mercredi, 02 juillet 2025
2 juillet. La Visitation de la Très Sainte Vierge Marie à sainte Elisabeth.
- La Visitation de la Très Sainte Vierge Marie à sainte Elisabeth.
" Si vous aimez Marie, si vous cherchez à lui plaire, imitez sa modestie. Ce n'est pas seulement dans son silence qu'éclate son humilité ; ses paroles à l'archange Gabriel et à sa cousine Elisabeth la proclament d'une manière plus frappante encore."
Saint Bernard. Hom. de Praerogat. B. M. V.
Déjà, dans les jours qui précédèrent la naissance du Sauveur, la visite de Marie à sa cousine Elisabeth a fait l'objet de nos méditations. Mais il convenait de revenir sur une circonstance aussi importante de la vie de Notre-Dame; la simple mémoire de ce mystère, au Vendredi des Quatre-Temps de l'Avent, ne suffisait point à faire ressortir ce qu'il renferme par lui-même d'enseignement profond et de sainte allégresse. En se complétant dans le cours des âges, la sainte Liturgie devait exploiter cette mine précieuse, à l'honneur de la Vierge-mère. L'Ordre de saint François et quelques églises particulières, comme celles du Mans, de Reims et de Paris, avaient déjà pris les devants, lorsqu'Urbain VI, en l'année 1389, institua la solennité du présent jour. Le Pape conseillait le jeûne en la vigile de la fête, et ordonnait qu'elle fût suivie d'une Octave; il accordait à sa célébration les mêmes indulgences qu'Urbain IV avait, dans le siècle précédent, attachées à la fête du Corps du Seigneur. La bulle de promulgation, arrêtée par la mort du Pontife, fut reprise et publiée par Boniface IX qui lui succéda sur le Siège de saint Pierre.
Nous apprenons des Leçons de l'Office primitivement composé pour cette fête, que le but de son institution avait été, dans la pensée d'Urbain, d'obtenir la cessation du schisme qui désolait alors l'Eglise. Exilée de Rome durant soixante-dix ans, la papauté venait d'y rentier à peine ; l'enfer, furieux d'un retour qui contrariait ses plans opposés là comme partout à ceux du Seigneur, s'en était vengé en parvenant à ranger sous deux chefs le troupeau de l'unique bercail. Telle était l'obscurité dont de misérables intrigues avaient su couvrir l'autorité du légitime pasteur, qu'on vit nombre d'églises hésiter de bonne foi et, finalement, préférer la houlette trompeuse du mercenaire. Les ténèbres devaient même s'épaissir encore, et la nuit devenir un moment si profonde, que les ordres de trois papes en présence allaient se croiser sur le monde, sans que le peuple fidèle, frappé de stupeur, parvînt à discerner sûrement la voix du Vicaire du Christ. Jamais situation plus douloureuse n'avait été faite à l'Epouse du Fils de Dieu. Mais Notre-Dame, vers qui s'était tourné le vrai Pontife au début de l'orage, ne fit point défaut à la confiance de l'Eglise.

Il restait à montrer qu'un pareil rapprochement des peuples au sein même de la tempête, était bien l'œuvre de celle que le pilote avait, un demi-siècle auparavant, appelée au secours de la barque de Pierre. On vit les factieux de l'assemblée de Bàle en donner la preuve, trop négligée par des historiens qui ne soupçonnent plus l'importance des grands faits liturgiques dans l'histoire de la chrétienté ; sur le point de se séparer, les derniers tenants du schisme consacrèrent la quarante-troisième session de leur prétendu concile à promulguer, pour ses adhérents, cette même fête de la Visitation en l'établissement de laquelle Urbain VI avait dès l'abord mis son espoir. Malgré la résistance de quelques obstinés, le schisme était vraiment fini dès lors ; l'orage se dissipait : le nom de Marie, invoqué des deux parts, resplendissait comme le signe de la paix sur les nuées (Gen. IX, 12-17.). Ainsi l'arc-en-ciel unit dans sa douce lumière les extrémités opposées de l'horizon. Contemplez-le, dit l'Esprit-Saint, et bénissez celui qui l'a fait ; car il est beau dans sa splendeur ! Il embrasse les cieux dans le circuit de sa gloire (Eccli. XLIII, 12-13.). Si l'on se demande pourquoi Dieu voulut que le mystère de la Visitation, et non un autre, devînt, par cette solennité qui lui fut consacrée, le monument de la paix reconquise : il est facile d'en trouver la raison dans la nature même de ce mystère et les circonstances où il s'accomplit.
C'est là surtout que Marie apparaît, en effet, comme la véritable arche d'alliance : portant en elle, non plus les titres périmés du pacte de servitude conclu au bruit du tonnerre entre Jéhovah et les Juifs ; mais l'Emmanuel, témoignage vivant d'une réconciliation plus vraie, d'une alliance plus sublime entre la terre et les cieux. Par elle, mieux qu'en Adam, tous les hommes seront frères ; car celui qu'elle cache en son sein sera le premier-né de la grande famille des fils de Dieu. A peine conçu, voici que pour lui commence l'œuvre d'universelle propitiation. Levez-vous, ô Seigneur, vous et l'arche d'où votre sainteté découlera sur le monde (Psalm. CXXXI, 8.). De Nazareth aux montagnes de Judée, dans sa marche rapide, elle sera protégée par l'aile des chérubins jaloux de contempler sa gloire. Au milieu des guerriers les plus illustres et des chœurs d'Israël, David conduisit l'arche figurative de la maison d'Abinadab à celle d'Obedédom (II Reg. VI.) ; mieux que lui, Dieu votre Père saura entourer l'arche sacrée du Testament nouveau, lui composant une escorte de l'élite des célestes phalanges.
Heureuse fut la demeure du lévite devenu, pour trois mois, l'hôte du Très-Haut résidant sur le propitiatoire d'or ; plus fortunée sera celle du prêtre Zacharie, qui, durant un même espace de temps, abritera l'éternelle Sagesse nouvellement descendue au sein très pur où vient de se consommer mer l'union qu'ambitionnait son amour ! Par le péché d'origine, l'ennemi de Dieu et des hommes tenait captif, en cette maison bénie, celui qui devait en être l'ornement dans les siècles sans fin ; l'ambassade de l'ange annonçant la naissance de Jean, sa conception miraculeuse, n'avaient point exempté le fils de la stérile du tribut honteux que tous les fils d'Adam doivent solder au prince de la mort, à leur entrée dans la vie. Mais, les habitants d'Azot en firent autrefois l'expérience, Dagon ne saurait tenir debout devant l'arche (I Reg. V.) : Marie paraît, et Satan renversé subit dans l'âme de Jean sa plus belle défaite, qui toutefois ne sera point la dernière ; car l'arche de l'alliance n'arrêtera ses triomphes qu'avec la réconciliation du dernier des élus.
Célébrons cette journée par nos chants d'allégresse ; car toute victoire, pour l'Eglise et ses fils, est en germe dans ce mystère : désormais l'arche sainte préside aux combats du nouvel Israël. Plus de division entre l'homme et Dieu, le chrétien et ses frères ; si l'arche ancienne fut impuissante à empêcher la scission des tribus, le schisme et l'hérésie n'auront licence de tenir tête à Marie durant plus ou moins d'années ou de siècles, que pour mieux enfin faire éclater sa gloire. D'elle sans cesse, comme en ce jour béni, s'échapperont, sous les yeux de l'ennemi confondu, et la joie des petits, et la bénédiction de tous, et la perfection des pontifes (Psalm. CXXXI, 8-9, 14-18.). Au tressaillement de Jean, à la subite exclamation d'Elisabeth, au chant de Zacharie, joignons le tribut de nos voix ; que toute la terre en retentisse. Ainsi jadis était saluée la venue de l'arche au camp des Hébreux ; les Philistins, l'entendant, savaient par là que le secours du Seigneur était descendu ; et, saisis de crainte, ils gémissaient, disant :
" Malheur à nous : il n'y avait pas si grande joie hier ; malheur à nous !" (I Reg. IV, 5-8.).
Oui certes, aujourd'hui avec Jean, le genre humain tressaille et il chante ; oui certes, aujourd'hui à bon droit l'ennemi se lamente : le premier coup du talon de la femme (Gen. III, 11.) frappe aujourd'hui sa tête altière, et Jean délivré est en cela le précurseur de nous tous. Plus heureux que l'ancien, le nouvel Israël est assuré que jamais sa gloire ne lui sera ôtée ; jamais ne sera prise l'arche sainte qui lui fait traverser les flots (Josué, III, IV.) et abat devant lui les forteresses (Ibid. VI.). Combien donc n'est-il pas juste que ce jour, où prend fin la série de défaites commencée en Eden, soit aussi le jour des cantiques nouveaux du nouveau peuple ! Mais à qui d'entonner l'hymne du triomphe, sinon à qui remportela victoire ? Levez-vous donc, levez-vous, Debbora ; levez-vous et chantez le Cantique (Judic. V, 12.). Les forts avaient disparu, jusqu'à ce que s'élevât Marie, la vraie Debbora, jusqu'à ce que parût la Mère en Israël (Ibid. 7.).
" C'est moi, c'est moi, dit-elle en effet, qui chanterai au Seigneur, qui célébrerai le Dieu d'Israël (Ibid. 3.). Selon la parole de mon aïeul David, magnifiez avec moi le Seigneur, et tous ensemble exaltons son saint nom (Psalm. XXXIII, 4.). Mon cœur, comme celui d'Anne, a tressailli en Dieu son Sauveur (I Reg. II, 1.). Car, de même qu'en Judith sa servante, il a accompli en moi sa miséricorde (Judith, XIII, 18.) et fait que ma louange sera dans toutes les bouches jusqu'à l'éternité (Ibid. 23, 31 ; XV, 11.). Il est puissant celui qui a fait en moi de grandes choses (Exod. XV, 2-3, 11.) ; il n'est point de sainteté pareille à la sienne (I Reg. II, 2.). Ainsi que par Esther, il a pour toutes les générations sauvé ceux qui le craignent (Esther, IX, 28.) ; dans la force de son bras (Judith, IX, 11.), il a retourné contre l'impie les projets de son cœur, renversant l'orgueilleux Aman de son siège et relevant les humbles; il a fait passer des riches aux affamés l'abondance (I Reg. II, 4-3.) ; il s'est ressouvenu de son peuple et a eu pitié de son héritage (Esther, X, 12.). Telle était bien la promesse que reçut Abraham, et que nos pères nous ont transmise : il a fait comme il avait dit." (Ibid. XIII, 15 ; XIV, 5.).
Filles de Sion, et vous tous qui gémissiez dans les fers de Satan, l'hymne de la délivrance a donc retenti sur notre terre. A la suite de celle qui porte en son sein le gage de l'alliance, formons des chœurs ; mieux que Marie sœur d'Aaron, et à plus juste titre, elle préside au concert d'Israël (Exod. XV, 20-21.). Ainsi elle chante en ce jour de triomphe, rappelant tous les chants de victoire qui préludèrent dans les siècles de l'attente à son divin Cantique. Mais les victoires passées du peuple élu n'étaient que la figure de celle que remporte, en cette fête de sa manifestation, la glorieuse souveraine qui, mieux que Debbora, Judith ou Esther, a commencé de délivrer son peuple ; en sa bouche, les accents de ses illustres devancières ont passé de l'aspiration enflammée des temps de la prophétie à l'extase sereine qui marque la possession du Dieu longtemps attendu. Une ère nouvelle commence pour les chants sacrés : la louange divine reçoit de-Marie le caractère qu'elle ne perdra plus ici-bas, qu'elle gardera jusque dans l'éternité.
Les considérations qui précèdent nous ont été inspirées par le motif spécial qui porta l'Eglise, au XIVe siècle, à instituer cette fête. En rendant Rome à Pie IX exilé, au 2 juillet de l'année 1849 (Voir au 1er juillet, en la fête du Précieux Sang), Marie a montré de nouveau dans nos temps que cette date était bien pour elle une journée de victoire. Mais le mystère de la glorieuse Visitation est si vaste, que nous ne saurions, eu égard aux limites qui nous sont imposées, songer à épuiser ici tous les enseignements qu'il renferme. Quelques-uns d'eux, au reste, nous ont été donnés dans les jours de l'Avent; d'autres plus récemment, à l'occasion de la fête de saint Jean-Baptiste et de son Octave ; d'autres enfin seront mis en lumière par l'Epître et l'Evangile de la Messe qui va suivre.
HYMNE
" Salut, astre des mers.
Mère de Dieu féconde !
Salut, Ô toujours Vierge,
Porte heureuse du ciel !
Vous qui de Gabriel
Ayez reçu l’Ave,
Fondez-nous dans la paix,
Changeant le nom d’Eva.
Délivrez les captifs,
Eclairez les aveugles,
Chassez loin tous nos maux,
Demandez tous les biens.
Montrez en vous la Mère ;
Vous-même offrez nos vœux
Au Dieu qui, né pour nous,
Voulut naître de vous.
Ô Vierge incomparable,
Vierge douce entre toutes !
Affranchis du péché,
Rendez-nous doux et chastes.
Donnez vie innocente
Et sûr pèlerinage,
Pour qu'un jour soit Jésus
Notre liesse à tous.
Louange à Dieu le Père,
Gloire au Christ souverain ;
Louange au Saint-Esprit ;
Aux trois un seul hommage.
Amen."
V/. " Vous êtes bénie entre toutes les femmes.
R/. Et le fruit de vos entrailles est béni."
SEQUENCE
" Venez, glorieuse souveraine ; Marie, vous-même visitez-nous : illuminez nos âmes malades, donnez-nous de vivre saintement.
Venez, vous qui sauvâtes le monde, enlevez la souillure de nos crimes ; dans cette visite à votre peuple, écartez tout péril de peine.
Venez, reine des nations, éteignez les flammes du péché ; quiconque s'égare, redressez-le , donnez à tous vie innocente.
Venez, visitez les malades ; Marie, fortifiez les courages par la vertu de votre impulsion sainte, bannissez les hésitations.
Venez, étoile, lumière des mers, faites briller le rayon de la paix ; que Jean tressaille devant son Seigneur.
Venez, sceptre des rois, ramenez les foules errantes à l'unité de foi qui est le salut des citoyens des cieux.
Venez, implorez pour nous ardemment les dons de l'Esprit-Saint, afin que nous suivions une ligne plus droite dans les actes de cette vie.
Venez, louons le Fils, louons l'Esprit-Saint, louons le Père, unique Dieu : qu'il nous donne secours.
Amen."
En ce jour où Satan voit pour la première fois reculer son infernale milice devant l'arche sainte, deux combattants de l'armée des élus font cortège à leur Reine. Députés vers Marie par Pierre lui-même en son Octave glorieuse, ils ont dû cet honneur à la foi qui leur fit reconnaître dans le condamné de Néron le chef du peuple de Dieu.
Le prince des Apôtres attendait son martyre au fond de la prison Mamertine, lorsque la miséricorde divine amena près de lui deux soldats romains, ceux-là mêmes dont les noms sont devenus inséparables du sien dans la mémoire de l'Eglise. L'un se nommait Processus, et l'autre Martinien. Ils furent frappés de la dignité de ce vieillard confié à leur garde pour quelques heures, et qui ne devait remonter à la lumière que pour périr sur un gibet. Pierre leur parla de la vie éternelle et du Fils de Dieu qui a aimé les hommes jusqu'à donner son sang pour leur rachat. Processus et Martinien reçurent d'un cœur docile cet enseignement inattendu, ils l'acceptèrent avec une foi simple, et demandèrent la grâce de la régénération. Mais l'eau manquait dans le cachot, et Pierre dut faire appel au pouvoir de commander à la nature que le Rédempteur avait confié à ses Apôtres, en les envoyant dans le monde. A la parole du vieillard, une fontaine jaillit du sol, et les deux soldats furent baptisés dans l'eau miraculeuse. La piété chrétienne vénère encore aujourd'hui cette fontaine, qui ne diminue ni ne déborde jamais. Processus et Martinien ne tardèrent pas à payer de leur vie l'honneur qu'ils avaient reçu d'être initiés à la foi chrétienne par le prince des Apôtres, et ils sont honorés entre les martyrs (" Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles.").
Leur culte remonte aussi haut que celui de Pierre même. A l'âge de la paix, une basilique s'éleva sur leur tombe. Saint Grégoire y prononça, en la solennité anniversaire de leurs combats, la trente-deuxième de ses Homélies sur l'Evangile ; le grand Pape rend témoignage aux miracles qui s'opéraient dans ce lieu sacré, et il célèbre en particulier le pouvoir que les deux saints martyrs ont de protéger leurs dévots clients au jour des justices du Seigneur (In Ev. Hom. XXXII, 7-9.). Plus tard, saint Paschal Ier enrichit de leurs corps la basilique du prince des Apôtres. Ils occupent aujourd'hui la place d'honneur dans le bras gauche de la croix latine formée par l'immense édifice, et donnent leur nom à tout ce côté du transept où le concile du Vatican a tenu ses sessions immortelles ; il convenait que l'auguste assemblée poursuivît ses travaux sous le patronage des deux vaillants soldats, gardiens de Pierre et sa conquête aux jours de sa glorieuse confession. N'oublions point ces illustres protecteurs de l'Eglise. La fête de la Visitation, d'institution plus récente que la leur, ne l'a cependant point amoindrie ; si maintenant leur gloire se perd, pour ainsi dire, en celle de Notre-Dame, leur puissance n'a pu que s'accroître à ce rapprochement avec la douce souveraine de la terre et des deux.
PRIERE
" Quelle est celle-ci, qui s'avance belle comme l'aurore à son lever, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 9.) ? Ô Marie, c'est aujourd'hui que, pour la première fois, votre douce clarté réjouit la terre. Vous portez en vous le Soleil de justice ; et sa lumière naissante frappant le sommet des monts, tandis que la plaine est encore dans la nuit, atteint d'abord le Précurseur illustre dont il est dit qu'entre les fils des femmes il n'est point de plus grand. Bientôt l'astre divin, montant toujours, inondera de ses feux les plus humbles vallées. Mais que de grâce en ces premiers rayons qui s'échappent de la nuée sous laquelle il se cache encore ! Car vous êtes, Ô Marie, la nuée légère, espoir du monde, terreur de l'enfer (III Reg. XVIII, 44 ; Isai. XIX, 1.) ; en sa céleste transparence, contemplant de loin les mystères de ce jour, Elie le père des prophètes et Isaïe leur prince découvrirent tous deux le Seigneur. Ils vous voyaient hâtant votre course au-dessus des montagnes, et ils bénissaient Dieu; car, dit l'Esprit-Saint, lorsque l'hiver a enchaîné les neuves, desséché les vallées, brûlé les montagnes, le remède à tout est dans la hâte de la nuée (Eccli. XLIII, 21-24.).
Hâtez-vous donc, Ô Marie ! Venez à nous tous, et que ce ne soient plus seulement les montagnes qui ressentent les bienfaits de votre sereine influence : abaissez-vous jusqu'aux régions sans gloire où la plus grande partie du genre humain végète, impuissante à s'élever sur les hauteurs ; que jusque dans les abîmes de perversité les plus voisins du gouffre infernal, votre visite fasse pénétrer la lumière du salut. Oh ! puissions-nous, des prisons du péché, de la plaine où s'agite le vulgaire, être entraînés à votre suite ! Ils sont si beaux vos pas dans nos humbles sentiers (Cant. VII, 1.), ils sont si suaves les parfums dont vous enivrez aujourd'hui la terre (Ibid. I, 5.) ! Vous n'étiez point connue, vous-même vous ignoriez, Ô la plus belle des filles d'Adam, jusqu'à cette première sortie qui vous amène vers nos pauvres demeures (Ibid, 7.) et manifeste votre puissance. Le désert, embaumé soudain des senteurs du ciel, acclame au passage, non plus l'arche des figures, mais la litière du vrai Salomon, en ces jours mêmes qui sont les jours des noces sublimes qu'a voulu contracter son amour (Ibid. III, 6-11.). Quoi d'étonnant si d'une course rapide elle franchit les montagnes, portant l'Epoux qui s'élance comme un géant de sommets en sommets (Psalm. XVIII, 6-7.) ?
Vous n'êtes pas, Ô Marie, celle qui nous est montrée dans le divin Cantique hésitante àl'action malgré le céleste appel, inconsidérément éprise du mystique repos au point de le placer ailleurs que dans le bon plaisir absolu du Bien-Aimé. Ce n'est point vous qui, à la voix de l'Epoux, ferez difficulté de reprendre pour lui les vêtements du travail, d'exposer tant qu'il le voudra vos pieds sans tache à la poussière des chemins de ce monde (Cant. V, 2-10.). Bien plutôt : à peine s'est-il donné à vous dans une mesure qui ne sera connue d'aucune autre, que, vous gardant de rester absorbée dans la jouissance égoïste de son amour, vous-même l'invitez à commencer aussitôt le grand œuvre qui l'a fait descendre du ciel en terre :
" Venez, mon bien-aimé, sortons aux champs, levons-nous dès le matin pour voir si la vigne a fleuri, pour hâter l'éclosion des fruits du salut dans les âmes ; c'est là que je veux être à vous." ( Cant. VII, 10-13.).
Et, appuyée sur lui, non moins que lui sur vous-même, sans rien perdre pour cela des délices du ciel, vous traversez notre désert (Ibid. VIII, 5.) ; et la Trinité sainte perçoit, entre cette mère et son fils, des accords inconnus jusque-là pour elle-même ; et les amis de l'Epoux, entendant votre voix si douce (Ibid. 13.), ont, eux aussi, compris son amour et partagé vos joies. Avec lui, avec vous, de siècle en siècle, elles seront nombreuses les âmes qui, douées de l'agilité de la biche et du faon mystérieux, fuiront les vallées et gagneront les montagnes où brûle sans fin le pur parfum des cieux (Ibid. 14.).
Bénissez, Ô Marie, ceux que séduit ainsi la meilleure part. Protégez le saint Ordre qui sefait gloire d'honorer spécialement le mystère de votre Visitation ; fidèle à l'esprit de ses illustres fondateurs, il ne cesse point de justifier son titre, en embaumant l'Eglise de la terre de ces mêmes parfums d'humilité, de douceur, de prière cachée, qui furent pour les anges le principal attrait de ce grand jour, il y a dix-huit siècles. Enfin, ô Notre-Dame, n'oubliez point les rangs pressés de ceux que la grâce suscite, plus nombreux que jamais en nos temps, pour marcher sur vos traces à la recherche miséricordieuse de toutes les misères ; apprenez-leur comment on peut, sans quitter Dieu, se donner au prochain : pour le plus grand honneur de ce Dieu très-haut et le bonheur de l'homme, multipliez ici-bas vos fidèles copies. Que tous enfin, vous ayant suivie en la mesure et la manière voulues par Celui qui divise ses dons à chacun comme il veut (I Cor. XII, 11.), nous nous retrouvions dans la patrie pour chanter d'une seule voix avec vous le Magnificat éternel !"
00:15 Publié dans Notre Dame la très Sainte Vierge Marie | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 01 juillet 2025
1er juillet. Très précieux Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ.
- Fête du Très précieux Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ.
" Ayons donc confiance, Ô mes Frères, nous dit l'Apôtre ; et, par le Sang du Christ, entrons dans le Saint des Saints."
Saint Paul. Heb., X, 19-24.
Jean-Baptiste a montré l'Agneau, Pierre affermi son trône, Paul préparé l'Epouse: œuvre commune, dont l'unité fut la raison qui devait les rapprocher de si près tous trois sur le Cycle. L'alliance étant donc maintenant assurée, tous trois rentrent dans l'ombre ; et seule, sur les sommets où ils l'ont établie, l'Epouse apparaît, tenant en mains la coupe sacrée du festin des noces.
Tel est le secret de la fête de ce jour. Son lever au ciel de la sainte Liturgie, en la saison présente, est plein de mystère. Déjà, et plus solennellement, l'Eglise a révélé aux fils de la nouvelle Alliance le prix du Sang dont ils furent rachetés, sa vertu nourrissante et les honneurs de l'adoration qu'il mérite. Au grand Vendredi, la terre et les cieux contemplèrent tous les crimes noyés dans le fleuve de salut dont les digues éternelles s'étaient enfin rompues, sous l'effort combiné de la violence des hommes et de l'amour du divin Cœur. La fête du Très-Saint-Sacrement nous a vus prosternés devant les autels où se perpétue l'immolation du Calvaire, et l'effusion du Sang précieux devenu le breuvage des humbles et l'objet des hommages des puissants de ce monde. Voici que l'Eglise, cependant, convie de nouveau les chrétiens à célébrer les flots qui s'épanchent de la source sacrée : qu'est-ce à dire, sinon, en effet, que les solennités précédentes n'en ont point sans doute épuisé le mystère ?

