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vendredi, 17 novembre 2023

17 novembre. Saint Grégoire, archevêque de Tours. 595.

- Saint Grégoire, archevêque de Tours. 595.

Pape : Saint Grégoire Ier, le Grand. Roi d'Austrasie, de Bourgogne et de Paris : Childebert II.

" L'humilité est la reine des vertus comme l'orgueil est le roi des vices."
Saint Bonaventure.


Saint Grégoire écrivant. Missel à l'usage de Clermont-Ferrand. XIIIe.

Fils du sénateur Florent, il naquit à Clermont le 30 novembre 539. Par son aïeule paternelle, Léocradie, Grégoire descendait de Vettius Epagathus qui fut un des martyrs de Lyon, et, par sa mère, Armentaire, il était un arrière-petit-fils de saint Grégoire qui fut évêque de Langres.

Grégoire, seizième évêque de Langres, membre d’une des grandes familles sénatoriales de la Gaule romaine, naquit vers 450 et fut très jeune comte d'Autun, charge qu'il exerça pendant une quarantaine d'années avec beaucoup de conscience et une fermeté que certains jugèrent quelque peu excessive.

Veuf, il fut élu évêque de Langres en 506. Son épiscopat dura près de 33 ans. Langres ayant été dévastée, il fixa sa résidence au castrum de Dijon. Evêque très zélé, il menait une vie fort mortifiée et consacrait de longues heures à la prière.
Il avait l'habitude de passer une partie de la nuit dans le baptistère de Saint-Vincent, où étaient exposées de nombreuses reliques. Ayant redécouvert (à la suite d'une vision) les reliques de saint Bénigne, il fit construire sur la tombe du martyr une église (consacrée en 535) et il fonda pour la desservir l'abbaye de Saint-Bénigne, qu'il dota de terres prises sur son patrimoine.

Il assista aux conciles d'Epaonne de 517, de Lyon vers 519 et de Clermont en 535 ; il se fit représenter par un de ses prêtres à celui d'Orléans (538). Lorsque l’abbé Jean, fondateur du monastère de Réomé, voulut se retirer à Lérins, il le rappela par une lettre sévère.

 
Pris de fièvre en se rendant de Dijon à Langres pour y célébrer la fête de l'Epiphanie, il mourut le 4 janvier 539. Conformément à son désir, on ramena son corps à Dijon, où il fut inhumé dans le baptistère. Venance Fortunat composa son épitaphe. Des miracles ne tardèrent pas à se produire par son intercession.

Il avait eu trois enfants, dont l'un, Tetricus, lui succéda comme évêque de Langres et fit construire un tombeau répondant mieux au culte dont son père était l'objet (l'anniversaire de cette translation se célébrait le 6 novembre) ; un autre fut le père de saint Euphrone, évêque de Tours ; et un troisième fut le grand-père de Grégoire de Tours qui a évoqué à diverses reprises avec de nombreux détails la figure de son aïeul.


Miracle de saint Grégoire de Tours.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

A cinq ans, saint Grégoire de Tours fut confié à son oncle paternel, saint Gall, évêque de Clermont, et, dès ce temps-là, il paraissait si saint que son cousin Nizier, saint évêque de Lyon, le regardait comme un saint et un prédestiné ; en effet, dans son enfance, instruit en songe par un ange, il guérit deux fois son père des maux dont il était tourmenté : une fois, en mettant sous le chevet du lit paternel une tablette où était écrit le nom de Jésus, et une autre fois, à l'exemple de l'ange Raphaël, dans le livre de Tobie, par l'odeur du foie d'un poisson qu'il fit rôtir.

Etant lui-même tombé malade, il se fit porter au tombeau de saint Alyre qui fut évêque de Clermont ; n’ayant obtenu aucun résultat la première fois, il promit à la seconde d'entrer dans l'Eglise et recouvra la santé. En 569, il reçut le diaconat des mains de Cautin, successeur de saint Gall.

Comme un bourgeois de Clermont qui avait apporté de Tours un morceau de bois détaché du tombeau de saint Martin, ne le gardait pas dans sa maison avec la révérence convenable, tous ses domestiques tombèrent malades. Lorsqu’il eut recours à Dieu pour savoir la cause du mal, un visage indigné lui apparut en songe pour lui dire que le peu de respect porté à la relique était la cause de ses maladies qui cesseraient quand il remettrait le précieux dépôt entre les mains du diacre Grégoire. Il le fit et il vit l’accomplissement de la promesse. Grégoire visitait alors souvent des religieux pénitents dont la conversation le dégoûta entièrement du monde ; il s’adonna à la prière continuelle et de grandes austérités qui altérèrent tant sa santé que l’on désespéra de le guérir ; il se fit transporter au tombeau de saint Martin où il reçut une parfaite guérison, miracle qui se reproduisit si souvent qu'on eût dit qu'il ne tenait la vie que de ce grand saint.

Ses fréquents pèlerinages à Tours l’y rendirent si familier qu’après la mort d'Euphrone (4 août 573), malgré sa résistance, selon les vœux du roi Sigebert et de la reine Brunehaut, on l’élit évêque de Tours où, après les guerres qui avaient désolé le pays, les églises étaient ruinées, les mœurs corrompues et la discipline altérée.

Avec un zèle merveilleux, il fit remédier à tous ces désordres, surmontant les obstacles qu'il trouva d'abord à ses desseins. Il fit restaurer sa cathédrale et fit bâtir d'autres églises. Il corrigea dans le peuple un grand nombre d'abus et réforma son clergé. Il avait le don du discernement des esprits dont il se servait utilement pour délivrer ses ouailles de leurs maladies spirituelles ; ainsi, ayant découvert à deux religieux, Sénoch et Liobard, dont chacun vantait la sainteté, leurs plus secrètes pensées, il les guérit d'une vanité dangereuse qu'ils entretenaient dans leur cœur sans la bien connaître.


Saint Grégoire enseignant. Missel de Quincy. XIIe.

Il secourait les pauvres plutôt selon la grandeur de sa charité, qui était sans bornes, que selon la force de son bien et du revenu de son évêché. Il soutenait avec un courage intrépide les immunités ecclésiastiques et le droit d'asile des temples sacrés contre les plus grands seigneurs et contre les rois eux-mêmes ; ainsi ne voulut-il jamais livrer au roi Chilpéric son fils Mérovée qui s'était réfugié au pied de l'autel de Saint-Martin ; quand le duc Bladaste et le comte Badachaire eurent recours au même asile, il s’en fut trouver le roi Gontran qui, refusant de pardonner, s’entendit dire :
" Puisque vous ne voulez pas, Sire, m'accorder ce que je vous demande, que souhaitez-vous que je réponde à mon Seigneur qui m'a envoyé vers vous ?"
Le roi Gontran demanda :
" Et qui est ce seigneur ?"
Grégoire répondit en souriant :
" C'est le glorieux saint Martin, il a pris ces deux princes sous sa protection, et lui-même vous demande leur grâce."
Ces paroles touchèrent tellement Gontran qu'il pardonna et fit rendre les biens qu'il avait confisqués.

Cet excellent prélat ne montra pas moins de constance dans un synode tenu à Paris contre saint Prétextat, évêque de Rouen, qui avait pour partie adverse le roi Chilpéric et la reine Frédégonde (577) ; les autres évêques n'osant pas parler en faveur de l'accusé, de peur de déplaire à la cour, Grégoire eut le courage d'exhorter ceux qui étaient les mieux venus auprès du roi à le persuader de se départir de cette affaire qui ne ferait que lui attirer le blâme des hommes, aussi bien que la colère et les justes vengeances de Dieu ; et comme Chilpéric le fit appeler devant lui pour se plaindre de ce qu'il soutenait un évêque qui lui était désagréable, il lui fit cette excellente réponse :
" Si quelqu'un de vos sujets s'écarte de son devoir et commet quelque injustice, vous êtes au-dessus de lui pour le châtier ; mais si vous-même vous vous éloignez du droit sentier de la justice, il n'y a personne qui ait le droit de vous punir. Nous donc, à qui Dieu a commis le soin des âmes, nous prenons alors la liberté de vous en faire de très humbles remontrances, et vous nous écoutez si vous voulez ; que, si vous ne nous écoutez pas, vous aurez à répondre à un souverain juge qui, étant le maître absolu des rois, vous traitera selon vos mérites."

Ce discours n'empêcha certes pas la condamnation de Prétextat, mais comme Frédégonde connut par là la vigueur épiscopale de Grégoire, elle fit ce qu'elle put par des promesses et des menaces pour l'attirer dans ses intérêts. Il fut insensible aux uns et aux autres, et, dans l'état déplorable où était alors le pays, troublé par les démêlés de quatre rois, et presque ruiné par les cruautés de deux reines ambitieuses, il sut se maintenir inviolablement dans la défense de la vérité et de la justice.

Il éprouva néanmoins combien il était dangereux de déplaire à Frédégonde quand, trois ans après l'affaire de saint Prétextat, elle le fit citer devant un synode que l'on tenait à Brenni, près de Compiègne, sous prétexte qu'il avait mal parlé d'elle ; mais, n'ayant aucune preuve contre lui et son serment le purgeant entièrement, elle fut obligée de le laisser renvoyer absous, contrairement à celui qui l'avait accusé qui fut excommunié comme calomniateur.


Messe de saint Grégoire de Tours. Heures à l'usage de Langres. XVe.

En 594 il partit en pèlerinage à Rome pour vénérer les tombeaux des saints Apôtres. Saint Grégoire le Grand, qui était nouvellement élu pape, le reçut avec beaucoup d'honneurs ; cependant, le voyant de très petite taille, il admirait que Dieu eût enfermé une si belle âme et tant de grâces dans un si petit corps. L'évêque connut par révélation cette pensée, et lui dit : Le Seigneur nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, mais il est le même dans les petits que dans les grands. Le Pape fut étonné de voir qu'il eût pénétré le secret de son cœur, et depuis il l'honora comme un saint, lui donna une chaîne d'or, pour mettre dans son église de Tours, et accorda en sa faveur de beaux privilèges à la même église.

Saint Grégoire de Tours a fait durant sa vie un très grand nombre de miracles et de guérisons surnaturelles ; mais, comme il était extrêmement humble, pour cacher la grâce des guérisons dont Dieu l'avait favorisé, il appliquait toujours sur les malades qu'il voulait guérir les reliques qu'il portait sur lui. Il a aussi reçu de la bonté de Dieu des faveurs et des assistances tout à fait extraordinaires.

 
Des voleurs étant venus pour le maltraiter, ils furent contraints de s'enfuir par une terreur panique dont ils furent saisis. Un orage, accompagné d'éclairs et de tonnerres, s'étant élevé en l'air tandis qu'il était en voyage, il ne fit que lui opposer son reliquaire, et il se dissipa en un moment. Dans la même occasion, ce miracle lui ayant donné quelque vaine joie et quelque sorte de complaisance, il tomba aussitôt de cheval et apprit par là à étouffer dans son cœur les plus petits sentiments d'orgueil. Etant un jour de Noël, le matin, dans un grand assoupissement pour avoir veillé toute la nuit, une personne lui apparut en songe et le réveilla par trois fois, lui disant à la troisième fois, par allusion à son nom de Grégoire, qui signifie vigilant :
" Dormirez-vous toujours, vous qui devez éveiller les autres ?"
Enfin, sa vie a été remplie de tant de merveilles, qu'il faudrait un volume entier pour les rapporter.

