante se trompât, et que Germain ayant pris le bon vin, Stratide avalât le poison, dont il fût mort sans un prompt secours.

Saint Germain échappant au poison donné par
sa grand-mère et mort de son cousin Stratide.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Ce pauvre enfant, étant ainsi exposé à de continuelles persécutions dans la maison même de son père, fut obligé d'en sortir et de se retirer auprès de Scopilion, son oncle, personnage de très-sainte vie, qui habitait Lusy.

C'est là qu'il reçut cette éducation forte qui accoutume à mettre le devoir au-dessus du plaisir, et qu'il jeta les fondements de cette haute perfection à laquelle il est arrivé depuis : car son oraison était continuelle, et, quoiqu'il fût éloigné de mille pas de l'église, il s'y rendait néanmoins toutes les nuits avec ce saint oncle, pour dire les Matines et ensuite assister aux saints Mystères. Saint Agrippin, évêque d'Autun, étant informé de sa vertu, lui conféra l'ordre de diacre, et, trois ans après, il l'ordonna prêtre. Saint Nectaire, son successeur, le nomma abbé de Saint-Symphorien, hors les murs d'Autun. Germain se rendit, par ses veilles, ses abstinences et son assiduité à la prière, le modèle de tous les religieux.

L'amour divin embrasait tellement son coeur, qu'on en voyait reluire la splendeur sur son visage. Il était si sensible aux misères des pauvres, qu'il n'en pouvait jamais renvoyer aucun sans assistance : il leur a souvent donné tout ce qu'il avait de provisions dans le monastère, sans rien réserver. Plusieurs de ses religieux, n'approuvant pas cette conduite, se plaignirent hautement de l'excès de sa libéralité, qui les mettrait, disaient-ils, dans la dernière indigence.

Un jour, en effet, il arriva que même le pain du jour manqua dans l'abbaye : mais Germain s'étant mis en prières, on vit aussitôt arriver au monastère deux chevaux chargés de pains, que la femme du seigneur Ebron envoyait, et, le lendemain, deux charrettes pleines de vivres vinrent d'un autre côté. Ces secours extraordinaires et miraculeux devaient suffire pour apaiser les murmures et les injustes plaintes. Néanmoins, les religieux de Saint-Symphorien diffamèrent si fort leur saint abbé auprès de l'évêque diocésain, que ce prélat, ajoutant foi trop légèrement à leurs rapports, le fit arrêter et mettre dans ses prisons, comme s'il eût été coupable de prodigalités ; mais à peine y fut-il entré, que les portes se rouvrirent d'elles-mêmes ; néanmoins Germain ne voulut pas sortir sans la bénédiction de celui qui l'avait fait emprisonner. L'évêque, mieux informé, reconnut sa sainteté et le traita avec beaucoup de respect.

Un autre miracle augmenta la vénération qu'on lui portait. Le feu prit au monastère : un embrasement général semblait inévitable. Mais notre Saint arrêta en un instant cet incendie par un peu d'eau bénite qu'il jeta dessus, et par le Signe de la Croix qu'il fit en chantant " Alleluia !".


Lectionnaire de l'office de l'abbaye Saint-Pierre
de la Couture du Mans. XIIe.

La charité était la vertu dominante, le trait le plus fortement accusé de l'admirable physionomie de Germain. En voici une nouvelle preuve.

Un certain Sabaricus, homme dur et violent, avait un esclave nommé Aesarius. Celui-ci, cruellement maltraité par son impitoyable maître et n'y tenant plus, courut un jour se réfugier au monastère de Saint-Symphorien, priant Germain de vouloir bien le racheter à tout prix. L'esclavage était devenu pour lui dans cette maison un supplice vraiment intolérable. Le Saint, ému de pitié et plein de l'esprit de l'Eglise qui travaillait de tout son pouvoir à l'abolition de la servitude, entra aussitôt en négociation avec Sabaricus.