La paix faite par ce Sang dans les bas lieux comme sur les hauteurs ; le courant de ses ondes ramenant des abîmes les fils d'Adam purifiés, renouvelés, dans tout l'éclat d'une céleste parure ; la table sainte dressée pour eux sur le rivage, et ce calice dont il est la liqueur enivrante : tous ces apprêts seraient sans but, toutes ces magnificences demeureraient incomprises, si l'homme n'y voyait les avances d'un amour dont les prétentions entendent n'être dépassées par les prétentions d'aucun autre amour. Le Sang de Jésus doit être pour nous à cette heure le Sang du Testament, le gage de l'alliance que Dieu nous propose (Ex. XXIV, 8 ; Heb. IX, 20.), la dot constituée par l'éternelle Sagesse appelant les hommes à cette union divine, dont l'Esprit de sainteté poursuit sans fin la consommation dans nos âmes. Et c'est pourquoi la présente fête, fixée toujours à quelqu'un des Dimanches après la Pentecôte, n'interrompt point l'enseignement qu'ils ont mission de nous donner en ce sens, mais le confirme merveilleusement au contraire.
" Ayons donc confiance, Ô mes Frères, nous dit l'Apôtre ; et, par le Sang du Christ, entrons dans le Saint des Saints. Suivons la route nouvelle dont le secret est devenu nôtre, la route vivante qu'il nous a tracée au travers du voile, c'est-à-dire de sa chair. Approchons d'un cœur vrai, d'une foi pleine, purs en tout, maintenant ferme la profession de notre inébranlable espérance ; car celui qui s'est engagé envers nous est fidèle. Excitons-nous chacun d'exemple à l'accroissement de l'amour (Heb. X, 19-24.). Et que le Dieu de paix qui a ressuscité d'entre les morts notre Seigneur Jésus-Christ, le grand pasteur des brebis dans le Sang de l'Alliance éternelle, vous dispose à tout bien, pour accomplir sa volonté, pour que lui-même fasse en vous selon son bon plaisir par Jésus-Christ, à qui soit gloire dans les siècles des siècles !" (Ibid. XIII, 20-21.).
A LA MESSE
L'Eglise, que les Apôtres ont rassemblée de toutes les nations qui sont sous le ciel, s'avance vers l'autel de l'Epoux qui l'a rachetée de son Sang, et chante dans l'Introït son miséricordieux amour. C'est elle qui est désormais le royaume de Dieu, la dépositaire de la vérité.

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Hébreux. Chap. IX.
" Mes Frères, Jésus-Christ, le Pontife des biens futurs, étant venu à paraître, est entré une fois dans le Sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n'a point été fait de main d'homme, c'est-à-dire qui n'a point été formé par la voie commune et ordinaire. Il est entré, non avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre Sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle ; car si le sang des boucs et des taureaux, et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse, sanctifient ceux qui ont été souillés, et leur donnent une pureté extérieure et charnelle : combien plus le Sang du& Christ, qui par l'Esprit-Saint s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience de ses œuvres mortes, pour nous rendre capables de servir le Dieu vivant ! Et c'est pourquoi il est le médiateur du Testament nouveau, afin que, parla mort qu'il a subie pour racheter les prévarications commises sous le premier Testament, ceux qui y sont appelés reçoivent l'objet de la promesse, l’héritage éternel, en Jésus-Christ notre Seigneur."

" Or, dit saint Ambroise, c'est à la vérité que nous devons tendre. Ici est l'ombre, ici l'image, là-haut la vérité. Dans la Loi c'était l'ombre, l'image se trouve dans l'Evangile, la vérité au ciel. Jadis on sacrifiait un agneau ; maintenant c'est le Christ : mais ici sous les signes des Mystères, tandis qu'au ciel il est sans voiles. Là seulement donc est la pleine perfection à laquelle se doivent arrêter nos pensées, parce que toute perfection est dans la vérité sans image et sans ombre." (Ambr. De Offic. I, 48.).
Là seulement sera le repos. Là, dès ce monde, aspirent les fils de Dieu : sans y atteindre pleinement, ils s'en rapprochent chaque jour ; car là seulement se trouve la paix qui fait les saints.
" Seigneur Dieu, dit à son tour un autre grand Docteur, saint Augustin, donnez-nous cette paix, la paix du repos, la paix du septième jour, du sabbat sans couchant. Car, il est vrai, tout cet ordre de la nature et de la grâce est bien beau pour vos serviteurs, et bien bonnes sont les réalités qu'il recouvre ; mais ses images, ses modes successifs, n'auront qu'un temps, et, leur évolution accomplie, il passera. Les. jours que vous avez remplis de vos créations se composent de matin et de soir, le septième excepté qui n'a pas de déclin, parce que vous l'avez sanctifié dans votre reposa jamais. Or ce repos, quel est-il, sinon celui que vous prenez en nous, quand nous-mêmes reposons en vous dans la paix féconde qui couronne en nous la série de vos grâces ? Repos sacré, plus productif que tout labeur, les parfaits seuls vous connaissent, ceux-là qui ont laissé le travail divin accomplir en eux l'œuvre des six jours." (Aug. Confess. XIII, 35-37 ; de Genesi ad litt. IV, 13-17 ; et alibi passim.).
Ecoutons l'Apôtre s'adressant à tous, dans cette même Epître aux Hébreux que l'Eglise nous fait lire en cette fête :
" Oui, sans doute ; grandes et ineffables sont ces choses. Mais si vous êtes devenus peu capables de les comprendre, c'est par votre fait ; car, depuis le temps, vous devriez y être maîtres. Vous êtes réduits au lait des enfants, quand votre âge réclame la nourriture solide des parfaits. Quant à nous, dans nos instructions, faisant trêve aux discours qui n'ont pour but que d'inoculer les premiers éléments du Christ, nous devons nous porter plus avant, sans revenir sans cesse à poser le fondement, qui consiste à se dégager des œuvres mortes et à ouvrir sur Dieu les yeux de la foi. N'avez-vous pas été illuminés ? N'avez-vous pas goûté le don céleste ? N'avez-vous pas été faits participants de l'Esprit-Saint ? Quelle pluie de grâces, à tous moments, sur la terre de vos âmes ! Il est temps qu'elle rapporte en conséquence à Dieu qui la cultive. Assez tardé ; soyez de ceux qui par la patience et la foi hériteront des promesses, jetant votre espérance, comme une ancre assurée, au delà du voile, aux plus intimes profondeurs, où Jésus n'est entré devant nous que pour nous attirer à sa suite." (Aug. Homil. diei, ex Tract, CXX in Johan.).
La Flagellation et le Couronnement d'épines.
Maître de Cappenberg. XVIe.
EVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. XIX.
" En ce temps-là, Jésus ayant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé. Et baissant la tête, il rendit l'esprit. Or ce jour-là étant celui de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix durant le Sabbat (car ce Sabbat était un jour très solennel), les Juifs prièrent Pilate qu'on leur rompit les jambes, et qu'on les enlevât. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui. Etant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. Et celui qui le vit en rend témoignage, et son témoignage est vrai."

Et toi, Ô âme, rebelle longtemps aux touches secrètes des grâces de choix, ne te désole point ; ne dis pas :
" L'amour n'est plus pour moi !"
Si loin qu'ait pu t'égarer l'antique ennemi par ses ruses funestes, n'est-il pas vrai qu'il n'est point de détour, point d'abîme peut-être, hélas ! Où ne t'aient suivie les ruisseaux partis de la source sacrée ? Crois-tu donc que le long trajet qu'il t'a plu d'imposer à leur poursuite miséricordieuse, en ait épuisé la vertu ? Fais-en l'épreuve. Et tout d'abord, baigne-toi dans ces ondes purifiantes ; puis, abreuve à longs traits au fleuve de vie cette pauvre âme fatiguée; enfin, t'armant de foi, remonte le cours du fleuve divin. Car s'il est sûr que, pour arriver jusqu'à toi, il ne s'est point séparé de son point de départ, il est également assuré que, ce faisant, tu retrouveras la source elle-même.

" Nous donc aimons Dieu, puisqu'il nous a aimés lui-même le premier." (I Johan. IV, 19.).
L'Eglise, présentant les dons pour le Sacrifice, rappelle en ses chants que le calice offert par elle à la bénédiction des prêtres ses fils devient, par la vertu dès paroles sacrées, l'intarissable réservoir d'où s'épanche sur le monde le Sang du Seigneur.
Si cette fête doit passer comme toute fête ici-bas, son objet reste et fait le trésor du monde. Qu'elle soit pour chacun de nous, comme elle l'est pour l'Eglise, un monument des plus sublimes faveurs du ciel. Puisse chaque année, en ramenant son passage sur le Cycle, trouver en nos cœurs de nouveaux fruits d'amour éclos sous la rosée féconde du Précieux Sang.
" Que par les chemins résonnent des accents de tète ; que la joie brille au front des habitants de la cité ; portant des torches enflammées, que s'avancent dans un ordre harmonieux enfants et vieillards.
Mourant sur la dure couche de l'arbre du salut, de plaies sans nombre le Christ a répandu son Sang ; cette fête en garde le souvenir ; sachons au moins, en hommage, y mêler nos larmes.
L'ancien Adam, par son crime, avait perdu le genre humain ; l'Adam nouveau, par son innocence et par son amour, a rendu la vie à tous.
Le Père souverain a entendu des cieux le cri puissant de son Fils expirant ; ce Sang l'apaise, et nous mérite grâce.
Quiconque lave sa robe en ce Sang, n'a plus aucune tache ; l'éclat empourpré qu'il y puise le rend soudain semblable aux Anges et agréable au Roi.
Désormais qu'aucune inconstance ne nous fasse quitter la voie droite ; atteignons le terme suprême : lieu qui nous aide dans la course, récompensera noblement nos efforts.
Père très puissant, soyez-nous propice : achetés du Sang de votre Fils unique, créés à nouveau dans l'Esprit pacificateur, conduisez-nous jusqu'aux sommets des cieux.
Amen."
V/. " Daignez donc secourir vos serviteurs,
R/. Que vous avez rachetés de votre précieux Sang."

" Le Créateur, dans sa juste colère, a sous les eaux vengeresses englouti l'univers coupable, Noé seul étant sauvé dans l'arche ; puis la merveilleuse violence de l'amour a lavé dans le Sang l'univers.
Imbibée d'une telle pluie de salut, l'heureuse terre, qui n'abondait qu'en épines, a produit des fleurs ; et l'absinthe a pris le goût du nectar.
Soudain le serpent cruel a perdu son poison funeste, et des bêtes féroces est tombée la fureur : du doux Agneau blessé telle fut la victoire.
Ô de la science souveraine profondeur insondable ! Ô suavité jamais assez louée d'un cœur rempli d'amour ! L'esclave était digne de mort, le Roi subit la peine dans sa bonté.
Quand par des fautes nous provoquons la colère du Juge, alors mettons-nous sous l'abri de ce Sang toujours prêt à plaider pour nous : l'armée des maux suspendus sur nos têtes alors se dissipera.
Racheté par vous, plein de vos dons, que l'univers vous loue en sa reconnaissance, Ô guide de l'éternel salut, divin auteur de la grâce, qui possédez avec le Père et l'Esprit les royaumes bienheureux.
Amen."
LITANIES DU PRECIEUX SANG DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST
" Seigneur, ayez pitié de nous. Seigneur, ayez pitié de nous.
O Christ, ayez pitié de nous. O Christ, ayez pitié de nous.
Seigneur, ayez pitié de nous. Seigneur, ayez pitié de nous.
Père céleste qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Fils, Rédempteur du monde, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Esprit Saint qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Trinité Sainte qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.
Sang du Christ, fils unique du Père Eternel, Sauvez-nous
Sang du Christ, Verbe incarné, Sauvez-nous
Sang du Christ,Nouveau et Ancien Testament, Sauvez-nous
Sang du Christ, répandu sur la terre pendant son agonie, Sauvez-nous
Sang du Christ, versé dans la flagellation, Sauvez-nous
Sang du Christ, émanant de la couronne d'épines, Sauvez-nous
Sang du Christ,répandu sur la Croix, Sauvez-nous
Sang du Christ, prix de notre salut, Sauvez-nous
Sang du Christ, sans lequel il ne peut y avoir de rémission, Sauvez-nous
Sang du Christ, nourriture eucharistisque et purification des âmes, Sauvez-nous
Sang du Christ, fleuve de miséricorde, Sauvez-nous
Sang du Christ, victoire sur les démons, Sauvez-nous
Sang du Christ, force des martyrs, Sauvez-nous
Sang du Christ, vertu des confesseurs, Sauvez-nous
Sang du Christ, source de virginité, Sauvez-nous
Sang du Christ, soutien de ceux qui sont dans le danger, Sauvez-nous
Sang du Christ, soulagement de ceux qui peinent, Sauvez-nous
Sang du Christ, espoir des pénitents, Sauvez-nous
Sang du Christ, secours des mourants, Sauvez-nous
Sang du Christ, paix et douceur des coeurs, Sauvez-nous
Sang du Christ, gage de vie éternelle, Sauvez-nous
Sang du Christ, qui délivre les âmes du Purgatoire, Sauvez-nous
Sang du Christ, digne de tout honneur et de toute gloire, Sauvez-nous
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous, Jésus.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous, Jésus.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous, Jésus.
V- Vous nous avez rachetés, Seigneur par votre Sang..
R- Et vous avez fait de nous le royaume de Dieu.
Prions : Dieu éternel et tout-puissant qui avez constitué votre fils unique, Rédempteur du monde, et avez voulu être apaisé par son sang, faîtes, nous vous en prions, que, vénérant le prix de notre salut et étant par lui protégés sur la terre contre les maux de cette vie, nous recueillions la récompense éternelle dans le Ciel. Par le même Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi-soit-il."
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lundi, 30 juin 2025
30 juin. Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.
- Saint Paul, l'Apôtre des Gentils, martyr. 66.
Papes : Saint Pierre ; saint Lin (successeur). Empereur romain : Néron.
" Ô Paul ! Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce."
Saint Pierre Damien.

