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mercredi, 13 mars 2024

13 mars. Sainte Euphrasie, vierge dans la Thébaïde. 412.

- Sainte Euphrasie, vierge dans la Thébaïde. 412.
 
Pape : Innocent Ier. Empereur d'Occident : Honorius.

" O virginalis nuptiae
Per quas caro fit spiritus !
O dulce vinculum, jungitur
Quo mens Deo, menti Deus."
" Ô noces de la virginité
Par laquelle la chair devient esprit !
Ô doux noeuds, par lesquels
Dieu s'unit à l'âme et l'âme à Dieu."
Santeuil. Hymnes.
 

Sainte Euphrasie (ou Eupraxie, ou encore Euphrosine) était de race royale. Son père sénateur, Antigone, occupait l'une des charges les plus importantes à la cour de Constantinople. Sa mère, prénommée Euphrasie aussi, encouragea son époux à renoncer au monde, et à la mort de celui-ci, supplia l'empereur Théodose de prendre sa fille sous sa protection.

Notre sainte renonça bientôt à une brillante alliance, et fit distribuer aux pauvres ses immenses richesses pour ne penser plus qu'à servir Jésus-Christ. C'est un monastère de la Thébaïde qui eut la joie de la recevoir, et elle en devint bientôt, malgré sa jeunesse, l'édification et le modèle.

Dès sa douzième année, elle pratiqua les jeûnes du monastère, et ne mangea qu'une fois le jour ; plus tard, elle demeura jusqu'à deux ou trois jours sans prendre de nourriture ; elle put même parfois jeûner sans manger, une semaine entière. Les occupations les plus viles avaient sa préférence : cette fille de prince balayait le couvent, faisait le lit de ses soeurs, tirait de l'eau pour la cuisine, coupait du bois, et faisait tout cela avec une joie parfaite.


Sainte Euphrasie prenant l'habit. Vies de Saints. Henri. XIIIe.

Pour éprouver son obéissance, l'abbesse lui commanda un jour de transporter d'un endroit du jardin à l'autre d'énormes pierres que deux soeurs ensemble pouvaient à peine mouvoir. Elle obéit sur-le-champ, saisit les pierres les unes après les autres et les transporta sans difficulté au lieu indiqué. Le lendemain, elle dut les reporter à leur première place. Pendant trente jours on l'employa au même travail, sans qu'on put remarquer sur son visage aucune marque d'impatience.

Le démon, furieux de voir tant de vertu dans une frêle créature, lui fit une guerre acharnée. Un jour, il la jetait dans le puits où elle tirait de l'eau ; une autre fois il la renversait sur la chaudière d'eau bouillante où elle faisait cuire le maigre repas de ses soeurs ; mais la jeune sainte appelait Jésus à son secours et se riait des vains efforts de Satan. Les attaques les plus terribles furent celles où le malin esprit lui représentait, pendant son sommeil, les vanités et les plaisirs du siècle qu'elle avait quittés ; mais elle en triomphait par un redoublement de mortifications et par le soin de découvrir à son abbesse tous les pièges de son infernal ennemi.
 

Sainte Euphrasie. Gravure. Jacques Callot. XVIe.
 
L'existence d'Euphrasie était un miracle perpétuel ; car, malgré ses effrayantes austérités, elle n'était jamais malade, et son teint ne perdit rien de sa beauté ni de sa fraîcheur. Pendant un an, on ne la vit jamais s'asseoir, et elle ne prit qu'un peu de sommeil sur la terre nue. Dieu lui accorda le don de guérir les sourds-muets et de délivrer les possédés.
 
La mémoire de sainte Euphrasie est en telle vénération chez les Grecs que lorsqu'on reçoit les voeux d'une religieuse, le prêtre demande à Dieu pour elle qu'Il lui fasse part des grâces et des bénédictions dont Il a comblé sainte Thècle, sainte Euphrasie et sainte Olympiade.
 

On représente sainte Euphrasie embrassant un crucifix, pour rappeler cette circonstance de sa vie où, considérant un crucifix, elle crut voir dans ses bras ouverts une invitation à l'embrasser, et où elle courut l'environner de ses bras d'enfant, pour lui promettre de n'avoir jamais d'autre amour.
 
On la représente aussi foulant aux pieds le démon qui s'efforce de la jeter dans un puits.

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mardi, 12 mars 2024

12 mars. Saint Grégoire le Grand, pape, docteur de l'Eglise. 604.

- Saint Grégoire le Grand, pape, docteur de l'Eglise. 604.

Papes : Pélage II (prédécesseur, 590+) ; Sabinien (successeur). Empereurs d'Orient : Justinien Ier, Phocas.

" Il a principalement exceller en trois choses : à prier, à lire et à méditer."
Bx. Jacques de Voragine. Serm. II, de S. Gregor.

" Pour juger du mérite d'un pasteur, il faut considérer par quelle voie il est parvenu à la suprême dignité, de quelle manière il y a vécu, comment il y a enseigné, et s'il y est entré bien avant dans la connaissance de ses infirmités."
Saint Grégoire le Grand, Pastoral.


Saint Grégoire le Grand. Francisco de Zurbarán. XVIIe.

La taille de certaines des notices mises en ligne sur Hodie est importante. Dans nos temps si difficiles,  si tragiques, où tout au plan naturel est organisé pour la damanation du plus grand nombre d'âmes possible, nous savons que la vie des Chrétiens n'est pas moins sollicitée que celle des pauvres gens qui ne le sont pas ou plus. Ce parti pris sera maintenu car si nous devons accorder chaque jour un peu de temps à Notre Père des cieux et à ses saints, autant que ce temps soit nourri aussi solidement que possible. Le lecteur ne saurait nous tenir rigueur de la longueur de telle ou telle notice ; celle du très grand pape saint Grégoire le Grand nous donnant l'occasion de cette précision.

Saint Grégoire naquit à Rome, un peu avant 540. De la famille sénatoriale des Anicii, il comptait le pape saint Félix III (que l’on fête au 1er mars) parmi ses ancêtres. Son père, nommé Gordien, était sénateur et semble avoir été chargé d'administrer au point de vue civil l'une des 7 régions de Rome. Sa mère, nommée Sylvie, sanctifia ses dernières années dans la retraite près du portique de la basilique de Saint-Paul.

Selon saint Paul-Diacre, saint Grégoire suivit les cours de l'université de Rome et y fit de grands progrès dans les lettres, la rhétorique et la dialectique. Mais les influences de la maison paternelle contribuèrent surtout à développer en lui les sentiments religieux, il aimait surtout à méditer les Livres saints.

Vers 573, après avoir fait ses preuves dans quelque emploi subalterne, il était devenu préfet de la ville de Rome. Les temps étaient difficiles, Grégoire comprit vite qu'il n'était pas fait pour une telle charge : il se décida à tout quitter pour se donner entièrement à Dieu. La mort de son père le rendait l'un des riches propriétaires de Rome. Il consacra la plus grande partie de ses richesses à doter des monastères, six en Sicile et en plus celui qu'il établit dans la demeure de son père, au Cliuus Scauri sur le mont Coelius, près de la basilique des Saint-Jean-et-Saint-Paul, sous le vocable de l'Apôtre saint André. Dans cette demeure il s'enferma pour s'y former à la vie régulière, uniquement pour obéir et non pour gouverner. Comme il l'a écrit lui-même, un saint religieux nommé Valentio était à la tête de ce monastère.


Messe de saint Grégoire le Grand. Heures à l'usage d'Autun. XIVe.
Jamais l'Eglise catholique n'a accompli le saint sacrifice de la messe
autrement que tournée vers la divine Victime,
Notre Seigneur Jésus-Christ.

La règle bénédictine y était-elle en vigueur ? C'est une question qui est restée pendante, bien que l'affirmative paraisse prévaloir. Grégoire a dit seulement que ses années dans cette maison furent des années de joie parfaite ; il s'y considérait comme ayant abordé au port et sauvé du naufrage. Son débile estomac s'accommodait mal du jeûne, ce qui lui causait un réel chagrin, mais cette infirmité devait durer autant que sa vie.

Il ne devait pas rester dans cette retraite où se plaisait son âme contemplative. Le pape Pélage II (579-590), au début même de son pontificat, décida d'attacher Grégoire à son service. Il l'ordonna diacre, non pas pour le service des régions ecclésiastiques de Rome, mais pour l'envoyer comme apocrisiaire (apocrisiaire désigne un ambassadeur, un messager ou un représentant ecclésiastique du souverain Pontife. Il s'agissait, en l’occurrence, d'intéresser à la cause de l'Occident l'empereur Tibère II qui paraissait s'en soucier assez peu et ne pouvait guère y être amené par le patriarche Eutychios).

Saint Grégoire avait amené quelques moines de Saint-André avec lesquels il put reprendre les pratiques de la vie monastique. Les conférences qu'il leur donna formèrent comme le noyau du grand traité qui a pour titre " Les morales ". Saint Grégoire a raconté dans cet ouvrage (XIV, 72-74.) la discussion qu'il eut avec Eutychios au sujet de la condition des corps ressuscités. Selon le patriarche, notre corps était subtil par l'efficacité d'un pouvoir spirituel et palpable en vertu de sa nature. Grégoire lui opposa les paroles de Jésus-Christ après sa résurrection (Luc., XXIV, 39.) :
" Voyez mes mains et mes pieds ; un esprit n'a pas chair et os comme vous voyez que j'ai."
Tibère intervint, se fit exposer le sujet du désaccord, pesa les allégations et jugea que la vérité était du côté de Grégoire. Eutychios ne se rendit qu'avec peine ; cependant sur son lit de mort, il se rétracta.

Le saint apocrisiaire fut témoin de la mort de Tibère II et de l'avènement de Maurice en 582. Deux ans plus tard, il consentit à tenir sur les fonts du baptême le fils du nouvel empereur auquel fut donné le nom de Théodose. Il ne put cependant obtenir pour l'Italie tous les secours qu'il aurait souhaités. Le Séjour à la cour impériale lui fournit l'occasion de contracter de saintes amitiés ; la plus remarquable fut celle qui s'établit entre lui et saint Léandre, archevêque de Séville (fêté au 27 février). Ce dernier était venu à Constantinople plaider la cause d'Herménégilde qui voulait s'assurer l'appui des Byzantins. Cette rencontre explique la dédicace que Grégoire fit à Léandre de ses " Morales sur Job ".

La mission à Constantinople était devenue de plus en plus délicate pour Grégoire ; Rome insistait pour lui faire tenter l'impossible en vue d'obtenir des troupes pour l'Italie ; l'empereur le considérait comme un importun dont les demandes répétées lui étaient à charge. Ce fut probablement au printemps de 586 que l'archidiacre Laurent fut envoyé à Constantinople pour remplacer Grégoire. Celui-ci put rentrer à Rome ; il y rapportait, dit-on, un bras de saint André et la tête de saint Luc, don de l'empereur à son monastère de Saint-André au mont Coelius. Pour un temps, Grégoire espérait pouvoir goûter dans ce séjour les douceurs du repos et de la solitude. Peu après son retour, il y fut nommé abbé en remplacement de Maximien, qui sans doute démissionna en sa faveur.

L'abbatiat de Grégoire fut marqué par de nouvelles austérités et une rigueur dans l'observance de la discipline monastique. Le fait suivant en fournira une preuve (Dialogues, 1. IV, c. 55.). Il y avait au monastère de Saint-André un moine nommé Justus ; fort habile médecin, il avait maintes fois soigné Grégoire lui-même au cours de ses fréquentes indispositions. Ce moine avait un frère nommé Capiosus. Tombé dangereusement malade, Justus avoua à Copiosus qu'il détenait trois pièces de monnaie cachées dans un tiroir de sa cellule. Grégoire informé de cette infraction à la règle de la pauvreté, en éprouva une sainte horreur.


Messe de saint Grégoire Le Grand. Adrien Ysenbrandt. XVIe.

Il voulut faire un exemple et envoya dire au prieur nommé Pretiosus :
" Veillez à ce qu'aucun des frères ne visite Justus sur son lit de mort ; que personne ne lui porte une parole d'encouragement. Lorsque son heure dernière arrivera, et qu'il demandera la présence des frères, Copiosus lui dira :
" Tous les frères vous détestent à cause de l'argent que vous avez caché."
Qu'ainsi du moins, au dernier moment, il ait regret de sa faute et que sa douleur le purifie de son péché. Quand il sera mort, on n'enterrera pas son corps à côté de celui des autres frères ; on lui creusera une fosse dans quelque cloaque, on y jettera son corps avec les 3 pièces de monnaie en disant :
" Que ton argent périsse avec toi !"
Après quoi, on couvrira de terre sa dépouille."


La sentence de Grégoire fut exécutée. Justus eut une pénible agonie ; il mourut et fut enterré de la manière prescrite. Tous les bons moines en furent remplis de terreur, et jetèrent hors de leurs cellules même les objets sans valeur que la règle autorisait. Trois jours après la mort de Justus, l'abbé radouci, manda le prieur Pretiosus et lui dit :
" Voici quelque temps que notre frère mort est dans les tourments, nous devons maintenant lui montrer quelque charité et essayer de lui procurer quelque soulagement. Allez donc et pendant les trente jours qui vont suivre, offrez pour lui le saint Sacrifice ; qu'il ne se passe aucun jour durant cet intervalle sans que la divine victime soit offerte pour sa délivrance."


Conversion du père de st Grégoire. Manuscrit grec du IXe siècle.

Le prieur exécuta cet ordre comme le précédent, et Grégoire, au milieu d'autres soucis, oublia cette affaire. Une nuit cependant, l'âme de Justus apparut à son frère Copiosus et lui dit :
" Jusqu'à ce jour, j'ai été dans la peine, maintenant je suis bien, car aujourd'hui, j'ai reçu la communion."
Copiosus tout joyeux, alla aussitôt trouver Grégoire et lui rapporta ce qu'il venait de voir et d'entendre. Constatation faite, on trouva que la vision avait eu lieu le trentième jour où la messe était dite pour le repos de l'âme de Justus. Grégoire en conclut que cette oblation avait délivré de ses peines l'âme du moine défunt.

Sous la conduite de son abbé, le monastère de Saint-André fut une véritable école de sainteté. Parmi ceux qui se sanctifièrent dans ses murs et l'illustrèrent dans la suite, on peut citer Maximien dont nous avons déjà parlé ; Marinien, qui devint archevêque de Ravenne ; Sabinus, le futur évêque de Gallipoli ; Augustin, le futur apôtre de l'Angleterre ; les frères Antoine et Jean, mentionnés dans les Dialogues (1. IV, c. 47.). A l'abbatiat de Grégoire on rattache la publication des " Morales sur Job ", qu'il dédia à Léandre, puis l'incident connu des jeunes esclaves anglo-saxons rencontrés sur le marché de Rome. Rentré dans son monastère après cette rencontre, Grégoire prit la résolution de conduire lui-même dans cette contrée inconnue des missionnaires pour l'évangéliser. Pélage II, après avoir refusé d'abord de sanctionner ce projet, y avait consenti, et un matin dans le plus grand secret, Grégoire accompagné de quelques moines, s'échappait de Rome et se dirigeait vers le Nord. Mais après trois jours de marche, des messagers arrivaient de Rome, atteignaient les fugitifs et signifiaient à Grégoire de la part du pape qu'il devait revenir sans délai. Le peuple se soulevait et réclamait le retour de l'archidiacre. Grégoire rentra dans Rome, mais sans abandonner le projet que nous le verrons exécuter plus tard.