Depuis son retour de Rome, il s'appliqua plus que jamais à la visite de son diocèse, à la correction et à la sanctification des âmes qui lui étaient commises, à la prédication de la parole de Dieu et à toutes les autres fonctions d'un bon évêque. Ce fut dans ces exercices qu'il acheva le cours de sa vie, étant seulement âgé de cinquante-six ans, le 17 novembre de l'an 595, qui était la vingt et unième de son épiscopat. L'humilité qu'il avait pratiquée pendant sa vie parut encore après son décès, par le choix qu'il fit de sa sépulture.

Saint Grégoire de Tours a beaucoup écrit mais son principal ouvrage est son Historia Francorum sans laquelle l’histoire et les mœurs de la seconde moitié du VIe siècle nous seraient presque inconnues. On peut le considérer comme le père de l’histoire de France.

Rq : On peut lire et télécharger l'Histoire des Francs de saint Grégoire de Tours :
- Tome I : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k94600f ;
- Tome II : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k94598q.

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jeudi, 16 novembre 2023

16 novembre. Saint Eucher, évêque de Lyon. 450.

- Saint Eucher, évêque de Lyon. 450.

Pape : Saint Léon Ier, le Grand. Empereur romain d'Occident : Valentinien III. Roi des Francs : Mérovée.

" Que la modestie soit l'ornement de votre sagesse, et que la pudeur domine en vous toutes les vertus."
Saint Jérôme.


Saint Eucher. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Monbaston. XIVe.

Bien qu'il ait laissé un grand renom de sainteté, Eucher n'a pas eu la chance de trouver un biographe, de sorte que sa vie, d'ailleurs peu mouvementée, est assez mal connue.

Il appartenait certainement à une grande famille gauloise ; il nomme au nombre de ses parents un certain Priscus Valerianus qui semble bien avoir été préfet du prétoire des Gaules et cousin de l'empereur Avitus. On ignore le nom et la résidence de son père et de sa mère; il est probable qu'ils étaient Chrétiens, puisque Eucher ne se présente jamais comme un converti. Devenu évêque de Lyon, Eucher parlait des gloires locales comme pouvait en parler un Lyonnais de naissance ; on ne peut tout même pas en conclure qu'il était né dans cette ville.

Eucher serait né vers 380-390. Il fit sûrement d'excellentes études ; ses écrits montrent qu'il maniait la langue latine avec une perfection presque classique, peu commune à cette époque.

Il se maria avec une jeune fille de son sang, Galla, dont il eut deux fils, Salonius et Veranus. On ne sait pas si Eucher occupa des charges importantes, on ignore tout de son activité.

Eucher et Galla étaient encore assez jeunes quand ils résolurent de quitter le monde - l'aîné de leurs fils, Salonius, n'avait guère que 10 ans. Eucher se rendit tout d'abord à Lérins, dans l'île qui porte aujourd'hui le nom de Saint-Honorat ; il passa 2 ans dans ce monastère déjà célèbre, sous la direction de saint Honorat, pour s'initier aux pratiques de la perfection ; puis il alla se fixer dans l'île voisine de Léro, aujourd'hui Sainte-Marguerite, où Galla vint le rejoindre.

Pour se sanctifier, sans se séparer, les deux époux avaient résolu de vivre comme frère et soeur, en surveillant l'éducation de leurs enfants qui furent confiés aux maîtres illustres de Lérins, Hilaire et Salvien.

Eucher et Galla voulaient chercher Dieu ; la solitude leur permettait de prier à loisir ; ils étudiaient les saintes Ecritures, non pour élucider des problèmes d'exégèse, mais pour y chercher des règles de vie. Ils n'auraient pas voulu se contenter de vieillir à la façon calme et tranquille des braves gentilshommes campagnards, mais Eucher n'était nullement désireux de pratiquer des austérités effrayantes; parlant de son " désert ", il écrit qu'il " abonde en eaux vives, en ombrages verdoyants, en fleurs parfumées. Agréable aux yeux comme aux narines, il s'offre à ceux qui l'habite comme un vrai paradis ". Il n'excluait ni une certaine douceur de vivre, ni surtout de chaudes amitiés.


Le monastère de l'île Saint-Honorat (une des îles de Lérins)
où saint Eucher se retira.

Cassien, qui fut justement un de ses amis, semble pourtant insinuer dans sa préface à sa deuxième série de Conférences qu'Eucher avait eu l'intention de se rendre en Égypte pour s'édifier au spectacle des vertus des ascètes, et que c'est pour lui éviter les fatigues et les périls d'un si long voyage que lui, Cassien, se décida à reprendre la plume. On peut penser plus simplement que si le destinataire n'avait pas de goûts aventureux, l'auteur savait tourner une dédicace, et que l'un et l'autre savouraient les aimables insinuations que suggère l'amitié.

Ce n'est que pressé par le besoin de témoigner son amitié à Eucher et à Galla que Paulin de Nole correspondait avec eux ; la dernière lettre que nous ayons de lui, écrite vers 423-426, ne veut que leur exprimer son affection en insistant sur la solidité de l'amitié fondée sur le Christ. Eucher lui-même n'écrivait que par amitié ou par amour paternel. Le premier ouvrage d'Eucher qui nous soit parvenu est une longue lettre qu'il adressa à Hilaire en 427.

Quand Honorat de Lérins avait été nommé évêque d'Arles, Hilaire l'avait accompagné (426), mais il ne tarda guère à regretter son île. Eucher s'empressa de le féliciter en lui envoyant un " éloge de la solitude ". Peu après, il composait à l'intention de son parent Valérien une démonstration fort pressante pour le persuader de mépriser le monde et la philosophie du siècle, mais son argumentation ne suffit pas à convaincre son correspondant.

Vers 435, Eucher fut élu évêque de Lyon. Ce choix n'avait rien de surprenant ; on avait alors l'habitude de désigner pour l'épiscopat de grands personnages qui souvent n'étaient pas même clercs, ce qui n'allait pas toujours sans inconvénient ; ce n'était pas le cas d'Eucher : son séjour à Lérins, monastère fort renommé, garantissait la profondeur de sa Foi et l'étendue de sa science théologique.

L'évêché de Lyon était fort important, mais nous ne pouvons nous faire aucune idée de l'activité épiscopale d'Eucher. Il s'occupa des moines de l'Ile-Barbe et dans une période difficile leur fit envoyer du blé, du vin, du fromage et de l'huile. Il assista en 441 au 1er concile d'Orange, qui dirigé de main de maître par son ami Hilaire, devenu évêque d'Arles, édicta un certain nombre de mesures disciplinaires.

De tempérament calme, Eucher évita de s'engager dans des affaires épineuses. Dans les controverses au sujet de la grâce, il semble avoir gardé une prudente neutralité. Son ami Cassien lui avait dédié, entre autres, sa fameuse XIIIe Conférence. Or dans ceux de ses écrits qui nous sont parvenus, Eucher ne discute pas la question. On se demande quelle place il lui avait faite dans le résumé des Conférences qu'il avait arrangé et qui est perdu, une bien petite sans doute, car il ne s'intéressait guère, semble-t-il, aux spéculations abstraites.

Les deux ouvrages qu'il composa avec ses fils pendant son épiscopat nous montrent bien sa manière. Le premier, Formulae spiritalis intelligentiae, est dédié à son fils cadet Veranus ; le second, Instructiones, à l'aîné, Salonius. Ce sont les réponses à des questions posées par ses fils qui l'avaient sans doute accompagné à Lyon et qui aimaient à chercher avec lui l'explication des passages difficiles de l'Écriture.


L'église Saint-Nizier de Lyon fut fondée par saint Eucher.

Le premier livre des Instructiones, sous forme de questions et de réponses, n'a pas seulement l'aspect extérieur d'un catéchisme, il en a aussi la clarté et la brièveté, quelquefois aux dépens de la profondeur théologique. Le deuxième livre explique le sens de mots hébreux et grecs d'une façon également didactique. Quant aux Formulae, ce sont les règles pour découvrir le sens spirituel des Écritures et, après les avoir énoncées, Eucher fournit nombre d'exemples. Dans tout cela, rien d'original ; Eucher a emprunté à ses devanciers, surtout à l'Ambrosiaster, à saint Jérôme et à saint Augustin, leurs conclusions en laissant tomber les discussions qui n'allaient pas à son but : donner une explication aux difficultés classiques. Et on peut dire qu'Eucher a parfaitement réussi : ses ouvrages connurent au Moyen Age une très grande vogue, ils furent inlassablement recopiés et complétés. Le renouveau des études à partir du XIIIe siècle les fit rentrer dans l'ombre assez rapidement.

Hagiographe à ses heures, Eucher nous a légué une homélie sur sainte Blandine, une autre sur les martyrs lyonnais Epipode et Alexandre, qui témoignent de la vénération dont ils jouissaient déjà. Surtout c'est lui qui a composé la plus ancienne Passion des martyrs d'Agaune (voir au 22 septembre, t. IX, p. 451-458) ; elle est fort bien écrite, intéressante, sans pouvoir être acceptée aveuglément dans tous ses détails.

Eucher mourut un 16 novembre, probablement en 450 (les bénédictins donne sa mort en 449). Son nom figure dans les additions gauloises au martyrologe hiéronymien. Au IXe siècle, les compilateurs de martyrologes, presque tous lyonnais, reprirent naturellement le nom de saint Eucher, mais ils utilisèrent pour lui composer un éloge un texte apocryphe connu sous le nom de Vie de sainte Consortia ou de Conversion d'Eucher.

D'après ce récit, Eucher ayant eu deux filles, Tullia et Consortia, se retira dans une caverne sur le bord de la Durance et y vécut dans la prière et les jeûnes jusqu'à ce qu'un Ange eût révélé sa retraite aux Chrétiens de Lyon qui devaient élire un évêque. L'auteur et la date de ce roman assez tardif sont inconnus; nous savons qu'Eucher a eu deux fils, il n'a sans doute jamais eu de fille. Bien que le martyrologe romain se fasse encore l'écho de la légende, il n'y a aucun crédit à lui accorder.

Le diocèse de Lyon fête saint Eucher depuis une époque très ancienne. Dès le XIIe siècle l'ordre de Cluny, qui avait une grande dévotion à sa pseudo-fille sainte Consortia dont on prétendait posséder les reliques à Cluny, adopta aussi la fête du père. A la fin du Moyen Age, elle se répandit dans plusieurs diocèses du Sud-Est, Mâcon, Vienne, Grenoble, Valence, Le Puy, Viviers et Digne, ainsi qu'au monastère de Lérins qui se souvint de son séjour. Lyon, Digne, Fréjus et Grenoble l'honorent encore de nos jours.

Rq : Sont disponibles :
- Du mépris du monde et de la philosophie du siècle : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/mepris.htm ;
- Eloge de la solitude : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/eloge.htm ;
- Introduction à l'interprétation spirituelle des écritures : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/inter.htm ;
- Formulae minores 1 : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/euc1.htm ;
- Formulae minores 2 : http://orthodoxie.club.fr/ecrits/peres/eucher/euc2.htm.

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mercredi, 15 novembre 2023

15 novembre. Saint Malo, évêque de l'ancien siège d'Aleth, en Bretagne, confesseur. 630.