Sebastiano Torriggiani. Basilique Saint-Pierre. Rome. XVIe.
Les Grecs unissent aujourd'hui dans une même solennité la mémoire des illustres saints, les douze Apôtres, dignes de toute louange (Menées, 3o juin.). Rome, tout absorbée hier par le triomphe que le Vicaire de l'Homme-Dieu remportait dans ses murs, voit le successeur de Pierre et sa noble cour aller porter au Docteur des nations, couché d'hier, lui aussi, en sa tombe glorieuse, l'hommage reconnaissant de la Ville et du monde. Suivons par la pensée le peuple romain qui , plus heureux que nous, accompagne le Pontife et fait retentir de ses chants de victoire la splendide Basilique de la voie d'Ostie.
Au vingt-cinq janvier, nous vîmes l'Enfant-Dieu, par le concours d'Etienne le protomartyr, amener à sa crèche, terrassé et dompté, le loup de Benjamin (Gen. XLIX, 27.) qui, dans la matinée de sa jeunesse fougueuse, avait rempli de larmes et de sang l'Eglise de Dieu. Le soir était venu, comme l'avait vu Jacob, où Saul le persécuteur allait plus que tous ses devanciers dans le Christ accroître le bercail, et nourrir le troupeau de l'aliment de sa céleste doctrine (de nouveau, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter les traits qui suivent à dom Prosper Guéranger, en son ouvrage : " Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles.").
Par un privilège qui n'a pas eu de semblable, le Sauveur déjà assis à la droite du Père dans les cieux, daigna instruire directement ce néophyte, afin qu'il fût un jour compté au nombre de ses Apôtres. Mais les voies de Dieu n'étant jamais opposées entre elles, cette création d'un nouvel Apôtre ne pouvait contredire la constitution divinement donnée à l'Eglise chrétienne par le Fils de Dieu. Paul, au sortir des contemplations sublimes durant lesquelles le dogme chrétien était versé dans son âme, dut se rendre à Jérusalem, afin de " voir Pierre ", comme il le raconta lui-même à ses disciples de Galatie. Il dut, selon l'expression de Bossuet, " conférer son propre Evangile avec celui du prince des Apôtres " (Sermon sur l'unité.).

La conversion de saint Paul sur le chemin de Damas.
Le Caravage. XVIe.
Agréé dès lors pour coopérateur à la prédication de l'Evangile, nous le soyons, au livre des Actes, associé à Barnabé, se présenter avec celui-ci dans Antioche après la conversion de Cornélius, et l'ouverture de l'Eglise aux gentils par la déclaration de Pierre. Il passe dans cette ville une année entière signalée par une abondante moisson. Après la prison de Pierre à Jérusalem et son départ pour Rome, un avertissement d'en haut manifeste aux ministres des choses saintes qui présidaient à l'Eglise d'Antioche, que le moment est venu d'imposer les mains aux deux missionnaires, et on leur confère le caractère sacré de l'ordination.
A partir de ce moment, Paul grandit de toute la hauteur d'un Apôtre, et l'on sent que la mission pour laquelle il avait été préparé est enfin ouverte. Tout aussitôt, dans le récit de saint Luc, Barnabé s'efface et n'a plus qu'une destination secondaire. Le nouvel Apôtre a ses disciples à lui, et il entreprend, comme chef désormais, une longue suite de pérégrinations marquées par autant de conquêtes. Son premier pas est en Chypre, et c'est là qu'il vient sceller avec l'ancienne Rome une alliance qui est comme la sœur de celle que Pierre avait contractée à Césarée. En l'année 43, où Paul aborda en Chypre, l'île avait pour proconsul Sergius Paulus, recommandable par ses aïeux, mais plus digne d'estime encore pour la sagesse de son gouvernement. Il désira entendre Paul et Barnabé. Un miracle de Paul, opéré sous ses yeux, le convainquit de la vérité de l'enseignement des deux Apôtres, et l'Eglise chrétienne compta, ce jour-là, dans son sein un héritier nouveau du nom et de la gloire des plus illustres familles romaines. Un échange touchant eut lieu à ce moment. Le patricien romain était affranchi du joug de la gentilité par le Juif, et en retour, le Juif, qu'on appelait Saul jusqu'alors, reçut et adopta désormais le nom Paul, comme un trophée digne de l'Apôtre des gentils.
De Chypre, Paul se rend successivement en Cilicie, dans la Pamphylie, dans la Pisidie, dans la Lycaonie. Partout il évangélise, et partout il fonde des chrétientés. Il revient ensuite à Antioche, en l'année 47, et il trouve l'Eglise de cette ville dans l'agitation. Un parti de Juifs sortis des rangs du pharisaïsme consentait à l'admission des gentils dans l'Eglise, mais seulement à la condition qu'ils seraient assujettis aux pratiques mosaïques, c'est-à-dire à la circoncision, à la distinction des viandes, etc. Les chrétiens sortis de la gentilité répugnaient à cette servitude à laquelle Pierre ne les avait pas astreints, et la controverse devint si vive que Paul jugea nécessaire d'entreprendre le voyage de Jérusalem, où Pierre fugitif de Rome venait d'arriver. Il partit donc avec Barnabé, apportant la question à résoudre aux représentants de la loi nouvelle réunis dans la ville de David.
Diego Velázquez. XVIIe.
Outre Jacques qui résidait habituellement à Jérusalem comme évêque, Pierre, ainsi que nous l'avons dit, et Jean, y représentèrent en cette circonstance tout le collège apostolique. Un décret fut formulé où toute exigence à l'égard des gentils relativement aux rites judaïques était interdite, et cette disposition était prise au nom et sous l'influence de l'Esprit-Saint. Ce fut dans cette réunion de Jérusalem que Paul fut accueilli par les trois grands Apôtres comme devant exercer spécialement l'apostolat des gentils. Il reçut de la part de ceux qu'il appelle les colonnes, une confirmation de cet apostolat surajouté à celui des douze. Par ce ministère extraordinaire qui surgissait en faveur de ceux qui avaient été appelés les derniers, le christianisme affirmait définitivement son indépendance à l'égard du judaïsme, et la gentilité allait se précipiter en foule dans l'Eglise.
Paul reprit le cours de ses excursions apostoliques à travers les provinces qu'il avait déjà évangélisées, afin d'y confirmer les Eglises. De là, traversant la Phrygie, il vit la Macédoine, s'arrêta un moment à Athènes, d'où il se rendit à Corinthe, où il séjourna un an et demi. A son départ, il laissait dans cette ville une Eglise florissante, non sans avoir excité contre lui la fureur des Juifs. De Corinthe, Paul se rendit à Ephèse, qui le retint plus de deux ans. Il y obtint un tel succès auprès des gentils, que le culte de Diane en éprouva un affaiblissement sensible. Une émeute violente s'ensuivit, et Paul jugea que le moment était venu de sortir d'Ephèse. Durant son séjour dans cette ville, il avait révélé à ses disciples la pensée qui l'occupait déjà depuis longtemps :
" Il faut, leur dit-il, que je voie Rome."
La capitale de la gentilité appelait l'Apôtre des gentils.
L'accroissement rapide du christianisme dans la capitale de l'Empire avait mis en présence, d'une manière plus frappante qu'ailleurs, les deux éléments hétérogènes dont l'Eglise d'alors était formée. L'unité d'une même foi réunissait dans le même bercail les anciens juifs et les anciens païens. Il s'en rencontra quelques-uns dans chacune de ces deux races qui, oubliant trop promptement la gratuité de leur commune vocation, se laissèrent aller au mépris de leurs frères, les réputant moins dignes qu'eux-mêmes du baptême qui les avait tous faits égaux dans le Christ. Certains Juifs dédaignaient les Gentils, se rappelant le polythéisme qui avait souillé leur vie passée de tous les vices qu'il entraînait à sa suite. Certains Gentils méprisaient les Juifs, comme issus d'un peuple ingrat et aveugle, qui, abusant des secours que Dieu lui avait prodigués, n'avait su que crucifier le Messie.
Flagellation de saint Paul et de saint Silas.
En l'année 53, Paul, qui fut à même de connaître ces débats, profita d'un second séjour à Corinthe pour écrire aux fidèles de l'Eglise romaine la célèbre Epître dans laquelle il s'attache à établir la gratuité du don de la foi, Juifs et Gentils étant indignes de l'adoption divine et n'ayant été appelés que par une pure miséricorde ; Juifs et Gentils, oubliant leur passé, n'avaient qu'à s'embrasser dans la fraternité d'une même foi, et à témoigner leur reconnaissance à Dieu qui les avait prévenus par sa grâce les uns et les autres. Sa qualité d'Apôtre reconnu donnait à Paul le droit d'intervenir en cette manière, au sein même d'une chrétienté qu'il n'avait pas fondée.
En attendant qu'il pût contempler de ses yeux l'Eglise reine que Pierre avait établie sur les sept collines, l'Apôtre voulut accomplir encore une fois le pèlerinage de la cité de David. Mais la rage des Juifs de Jérusalem se déchaîna à cette occasion jusqu'au dernier excès. Leur orgueil en voulait surtout à cet ancien disciple de Gamaliel, à ce complice du meurtre d'Etienne, qui maintenant conviait les Gentils à s'unir aux fils d'Abraham sous la loi de Jésus de Nazareth. Le tribun Lysias l'arracha des mains de ces acharnés qui allaient le mettre en pièces. La nuit suivante, le Christ apparut à Paul et lui dit :
" Sois ferme ; car il te faudra rendre de moi à Rome le même témoignage que tu me rends en ce moment à Jérusalem."
Ce ne fut pourtant qu'après une captivité de plus de deux années que Paul, en ayant appelé à l'empereur, aborda l'Italie au commencement de l'année 56. Enfin l'Apôtre des Gentils fit son entrée dans Rome. L'appareil d'un triomphateur ne l'entourait pas : c'était un humble prisonnier juif que l'on conduisait au dépôt où s'entassaient les prévenus qui avaient appelé à César. Mais Paul était ce Juif qui avait eu le Christ lui-même pour conquérant sur le chemin de Damas. Il n'était plus Saul le Benjamite ; il se présentait sous le nom romain de Paul, et ce nom n'était pas un larcin chez celui qui, après Pierre, devait être la seconde gloire de Rome et le second gage de son immortalité. Il n'apportait pas avec lui, comme Pierre, la primauté que le Christ n'avait confiée qu'à un seul ; mais il venait rattacher au centre même de l'évangélisation des gentils, la délégation divine qu'il avait reçue en leur faveur, comme un affluent verse ses eaux dans le cours du fleuve qui les confond avec les siennes et les entraîne à l'océan Paul ne devait pas avoir de successeur dans sa mission extraordinaire ; mais l'élément qu'il venait déposer dans l'Eglise mère et maîtresse représentait une telle valeur que, dans tous les siècles, on entendra les pontifes romains, héritiers du pouvoir monarchique de Pierre, faire appel encore à un autre souvenir, et commander au nom des " bienheureux Apôtres Pierre et Paul ".
Saint Paul rend aveugle le faux prophète Barjesu
Au lieu d'attendre en prison le jour où sa cause serait appelée, Paul eut la liberté de se choisir un logement dans la ville, obligé seulement d'avoir jour et nuit la compagnie d'un soldat représentant la force publique, et auquel, selon l'usage en pareil cas, il était lié par une chaîne qui l'empêchait de fuir, mais laissait libres tous ses mouvements. L'Apôtre continuait ainsi de pouvoir annoncer la parole de Dieu. Vers la fin de l'année 57, on accorda enfin à Paul l'audience à laquelle lui donnait droit l'appel qu'il avait interjeté à César. Il comparut au prétoire, et le succès de son plaidoyer amena l'acquittement.
Paul, devenu libre, voulut revoir l'Orient. Il visita de nouveau Ephèse, où il établit évoque son disciple Timothée. Il évangélisa la Crète, où il laissa Tite pour pasteur. Mais il ne quittait pas pour toujours cette Eglise romaine qu'il avait illustrée par son séjour, accrue et fortifiée par sa prédication ; il devait revenir pour l'illuminer des derniers rayons de son apostolat, et l'empourprer de son sang glorieux.
L'Apôtre avait achevé ses courses évangéliques dans l'Orient ; il avait confirmé les Eglises fondées par sa parole, et les épreuves, pas plus que les consolations, n'avaient manqué sur sa route. Tout à coup un avertissement céleste, semblable à celui que Pierre lui-même devait recevoir bientôt, lui enjoint de se rendre à Rome où le martyre l'attend. C'est saint Athanase (De fuga sua, XVIII.) qui nous instruit de ce fait, rapporté aussi par saint Astère d'Amasée. Ce dernier nous dépeint l'Apôtre entrant de nouveau dans Rome, " afin d'enseigner les maîtres du monde, de s'en faire des disciples, et par eux de lutter avec le reste du genre humain ". " Là, dit encore l'éloquent évêque du quatrième siècle, Paul retrouve Pierre vaquant au même travail. Il s'attèle avec lui au char divin, et se met à instruire dans les synagogues les enfants de la loi, et au dehors les gentils." (Homil. VIII.).

Lucas Cranach. XVIe.
Rome possède donc enfin réunis ses deux princes : l'un assis sur la Chaire éternelle, et tenant en mains les clefs du royaume des cieux ; l'autre entouré des gerbes qu'il a cueillies dans le champ de la gentilité. Ils nése sépareront plus, même dans la mort, comme le chante l'Eglise. Le moment qui les vit rapprochés fut rapide ; car ils devaient avoir rendu à leur Maître le témoignage du sang, avant que le monde romain fût affranchi de l'odieux tyran qui l'opprimait. Leur supplice fut comme le dernier crime, après lequel Néron s'affaissa, laissant le monde épouvanté de sa fin aussi honteuse qu'elle fut tragique.
C'était en l'année 65 que Paul était rentré dans Rome. Il y signala de nouveau sa présence par toutes les œuvres de l'apostolat. Dès son premier séjour, sa parole avait produit des chrétiens jusque dans le palais de César. De retour sur le grand théâtre de son zèle, il retrouva ses entrées dans la demeure impériale. Une femme qui vivait dans un commerce coupable avec Néron, se sentit ébranlée par cette parole à laquelle il était dur de résister. Un échanson du palais fut pris aussi dans les filets de l'Apôtre. Néron s'indigna de cette influence d'un étranger jusque dans sa maison, et la perte de Paul fut résolue. Jeté en prison, l'Apôtre ne laissa pas refroidir son zèle, et continua d'annoncer Jésus-Christ. La maîtresse de l'empereur et son échanson abjurèrent, avec l'erreur païenne, la vie qu'ils avaient menée, et leur double conversion hâta le martyre de Paul. Il le sentait, et on s'en rend compte en lisant ces lignes qu'il écrit à Timothée :
" Je travaille, dit-il, jusqu'à porter les fers, comme un méchant ouvrier ; mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée : à cause des élus, je supporte tout. Me voici à cette heure comme la victime déjà arrosée de l'eau lustrale, et le temps de mon trépas est proche. J'ai vaillamment combattu, j'ai achevé ma course, j'ai été le gardien de la foi ; la couronne de justice m'est réservée, et le Seigneur, juge équitable, me la donnera." (II Tim.).
Le 29 juin de l'année 66, tandis que Pierre traversait le Tibre sur le pont Triomphal et se dirigeait vers la croix dressée dans la plaine Vaticane, un autre martyre se consommait sur la rive gauche du fleuve. Paul, entraîné le long de la voie d'Ostie, était suivi aussi par un groupe de fidèles qui s'étaient joints à l'escorte du condamné. La sentence rendue contre lui portait qu'il aurait la tête tranchée aux Eaux Salviennes. Après avoir suivi environ deux milles la voie d'Ostie, les soldats conduisirent Paul par un sentier qui se dirigeait vers l'Orient, et bientôt on arriva sur le lieu désigné pour le martyre du Docteur des gentils. Paul se mit à genoux et adressa à Dieu sa dernière prière ; puis, s'étant bandé les yeux, il attendit le coup de la mort. Un soldat brandit son glaive, et la tête de l'Apôtre, détachée du tronc, fit trois bonds sur la terre. Trois fontaines jaillirent aussitôt aux endroits qu'elle avait touchés. Telle est la tradition gardée sur le lieu du martyre, où l'on voit trois fontaines sur chacune desquelles s'élève un autel.
Saint Paul et ses disciples. Plaque de piété. France. XIIe.
SEQUENCE
Adam de Saint-Victor nous a fourni le thème de nos chants dans une admirable Séquence. Le Missel de Liège de l'an 1527 nous donnera aujourd'hui la suivante, dont la simplicité ne manque ni de charmes, ni de profondeur :
" Au Docteur des nations, nations, applaudissez , et, de la voix, publiez vos vœux.
Au pasteur appartient de conduire le troupeau ; aux brebis d'honorer le pasteur.
Vase d'élection, rempli d'honneur, sans vaine enflure, à bon droit recherché de quiconque se plaît au pâturage qu'arrosent les eaux de la vraie fontaine !
Du Docteur des nations la conversion sainte donne la joie en cet exil : exemple à suivre, objet de louange.
Au matin , ravisseur ; sur le soir, magnifique : ce ne fut pas en vain que de Benjamin la figure nous fournit un présage.
La mère enfante un fils de douleur ; le père l'appelle l'élu de la droite, pénétrant le mystère.
Ce que Saul a ravi, Paul en fait le partage ; il distribue les dépouilles de la loi sous la grâce.
Celui qu'Anne établit chef de perversité, le Christ en fait un ministre de la grâce.
Il ne rêve que carnage, et tombe aveuglé ; une voix le reprend, descendant des nues :
" Pourquoi persécuter celui que tu dois suivre ? pourquoi, Saul, regimber contre l'aiguillon ?"
" Tu me poursuis, et l'on croit que tu me rends hommage ! Et c'est contre mes frères que tes sanglantes mains tournent le glaive !"
" C'en est fait de la lettre ; les figures ont cessé : dès cette heure, je te fais le héraut de ma grâce ; lève-toi maintenant, je te l'ordonne."
Ô grâce vraiment pleine, dont l'abondance déborde à flots sur le monde desséché !
Fortunée vocation, non provenue du mérite ; largesse immense, nullement due !
Par le chemin de l'eau, par le feu de l'Esprit, il passe de ses ardeurs fiévreuses à la divine fraîcheur.
Son nom change, et ses mœurs ont changé : deuxième en dignité, premier pour le labeur.
Egal aux Apôtres appelés d'abord, lui dont l'appel est venu des cieux prévaut par ses Epitres.
Trois fois il est battu de verges, une fois lapidé ; trois fois la mer l'engloutit, sans qu'il meure dans ses flots.
Au troisième ciel son esprit est ravi : du regard de l'âme il contemple le mystère de Dieu, mais, empêché de parler, ne sait le redire.
Ô Pasteur illustre, des Pasteurs la gloire, par un heureux sentier, tes troupeaux, amène, conduis, établis-les au lieu du pâturage éternel.
Amen."