Cet homme, furieux de la démarche de son esclave, exigea 80 pièces d'or pour le rachat de ce pauvre malheureux, de sa femme et de son enfant. La somme était exorbitante : où la trouver ? Mais la charité ne se rebute point et ne désespère jamais. Germain consola donc Aesarius, lui promettant la liberté quand même et sans trop savoir comment en payer le prix. Enfin il vint à bout de recueillir la somme exigée. Sabaricus, dont l'âme ne s'ouvrait point à la douce commisération parce qu'elle était fermée à la piété Chrétienne, principe et aliment de toutes les vertus, osa bien venir en personne toucher son argent, maudite rançon du sang, des soupirs et des larmes. Bien plus, ce misérable, sans respect pour lui-même, pour les hommes ni pour Dieu, ne daigna seulement pas en passant devant la basilique de Saint-Symphorien y entrer pour y faire une prière. Mais sa barbarie et son impiété ne demeurèrent pas impunies.

Dès lors la vue d'une église lui inspira de l'horreur ; il abandonna tout exercice de religion et tomba dans une sorte de frénésie. On fut même obligé de l'enchaîner. Germain auquel on le conduisit, - car quel autre aurait pu le guérir ? - oubliant ses torts et ne voyant en lui qu'un malheureux, fit à Dieu devant le tombeau de saint Symphorien une ardente prière que la Foi et la charité portèrent au Ciel. Aussitôt, par un double miracle, le malade recouvra avec la santé des sentiments plus Chrétiens et la tranquillité de l'âme : il était guéri et son coeur changé. Plein de regret et de douleur pour le passé, mais aussi de joie et de reconnaissance, il ajouta 20 pièces d'or aux 80 qu'il avait reçues en échange de la liberté de son esclave, et fit faire avec cet or une belle croix que l'on suspendit comme un mémorial de l'événement au-dessus du tombeau de saint Symphorien. " Cette croix, dit le biographe, existe encore aujourd'hui et atteste le prodige que nous venons de raconter " (Fortunat.).

Alors les bénédictions célestes entrèrent dans la maison de Sabaricus. Ses fils et ses filles, vivement impressionnés d'un miracle qui les touchait de si près et cédant à l'impression de la Grâce divine, voulurent, afin de se consacrer entièrement à Dieu, s'enrôler dans les diverses phalanges de la milice sacrée et gouvernèrent même plusieurs monastères. N'est-ce pas là un éloquent témoignage du zèle avec lequel l'Eglise travailla à détruire peu à peu l'esclavage, à protéger le faible contre le fort, à changer les moeurs des barbares ?


Sacre de saint Germain. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Le bruit de ces merveilles et de beaucoup d'autres s'étant répandu par tout le royaume, et étant venu jusqu'à Childebert, roi des Francs, il voulut avoir un si saint personnage dans sa ville de Paris, et lui manda de le venir trouver. Saint Germain n'osa pas s'opposer à sa volonté, parce qu'il apprit qu'elle était conforme à celle de Dieu : car, s'étant un jour endormi après sa prière, il lui apparut en songe un vénérable vieillard qui lui présente les clefs des portes de Paris. Le Saint lui demanda ce qu'il voulait qu'il en fît : " Je vous donne ces clefs afin que vous sauviez cette ville."

C'était lui prédire qu'il en serait évêque ; mais Germain, ne faisant pas cette réflexion, comprit seulement que sa présence était nécessaire à Paris ; il se mit donc en chemin avec quatre de ses moines, dont trois, Auctaire, saint Doctrovée et Scubilion, ont été successivement abbés de Saint-Vincent, depuis, Saint-Germain des Prés. Ces 5 moines, après avoir salué le roi et reçu ses ordres, se retirèrent dans un oratoire dédié sous le nom de Saint-Jean-Baptiste, qui, dans la suite, a été appelé Saint-Germain le Vieux, où ils pratiquèrent si parfaitement tous les exercices du cloître, que toute la cour en était ravie.

Quatre ans après, le siège épiscopal de Paris vint à vaquer par le décès d'Eusèbe, qui avait été substitué à Saffaracus, déposé au second Concile de la même ville, en 565. Saint Germain fut élevé sur ce trône par la Providence divine, et à la demande de Childebert, qui le souhaita ainsi. Cette charge ne changea rien en lui que le seul titre d'abbé en celui d'évêque, et il y garda les mêmes pratiques d'une vie d'austère ascète qu'il avait observées dans son monastère.