- Saint Malo, évêque de l'ancien siège d'Aleth, en Bretagne, confesseur. 630.
Malo est aussi connu sous ces équivalents : Macout, Maclou, Macoux, Mahout, Mahut, Machutes, Mochutus, Maclovius, Macilliavus, etc.

Pape : Honorius Ier. Roi de Domnonée, puis roi de Bretagne : Saint Judicaël.

" In omnium ore virtutum ejus fama versabatur."
" Son éloge était sur toutes les lèvres."
Office de Saint Malo, à Rennes.


Saint Malo. Verrière de l'église de Saint-Père-Marc-en-Poulet.
Bretagne.

La datation de saint Malo est très discutée. Saint Malo, d'après Dom Lobineau (Vies des Saints de Bretagne) ne serait né qu'en 547. Il aurait cependant été évêque d'Aleth, d'après L'art de vérifier les dates, en 540 ; d'après Feller, en 541 ; d'après d'Argentré, en 560. Feller, Godescard et L'art de vérifier les dates le font mourir en 565.

Saint Malo, plus connu en Saintonge sous le nom de Macout (Maclovius, Machutus), était probablement d'origine Irlandaise, à en juger par la forme primitive de son nom, qui, selon toute apparence, a dû être Mac-Low. On ignore quelle circonstance avait amené ses parents sur le Continent ; mais il naquit à Raux ou Roc, près d'Aleth, selon Bili, le plus ancien de ses biographes.

Sa naissance aurait été accordée aux prières de son père et de sa mère. Celle-ci, nommée Darval, avait déjà 66 ans quand elle mit au monde notre Saint, le jour de Pâques 497. Dieu voulait que tout fût surnaturel dans cet enfant. Son père, nommé Owent, était seigneur de l'ancienne province des Silures. Il passe pour le fondateur de la ville de Castel-Gwent, aujourd'hui Cherstow, dans le golfe de Bristol.


Saint Malo. Bréviaire à l'usage de Langres. Leroquais. XVe.

A cette époque, de saints anachorètes, tels que les Cadoc, les Illtut, les Brendan, avaient fait de leurs monaslères autant d'écoles, où ils travaillaient à la civilisation de l'Irlande et de la Grande-Bretagne par l'éducation Chrétienne des enfants des premières familles du pays. Ils préparaient aussi la réévangélisation du Continent. Macout, dès qu'il fut en âge d'étudier, fut confié aux soins de saint Brendan, abbé de Lan-Carvan. Les légendes ont dit, et la Liturgie ancienne se plaisait à répéter les traits de vertu et les faits merveilleux de son enfance.

Dieu montra un jour, par une préservation merveilleuse, avec quel soin sa Providence veillait sur cet enfant. Un soir, les jeunes élèves de Lan-Carvan prenaient leurs ébats sur le rivage de la mer, voisine du monastère. Malo, cédant à son attrait pour la solitude, était allé, loin de ses compagnons, sur un tertre où il s'endormit, couché sur des algues. Le reflux de la mer avait forcé la jeune troupe de s'éloigner, et avait envahi le lieu où dormait Malo. On ne s'aperçut de son absence que lorsqu'on fut de retour au monastère. Le saint abbé, plein d'anxiété, court alors au rivage qu'il fait retentir de ses cris répétés. Il appelle Malo. Malo ne répond pas. Sans doute, hélas ! il est noyé. En proie à sa douleur, Brendan regagne sa cellule, et il y passe la nuit à prier pour son cher enfant qu'il croit mort.

Le lendemain, de grand matin, moins dans l'espoir de le retrouver que pour satisfaire un élan de son coeur, il retourne au rivage. Des points les plus élevés, il jette un regard anxieux sur l'immensité des flots. Ô prodige ! Le jeune Malo, debout sur les algues que les eaux ont soulevées sans même mouiller ses habits, chante les louanges du Créateur. Le maître et le disciple se trouvent assez rapprochés pour s'entendre ; au dialogue s'établit entre eux. L'enfant raconte comment la divine Bonté l'a préservé de tout péril, et Brendan, attendri et joyeux, remerciant Dieu du fond du coeur, ramène au monastère son cher élève, dont les condisciples attendaient le retour.

Le moine Sigebert, de Gembloux, autre biographe du Saint, dit que la motte de terre, sur laquelle dormait Malo, s'accrut au moment de reflux, et forma une île qui domine encore les flots.


Saint Malo dit la messe de Pâques sur le dos d'une baleine.
Gravure du XVIIIe.

Cependant les Anglo-Saxons avaient envahi toute la partie orientale de la Grande-Bretagne. Vers l'an 536, les ravages qu'ils exerçaient sur la côte occidenlale forcèrent Malo et plusieurs saints personnages à émigrer en Armorique. De ce nombre était saint Samson, qui avait reçu déjà la consécration épiscopale à titre d'évêque régionnaire, et qui fut premier évêque de Dol ; puis saint Magloire, saint Brieuc, saint Pol et saint Méen (Mewan).

Ces nouveaux Apôtres abordèrent dans une île peu éloignée du Continent, appelée l'île d'Aaron (aujourd'hui la ville de Saint-Malo-de-l'île), du nom d'un saint anachorète qui l'habitait. Malo, sous la conduite de Samson, ne songeait qu'à s'appliquer aux vertus monastiques et à vivre dans la solitude, quand les Chrétiens de la ville d'Aleth, séparée de cette île par un étroit canal, le choisirent unanimement pour évêque, avec l'assentiment de leur prince que Bili nomme Judelus, et qui est connu dans l'histoire sous le nom de Judwal ou Alain. Le roi Childebert 1er (557) venait de rétablir ce prince dans les Etats de ses pères, usurpés en 546 par Canao.


Saint Malo. Verrière de l'église Saint-Malo
de Saint-Malo-de-Phily. Bretagne.

Sigebert, parlant de l'élection de Malo, dit qu'on le fit asseoir sur la chaire épiscopale. Cette expression ne paraît pas indiquer la création d'un nouvel évêché. Il n'en aurait donc pas été le premier titulaire, comme plusieurs l'ont prétendu. Les actes de saint Samson nomment Gurval, l'évêque d'Aleth qui assista aux funérailles de ce Saint en 565. Manet donne pour prédécesseur à saint Malo un prélat du nom de Budoc. Il eût été plus vrai de dire que notre Saint fut le premier évêque d'Aleth d'origine britonnique ; tous les autres avant lui ayant appartenu à des familles armoricaines.

C'était en 575. Jusqu'en 594, année de la mort de Judwal, le saint évêque ne cessa d'exercer en paix son apostolat, et d'édifier son diocèse et l'Armorique tout entière par sa parole, ses exemples et ses miracles.

Hailoch ou Hoël 3, fils et successeur de Judwal, n'avait pas hérité de la piété de son père. Il fut le premier persécuteur du saint évêque. Voici à quelle occasion. Malo avait fait tout exprès le voyage de Luxeuil pour prendre de la bouche de saint Colomban connaissance de sa Règle, déjà célèbre

De retour à Aleth, il construisit à Raux, lieu de sa naissance, un monastère qu'il plaça sous cette Règle. Il aimait à y mener lui-même la vie cénobitique. L'apparente prospérité de cette abbaye bientôt florissante avaient tenté la cupidité d'Hoël. Il voulut détruire l'église ; mais Dieu le frappa de cécité. Forcé de se reconnaître coupable, il implore son pardon et sa guérison.

Saint Malo, toujours disposé à faire du bien à ses ennemis, lui lave les yeux avec de l'huile et de l'eau qu'il a bénites et lui rend la vue. Le prince se montra toute sa vie reconnaissant de ce bienfait.


Saint Malo tourmenté puis chassé par ses certaines de ses ouailles.
Il s'embarque avec quelques religieux pour atteindre la Saintonge.
Speculum historiale. J. de Vignay. XVe.

A sa mort, arrivée en 612 la persécution recommença. Saint Malo avait eu d'abord la douleur de voir massacrer, dans sa propre cellule, où on l'avait caché, un des enfants du comte. L'auteur de ce meurtre, nommé Rethwel, voulait faire périr ainsi tous les fils d'Hoël III. Trois jours après, en punition de son crime, il était lui-même frappé d'une mort honteuse. Les esprits n'en étaient pas moins soulevés contre Malo. Dieu permit, pour l'éprouver, qu'il trouvât des adversaires jusque chez ses collègues dans l'épiscopat. Il se vit chassé de son siège ; le prince osa même renverser sa cathédrale.

Le Saint résolut alors de quitter cette terre ingrate qu'il cultivait depuis près de 40 ans. Il appela sur elle, en partant, les malédictions du Ciel, non dans un esprit de vengeance, mais dans le but de faire rentrer les pécheurs en eux-mêmes sous le coup des punitions divines. Il s'embarqua avec 33 moines qui voulurent partager son exil. Après plusieurs jours de navigation vers les côtes d'Aquitaine, on aborda dans une île de Saintonge, que Bili nomme Agenis, et qui nous paraît être l'île d'Aix (Aia, Agia, Aias, Ais, Ayensis, Aquensis).

Saint Malo s'informe des moeurs et des religions locales. Apprenant qu'ils sont Chrétiens, il leur demande s'il trouverait dans la cité voisine une personne exerçant les oeuvres de miséricorde, qui voulût bien leur donner asile, à lui et à ses compagnons. On lui nomme Léonce, évêque de Saintes, en ce moment dans une autre île appelée Euria, et que nous croyons être celle d'Hiers. On fait voile aussitôt vers ce lieu. Léonce, apprenant quelle considération saint Malo s'était acquise par ses vertus, l'accueillit avec empressement et lui donna , pour sa demeure et celle de ses moines, un magnifique domaine près de sa ville épiscopale. A cela, les habitants du voisinage ajoutèrent un âne destiné à porter le bois pour l'usage de la communauté. Un jour, l'âne mal gardé fut dévoré par un loup. Saint Malo contraignit alors la bête à se charger du bât de l'âne et à en remplir les différents offices. Ce qu'il fit volontiers, dit la légende, tant que vécut le Saint.


Saint Malo. Saint-Benoît-des-Ondes. Bretagne.

Dieu se plaisait à manifester par des miracles une vertu qui s'efforçait de se faire oublier des hommes. Une nouvelle circonstance la fit connaitre davantage.

La fille du gouverneur de Saintes, mordue par un serpent venimeux, était sur le point d'expirer. Saint Malo, ému de compassion, accourt, trempe dans l'eau bénite une feuille de lierre qu'il applique sur la plaie, et en fait entièrement découler le venin. Le gouverneur, par reconnaissance, donna à saint Malo des terres considérables, pour l'aider dans les aumônes qu'il distribuait chaque jour aux indigents.
Un autre jour, saint Léonce avait mis en réserve de l'eau dans laquelle Malo s'était lavé les mains. Une femme aveugle en baigna ses yeux et recouvra la vue.

Léonce, désirant faire jouir tout son diocèse des bienfaits et de l'édification que procurait la présence de saint Malo, l'invita à faire avec lui la visite des paroisses. Le cours de cette visite avait amené les deux évêques dans une ville que Sigebert nomme Brea, le manuscrit d'Hérouval Briage, et le Bréviaire de 1542 Brya. Il y avait dans cette ville deux églises ou chapelles.