Saint-Paul prêchant. Eustache Le Sueur. XVIIe.
HYMNE
Saint Pierre Damien a consacré les accents de son énergique piété au Docteur des nations dans cette Hymne :
" Paul, docteur incomparable trompette éclatante de l'Eglise, nuée qui voles et promènes le tonnerre par tout l'immense circuit des cieux :
Tonne en nos âmes avec puissance ; inonde les champs de notre cœur : que toute sécheresse reverdisse sous le déluge de la céleste grâce.
Oh ! Combien grand est le mérite de Paul ! Il monte au troisième ciel : il entend des paroles mystérieuses qu'il n'ose redire à personne.
Il sème le Verbe en tous lieux ; la moisson se lève abondante ; le grenier du ciel se remplit des fruits des bonnes œuvres.
Comme une lampe au vif éclat, il illumine de ses rayons l'univers ; il chasse les ténèbres de l'erreur, pour que règne seule la vérité.
Louange soit au Père non engendre ; gloire soit au Fils unique ; à l'Esprit qui les égale tous deux soit grandeur souveraine !
Amen."
HYMNE
Enfin, pour nous conformer à la tradition liturgique, qui ne veut pas qu'on célèbre jamais l'un des princes des Apôtres, sans faire aussi mémoire de son glorieux compagnon : nous donnerons ici, dégagée des retouches survenues plus tard, l'œuvre entière d'Elpis, à laquelle l'Hymne des Vêpres d'hier n'empruntait que les deux premières strophes. La troisième est employée par l'Eglise aux autres fêtes de saint Pierre, la quatrième à celles de saint Paul ; les deux réunies formaient hier l'Hymne des Laudes :
" De lumière d'or, de rayons empourprés, vous baignez le monde, Ô Lumière de lumière, embellissant les cieux par un glorieux martyre en ce jour sacré qui donne aux coupables la grâce.
Le portier du ciel, le docteur de l'univers, juges du siècle et vraies lumières du monde, triomphent ensemble, l'un par la croix, l'autre par le glaive; ceints du laurier de la victoire., ils font leur entrée au sénat de la vie.
Bon Pasteur, Ô Pierre, reçois maintenant avec clémence les vœux de ceux qui t'implorent ; dénoue les liens du péché par cette puissance à toi confiée, qui pour tous ouvre ou ferme les cieux.
Docteur illustre, Ô Paul, forme nos mœurs, élève nos pensées par tes soins jusqu'au ciel, en attendant le jour où, le bien dans sa plénitude étant devenu notre partage, tout l'imparfait disparaîtra.
Double olivier où coule la sève d'un unique amour, tous deux rendez-nous dévoués à la foi, fermes dans l’espérance, et, sur toutes choses, pleins de la double charité découlant de sa source ; après la mort de cette chair, obtenez-nous de vivre.
Soit à la Trinité gloire éternelle, honneur, puissance et joie, en l’Unité qui garde l'empire, depuis lors et maintenant, dans les siècles sans fin.
Amen."
ses souffrances à Jérusalem. Louis Chéron.
Cathédrale Notre-Dame. Paris. XVIIe.
" Ô Paul, à vous aujourd'hui nos vœux ! Etablis heureusement sur la pierre qui porte l'Eglise, pourrions-nous oublier celui dont les travaux, plus que ceux d'aucun autre (I Cor. XV, 10.), ont amené les Gentils nos pères à composer la cité sainte ? Sion, la bien-aimée des premiers jours, a rejeté la pierre, et s'est brisée contre elle (Rom. IX, 32.) : quel est le mystère de cette autre Jérusalem descendue des cieux (Apoc. XXI, 2.), dont cependant tous les matériaux furent tirés des abîmes ? Leurs inébranlables assises proclament la gloire de l'architecte sage (I Cor. III, 10.) qui les posa sur la pierre d'angle : elles-mêmes pierres sans prix, et dont l'éclat dépasse incomparablement la splendeur des parures de la fille de Sion. Qui vaut à la nouvelle venue cette beauté, ces honneurs d'Epouse (Apoc. XXI, 2.) ? Comment les fils de la délaissée sont-ils sortis des retraites impures où leur mère habitait, en la compagnie des dragons et des léopards (Cant. IV, 8.) ? La voix de l'Epoux s'est fait entendre, et elle disait :
" Viens, ma fiancée, viens du Liban ; descends des sommets d'Amana, des hauteurs de Sanir et d'Hermon." ( Ibid.).
Pourtant, de sa personne sacrée, l'Epoux, quand il vivait, ne quitta point l'antique terre des promesses, et sa voix mortelle ne pouvait parvenir à celle qui habitait au delà des confins de Jacob. O Paul, vous l'avez dit : comment donc invoquer, comment croire celui qu'on n'a pas entendu (Rom. X, 14.) ? Mais, à qui sait votre amour de l'Epoux, il suffit, pour enlever toute crainte, que vous-même, Ô Apôtre, ayez signalé le problème.
Nous chantions, au jour de l'Ascension triomphante, et c'était la réponse : Quand la beauté du Seigneur s'élèvera par delà les cieux, il montera sur la nue, et l'aile des vents sera son coursier rapide, et, vêtu de lumière, d'un pôle à l'autre il parcourra les cieux, faisant ses dons aux fils des hommes (Répons des Mat. de l'Asc.). La nuée, l'aile des vents portant aux nations le message de l'Epoux, c'était vous, Ô Paul, choisi d'en haut plus spécialement que Pierre lui-même pour instruire les gentils, ainsi qu'il fut reconnu, et par Pierre, et par Jacques et Jean, ces colonnes de l'Eglise (Gal. II, 7-9.). Qu'ils furent beaux vos pieds, quand, sortant de Sion, vous apparûtes sur nos montagnes, et dîtes à la gentilité : " Ton Dieu va régner." ( Isai. LII, 7.). Qu'elle fut douce votre voix, murmurant à l'oreille de la pauvre abandonnée le céleste appel : " Ecoute, Ô ma fille, et vois, et incline l'oreille de ton cœur." ( Psalm. XLIV, 11.).
Le Ravissement de saint Paul. Domenico Zampieri. XVIIe.
Quelle tendre pitié vous témoigniez à celle qui, si longtemps, vécut étrangère à l'alliance, sans promesse, sans Dieu dans ce monde (Eph. II, 12.) ! Et cependant elle était loin (Ibid. 13.), celle qu'il fallait amener si près du Seigneur Jésus, qu'elle ne formât plus avec lui qu'un seul corps (Ibid. I, 23.) ! Vous connûtes, en cette œuvre immense, et les douleurs de l'enfantement (Gal. IV, 19.), et les soins de la mère allaitant son nouveau-né (I Cor. III, 1-2.) ; vous dûtes porter les longs délais de la croissance de l'Epouse (Eph. IV, 11.), éloigner d'elle toute tache (Ibid. V, 27.), l'illuminer progressivement des clartés de l'Epoux (II Cor. III, 18.) : jusqu'à ce qu'enfin, affermie dans l'amour (Eph. III, 17.), et parvenue à la mesure du Christ même (Ibid. IV, 13.), elle fût vraiment sa gloire (Ibid. V, 23 ; I Cor. XI, 7.), et pût par lui être remplie de toute la plénitude de Dieu (Eph. III, 19.). Que de labeurs pour conduire cette nouvelle création, du limon primitif (Gen. II, 7.), au trône de l'Adam céleste, à la droite du Père (I Cor XV, 45-50 ; Eph. I, 20 ; II, 6.) !
Souvent, repoussé, trahi, mis aux fers (II Tim. II, 9.), méconnu dans les sentiments les plus délicats de votre cœur d'Apôtre (I Cor. IV, IX ; II Cor. I, II, VI, X, XII, 11-21 ; Gal. IV, 11-20 ; Philip. L, 15-18 ; II Tim. IV, 9-16 ; etc.), vous n'eûtes pour salaire que d'indicibles angoisses et des souffrances sans nom. Mais la fatigue, les veilles, la faim, le froid, le dénuement, l'abandon, violences ouvertes, attaques perfides, dangers de toutes sortes (II Cor. XI.), loin de l'abattre, excitaient votre zèle (Ibid. XII, 10.) ; la joie surabondait en vous (Ibid. VII, 4.) ; car ces souffrances étaient le complément de celles mêmes que Jésus avait endurées (Col. I, 24 ; Eph. V, 25.), pour acheter l'alliance que depuis si longtemps l’éternelle Sagesse ambitionnait de conclure (Eph. III, 8-10.). Comme elle vous n'aviez qu'un but, où passaient toute votre force et votre douceur (Sap. VIII, 1.) : sur le pavé poudreux des voies romaines, au fond des mers où vous jetait la tempête, à la ville, au désert, au troisième ciel où vous portait l'extase, sous les fouets des Juifs ou le glaive de Néron (II Cor. XI, XII.), gérant partout l'ambassade du Christ (Ibid. VI, 20 : Eph. VI, 20.), vous jetiez à la vie comme au trépas, à toutes les puissances de la terre et des cieux, le défi d'arrêter la puissance du Seigneur (II Cor. XIII, 3.), ou son amour (Rom. VIII, 35-38.) qui vous soutenait dans la grande entreprise. Et, comme sentant le besoin d'aller au-devant des étonnements que pouvait susciter l'enthousiasme de votre grande âme, vous lanciez aux nations ce cri sublime :
" Taxez-moi de folie, mais, par pitié, supportez-moi : je suis jaloux de vous, jaloux pour Dieu ! C'est qu'en effet, je vous ai fiancées à l'unique Epoux : laissez-moi faire que vous soyez pour lui une vierge très pure !" ( II Cor.II, XI, 1-2.).

Saint Paul prêchant. Joseph-Benoît Suvée. XVIIIe.
Hier, Ô Paul, s'est consommée votre œuvre : ayant tout donné, vous vous êtes donné par surcroît vous-même (Ibid. XII, 15.). Le glaive, abattant votre tête sacrée, achève, comme vous l'aviez prédit, le triomphe du Christ (Philipp. I, 20.). La mort de Pierre fixe en son lieu prédestiné le trône de l'Epoux ; mais c'est à vous surtout que la gentilité, prenant place comme Epouse à sa droite (Psalm. XLIV, 10.),doit de pouvoir dire en se tournant vers la Synagogue sa rivale :
" Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem ; c'est pourquoi le Roi m'a aimée, et m'a choisie pour reine." ( Cant I, 4 ; IV, 8.).
Louange donc à vous, Ô Apôtre, et maintenant et toujours ! L'éternité ne saurait épuiser notre reconnaissance à nous, nations. Achevez votre œuvre en chacun de nous pour ces siècles sans fin ; ne permettez pas que, par la défection d'aucun de ceux qu'appelait le Seigneur à compléter son corps mystique, l'Epouse soit privée d'un seul des accroissements sur lesquels elle pouvait compter. Soutenez contre le découragement les prédicateurs de la parole sainte, tous ceux qui, par la plume ou à un titre quelconque, poursuivent votre œuvre de lumière; multipliez les vaillants apôtres qui reculent sans fin les limites de la région des ténèbres sur notre globe. Vous promites autrefois de rester avec nous, de veiller toujours au progrès de la foi dans nos âmes, d'y faire germer sans fin les très pures délices de l'union divine (Philip. I, 25-26.). Tenez votre promesse; en allant à Jésus, vous n'en laissez pas moins votre parole engagée à tous ceux qui, comme nous, ne purent ici-bas vous connaître (Col. II, 1.). Car c'est à eux que, par l'une de vos Epîtres immortelles, vous laissiez l'assurance de pourvoira " consoler leurs cœurs, les ordonnant dans l'amour, versant en eux dans sa plénitude et ses richesses immenses la connaissance du mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ". (Ibid. 2-3.).
Dans cette saison du Cycle où règne l'Esprit qui fait les saints (Rom. VIII.), faites comprendre aux chrétiens de bonne volonté que leur seul baptême suffit à les investir de cette vocation sublime, où trop souvent ils ne voient que la part du petit nombre. Puissent-ils pénétrer la grande, et pourtant si simple notion, que vous leur donnez du mystère où réside le principe le plus universel, le plus absolu de toute vie chrétienne (Rom. VI.) : ensevelis avec Jésus sous les eaux, incorporés à lui par le seul fait, comment n'auraient-ils pas tout droit, tout devoir, d'être saints, de prétendre s'unir à Jésus dans sa vie comme ils l'ont fait dans sa mort ? " Vous Êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu " (Col. III. 3.), disiez-vous à nos pères. Ce que vous proclamiez pour tous alors sans distinction, répétez-le à tous, Ô grand Apôtre ! Docteur des nations, ne laissez pas dévier en elles la lumière, au grand détriment du Seigneur et de l'Epouse.

Le Ravissement de saint Paul. Nicolas Poussin. XVIIe.
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dimanche, 29 juin 2025
29 juin. Saint Pierre et saint Paul, Apôtres, martyrs. 66.
- Saint Pierre et saint Paul, Apôtres, martyrs. 66.
Empereur romain : Néron.
" Saint Pierre est le chef du collège apostolique et la colonne inébranlable du tabernacle de la nouvelle loi. Il veille sur le dépôt de notre foi, soutient l'édifice de l'Eglise, et nous ouvre la porte du ciel."
Saint Grégoire le Grand, Hom. ; Saint Pierre Chrysologue, serm.
" Admirez l'Apôtre saint Paul ; il avait persécuté Jésus, et voilà qu'il L'annonce à haute voix ; il avait semé la zizanie, et voilà qu'il répand partout le bon grain. Du loup rapace il devient pasteur vigilant, et l'édifice qu'il a ruiné tout à l'heure, il s'emploie tout entier maintenant à le reconstruire."
Saint Pierre Chrysologue, hom.

Saint Paul & saint Pierre. Anonyme flamand. XVIe.
" Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ?"
Voici l'heure où la réponse que le Fils de l'homme exigeait du pêcheur de Galilée, descend des sept collines et remplit la terre. Pierre ne redoute plus la triple interrogation du Seigneur. Depuis la nuit fatale où le coq fut moins prompt à chanter que le premier des Apôtres à renier son Maître, des larmes sans fin ont creusé deux sillons sur les joues du Vicaire de l’Homme-Dieu ; le jour s'est levé où tarissent ces pleurs. Du gibet où l'humble disciple a réclamé d'être cloué la tête en bas, son cœur débordant redit enfin sans crainte la protestation qui, depuis la scène des bords du lac de Tibériade, a silencieusement consumé sa vie : " Oui, Seigneur ; vous savez que je vous aime !" (Johan. XXI.).
Jour sacré, où l'oblation du premier des Pontifes assure à l'Occident les droits du suprême sacerdoce ! Jour de triomphe, où l'effusion d'un sang généreux conquiert à Dieu la terre romaine ; où, sur la croix de son représentant, l'Epoux divin conclut avec la reine des nations son alliance éternelle !
Ce tribut de la mort, Lévi ne le connut pas ; cette dot du sang, Jéhovah ne l'avait point exigée d'Aaron : car on ne meurt pas pour une esclave, et la synagogue n'était point l'Epouse (Gal. IV, 22-31.). L'amour est le signe qui distingue le sacerdoce des temps nouveaux du ministère de la loi de servitude. Impuissant, abîmé dans la crainte, le prêtre juif ne savait qu'arroser du sang de victimes substituées à lui-même les cornes de l'autel figuratif. Prêtre et victime à la fois, Jésus veut plus de ceux qu'il appelle en participation de la prérogative sacrée qui le fait pontife à jamais selon l'ordre de Melchisédech (Psalm. CIX.).
" Je ne vous appellerai plus désormais serviteurs, déclare-t-il à ces hommes qu'il vient d'élever au-dessus des Anges, à la Cène ; je ne vous appellerai plus serviteurs, car le serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai communiqué tout ce que j'ai reçu de mon Père (Johan. XV, 15.). Comme mon Père m'a aimé, ainsi je vous ai aimés ; demeurez donc en mon amour." (Ibid. 9.).