Messe de saint Grégoire le Grand. Missel à l'usage d'Auxerre. XIVe.

Durant les années qui suivirent, Grégoire servit de secrétaire au pape Pélage. L'inondation dévasta Rome en 589 et 590 ; elle amena la peste dont le pape fut une des premières victimes. Le clergé, le sénat et le peuple tombèrent d'accord pour élever Grégoire sur le trône pontifical. Effrayé d'une pareille charge celui-ci résista de tout son pouvoir, écrivit même à l'empereur Maurice pour lui demander de ne pas confirmer l'élection. Le préfet de Rome intercepta la lettre et y substitua un rapport officiel sur l'élection du nouveau pontife. En attendant la réponse, Grégoire dut prendre l'administration du siège vacant.

Comme la peste continuait ses ravages, il invita les fidèles de la cité à fléchir la colère divine par un grand acte de pénitence. Il monta à l'ambon de la basilique de Saint-Jean-de-Latran :
" Frères bien-aimés, la mort frappe à coups redoublés... Nous à qui elle laisse encore le temps de pleurer, livrons-nous à la pénitence."
Puis, il traça l'ordre et la manière dont devait se faire la solennelle supplication :
" Le clergé partira de l'église des Saints-Martyrs-Côme-et-Damien, avec les prêtres de la sixième région ; les abbés et les moines partiront de l'église des Saint-Gervais-&-Saint-Protais avec les prêtres de la quatrième région ; les abbesses et leurs communautés partiront de l'église des Saints-Pierre-et-Marcellin avec les prêtres de la première région ; les enfants réunis dans l'église des Saints-Jean-et-Paul en sortiront avec les prêtres de la deuxième région ; les laïques assemblés dans l'église de Saint-Étienne, premier martyr, en sortiront avec les prêtres de la septième région ; les veuves partiront de l'église de Sainte-Euphémie avec les prêtres de la cinquième région ; enfin les femmes mariées partiront de l'église de Saint-Clément avec les prêtres de la troisième région."


Sacramentaire de Marmoutier à l'usage d'Autun. IXe.

Tel est l'ordre de ce qu'on a appelé la Litanie septiforme, d'après Grégoire de Tours, (Hist. Franc., X, 1.).
" De chacune de ces églises, nous sortirons en récitant des prières et en versant des larmes ; nous nous rejoindrons tous à la basilique de la Sainte-Vierge-Marie, et nous continuerons là nos prières et nos supplications."

A cette procession, on a rattaché le fait de l'apparition d'un Ange au-dessus du môle d'Adrien : cet Ange remettait une épée dans le fourreau et l'acte fut interprété comme l'indication de la cessation de la peste. Le détail a été consigné dans les récits du Xe siècle, et, depuis cette époque, on plaça un ange au-dessus du môle qui reçut le nom de château Saint-Ange. A une date ultérieure, on a raconté qu'une voix fut entendue chantant l'antienne Regina coeli laetare, et à cette occasion Grégoire prononça l'invocation Ora pro nobis Deum, qui depuis ce temps a terminé ladite antienne.


Saint Grégoire dictant à ses scribes.
Sacramentaire de Charles le Chauve. IXe.

Vers la fin d'août 590, arriva enfin de Constantinople la confirmation de l'élection de Grégoire par l'empereur Maurice. Le nouvel élu chercha à se dérober par la fuite, et 3 jours durant resta caché dans une grotte. A la fin, une colonne de lumière manifesta sa présence dans cette caverne; on l'en tira de force pour le conduire à la basilique de Saint-Pierre où il fut intronisé (3 septembre).

Le gouvernement de l'Église de Rome avait été rendu difficile par les hérésies des deux siècles précédents ; ces hérésies désolaient encore l'Orient ; le schisme, conséquence de la querelle des Trois-Chapitres, existait encore en Istrie et en Gaule ; en Afrique les donatistes s'élevaient de nouveau contre les catholiques ; l'Espagne venait à peine de sortir de l'arianisme ; en Gaule dominaient encore les barbares et en Italie les féroces Lombards. Le clergé se démoralisait ; les moines se relâchaient.

Saint Grégoire lui-même a fait un tableau assez sombre de la situation. Aux congratulations qui lui arrivaient, il répondait par des lamentations du genre de celle-ci :
" Avec la charge d'évêque, me voilà lié de nouveau au monde plus étroitement que je n'étais comme laïque. J'ai perdu la joie profonde de mon repos ; extérieurement c'est une élévation ; intérieurement, c'est une chute... Ballotté par les vagues des affaires, la tempête gronde au-dessus de ma tête, et je puis dire avec le psalmiste :
" Je suis plongé dans l'abîme des eaux et les vagues passent au-dessus de ma tête. Lorsque j'ai rempli ma tâche journalière, j'essaie de rentrer en moi-même et je ne le puis; des peines tumultueuses et vaines me ressaisissent."


Saint Grégoire le Grand dictant la musique d'un chant.
Antiphonaire de l'abbaye de Saint-Gall. XIe.

A Jean de Constantinople qui avait voulu échapper comme lui au fardeau de l'épiscopat, il écrivait :
" Puisque dans ma faiblesse et mon indignité, j'ai reçu le commandement d'un vaisseau vieux et tristement ballotté, je vous conjure par le Tout-Puissant de m'aider de vos prières dans le danger où je suis ; vous le pouvez d'autant mieux que vous vous tenez loin des vagues tumultueuses qui nous enveloppent."

Cependant Grégoire n'entendait pas refuser de travailler à l'oeuvre de Dieu. Il avait parfaitement conscience des devoirs qui s'imposaient à lui : il en a retracé le tableau dans son Pastoral, admirable traité des devoirs d'un évêque, publié à cette époque en réponse à l'un de ses frères dans l'épiscopat (peut-être Jean de Ravenne ou Jean de Constantinople). Le traité fut accueilli avec enthousiasme, non seulement par le destinataire immédiat, mais par tous les prélats ayant charge d'âmes ; il exerça une influence considérable dans les siècles suivants.

Dans Grégoire, pape, on peut considérer séparément, le Chef spirituel de l'Église romaine, le protecteur du monachisme, le zélé missionnaire et l'administrateur temporel.


Saint Grégoire remettant et dédiant son ouvrage " Moralia in Job "
à saint Léandre archevêque de Séville. Moralia in Job. XIIIe.

Chef spirituel de l'Eglise de Rome. L'oeuvre de Grégoire fut considérable.

I. A Rome et dans les diocèses suburbicaires.

Il alla d'abord au plus pressé, veiller à ce que personne n'eût à souffrir de la famine. Il y eut dans chaque division ecclésiastique, un bureau de charité présidé par un diacre, un administrateur général pour la distribution des vivres. Le pape lui-même se considérait comme responsable de ceux qui mouraient de faim ; chaque jour il recevait à sa table 12 étrangers auxquels il lavait les mains avant le repas. Une fois, il aperçut un treizième convive qu'il était seul à voir ; l'ayant pris à part après le repas, il en tira cette réponse qu'il était l'Ange de Dieu chargé de le garder et de satisfaire à toutes ses demandes.

Au spirituel, Grégoire mit en pratique ses principes sur l'obligation de prêcher qui incombe aux évêques. Il fit lui-même l'homélie dans les églises où avait lieu la station. Ayant organisé le service des stations, il tenait à prêcher lui-même à la messe solennelle. Beaucoup de ses homélies ont été conservées, notamment les quarante sur les Évangiles. Dans un synode tenu à Rome en 595, il établit un certain nombre de réformes, conséquences de la constitution donnée à sa maison pontificale ; il défendit de choisir les diacres uniquement à cause de leur belle voix ou de leur habileté à diriger un choeur, ordonna de prendre parmi les clercs les gens de sa domesticité, prohiba de prélever des droits pour l'ordination, l'imposition du pallium, etc.

En matière de liturgie, on lui attribue communément cinq innovations :
- l'addition des mots diesque nostros... disponas, dans la prière Hanc igitur du canon de la messe ;
- la récitation du Pater à la fin du canon ;
- le chant de l'Alleluia à la suite du Graduel, même en dehors du temps pascal sauf pour le temps de la Septuagésime et du carême ;
- l'interdiction de la chasuble aux sous-diacres ;
- la défense aux diacres de chanter autre chose que l'Évangile.


Saint Grégoire le Grand écrivant sous l'inspiration du Saint-Esprit.
Homiliae in Evangelia. XIe.

Jean-Diacre lui attribue encore une révision du Sacramentaire, de l'Antiphonaire, etc. Nous ne pouvons entrer davantage dans le détail des oeuvres liturgiques du grand pape. Les liturgistes ont publié à ce sujet de nombreux travaux auxquels nous renvoyons le lecteur. Grégoire encouragea de tout son pouvoir la vénération que le peuple rendait aux reliques des saints, bien qu'il autorisât difficilement le transfert partiel ou total de leurs ossements. Cette dernière pratique n'existait pas à Rome au temps de saint Grégoire ; Grégoire de Tours atteste qu'elle se propageait beaucoup en Gaule.

Dans les diocèses suburbicaires, Grégoire exerça ses pouvoirs de métropolitain sur les évêchés d'Ostie, Porto, Silva Candida, Sabine, Préneste, Tusculum et Albano.

II. Dans les autres Églises d'Occident.


Il agit comme patriarche sur les Églises d'Italie, de Corse, de Sicile, de Sardaigne, et même au delà de ces limites. Dans ce but, il se mit en contact plus direct avec ces Églises par l'établissement de vicaires apostoliques, il voulut que les synodes y fussent plus fréquents, que le clergé fût assujetti au célibat, s'adonnât à la pratique des vertus ; il veilla sur l'élection des évêques et rappela ceux-ci au respect de la discipline ecclésiastique. La manière dont il s'exprime au sujet d'un Paschase, élu évêque de Naples et d'autres encore, donne une idée peu favorable du clergé d'Italie au VIe siècle.


Messe de saint Grégoire le Grand. Missel à l'usage d'Auxerre. XIVe.

En Afrique, l'influence de l'arianisme telle qu'on la voyait au temps des Vandales avait disparu, mais on trouvait encore des traces du donatisme. Grégoire pour éteindre ce schisme se proposait d'établir Columbus, évêque de Numidie, comme son vicaire apostolique. En Espagne où Hécarède venait d'abandonner l'arianisme, Grégoire conserva les relations les plus étroites avec Léandre auquel il envoyait le pallium.

Dans les Gaules, il donnait le pallium à Virgile d'Arles et l'établissait son vicaire apostolique, il entretenait une correspondance avec Brunehaut et l'exhortait à user de son pouvoir pour obtenir la correction du clergé et la conversion des païens ; il blâmait Serenus, évêque de Marseille, d'avoir détruit certaines images - la Provence était dans la zone d'influence administrative de l'Eglise de Rome, au contraire du restant de l'Europe occidentale, ce qui explique les styles d'interventions divers selon les interlocuteurs. Il écrivait aux évêques d'Irlande éprouvés par la persécution. Partout, il tenta d'établir une étroite dépendance de certaines Églises autocéphales vis-à-vis du siège de Rome ; il se réservait de traiter les procès en appel, d'approuver les décisions des synodes.


Saint Grégoire dictant à ses scribes.
Sacramentaire de Charles le Chauve. IXe.

III. En Orient.

Nous nous bornerons à signaler ici la conduite de Grégoire vis-à-vis du patriarche Jean le Jeûneur, l'austère évêque de Constantinople. En un synode tenu l'an 588, ce dernier s'était attribué le titre " d'évêque universel ". Le pape saint Pélage II protesta immédiatement contre cette prétention, et lorsque Grégoire fut élevé sur le siège apostolique de Rome, sans renouveler une protestation formelle, il envoya par son représentant des observations à l'ambitieux prélat. Peu de temps après, l'occasion se présenta d'affirmer sa position de siège d'appel aussi vis-à-vis de l'Église de Constantinople.

Deux prêtres, Jean de Chalcédoine et Athanase, accusés et convaincus d'hérésie au tribunal de Jean le Jeûneur, furent non seulement condamnés, mais eurent à subir de mauvais traitements ; ils firent appel à l'évêque de Rome. Grégoire commença par demander au patriarche de Constantinople des explications sur cette affaire ; celui-ci répondit d'une façon évasive. Sur quoi, le pontife manifesta sa surprise ; prenant en main la cause des deux accusés, il constata que le premier avait été faussement condamné comme hérétique, il lui donna l'absolution et le renvoya à Constantinople, porteur de lettres pour le patriarche et pour l'empereur. Le cas du second prêtre Athanase était un peu plus compliqué ; Grégoire l'examina, et reconnaissant non coupable ce second accusé, il le renvoya dans son monastère avec autorisation d'y reprendre son rang.

Nonobstant cette double rectification de jugement, Jean le Jeûneur persista à revendiquer le titre d'évêque universel - patriarche " oecuménique ". Quand il vint à mourir, l'empereur Maurice fit nommer comme patriarche Cyriaque, l'économe de l'Eglise de Constantinople, et écrivit à Grégoire pour le disposer favorablement envers l'élu : il l'invitait en même temps à ne pas troubler davantage l'Église pour un vain titre. Querelle de titres ou soif de pouvoir temporel ? Pour la question des titres, Grégoire fut en tout cas le premier des papes à se proclamer dans ses actes officiels " serviteur des serviteurs de Dieu ".


Saint Grégoire le Grand enseignant. Vita s. Gregorii Magni. XIIe.

Protecteur des moines et zélé missionnaire.

I. Grégoire, durant son pontificat, favorisa le développement du monachisme comme il est communément admis que la Règle bénédictine fut en vigueur dans le monastère de Saint-André au mont Coelius, on comprend que les observateurs de cette règle dont il a vanté la discrétion, aient été l'objet de ses prédilections. Il les installa dans son palais du Latran pour pouvoir mener avec eux la vie de communauté ; nous avons déjà nommé quelques-uns de ces moines, comme le diacre Pierre, Maximien, le futur évêque de Syracuse, Augustin et Mellitus les futurs missionnaires de la Grande-Bretagne, etc.

Avec eux, Grégoire tâcha de réaliser l'idéal de la perfection religieuse. Un de ses premiers actes pontificaux fut d'introduire en Corse la vie conventuelle ; il voulut que la ferveur régnât dans ces maisons, attacha une grande importance à l'observation de la pauvreté, défendit que les moines ne fussent mêlés aux affaires temporelles. Deux légères innovations à la règle monastique lui sont dues; il fixa un âge minimum au-dessous duquel une religieuse ne pouvait pas être nommée abbesse, il prolongea la période du noviciat qui devait durer deux ans.

Pour l'admission dans les monastères des personnes investies d'une charge ou astreintes à certaines obligations, Grégoire entra en conflit avec l'empereur. L'édit impérial de 593 quant à l'entrée dans les ordres paraissait sage au pontife, mais la prohibition à ces mêmes personnes d'entrer en religion lui parut exorbitante et il en écrivit aussitôt à l'empereur Maurice :
" Cette défense m'a rempli de terreur car elle me paraît fermer l'entrée du Ciel à beaucoup d'âmes, s'il est des hommes qui peuvent mener une vie religieuse dans le monde, il en est d'autres qui ne peuvent opérer leur salut à moins de tout quitter... Dieu vous a donné le pouvoir pour aider les hommes dans la poursuite du bien, pour que le royaume terrestre serve au royaume céleste. Et maintenant il est dit qu'un homme une fois enrôlé dans la milice terrestre ne peut plus devenir le soldat du Christ, tant qu'il n'a pas achevé la durée de son service ou qu'il n'en a pas été exempté. Or voici ce que Jésus-Christ vous fait dire par ma bouche : C'est à moi que vous êtes redevable de votre dignité d'empereur. J'ai confié mes prêtres à votre charge, pourquoi voulez-vous retirer vos soldats de mon service ? Quelle réponse ferez-vous au Seigneur au jour du jugement ?"