L'analogie du nom, l'ancienne importance du lieu attestée par les restes imposants d'un antique donjon, et surtout l'existence de deux églises, dédiées, l'une à saint Pierre, et l'autre à saint Eutrope, comme en font foi des chartes de Notre-Dame de Saintes, toutes ces circonstances réunies nous portent à croire qu'il s'agit ici de l'ancienne ville de Broue. Elle était alors fièrement assise, dans le golfe de Brouage, sur un promontoire élevé que battaient les flots de l'Océan.

Léonce avait assigné à saint Malo une des deux églises pour y exercer les fonctions sacrées, pendant qu'il les remplirait dans l'autre. Or, il arriva qu'un jeune garçon de 12 ans, de la maison de l'évêque de Saintes, tomba dans un puits et s'y noya.

Emu par ce triste événement, touché des larmes de la famille de l'enfant, Léonce fait porter le corps du défunt dans l'église qu'il avait assignée à saint Malo. Celui-ci a compris ce qu'on lui demande. Il passe toute la nuit en prières, et le lendemain, se prosternant 7 fois sur l'enfant, à l'exemple du prophète Elisée, il lui rend la vie. Par humilité, il attribuait ce miracle aux seules prières de Léonce.


Cathédrale Saint-Maclou de Pontoise.

Pendant que la Saintonge était heureuse de posséder une si éclatante lumiére, le diocèse d'Aleth présentait le plus déplorable aspect. Jamais on n'y avait vu autant de boiteux, d'aveugles et de lépreux, et d'absence de Foi. Des miasmes infects répandaient dans toutes les maisons des maladies contagieuses. La terre était devenue stérile : la famine était générale. Les habitants, touchés de repentir, demandent au Ciel le retour de leur saint pasteur.

On le prie instamment de revenir vers son troupeau. En même temps un Ange l'avertit de ne point différer de se rendre aux désirs de son diocèse. A son arrivée, tous les fléaux cessent ; les effets des malédictions du saint évêque ont fait place à d'abondantes bénédictions.

En quittant la Saintonge, saint Malo avait promis d'y revenir pour y finir ses jours. La fin de sa vie terrestre approchait. Dieu lui fit connaître que Sa volonté était qu'il reprît le chemin de Saintes. A peine Léonce a-t-il appris l'heureux débarquement de saint Malo, qu'il accourt à sa rencontre jusqu'en un lieu nommé alors Archembiacum.

Le père Giry a traduit ce mot par Archembray ; mais il n'existe en Saintonge aucune localité de ce nom. Nous croyons trouver Archembiacum, dont le nom s'est perdu, à Lugon, autrement dit Saint-Malo, aux environs de Nancras, non loin de Broue, où le Saint a pu fort bien aborder. Dans une charte du XIe siècle, relative au monastère de Sainte-Gemme, il est question de celui de Lucum (Lugon). C'était encore, au siècle dernier, un prieuré. Ce lieu, situé dans l'antique forêt de Baconais, offrait à saint Malo des charmes qui l'y fixêrent. Léonce et lui s'entretinrent longtemps du bonheur de l'autre vie. Il fallut se séparer.

L'évêque de Saintes avait à peine gagné sa ville épiscopale, que le Bienheureux tomba malade. Il ne voulut point d'autre lit que la cendre et le cilice, disent ses biographes. Il tint constamment ses mains et ses yeux dirigés vers le ciel. C'est dans cette attitude qu'il expira doucement, le 15 novembre 630, à l'âge de 133 ans , comme l'affirment certaines Vies, le Bréviaire de Saintes de 1542 et le Martyrologe de France.


Eglise Saint-Maclou de Rouen. Normandie.

On représente saint Malo
1. guérissant un seigneur qui avait perdu la vue pour s'être efforcé de renverser une église élevée par le saint évêque ;
2. porté par une motte de terre qui flotte sur les eaux, comme nous l'avons raconté ;
3. faisant travailler un loup qui lui avait mangé son âne, et le contraignant à porter des fagots ;
4. disant la Messe sur le dos d'une baleine.

Les Bretons veulent que dans une navigation prolongée, le saint se soit trouvé en mer le jour de Pâques. Alors, désirant pouvoir célébrer la Messe, il se serait fait débarquer sur une île qui se trouva n'être qu'une baleine. Il put cependant célébrer sur ce pied-à-terre singulier, sans trop d'accidents , si l'on en croit la légende, et l'animal ne plongea qu'après la Messe finie.
Saint Malo est le patron de Rouen, de Saint-Malo, de Valognes, de Conflans-sur-Oise, de Dinan. On l'invoque avec succès contre l'hydrophisie.

CULTE ET RELIQUES

Saint Léonce accourut rendre à son ami les derniers devoirs. Il fit transporter à Saintes ses restes précieux, et leur donna la sépulture qui convient à ceux d'un grand Saint, dans la belle église qu'il fit construire, hors des murs, à l'occident de la ville, dans le quartier qui porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Macout.

A cette translation, le Saint opéra plusieurs miracles, délivrant un possédé, rendant la vue à 2 aveugles, redressant un contrefait. L'église construite par saint Léonce, ajoute le Bréviaire de Saintes de 1542, a été ruinée par les Anglais quand ils envahirent l'Aquitaine au XVe siècle. Après la guerre, elle fut réédifiée ; mais elle était loin d'avoir sa splendeur première.


Eglise Saint-Malo de Dinan. Bretagne.

Nous apprennons, par les mémoires du chanoine Tabourin, que le Chapitre de Saint-Pierre de Saintes venait en procession à Saint-Malo la veille et la jour de la fète du Saint, le jeudi après Pâques et le jour de la Saint-Marc. Ce jour-là, comme le jour de la Saint-Malo, la Messe était dite dans cette église par le prieur du lieu, qui, du temps de Tabourin, était un chanoine de Saintes. Tous ceux qui assistaient à la procession entendaient cette Messe, et "y en avoit", ajoute-t'il, "plus dehors que dedans, parce que l'église estoit fort petite".

Une notice manuscrite, qu'on lisait à l'Office de saint Malo dans plusieurs églises raconte que le seul attouchement de ses reliques ressuscita beaucoup de morts, et que depuis les Apôtres il ne s'est pas vu d'homme plus signalé par ses miracles, plus recommandable par ses vertus, plus puissant pour la conversion des âmes.

Depuis plusieurs années le corps de saint Malo reposait à Saintes, quand il fut enlevé par un gentilhomme Breton nommé Ménobert. En effet, l'évêque de Saint-Malo avait promis à ce gentilhomme de le réintégrer dans ses biens s'il rapportait en Bretagne le précieux trésor qu'elle enviait à la Saintonge.

De tels vols étaient considérés alors comme actes de piété. Ménobert vint donc à Saintes et se mit au service du clerc chargé de la garde des reliques du Saint. Il épia l'absence de ce clerc, pendant laquelle, après avoir jeûné 3 jours et fait au Saint de ferventes prières, il se saisit secrètement du précieux dépôt. Apporté à Saint-Malo, le corps fut placé dans l'église de Saint-Aaron, où il opéra de grands miracles.


Eglise Saint-Malo de Valognes. Cotentin, Normandie.

Ménobert aurait laissé à Saintes un bras et le chef. Cette dernière relique fut transférés à l'abbaye de Saint-Jean-d'Angely. Elle figure sur l'inventaire de celles qu'on y conservait au moment des guerres de religion. Le bras, qui serait resté à Saintes, s'il faut en croire une ancienne chronique, aurait été mis en sûreté au château de Merpins à l'approche des Normands.

On aurait également soustrait à la rapacité de ces barbares le trésor de l'église Saint-Macout, en l'enfouissant sous l'autel. Lors de l'invasion des mêmes Normands, les précieux ossements de notre Saint ont été transportés d'Aleth au monastère de Gembloux, et Sigebert, qui en était moine, écrivit en cette occasion la Vie du Saint.

De là on les transféra à Paris, où le roi Lothaire les fit mettre dans l'église Saint-Michel du Palais, qui était sa chapelle. Les moines de Saint-Magloire les ont ensuite possédées, soit dans leur petite église devant le palais, soit dans leur abbaye de la rue Saint-Denis, soit dans celle qui leur fut donnée au faubourg Saint-Jacques.

Le chef de saint Malo, conservé à Saint-Jean-d'Angely, fut détruit en 1562 par les bêtes féroces calvinistes.

Vingt ans plus tard, les reliques honorées à Paris tombèrent aux mains d'une troupe de soldats, calvinistes eux aussi. N'y trouvant rien qui satisfit leur cupidité, ceux-ci les laissèrent dans l'abbaye de Saint-Victor, où elles furent placées dans une châsse de cuivre. Le corps était presque entier, à l'exception cependant du chef et d'un bras qui avaient été rendus à la cathédrale de Saint-Malo, de quelques ossements donnés à l'église de Saint-Maclou de Pontoise, et d'une côte qu'obtint la ville de Bar-sur-Aube, où une collégiale fut établie ee l'honneur du saint évêgne.


Eglise Saint-Malo de Canville-la-Roque. Cotentin.

En 1706, la paroisse de Saint-Maclou de Moisselles, près de Versailles, fut enrichie d'un os de l'épaule de son saint patron, qu'elle conserve encore. C'est peut-être la seule relique du Saint aujourd'hui subsistante.

Celles qui étaient à Saint-Victor ont été détruites ou dispersées lors de la suppression de l'abbaye par les enragés révolutionnaires, en 1791.

 
La persécution des bêtes révolutionnaires fut si horrible dans la ville de Saint-Malo pendant cette inexorable époque, que cette église a perdu la relique qu'elle possédait.

Le culte de saint Malo est très ancien et presque universel en Bretagne et dans les provinces voisines. En Saintonge, il avait à Saintes, dans le faubourg de son nom, l'église fondée par saint Léonce, et près de Nancras, celle de Lugon. Ces deux églises qui été primitivement desservies par des moines. Saint Malo est encore patron des paroisses de Thézac, de Colombiers et d'Ars, près Cognac.


Eglise Saint-Maclou de Colombiers. Saintonge.

En Poitou, sur les bords du Clain, à la Folie-Saint-Gelais, autrefois Granges-Saint-Gelais, existait une chapelle dédiée à saint Eutrope et à saint Malo. Une inscription en vers hexamètres nous apprend que le jour de l'Assomption 1485, Charles de Saint-Gelais, évêque romain de Margi, aujourd'hui Passarowitz, et abbé de Montierneuf, a consacré et dédié l'autel de cette chapelle à ces deux saints.

 
Depuis la destruction de ce sanctuaire, la pierre qui porte l'inscription a été insérée dans le mur du bassin d'une fontaine dite de Saint Macout, à laquelle on vient de tout loin en pèlerinage pour y plonger les enfants " macouins ". On appelle ainsi ceux dont les membres sont noués.

Notre saint évêque n'est pas inconnu en Italie, où on l'appelle saint Mauto. Il y a à Rome, près de la basilique de Saint-Pierre, une petite église qui lui est dédiée, et un obélisque de cette ville a porté la nom de Saint-Macut, qui est le même que celui de saint Malo.

Rq : Cette biographie, plus exacte que celle du père Giry, est de M. l'abbé Grasillier, de Saintes. Cet écrivain s'est inspiré pour son travail, de la savante dissertation sur saint Malo, due à la plume de M. Brillouin, et adressée en 1842, à M. l'abbé Daunas, curé de saint-Vivien de Saintes.

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mardi, 14 novembre 2023

14 novembre. Saint Josaphat Kuncewicz de Wladimir, archevêque de Polotsk et martyr. 1623.