Saint Pierre. Marco Zoppo. XVe.
Or, pour le prêtre admis de la sorte en communauté avec le Pontife éternel, l'amour n'est complet que s'il s'étend à l'humanité rachetée dans le grand Sacrifice. Et, qu'on le remarque : il y a là pour lui plus que l'obligation, commune à tous les chrétiens, de s'entr'aimer comme membres d'un même Chef ; car, par son sacerdoce, il fait partie du Chef, et, à ce titre, la charité doit prendre en lui quelque chose du caractère et des profondeurs de l'amour que ce Chef divin porte à ses membres. Que sera-ce, si, au pouvoir qu'il possède d'immoler le Christ lui-même, au devoir qu'il a de s'offrir avec lui dans le secret des Mystères, la plénitude du pontificat vient ajouter la mission publique de donner à l'Eglise l'appui dont elle a besoin, la fécondité que l'Epoux céleste attend d'elle ? C'est alors que, selon la doctrine exprimée de toute antiquité par les Papes, les Conciles et les Pères, l'Esprit-Saint l'adapte à son rôle sublime en identifiant pleinement son amour à celui de l'Epoux dont il remplit les obligations, dont il exerce les droits. Mais alors aussi, d'après le même enseignement de la tradition universelle, se dresse devant lui le précepte de l'Apôtre ; sur tous les trônes où siègent les évêques de l'Orient comme de l'Occident, les anges des Eglises se renvoient la parole :
" Epoux, aimez vos Epouses, comme le Christ a aimé l'Eglise, et s'est livré pour elle afin de la sanctifier." (Eph. V, 25-26.).
Telle apparaît la divine réalité de ces noces mystérieuses, qu'à tous les âges l'histoire sacrée flétrit du nom d'adultère l'abandon irrégulier de l'Eglise premièrement épousée. Telles sont les exigences d'une union si relevée, que celui-là seul peut y être appelé qui demeure établi déjà sur les sommets de la perfection la plus haute ; car l'Evêque doit se tenir prêt à justifier sans cesse de ce degré suprême de charité, dont le Seigneur a dit :
" Il n'y a point de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime." (Johan. XV, 13.).
Là ne réside point seulement la différence du mercenaire et du vrai pasteur (Ibid. X, 11-18.) ; cette disposition du Pontife à défendre jusqu'à la mort l'Eglise qui lui fut confiée, à laver dans son sang toute tache déparant la beauté de l'Epouse (Eph. V, 27.), est la garantie du contrat qui l'unit à cette très noble élue du Fils de Dieu, le juste prix des joies très pures qui lui sont réservées.
" Je vous ai révélé ces choses, avait dit le Seigneur instituant le Testament de la nouvelle alliance, afin que ma propre joie soit en vous, et que votre joie soit pleine." (Johan. XV, 11.).
Si tels devaient être les privilèges et obligations des chefs des Eglises, combien plus du pasteur de tous ! En confiant à Simon fils de Jean l'humanité régénérée, le premier soin de l'Homme-Dieu avait été de s’assurer qu'il serait bien le vicaire de son amour (Ambr. in Luc. X.) ; qu'ayant reçu plus que les autres, il aimerait plus qu'eux tous (Luc. VII, 47 ; Johan. XXI, 15.) ; qu'héritier de la dilection de Jésus pour les siens qui étaient dans le monde, il les aimerait comme lui jusqu'à la fin (Ibid. XIII, 1.). C'est pourquoi l'établissement de Pierre au sommet de la hiérarchie sainte, concorde dans l'Evangile avec l'annonce de son martyre (Ibid. XXI, 18.) : pontife souverain, il devait suivre jusqu'à la Croix l'hiérarque suprême (Ibid. 19, 22.).

Saint Pierre. Peter-Paul Rubens. XVIIe.
Les fêtes de ses deux Chaires à Antioche et à Rome, nous ont rappelé la souveraineté avec laquelle il préside au gouvernement du monde, l'infaillibilité de la doctrine qu'il distribue comme nourriture au troupeau tout entier; mais ces deux fêtes, et la primauté dont elles rendent témoignage au Cycle sacré, appelaient pour complément et pour sanction les enseignements de la solennité présente. Ainsi que la puissance reçue par l'Homme-Dieu de son Père (Matth. XXVIII, 18.), la pleine communication faite par lui de cette même puissance au chef visible de son Eglise avait pour but la consommation de la gloire poursuivie par le Dieu trois fois saint dans son œuvre (Johan. XVII, 4.) ; toute juridiction, tout enseignement, tout ministère ici-bas, nous dit saint Paul d'autre part, aboutit à la consommation des saints (Eph. IV, 12.), qui ne fait qu'un avec la consommation de cette gloire souveraine : or, la sainteté de la créature, et, tout ensemble, la gloire du Dieu créateur et sauveur, ne trouvent leur pleine expression qu'au Sacrifice embrassant pasteur et troupeau dans un même holocauste.
C'est pour cette fin dernière de tout pontificat, de toute hiérarchie, que, depuis l'Ascension de Jésus, Pierre avait parcouru la terre. A Joppé, lorsqu'il était encore au début de ses courses d'Apôtre, une faim mystérieuse s'était saisie de lui : " Lève-toi, Pierre ; tue et mange ", avait dit l'Esprit ; et, dans le même temps, une vision symbolique présentait réunis à ses yeux les animaux de la terre et les oiseaux du ciel (Act. X, 9-16.). C'était la gentilité qu'il devait joindre, sur la table du banquet divin, aux restes d'Israël. Vicaire du Verbe, il partagerait sa faim immense : sa parole, comme un glaive acéré, abattrait devant lui les nations ; sa charité, comme un feu dévorant, s'assimilerait les peuples ; réalisant son titre de chef, un jour viendrait que, vraie tête du monde, il aurait fait de cette humanité, offerte en proie à son avidité, le corps du Christ en sa propre personne. Alors, nouvel Isaac, ou plutôt vrai Christ, il verrait, lui aussi, s'élever devant lui la montagne où Dieu regarde, attendant l'oblation (Gen. XXII, 14.).

Saint Paul. Bernardo Daddi. XIVe.
Regardons, nous aussi ; car ce futur est devenu le présent, et, comme au grand Vendredi, nous avons part au dénouement qui s'annonce. Part bienheureuse, toute de triomphe : ici du moins, le déicide ne mêle pas sa note lugubre à l'hommage du monde, et le parfum d'immolation qui déjà s'élève de la terre ne remplit les cieux que de suave allégresse. Divinisée par la vertu de l'adorable hostie du Calvaire, on dirait, en effet, que la terre aujourd'hui se suffit à elle-même. Simple fils d'Adam par nature, et pourtant vrai pontife souverain, Pierre s'avance portant le monde : son sacrifice va compléter celui de l'Homme-Dieu qui l'investit de sa grandeur (Col. I, 24.) ; inséparable de son chef visible, l'Eglise aussi le revêt de sa gloire (I Cor. XI, 7.). Loin d'elle aujourd'hui les épouvantements de cette nuit en plein midi, où elle cacha ses pleurs, quand pour la première fois la Croix fut dressée. Elle chante ; et son lyrisme inspiré célèbre " la pourpre et l'or dont la divine lumière compose les rayons de ce jour qui donne aux coupables la grâce " (Hymn. Vesp.). Dirait-elle plus du Sacrifice de Jésus lui-même ? C'est qu'en effet, par la puissance de cette autre croix qui s'élève, Babylone aujourd'hui devient la cité sainte. Tandis que Sion reste maudite pour avoir une fois crucifié son Sauveur, Rome aura beau rejeter l'Homme-Dieu, verser son sang dans ses martyrs, nul crime de Rome ne prévaudra contre le grand fait qui se pose à cette heure : la croix de Pierre lui a transféré tous les droits de celle de Jésus, laissant aux Juifs la malédiction ; c'est elle maintenant qui est Jérusalem.
Telle étant donc la signification de ce jour, on ne s'étonnera pas que l'éternelle Sagesse ait voulu la relever encore, en joignant l'immolation de Paul l'Apôtre au sacrifice de Simon Pierre. Plus que tout autre, Paul avait avancé par ses prédications l'édification du corps du Christ (Eph. IV, 12.) ; si, aujourd'hui, la sainte Eglise est parvenue à ce plein développement qui lui permet de s'offrir en son chef comme une hostie de très suave odeur, qui mieux que lui méritait donc de parfaire l'oblation, d'en fournir de ses veines la libation sacrée (Col. I, 24 ; II Cor. XII, 15.) ? L'âge parfait de l'Epouse étant arrivé (Eph. IV, 13.), son œuvre à lui aussi est achevée (II Cor. XI, 2.). Inséparable de Pierre dans ses travaux par la foi et l'amour, il l'accompagne également dans la mort (Ant. Oct. Apost. ad Benedictus.) ; tous deux ils laissent la terre aux joies des noces divines scellées dans leur sang, et montent ensemble à l'éternelle demeure où l'union se consomme (II Cor. V.).

Saint Paul. Giuseppe de Ribera. XVIIe.
MENEES DES GRECS POUR CETTE SOLENNITE
Nous extrayons ici quelques perles de la mer sans rivages où se complaît comme toujours la Liturgie grecque. Il doit nous plaire aussi de constater comment, malgré plus d'un essai d'altération frauduleuse des textes de sa Liturgie, Byzance condamne elle-même son propre schisme en ce jour ; Pierre n'y cesse point d'être proclamé par elle le roc et le fondement de la foi, la base souveraine, le prince et premier prince des Apôtres, le gouverneur et le chef de l'Eglise, le porte-clefs de la grâce et du royaume des cieux :
" Vous avez donné les saints Apôtres à votre Eglise comme son orgueil et sa joie, Ô Dieu ami des hommes ! Pierre et Paul, flambeaux spirituels, soleils des âmes, resplendissent en elle magnifiquement ; l'univers brille de leurs rayons ; c'est par eux que vous avez dissipé les ténèbres de l'Occident, Jésus très puissant, sauveur de nos âmes.
Vous avez établi la stabilité de votre Eglise , Ô Seigneur, sur la fermeté de Pierre et sur la science et l'éclatante sagesse de Paul. Pierre, coryphée des illustres Apôtres, vous êtes le rocher de la foi ; et vous, admirable Paul, le docteur et la lumière des églises : présents devant le trône de Dieu, intercédez pour nous auprès du Christ.
Que le monde entier acclame les coryphées Pierre et Paul, disciples du Christ : Pierre, base et rocher ; Paul, vase d'élection. Tous deux, attelés sous le même joug du Christ, ont attiré à la connaissance de Dieu tous les hommes, les nations, les cités et les îles. Rocher de la foi, délices du monde, tous deux confirmez le bercail que vous avez acquis par votre magistère.
Pierre, vous qui paissez les brebis, défendez contre le loup rusé le troupeau de votre bercail ; gardez de chutes funestes vos serviteurs ; car tous nous vous avons pour vigilant protecteur auprès de Dieu, et la joie que nous goûtons en vous est notre salut.
Paul, flambeau du monde, bouche incomparable du Christ Dieu vivant , qui comme le soleil visitez tous les rivages dans votre prédication de la foi divine : délivrez des liens du péché ceux qui vous nomment avec amour et veulent vous imiter, confiants dans votre aide.
Rome bienheureuse, à toi ma louange et ma vénération, à toi mes hymnes et mon chant de gloire ; car en toi sont gardés et la dépouille des coryphées, et les dogmes divins dont ils furent le flambeau ; reliques sans prix de vases incorruptibles.
Très-haut prince des Apôtres, souverain chef et dispensateur du trésor royal, ferme base de tous les croyants, solidité, socle, sceau et couronnement de l'Eglise catholique, Ô Pierre qui aimez le Christ, conduisez ses brebis aux bons pâturages, menez ses agneaux dans les prés fertiles."

Saint Pierre et saint Paul. Masaccio Tommaso di ser Giovanni Cassai.
PRIERE
" Ô Pierre, nous aussi nous saluons la glorieuse tombe où vous êtes descendu. C'est bien à nous, les fils de cet Occident que vous avez voulu choisir, c'est à nous avant tous qu'il appartient de célébrer dans l'amour et la foi les gloires de cette journée. Si toutes les races s'ébranlent à la nouvelle de votre mort triomphante ; si les nations proclament, chacune en leur langue, que de Rome doit sortir pour le monde entier la loi du Seigneur : n'est-ce pas par la raison que cette mort a fait de Babylone la cité des oracles divins, saluée par le fils d'Amos en sa prophétie (Isai. II, 1-5.) ? n'est-ce pas que la montagne préparée pour porter la maison du Seigneur dans le lointain des âges, se dégage des ombres, et apparaît en pleine lumière à cette heure aux yeux des peuples ?
L'emplacement de la vraie Sion est fixé désormais ; car la pierre d'angle a été posée en ce jour (Ibid. XXVIII, 16.), et Jérusalem ne doit avoir d'autre fondement que cette pierre éprouvée et précieuse. Ô Pierre, c'est donc sur vous que nous devons bâtir ; car nous voulons être les habitants de la cité sainte. Nous suivrons le conseil du Seigneur (Matth. VII, 24-27.), élevant sur le roc nos constructions d'ici-bas, pour qu'elles résistent à la tempête et puissent devenir une demeure éternelle. Combien notre reconnaissance pour vous, qui daignez nous soutenir ainsi, est plus grande encore en ce siècle insensé qui, prétendant construire à nouveau l'édifice social, voulut l'établir sur le sable mouvant des opinions humaines, et n'a su que multiplier les éboulements et les ruines ! La pierre qu'ont rejetée les modernes architectes,en est-elle moins la tête de l'angle ? Et sa vertu n'apparaît-elle pas alors même, selon ce qui est écrit, en ce que, n'en voulant pas, c'est contre elle qu'ils se heurtent et se brisent (I Petr. II, 6-8.) ?

Saint Pierre recevant les Clefs et saint Paul recevant la Loi.
Debout, parmi ces ruines, sur le fondement contre lequel les portes de l'enfer ne prévaudront pas, nous avons d'autant mieux le droit d'exalter ce jour où le Seigneur a, comme le chante le Psaume, affermi la terre (Psalm. XCII, 1.).
Certes le Seigneur était grand, lorsqu'il lançait les mondes dans l'espace, en les équilibrant par ces lois merveilleuses dont la découverte est l'honneur de la science ; mais son règne, sa beauté, sa puissance éclatent bien plus, quand il place en son lieu la base faite pour porter le temple dont tous les mondes méritent à peine d'être appelés le parvis. Aussi était-ce bien de ce jour immortel, dont à l'avance elle savourait divinement les très pures délices, que l'éternelle Sagesse chantait, préludant à nos joies et conduisant déjà nos chœurs :
" Lorsque les monts élevaient leur masse sur une immuable base et que le monde s'étayait sur ses pôles, lorsque s'établissait le firmament et que s'équilibrait l'abîme, quand le Seigneur posait les fondements de la terre, j'étais avec lui, disposant tout de concert ; et chaque jour m'apportait une nouvelle allégresse, et je me jouais devant lui sans cesse, je me jouais dans l'orbe du monde ; car mes délices sont d'être avec les fils des hommes." (Prov. VIII.).
Maintenant donc que l'éternelle Sagesse élève sur vous, Ô Pierre, la maison de ses délices mystérieuses (Prov. IX.), où pourrions-nous elle-même la trouver ailleurs, nous enivrer à son calice, avancer dans l'amour ? De par Jésus remonté dans les cieux, n'est-ce pas vous qui avez désormais les paroles de la vie éternelle (Johan. VI, 69.) ? En vous se poursuit le mystère du Dieu fait chair habitant avec nous. Notre religion, notre amour de l'Emmanuel sont incomplets dès lors, s'ils n'atteignent jusqu'à vous. Et vous-même ayant rejoint le Fils de l'homme à la droite du Père, le culte que nous vous rendons pour vos divines prérogatives, s'étend au Pontife votre successeur, en qui vous continuez de vivre par elles : culte réel, allant au Christ en son Vicaire, et qui, partant, ne saurait s'accommoder de la distinction trop subtile entre le Siège de Pierre et celui qui l'occupe. Dans le Pontife romain, vous êtes toujours, Ô Pierre, l'unique pasteur et le soutien du monde. Si le Seigneur a dit : " Personne ne vient au Père que par moi " (Ibid. XIV, 6.) ; nous savons que personne n'arrive que par vous au Seigneur. Comment les droits du Fils de Dieu, le pasteur et l'évêque de nos âmes (I Petr. II, 25.), auraient-ils à souffrir en ces hommages de la terre reconnaissante ? Nous ne pouvons célébrer vos grandeurs, sans qu'aussitôt attirant nos pensées à Celui dont vous êtes comme le signe sensible, comme un auguste sacrement, vous ne nous disiez, ainsi qu'à nos pères, par l'inscription de votre antique statue :
" CONTEMPLEZ LE DIEU VERBE, LA PIERRE DIVINEMENT TAILLÉE DANS L'OR, SUR LAQUELLE ÉTANT ÉTABLI, JE NE SUIS PAS ÉBRANLÉ !"
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samedi, 28 juin 2025
28 juin. Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
- Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.
Pape : Saint Zéphirin. Empereur romain : Septime Sévère.
" Irénée, successeur du martyr saint Pothin, donné pour évêque à la ville de Lyon par saint Polycarpe, m'apparaît avec une brillante auréole de vertus."
Saint Grégoire de Tours.
" Ô Bon Dieu, pour quels temps m'as-tu réservé, faut-il que je supporte de telles choses !"
Saint Polycarpe.

Saint Irénée. Fresque d'Auguste Cornu.
L'Eglise de Lyon présente à la reconnaissante admiration du monde, en ce jour où l'on fête saint Léon II pape, son grand docteur, le pacifique et vaillant Irénée, lumière de l'Occident (Theodoret. Haeretic. fabul. I, 5.). A cette date qui le vit confirmer dans son sang la doctrine qu'il avait prêchée, il est bon de l'écouter rendant à l'Eglise-mère le témoignage célèbre qui, jusqu'à nos temps, a désespéré l'hérésie et confondu l'enfer ; c'est pour une instruction si propre à préparer nos cœurs aux gloires du lendemain, que l'éternelle Sagesse a voulu fixer aujourd'hui son triomphe. Entendons l'élève de Polycarpe, l'auditeur zélé des disciples des Apôtres, celui que sa science et ses pérégrinations, depuis la brillante Ionie jusqu'au pays des Celtes, ont rendu le témoin le plus autorisé de la foi des Eglises au second siècle. Toutes ces Eglises, nous dit l'évêque de Lyon, s'inclinent devant Rome la maîtresse et la mère.
" Car c'est avec elle, à cause de sa principauté supérieure, qu'il faut que s'accordent les autres ; c'est en elle que les fidèles qui sont en tous lieux, gardent toujours pure la foi qui leur fut prêchée. Grande et vénérable par son antiquité entre toutes, connue de tous, fondée par Pierre et Paul les deux plus glorieux des Apôtres, ses évêques sont, par leur succession, le canal qui transmet jusqu'à nous dans son intégrité la tradition apostolique : de telle sorte que quiconque diffère d'elle en sa croyance, est confondu par le seul fait." (Cont. Haeres. III, III, 2.).
La pierre qui porte l'Eglise était dès lors inébranlable aux efforts de la fausse science. Et pourtant ce n'était pas une attaque sans périls que celle de la Gnose, hérésie multiple, aux trames ourdies, dans un étrange accord, par les puissances les plus opposées de l'abîme. On eût dit que, pour éprouver le fondement qu'il avait posé, le Christ avait permis à l'enfer d'essayer contre lui l'assaut simultané de toutes les erreurs qui se divisaient alors le monde, ou même devaient plus tard se partager les siècles. Simon le Mage, engagé par Satan dans les filets des sciences occultes, fut choisi pour lieutenant du prince des ténèbres dans cette entreprise. Démasqué à Samarie par le vicaire de l'Homme-Dieu, il avait commencé, contre Simon Pierre, une lutte jalouse qui ne se termina point à la mort tragique du père des hérésies, mais continua plus vive encore dans le siècle suivant, grâce aux disciples qu'il s'était formés.
Saturnin, Basilide, Valentin ne firent qu'appliquer les données du maître, en les diversifiant selon les instincts que faisait naître autour d'eux la corruption de l'esprit ou du cœur. Procédé d'autant plus avouable, que la prétention du Mage avait été de sceller l'alliance des philosophies, des religions, des aspirations les plus contradictoires de l'humanité. Il n'était point d'aberrations, depuis le dualisme persan, l'idéalisme hindou, jusqu'à la cabale juive et au polythéisme grec, qui ne se donnassent la main dans le sanctuaire réservé de la Gnose ; là, déjà, se voyaient formulées les hétérodoxes conceptions d'Arius et d'Eutychès ; là par avance prenaient mouvement et vie, dans un roman panthéistique étrange, les plus bizarres des rêves creux de la métaphysique allemande. Dieu abîme, roulant de chute en chute jusqu'à la matière, pour prendre conscience de lui-même dans l'humanité et retourner par l'anéantissement au silence éternel : c'était tout le dogme de la Gnose, engendrant pour morale un composé de mystique transcendante et de pratiques impures, posant en politique les bases du communisme et du nihilisme modernes.
Combien ce spectacle de la Babel gnostique, élevant ses matériaux incohérents sur les eaux de l'orgueil ou des passions immondes, était de nature à faire ressortir l'admirable unité présidant aux accroissements de la cité sainte ! Saint Irénée, choisi de Dieu pour opposer à la Gnose les arguments de sa puissante logique et rétablir contre elle le sens véritable des Ecritures, excellait plus encore, quand, en face des mille sectes portant si ouvertement la marque du père de la division et du mensonge, il montrait l'Eglise gardant pieusement dans l'univers entier la tradition reçue des Apôtres. La foi à la Trinité sainte gouvernant ce monde qui est son ouvrage , au mystère de justice et de miséricorde qui, délaissant les anges tombés, a relevé jusqu'à notre chair en Jésus le bien-aimé, fils de Marie, notre Dieu, notre Sauveur et Roi : tel était le dépôt que Pierre et Paul, que les Apôtres et leurs disciples avaient confié au monde (Cont. Haeres. I, X, 1.).