Il allait à l'église à 21h et n'en sortait qu'à la pointe du jour, pour prendre en son palais un moment de repos, et vaquer ensuite au soulagement des pauvres, des malades, des prisonniers et de tous ceux qui avaient recours à lui. Sa table, où se trouvaient ordinairement les pauvres, n'était couverte que de mets fort communs ; et, comme il n'y manquait rien, de même ou n'y servait rien de superflu. Il voulait que l'âme fût nourrie en même temps que le corps, et faisait faire pour cela, durant le repas, la lecture de quelque bon livre. Ses prédications eurent un tel succès, que Paris changea bientôt de face. Les vanités cessèrent, les pompes furent modérées, les superfluités retranchées, le luxe aboli, et enfin le vice y perdant son empire, la vertu prit sa place et commença à s'y pratiquer.


Translatio et miracula s. Germani. XIe.

La réputation de sa vertu croissant de plus en plus, il fut supplié de se trouver à Bourges pour assister à la consécration de l'évêque Félix : il ne manqua pas de s'y rendre ; et ayant, par occasion, parlé à un Juif, appelé Sigeric, il le convertit parfaitement et le baptisa ; mais sa femme étant demeurée fermée à l'illumination de la Foi, sans vouloir profiter de l'exemple de son mari, fut bientôt punie de son obstination ; car le démon entra dans son corps, et ne cessa point de la tourmenter jusqu'à ce que le saint évêque, ému de compassion, l'eût délivrée d'un si mauvais hôte par l'imposition des mains ; elle reconnut ainsi la vérité, et reçut enfin le saint Baptême.

Il eut une adresse merveilleuse pour gagner l'esprit de Childebert ; il le gouverna si bien, que, quoique ce prince eût toujours quelques restes de cette férocité, alors naturelle à la nation, il modéra néanmoins ses moeurs, réforma sa cour, et s'appliqua à la fondation de beaucoup d'églises et de monastères. Il envoya un jour 6.000 livres à saint Germain pour les distribuer aux pauvres ; mais le saint évêque n'en ayant pas trouvé assez pour recevoir toute cette aumône, voulut lui en rendre la moitié. Le roi, bien loin de la prendre et de ne plus rien envoyer, fit rompre sa vaisselle d'argent, ôta les chaînes d'or de son cou, et pria l'évêque de ne point cesser de donner, assurant que, de son côté, il ne se lasserait point de fournir.

Childebert étant mort sans enfants mâles, Clotaire, son cadet, lui succéda. Ce prince, qui, ayant vécu jusque-là loin de Paris, ne connaissait pas assez les vertus de saint Germain, le fit un jour si longtemps attendre à la porte de son palais, qu'il fut contraint de s'en aller. Mais le roi souffrit, la nuit suivante, de si grandes douleurs par tout le corps, en punition de cette faute, que, reconnaissant l'injustice du mépris qu'il avait fait au saint évêque, il l'envoya chercher à l'heure même, se jeta à ses pieds, et baisa humblement le bord de sa robe ; le Saint porta la main sur les endroits qui lui faisaient mal, et, par cet attouchement, il apaisa entièrement sa douleur.

Il fit ensuite éclater son zèle contre le roi Caribert, qui avait répudié Ingoberge, sa femme légitime, et épousé une suivante, nommée Marcovèse, dont il entretenait en même temps la soeur. Saint Germain lui fit là-dessus plusieurs remontrances ; et voyant qu'elles étaient inutiles et qu'il ne se corrigeait point, il prononça son excommunication, conséquence logique puisque Caribert ne vivait pas en communion avec la Foi de l'Eglise. De plus, comme la noblesse Franque avait alors à nouveau usurpé des biens de l'Eglise, ce qui avait fait abandonner le service de Dieu dans plusieurs paroisses, il fit assembler un Concile à Paris, dans lequel on fulmina des anathèmes contre ceux qui s'étaient emparés des biens temporels utilisés par le peuple de l'Eglise de Jésus-Christ.