- Saint Josaphat Kuncewicz de Wladimir, archevêque de Polotsk et martyr. 1623.

Papes : Grégoire XV (+ 8 juillet 1623) ; Urbain VIII. Roi de Pologne : Sigismond III.

" Plût à Dieu que je pusses être le ravisseur de toutes les âmes !"
Saint Josaphat Kuncewicz.


Josaphat Kuncewicz naquit de parents catholiques et nobles d'origine à Wladimir en Volhinie. Un jour de son enfance que sa mère lui parlait de la passion du Seigneur, il fut blessé au cœur d'un trait parti du côté de l'image de Jésus crucifié. Embrasé de l'amour divin, il se livra dès lors de telle sorte à la prière et autres œuvres pieuses, qu'il était l'exemple et l'admiration de ses compagnons plus âgés.

A vingt ans il embrassa la règle monastique dans le cloître basilien, et fit dans la perfection évangélique des progrès merveilleux. Il marchait nu-pieds dans les plus grands froids des rigoureux hivers de ces régions. L'usage de la viande lui était inconnu ; et pareillement celui du vin, sauf quand l'y contraignait l'obéissance. Il garda jusqu'à la mort sur sa chair un rude cilice. Inviolable demeura la fleur de pureté que dès l'adolescence il avait vouée à la Vierge Mère de Dieu.

Ordonné prêtre, le saint basilien se fit l'apôtre de la contrée, s'appliqua au ministère de la prédication et de la confession tout en pratiquant une exacte observance de ses Règles. Dieu avait doté saint Josaphat d'un talent particulier pour assister les condamnés à mort. Il visitait aussi les malades pauvres, lavait leurs pieds couverts d'ulcères et tâchait de procurer des remèdes et de la nourriture à ces miséreux.

La renommée de sa vertu et de sa science devint telle en peu de temps, qu'on le mit malgré sa jeunesse à la tête du monastère de Byten, et que bientôt archimandrite du couvent de la Trinité de Vilna, qui se composait surtout de jeunes religieux, et qu'il forma à la vie monastique avec une vigilance toute paternelle.

Il fut enfin, à l'âge de trente-huit ans et contre son gré, mais à la grande joie des catholiques, sacré archevêque de Polotsk à Vilna.

Cette dignité nouvelle ne changea rien à son genre de vie ; le culte divin, le salut des brebis à lui confiées eurent tout son cœur. Champion infatigable de l'unité catholique et de la vérité, il consacra ses forces à ramener schismatiques et hérétiques à la communion du Siège de saint Pierre.

Des erreurs impies, d'impudentes calomnies étaient répandues contre le Souverain Pontife et la plénitude de sa puissance ; il ne faillit jamais à la tâche de les défendre, soit par ses discours, soit en des écrits pleins de piété et de doctrine. Il revendiqua les droits épiscopaux et les biens d'Eglise que des laïques avaient usurpés.

Incroyable fut le nombre des hérétiques ramenés par lui au sein de la Mère commune. Que surtout Josaphat ait été le promoteur incomparable de l'union de l'Eglise grecque avec l'Eglise latine, c'est ce qu'attestent expressément les déclarations du pontificat suprême. En outre, c'était à restaurer la splendeur du temple de Dieu, à construire des asiles pour les vierges sacrées, à mille œuvres pies, qu'allaient comme d'eux-mêmes tous les revenus de son évêché.

Sa charité envers les malheureux était si grande qu'un jour, ne trouvant rien pour soulager la misère d'une pauvre veuve, il fit mettre en gage son omophorion ou pallium épiscopal.

Tels furent les progrès de la foi catholique, que des hommes pervers en vinrent dans leur haine contre l'athlète du Christ à conspirer sa mort ; lui-même, dans un discours à son peuple, l'avait annoncée.
Vitebsk en fut le lieu.

Pendant que le saint archevêque se trouvait à la diète de Varsovie où plusieurs évêques avaient été convoqués, un évêque schismatique s'empara de son siège à l'improviste. Saint Josaphat s'empressa de revenir vers son troupeau pour rappeler les brebis rebelles à l'obéissance. Au moment où il voulut prendre la parole, la foule excitée par les schismatiques se rua impétueusement sur lui. Il aurait été impitoyablement massacré si la force armée n'était intervenue pour le dégager des mains des insoumis.

Au matin du 12 novembre 1623, alors qu'il priait dans la chapelle du palais épiscopal de Vitebsk, la foule en furie envahit la sainte demeure.
Lui très doux cependant vint de lui-même au-devant de ceux qui le cherchaient, et leur parlant avec amour :
" Mes petits enfants, dit-il, pourquoi frappez-vous mes gens ; si vous avez quelque chose contre moi, me voici."

Deux hommes s'avancèrent alors vers lui. L'un d'eux le frappa au front avec une perche et l'autre lui asséna un coup de hallebarde qui lui fendit la tête. Enfin, deux coups de fusil lui percèrent le crâne ; il finirent par emporter son corps pour le jeter dans le fleuve. Saint Josaphat avait quarante-quatre ans lorsqu'il fut victime de ce crime sacrilège.

C'était donc le douzième jour de novembre, et l'an 1623 ; Josaphat était dans sa 44e année. Son corps, enveloppé d'une lumière miraculeuse, fut retiré du fond des eaux. Ce fut aux parricides mêmes que profita tout d'abord le sang du Martyr ; condamnés à mort, presque tous abjurèrent le schisme, en détestant leur crime.

La mort du grand évêque fut suivie d'éclatants et nombreux miracles, qui portèrent le Souverain Pontife Urbain VIII à lui décerner les honneurs des Bienheureux.

Le trois des calendes de juillet de l'an mil huit cent soixante-sept, en la solennité centenaire des Princes des Apôtres, étant présent le collège des Cardinaux avec près de cinq cents Patriarches, Métropolitains ou Evêques de tous rites assemblés de toutes les parties du monde en la basilique vaticane, Pie IX inscrivit solennellement parmi les Saints ce défenseur de l'unité de l'Eglise.

Il fut le premier des Orientaux glorifiés en cette sorte. Léon XIII, Souverain Pontife, étendit son Office et sa Messe à l'Eglise entière.

Contemporain de saint François de Sales et de saint Vincent de Paul, saint Josaphat Kuncewiez a l'allure d'un moine grec du XIe siècle, pénitent à la façon d'un ascète de la Thébaîde. Etranger à la culture intellectuelle de l'Occident, il ne connaît que les livres liturgiques et les textes sacrés à l'usage de son église; prêtre, archimandrite, réformateur de son Ordre basilien, et enfin archevêque, il combat toute sa vie contre les conséquences du schisme de Photius; et martyr, il cueille enfin dans cette lutte la palme de la victoire. Cependant la scène se passe en pleine Europe, dans des contrées soumises alors à la Pologne catholique, sous le règne du plus pieux de ses rois. Comment expliquer ce mystère ?

" Au lendemain des invasions mongoles, la Pologne reçut dans ses bras bien plus qu'elle ne conquit la nation ruthène, c'est-à-dire les Slaves du rit grec du Dnieper et delà Dwina, qui avaient formé autour de Kiew, leur métropole religieuse et leur capitale, le noyau primitif de cette puissance, appelée aujourd'hui la Russie. En faisant participer à sa vie nationale ces frères séparés, mais non pas ennemis de l'unité romaine, qui venaient à elle pleins de confiance dans sa force et dans son équité, la Pologne aurait assuré le triomphe de la cause catholique et sa propre hégémonie dans le monde slave tout entier. L'union au Pontife romain des nouveaux arrivants, qui avec plus d'esprit politique et de zèle religieux, aurait dû être conclue dès le XIVe siècle, ne fut proclamée qu'en 1595.

Ce fut l'Union de Brzesc. Par le pacte signé dans cette petite ville de Lithuanie, le métropolite de Kiew et les autres évêques grecs, sujets de la Pologne, déclaraient rentrer dans la communion du Saint-Siège apostolique. Chefs spirituels de la moitié de la nation, ils achevaient ainsi la fusion des trois peuples ruthène, lithuanien et polonais, réunis alors sous le sceptre de Sigismond III. Or une réforme religieuse, fût-elle décrétée dans un concile, ne devient une réalité que si des hommes de Dieu, de vrais apôtres et , au besoin, des martyrs apparaissent pour la consommer. Tel fut le rôle de saint Josaphat, l'apôtre et le martyr de l'Union de Brzesc. Ce qu'il ne fit pas lui-même, ses disciples l'achevèrent. Un siècle de gloire était assuré à la nation, et sa ruine politique en fut de deux cents ans retardée.

Mais la Pologne laissa dans un état d'infériorité humiliante ce clergé et ce peuple du rit gréco slave, qui s'abritaient dans son sein ; ses politiques n'admirent jamais dans la pratique que des chrétiens du rit grec pussent être de véritables catholiques, égaux à leurs frères latins. Bientôt cependant un duel à mort allait s'engager entre la Moscovie, personnifiant l'influence gréco-slave, et la Pologne latine. On sait comment cette dernière fut vaincue. Les historiens signalent les causes de sa défaite ; mais ils oublient d'ordinaire la principale, celle qui l'a rendue irrémédiable : la destruction presque totale de l'Union de Brzesc, le retour forcé au schisme de l'immense majorité des Ruthènes ramenés autrefois à l'Eglise catholique par saint Josaphat. La consommation de cette œuvre néfaste, bien plus que les circonstances politiques et les triomphes militaires, a rendu définitive la victoire de la Russie. La Pologne, réduite à ses neuf ou dix millions de Latins, ne peut plus lutter contre sa rivale d'autrefois, devenue sa rude dominatrice d'aujourd'hui.

La puissance des Slaves séparés de l'unité catholique grandit chaque jour. De jeunes nations, émancipées du joug musulman, se sont formées dans la presqu'île des Balkans ; la fidélité au rite gréco-slave, dans lequel s'identifiaient pour eux leur nationalité et le christianisme, a été la force unique qui a. empêché ces peuples d'être broyés sous les pieds des escadrons turcs ; victorieux de l'ennemi séculaire, ils ne peuvent oublier d'où leur est venu le salut : la direction morale et religieuse de ces nations ressuscitées appartient à la Russie. Profitant de ces avantages avec une habileté constante et une énergie souveraine, elle développe sans cesse son influence en Orient. Du côté de l'Asie, ses progrès sont plus prodigieux encore. Le tzar qui, à la fin du XVIIIe siècle, commandait seulement à trente millions d'hommes, en gouverne aujourd'hui cent vingt-cinq ; et par la seule progression normale d'une population exceptionnellement féconde, avant un demi-siècle, l'Empire comptera plus de deux cents millions de sujets.

Pour le malheur de la Russie et de l'Eglise, cette force est dirigée présentement par d'aveugles préjugés. Non seulement la Russie est séparée de l'unité catholique, mais l'intérêt politique et le souvenir des luttes anciennes lui font croire que sa grandeur est identifiée avec le triomphe de ce qu'elle appelle l'orthodoxie et qui est simplement le schisme photien. Pourtant, toujours dévouée et généreuse, l'Eglise romaine ouvre les bras pour recevoir sa fille égarée ; et, oubliant les affronts qu'elle en a reçus, elle réclame seulement qu'on la salue du nom de mère. Que ce mot soit prononcé, et tout un douloureux passé sera effacé.