Saint Grégoire Le Grand inspiré par le Saint-Esprit.
Carlo Saraceni. XVIIe.

La lettre était adressée à Théodore, médecin de l'empereur avec prière de la transmettre quand il jugerait l'occasion favorable. Des concessions durent être faites de part et d'autre car en 597 Grégoire écrivant aux métropolitains d'Italie et d'Illyrie, ainsi qu'aux évêques de Sicile, leur interdisait de recevoir dans les monastères tout officier de la cour (curialis) qui n'aurait pas été dégagé de ses obligations envers l'État, et tout soldat dont on n'aurait pas enquêté la vie antérieure ; il prescrivait ensuite d'assujettir les sujets reçus à un noviciat de 3 ans.

Grégoire fut encore le premier pape qui ait sauvegardé les droits des moines vis-à-vis des évêques il établit une distinction entre les moines et les membres du clergé paroissial. Par la protection accordée aux religieux, il les abritait contre les exigences exagérées des évêques : il pensait que l'ordre monastique ainsi organisé servirait mieux les intérêts de l'Eglise ; il en faisait un puissant levain pour féconder l'Église et la société du Moyen Age.

II. Ayant contribué au développement des Bénédictins, Grégoire voulut en faire des missionnaires. Son élévation au siège de Rome ne lui fit point oublier son dessein de convertir les Anglo-Saxons, comme l'attestent ses lettres, par exemple, à Syagrius d'Autun, au prêtre Candide (1. IX, 108 ; VI, 7.).

En 596, malgré l'existence d'Eglises dans ces Iles depuis presque 6 siècles, il choisit pour nouveaux apôtres de la Grande-Bretagne les religieux de Saint-André au mont Coelius et leur donna pour chef, Augustin, prieur de cette maison. 40 moines partirent de Rome pour traverser la Gaule. A peine arrivés à Aix-en-Provence, après être passés par Lérins et Marseille, ils prirent peur tant on leur fit une sombre peinture du peuple anglo-saxon. Augustin dut retourner à Rome pour exposer les difficultés d'une telle entreprise, il revint bientôt avec une lettre d'encouragement pour eux-mêmes et des lettres de recommandation auprès des évêques des villes qu'ils devaient traverser. Le récit de cette mission et de ses succès appartient à la vie de saint Augustin (que l'on fête le 28 mai).


Saint Grégoire le Grand. Epistulaei. XIe.

Lorsqu'au printemps de 598, Laurent et Pierre, envoyés de Grande-Bretagne à Rome, vinrent rendre compte de la mission, Grégoire ne put retenir sa joie ; il en envoya jusqu'en Orient l'heureuse nouvelle :
" Le porteur de vos lettres, écrivait-il à Euloge, patriarche d'Alexandrie, m'a trouvé et me laisse malade. Mais Dieu m'accorde la joie de l'âme pour tempérer l'horreur de ma souffrance corporelle... Voici que je reçois la nouvelle de l'heureux succès des moines envoyés chez les Anglais ; Augustin et ses compagnons ont fait tant de miracles qu'ils semblent approcher du temps des apôtres. Plus de 10.000 Anglais ont été baptisés par eux d'un seul coup." (Epist., VIII, 30.).

Grégoire félicitait en même temps Augustin. Laurent et Pierre semblaient pressés de retourner en Angleterre ; le pontife les fit attendre jusqu'à l'été de 601, leur donna pour compagnons de nouveaux missionnaires bénédictins, avec des lettres pour Éthelbert et Berthe, et trois lettres pour Augustin. Il félicitait le roi et la reine ; quant à Augustin, il le mettait en garde contre les dangers de l'orgueil et de la présomption, lui concédait le pallium et lui donnait ses instructions pour constituer la nouvelle Église d'Angleterre. Enfin dans sa troisième, il répondait à un certain nombre de questions d'Augustin sur l'usage à faire des offrandes des fidèles, la constitution de la liturgie, la règle à suivre pour les mariages entre parents, etc.

L'administrateur temporel de l'Eglise de Rome. Grégoire excellait à porter son attention sur les points les plus divers, diplomatie, art militaire, jurisprudence, etc. Il fut tout à la fois ardent patriote quand il négociait avec les empereurs et les rois, austère reclus quand il traitait de mysticisme, homme de finances quand il gérait les intérêts matériels.

Les troubles dont l'Italie fut le théâtre augmentèrent le patrimoine de saint Pierre ; des familles entières reléguées en Orient ou forcées de se retirer dans les monastères firent au Saint-Siège l'abandon de leurs biens. Grégoire eut ainsi des possessions en Italie, Sicile, Sardaigne, Corse, Dalmatie, Gaule et Afrique ; des agents spéciaux investis de larges pouvoirs les administrèrent en son nom. En Italie, le pape se préoccupa du rachat des captifs tombés aux mains des Lombards ; il mit les plus grands soins à exercer la charité sous toutes ses formes, et le seul reproche qu'on pût lui faire fut de ne pas savoir limiter ses générosités.


Saint Grégoire le Grand. Heures à l'usage de abbaye de Cîteaux. XIIe.

Dans la détresse, il recourut aux pouvoirs civils : il se trouva dans une situation difficile vis-à-vis des Lombards, et pour les chasser de la campagne de Rome, il ne comptait aucunement sur l'assistance de Ravenne. Une attaque de Rome était toujours possible, et ce fut sous le coup de cette crainte que Grégoire prononça ses homélies sur Ezéchiel : il y appliquait au temps où il vivait la situation de Jérusalem et du Temple menacés. Lorsque Agilulf, roi des Lombards, vint assiéger Rome, la confusion régna dans la ville ; on recourut à Grégoire qui dut interrompre ses explications sur Ézéchiel pour inviter le peuple à la pénitence. Agilulf impressionné sans doute par l'idée qu'un pouvoir mystérieux veillait sur la cité, retira ses troupes. Jusqu'à la fin de ses jours, Grégoire dut travailler sans relâche à conclure la paix par son action sur Théodelinde : on put dire que durant tout ce temps, le sort de Rome et de l'Italie fut entre ses mains.

Dans ses relations avec les officiers de l'empire, Grégoire tint à voir les deux autorités distinctes, mais concourant néanmoins au bien commun chacune dans sa sphère. Il ne lui répugnait pas d'appeler à son aide le bras séculier pour la répression du paganisme, de l'hérésie ou du schisme, mais il ne souffrait pas que les évêques intervinssent dans les affaires purement temporelles, sauf en de rares occasions. Personnellement, il observa ces règles générales à l'égard des officiers de l'empire. Il évitait tout choc et toute collision, mais quand il remarquait quelque méfait, il n'hésitait pas à intervenir, soit en protestant auprès des autorités supérieures, soit en faisant appel à l'empereur lui-même. Ainsi on le vit s'adresser à l'impératrice Constantina pour faire cesser un scandaleux état de choses en Sicile, Corse et Sardaigne. Lorsque l'empereur, personne sacrée aux yeux des peuples, dépassait ses droits, Grégoire n'intervenait qu'à toute extrémité, avec beaucoup de ménagements.

Ses ennemis ont vivement attaqué son attitude vis-à-vis de l'usurpateur Phocas, quand celui-ci détrôna et fit mettre à mort l'empereur Maurice. Ainsi le pontife adressa des lettres de félicitations au nouvel empereur et exprima l'intention de se faire représenter à la cour de Constantinople par un apocrisiaire. Mais on a répondu que précisément pour n'avoir pas eu de représentant auprès de Maurice, Grégoire n'avait pas su dans quelles circonstances s'était faite la révolution, et avait été trompé sur les réelles dispositions de Phocas. Tout ce qu'on peut lui reprocher, c'est d'avoir mis trop d'empressement à répondre.


Messe de saint Grégoire le Grand. Heures à l'usage de Paris. XVe.

Les dernières années de notre Saint furent marquées par d'intenses douleurs physiques qui mirent à l'épreuve sa patience et firent de son existence un fardeau presque intolérable. Il s'en exprime ainsi dans une de ses lettres :
" Il y a presque 2 ans que je suis sur un lit, tourmenté par d'affreuses douleurs de goutte ; à peine puis-je me lever les jours de fêtes pour célébrer la messe. Quoique cette douleur soit plus ou moins supportable, jamais elle n'est si petite qu'elle me quitte entièrement, ni si aiguë qu'elle me fasse tout à fait mourir ; ainsi mourant tous les jours, je ne puis cesser de vivre. Je ne m'étonne pas de ce qu'étant si grand pécheur Dieu me tienne si longtemps en prison."

A un autre correspondant, il écrit :
" Je vous prie, ne cessez point de faire oraison pour moi qui suis un pauvre pécheur. La douleur que je souffre dans mon corps, et l'amertume dont mon coeur est rempli, en voyant la désolation et les ravages que causent les barbares, m'affligent extrêmement; au milieu de tant de maux, je ne cherche point une consolalion temporelle. Je ne demande que l'éternelle... par le moyen de vos oraisons."

Il mourut l'an 604, la seconde année du règne de Phocas le 12 mars, jour où l'Eglise célèbre sa fête.

Sa fonction d'évêque de Rome a été ainsi décrite de nos jours :
" Grégoire le Grand parut à l'heure de la plus douloureuse des invasions, après Alaric et Attila, après les Goths, au temps des Lombards, période de terreur où l'extrême barbarie couvrait toute l'Italie jusqu'au détroit de Messine. Quelques épaves de civilisation flottaient encore çà et là sur la péninsule ; Ravenne plus byzantine qu'italienne, Naples qui bientôt s'alliera aux Sarrasins, Rome enfin où ce moine, agenouillé dans sa cellule du Coelius, était la dernière espérance de la chrétienté latine. Ce praticien lettré, très doux et très pur, par sa patience et l'ascendant de sa vertu, sut constituer autour de lui la république chrétienne et la pacifier ; il traitait avec les Byzantins, les Francs, les Goths d'Espagne, convertissait les Anglo-Saxons, évangélisait les Lombards. Il les vit s'incliner sous son bâton pastoral. L'Italie était désormais à l'abri de la contagion païenne ou arienne. A Rome même, Grégoire avait été l'èvêque " oecuménique ", non un chef d'Etat. Dans la mélancolie de ses derniers jours, il parut pressentir que l'Eglise, jetée dans la mêlée du siècle, s'éloignerait bientôt de sa mission primitive, ou plutôt compliquerait cette mission par un inévitable contact avec les intérêts temporels." (E. Gebhardt, La vieille Eglise, p. 64.)


Procession pendant la peste à Rome. H. Le Blanc. XIXe.

CULTE

I. Le corps de Grégoire fut inhumé à Saint-Pierre du Vatican, à côté des saints papes Léon, Simplice, Gélase et Symmaque. On commença à le vénérer aussitôt après sa mort, et l'on trouve son éloge dans Isidore de Séville, Ildefonse, Bède le Vénérable. A la suite du martyrologe hiéronymien, les martyrologes historiques du Moyen Age le mentionnent au 12 mars. On le trouve encore au 26 avril, dans les Églises qui ne célébraient point de fêtes de saints en carême ; au 3 septembre, anniversaire de son ordination ; au 9 décembre; au 26 août pour des anniversaires de translations. Jean Diacre notamment a donné le récit des miracles qui ont attesté sa sainteté.

II. Ses reliques.
Il paraît bien probable que le corps de saint Grégoire est resté à Rome. Au IXe siècle, le pape Grégoire IV (844) le transféra dans un oratoire près de la nouvelle sacristie de Saint-Pierre du Vatican. Au XVe siècle, Pie II le fit placer sous le nouvel autel de la chapelle Saint-André. Le 8 janvier 1606, sous Paul V, les reliques furent placées à leur place quatrième et définitive dans la chapelle Clémentine.
Cependant des traditions parlent d'une translation, au monastère de Saint-Médard de Soissons, du corps de saint Grégoire le Grand, avec celui de saint Sébastien (9 décembre 826). Saint Thomas de Cantorbéry serait venu l'y invoquer, d'après le moine Odilon (Molinier, sources, n. 767.).

Une opinion relative au chef de saint Grégoire placerait le crâne à Sens, depuis 876 ; un autre récit veut que le chef ait été donné par Jean XV à l'évêque de Constance pour le monastère de Saint-Pierre, et que de là ce chef ait été transféré à Prague par l'empereur Charles IV.

HYMNE

" Apôtre des Anglais, maintenant compagnon des Anges, Grégoire, secourez les nations qui ont reçu la foi.

Vous avez méprisé l'opulence des richesses et toute la gloire du monde, pour suivre pauvre le Roi Jésus dans sa pauvreté.

Un malheureux naufragé se présente à vous : c'est un Ange qui, sous ces traits, vous demande l'aumône ; vous lui faites une double offrande, à laquelle vous ajoutez encore un vase d'argent.

Peu après, le Christ vous place à la tête de son Eglise ; imitateur de Pierre, vous montez sur son trône.

Ô Pontife excellent, gloire et lumière de l'Eglise! n'abandonnez pas aux périls ceux que vous avez instruits par tant d'enseignements.

Vos lèvres distillent un miel qui est doux au cœur; votre éloquence surpasse l'odeur des plus délicieux parfums.

Vous dévoilez d'une manière admirable les énigmes mystiques de la sainte Ecriture ; la Vérité elle-même vous révèle les plus hauts mystères.

Vous possédez le rang et la gloire des Apôtres ; dénouez les liens de nos péchés ; restituez-nous au royaume des cieux.

Gloire au Père incréé ; honneur au Fils unique ; Majesté souveraine à un Esprit égal aux deux autres.

Amen."

Rq : On trouvera un grand nombre de ressources écrites sur l’Internet.
Entre autres textes :

- http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/dialogues/index.....
- http://jesusmarie.free.fr/gregoire_le_grand.html.

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lundi, 11 mars 2024

11 mars. Saint Euloge, prêtre, et sainte Lucrèce, vierge, martyrs à Cordoue. 859.

- Saint Euloge, prêtre, et sainte Lucrèce, vierge, martyrs à Cordoue. 859.
 
Pape : Saint Nicolas Ier.

" En principe, on doit obéir à ses parents, à ses maîtres, aux autorités constituées ; mais quand ils commandent des choses contraires à la loi de Dieu, il faut appliquer la maxime de l'Apôtre saint Pierre : " Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes."


Saint Euloge et sainte Lucrèce. Icône mozarabe du Xe.

Euloge signifie qui parle bien. Saint Euloge, le principal ornement de l'Eglise d'Espagne au IXe siècle, appartenait à une des premières familles de Cordoue, alors capitale du royaume des Maures. Euloge entra, dès sa jeunesse, dans la communauté des prêtres de saint Zoïle, où il apprit les sciences avec la piété, et devint très habile, surtout dans la connaissance de l'Ecriture sainte. Il alla ensuite se mettre sous la direction d'un pieux et savant abbé nommé Espère-en-Dieu, qui gouvernait le monastère de Cute-Clar. Puis il enseigna les lettres dans Cordoue et fut élevé au sacerdoce. Il menait une vie sainte et mortifiée, tout en demeurant dans le monde. En 850, les Maures ayant persécuté les chrétiens, notre saint fut jeté en prison.