Saint Germain reprenant vigoureusement le roi Caribert.
Guillaume Crétin. Chroniques françaises. XVe.

Il se trouva aussi au second Concile de Tours, qui fut tenu pour réformer la discipline de l'Eglise, déchue presque partout, et pour condamner les scandaleux mariages incestueux, qui étaient assez ordinaires entre les grands, et destinés à conserver les biens terrestres au sein d'une même lignée.

Le démon ne souffrant qu'avec dépit ces heureux progrès, fit ce qu'il put pour les arrêter, en troublant la tranquillité de sa dévotion ; en effet, il le tenta en toutes manières, soit en l'effrayant durant son oraison, soit en criant à ses oreilles, soit en lui apparaissant sous des formes horribles, soit enfin en le maltraitant et en le battant ; mais son humilité et sa constance le rendirent victorieux de tous ces assauts, et il en triompha si glorieusement, que cet esprit d'orgueil ne put jamais rien gagner sur sa volonté.

Il ne faut pas attendre que nous racontions tous les miracles de saint Germain : le grand Fortunat, évêque de Poitiers, après en avoir composé un livre entier, avoue qu'il en laisse beaucoup à dire. La paille de son lit, les pièces et les fils de sa robe, sa salive, ses larmes, ses paroles, l'eau qui avait servi à laver ses mains, son regard, son attouchement, les songes qui le faisaient paraître durant le sommeil, les lettres qu'il écrivait, étaient autant de remèdes pour toutes sortes de maladies. Les habitants de Meudon, près de Paris, étant affligés de la contagion, en furent délivrés avec du pain qu'il leur envoya, après l'avoir bénit.

Saint Germain, qui avait vécu à Autun près des lieux remplis du souvenir vénéré de saint Martin, aimait à se rendre à Tours, pour célébrer la fête de ce grand évêque. La réputation l'y accompagnait ; et les malades ne manquaient pas de se présenter sur son passage, soit qu'il entrât dans la basilique, soit qu'il en sortît. Un jour il guérit, en les frottant d'un peu d'huile et de salive, deux femmes estropiées du bras.


Saint Germain et un saint moine de l'abbaye Saint-Symphorien.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Dans un de ces pèlerinages, il se trouva fortuitement à Tours avec Clotaire. Le roi, sous prétexte d'aller vénérer les reliques de saint Martin, se rapprochait ainsi de Poitiers, afin de pouvoir plus facilement enlever son épouse Radegonde qui, après avoir été ordonnée diaconnesse par saint Germain, en avait reçut le voile de religieuse et était entrée dans une communauté fondée près du tombeau de saint Hilaire. La pieuse reine ne s'était retirée de la cour que sur le consentement très formel et très spontané du roi ; mais celui-ci la regretta bientôt vivement, et poussé par de méchants conseillers, il voulut, au mépris des voeux plus sacrés de la vie monastique, l'arracher à la sainte retraite où elle s'était donnée à Dieu et ne vivait que pour Dieu.

Avertie et alarmée du projet impie de Clotaire, Radegonde envoya secrètement une lettre très pressante au saint évêque de Paris pour le prier de dissuader le roi de sa criminelle résolution. Germain mouilla cette lettre de ses larmes et alla aussitôt se jeter aux pieds de Clotaire, devant les reliques de saint Martin, le conjura, au Nom de Dieu, de ne point se rendre à Poitiers. Le prince attendri et repentant s'écria :
" J'avais cédé à de mauvais conseils ; mais, je le reconnais, je n'étais pas digne de posséder une si sainte épouse."

Et, bien que mécréant, tombant lui-même aux genoux de l'auguste pontife qui le dominait de toute la hauteur de sa vertu moralle, il le pria d'aller lui-même à Poitiers demander pardon et offrir ses excuses à Radegonde. Dieu eut égard au sincère repentir de Clotaire ; mais ses méchants conseillers furent punis et moururent de l'horrible et honteuse mort d'Arius : ils répandirent leurs intestins...