Eglise Saint-Irénée telle qu'elle fut laissée après avoir été
" L'Eglise donc, constate saint Irénée dans son pieux et docte enthousiasme, l'Eglise ayant reçu cette foi la garde diligemment, faisant comme une maison unique de la terre où elle vit dispersée : ensemble elle croit, d'une seule âme, d'un seul cœur ; d'une même voix elle prêche, enseigne, transmet la doctrine, comme n'ayant qu'une seule bouche. Car, encore bien que dans le monde les idiomes soient divers, cela pourtant n'empêche point que la tradition demeure une en sa sève. Les églises fondées dans la Germanie, chez les Ibères ou les Celtes, ne croient point autrement, n'enseignent point autrement que les églises de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ou celles qui sont établies au centre du monde. Mais comme le soleil, créature de Dieu, est le même et demeure un dans l'univers entier : ainsi l'enseignement de la vérité resplendit, illuminant tout homme qui veut parvenir à la connaissance du vrai. Que les chefs des églises soient inégaux dans l'art de bien dire, la tradition n'en est point modifiée : celui qui l'expose éloquemment ne saurait l'accroître ; celui qui parle avec moins d'abondance ne la diminue pas." (Cont. Haeres. I, X, 2.).
Unité sainte, foi précieuse déposée comme un ferment d'éternelle jeunesse en nos cœurs, ceux-là ne vous connaissent point qui se détournent de l'Eglise. S'éloignant d'elle , ils perdent Jésus et tous ses dons.
" Car où est l'Eglise, là est l'Esprit de Dieu ; et où se trouve l'Esprit de Dieu, là est l'Eglise et toute grâce. Infortunés qui s'en séparent, ils ne puisent point la vie aux mamelles nourrissantes où les appelait leur mère, ils n'étanchent point leur soif à la très pure fontaine du corps du Sauveur ; mais, loin de la pierre unique, ils s'abreuvent à la boue des citernes creusées dans le limon fétide où ne séjourne point l'eau de la vérité." (Cont. Haeres. III, XXIV, 1-2.).
Sophistes pleins de formules et vides du vrai, que leur servira leur science ?
" Oh ! Combien, s'écrie l'évêque de Lyon dans un élan dont l'auteur de l’Imitation semblera s'inspirer plus tard (De Imitatione Christi, L. 1, cap. 1-5.), combien meilleur il est d'être ignorant ou de peu de science, et d'approcher de Dieu par l'amour ! Quelle utilité de savoir, de passer pour avoir beaucoup appris, et d'être ennemi de son Seigneur ? Et c'est pourquoi Paul s'écriait : La science enfle, mais la charité édifie (I Cor. VIII, 1.). Non qu'il réprouvât la vraie science de Dieu : autrement, il se fût condamné lui-même le premier ; mais il voyait que quelques-uns, s'élevant sous prétexte de science, ne savaient plus aimer. Oui certes, pourtant, mieux vaut ne rien du tout savoir, ignorer les raisons des choses, et croire à Dieu et posséder la charité. Evitons la vaine enflure qui nous ferait déchoir de l'amour, vie de nos âmes ; que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, crucifié pour nous, soit toute notre science." (Cont. Haeres. II, XXVI, 1.).
Plutôt que de relever ici, à la suite d'illustres auteurs, le génie de l'éminent controversiste du second siècle, il nous plaît de citer de ces traits qui nous font entrer dans sa grande âme, et nous révèlent sa sainteté si aimante et si douce.
" Quand viendra l'Epoux, dit-il encore des malheureux qu'il voudrait ramener, ce n'est pas leur science qui tiendra leur lampe allumée, et ils se trouveront exclus de la chambre nuptiale." (Ibid. XXVII, 2.).
En maints endroits, au milieu de l'argumentation la plus serrée, celui qu'on pourrait appeler le petit-fils du disciple bien-aimé trahit son cœur ; il montre sur les traces d'Abraham la voie qui conduit à l'Epoux : sa bouche alors redit sans fin le nom qui remplit ses pensées. Nous reconnaîtrons, dans ces paroles émues, l'apôtre qui avait quitté famille et patrie pour avancer le règne du Verbe en notre terre des Gaules :
" Abraham fit bien d'abandonner sa parenté terrestre pour suivre le Verbe de Dieu, de s'exiler avec le Verbe pour vivre avec lui. Les Apôtres rirent bien, pour suivre le Verbe de Dieu, d'abandonner leur barque et leur père. Nous aussi, qui avons la même foi qu'Abraham, nous faisons bien, portant la croix comme Isaac le bois, de marcher à sa suite. En Abraham l'humanité connut qu'elle pouvait suivre le Verbe de Dieu, et elle affermit ses pas dans cette voie bienheureuse (Cont. Haeres. IV, V, 3, 4.). Le Verbe, lui, cependant, disposait l'homme aux mystères divins par des figures éclairant l'avenir (Ibid. XX, II.). Moïse épousait l'Ethiopienne, rendue ainsi fille d'Israël : et par ces noces de Moïse les noces du Verbe étaient montrées, et par cette Ethiopienne était signifiée l'Eglise sortie des gentils (Ibid. 12.) ; en attendant le jour où le Verbe lui-même viendrait laver de ses mains, au banquet de la Cène, les souillures des filles de Sion (Ibid. XXII, 1.). Car il faut que le temple soit pur, où l'Epoux et l'Epouse goûteront les délices de l'Esprit de Dieu ; et comme l'Epouse ne peut elle-même prendre un Epoux, mais doit attendre qu'elle soit recherchée : ainsi cette chair ne peut monter seule à la magnificence du trône divin ; mais quand l'Epoux viendra, il l'élèvera, elle le possédera moins qu'elle ne sera possédée par lui (Cont. Haeres. V, IX, 4.). Le Verbe fait chair se l'assimilera pleinement, et la rendra précieuse au Père par cette conformité avec son Verbe visible (Ibid. XVI, 2.). Et alors se consommera l'union à Dieu dans l'amour. L'union divine est vie et lumière; elle donne la jouissance de tous les biens qui sont à Dieu ; elle est éternelle de soi, comme ces biens eux-mêmes. Malheur à ceux qui s'en éloignent : leur châtiment vient moins de Dieu que d'eux-mêmes et du libre choix par lequel, se détournant de Dieu, ils ont perdu tous les biens." (Ibid. XXVII, 2.).

Saint Polycarpe. Mosaïque. Basilique Saint-Apollinaire. Ravenne. VIe.
La perte de la foi étant, de toutes les causes de l'éloignement de Dieu, la plus radicale et la plus profonde, on ne doit pas s'étonner de l'horreur qu'inspirait l'hérésie, dans ces temps où l'union à Dieu était le trésor qu'ambitionnaient toutes les conditions et tous les âges. Le nom d'Irénée signifie la paix ; et, justifiant ce beau nom, sa condescendante charité amena un jour le Pontife Romain à déposer ses foudres dans la question, pourtant si grave, de la célébration de la Pâque. Néanmoins, c'est Irénée qui nous rapporte de Polycarpe son maître, qu'ayant rencontré Marcion l'hérétique, sur sa demande s'il le connaissait, il lui répondit :
" Je te reconnais pour le premier-né de Satan." (Ibid. III, 4.).
C'est lui encore de qui nous tenons que l'apôtre saint Jean s'enfuit précipitamment d'un édifice public, à la vue de Cérinthe qui s'y trouvait, de peur, disait-il, que la présence de cet ennemi de la vérité ne fît écrouler les murailles :
" Tant, remarque l'évêque de Lyon, les Apôtres et leurs disciples avaient crainte de communiquer, même en parole, avec quelqu'un de ceux qui altéraient la vérité." (Cont. Hœres. III, III,4.).
Celui que les compagnons de Pothin et de Blandine nommaient dans leur prison le zélateur du Testament du Christ (Ep. Martyr. Lugdun. et Vienn. ad Eleuther. Pap.), était, sur ce point comme en tous les autres, le digne héritier de Jean et de Polycarpe. Loin d'en souffrir, son cœur, comme celui de ses maîtres vénérés, puisait dans cette pureté de l'intelligence la tendresse infinie dont il faisait preuve envers les égarés qu'il espérait sauver encore. Quoi de plus touchant que la lettre écrite par Irénée à l'un de ces malheureux, que le mirage des nouvelles doctrines entraînait au gouffre :
" Ô Florinus, cet enseignement n'est point celui que vous ont transmis nos anciens, les disciples des Apôtres. Je vous ai vu autrefois près de Polycarpe ; vous brilliez à la cour, et n'en cherchiez pas moins à lui plaire. Je n'étais qu'un enfant, mais je me souviens mieux des choses d'alors que des événements arrivés hier ; les souvenirs de l'enfance font comme partie de l'âme, en effet ; ils grandissent avec elle. Je pourrais dire encore l'endroit où le bienheureux Polycarpe s'asseyait pour nous entretenir, sa démarche, son abord, son genre de vie, tous ses traits, les discours enfin qu'il faisait à la multitude. Vous vous rappelez comment il nous racontait ses relations avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur, avec quelle fidélité de mémoire il redisait leurs paroles ; ce qu'il en avait appris touchant le Seigneur, ses miracles, sa doctrine, Polycarpe nous le transmettait comme le tenant de ceux-là mêmes qui avaient vu de leurs yeux le Verbe de vie ; et tout, dans ce qu'il nous disait, était conforme aux Ecritures. Quelle grâce de Dieu que ces entretiens ! j'écoutais avidement, transcrivant tout, non sur le parchemin, mais dans mon cœur ; et à l'heure qu'il est, parla même grâce de Dieu, j'en vis toujours. Aussi puis-je l'attester devant Dieu : si le bienheureux, l'apostolique vieillard, eût entendu des discours tels que les vôtres, il eût poussé un grand cri, et se serait bouché les oreilles, en disant selon sa coutume :
" Ô Dieu très bon, à quels temps m'avez-vous réservé !" Et il se fût levé aussitôt pour fuir ce lieu de blasphème." (Ep. ad Florinum.).

Au 2 juin, nous fêtions les saints martyrs de Lyon, saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons, immolés en 177. Les survivants, émus du trouble que suscitait le mouvement prophétique montaniste (1), né en Asie Mineure, envoyèrent des lettres aux Eglises d'Asie et de Phrygie (2), et au pape Eleuthère.
Ils demandèrent à Irénée d’être leur ambassadeur auprès du Pape ; Irénée était muni de cette recommandation :
" Nous avons chargé de te remettre cette lettre notre frère et compagnon, Irénée, et nous te prions de lui faire bon accueil, comme à un zélateur du testament du Christ. Si nous pensions que le rang crée la justice, nous le présenterions d'abord comme prêtre d'Eglise, car il est cela."
Le nom d'Irénée dérive du mot grec qui veut dire " paix ". Irénée recevait une mission de paix. Il serait toujours agent de liaison, d'union, de paix. A son retour, le vieil évêque Pothin était mort martyr (3), et Irénée fut élu pour lui succéder.
Irénée naquit en Asie proconsulaire , non loin de la ville de Smyrne. Il s'était mis dès son enfance à l'école de Polycarpe , disciple de saint Jean l'Evangéliste et évêque de Smyrne. Sous un si excellent maître, il fit des progrès merveilleux dans la science de la religion et la pratique des vertus chrétiennes. Il était embrasé d'un incroyable désir d'apprendre les doctrines qu'avaient reçues en dépôt tous les disciples des Apôtres ; aussi, quoique déjà maître dans les saintes Lettres, lorsque Polycarpe eut été enlevé au ciel dans la gloire du martyre , il entreprit de visiter le plus grand nombre qu'il put de ces anciens , tenant bonne mémoire de tous leurs discours. C'est ainsi que, par la suite, il lui fut possible de les opposer avec avantage aux hérésies. Celles-ci, en effet, s'étendant toujours plus chaque jour, au grand dommage du peuple chrétien, il avait conçu la pensée d'en faire une réfutation soignée et approfondie.

Saint Pothin et saint Irénée. Fresque.
Venu dans les Gaules, il fut attaché comme prêtre à l'église de Lyon par l'évêque saint Pothin, et brilla dans cette charge par le zèle,la parole et la science. Vrai zélateur du testament du Christ, au témoignage des saints martyrs qui combattirent vaillamment pour la foi sous l'empereur Marc-Aurèle, ces généreux athlètes et le clergé de Lyon ne crurent pouvoir remettre en meilleures mains qu'en les siennes l'affaire de la pacification des églises d'Asie, que l'hérésie de Montan avait troublées ; dans cette cause donc qui leur tenait à cœur, ils choisirent Irénée entre tous comme le plus digne , et l'envoyèrent au Pape Eleuthère pour le prier de condamner par sentence Apostolique les nouveaux sectaires, et de mettre ainsi fin aux dissensions.
Le saint évêque Pothin était mort martyr. Irénée lui fut donné pour successeur. Son épiscopat fut si heureux, grâce à la sagesse dont il fit preuve, à sa prière, à ses exemples, qu'on vit bientôt, non seulement la ville de Lyon tout entière , mais encore un grand nombre d'habitants d'autres cités gauloises, renoncer à l'erreur de leurs superstitions et donner leur nom à la milice chrétienne. Cependant une contestation s'était élevée au sujet du jour où l'on devait célébrer la Pâque ; les évêques d'Asie étaient en désaccord avec presque tous leurs autres collègues, et le Pontife Romain, Victor, les avait déjà séparés de la communion des saints ou menaçait de le faire, lorsque Irénée se fit près de lui le respectueux apôtre de la paix : s'appuyant de la conduite des pontifes précédents, il l'amena à ne pas souffrir que tant d'églises fussent arrachées à l'unité catholique, pour un rit qu'elles disaient avoir reçu de leurs pères.
Il écrivit de nombreux ouvrages , qui sont mentionnes par Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. Une grande partie a péri par injure des temps. Mais nous avons toujours ses cinq livres contre les hérésies, composés environ l'an cent quatre-vingt, lorsqu'Eleuthère gouvernait encore l'Eglise. Au troisième livre , l'homme de Dieu, instruit par ceux qui furent sans conteste les disciples des Apôtres, rend à l'église Romaine et à la succession de ses évêques un témoignage éclatant et grave entre tous : elle est pour lui la fidèle, perpétuelle et très sûre gardienne de la divine tradition. Et c'est, dit-il, avec cette église qu'il faut que toute église, c’est-à-dire les fidèles qui sont en tous lieux, se tiennent d'accord à cause de sa principauté supérieure. Enfin il fut couronné du martyre, avec une multitude presque innombrable d'autres qu'il avait amenés lui-même a la connaissance et pratique de la vraie foi ; son passage au ciel eut lieu l'an deux cent deux ; en ce temps-là, Septime Sévère Auguste avait ordonné de condamner aux plus cruels supplices et à la mort, tous ceux qui voudraient persévérer avec constance dans la pratique de la religion chrétienne.

Martyre de saint Irénée et de ses compagnons.
L’esprit d’Irénée, formé à l'admiration " des témoins du Verbe de vie ", avait donc reçu à un haut degré le culte de la tradition. On comprend que les nouveautés gnostiques aient trouvé en lui un adversaire implacable et toujours victorieux. La gnose (ce mot grec signifie science, connaissance) prétendait offrir à une élite des connaissances supérieures sur Dieu et l'univers. Le passage difficile de l'infini au fini se faisait dans ce système grâce à des émanations d'êtres intermédiaires, les éons, dont les accouplements étranges faisaient revivre les théogonies mythologiques.
Saint Irénée écrivit contre la gnose (4) " La réfutation de la fausse science " qu'on appelle aussi " Adversus hœreses " (Contre les hérésies). Il s'excusait de son mauvais style grec :
" Nous vivons chez les Celtes, et dans notre action auprès d'eux, usons souvent de la langue barbare."
Mais le contact avec ces barbares, qui portaient, gravé dans leur cœur le message du salut, était salutaire. Pour vaincre les novateurs, il suffisait presque de révéler leurs doctrines. L'emploi de l'ironie, à propos de tous ces enfantements d'éons, eût été facile. Mais Irénée cherchait surtout à convertir les gnostiques :
" De toute notre âme, nous leur tendons la main, et nous ne nous lasserons pas de le faire."
En face des rêveries morbides de ses adversaires, comme sa théologie apparaît simple, saine et optimiste :
" Le Verbe de Dieu, poussé par l'immense amour qu'il vous portait, s'est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu'il est lui-même."