La Russie catholique, c'est la fin de l'Islam et le triomphe définitif de la Croix sur le Bosphore, sans péril aucun pour l'Europe ; c'est l'empire chrétien d'Orient relevé avec un éclat et une puissance qu'il n'eut jamais ; c'est l'Asie évangélisée, non plus seulement par quelques prêtres pauvres et isolés, mais avec le concours d'une autorité plus forte que celle de Charlemagne. C'est enfin la grande famille slave réconciliée dans l'unité de foi et d'aspirations pour sa propre grandeur. Cette transformation sera le plus grand événement du siècle qui la verra s'accomplir et changera la face du monde.

De pareilles espérances ont-elles quelque fondement ? Quoi qu'il arrive , saint Josaphat sera toujours le patron et le modèle des futurs apôtres de l'Union en Russie et dans tout le monde gréco-slave. Par sa naissance, son éducation, ses études, toutes les allures de sa piété et toutes les habitudes de sa vie, il ressemblait plus aux moines russes d'aujourd'hui qu'aux prélats latins de son temps.

Il voulut toujours la conservation intégrale de l'antique liturgie de son Eglise, et, jusqu'à son dernier soupir, il la pratiqua avec amour sans altération, sans diminution aucune, telle que les premiers apôtres de la foi chrétienne l'avaient apportée à Kiew de Constantinople.

Puissent s'effacer les préjugés, fils de l'ignorance ; et si décrié que soit aujourd'hui son nom en Russie, saint Josaphat sera, aussitôt que connu, aimé et invoqué par les Russes eux-mêmes.

Nos frères gréco-slaves ne peuvent fermer plus longtemps l'oreille aux appels du Pontife suprême. Espérons donc qu'un jour viendra et qu'il n'est pas éloigné, dans lequel la muraille de division s'écroulera pour jamais, et le même chant d'action de grâces retentira à la fois sous le dôme de Saint-Pierre et les coupoles de Kiew et de Saint-Pétersbourg."
(Rme D. A. Guépin, Un apôtre de l'union des Egl. au XVIIe siècle, saint Josaphat ; en l'Avant-propos, passim.).

" Daignez, Seigneur, nous écouter et susciter en votre Eglise l'Esprit dont fut rempli le bienheureux Josaphat, votre Martyr et Pontife (Collecte de la fête)."

Ainsi prie aujourd'hui la Mère commune ; et l'Evangile achève de montrer son désir d'obtenir des chefs qui vous ressemblent (Johan. X, 11-16.).

Le texte sacré nous parle du faux pasteur qui fuit dès qu'il voit le loup venir ; mais l'Homélie qui l'explique dans l'Office de la nuit flétrit non moins du titre de mercenaire le gardien qui, sans fuir, laisse en silence l'ennemi faire son oeuvre à son gré dans la bergerie (Chrys. in Johan. Homil. LIX.).

PRIERE

" Ô Josaphat, préservez-nous de ces hommes, fléau du troupeau, qui ne songent qu'à se paître eux-mêmes (Ibid.). Puisse le Pasteur divin, votre modèle jusqu'à la fin (Johan. XIII, I.), jusqu'à la mort pour les brebis (Ibid. X, II.), revivre dans tous ceux qu'il daigne appeler comme Pierre en part d'un plus grand amour (Ibid. XXI, 15-17.).

Apôtre de l'unité, secondez les vues du Pontife suprême rappelant au bercail unique ses brebis dispersées (Ibid. X, 16.). Les Anges qui veillent sur la famille Slave ont applaudi à vos combats : de votre sang devaient germer d'autres héros ; les grâces méritées par son effusion soutiennent toujours l'admirable population des humbles et des pauvres de la Ruthénie, faisant échec au schisme tout-puissant ; tandis que, sur les confins de cette terre des martyrs, renaît l'espérance avec le renouvellement de l'antique Ordre basilien dont vous fûtes la gloire. Puissent-elles ces grâces déborder sur les fils des persécuteurs ; puisse l'apaisement présent préluder au plein épanouissement de la lumière, et les ramener à leur tour vers cette Rome qui a pour eux les promesses du temps comme de l'éternité !"

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lundi, 13 novembre 2023

13 novembre. Saint Brice, archevêque de Tours. 444.

- Saint Brice, archevêque de Tours. 444.

Pape : Saint Léon Ier le Grand. Rois des Francs Saliens : Clodion le Chevelu. Empereur romain d'Occident : Valentinien III.

" La variété des saints, aussi bien que leurs différents degrés, exaltent dans le silence l'Ouvrier de tant de sainteté ; les petits augmentent la grandeur des grands, et ils honorent tous ensemble la très-pure Marie, qui les surpasse glorieusement par son incomparable sainteté, et au bonheur de laquelle ils participent sous le rapport sous lequel ils l'ont imitée."
Vénérable Marie d'Agreda.

Saint Brice rentre en lui-même et demande à saint Martin, qu'il
avait couvert de sarcasmes, de lui accorder sa bénédiction.
Vies de saints. Jeanne de Montbaston. XVIe.

Dieu aime la variété. Il ne fait évidemment pas ses saints dans le même creuset. Chaque saint est unique, comme l'est le résultat de chaque nouvelle idée. Comme le dit la Liturgie : " Non est inventus similis illis ", " il n'en existe pas deux qui soient exactement semblables ". C'est notre manque d'imagination qui peint la même auréole à tous les saints.

Dieu aime la variété. Parfois, Il semble prendre plaisir à faire cohabiter deux saints dont les caractères sont si dissemblables qu'il nous semblerait impossible de les voir vivre ensemble. Sans aucun doute, Dieu veut leur apprendre l'humilité, en leur montrant que chacun d'entre eux ne représente qu'une infîme partie du mystère de la sainteté ; probablement Dieu veut-il aussi nous rassurer, en nous montrant qu'en matière de caractère il y a de très nombreuses demeures dans le Ciel.

Saint Brice reçu par saint Martin qui lui annonce qu'il sera évêque
un jour, mais que son gouvernement n'ira pas sans tribulation.
Legenda aurea. Richard de Montbaston. XVIe.

Et c'est ainsi qu'en Touraine, dans la Gaule française du IVe siècle, Dieu suscita l'impeccable saint Martin de Tours (11 novembre), et à ses côtés, le difficile saint Brice. Contrairement à son maître, Brice était un clerc fier et d'un caractère bilieux et colérique.

Brice entra étant encore fort jeune au monastère que Martin avait fondé à Marmoutier, à la sortie de Tours. Au départ, il était un moine ordinaire quoique turbulent. A 18 ans, il devint diacre, et eut bientôt ses propres étables et esclaves.

Une lingère vient faire bénir son fils par saint Brice. Probablement
avec le père de l'enfant, cette naissance intervient en dehors des
liens du mariage. Bréviaire à l'usage de Langres. Le Roquais. XVe.

Les ennemis de saint Martin lui reprochaient ce qu'ils considéraient comme une excessive pauvreté. Saint Martin était inquiet au sujet de la manière dont le jeune diacre se comportait, et il le réprimandait paternellement.

Brice se hérissait, et répliquait à son évêque de manière sarcastique. Comment un " barbare venu des sauvages plaines de Hongrie " lui apprendrait à lui, qui était né sur les rives de la Loire, la manière de se tenir ? Etait-ce à lui, qui avait reçu une bonne éducation, de recevoir des leçons d'un ancien légionnaire mal éduqué ?

Saint Brice accusé d'être le père du fils d'une lingère.
Vie de saints. Le Maître de Fauvel. XIVe.

Cependant, contrairement à la plupart des adultes, Martin écoutait calmement et répondait avec douceur. Il prédit même à Brice qu'un jour il deviendrait évêque, mais que son épiscopat ne serait pas pacifique. Les vicaires généraux et les chanoines de Tours, qui ne pouvaient pas supporter l'idée qu'un jour ils auraient à être dirigés par ce " soupe-au-lait ", pressaient Martin de l'admonester et de le reprendre durement.
Mais saint Martin répondit :
" Si le Christ a dû supporter Judas, alors moi, pourquoi ne pourrais-je pas supporter Brice ? "

Brice continua à mépriser Martin, mais malgré l'attitude de Brice, Martin le supportait avec patience, et pour finir, Brice se repentit avec grands remords, et supplia le pardon de Martin.

Saint Brice accusé d'être le père du fils d'une lingère, réunit un grand
concours de peuple et commande au nouveau-né de dire s'il en est
le père. Legenda aurea. Jean Le Tavernier. Flandres. XIVe.

A la mort de saint Martin, Brice lui succéda comme évêque de Tours. 30 ans durant, Brice enseigna, baptisa, confirma, administra, et remplit toutes ses charges d'évêque.

Mais Brice n'oubliait pas que Martin lui avait prédit qu'il serait soumis aux épreuves et que son gouvernement n'irait pas sans tribulation. Chaque jour, 30 ans durant, Brice attendit l'accomplissement de la prophétie. C'était peu confortable, mais Dieu avait choisit cette voie pour affaiblir l'excessive suffisance de la jeunesse.

Saint Brice fut co-consécrateur de saint Samson, évêque
d'Aleth-Saint-Malo. Speculum historiale. J. de Vignay. XVe.

Un jour une rumeur courrut à travers les rues de Tours, comme quoi une lingère occupée au palais de l'évêque, avait eu un fils de lui. Quelle aubaine pour les commérages de la ville !

L'accusation était fausse, mais comment le prouver ?
Saint Brice se fit amener l'enfant, et d'une voix ferme, il dit :
" Je te somme, au Nom de Jésus-Christ, de dire, en présence de tous, si je suis l'homme qui t'a enfanté."
Ce à quoi le bébé répondit :
" Tu n'es pas mon père."
Une telle précocité sembla suspecte aux gens présents, et ils pensèrent qu'il devait y avoir malice (tout cela est rapporté par saint Grégoire de Tours). En tout cas, les fidèles de Brice étaient à ce point convaincus de l'adultère qu'ils expulsèrent leur évêque par la force.

Brice ne résista pas, mais il réalisa que la prophétie de Martin venait de s'accomplir. Vers 430, étant libre, il en profita pour faire un pélerinage à Rome, ce qui dura sept ans. Durant son exil, Brice eut l'occasion de se repentir de ses manières, et de changer complètement son style de vie. Sur son chemin de retour, il fonda plusieurs centres Chrétiens.

Les sept ans étant passés, Brice revint à Tours. A peine était-il en vue de la ville de Tours, une fièvre tua l'évêque qui avait été élu comme son successeur. Ne voulant pas manquer de politesse, Brice hâta son pas, et arriva à temps pour accomplir les rites funéraires. Puis il reprit son épiscopat pour le restant de sa vie et dirigea dans l'humilité, la sainteté et l'habilité.

Saint Brice. Eglise Saint-Brice. Mareuil.

A sa mort, il fut tenu pour saint, avec raison, vu son changement si radical de vie. Il fut enterré dans la même église que Saint Martin, car à présent que tous 2 étaient tenus pour saints, il n'y avait pas de raison qu'ils ne reposent point côte à côte. Dieu avait voulu que tous deux soient ensemble et servent comme fondations de l'Eglise de Tours. En additionnant la sérénité de Martin à la vigueur de Brice, l'harmonie fut assurée à cette ville où la Loire et le Vouvray se rencontrent.