Il fut bientôt remis en liberté, et, l'archevêque de Tolède étant mort, le peuple et le clergé de cette ville choisirent Euloge pour lui succéder. Mais il plut à Notre-Seigneur de le couronner avant qu'il fût sacré. Il y avait à Cordoue une vierge chrétienne nommé Lucrèce, convertie fort jeune de l'infidélité de Mahomet à la foi de Jésus-Christ, par le moyen d'une de ses parentes. Elle se voyait extrêmement maltraitée par ses parents, qui voulaient la contraindre à apostasier. Elle se réfugia chez saint Euloge, qui la donna à garder à sa soeur Annulon, puis la fit mettre en sûreté chez un ami. Les parents de Lucrèce obtinrent du magistrat le pouvoir d'informer sur cet enlèvement et de saisir tous ceux qui leur seraient suspects. Beaucoup de personnes furent ainsi arrêtées.
 


Cependant la vierge Lucrèce désirait vivement revoir la soeur d'Euloge qu'elle aimait beaucoup. Elle se rendit pendant la nuit à sa demeure, espérant satisfaire le besoin de consolation qu'elle éprouvait. Elle se proposait de passer la journée auprès de sa compagne et puis de regagner sa retraite la nuit suivante. Elle raconta à Euloge et à sa soeur Annulon que deux fois, pendant qu'elle priait, elle avait senti sa bouche remplie d'une liqueur ressemblant à du miel, que, n'osant pas la cracher, elle l'avait avalée, et avait été ravie de la délicieuse saveur qu'elle y avait trouvée. Le saint lui dit que c'était là un présage e la douceur du royaume céleste, dont elle jouirait bientôt.
 
La vierge se disposait à retourner, le lendemain, en sa cachette, mais il arriva que celui qui devait la conduire ne vint point à l'heure fixée pendant la nuit, mais seulement au point du jour. Il n'y avait plus alors moyen de sortir, car Lucrèce ne voyageait que dans les ténèbres pour éviter les embûches des persécuteurs. Elle résolut donc de passer tout le jour en la demeure d'Euloge et de se mettre en route quand le soleil aurait disparu à l'horizon, lorsque la nuit aurait rétabli le calme et la solitude dans les rues de la ville. Cette décision, qui paraissait prise par la prudence humaine, était en même temps effet de la volonté divine : afin que la vierge et Euloge reçussent ensemble la couronne du martyre.
 

Saint Euloge prêchant. Mosaïque mozarabe du XIVe.
 
Ce jour-là même, en effet, par suite de trahison, d'embûches ou peut-être simplement par instinct, je ne sais, on vint révéler au juge le lieu où se trouvait cachée Lucrèce, et soudain la maison fut envahie par les soldats envoyés à la hâte pour y perquisitionner. Le bienheureux se trouvait heureusement chez lui en ce moment. Les satellites s'emparèrent de la vierge ; puis, saisissant Euloge, ils l'accablèrent de coups et d'outrages, et enfin traînèrent leurs deux captifs devant le tribunal. Le juge, bien résolu de profiter de cette occasion pour faire mourir dans les supplices le saint prêtre, lui lança des regards furibonds et lui demanda avec colère et menaces pourquoi il avait ainsi recélé chez lui la vierge Lucrèce.
 

Sainte Lucrèce. Dossi Dosso. XVIe.

Euloge, conservant le calme et la patience, se mit en devoir d'exposer la vérité avec l'élocution brillante qui le distinguait :
" Président, dit-il, c'est un devoir de notre charge, et il est dans la nature même de notre religion, d'offrir à ceux qui nous la demandent la lumière de la foi, et de ne pas refuser lès sacrements à ceux qui veulent marcher dans les sentiers qui mènent à la vie. C'est là le devoir des prêtres, c'est là une obligation que nous impose notre religion : l'ordre de Notre Seigneur Jésus-Christ est formel sur ce point : quiconque, dans sa soif, désire puiser aux fleuves de la foi, doit trouver deux fois plus de boisson qu'il n'en cherche. Or, cette vierge étant venue nous demander la règle de notre sainte foi, il était nécessaire que nous nous occupassions d'elle en proportion de sa ferveur. Il ne convenait pas de repousser celle qui formulait de si saints désirs ; surtout un tel refus venant de celui qui a été choisi par le Christ pour accomplir ces fonctions auprès des fidèles. J'ai donc, selon mon pouvoir, instruit et éclairé cette vierge ; je lui ai exposé notre foi qui ouvre le chemin du royaume céleste. J'aurais rempli avec grand plaisir le même devoir envers toi, si tu m'en avais prié."
Le président, les traits bouleversés par la fureur, ordonna d'apporter les verges et menaça le saint de le faire périr sous les coups. Euloge dit alors :
" Que désires-tu faire avec ces verges ?"
Le juge :
" T'arracher la vie."
Le saint :
" Apprête plutôt et aiguise ton glaive, tu délivreras plus facilement par ce moyen mon âme des liens du corps, et tu la rendras à son Créateur ; car avec tes verges tu ne peux pas espérer de couper nies membres."
Puis, d'une voix claire et assurée, le saint se mit à flageller la fausseté du prophète et de sa loi, et à proclamer la vérité de notre religion.


Martyre de saint Euloge.

Aussitôt on l'entraîna au palais et on le fit comparaître devant les conseillers du roi. En l'apercevant, un des conseillers, qui connaissait intimement le saint, fut touché de compassion et lui cria :
" Que des fous et des idiots se soient précipités d'une façon lamentable dans ce gouffre de la mort, passe encore. Mais toi qui brilles par la sagesse, qui es renommé pour ta vie exemplaire, quelle démence a pu éteindre en toi l'amour naturel de la vie et t'entraîner dans cette chute mortelle ? Ecoute-moi, je t'en prie ; ne te précipite pas, tête baissée, dans cet abîme, je t'en supplie ; dis seulement une parole dans ce moment, et ensuite, dès que tu le, pourras, tu retourneras à ta foi. Nous promettons de ne pas t'inquiéter dans la suite."
Le martyr sourit en entendant cette exhortation :
" Ô mon ami, lui répondit-il, si tu pouvais savoir ! Quels biens sont réservés à ceux qui professent notre religion ! Si je pouvais faire passer en ton coeur la foi dont est rempli le mien ! Tu cesserais alors d'essayer de me détourner de mon dessein, et tu ne songerais qu'à te débarrasser de ces honneurs mondains !"
Euloge se mit alors à lui exposer le texte de l'Evangile éternel, et à lui prêcher le royaume du ciel avec liberté Les conseillers, ne voulant pas l'entendre, ordonnèrent de le décapiter séance tenante.

Pendant qu'on emmenait le saint, un des eunuques du roi lui donna un soufflet. Euloge présenta l'autre joue, en disant :
" Je t'en prie, frappe maintenant cette joue, afin qu'elle ne soit pas jalouse de l'honneur de sa compagne."
 
L'eunuque frappa une seconde fois, et le saint, sans rien perdre de sa patience et de sa douceur, présenta de nouveau la première. Mais les soldats l'arrachèrent et l'entraînèrent vers le lieu du supplice. Arrivé là, Euloge se mit à genoux pour prier, tendit les mains vers le ciel, fit le signe de la croix, et après une courte prière intérieure il tendit le cou au bourreau. Aussitôt un coup rapide lui donna la vie. Euloge consomma son martyre le 5 des ides de mars, un samedi, à l'heure de none.
 

Martyre de saint Euloge. Sainte Lucrèce. José Segrelles. XXe.

Aussitôt que son cadavre eut été précipité du haut d'un rocher dans le fleuve, une colombe éclatante de blancheur fendit les airs à la vue de tous les spectateurs, et vint en voletant se poser sur la dépouille du martyr. On se mit alors à lui jeter des pierres pour la chasser, mais ce fut en vain. On essaya de l'écarter avec les mains, mais elle alla en sautillant, sans se servir de ses ailes, se percher sur une tour qui dominait le fleuve, et se tint là les yeux tournés vers le corps du bienheureux.

Il ne faut pas omettre ici de rapporter le miracle que le Christ opéra sur ce corps pour la gloire de son nom. Un habitant d'Artyge, qui accomplissait son service mensuel dans le palais et était chargé de veiller pendant la nuit, voulut se désaltérer et se rendit à l'aqueduc qui amène en ce lieu les eaux du fleuve. En arrivant, il aperçut autour du cadavre du bienheureux Euloge, qui était là gisant, des prêtres dont les vêtements étaient plus blancs que la neige : ils tenaient à la main des lampes brillantes et récitaient gravement des psaumes comme on fait à l'office divin. Effrayé par cette vision, le garde regagna son gîte à toutes jambes. Il raconta ce qu'il venait de voir à son compagnon et retourna avec lui en ce même endroit ; mais tout avait disparu. Le lendemain de l'exécution, les chrétiens purent racheter la tête du martyr ; son corps fut recueilli trois jours après, et on l'ensevelit dans l'église du bienheureux Zoïle, martyr lui aussi.
 

Cathédrale Notre-Dame & Saint-Vincent de Cordoue.
Les fanatiques musulmans profanèrent à leur arrivée à Cordoue,
au VIIIe siècle, la basilique Saint-Vincent en en faisant une mosquée.
Dès la reconquête de Cordoue, au XIIIe siècle, l'Eglise,
après l'avoir exorcisée, la rendit au vrai culte et en fit
une église cathédrale. dédiée à Notre Dame et à saint Vincent.

Les juges essayèrent de gagner la bienheureuse Lucrèce par toutes sortes de caresses et de promesses ; mais elle se maintint fermement dans la foi et fut décapitée quatre jours après le bienheureux Euloge. On jeta sa dépouille dans le fleuve, mais les eaux ne purent ni la submerger ni la dérober ; et, au grand étonnement de tout le monde, son corps suivit lentement le courant du fleuve. Les chrétiens purent ainsi l'attirer sur la rive et l'ensevelirent dans la basilique du martyr saint Genès, élevée au lieu dit Tercios.
 
Telle fut la fin du bienheureux docteur Euloge ; telle fut sa mort admirable ; ainsi passa-t-il de ce monde en l'autre, chargé de bonnes oeuvres et de mérites.

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dimanche, 10 mars 2024

IVe dimanche de Carême.

- IVe dimanche de Carême.



La Multiplication des pains et des poissons. Ivoire byzantin du VIe.

Ce Dimanche, appelé Laetare, du premier mot de l'Introït de la Messe, est un des plus célèbres de l'année. L'Eglise, en ce jour, suspend les saintes tristesses du Carême ; les chants de la Messe ne parlent que de joie et de consolation ; l'orgue, muet aux trois Dimanches précédents, fait entendre sa voix mélodieuse ; le diacre reprend la dalmatique, le sous-diacre la tunique : et il est permis de remplacer sur les ornements sacrés la couleur violette par la couleur rose. Nous avons vu, dans l'Avent, ces mêmes rites pratiques au troisième Dimanche appelé Gaudete. Le motif de l'Eglise, en exprimant aujourd'hui l'allégresse dans la sainte Liturgie, est de féliciter ses enfants du zèle avec lequel ils ont déjà parcouru la moitié de la sainte carrière, et de stimuler leur ardeur pour en achever le cours. Nous avons parlé, au jeudi précédent, de ce jour central du Carême, jour d'encouragement, mais dont la solennité ecclésiastique devait être transférée au Dimanche suivant, dans la crainte qu'une trop grande liberté ne vint altérer en quelque chose l'esprit du jeune : aujourd'hui rien ne s'oppose a la joie des fidèles. et l'Eglise elle-même les y convie.

La Station, à Rome, est dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem, l'une des sept principales de la ville sainte. Elevée au IVe siècle par Constantin, dans la villa de Sessorius, ce qui l'a fait appeler aussi la basilique Sessorienne, elle fut enrichie des plus précieuses reliques par sainte Hélène, qui voulait en faire comme la Jérusalem de Rome. Elle y fit transporter, dans cette pensée, une grande quantité de terre prise sur le mont du Calvaire, et déposa dans ce sanctuaire, entre autres monuments de la Passion du Sauveur, l'inscription qui était placée au-dessus de sa tête pendant qu'il expirait sur la Croix, et qu'on y vénère encore sous le nom du Titre de la Croix. Le nom de Jérusalem attaché à cette Basilique, nom qui réveille toutes les espérances du chrétien, puisqu'il rappelle la patrie céleste qui est la véritable Jérusalem dont nous sommes encore exilés, a porté dès l'antiquité les souverains Pontifes à la choisir pour la Station d'aujourd'hui. Jusqu'à l'époque du séjour des Papes à Avignon, c'était dans son enceinte qu'était inaugurée la Rose d'or, cérémonie qui s'accomplit de nos jours dans le palais où le Pape fait sa résidence.



La Multiplication des pains et des poissons.
Bible historiale. Pierre Comestor. La Haye. XIVe.

La bénédiction de la Rose d'or est donc encore un des rites particuliers du quatrième Dimanche de Carême : et c'est ce qui lui a fait donner aussi le nom de Dimanche de la Rose. Les idées gracieuses que réveille cette fleur sont en harmonie avec les sentiments que l'Eglise aujourd'hui veut inspirer à ses enfants, auxquels la joyeuse Pàque va bientôt ouvrir un printemps spirituel, dont celui de la nature n'est qu'une faible image : aussi cette institution remonte-t-elle très-haut dans les siècles. Nous la trouvons déjà établie dès le temps de saint Léon IX ; et il nous reste encore un sermon sur la Rose d'or, que le grand Innocent III prononça en ce jour, dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem. Au moyen âge, quand le Pape résidait encore au palais de Latran, après avoir béni la Rose, il partait en cavalcade, la mitre en tête, avec tout le sacré Collège, pour l'Eglise de la Station, tenant cette fleur symbolique à la main. Arrivé à la Basilique, il prononçait un discours sur les mystères que représente la Rose par sa beauté, sa couleur et son parfum. On célébrait ensuite la Messe. Quand elle était terminée, le Pontife revenait dans le même cortège au palais de Latran, toujours en cavalcade, et traversait l'immense plaine qui sépare les deux Basiliques. portant toujours dans sa main la fleur mystérieuse dont l'aspect réjouissait le peuple de Rome. A l'arrivée au seuil du palais, s'il y avait dans le cortège quelque prince, c'était à lui de tenir l'é-trier et d'aider le Pontife à descendre de cheval ; il recevait en récompense de sa filiale courtoisie cette Rose, objet de tant d'honneurs et de tant d'allégresse.

De nos jours, la fonction n'est plus aussi imposante ; mais elle a conservé tous ses rites principaux. Le Pape bénit la Rose d'or dans la Salle des parements, il l'oint du Saint-Chrême, et répand dessus une poudre parfumée, selon le rite usité autrefois ; et quand le moment de la Messe solennelle est arrivé, il entre dans la chapelle du palais, tenant la fleur mystique entre ses mains. Durant le saint Sacrifice, elle est placée sur l'autel et fixée sur un rosier en or disposé pour la recevoir ; enfin, quand la Messe est terminée, on l'apporte au Pontife, qui sort de la chapelle la tenant encore entre ses mains jusqu'à la Salle des parements. Il est d'usage assez ordinaire que cette Rose soit envoyée par le Pape à quelque prince ou à quelque princesse qu'il veut honorer ; d'autres fois, c'est une ville ou une Eglise qui obtiennent cette distinction.