Gravure du XVIIe.
Sans négliger la théologie rationnelle, Irénée a exposé avec bonheur l'argument de la tradition :
" La tradition des apôtres est manifeste dans le monde entier : il n'y a qu'à la contempler dans toute église, pour quiconque veut voir la vérité. Nous pouvons énumérer les évêques qui ont été institués par les apôtres, et leurs successeurs jusqu'à nous : ils n'ont rien enseigné, rien connu qui ressemblât à ces folies. Car si les apôtres avaient connu des mystères cachés dont ils auraient instruit les parfaits, en dehors et à l'insu du reste (des chrétiens), c'est surtout à ceux auxquels ils confiaient les Églises qu'ils les auraient communiqués. Ils exigeaient la perfection absolue, irréprochable, de ceux qui leur succédaient et auxquels ils confiaient, à leur place, la charge d'enseigner... Il serait trop long... d'énumérer les successeurs des apôtres dans toutes les Églises ; nous ne nous occuperons que de la plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ; nous montrerons que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous, par des successions régulières d'évêques... C'est avec cette Église, en raison de l'autorité de son origine, que doit être d'accord toute Eglise, c'est-à-dire tous les fidèles venus de partout ; et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition apostolique." (St Ir. Adversus hœreses, III, III, 1-2.)
Irénée a écrit aussi un petit livre, " Démonstration de la prédication apostolique ". Il était perdu. On l'a découvert en 1904, dans une traduction arménienne. Dans la controverse sur la date de Pâques, Irénée penchait pour l'usage de l'Asie, qui fêtait la résurrection du Christ le dimanche, et non un autre jour. Mais il tenait aussi à sauvegarder la charité, la tolérance. Il essayait de retenir le pape Victor sur le point d'excommunier les dissidents. Il avait écrit :
" Il n'y a pas de Dieu sans bonté."

Nécropole Saint-Irénée. Lyon.
Avec le martyrologe hiéronymien, saint Grégoire de Tours et les anciens bollandistes (Tillemont, Ruinart), on peut affirmer qu'il fut martyrisé à l'occasion des fêtes des decennales du règne de Septime-Sévère. Saint Irénée, d'après saint Grégoire de Tours, fut enterré dans la crypte de la basilique Saint-Jean, sous l'autel. A cette basilique, succéda une église Saint-Irénée, qui a donné son nom à un quartier de Lyon (rive droite de la Saône, sud-ouest de l'ancienne cité). En 1562, les bêtes féroces calvinistes dispersèrent les reliques du saint. Un antique calendrier de marbre, retrouvé à Naples, marque la passion d'Irénée au 27 juin.
PRIERE
" Quelle couronne est la vôtre, illustre Pontife ! Les hommes s'avouent impuissants à compter les perles sans prix dont elle est ornée. Car dans l'arène où vous l'avez conquise, un peuple entier luttait avec vous ; et chaque martyr, s'élevant au ciel, proclamait qu'il vous devait sa gloire. Versé vingt-cinq années auparavant, le sang de Blandine et de ses quarante-six compagnons a produit, grâce à vous, plus que le centuple. Votre labeur fit germer du sol empourpré la semence féconde reçue aux premiers jours, et bientôt la petite chrétienté perdue dans la grande ville était devenue la cité même. L'amphithéâtre avait suffi naguère à l'effusion du sang des martyrs ; aujourd'hui le torrent sacré parcourt les rues et les places : jour glorieux, qui fait de Lyon l'émule de Rome et la ville sainte des Gaules !
Rome et Lyon, la mère et la fille, garderont bonne mémoire de l'enseignement qui prépara ce triomphe : c'est aux doctrines appuyées par vous sur la fermeté de la pierre apostolique, que pasteur et troupeau rendent aujourd'hui le grand témoignage. Le temps doit venir, où une assemblée d'évêques courtisans voudra persuader au monde que l'antique terre des Gaules n'a point reçu vos dogmes ; mais le sang versé à flots en ce jour confondra la prétentieuse lâcheté de ces faux témoins. Dieu suscitera la tempête, et elle renversera le boisseau sous lequel, faute de pouvoir l'éteindre, on aura dissimulé pour un temps la lumière ; et cette lumière, que vous aviez placée sur le chandelier, illuminera tous ceux qui habitent la maison (Matth. V, 15.).
Les fils de ceux qui moururent avec vous sont demeurés fidèles à Jésus-Christ ; avec Marie dont vous exposiez si pleinement le rôle à leurs pères (Cont. Haeres. V, XIX.), avec le Précurseur de l'Homme-Dieu qui partage aussi leur amour, protégez-les contre tout fléau du corps et de l'âme. Epargnez à la France, repoussez d'elle, une seconde fois, l'invasion de la fausse philosophie qui a tenté de rajeunir en nos jours les données de la Gnose. Faites de nouveau briller la vérité aux yeux de tant d'hommes que l'hérésie, sous ses formes multiples, tient séparés de l'unique bercail. O Irénée, maintenez les chrétiens dans la seule paix digne de ce nom : gardez purs les intelligences et les cœurs de ceux que l'erreur n'a point encore souillés. En ce moment, préparez-nous tous à célébrer comme il convient les deux glorieux Apôtres Pierre et Paul, et la puissante principauté de la mère des Eglises.

Eglise Saint-Irénée aujourd'hui. Lyon.
NOTES
(1). Montan, prêtre païen converti, qui se mit à prophétiser la fin du monde et à prêcher la pénitence, vers 172, aux confins de la Mysie et de la Phrygie, et envoya des missionnaires dans toute l'Asie Mineure. Il en vint à prétendre être le Paraclet lui-même, venu compléter la révélation du Christ. Montan était mort avant 179. Le Montanisme est donc un mouvement de prophétisme et d'ascétisme. Il conservait à l'origine la foi commune, les Ecritures, l'attachement à l’Eglise, mais sa prétention à incarner la seule véritable Eglise de l'Esprit, comme son prophétisme incontrôlé, amenèrent une vive réaction de l'épiscopat, qui eut pour conséquence la séparation de Montan et de ses partisans d'avec l'Eglise. La propagande montaniste s'étendit dès le deuxième siècle jusqu’en Occident ; en Afrique au troisième siècle, elle entraîna Tertullien. La secte qui survécut plusieurs siècles, n’avait pas encore entièrement disparu au neuvième siècle.
(2). " Lettre des serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères qui sont en Asie et en Phrygie, ayant la même foi et la même espérance de la rédemption."
(3). Le vénérable évêque de Lyon, Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, avait dû être porté jusqu'au tribunal où, interrogé par le légat sur ce qu'était le Dieu des chrétiens, il répondait :
" Tu le connaîtras, si tu en es digne."
Cette réponse lui valut d'être accablé d'injures, de coups de pieds et de coups de pierres, puis il fut de nouveau jeté en prison où il rendit l'âme quarante-huit heures plus tard.
(4). La gnose (d'un mot grec signifiant connaissance) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s'opposa à la gnose pour les principales raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l'Ancien Testament ; elle évacuait l'attente chrétienne de l'accomplissement eschatologique.
Rq : On lira et méditera Le traité contre les hérésies, lequel, faut-il insister, n'a rien perdu de son actualité, en particulier quant à la gnose, cette putréfaction intellectuelle, à l'origine d'un nombre effrayant d'hérésies :
http://www.jesusmarie.com/irenee_de_lyon.html
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vendredi, 27 juin 2025
Sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
- Fête du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ. 1765.
Pape : Clément XIII. Roi de France : Louis XV.
" Le Sacré Cœur de Jésus est un abîme d’amour où il faut abîmer tout l’amour-propre qui est en nous, et toutes ses mauvaises productions qui sont le respect humain et les désirs de nous satisfaire."
Sainte Marguerite-Marie.
Sacré Coeur de Jésus. Batini. XVIIIe.
Fêtée 19 jours après la Pentecôte, la sollennité du Sacré Coeur de Notre Seigneur Jésus-Christ est un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Eglise, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l'Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d'abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l'essence infinie. Puis, d'un seul bond, l'Esprit impétueux de la Pentecôte (Act. II, 2.), entraînant nos âmes à d'autres aspects delà vérité qu'il a pour mission de rappeler au monde (Johan. XIV, 26.), les a laissées un long temps prosternées au pied de l'Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur (Psalm. CX, 4.). Aujourd'hui c'est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu'il propose à nos adorations.
Partie noble entre toutes du corps de l'Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l'hommage réclamé par l'union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Eglise, il convient ici que nous la demandions de préférence à l'histoire de ce culte lui-même et à la place qu'occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.
Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l'Esprit n'est pas autre, en chacune d'elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste parla seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d'une fête à l'autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s'est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l'a portée l'inépuisable activité d'un amour sans bornes ? Le Cœur de l'Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l'explication du plan divin tout entier.
Nous savions que cette félicité souveraine du premier Etre, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l'Esprit dans la lumière et l'amour, les trois divines personnes avaient résolu d'en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l'homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l'âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l'homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l'Esprit sanctificateur, s'unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; " bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l'Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu'il se montrera, nous lui serons semblables " (I Johan. III, 2.), étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles (Ibid. 1, 3.).
Mais l'amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n'a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l'intermédiaire obligé d'un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d'une âme humaine, manifesté dans les battements d'un cœur de chair pareil au nôtre. L'Ange du grand conseil, chargé d'annoncer au monde les desseins miséricordieux de l'Ancien des jours, a revêtu, dans l'accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu'à nous (Ibid. 1-2.).
Paray-le-Monial.
Docile instrument de l'amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s'unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l'abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l'influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l'âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu'aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde (Johan, I, 9.), et pénétrant par la claire vision dans l'essence divine, saisit d'un seul regard la beauté absolue du premier Etre, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l'être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s'émut pour l'homme et pour Dieu d'un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l'Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.
A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l'organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu'à ce que les émotions, s'éveillant avec l'intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l'Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l'origine à la loi d'un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu'il l'est maintenant dans les cieux. Car l'amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l'exquise sensibilité de son divin Cœur.
Quand il parut ici-bas, l'homme avait désappris l'amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n'était plus qu'un chemin par où l'âme s'enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors (Luc. XV, 13.). A ce monde matériel que l'âme de l'homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l'Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l'ineffable expression d'un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l'Esprit d'amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l'unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C'est l'unique organum, ainsi l'appelait Gertrude la Grande (Legatus divinae pietatis. Lib. II, ch. 23 ; Lib. III, ch. 25.) ; c'est l'instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l'humble hommage de l'inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l'homme à Dieu, l'échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.
L'Esprit divin, dont il est le chef-d'œuvre, en a fait sa vivante image. L'Esprit-Saint, en effet, bien qu'il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l'amour, en est le terme ou l'expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c'est par lui que s'épanche à flots sur les créatures avec l'être et la vie cet amour éternel. Ainsi l'amour de l'Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l'eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.
" Un des soldats, dit l'Evangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l'eau." (Johan. XIX, 34.).
Arrêtons-nous sur ce fait de l'histoire évangélique qui dotine à la fête d'aujourd'hui sa vraie base ; et comprenons l'importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l'insistance du disciple de l'amour non moins qu'il la solennité des expressions qu'il emploie.
" Celui qui l'a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l'Ecriture fût accomplie." (Ibid. 35-36.).
L'Evangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l'effusion de l'Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem (Zach. XII, 10.). " Et ils verront dans celui qu'ils ont percé " (Ibid. ; Johan. XIX, 37.), ajoutait le prophète.
Mais qu'y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l'Ecriture et de l'histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Johan. III, 16.) ?"
Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l'attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain (Luc. III, 21-22.), quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l'Elu du Père et l'objet des divines complaisances (Isai. XLII, I.). Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu'à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. " Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n'en font qu'un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu'elle est dans son Fils." (I Johan. V, 7, 8, 11.). Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l'Homme-Dieu le dénouement de l'œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l'accomplissement des desseins éternels.
Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l'Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu'apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l'eau et le sang, Jésus-Christ ; et l'Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité (I Johan. V, 6.), quand il dit de lui-même que la vie est en lui (Johan. V, 26, etc.). Car c'est l'Esprit, nous dit l'Evangile (Ibid. VII, 37-39.), qui sort avec Veau du Cœur sacré, des sources du Sauveur (Isai. XII, 3.), et nous rend dignes du sang divin qui l'accompagne. L'humanité, renaissant de l’eau et de l'Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu (Johan. III.) ; et, préparée pour l'Epoux dans les flots du baptême, l'Eglise s'unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l'os de ses os et la chair de sa chair (Gen. II, 23 ; Eph. V, 30.), associés pour l'éternité à sa vie divine dans le sein du Père.
Va donc, Ô Juif ! Ignorant les noces de l'Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l'Epoux au lit nuptial ; qu'il s'étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l'alliance ; et que de son Cœur sorte l'Epouse, avec l'eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Epouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s'est élancé comme un géant dans la voie de l'amour; la soif du désira consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l'Epouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s'est endormi dans sa soif brûlante. Mais l'Epouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l'effort, s'est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s'est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l'humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?
Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l'Eglise naissante s'écrier à Dieu, dans l'ivresse de son cœur débordant : " Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, Ô ma gloire ! Ô réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion." (Psalm. CVII, 1-4.). Et le Seigneur s'est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Eglise. Car le Cœur de l'Epoux appartient à l'Epouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair (Gen. II, 24 ; Eph. V, 31.).
Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur (Cant. IV, 9.), le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d'où elle est sortie. Là sera pour l'Eglise le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l'origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l'Eglise (Eph. V, 32.), l'homme est le chef (I Cor. XI, 3.), et il n'appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu'elle s'adresse au cœur, et que rien ne résiste à l'amour. Si Adam a péché, c'est qu'Eve a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l'Eglise a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s'appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l'Eglise, puisqu'elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l'Epoux et l'Eglise l'Epouse.
Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n'exposaient point autrement que nous ne l'avons fait le mystère de la formation de l'Eglise du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent :
- " Les initiés connaissent l'ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l'Eglise a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t'approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ." (In Johan. Hom. 84.).
- " L'Evangéliste, explique saint Augustin, a usé d'une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu'elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C'était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l'ordre d'ouvrir au côté de l'arche, pour l'entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l'Eglise." (In Johan. Tract, CXX.).
" Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée (Isai. II, 10.), dans le côté du Christ ", interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le bienheureux Guerric, abbé d'Igny (In Domin. Palm. Serm. IV.). Et l'Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : " Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille " (Cant. II, 14.) :
" Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l'oiseau de proie volant à l'entour ! Que verrons-nous par l'ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu'à son Cœur, a voici qu'est révélé l'arcane, l'arcane du Cœur, le mystère de l'amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu'y a-t-il en vous, Ô Seigneur, que des trésors d'amour, des richesses a de bonté ? J'irai, j'irai à ces celliers d'abondance ; docile à la voix du prophète (Jerem. XLVIII, 28.), j'abandonnerai les villes, j'habiterai dans la pierre, j'aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse (Exod. XXXIII, 22.) à l'entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur." (In Cant. Serm. LXI.).
Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Eve du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille (I Reg. XVIII, 10-11.), comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n'était que la figure, dans la pierre qui est le Christ (I Cor. X, 4.), la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes (Lignum vitœ.).
Mais nous ne pouvons qu'effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l'ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l'amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l'intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Eglise.
Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d'Helfta, près Eisleben, en Saxe, l'Epoux divin se révélait à l'épouse qu'il avait choisie pour l'introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre :
" Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l'Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l'éditeur du Legatus divinœ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu. entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d'absinthe, et ce qu'elle a pris à longs traits, elle l'a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s'en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l'action du Cœur divin dans l'économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d'elle sainte Mechtilde, sa compagne.
L'une et l'autre, à l'égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l'Eglise. Nous n'en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur Jésus-Cherit a voulu qu'un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur Sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l'Eglise ; mais ils n'en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l'insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.
Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l'avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu'elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu'il avait senti lorsqu'il reposait sur ce Cœur sacré :
" Ma mission, dit-il, fut d'écrire pour l'Eglise encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu'à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l'amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères." (Le Héraut de l'amour divin, Liv. IV, ch. 4.).
Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu'elle en a dit dépasse tout ce que l'imagination de l'homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c'est une lyre touchée par l'Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c'est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s'enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C'est un encensoir d'or, d'où s'élèvent autant de divers parfums d'encens qu'il y a de races diverses d'hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c'est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s'immole lui-même. C'est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c'est une coupe où s'abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d'hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c'est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s'ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d'ineffables délices pour l'éternité." (Préface des Révélations de sainte Gertrude traduites sur la nouvelle édition latine des Bénédictins de Solesmes.).
En découvrant à Gertrude l'ensemble merveilleux que présente la traduction de l'amour infini dans le Cœur de l'Homme-Dieu, l'Esprit divin prévenait l'enfer au lieu même d'où devait surgir, deux siècles plus tard, l'apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l'odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu'avaient connu ses pères l'auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel (Apoc. XII, 4.). Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l'ennemi tenta de pénétrer au sein même de l'Eglise et d'y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d'affirmer les droits du domaine souverain du premier Etre, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s'éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.
Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l'avait aimée d'amour, qu'il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d'Adam le premier père, tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d'accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?
Image du Sacré Coeur de Jésus que sainte Marguerite-Marie
donnait à ses novices lorsqu'elle était maître de celles-ci.
Laissant de côté tant d'illustrations d'éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l'Eglise de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts (I Cor. I, 27.) avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d'un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l'institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l'humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd'hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l'adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s'emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l'âge, l'appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l'amour méconnu du Christ Sauveur.
" Etant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de Jui rendre amour pour amour, il me dit :
" Tu ne m'en peux rendre un plus grand qu'en faisant ce que je t'ai déjà tant de fois demandé."
Alors me découvrant son divin Cœur :
" Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu'il n'a rien épargné, jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce Sacrement d'amour. Mais ce qui m'est encore a le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C'est pour cela que je te demande que le premier vendredi d'après l'Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d'honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu'il lui soit rendu ." (Vie de la Bienheureuse écrite par elle-même.).
En appelant sa servante à être l'instrument de la glorification de son divin Cœur, l'Homme-Dieu faisait d'elle un signe de contradiction, comme il l'avait été lui-même (Luc. II, 34.). Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d'humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre. Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l'Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d'une couronne d'épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d'une chapelle en l'honneur du Sacré-Cœur; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l'an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d'une fête proprement dite, et à sa célébration dans l'Eglise entière.
Châsse qui renferme les saintes reliques de
sainte Marguerite-Marie. Paray-le-Monial.
Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l'amour du Cœur de l'Homme-Dieu qu'il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l'église du Très-Sainct Cœur de Jésus et de Marie (" Le Cœur admirable de la Très Sacrée Mère de Dieu ", épître dédicatoire. Le séminaire des Eudistes à Caen, pour lequel fut bâtie cette église ou chapelle, est aujourd'hui l'Hôtel-de-Ville) ; et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s'être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu'il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l'honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L'Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l'évêque de Rennes et les évêques de Normandie.
Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l'abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu'il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l'Homme-Dieu, telle qu'elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C'était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu'il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d'amener sa célébration dans l'Eglise universelle.
Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l'humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l'un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l'Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l'apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d'abord, et jusqu'en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l'Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s'organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l'honneur de ce Cœur sacré. Mais l'enfer s'indigna de cette grande prédication d'amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l'humanité du Dieu Sauveur (Tit. III, 4.), qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l'idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l'humanité du Christ ; et pendant que s'entassaient à grands frais d'érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues , des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu'on appelait les Cordicoles.
Cependant l'année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l'on ne savait où s'arrêterait le progrès toujours croissant de l'affreuse contagion, quand l'évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l'héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s'engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu'à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.
Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l'Office de saint Jean Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu'il fût nécessaire de recourir à l'autorité du Souverain Pontife pour l'établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l'Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.
Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d'innombrables confréries , lorsqu'en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l'archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur delà fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d'autres Eglises particulières, jusqu'à ce qu'enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l'Episcopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l'Eglise universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.
La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu'elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.
Depuis lors, la connaissance et l'amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu'ils n'avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l'envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l'Eglise en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s'élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu'a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Eglise.
Promesses faites par Notre Seigneur Jésus-Christ à sainte Marguerite-Marie en faveur des personnes qui pratiquent la dévotion à son Sacré-Cœur :
1. Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
2. Je mettrai la paix dans leur famille.
3. Je les consolerai dans toutes leurs peines.
4. Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à la mort.
5. Je répandrai d'abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises.
6. Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l'océan infini de la miséricorde.
7. Les âmes tièdes deviendront ferventes.
8. Les âmes ferventes s'élèveront à une grande perfection.
9. Je bénirai moi-même les maisons où l'image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
10. Je donnerai aux prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis.
11. Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom écrit dans mon Cœur, où il ne sera jamais effacé.
12. Je te promets, dans l'excès de la miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf fois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce, ni sans recevoir leurs Sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré à cette dernière heure.
Saint Jean Eudes. Gravure. XVIIIe.
Les communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois :
En 1688, au cours d'une apparition à sainte Marguerite-Marie, Notre-Seigneur Jésus-Christ daigna lui adresser ces paroles :
" Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf mois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce ni sans recevoir leurs sacrements, et que mon divin Cœur se rendra leur asile assuré aux derniers moments."
La plus ancienne archiconfrérie
dévouée au Sacré Coeur de Jésus. Rome.
Par l'insertion intégrale de cette promesse dans la Bulle de canonisation de sainte Marguerite-Marie (Acta Apostolicæ Sedis 1920, p. 503), en date du 13 mai 1920, le Pape Benoît XV a encouragé la pratique des communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois, en l'honneur du Sacré-Cœur.
PRIERE
" Ô Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Eglise et la France ; et qu'unies aujourd'hui dans l'épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !"
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27 juin. Saint Ladislas Ier, roi de Hongrie. 1095.