Dans l'art, on représente saint Brice qui porte des charbons ardents dans ses vêtements. Parfois on le dépeint :
1. portant du feu dans sa main ;
2. avec un enfant dans ses bras ou près de lui ;
3. avec Saint Martin de Tours.

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dimanche, 12 novembre 2023

12 novembre. Saint René, évêque d'Angers. 450.

- Saint René, évêque d'Angers. 450.

Pape : Saint Léon Ier, le Grand. Roi des Francs : Mérovée. Empereur romain d'Occident : Valentinien III.

" La foi ne se laisse corrompre ni par les séductions, ni par les persécutions ; elle ne font que la purifier."
Saint Jean Chrysostome.

 

Saint René ressuscité par l'intercession de saint Maurille en présence
de sa mère Bononia. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Un jour que saint Maurille, évêque d'Angers (que l'on fête au 13 septembre), passait dans le village de La Possonnière, une dame de haute naissance, nommée Bononia, vint se jeter à ses pieds et le conjura de lui obtenir du ciel un enfant, objet de tous ses désirs. Le saint pontife se mit en prière, et, un an après, Bononia mit au monde un fils qu'elle offrit à Dieu et dont elle confia l'éducation aux mnistres du sanctuaire.

Il avait sept ans lorsqu'une maladie cruelle le conduisit aux portes du tombeau. Or, il n'était pas encore baptisé ; sa mère se rendit en toute hâte à l'église de Saint-Pierre d'Angers où saint Maurille célébrait le saint sacrifice, et le suplia de conférer sans retard le saint baptême à son fils qui se mourait. " Aussitôt le saint sacrifice achevé, je ferai droit à votre désir ", lui dit le saint évêque. Hélas ! Avant que le moment fixé fût arrivé, l'enfant expira.

 


Statue de saint René. Rennes. Bretagne. XVIIIe.

Cet accident jeta une profonde tristesse dans le coeur de saint Maurille qui, se persuadant qu'il était désormais indigne d'exercer les fonctions de l'épiscopat, et qu'une longue pénitence au fond d'une solitude inconnue pouvait seule expier sa faute, s'enfuit dans les forêts d'Armorique, et il ne revint au milieu de son troupeau que quand Dieu lui fit connaître dans l'oraison qu'il lui accorderait la vie de cet enfant qui faisait depuis si lngtemps l'objets de ses regrets et de ses larmes.

Maurille se dirigea aussitôt vers l'église Saint-Pierre où il avait fait enterrer le jeune fils de Bononia. Tandis qu'on ouvrait la tombe, il versait un torrent de larmes accompagnées d'une prière fervente ; après quelques instants, le corps du petit défunt revint à la vie et se leva en parfaite santé. Le bienheureux évêque le baptisa et lui imposa, en souvenir d'un si grand événement, le nom de René (Rénatus), rappelé à la vie).

Placé dès lors à l'école épiscopale, René y fit des progrès rapides ; il fut bientôt élevé à la dignité d'archidiacre, puis à celle d'administrateur de l'église jadis si célèbre de Chalonges-sur-Loire. Enfin, quand saint Maurille se fut endormi dans le Seigneur (426), René, à peine agé de trente ans, fut appelé à lui succéder. Toutefois, son bien-aimé troupeau ne put conserver longtemps ce trésor. Le fardeau de l'épiscopat parut bientôt insupportable au nouvel évêque qui, prétextant la nécessité de faire le pélerinage de Rome, quitta Angers et se fixa dans une solitude, à quelques pas de Sorento (royaume de Naples). On prétend qu'il devint plus tard évêque de ce siège.

 


Saint René. Chambéry. Savoie. XIXe.

Quoi qu'il en soit, il mourut dans cette ville (6 octobre 450) et fut enterré près des murs de la cité, sous la cellule qu'il avait habitée. Quand la nouvelle en fut parvenue à Angers, les habitants de cette ville firent de nombreuses démarches pour recouvrer ce précieux trésor : ils obtinrent en effet qu'une grande partie du corps leur fût restituée. On le déposa dans l'église cathédrale. Il se fit d'autres translations de ces reliques en 1012, 1082, 1150 et 1255. A cette dernière époque, les reliques furent placées dans une châsse d'argent doré et déposée sous l'autel de Saint-René, au milieu du choeur de la cathédrale.

CULTE ET RELIQUES

En 1562, les bêtes féroces protestantes brisèrent cette châsse et brûlèrent les reliques qu'elle contenait. On sauva toutefois quelques ossements que l'on renferma dans une petite châsse en argent doré. Celle-ci disparut en 1793 lorsque d'autres bêtes féroces ravagèrent la cathédrale d'Angers.

Il est conservé toutefois un os du pied de notre saint dans l'église Notre-Dame de Chalonnes dont on a détaché un petit morceau pour la cathédrale d'Angers et un autre pour l'église Saint-Maurille de Chalonnes.

Le culte de saint René était, avant la révolution, l'un des plus populaires de France. L'évêque solitaire jouissait aussi d'une grande vénération dans le royaume de Naples. La chapelle de Saint-René à la Possonnière était fréquentée par de nombreux pélerins : on invoquait le saint évêque pour l'heureuse délivrance des femmes enceintes. Ajoutons qu'une confrérie célèbre, sous le patronnage de saint René, avait été érigée dans la cathédrale d'Angers, vers la fin du XVe siècle : les papes Léon X et Clément VII l'avaient enrichie de nombreuses indulgences.

On représente ordinairement saint René aux pieds de saint Maurille qui vient de le ressusciter ; ce qui n'empêche pas que l'on peut s'inspirer des autres circonstances saillantes de sa vie.

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samedi, 11 novembre 2023

11 novembre. Saint Martin, évêque de Tours. 400.

- Saint Martin, évêque de Tours. 400.

Pape : Saint Anastase Ier. Empereur romain d'Occident : Flavius Honorius.

" Martin a vu et compris la vanité des idoles, et il s'est fait Chrétien, l'horreur et les suites déplorables du péché, et il l'a chassé de son coeur. En possession de la vérité et de la grâce du Seigneur, il a veillé toute sa vie sur ces précieux trésors, et il n'a cessé de puiser dans la prière la force de les défendre."
Eloge de saint Martin.

Saint Martin partageant son manteau.
Benvenuto Tisi da Gorofalo : Il Garofalo. XVe.
 

Trois mille six cent soixante églises dédiées à saint Martin au seul pays de France (une liste par diocèses s'en trouve dans le Saint Martin de Lecoy de la Marche, en l'Appendice), presque autant dans le reste du monde, attestent l'immense popularité du grand thaumaturge. Dans les campagnes, sur les montagnes, au fond des forêts, arbres, rochers, fontaines, objets d'un culte superstitieux quand l'idolâtrie décevait nos pères, reçurent en maints endroits et gardent toujours le nom de celui qui les arracha au domaine des puissances de l'abîme pour les rendre au vrai Dieu. Aux fausses divinités, romaines, celtiques ou germaniques, enfin dépossédées, le Christ, seul adoré par tous désormais, substituait dans la mémoire reconnaissante des peuples l'humble soldat qui les avait vaincues.

C'est qu'en effet, la mission de Martin fut d'achever la déroute du paganisme, chassé des villes par les Martyrs, mais jusqu'à lui resté maître des vastes territoires où ne pénétrait pas l'influence des cités.

Cathédrale Saint-Martin de Bratislava. Slovaquie.

Aussi, à l'encontre des divines complaisances, quelle haine n'essuya-t-il point de la part de l'enfer ! Dès le début, Satan et Martin s'étaient rencontrés : " Tu me trouveras partout sur ta route ", avait dit Satan (Sulpit. Sever. Vita, vi.) ; et il tint parole. Il l'a tenue jusqu'à nos jours : de siècle en siècle, accumulant les ruines sur le glorieux tombeau qui attirait vers Tours le monde entier ; dans le XVIe livrant aux flammes, par la main des huguenots, les restes vénérés du protecteur de la France ; au XIXe enfin, amenant des hommes à ce degré de folie que de détruire eux-mêmes, en pleine paix, la splendide basilique qui faisait la richesse et l'honneur de leur ville.

Reconnaissance du Christ roi, rage de Satan, se révélant à de tels signes, nous disent assez les incomparables travaux du Pontife apôtre et moine que fut saint Martin.

Statue de saint Martin. Georges-Raphaël Donner. XVIIIe.
Cathédrale Saint-Martin de Bratislava. Slovaquie.

Moine, il le fut d'aspiration et de fait jusqu'à son dernier jour.
" Dès sa première enfance, il ne soupire qu'après le service de Dieu. Catéchumène à dix ans, il veut à douze s'en aller au désert ; toutes ses pensées sont portées vers les monastères et les églises. Soldat à quinze ans, il vit de telle sorte qu'on le prendrait déjà pour un moine (Ita ut, jam illo tempore, non miles sed monachus putaretur. Ibid. II.). Après un premier essai en Italie de la vie religieuse, Martin est enfin amené par Hilaire dans cotte solitude de Ligugé qui fut, grâce à lui, le berceau de la vie monastique dans les Gaules.

Et, à vrai dire, Martin, durant tout le cours de sa carrière mortelle, se sentit étranger partout hormis à Ligugé. Moine paraîtrait, il n'avait été soldat que par force ; il ne devint évêque que par violence ; et alors, il ne quitta point ses habitudes monastiques. Il satisfaisait à la dignité de l'évêque, nous dit son historien, sans abandonner la règle et la vie du moine (Ita implebat episcopi dignitatem, ut non tamen propositum monachi virtutemque desereret. Sulpit. Sev. Vita, X.) ; s'étant fait tout d'abord une cellule auprès de son église de Tours ; bientôt se créant à quelque distance de la ville un second Ligugé sous le nom de Marmoutier ou de grand monastère." (Cardinal Pie, Homélie prononcée à l'occasion du rétablissement de l'Ordre de saint Benoît à Ligugé, 25 novembre 1853.).

Charité de saint Martin. Eglise Saint-Martin de Donzenac. Limousin.

C'est à la direction reçue de l'ange qui présidait alors aux destinées de l'Eglise de Poitiers, que la sainte Liturgie renvoie l'honneur des merveilleuses vertus manifestées par Martin dans la suite (Hilarium secutus est Martinus, qui tantum illo doctore profecit, quantum ejus postca sanctitas declaravit. In festo S. Hilarii, Noct. II, Lect. II.).

Quelles furent les raisons de saint Hilaire pour conduire par des voies si peu connues encore de l'Occident l'admirable disciple que lui adressait le ciel, c'est ce qu'à défaut d'Hilaire même, il convient de demander à l'héritier le plus autorisé de sa doctrine aussi bien que de son éloquence :

" Ce fut, dit le Cardinal Pie, la pensée dominante de tous les saints, dans tous les temps, qu'à côté du ministère ordinaire des pasteurs, obligés parleurs fonctions de vivre mêlés au siècle,il fallait dans l'Eglise une milice séparée du siècle et enrôlée sous le drapeau de la perfection évangélique, vivant de renoncement et d'obéissance, accomplissant nuit et jour la noble et incomparable fonction de la prière publique.

Saint Martin de Tours. Le Greco. XVIIe.

Ce fut la pensée des plus illustres pontifes et des plus grands docteurs, que le clergé séculier lui-même ne serait jamais plus apte à répandre et à populariser dans le monde les pures doctrines de l'Evangile, que quand il se serait préparé aux fonctions pastorales en vivant de la vie monastique ou en s'en rapprochant le plus possible.