Si Germain avait conservé pour le grand évêque de Tours un culte si pieux, pouvait-il oublier saint Symphorien, et l'abbaye et les frères, ou plutôt les enfants bien-aimés qu'il y avait laissés ? La moilié de son coeur était restée à Autun. Aussi le vit-on, chaque année, quitter Paris pour venir assister à la grande solennité religieuse instituée en l'honneur du héros autunois, et célébrée avec le pieux enthousiasme de la foi unie à la piété populaire. Quand approchait le jour de la fête chère à sa piété et à son coeur, alors s'acheminant vers sa patrie, il arrivait par la route qui suit les bords de la rivière de Cure ; et chaque fois qu'il traversait le Morvan, sa présence était signalée par quelque bienfait, par quelque prodige. Les démons surtout éprouvaient sa puissance et se trouvaient déconcertés. De tout le pays accouraient des possédés qui d'avance sentaient son approche et l'annonçaient en poussant des gémissements ou des cris lamentables. Il les touchait, et les malins esprits, forcés de sortir, disaient :
" Homme de Dieu, si vous ne pouvez nous souffrir dans les lieux habités, si vous vous obstinez à ne pas vouloir que nous demeurions avec les hommes, au moins laissez à des malheureux la permission d'errer en paix dans l'épaisseur de ces forêts, dans la solitude de ces montagnes."


Saint Germain bénissant des infirmes.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Les officiers royaux qui traitaient le peuple sans ménagement avaient à redouter aussi la généreuse liberté de Germain. Un jour que, retournant d'Autun à Paris après la célébration de la fête de saint Symphorien, il passait par Avallon, il apprit avec douleur que les prisons du château étaient remplies de débiteurs du fisc. Touché de compassion pour ces pauvres gens, il pria le comte Nicaise, qui l'avait invité à dîner, de vouloir bien adoucir leur sort en leur donnant la liberté sous caution. Le comte refusa impitoyablement. Alors, le charitable pasteur, sans même attendre la fin du repas, alla se prosterner la face contre terre, à la porte du cachot souterrain où gémissaient tant de malheureuses victimes de l'injustice humaine, et répandit en abondance des larmes avec des prières sur ce seuil, triste témoin de la douleur et du désespoir, afin d'obtenir de la miséricorde de Dieu ce que lui refusait la dureté des hommes.

Il fut exaucé. Un Ange vint ouvrir les portes de la prison et briser les fers de tous ces infortunés détenus dont la pauvreté faisait tout le " crime ". Croyant à peine à tant de bonheur, ils allèrent dans le transport de leur reconnaissance se jeter aux pieds de leur bienfaiteur. Une nouvelle grâce les attendait. Le roi, cédant aux instances de l'homme de Dieu, leur accorda la remise entière de tout ce qu'on affirmaient qu'ils devaient au trésor. Une autre fois, le même comte Nicaise, en courant au-devant de notre Saint dont on lui annonçait l'arrivée, fit une chute très grave, car on le releva sans connaissance ni sentiment; et ce ne fut que par la vertu des prières de Germain qu'il put être rappelé à la vie. Empressé de témoigner sa gratitude à l'hôte vénérable auquel il attribuait son salut, il lui offrit son baudrier et son épée. Germain s'empressa d'accepter ce don précieux.

Bientôt le comte, regrettant de s'être défait si facilement de ce qu'un soldat païen a de plus cher, réclama son arme. L'évêque, qui avait bien prévu ce retour, pensa que le moment était favorable pour augmenter la bourse de ses pauvres. Il fit composer le guerrier, qui au reste s'exécuta de fort bonne grâce. Bien plus, touché de la charité de Germain, Nicaise se repeutit de sa dureté et fut désormais plus humain. Il avait appris à ses dépens, selon l'observation du biographe, qu'il faut compatir aux misères d'autrui.

Un de ses plus grands soins fut la construction de la célèbre abbaye de Saint-Vincent. Childebert l'avait commencée ; mais ce fut Clotaire Ier, son frère, qui donna l'argent pour l'achever. Lorsque l'église fut en état, il pria saint Germain de la consacrer ; il le fit à la grande satisfaction de ce monarque, de la reine sa femme, et des princesses ses filles. Et cette église où, auparavant, il y avait un temple de la déesse Isis, fut depuis le mausolée de la plupart des princes et des princesses de la couronne, jusqu'à ce que Dagobert Ier eut fait bâtir celle de Saint-Denis, en France. On y voyait encore ces sépultures en 1685, entre autres, celles d'Eleuthère, père de notre Saint, et d'Eusébie, sa mère, qui, après l'avoir si maltraité durant son enfance, et même avant qu'il fût au monde, se trouva bienheureuse de venir mourir entre ses bras.