La Multiplication des pains et des poissons.
Email peint. Colin Nouailher. XVIe.

A LA MESSE

Les soixante-dix ans de la captivité seront bientôt écoulés. Encore un peu de temps, et les exilés rentreront dans Jérusalem : telle est la pensée de l'Eglise dans tous les chants de cette Messe. Elle n'ose pas encore faire retentir le divin Alléluia ; mais tous ses cantiques expriment la jubilation, parce que, dans peu de jours, la maison du Seigneur dépouillera le deuil et reprendra toutes ses pompes.

ÉPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. IV.



La très sainte Vierge Marie et son divin Fils.
Francesco Morone. XVe.

" Mes Frères, il est écrit qu'Abraham eut deux tils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre ; mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair ; celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse. Ceci est une allégorie ; car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, établie sur le mont Sinaï, engendre pour la servitude : c'est celle que figure Agar.
En effet, Sinaï est une montagne d'Arabie qui tient à la Jérusalem d'ici-bas, laquelle est esclave avec ses enfants ; au lieu que la Jérusalem d'en haut est libre ; et c'est elle qui est notre mère. Car il est écrit :
" Réjouis-toi, stérile, toi qui n'enfantais pas ; éclate, pousse des cris de joie, toi qui ne devenais pas mère, parce que celle qui était délaissée a maintenant plus de fils que celle qui a un mari."
Nous sommes donc, mes Frères, les enfants de la promesse figurés dans Isaac ; et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l'esprit, ainsi en est-il encore aujourd'hui. Mais que dit l’Ecriture ?
" Chasse la servante et son fils, car le fils de la servante ne sera point héritier avec celui de la femme libre."
Ainsi, mes Frères, nous ne sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre, par la liberté que le Christ nous a octroyée."


Réjouissons-nous donc, enfants de Jérusalem et non plus du Sinaï ! La mère qui nous a enfantés, la sainte Eglise, n'est point esclave, elle est libre ; et c'est pour la liberté qu'elle nous a mis au jour. Israël servait Dieu dans la terreur ; son cœur toujours porté à l'idolâtrie avait besoin d'être sans cesse comprimé par la crainte, et le joug meurtrissait ses épaules. Plus heureux que lui, nous servons par amour ; et pour nous " le joug est doux et le fardeau léger " (Matth. XI, 30.). Nous ne sommes pas citoyens de la terre ; nous ne faisons que la traverser ; notre unique patrie est la Jérusalem d'en haut.



La Virgen de las Cuevas. F. de Zurbaran. XVIIe.

Nous laissons celle d'ici-bas au Poldève qui ne goûte que les choses terrestres, et qui, dans la bassesse de ses espérances, méconnaît le Christ, et s'apprête à le crucifier. Trop longtemps nous avons rampé avec lui sur la terre ; le péché nous tenait captifs ; et plus les chaînes de notre esclavage s'appesantissaient sur nous, plus nous pensions être libres. Le temps favorable est arrivé, les jours de salut sont venus ; et, dociles à la voix de l'Eglise, nous avons eu le bonheur d'entrer dans les sentiments et dans les pratiques de la sainte Quarantaine. Aujourd'hui, le péché nous apparaît comme le plus pesant des jougs, la chair comme un fardeau dangereux, le monde comme un tyran impitoyable ; nous commençons à respirer, et l'attente d'une délivrance prochaine nous inspire de vifs transports. Remercions avec effusion notre libérateur qui nous tire de la servitude d'Agar, qui nous affranchit des terreurs du Sinaï, et, nous substituant à l'ancien peuple, nous ouvre par son sang les portes de la céleste Jérusalem.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. VI.



La Multiplication des pains et des poissons.
Mosaïque. Basilique Saint-Apollinaire. Ravenne. Italie. VIIe.

" En ce temps-là, Jésus s'en alla de l’autre côté de la mer de Galilée, qui est celle de Tibériade, et une grande multitude le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles qu'il faisait sur ceux qui étaient malades. Il monta sur une montagne et il s'y assit avec ses disciples. Or la Pâque, qui est la grande fête des Juifs, était proche. Jésus donc, levant les yeux, et vovant qu'une très grande multitude venait à lui, dit à Philippe :
" Où achèterons-nous des pains pour donner à manger à tout ce monde ?"
Il disait cela pour le tenter : car il savait bien ce qu'il devait faire.
Philippe lui répondit :
" Quand on aurait du pain pour deux cents deniers, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun quelque peu."
Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit :
" Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d'orge et deux poissons ; mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ?"
Jésus dit :
" Faites-les asseoir."
Il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille. Et Jésus prit les pains, et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; et pareillement des deux poissons, autant qu'ils en voulaient.
Après qu'ils furent rassasiés, il dit à ses disciples :
" Recueillez les morceaux qui sont restés, pour qu'ils ne se perdent pas."
Ils les recueillirent donc, et remplirent douze corbeilles des morceaux restés des cinq pains d'orge, après que tous en eurent mangé.
Ces hommes, ayant donc vu le miracle que Jésus avait fait, disaient :
" Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde."
Mais Jésus, sachant qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit et se retira seul sur la montagne."



La Multiplication des pains et des poissons. Ivoire franc du IXe.

Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n'ont plus qu'une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu'il ne l'était à ces pauvres Juifs ? Il nous faut dès aujourd'hui l'appeler à régner sur nous. Nous venons de voir dans l'Epître que c'est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n'est point un tyran, comme le monde et la chair : son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets. A la cour de ce grand roi, servir c'est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre : car la Pâque est la fête de la délivrance, et déjà le crépuscule de ce grand jour paraît à l'horizon. Marchons sans faiblesse vers le terme ; Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre Evangile ; et le Pain qu'il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.

10 mars. Les quarante martyrs de Sébaste, en Arménie. 320.

- Les quarante martyrs de Sébaste, en Arménie. 320.
 
Pape : Saint Sylvestre. Empereurs : Constantin Ier, Licinius.
 
" Celui qui conserve la vie et les biens de ce monde en reniant mon nom et en me refusant l'honneur qui m'est dû, perdra la véritable vie."
St Matth. X, 39.
 

Quarante martyrs de Sébaste.
Plaque d'ivoire scuplté byzantine du VIIIe.

Le père Allard nous rapporte que ces martyrs sont fort célèbres ; ils appartiennent à la persécution de Licinius, laquelle parut un instant devoir rivaliser d'étendue et d'horreur avec les persécutions de Dioclétien et de Maximin. Ce fut principalement dans l'armée que l'on poursuivit les chrétiens. Les quarante soldats connus sous le nom de " quarante martyrs de Sébaste " appartenaient à la légion XII Fulminata, depuis plusieurs siècles cantonnée dans la province d'Arménie. Un de ses officiers, Polyeucte, fut martyrisé sous Dèce. A une époque plus reculée, l'histoire de la légion se confond avec d'antiques souvenirs chrétiens. D'après un apologiste du second siècle, un de ses détachements, composé tout entier de soldats baptisés, suivit Marc-Aurèle dans l'expédition contre les Quades, et par ses prières obtint une pluie miraculeuse qui sauva l'armée. Si cette tradition est fondée, elle dut se transmettre d'âge en âge, et entretenir dans la légion la croyance et le dévouement au christianisme. Indépendamment même de tels souvenirs, d'autres causes purent y favoriser la propagande chrétienne.

Le nombre quadragénaire éclate aujourd'hui sur le Cycle ; quarante nouveaux protecteurs se lèvent sur nous, comme autant d'astres pour nous protéger dans la suinte carrière de la pénitence. Sur la glace meurtrière de l'étang qui fut l'arène de leurs combats, ils se rappelaient, nous disent leurs Actes, les quarante jours que le Sauveur consacra au jeûne ; ils étaient saintement fiers de figurer ce mystère par leur nombre. Comparons leurs épreuves à celles que l'Eglise nous impose. Serons-nous, comme eux, fidèles jusqu'à la fin ? La couronne de persévérance ceindra-t-elle notre front régénéré dans la solennité pascale ? Les quarante martyrs souffrirent, sans se démentir, la rigueur du froid et les tortures auxquelles ils furent ensuite soumis; la crainte d'offenser Dieu, le sentiment de la fidélité qu'ils lui devaient, assurèrent leur constance.

Que de fois nous avons péché, sans pouvoir alléguer en excuse des tentations aussi rigoureuses ! Cependant, le Dieu que nous avons offensé pouvait nous frapper au moment même où nous nous rendions coupables, comme il fit pour ce soldat infidèle qui, renonçant à la couronne, demanda, au prix de l'apostasie, la grâce de réchauffer dans un bain tiède ses membres glacés. Il n'y trouva que la mort et une perte éternelle. Nous avons été épargnés et réservés pour la miséricorde ; rappelons-nous que la justice divine ne s'est dessaisie de ses droits contre nous, que pour les remettre entre nos mains. L'exemple des Saints nous aidera à comprendre ce que c'est que le mal, à quel prix il nous faut l'éviter, et comment nous sommes tenus à le réparer.


L'empereur Licinius ayant ordonné que toute son armée sacrifiât aux dieux, quarante soldats de la Légion fulminante, alors campée à Sébaste, en Arménie, refusèrent de trahir la foi de leur baptême et n'eurent tous qu'une réponse aussi simple que sublime :
" Nous sommes chrétiens !"
Ni la douceur, ni les menaces ne purent les gagner, et, après quelques jours de prison, ils furent conduits au supplice.

On était en plein hiver. Il y avait près de la ville un étang couvert de glace ; le gouverneur donna l'ordre d'y exposer les quarante soldats pendant toute une nuit. Les saints martyrs, joyeux de souffrir pour Jésus-Christ, disaient :
" Il est bien difficile, sans doute, de supporter un froid si aigu ; mais ce sera une chose douce d'aller en Paradis par ce chemin ; le tourment est peu de temps, et la gloire sera éternelle ; cette nuit cruelle nous vaudra une éternité de délices. Seigneur, nous entrons quarante au combat, faites que nous soyons quarante à recevoir la couronne."

Qui pourrait imaginer les tortures endurées par ces hommes héroïques sur leur lit de glace ? La seule pensée en fait frémir. Au milieu de la nuit, un des combattants se laissa vaincre par l'intensité du froid, il abandonna le poste d'honneur et vint se jeter dans le bassin d'eau tiède préparé à dessein ; mais la brusque transition de température le suffoqua ; il expira aussitôt, perdant à la fois la vie de la terre et la vie du Ciel.
 
Fin doublement misérable, qui ne servit qu'à fortifier tous les autres martyrs dans leur inébranlable résolution de souffrir jusqu'à la mort.

En ce moment une brillante lumière inonda la surface glacée; l'un des gardiens, ébloui par cette céleste clarté, leva les yeux et vit des anges descendre du Ciel, tenant à la main des couronnes suspendues au-dessus de la tête des généreux martyrs ; mais la quarantième couronne était sans destination : " Elle sera pour moi ", se dit-il, et quittant ses vêtements, il alla remplacer sur la glace le malheureux apostat, en s'écriant :
" Je suis chrétien !"


Quarante martyrs de Sébaste.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Le lendemain matin, les martyrs respiraient encore ; le gouverneur leur fit briser les jambes et ordonna de les jeter dans un bûcher ardent. Le plus jeune d'entre eux, Mélithon, était encore plein de vie ; mais, aidé des exhortations de son héroïque mère, il résista à toutes les sollicitations des bourreaux, et consomma dans le feu son sacrifice avec ses glorieux compagnons.

A certaines époques, l'armée avait beaucoup à gagner au système des camps permanents, où une légion s'immobilisait pendant une durée presque indéfinie, mêlée à la population civile par les mariages, le commerce et les relations quotidiennes : il en fut vraisemblablement ainsi pour le corps d'armée de la Petite Arménie, voisine et sœur de cette Arménie indépendante où récemment la croix avait conquis tout un peuple et, par la victoire d'un roi chrétien sur le persécuteur Maximin, prélude à celle de Constantin sur Maxence. Mais les motifs qui, dans la légion, enflammaient le zèle des soldats chrétiens accrurent la sévérité et les défiances des officiers de Licinius.


Le père Tillemont montre que les Actes de nos Martyrs, fort circonstanciés, sont dignes de foi lorsqu'ils sont d'accord avec les homélies des Pères qui ont célébré les quarante martyrs ; pour le reste, plusieurs détails ne peuvent être reçus jusqu'à ce qu'on ait de meilleures informations sur le fait principal.
 
Quant aux noms des martyrs, il ne voit pas de raison de douter de la vérité de ces noms, quoique saint Basile et les autres Pères n'aient pas jugé nécessaire de les marquer, et que les pièces dans lesquelles on les trouve ne soient pas fort authentiques. Les traditions populaires altèrent bien les noms propres, mais n'ont pas accoutumé de les inventer, surtout en un si grand nombre.
Les noms des saints martyrs étaient : Candide, Domitien, Dianius, Quirion, Valens, Venerandus, Alexandre, Esicius, Sisinnius, Valerius, Mellitius, Euticius, Ulloctemonius, Babianus, Heraclius, Lysimaque, Claude, Flavien, Jean, Hélius, Sanctinianus, Cadonius, Domninus, Léonce, Cavius, Athanase, Sévérien, Candide, Cyrille, Ethus, Sacerdonius, Eutychius, Acace, Gorgon, Eunochius, Nichalius, Théodore, Théophile et Mélithon.

Leurs corps furent brûlés, et leurs ossements jetés dans une rivière ; mais ils flottèrent sur l'eau et furent recueillis par les fidèles. Les soldats chrétiens des premiers siècles ont souvent illustré leur foi et leur courage dans les supplices, au milieu des persécutions.

Quarante martyrs de Sébaste. D'après une icône byzantine du Xe.
 
PRIERE
 
" Vaillants soldats de Jésus-Christ, qui consacrez par votre nombre mystérieux le temps de la sainte Quarantaine, recevez aujourd'hui nos hommages. Toute l'Eglise de Dieu vénère votre mémoire ; mais votre gloire est plus grande encore dans les cieux. Enrôlés dans la milice du siècle, vous étiez avant tout les soldats du Roi éternel ; vous lui avez garde fidélité, et, en retour, vous avez reçu de sa main la couronne immortelle. Nous aussi nous sommes ses soldats ; et nous marchons à la conquête d'un royaume qui sera le prix de notre courage. Les ennemis sont nombreux et redoutables ; mais comme vous, nous pouvons les vaincre, si, comme vous, nous sommes fidèles à user des armes que le Seigneur nous a mises entre les mains.

La foi en la parole de Dieu, l'espérance en son secours, l'humilité et la prudence assureront notre victoire. Gardez-nous, ô saints athlètes, de tout pacte avec nos ennemis ; car, si nous voulions servir deux maîtres, notre défaite serait certaine. Durant ces quarante jours où nous sommes, il nous faut retremper nos armes, guérir nos blessures, renouveler nos engagements ; venez-nous en aide, guerriers émérites des combats du Seigneur ; veillez, afin que nous ne dégénérions pas de vos exemples. Une couronne aussi nous attend ; plus facile à obtenir que la vôtre, elle pourrait cependant nous échapper, si nous laissions faiblir en nous le sentiment de notre vocation. Plus d'une fois, hélas ! Nous avons semblé renoncer à cette heureuse couronne que nous devons ceindre éternellement ; aujourd'hui nous voulons tout faire pour nous l'assurer. Vous êtes nos frères d'armes ; la gloire de notre commun Maître y est intéressée ; hâtez-vous, Ô saints Martyrs, de venir à notre secours."