Il ne descendait pas en ligne directe de saint Etienne, roi et apôtre de Hongrie, dont nous donnerons la vie au 20 août, mais de Ladislas, dit le Chauve, son cousin-germain, dont il était petit-fils. Béla, son père, fut quelque temps fugitif en Pologne, pour éviter la cruauté de Pierre le Germanique, gendre du même saint Etienne, que les Hongrois avaient fait leur roi. Mais André, son frère aîné et oncle de notre Saint, étant monté sur le trône, ce dernier revint en son pays, où il eut la qualité de duc, qui était la seconde de tout le royaume. Il avait épousé, en Pologne, pendant son exil, la fille de Mesco, duc de ce royaume, et il en avait eu deux fils : Geiza, l'aîné, et Ladislas, notre illustre confesseur ; il les amena tous deux avec lui.
L'éducation de ces enfants, tant en Pologne qu'en Hongrie, fut si avantageuse, qu'ils donnèrent, dès leur enfance, de grands présages de la vertu qu'ils ont fait paraître toute leur vie. Notre Saint était si chaste, si modeste, si dévot et si plein de tendresse et de charité pour les pauvres, qu'il était admiré de tout le monde.
Ce ne fut qu'avec douleur qu'il vit son père monter sur le trône, parce qu'il n'y monta qu'en faisant la guerre au roi, son frère, et en gagnant une victoire signalée contre lui car ce saint jeune homme était si éloigné de l'amour des grandeurs de la terre, qu'il eût mieux aimé vivre banni de son pays et dans la disette de toutes choses, que de posséder un royaume par des voies si peu légitimes. Il est vrai qu'André avait attenté à la vie de Béla, pour mieux assurer la couronne à Salomon, son fils, âgé seulement de douze ans ; mais Ladislas ne pensait pas que ce fût un sujet suffisant à son père pour prendre les armes contre son souverain, et il croyait qu'en cette rencontre il devait faire seulement comme David qui, poursuivi par Saùl, se contenta de fuir et de se cacher, sans jamais attenter à sa couronne ni à sa vie.

Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.
Aussi, après sa mort, il ne se laissa nullement aller à l'ambition de régner en sa place; au contraire, il céda très-volontiers cet honneur, premièrement à Salomon, flls d'André, son cousin-germain, et en second lieu à Geiza II, son frère aîné, quoique, le royaume étant en quelque manière électif, il eût pu y prétendre par la faveur de tous les gens de bien qui avaient une affection singulière pour lui.
Mais Geiza ayant chassé Salomon, prince cruel et sanguinaire, qui mutait tout à feu et à sang dans ses Etats, et lui-même étant mort depuis, dans la troisième année de son règne, tous les prélats, les seigneurs et les magistrats des principales villes de Hongrie, qui s'assemblèrent pour lui donner un successeur, supplièrent unanimement Ladislas d'accepter la couronne et de prendre le gouvernement du royaume. Il avait en effet toutes les qualités du corps et de l'esprit que l'on peut souhaiter dans un grand prince.
Il n'y avait personne dans toute la Hongrie, ni plus grand, ni d'un port plus majestueux que lui ; il était capable de toutes les affaires, tant de la paix que de la guerre, et il en supportait aisément toutes les fatigues. Il recevait tout le monde avec tant d'affabilité, que le moindre de ses vassaux avait la liberté de l'approcher et de lui représenter son droit. Il montrait tant de modération dans ses jugements, qu'on le regardait plutôt comme un père qui accommodait quelque différend de ses enfants, que comme un prince qui jugeait souverainement les causes de ses sujets ce qui lui avait fait donner le surnom de Pieux. La qualité de fils et de frëre de rois, ni celle de duc du premier duché du royaume, ne l'empêchèrent pas de se rendre familier avec les moins considérables de ses sujets, et de donner en toute occasion des marques d'une humilité vraiment chrétienne.
Dans tous les besoins de l'Etat, qui fut souvent attaqué par les barbares, on le voyait toujours le premier à cheval pour le défendre, et, allant lui-même à la tête des armées sans rien craindre, il y remplissait le devoir du plus brave soldat et du plus intrépide capitaine ; il n'avait pas même fait difficulté, pour épargner le sang humain, d'appeler les généraux des armées ennemies en des combats singuliers dont il était toujours sorti victorieux.
Il demeura toujours très-chaste, malgré les dangers auxquels sa vertu fut exposée dans les cours. La sobriété était en lui la compagne inséparable de la continence, et, si sa qualité de prince l'obligeait ordinairement d'avoir une table bien servie, il n'y prenait que ce qui lui était absolument nécessaire pour vivre. Il jeûnait même souvent, couchait sur la dure et faisait d'autres mortifications pour dompter son corps et l'empêcher de se révolter contre l'esprit. S'il était si sévère à l'égard de lui-même, personne n'était plus doux et plus charitable que lui envers les nécessiteux.
Sa maison passait pour l'asile commun de tous les misérables, et, en effet, pas un n'en sortait sans y avoir reçu quelque soulagement à sa misère. Les pauvres montraient de tous côtés les habits dont il les avait revêtus et l'argent qu'il leur avait donné. Il prenait le soin de la subsistance des veuves, des pupilles et des orphelins, et leur faisait distribuer de grandes aumônes. Il mariait les pauvres filles qu'il voyait en danger de perdre leur honneur ; il relevait les familles ruinées par de fâcheux accidents ; et, pour tout dire en un mot, on trouvait auprès de lui un. secours assuré pour toute sorte de besoins. Les églises magnifiques qu'il avait fait construire après la défaite de Salomon, étaient une marque évidente de sa piété envers Dieu ; mais il l'avait fait paraître encore davantage en soutenant constamment par toute la Hongrie la religion chrétienne, pour laquelle la plus grands partie du peuple, et surtout des paysans accoutumés à leurs idoles, n'avaient pas grande inclination.

Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.
Ce furent sans doute ces rares qualités qui obligèrent les seigneurs hongrois à lui présenter la couronne avec tant d'instance. Cependant il leur résista autant qu'il lui fut possible. Il considérait, d'un côté, que les rois sont exposés à une infinité de dangers de se perdre, parce que leurs obligations sont très-grandes et qu'ils ont devant les yeux mille attraits qui les empêchent de s'en acquitter ; et, d'autre part, il avait de la peine à prendre la qualité de roi pendant que Salomon, son cousin, à qui cette couronne semblait appartenir légitimement, était en vie ; et, en effet, Geiza, son frère, avant de mourir, avait tenté un accommodement avec ce prince, et n'était mort que dans la résolution de le faire s'il était possible.
Mais les Hongrois lui soutinrent que, ce royaume étant plutôt électif qu'héréditaire, ils avaient eu le droit de le donner à Geiza plutôt qu'à Salomon, et qu'ils avaient encore le droit de le préférer lui-même à ce prince cruel, qui ne pouvait monter sur le trône sans mettre toute la Hongrie en combustion ; d'ailleurs, ils lui protestèrent qu'ils n'auraient point d'autre roi que lui ; il fut donc enfin contraint de se rendre et d'accepter le gouvernement qu'ils lui offraient. Mais il garda encore en cela une modération digne d'un grand prince ; car, tant qu'il sut que son cousin était en vie, il ne voulut point être couronné ni porter le diadème montrant par là que, s'il était chargé de l'administration de l'Etat, il ne l'avait pas fait par un désir ambitieux de régner, mais seulement par nécessité et pour le grand amour qu'il portait à sa patrie.
Aussi, dès qu'il eut établi la paix et la piété dans le royaume, il n'épargna aucun moyen, ni divin, ni humain, pour gagner l'esprit de Salomon, et pour lui faire quitter cette humeur farouche et cruelle qui le faisait redouter de tout le monde ; il lui donna des pensions suffisantes pour entretenir, un train royal ; il lui envoya souvent des prélats et des hommes d'Etat qui devaient avoir du crédit sur son esprit, pour essayer de l'adoucir et de lui faire prendre des inclinations de père pour les peuples, et il était prêt à lui céder la couronne, s'il eût vu du changement dans ses moeurs.

Statue de saint Ladislas. Place des Héros. Budapest.
Mais ce prince, bien loin de correspondre aux saintes inclinations de Ladislas, fit ce qu'il put pour le détruire et lui dressa même des embûches où, sous prétexte d'un pourparler, il devait le tuer. Cela obligea notre Saint, averti de sa perfidie, de s'assurer de sa personne, et de le mettre en prison dans Vizzegrad, place forte de Hongrie; mais ce ne fut pas pour longtemps ; car, ayant appris d'une sainte religieuse que cette conduite n'était pas agréable à Dieu, et que c'était pour cela que la pierre du tombeau de saint Etienne, qu'il avait voulu faire lever pour transférer son corps sacré, était demeurée immobile, il le mit en liberté et le traita avec toute sorte d'humanité.
Depuis, ce roi dépouillé entra en diverses guerres contre les princes voisins, plutôt en chef de bandits qu'en grand capitaine ; mais, ayant un jour été entièrement défait, il fut contraint de s'enfuir tout seul dans une épaisse forêt, d'où il ne revint point. Les historiens disent qu'il y fut si puissamment touché de l'esprit de pénitence, qu'il y passa plusieurs années en solitude dans les larmes et des gémissements continuels, et sans avoir d'autre lit que les feuilles des arbres, d'autre vêtement qu'un cilice et quelques peaux de bêtes sauvages, ni d'autre nourriture que des herbes qu'il trouvait dans les bois, ou quelques pommes sauvages avec l'eau croupie des marais ; et qu'enfin il y mourut fort saintement et fut enterré à Pola, ville de l'Istrie. Cela nous donne sujet d'admirer la bonté infinie de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui abaisse les hommes pour les élever, qui les blesse pour les guérir, et qui les réduit à l'extrémité de la misère pour les faire entrer dans le chemin du véritable bonheur.
Salomon étant disparu de cette manière, Ladislas n'eut plus rien dans ses Etats qui pût s'opposer aux bons règlements qu'il y voulait établir. Ainsi il fit assembler un synode, où on fit en sa présence plusieurs belles ordonnances pour contenir ses sujets dans la justice et dans l'observance de la loi divine et elles furent ensuite réduites en trois livres que nous avons à la fin de l'Histoire de Hongrie, par Bonfinius. Son exemple fut encore plus efficace pour maintenir les Hongrois dans leur devoir, que toutes ses lois ; car il n'ordonnait rien qu'il ne fît le premier, et il était si fidèle observateur de tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'on pouvait l'appeler lui-même une loi vivante, qui représentait à chacun ce qu'il était obligé de faire. Son palais était si bien réglé, qu'on entendait ni jurement, ni blasphème, ni paroles déshonnëtes les jeûnes ecclésiastiques y étaient exactement gardés, et on y vivait avec tant de retenue, qu'il ressemblait plutôt à une maison religieuse qu'à la cour d'un roi.
Il avait été fort zélé à bâtir des églises, où les louanges de Dieu fussent chantées continuellement il en fonda encore d'autres depuis son avénement à la couronne, surtout la célèbre basilique de Notre-Dame de Varadin, qui fut érigée en évêché ; il assistait fort assidûment aux divins offices, et passait souvent plusieurs heures en prières en ces lieux de dévotion. Sa miséricorde pour les nécessiteux, bien loin de diminuer par son exaltation, s'augmenta au contraire notablement, et non-seulement il s'étudia a n'en point faire de nouveaux par la multiplication des impôts et des subsides, mais il s'appliqua aussi de tout son pouvoir à soulager ceux qui l'étaient ou qui le devenaient par le malheur de leurs affaires.
Il eut de grandes guerres pendant son règne il fut attaqué par les Huns, les Russes, les Polonais, les Bohémiens, et d'autres peuples voisins. Mais il les repoussa toujours, et remporta même sur eux des victoires signalées, principalement sur les Huns qu'il défit deux fois entièrement, et sur les Polonais, à qui il prit Cracovie, qui était la capitale du royaume. Avant de partir pour la guerre, il faisait toujours faire des prières publiques et un jeûne de trois jours; et, quoiqu'il eût soin d'assembler de bonnes troupes, qu'il marchât toujours à la tête et qu'il se jetât lui-même courageusement sur les ennemis, il ne mettait pas néanmoins sa confiance en ses forces, mais seulement dans le secours de Dieu, qu'il implorait avec de grandes instances. Il avait en particulier une grande dévotion à Notre Dame qui fut toujours sa meilleure alliée. Avant chaque bataille, il faisait toujours des prières publiques et les faisaient précéder de trois jours de jeûne.
Après tant de généreux exploits, son plus grand désir était de conduire une armée contre les infidèles, pour reprendre sur eux la Terre sainte, et délivrer de leurs mains le tombeau de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'espérance qu'il avait de répandre son sang pour la gloire de son Maître, et de devenir martyr l'animait principalement à cette expédition. Il s'en présenta une occasion très favorable car le célèbre Pierre l'Ermite avait prêché de-tous côtés la croisade par l'ordre du pape Urbain II. Les princes de France, d'Espagne et d'Angleterre, qui s'étaient croisés, envoyèrent une célèbre ambassade à notre saint roi, pour le prier d'être le chef de l'armée qu'ils préparaient, et qui ne devait pas être moindre de trois cent mille hommes.

La couronne de saint Etienne.
On ne peut exprimer la douleur dont toute la Hongrie fut remplie lorsque la nouvelle de sa mort y fut répandue chacun le regrettait comme le père des pauvres, comme le soutien de l'Etat, comme le restaurateur de la piété et de la justice, comme le défenseur de la virginité, comme l'appui de l'Eglise et comme le modèle de toute sainteté. On en porta le deuil pendant trois ans, et, durant tout ce temps, on ne fit aucune réjouissance ni publique ni particulière dans tout le royaume.
Son corps fut porté solennellement à Varadin, pour y être enterré dans l'église Notre-Dame, qu'il avait fondée. Deux miracles rendirent le convoi fort célèbre. Ceux qui le conduisaient s'endormirent si profondément dans le dernier gîte, par la grande lassitude où ils étaient, qu'ils ne se levèrent qu'à trois heures de jour ; le chariot où était le saint corps marcha tout seul vers Varadin, sans être traîné par aucun cheval, et se rendit si vite au lieu que le bienheureux roi avait marqué pour sa sépulture, qu'il y arriva avant que les conducteurs le pussent atteindre. Quelqu'un de la troupe ayant dit que le même corps sentait mauvais, contre le témoignage de tous les autres, qui assuraient qu'il exhalait une odeur très agréable, la bouche lui tourna aussitôt, et son menton s'attacha tellement à son épaule, qu'il lui fut impossible de se lever jusqu'à ce qu'il eût reconnu sa faute et demandé pardon au Saint.
prêchant la première croisade. Châtillon-sur-Marne.
On représente ordinairement notre Saint avec deux anges à ses côtés ce sont les deux anges protecteurs que Salomon, parent du jeune prince, vit auprès de Ladislas quand il lui faisait la guerre. On rapporte d'ailleurs que Ladislas étant mort, son cercueil fut porté par deux anges jusqu'à l'église que ce Saint avait fait bâtir en l'honneur de la très-sainte Vierge.
On le voit parfois tenant de la même main son chapelet et son sabre ; c'était sa manière ordinaire de charger l'ennemi ; heureuse et salutaire inspiration qui trouverait aujourd'hui bien des critiques, mais dont il n'eut jamais à se repentir. Assez ordinairement on le peint avec l'étendard hongrois, pour montrer que sa charité, ses prières et ses fondations pieuses ne l'empêchaient pas d'être un redoutable et vaillant prince. Rien n'empêche de lui mettre une église dans les mains, puisqu'il est le fondateur de nombreuses basiliques et notamment de la cathédrale dédiée à Notre-Dame dans la ville de Varadin. Les estampes hongroises nous le présentent fréquemment faisant jaillir d'une roche abrupte, avec sa lance, une fontaine d'eau vive dont il désaltère ses soldats qu'il conduit à la guerre.
Les artistes ne dédaignent pas de le peindre quelquefois avec le globe impérial timbré de la croix, parce qu'il refusa l'empire que lui offraient les princes allemands. Enfin, la hache d'armes ou la lance qu'on lui met assez souvent à la main est une allusion soit à son duel avec un chef ennemi, soit au coup de lance qui fit jaillir la fontaine miraculeuse dont nous avons parlé, soit, en général, à ses vertus guerrières.
Saint Ladislas. Statue. Budapest. Royaume de Hongrie.
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