Ce grand évêque se contentait pas de dresser des temples matériels et inanimés au vrai Dieu ; il lui en édifiait aussi de vivants et de spirituels. Fortunat, son historien, parlant du clergé de Paris, l'appelle bienheureux d'avoir un si grand homme pour pasteur et pour chef :
" Sub duce Germano felix exercitus hic est."


Le roi Childebert fonda l'abbaye Saint-Vincent depuis
Saint-Germain-des-Prés. Généalogie des rois de France. XVe.

En effet, il avait un séminaire si renommé, qu'on y envoyait, non seulement de toute la Gaule française, mais aussi des royaumes étrangers, des enfants de haute naissance, pour y être formés aux sciences et à la piété ; et il en sortit beaucoup d'excellents clercs et de saints évêques, qui ont éclairé l'Eglise par leur doctrine et par leur éminente sainteté. On remarque, entre autres, saint Brieuc, que ses parents lui avaient envoyé d'Angleterre, lorsqu'il n'était encore qu'abbé à Saint-Symphorien, et qui ne sortit de son école que pour aller prêcher l'Evangile en son pays, comme nous l'avons remarqué en sa vie, au 1er mai. Saint Iltud, très-docte abbé de la Grande-Bretagne, fut aussi de ce nombre (comme le rapporte Trithème au IIIe livre des Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Benoît) ; et saint Bertingrand (appelé encore saint Bertraud), qui, d'archidiacre de Paris, fut élevé sur le trône épiscopal du Mans. D'après Gislemar, qui écrivait au IXe siècle, à Saint-Germain comme à Saint-Symphorien, on suivait non pas la Règle de saint Benoît de Nursie, mais une Règle composite basée sur celle de saint Antoine le Grand et saint Basile.

La principale occupation de notre Saint était de cultiver ces jeunes plantes pour leur faire porter des fruits dignes du Seigneur. Sa récréation consistait à visiter les églises pour y prier et y méditer ; s'il les trouvait fermées, elles s'ouvraient d'elles-mêmes dès qu'il avait fait dessus le Signe de la Croix ; comme il arriva, au rapport de Fortunat, à l'église de Saint-Gervais et Saint-Protais, qui alors était hors des portes de Paris.
Voilà quelles furent les actions saintes, héroïques et si glorieuses pour le Christ et Son Eglise, de cet illustre évêque.

A l'âge de 80 ans, il fut averti de sa mort dans une vision, et apprit même que ce devait être le 5 avant les calendes de Juin. Il fit aussitôt écrire ce jour sur son lit, afin de l'avoir toujours présent, sans néanmoins déclarer ce que cette remarque signifiait. Enfin cet heureux moment étant arrivé, il rendit son âme à Dieu le 28 mai, l'an 570.

Son corps fut porté en grande pompe dans l'abbaye de Saint-Vincent, comme il l'avait ordonné ; et, depuis, cette église a pris le nom de Saint-Germain des Prés.

Miracle insigne et qui marque bien la charité toute surnaturelle de notre Saint, lorsque le convoi passa devant les prisons, il devint si pesant qu'on ne put jamais le remuer que les prisonniers ne fussent délivrés ; on les fit donc sortir, et ils suivirent le convoi, employant ainsi les premiers moments de leur liberté à rendre les derniers devoirs à celui qui la leur avait procurée.

On représente saint Germain de Paris avec des chaînes à la main, pour rappeler l'efficacité de son intervention envers les prisonniers du fisc ; tenant en main les clefs de Paris, qui lui furent données dans une vision comme un gage de Salut pour cette ville, et une image de Notre-Dame, car on prétend qu'il portait constamment avec lui cette sauvegarde ; allant au-devant d'un incendie et apaisant le fléau.

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