Sébaste aujourd'hui. Lieu où nos martyrs recurent leur couronne.


Rq : On lira avec fruits les actes authentiques de nos quarante martyrs au tome II des " Martyrs " de dom H. Leclercq, moine bénédictin de l'abbaye Saint-Michel de Farnborough : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/martyrs/default.htm

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samedi, 09 mars 2024

9 mars. Sainte Françoise Romaine, veuve, religieuse, fondatrice des Oblates du Mont-Olivet. 1440.

- Sainte Françoise Romaine, veuve, religieuse, fondatrice des Oblates du Mont-Olivet. 1440.

Papes : Clément VI, Eugène IV. Empereurs : Venceslas, Frédéric III.

" Pour être née dans l'opulence, une femme du monde n'en est pas moins obligée de suivre les maximes de l'Evangile."
Sainte Françoise Romaine.


Sainte Françoise Romaine reçoit l'Enfant Jésus
des mains de Notre Dame.
Orazio Gentileschi. XVIIe.

La période de trente-six jours ouverte au lendemain de la Purification de Notre-Dame, et qui comprend toutes les fêtes des Saints dont la solennité peut se rencontrer du trois février au dernier terme où descend quelquefois le Mercredi de la Quinquagésime, offre une suite de noms glorieux dont l'ensemble représente tous les degrés de la cour céleste. Les Apôtres ont donné Mathias et la Chaire de Pierre à Antioche ; les Martyrs ont fourni Siméon, Blaise, Valentin, Faustin et Jovite, Perpétue et Félicité, et les quarante héros de Sébaste que nous honorerons demain ; les Pontifes, André Corsini, Cyrille d'Alexandrie et Pierre Damien qui figurent en même temps dans l'auguste sénat des Docteurs, au milieu desquels nous avons salué Thomas d'Aquin ; les Confesseurs nous ont produit Romuald, Jean de Matha, Jean de Dieu, et, du milieu même des pompes mondaines, l'angélique Casimir ; le chœur des Vierges a envoyé Agathe, Dorothée, Apolline, couronnées des roses vermeilles du martyre, et Scholastique, dont la candeur efface celle du lis ; enfin, les saintes Pénitentes offent l'austère Marguerite de Cortone. Aujourd'hui, cette imposante série déjà si nombreuse se complète par l'admirable figure de l'épouse chrétienne, dans la personne de Françoise, la pieuse dame romaine.

Après avoir donné durant quarante ans l'exemple de toutes les vertus dans l'union conjugale qu'elle avait contractée dès l'âge de douze ans, Françoise alla chercher dans la retraite le repos de son cœur éprouvé par de longues tribulations ; mais elle n'avait pas attendu ce moment pour vivre au Seigneur. Durant toute sa vie, des œuvres de la plus haute perfection l'avaient rendue l'objet des complaisances du ciel, en même temps que les douces qualités de son cœur lui assuraient la tendresse et l'admiration de son époux et de ses enfants, des grands dont elle fut le modèle, et des pauvres qu'elle servait avec amour. Pour récompenser cette vie tout angélique, Dieu permit que l'Ange gardien de Françoise se rendît presque constamment visible à elle, en même temps qu'il daigna l'éclairer lui-même par les plus sublimes révélations. Mais ce qui doit particulièrement nous frapper dans cette vie admirable, qui rappelle à tant d'égards les traits de celle des deux grandes saintes Elisabeth de Hongrie et Jeanne-Françoise de Chantal c'est l'austère pénitence que pratiqua constamment l'illustre servante de Dieu. L'innocence de sa vie ne la dispensa pas de ces saintes rigueurs ; et le Seigneur voulut qu'un tel exemple fût donné aux fidèles, afin qu'ils apprissent à ne pas murmurer contre l'obligation de la pénitence qui peut n'être pas aussi sévère en nous qu'elle le fut en sainte Françoise, mais néanmoins doit être réelle, si nous voulons aborder avec confiance le Dieu de justice, qui pardonne facilement à l'âme repentante, mais qui exige la satisfaction.


Sainte Françoise Romaine et son ange gardien.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Sainte Françoise Romaine naquit l'an de grâce 1384. Son père, Paul Bussa, et sa mère, Jacqueline Roffredeschi, étaient l'un et l'autre issus des premières familles de Rome. Elle fit paraître dès le berceau, une grande aversion pour tout ce qui est contraire à la pureté et donna dès les premières années de sa vie d'illustres exemples de vertu, méprisant les divertissements de l'enfance et les attraits du monde et mettant toutes ses joies dans la solitude et dans la prière. Dès l'âge de 12 ans, elle eût bien désiré le cloître afin se servir jusqu'au dernier jour l'Epoux des vierges.

Dans son sens élevé de l'humilité, et malgré ses répugnances, elle obéit à la volonté de ses parents et épousa Laurent de Ponziani, jeune homme riche et de grande naissance. Il y eut peu de mariages aussi heureux, parce qu'il y en a peu d'aussi saints ; l'estime, le respect et l'amour furent mutuels, la paix et l'union inaltérables ; ces époux vécurent ensemble quarante années sans la moindre mésintelligence, sans une ombre de froideur.


Sainte Françoise Romaine guérissant un malade.
Antoniazzo Romano. XVe.

Cependant, à peine sainte Françoise fut-elle entrer dans la condition du mariage, qu'elle tomba dangereusement malade, ce qui fit connaître à son époux le déplaisir qu'elle avait eu à s'engager dans cette voie. Néanmoins sa maladie ne dura pas longtemps, car saint Alexis de Rome, lui apparaissant une nuit, lui rendit en un instant une santé parfaite.

Sa maison fut une véritable école de vertu : elle regardait ses domestiques, non pas comme ses serviteurs et ses servantes, mais comme ses frères en Jésus-Christ, sans néanmoins que cette douceur lui fit relâcher en rien le zèle et la justice, quand il y allait de l'offense de Dieu.


Sainte Françoise Romaine. Statue. Basilique Saint-Pierre. Rome.

Un de ses premiers soins fut d'étudier le naturel de son mari afin d'éviter scrupuleusement tout ce qui aurait pu lui déplaire. Bientôt, Notre Père des cieux fit paraître par une merveille combien cette obéissance lui était agréable. Alors que sainte Françoise récitait l'office de Notre-Dame, elle s'interrompit à quatre reprises au même verset pour satisfaire à ses devoirs d'épouse ; mais, l'affaire faite, retournant à sa dévotion, elle trouva le verset écrit en lettres d'or dans son missel quoiqu'auparavant il ne fût écrit qu'en caractères communs. Quelques temps après, l'Apôtre saint Paul lui apparut dans une extase, et lui dit que c'était son ange gardien qui avait tracé ces lettres afin de lui faire connaître le mérite de son obéissance.

Le sacrement de mariage ayant été établi de Dieu pour peupler le ciel par la naissance des enfants sur la terre, cette fidèle épouse pria Notre Seigneur de lui en pouvoir donner. Elle eut, entre autres, un fils qui, par un heureux présage, eut pour patron saint Jean l'Evangéliste, à la différence de son aîné appelé Jean-Baptiste. Il ne vécut que neuf ans ; mais en ce peu de temps il fit connaître qu'il était né pour le ciel plutôt que pour la terre, car il fut doué du don de prophétie, et prédit à son père qu'il recevrait un coup dangereux en un endroit du corps qu'il lui marqua, et, à un religieux mendiant, qu'il changerait bientôt d'habit : ces prédictions se vérifièrent ; Laurent de Ponziani fut blessé, pour la cause de l'Eglise, en une guerre survenue entre les Romains et les Napolitains, et le religieux fut fait évêque.


Sainte Françoise Romaine et le démon.
Fresque du monastère des Oblates du Mont-Olivet. Rome.

Ce saint enfant fut frappé de la peste lorsqu'elle affligea la ville de Rome, au commencement du XVe siècle. Prévoyant sa mort, il en avertit sa mère et la supplia de lui donner un confesseur, parce qu'il voyait saint Antoine et saint Onuphre, aux quels il portaient une particulière dévotion, s'avancer pour le conduire au ciel. Cet événement arriva le même jour, et il fut enterré dans l'église Sainte-Cécile au-delà du Tibre.

Un an après, notre Sainte, priant dans son oratoire, aperçut son petit Jean tout brillant de lumière , assisté d'un ange encore plus éclatant que lui ; il lui dévoila ainsi l'état de sa gloire dans le ciel. Il était dans le second choeur de la première hiérarchie. L'ange qui l'accompagnait paraissait encore plus beau parce qu'il était dans un degré de gloire plus haut que lui. Il ajouta qu'il venait chercher sa soeur Agnès, alors âgée de cinq ans, pour être placée avec lui parmi les anges. Enfin, en s'en allant, il lui laissa pour gardien, cet archange qui depuis demeura toujours avec elle. Sainte Françoise avoua à son confesseur que, quand elle jetait les yeux sur cet esprit céleste, il lui arrivait la même chose qu'à une personne qui regarde fixement le soleil et ne peut supporter l'éclat de sa lumière.


Sainte Françoise Romaine, protégée par le manteau de Notre Dame
qui assurera la garde de ses oblates.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Le genre de vie austère qu'elle s'était proposé, fuyant avec horreur les spectacles, les festins et les autres divertissements semblables. Son habit était de laine et d'une grand simplicité, et tout ce qui lui restait de temps après les soins domestiques, elle l'employait à la prière et à l'assistance du prochain. Elle s'appliquait avec un grand zèle à retirer les dames romaines des pompes du siècle, et à les détourner des vaines parures.

Le ciel répandait sur elle ces douceurs d'un autre monde, qui sont l'avant-goût des joies divines ; mais il lui réservait une croix, et une croix terrible. Rome ayant été prise par le roi de Naples, Ladislas, Françoise vit sa maison pillée, son mari banni : elle supporta ces revers avec une constance admirable. La tempête l'agitait au dehors ; mais le calme était dans son âme et la sérénité sur son visage. L'orage passa, son mari fut rappelé, ses biens lui furent restitués ; la paix rentra dans sa famille.


Sainte Françoise Romaine secourant les affamés pendant
la famine de 1402 à Rome.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

La vertueuse dame profita de ces malheurs pour persuader à son époux de vivre ensemble dans une parfaite continence. Cet époux sanctifié par les vertus célestes de son épouse qu'il aimait profondément et tendrement, lui accorda tout ce qu'elle voulut. Dès lors, elle ne mangea plus qu'une fois par jour, ne se nourrit que de pain et d'eau, et, au plus, de quelques légumes insipides. Elle s'interdit pour jamais l'usage du linge fin et ne se vêtit plus, dessous ses habits de serge, que d'un âpre cilice et d'une ceinture faite de crin de cheval ; elle portait, en outre, un autre cercle de fer qui lui perçait la peau. Non contente de cet instrument de pénitence, elle y ajoutait, régulièrement, une discipline faîtes de chaînons de fer avec des pointes aigües. La seule obéissance, qu'elle préférait à toutes les autres pénitences, lui fit atténuer parfois ces rigueurs, lorsque son confesseur lu imposait d'y apporter de la modération.

Elle joignait cette austérité à la pratique des oeuvres de miséricordes, en assistant les pauvres qu'elle regardait comme les images de son Sauveur crucifié. Pour le faire avec plus d'efficace et de liberté, elle se joignit à sa belle-soeur, Vannosa, âme très vertueuse : elles allaient ensemble, de porte en porte par les rues de Rome, quêter des aumônes pour les nécessiteux. Dieu agréa si fort cette conduite, quil fit souvent des miracles en leur faveur, multipliant le pain et le vin qu'elles donnaient pour son amour.


Eglise Sainte-Françoise-Romaine. Rome.

Elle se confessait très régulièrement et communiait au moins une fois par semaine ; elle fréquentait beaucoup l'église de Saint-Pierre, au Vatican, celle de Saint-Paul, hors la ville, celle de Notre-Dame d'Ara-Coeli, celle de Sainte-Marie-la-Neuve et celle de Sainte-Marie au-delà du Tibre, toujours en compagnie de sa belle-soeur.

On raconte qu'un jour elles allèrent à l'église Sainte-Cécile faire leurs dévotions : un prêtre, qui n'approuvait pas que des femmes mariées communiassent si souvent, leur donna à l'une et à l'autre des hosties non consacrées ; mais sainte Françoise s'en aperçut en ne ressentant pas la présence de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle s'en ouvrit au père Antoine de Monte-Sabellio, son confesseur, qui vint trouver le prêtre : ce dernier confessa la vérité de la chose, et fit pénitence de sa faute.

Le démon, qui ne constatait qu'à regret la vertu de notre Sainte, résolut de la combattre. Employant tous ses efforts pour la perdre, il se présenta à elle en mille postures épouvantables, avec des gestes ridicules et immodestes. Il l'attaquait souvent durant ses prières, la roulait le visage contre terre, la traînait par les cheveux, la battait et la fouettait cruellement. Une nuit, comme elle prenait un peu de repos après un rude combat, il transporta le corps d'un homme mort dans sa chambre, et la tint sur ce cadavre un long espace de temps : cela lui fit une telle impression, que, depuis cet accident, il lui semblait que cet objet était toujours proche d'elle.


Sainte Françoise Romaine et le démon.
Fresque du monastère des Oblates du Mont-Olivet. Rome.

Il serait impossible de rapporter ici toutes les persécutions que le démon lui a faites, et les victoires qu'elle a remporté sur lui. Elle a triomphé de sa malice, non-seulement quand il l'a employée contre elle, mais encore quand il l'a employée contre les autres : tantôt elle convertissait les femmes abandonnées au vice, tantôt elle les chassait de Rome, ou des autres asiles où elles se retiraient, pour les empêcher de pervertir l'innocence.

Elle obtint par ses prières que son confesseur fût délivré d'un esprit malin qui le poussait à la colère. Elle prévoyait les tentations de plusieurs âmes et les préservait d'y tomber par ses bons avis. Une fois, le démon précipita la pieuse Vannosa, sa belle-soeur, du haut d'une montée en bas, et lui brisa tous le corps ; mais sainte Françoise, par ses prières, la fit rétablir aussitôt en parfaite santé par Notre Père des cieux. Ainsi, le démon demeurait vaincu de tous côtés.

Depuis que sainte Françoise s'était associé à Vannosa, elle ne faisait rien que de concert avec elle. Un jour, Dieu voulut lui montrer, par une merveille, combien leur union lui était agréable : comme elles s'étaient retirées à l'écart d'un côté d'un jardin pour délibérer des moyens de se retirer du monde, des poires extrêmement belles et de bon goût tombèrent à leurs pieds quoique ce fût au printemps. Ces deux saintes femmes portèrent ces fruits à leurs maris, afin de les affermir, par ce prodige, dans la volonté de servir Dieu, et de leur donner une entière liberté de le faire.


Le démon se présentant sous divers masques afin de tromper,
en vain, sainte Françoise Romaine.
Fresque du monastère des Oblates du Mont-Olivet. Rome.

C'est ainsi que l'an 1425, notre Sainte entreprit d'ériger une congrégation de filles et de femmes veuves qui s'adonnassent parfaitement à la piété et la dévotion, la maison des Oblates de la Congrégation du Mont-Olivet, sous la règle de saint Benoît. Elle fut affermie dans ce pieux dessein par plusieurs visions célestes où lui apparurent les Apôtres saint Pierre et saint Paul, saint Benoît et sainte Marie-Madeleine, qui lui prescrivirent des règles pour ses religieuses. Il lui sembla voir un jour que saint Pierre, après l'avoir voilée et bénite solennellement, l'offrait à Notre Dame, pour être reçue sous sa protection et sa sauvegarde spéciale ; ce fut alors qu'étant revenue à elle, elle rédigea par écrit les règles qui furent observées depuis. Les ayant communiquées à son père spirituel, elle les fit approuver par le pape Eugène IV.

Sainte Françoise avait alors quarante-trois ans ; elle en avait passé déjà vingt-huit dans le mariage. dans les douze qu'elle y passa depuis, Dieu fit éclater sa sainteté par plusieurs merveilles et guérisons miraculeuses ; mais son humilité les lui faisait déguiser par l'application des remèdes sur la partie blessée, quoique ces remèdes ne fussent que d'une utilité superflue. Nous disons trop peu de l'assistance que les anges lui rendirent. Nous avons déjà vu qu'outre son ange gardien, Dieu lui en donna un second, qui l'accompagnait visiblement : s'il arrivait que le démon empruntât la figure d'un ange de lumière pour la tromper, ce fidèle gardien ne manquait point de lui découvrir l'artifice de son ennemi, et son âme était incontinent remplie d'une odeur si agréable, qu'elle en était admirablement consolée. Si, lorsqu'elle était en compagnie, il lui échappait une parole ou une action moins nécessaire, ou si elle se laissait emporter à des pensées superflues touchant quelque sujet, cet esprit céleste, témoin continuel de sa vie, se dérobait à ses yeux, et, par son absence, l'obligeait de rentrer en elle-même, et de se reconnaître. De là vient que l'on dépeint cette Sainte ayant à son côté un ange qui lui sert de guide et de gouverneur.


Un démon pousse sainte Françoise Romaine
sur le cadavre d'un homme mort.
Fresque du monastère des Oblates du Mont-Olivet. Rome.

La mort, qui n'épargne personne, lui ayant ôté son mari en 1436, elle régla en peu de temps toutes ses affaires. Elle redit, avec le bienheureux Job, ce qu'elle avait pris coutûme de dire dans les épreuves de sa vie :
" Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur me l'a ôté : que le Nom du Seigneur soit béni."
Abandonnant ses biens aux enfants qu'elle avait encore au monde, elle se rendit au monastère qu'elle avait fondé ; là, se prosternant contre terre, la corde au cou et les yeux baignés de larmes, elle supplia très humblement les filles, dont elle était la mère en Notre Seigneur Jésus-Christ, de la recevoir dans le monastère en qualité de petite servante ; ce qu'elle firent avec toute la joie imaginable. Bientôt après, elles l'élurent pour leur supérieure, nonobstant toutes ses répugnances.

Ces religieuses sont appelées oblates, parce qu'en se consacrant à Dieu elles se servent du mot oblation et non de celui de profession ; au lieu de dire comme tant d'autres " je fais profession ", elles disent " je m'offre " ; elles ne font point de voeux, elles promettent simplement d'obéir à la mère présidente. Elles ont des pensions, héritent de leurs parents et peuvent sortir avec la permission de leur supérieure. Il y avait, dans le couvent qu'elles avaient à Rome plusieurs dame de la première qualité.


Sainte Françoise Romaine vêtue par Notre Dame.
Antonio da Viterbo. XVe.

Voilà donc sainte Françoise absolument mère de la pieuse congrégation qu'elle avait elle-même établie. Elle la porta depuis à une telle perfection, qu'on peut dire qu'elle y a laissé l'idée la plus parfaite de la vie religieuse. Elles étaient d'abord peu commodément logées : c'est pourquoi elles firent acquisition d'une autre maison plus propre et mieux située, au pied du Capitole, où elles se rendirent solennellement après avoir toutes communié ; cette maison fut appelée la Tour du Miroir, à cause d'une tour qui est au même lieu, et qu'on a ornée, sur la surface, de quelques reliefs semblables à des miroirs.


Entrée du monastère des Oblates du Mont-Olivet,
appelé aussi la Tour du Miroir. Rome.

Dieu continua, et même augmenta les faveurs qu'il faisait à notre Sainte, et fit par elle beaucoup de miracles, que l'on peut voir dans la bulle de canonisation. Elle délivra du mal caduc un enfant de cinq ans, en lui mettant la main sur la tête. Par le même moyen, elle en guérit un autre d'une rupture ; elle rendit la santé à plusieurs autres malades par la seule imposition de ses mains. Une femme, nommée Angèle, qui était percluse d'un bras par la violence de la goutte, ayant rencontré la Sainte par le chemin, implora son secours, et reçut d'elle, à l'heure même, une parfaite santé. Elle donna un jour très abondamment à dîner à quinze religieuses avec quelques morceaux de pain, qui eussent à peine pu suffire pour trois, et cependant il en resta encore un plein panier. Une autre fois, quelques religieuses l'ayant suivie pour couper du bois hors de la ville, comme elles souffraient de la soif, Dieu fit pousser dans une vigne autant de grappes de raisins qu'elles étaient de filles avec elles, quoique ce fut au mois de janvier.

Sainte Françoise Romaine étanche la soif de ses religieuses grâce aux
grappes de raisins que Dieu fit pousser au coeur du mois de janvier.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Sainte Françoise Romaine avait une grande dévotion pour le saint Sacrement de l'autel ; en sa présence, elle s'élevait à Dieu avec tant de ferveur, qu'elle demeurait parfois longtemps immobile et toute ravie en esprit. Au temps de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle la méditait avec une si grande tendresse, qu'elle en versait d'abondantes larmes, et éprouvait même réellement des douleurs aigües aux endroits de son corps où Notre Seigneur avait souffert dans le sien, comme le dit expressément la bulle de sa canonisation.

Enfin, Dieu voulut terminer une si sainte vie par une heureuse mort. Jean-Baptiste, son fils aîné, étant tombé dans une maladie très dangereuse, sainte Françoise se crut obligée de lui prodiguer ses soins puisqu'elle ne refusait point le secours de ses prières aux étrangers. Son confesseur lui commanda d'y passer la nuit parce qu'il y avait trop loin pour retourner le soir même au monastère. Mais elle fut elle-même saisie d'une fièvre ardente qui s'augmenta si fort que, n'étant point en état de sortir du domicile de son fils aîné, elle fut obligée de se disposer à la mort par la réception des sacrements.


Agonie de sainte Françoise Romaine
au domicile de son fils Jean-Baptiste.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Dieu lui fit connaître que le septième jour de sa maladie serait le dernier de sa vie, elle en donna avis quatre jour avant, disant :
" Dieu soit béni ! Jeudi au plus tard je passerai de cette vie à une meilleure."
L'événement se vérifia ; en effet, le mercredi suivant, qui était le 9 mars 1440, elle rendit son esprit à Celui qui l'avait créé, avec une tranquillité admirable et sans aucun signe de douleur. Elle était âgée de cinquante-six ans.

Son corps fut exposé à l'église Sainte-Marie-la-Neuve, où il demeura trois jours exposé à la vue de tout le peuple, qui y courait en foule afin d'y admirer les merveilles de Dieu. Il s'exhalait de ce précieux trésor une odeur si agréable, que l'on eût dit que toute l'église était remplie de jasmins, d'œillets et de roses. Plusieurs miracles se firent à son sépulcre par l'attouchement des choses qui lui avaient appartenue, surtout en faveur des personnes affligées de la peste.


Exposition du corps de sainte Françoise Romaine dans
Sainte-Marie-la-Neuve.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Un parfumeur, nommé Jérôme, à l'article de la mort, enfut délivré après avoir touché son habit. Il en alla de même pour une jeune femme nommée Madeleine de Clarelle. Un Turc, endurci au point qu'on n'avait jamais pu touché son esprit ; on put tout de même lui faire dire :
" Françoise, servante de Dieu, souvenez-vous de moi."
Il se convertit.

Toutes ses merveilles pressèrent les souverains Pontifes de procéder à sa canonisation. Eugène IV, Nicolas V et Clément VIII y travaillèrent ; Paul V acheva cette sainte affaire le 29 mai 1608. Innocent X a commandé d'en célébrer la fête avec office double ; ce qui se fait le 9 mars.

La fête de sainte Françoise Romaine est chômée à Rome, comme l'était à Paris celle de saint Roch avant la révolution, c'est-à-dire que sans être d'obligation, elle est l'occasion d'une grande solennité.


Imagerie populaire. Imprimerie Pellerin. Epinal. XIXe.

On représente parfois sainte Françoise poussant un âne devant elle. D'autre fois, on place près d'elle un petit ange, ordinairement vêtu en manière de diacre et rayonnant de lumière. Rappelons que son ange gardien et, ou le second ange que Notre Père des cieux lui avait donné, lui apparaissait presque chaque jour, et que, suivant l'éclat de la lumière qu'il produisait, notre Sainte savait le degré de satisfaction de Dieu sur elle.

On représente aussi sainte Françoise recevant l'enfant Jésus des mains de Notre Dame, qui le lui remit un jour qu'elle venait de visiter l'église Saint-Etienne, pour qu'elle le portât jusqu'à l'église voisine. On la voit encore portant au bras un panier rempli de légumes pour marquer qu'elle se faisait une joie des offices les plus humbles.

VISIONS DE SAINTE FRANCOISE ROMAINE

Sainte Françoise a laissé 93 visions qu'elle a dictée elle-même à son confesseur. Le traité de l'enfer, en particulier, est fort remarquable.

Dans la vision treizième, elle voit la Sainte Vierge dont la tête est ornée de trois Couronnes : celle de sa virginité, celle de son humilité et celle de sa gloire.

Dans la vision quatorzième, elle raconte le ciel : celui-ci est divisé en ciel étoilé, ciel cristallin et ciel empyrée. Le ciel des astres est très lumineux ; le cristallin l'est encore davantage, mais ces lumières ne sont rien en comparaison de celles qui éclairent le ciel empyrée : ce sont les plaies de Jésus qui illuminent ce troisième ciel.


Sainte Françoise Romaine est prise par la main par
Notre Seigneur Jésus-Christ.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Dans la dix-septième vision, Dieu lui montre sa divinité : elle vit comme un grand cercle qui n'avait d'autre soutien que lui-même, et jetait un éclat si vif que la Sainte ne pouvait le regarder en face : elle lut au milieu les paroles suivantes : " Principe sans principe et fin sans fin ". Elle vit ensuite comment se fit la création des anges : ils furent tous créés à la fois, et la puissance de Dieu les laissa tomber comme des flocons de neige que les nuées versent sur les montagnes pendant la saison d'hiver. Ceux qui ont perdu la gloire du ciel à jamais, forment le tiers de l'immense multitude de ces esprits.

Le 13 février 1432, c'est la vingt et unième vision, le chœur des vierges, conduit par sainte Madeleine et sainte Agnès, lui fit entendre le cantique suivant :
" Si quelqu'un désire entrer dans le cœur de Jésus, il doit se dépouiller de toutes choses tant intérieures qu’extérieures ; se mépriser et se juger digne du mépris éternel ; agir en toute simplicité, n'affecter rien qui ne soit conforme à ses sentiments, ne point chercher à paraître meilleur qu'on n'est aux yeux de Dieu ; ne jamais revenir sur ses sacrifices ; se renoncer à soi-même et connaître sa misère au point de ne plus oser lever les yeux pour regarder son Dieu ; se haïr soi-même au point de demander vengeance au Seigneur ; rendre au Très-Haut les dons qu'on en a reçus : mémoire, entendement, volonté ; regarder les louanges comme un supplice et un châtiment ; s'il arrive qu'on vous témoigne de l'aversion, regarder cette peine comme un bain d'eau de rose dans lequel il faut se plonger avec une vraie humilité ; les injures doivent résonner aux oreilles de l'âme qui tend à la perfection comme des sons agréables ; il faut recevoir les injures, les mauvais traitements comme des caresses : ce n'est pas assez, il faut en rendre grâces à Dieu, il faut en remercier ceux de qui on les reçoit ; l'homme parfait doit se faire si petit qu'on ne doit pas plus l'apercevoir qu'un grain de millet jeté au fond d'une rivière profonde."

Il lui fut dit ensuite qu'une seule âme s'était trouvée au monde ornée de toutes les vertus dans un degré suprême : celle de Marie.


Sainte Françoise Romaine recevant la sainte communion.
Fresque de la basilique Notre-Dame-d'Ara-Coeli. Rome.

Dans la quarante-troisième vision, elle tint Jésus sur ses genoux : Il avait la forme d'un petit agneau. Elle vit ensuite un autel magnifiquement orné sur lequel était un agneau portant les stigmates des cinq plaies. Au pied de l'autel étaient un grand nombre de riches chandeliers arrangés dans un bel ordre. Au premier rang, c'était le plus éloigné, il y en avait sept qui signifiaient les vertus principales ; au second rang, il y en avait douze qui signifiaient les douze articles du symbole ; au troisième, il y en avait sept qui signifiaient les sept dons du Saint-Esprit ; au quatrième, il y en avait sept autres qui re-présentaient les sept sacrements de l'Eglise. Cette vision, qui eut lieu un jour de la Toussaint, dura treize heures. Elle vit encore les principaux ordres de saints qui s'avançaient sous leurs étendards. Les patriarches étaient conduits par saint Jean-Baptiste ; les apôtres par saint Pierre et saint Paul ; les évangélistes par saint Jean et saint Marc ; les martyrs par saint Laurent et saint Étienne ; les docteurs par saint Grégoire et saint Jérôme ; les religieux par saint Benoît, saint Bernard, saint Dominique et saint François ; les ermites par saint Paul et saint Antoine ; les vierges par sainte Marie-Madeleine et sainte Agnès ; les veuves par sainte Anne et sainte Sabine ; et les femmes mariées par sainte Cécile.

Le traité de l'enfer est reproduit notamment ici : http://www.vieetpartage.com/laviedessaints/stefcoiserom.htm


Fresque inspirée des visions de l'enfer de sainte Françoise Romaine.
Monastère des Oblates du Mont-Olivet. Rome.
PRIERE

" Ô Françoise , sublime modèle de toutes les vertus, vous avez été la gloire de Rome chrétienne et l'ornement de votre sexe. Que vous avez laissé loin derrière vous les antiques matrones de votre ville natale ! Que votre mémoire bénie l'emporte sur la leur ! Fidèle à tous vos devoirs, vous n'avez puisé qu'au ciel le motif de vos vertus, et vous avez semblé un ange aux yeux des hommes étonnés. L'énergie de votre âme trempée dans l'humilité et la pénitence vous a rendue supérieure à toutes les situations. Pleine d'une tendresse ineffable envers ceux que Dieu même vous avait unis, de calme et de joie intérieure au milieu des épreuves, d'expansion et d'amour envers toute créature, vous montriez Dieu habitant déjà votre âme prédestinée. Non content de vous assurer la vue et la conversation de votre Ange, le Seigneur soulevait souvent en votre faveur le rideau qui nous cache encore les secrets de la vie éternelle. La nature suspendait ses propres lois, en présence de vos nécessités ; elle vous traitait comme si déjà vous eussiez été affranchie des conditions de la vie présente.


Une vision de sainte Françoise Romaine. Nicolas Poussin. XVIIe.

Nous vous glorifions pour ces dons de Dieu, Ô Françoise ! Mais ayez pitié de nous qui sommes si loin encore du droit sentier par lequel vous avez marché. Aidez-nous à devenir chrétiens ; réprimez en nous l'amour du monde et de ses vanités, courbez-nous sous le joug de la pénitence, rappelez-nous à l'humilité, fortifiez-nous dans les tentations. Votre crédit sur le cœur de Dieu vous rendit assez puissante pour produire des raisins sur un cep flétri par les frimas de l'hiver ; obtenez que Notre Seigneur Jésus-Christ, la vraie Vigne, comme il s'appelle lui-même, daigne nous rafraîchir bientôt du vin de son amour exprimé sous le pressoir de la Croix. Offrez-lui pour nous vos mérites, vous qui, comme lui, avez souffert volontairement pour les pécheurs. Priez aussi pour Rome chrétienne qui vous a produite ; faites-y fleurir rattachement à la foi, la sainteté des mœurs et la fidélité à l'Eglise. Veillez sur la grande famille des fidèles ; que vos prières en obtiennent l'accroissement, et renouvellent en elle la ferveur des anciens jours."

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vendredi, 08 mars 2024

8 mars. Saint Jean de Dieu, fondateurs des religieux hospitaliers dits de la Charité. 1550.

- Saint Jean de Dieu, fondateurs des religieux hospitaliers dits de la Charité. 1550.
 
Papes : Alexandre VI, Jules III. Roi d'Espagne : Charles-Quint (Charles Ier en Espagne).

" L'aumône est une fleur dont les fruits se récolte au Ciel."


Statue de saint Jean de Dieu vénérée à l'hôpital
Saint-Jean-de-Dieu de Barcelone. XVIIe.

Le même esprit qui avait inspire Jean de Matha se reposa sur Jean de Dieu, et le porta à se faire le serviteur de ses frères les plus délaissés. Tous deux, dans ce saint temps, se montrent à nous comme les apôtres de la charité fraternelle. Ils nous enseignent, par leurs exemples, que c'est en vain que nous nous flatterions d'aimer Dieu, si la miséricorde envers le prochain ne règne pas dans notre coeur, selon l'oracle du disciple bien-aimé qui nous dit :
" Celui qui aura reçu en partage les biens de ce monde, et qui, voyant son frère dans la nécessité, tiendra pour lui ses entrailles fermées, comment la charité de Dieu demeurerait-elle en lui ?" (I Johan. III, 17.).

Mais, s'il n'est point d'amour de Dieu sans l'amour du prochain, l'amour des hommes, quand il ne se rattache pas à l'amour du Créateur et du Rédempteur, n'est aussi lui-même qu'une déception. La philanthropie, au nom de laquelle un homme prétend s'isoler du Père commun, et ne secourir son semblable qu'au nom de l'humanité, cette prétendue vertu n'est qu'une illusion de l'orgueil, incapable de créer un lien entre les hommes, stérile dans ses résultats. Il n'est qu'un seul lien qui unisse les hommes : c'est Dieu, Dieu qui les a tous produits, et qui veut les réunir à lui. Servir l'humanité pour l'humanité même, c'est en faire un Dieu ; et les résultats ont montré si les ennemis de la charité ont su mieux adoucir les misères auxquelles l'homme est sujet en cette vie, que les humbles disciples de Jésus-Christ qui puisent en lui les motifs et le courage de se vouer à l'assistance de leurs frères.


Le héros que nous honorons aujourd'hui fut appelé Jean de Dieu, parce que le saint nom de Dieu était toujours dans sa bouche. Ses oeuvres sublimes n'eurent pas d'autre mobile que celui de plaire à Dieu, en appliquant à ses frères les effets de cette tendresse que Dieu lui avait inspirée pour eux. Imitons cet exemple ; et le Christ nous assure qu'il réputera fait à lui-même tout ce que nous aurons fait en faveur du dernier de nos semblables.

Le patronage des hôpitaux a été dévolu par l'Eglise à Jean de Dieu, de concert avec Camille de Lellis que nous retrouverons au Temps après la Pentecôte.


Moulage de cire du visage de saint Jean de Dieu d'après nature. XVIe.

Le 8 mars 1495, à Monte-Mayor-El-Nuovo au diocèse d'Evora en Portugal, naissait Jean Ciudad. Il fut élevé dans la foi par ses parents, André et Thérèse Ciudad, qui n'avaient pour seule grande richesse leur piété et leurs vertus.

Jeune encore, notre saint s'enfuya de la maison et commença une vie aventureuse faite hélas de toutes sortes de vices.

Lorsque André, qui l'avait cherché longtemps, revint chez lui, il découvrit son épouse à l'article de la mort. Elle venait d'avoir la visite de l'anbge gardien de notre saint qui l'avait rassuré quant au sort de leur fils en lui signifiant qu'il vivrait de terribles épreuves avant que de devenir un grand saint. Elle demanda à son époux, qui la chérissait et se lamentait d'avoir presque perdu son fils et d'être sur le point de perdre son épouse, d'entrer dans le Tiers-Ordre de Saint-François après sa mort.

Notre saint encore enfant se retrouva un jour affamé et pleurant sur un chemin de Castille non loin de la ville d'Oropeza. Un Mayoral (berger en chef) s'approcha de lui et, après avoir écouter l'histoire de saint Jean de Dieu, le prit à son service.


Saint Jean de Dieu. Détail. Murillo. XVIIe.

Quelques années plus tard, satisfait de son dévouement, il lui fit la proposition d'épouser sa fille. Après une nuit passé en prière devant une image de la Sainte Vierge, saint Jean de Dieu, décida de s'enfuir, se jugeant indigne de cette marque de bienveillance.

Arrivé dans la ville d'Oropeza, il aperçu une troupe de milicien qui vaquait à des exercices militaires, et il s'engagea. La vie militaire qu'il mena fut troublée et dissipée. Il finit même par avoir honte d'être vertueux et s'adonna à toutes sortes de passions et de vices.

Un jour que la troupe se trouvait aux alentours de Fontarabie, à la frontière française, une chute de cheval - qu'il avait volé - lui fit perdre connaissance. A son réveil, il reçu une effusion de grâces qui lui fit ressentir la protection divine et lui permit de regagner la troupe. Il fut bientôt accusé injustement d'avoir dérobé un butin et fut contraint de quiter le service militaire.


Saint Jean de Dieu apportant des soins à un pauvre malade.
Mosaïque anonyme. Résidence de saint Jean de Dieu à Séville. XVIIe.

Ses pas le ramenèrent alors chez le bon mayoral qui le reçut avec force affection malgré son ancienne défection. Saint Jean de Dieu s'en expliqua en présentant à son bienfaiteur, toujours disposé à lui donner sa fille :
" Pourquoi me tentez-vous ainsi par tant de générosité ? Ne comprenez-vous pas que je ne suis point appelé ici-bas à jouir du repos que donne la richesse ? Quelle que soit ma destinée, je sens qu'elle n'est point accomplie. Il y a en moi des pressentiments vagues qui s'agitent et dont je ne me rends pas bien compte. Ô mon cher maître ! Si je suis revenu ici c'est pour vous voir et non pour devenir votre héritier."

Il raconta au mayoral les circonstances qui avaient présidé à son départ du service militaire et ajouta que le roi d'Espagne voulant se croisé contre les Turcs, il voulait y combattre pour la sainte foi lui-même. S'il revenait vivant de ces combats, alors il retournerait à Monte-Mayor-El-Nuovo, embrassé les êtres chers qu'il avait follement abandonnés.

Quelques années plus tard, notre saint rentra enfin pour découvrir que ses parents avaient trépassé.
Résolu d'expier ce qu'il considérait comme un crime - avoir tué ses parents de chagrin -, il passa en Andalousie et s'engagea bientôt au service d'un gentilhomme portugais que le roi Jean III avait banni avec sa famille et faisait conduire sur les côtes africaines à Ceuta.

Saint Jean de Dieu secourant de pauvres malades.

Là-bas, il se multiplia pour subvenir aux besoins de son maître. Dieu avait en effet laissé à Jean Ciudad une solide santé. Il trouvait encore le temps de visiter les prisons afin de faire entendre des paroles consolantes aux prisonniers, et ne manquait jamais à ses devoirs de piété.

Bientôt, le gentilhomme fut à l'extrémité. Il remercia Jean de ses soins constants et dévoués et lui proposa de rejoindre l'Espagne avec le reste de sa famille car le roi venait d'accepter leur retour et leur réintagration dans une partie de leurs biens confisqué à la faveur du bannissement dont ils avait été l'objet.

Jean ne céda point à cette perspective de confort et repassa seul en Espagne. Quelques temps après, notre saint se retrouva à nouveau affamé, quoiqu'il eut trouvé pour subsister l'activité de vendre des images pieuses et des cathéchismes par les routes.


Saint Jean de Dieu. Pedro de Raxis. Grenade. XVIe siècle.

Il croisa un jour un petit enfant miséreux et exténué qu'il prit sur son dos pour le conduire au village le plus proche. Il faisait tellement chaud que Jean s'arrêta à une fontaine et demanda au petit enfant de descendre. Cet enfant n'était autre que Notre Seigneur ! Ceuillant une grenade sur un arbre alentour, Notre Seigneur montra à notre nouveau saint Christophe le fruit ouvert et au milieu duquel se voit une croix et lui dit :
" Jean de Dieu, Grenade sera ta croix !"

Notre saint comprit la volonté du Seigneur et se rendit bien vite à Grenade où il loua une petite boutique depuis laquelle il continua son commerce d'images et de livres pieux.

Le docteur Jean d'Avila, célèbre par sa science et par ses vertus, prêcha un jour de la saint Sébastien et toucha le coeur de saint Jean de Dieu.
Il résolu de supporter toute sorte d'injures comme saint Sébastien et partit dans les rues en criant sans cesse :
" Miséricorde ! Miséricorde !"
Il fut prit pour fou et on l'enferma bientôt dans un hospice où il reçut pendant des semaines plus de cinq mille coups de bâtons.

Bientôt, on se rendit compte qu'il n'était pas fou et, à la faveur du dévouement qu'il montrait pour les pauvres, on lui fit des aumônes conséquentes. Il ne les accepta que pour fonder un hôpital destiné à soulager les misères des pauvres.


Le panier ou capacha du Saint pour le soin des pauvres.
Maison Pisa. Grenade.

Pour procurer des aliments à ses nombreux malades, Jean, une hotte sur le dos et une marmite à chaque bras, parcourait les rues de Grenade en criant :
" Mes frères, pour l'amour de Dieu, faites-vous du bien à vous-mêmes."
Sa sollicitude s'étendait à tous les malheureux qu'il rencontrait ; il se dépouillait de tout pour les couvrir et leur abandonnait tout ce qu'il avait, confiant en la Providence, qui ne lui manqua jamais.

Mais Jean, appelé par la voix populaire Jean de Dieu, ne suffisait pas à son oeuvre ; les disciples affluèrent ; un nouvel Ordre se fondait, qui prit le nom de Frères Hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu, et s'est répandu en l'Europe entière. Peu de Saints ont atteint un pareil esprit de mortification, d'humilité et de mépris de soi-même.

Le bâton de saint Jean de Dieu. Quand on entendait son bruit sur
le pavé, on préparait ses aumônes pour les remettre à notre saint.
Maison Pisa. Grenade.

Un jour, la Mère de Dieu lui apparut, tenant en mains une couronne d'épines, et lui dit :
" Jean, c'est par les épines que tu dois mériter la couronne du Ciel.
- Je ne veux, répondit-il, cueillir d'autres fleurs que les épines de la Croix ; ces épines sont mes roses."

Aux derniers jours de sa vie (il faut absolument lire la notice que les petits bollandistes lui consacrent), une pieuse dame de la famille Pisa, le persuada de prendre une chambre dans sa maison. Il accepta et y mourrut très saintement. Après avoir demandé à tous de sortir de la chambre, il se leva, se mit à genoux, et dit :
" Jésus ! Jésus ! Je recommande mon âme entre vos mains !"
Il embrassa le crucifix et expira ainsi, le samedi 8 mars 1550, peu avant minuit.


Chambre et lit où saint Jean de Dieu passa les dermiers jours
de son pélerinage ici-bas et où il mourut. Maison Pisa. Grenade.

Saint Jean de Dieu est un des patrons des pauvres et des affligés, il l'est aussi des libraires.
Ses reliques sont vénérées dans la basilique Saint-Jean-de-Dieu à Grenade. La maison Pisa, où il mourut, est aujourd'hui un musée dédié à notre grand saint.
PRIERE
 
" Qu'elle est belle, Ô Jean de Dieu ! Votre vie consacrée au soulagement de vos frères ! Qu'elle est grande en vous, la puissance de la charité ! Sorti, comme Vincent de Paul, de la condition la plus obscure, ayant comme lui passé vos premières années dans la garde des troupeaux, la charité qui consume votre cœur arrive à vous faire produire des oeuvres qui dépassent de beaucoup l'influence et les moyens des puissants selon le monde. Votre mémoire est chère à l'Eglise ; elle doit l'être à l'humanité tout entière, puisque vous l'avez servie au nom de Dieu, avec un dévouement personnel dont n'approchèrent jamais ces économistes qui savent disserter, sans doute, mais pour qui le pauvre ne saurait être une chose sacrée, tant qu'ils ne veulent pas voir en lui Dieu lui-même.

Basilique Saint-Jean-de-Dieu à Grenade.

Homme de charité, ouvrez les yeux de ces aveugles, et daignez guérir la société des maux qu'ils lui ont faits. Longtemps on a conspiré pour effacer du pauvre la ressemblance du Christ ; mais c'est le Christ lui-même qui l'a établie et déclarée, cette ressemblance ; il faut que le siècle la reconnaisse, ou il périra sous la vengeance du pauvre qu'il a dégradé. Votre zèle, Ô Jean de Dieu, s'exerça, avec une particulière prédilection, sur les infirmes ; protégez-les contre les odieux attentats d'une laïcisation qui poursuit leurs âmes jusque dans les asiles que leur avait préparés la charité chrétienne. Prenez pitié des nations modernes qui, sous prétexte d'arriver à ce qu'elles appelaient la sécularisation, ont chassé Dieu de leurs mœurs et de leurs institutions : la société, elle aussi, est malade, et ne sent pas encore assez distinctement son mal; assistez-la, éclairez-la, et obtenez pour elle la santé et la vie. Mais comme la société se compose des individus, et qu'elle ne reviendra à Dieu que par le retour personnel des membres qui la composent, réchauffez la sainte charité dans le cœur des chrétiens : afin que, dans ces jours où nous voulons obtenir miséricorde, nous nous efforcions d'être miséricordieux, comme vous l'avez été, à l'exemple de celui qui, étant notre Dieu offensé, s'est donné lui-même pour nous, en qui il a daigné voir ses frères.

Protégez aussi du haut du ciel le précieux institut que vous avez fondé, et auquel vous avez donné votre esprit, afin qu'il s'accroisse et puisse répandre en tous lieux la bonne odeur de cette charité de laquelle il emprunte son beau nom."

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