Lisez la vie des plus grands hommes de l'épiscopat, dans l'Orient comme dans l'Occident, dans les temps qui ont immédiatement précédé ou suivi la paix de l'Eglise comme au moyen âge ; tous, ils ont professé quelque temps la vie religieuse, ou vécu en contact ordinaire avec ceux qui la pratiquaient. Hilaire, le grand Hilaire, de son coup d'œil sûr et exercé, avait aperçu ce besoin ; il avait vu quelle place devait occuper l'ordre monastique dans le christianisme,et le clergé régulier dans l'Eglise. Au milieu de ses combats, de ses luttes, de ses exils, témoin oculaire de l'importance des monastères en Orient, il appelait de tous ses vœux le moment où, de retour dans les Gaules, il pourrait jeter enfin auprès de lui les fondements de la vie religieuse. La Providence ne tarda pas à lui envoyer ce qui convenait pour une telle entreprise : un disciple digne du maître, un moine digne de l'évêque."

Legenda aurea. Bx J. de Voragine. J. de Vignay. XVe.

On ne saurait présumer d'essayer mieux dire ; pour le plus grand honneur de saint Martin, l'autorité de l'Evêque de Poitiers, sans égale en un tel sujet, nous fait un devoir de lui laisser la parole. Comparant donc ailleurs Martin, et ceux qui le précédèrent, et Hilaire lui-même, dans leur œuvre commune d'apostolat des Gaules :

" Loin de moi, s'écrie le Cardinal, que je méconnaisse tout ce que la religion de Jésus-Christ possédait déjà de vitalité et de puissance dans nos diverses provinces, grâce à la prédication des premiers apôtres, des premiers martyrs, des premiers évoques, dont la série remonte aux temps les plus rapprochés du Calvaire. Toutefois, je ne crains pas de le dire, l'apôtre populaire de la Gaule, le convertisseur des campagnes restées en grande partie païennes jusque-là, le fondateur du christianisme national, c'a été principalement saint Martin. Et d'où vint à Martin, sur tant d'autres grands évoques et serviteurs de Dieu, cette prééminence d'apostolat ? Placerons-nous Martin au-dessus de son maître Hilaire ? S'il s'agit de la doctrine, non pas assurément ; s'il s'agit du zèle, du courage, de la sainteté, il ne m'appartient pas de dire qui fut plus grand du maître ou du disciple ; mais ce que je puis dire, c'est qu'Hilaire fut surtout un docteur, et que Martin fut surtout un thaumaturge. Or, pour la conversion des peuples, le thaumaturge a plus de puissance que le docteur; et, par suite, dans le souvenir et dans le culte des peuples, le docteur est éclipsé, il est effacé par le thaumaturge." (Cardinal Pie, ubi supra.).

Buste reliquaire de saint Martin. XIIe.

" On parle beaucoup aujourd'hui de raisonnement pour persuader les choses divines : c'est oublier l'Ecriture et l'histoire ; et, de plus, c'est déroger. Dieu n'a pas jugé qu'il lui convînt déraisonner avec nous. Il a affirmé, il a dit ce qui est et ce qui n'est pas ; et, comme il exigeait la foi à sa parole, il a autorisé sa parole.
Mais comment l'a-t-il autorisée ?

" En Dieu, non point en homme ; par des œuvres, non par des raisons : non in sermone, sed in virtute ; non par les arguments d'une philosophie humainement persuasive " : " non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis, mais par le déploiement d'une puissance toute divine : sed in ostensione spiritus et virtutis ".
Et pourquoi ? En voici la raison profonde : " Ut fides non sit in sapientia hominum, sed in virtute Dei " : " afin que la foi soit fondée non sur la sagesse de l'homme, mais sur la force de Dieu ". (
I Cor. II, 4.).

La charité de saint Martin. Grandes Heures d'Etienne Chevalier.
Jean Fouquet. XVe.

On ne le veut plus ainsi aujourd'hui ; on nous dit qu'en Jésus-Christ le théurge fait tort au moraliste, que le miracle est une tache dans ce sublime idéal. Mais on n'abolira point cet ordre, on n'abolira ni l'Evangile ni l'histoire. N'en déplaise aux lettrés de notre siècle, n'en déplaise aux pusillanimes qui se font leurs complaisants, non seulement le Christ a fait des miracles, mais il a fondé la foi sur des miracles ; et le même Christ, non pas pour confirmer ses propres miracles qui sont l'appui des autres, mais par pitié pour nous qui sommes prompts à l'oubli, et qui sommes plus impressionnés de ce que nous voyons que de ce que nous entendons, le même Jésus-Christ a mis dans l'Eglise, et pour jusqu'à la fin, la vertu des miracles. Notre siècle en a vu, il en verra encore ; le quatrième siècle eut principalement ceux de Martin.

Elément d'un dyptique en ivoire. XIIIe.

" Opérer des prodiges semblait un jeu pour lui ; la nature entière pliait à son commandement. Les animaux lui étaient soumis : " Hélas ! s'écriait un jour le saint, les serpents m'écoutent, et les hommes refusent de m'entendre !".

Cependant les hommes l'entendaient souvent. Pour sa part, la Gaule entière l'entendit ; non seulement l'Aquitaine, mais la Gaule Celtique, mais la Gaule Belgique. Comment résister à une parole autorisée par tant de prodiges ? Dans toutes ces provinces, il renversa l'une après l'autre toutes les idoles, il réduisit les statues en poudre, brûla et démolit tous les temples, détruisit tous les bois sacrés, tous les repaires de l'idolâtrie. Etait-ce légal, me demandez-vous ? Si j'étudie la législation de Constantin et de Constance, cela l'était peut-être. Mais ce que je puis dire, c'est que Martin, dévoré du zèle de la maison du Seigneur, n'obéissait en cela qu'à l'Esprit de Dieu.

Cathédrale Saint-Martin. Mayence. Allemagne.

Et ce que je dois dire, c'est que Martin, contre la fureur de la population païenne, n'avait d'autres armes que les miracles qu'il opérait, le concours visible des anges qui lui était parfois accordé, et enfin, et surtout, les prières et les larmes qu'il répandait devant Dieu lorsque l'endurcissement de la multitude résistait à la puissance de sa parole et de ses prodiges. Mais, avec ces moyens, Martin changea la face de notre pays.

Là où il y avait à peine un chrétien avant son passage, à peine restait-il un infidèle après son départ. Les temples du Dieu vivant succédaient aussitôt aux temples des idoles ; car, dit Sulpice Sévère, aussitôt qu'il avait renversé les asiles de la superstition, il construisait des églises et des monastères. C'est ainsi que l'Europe entière est couverte de temples qui ont pris le nom de Martin."
(Cardinal Pie, Sermon prêché dans la cathédrale de Tours le dimanche de la solennité patronale de saint Martin, 14 novembre 1858.).

Saint Hilaire remettant les ordres mineurs à saint Martin.
Cathédrale Saint-Gatien de Tours.
 
La mort ne suspendit pas ses bienfaits ; eux seuls expliquent le concours ininterrompu des peuples à sa tombe bénie. Ses nombreuses fêtes au cours de l'année, Déposition ou Natal, Ordination, Subvention, Réversion, ne parvenaient point à lasser la piété des fidèles. Chômée en tous lieux (Concil. Mogunt. an. 813, can. XXXVI.), favorisée par le retour momentané des beaux jours que nos aïeux nommaient l'été de la Saint-Martin, la solennité du XI novembre rivalisait avec la Saint-Jean pour les réjouissances dont elle était l'occasion dans la chrétienté latine. Martin était la joie et le recours universels.

Aussi Grégoire de Tours n'hésite pas à voir dans son bienheureux prédécesseur le patron spécial du monde entier (Greg. Tur. De miraculis S. Martini, IV, in Prolog.) !

Matrice de sceau en ivoire. XIIe.

Cependant moines et clercs, soldats, cavaliers, voyageurs et hôteliers en mémoire de ses longues pérégrinations, associations de charité sous toutes formes en souvenir du manteau d'Amiens, n'ont point cessé de faire valoir leurs titres aune plus particulière bienveillance du grand Pontife.

La Hongrie, terre magnanime qui nous le donna sans épuiser ses réserves d'avenir, le range à bon droit parmi ses puissants protecteurs. Mais notre pays l'eut pour père : en la manière que l'unité de la foi fut chez nous son œuvre, il présida à la formation de l'unité nationale ; il veille sur sa durée ; comme le pèlerinage de Tours précéda celui de Compostelle en l'Eglise, la chape de saint Martin conduisit avant l'oriflamme de saint Denis nos armées au combat (quel qu'ait pu être le vêtement de saint Martin désigné par cette appellation, on sait que l'oratoire des rois de France tira de lui son nom de chapelle, passé ensuite à tant d'autres).

Or donc, disait Clovis :
" Où sera l'espérance de la victoire, si l'on offense le bienheureux Martin (Et ubi erit spes victoriae, si beatus Martinus offenditur ? Greg. Tur. Historia Francorum, II, XXXVII.) ?"

Cathédrale Saint-Martin de Lucques. Italie.

Martin, c'est comme si on disait qui tient Mars, c'est-à-dire la guerre contre les vices et les péchés ; ou bien encore l’un des martyrs ; car il fut martyr au moins de volonté et par la mortification de sa chair. Martin peut encore s'interpréter excitant, provoquant, dominant. En effet, par le mérite de sa sainteté, il excita le diable a l’envie, il provoqua Dieu à la miséricorde, et il dompta sa chair par des macérations continuelles.

La chair doit être dominée par la raison ou l’âme, dit saint Denys dans l’épure à Démophile, comme un maître domino un serviteur, et un vieillard un jeune débauché. Sévère surnommé Sulpice, disciple de saint Martin, a écrit sa vie et cet auteur est compté au nombre des hommes illustres par Gennacle.

Martin, originaire de Sabarie, ville de Pannonie, mais élevé à Pavie en Italie, servit en qualité de militaire avec son père, tribun des soldats, sous les césars Constantin et Julien. Ce n'était pas cependant de son propre mouvement, car, tout jeune encore ; poussé par l’inspiration de Dieu, à l’âge de douze ans, malgré ses parents, il alla à l’église et demanda, qu'on le fit catéchumène ; et dès lors il se serait retiré dans un ermitage, si la faiblesse de sa constitution ne s'y fût opposée.

Mais les empereurs ayant porté un décret par lequel tous les fils des vétérans étaient obligés à servir à la place de leurs pères, Martin, âgé de quinze ans, fut forcé d'entrer au service, se contentant d'un serviteur seulement qu'il servirait du reste lui-même le plats souvent, et dont il ôtait et nettoyait la chaussure.

Bas-relief de saint Martin. Cathédrale Saint-Martin de Lucques. Italie.

Un jour d'hiver, passant à la porte d'Amiens, il rencontra un homme nu qui n'avait reçu l’aumône de personne. Martin comprit que ce pauvre lui avait été réservé : il prit son épée, et partagea en deux le manteau qu'il avait sur lui, en donna une moitié au pauvre, et se recouvrit de l’autre moitié qui lui restait. La nuit suivante, il vit Notre Seigneur Jésus-Christ, revêtu de la partie du manteau dont il avait couvert le pauvre, et l’entendit dire aux anges qui l’entouraient :
" Martin, qui n'est encore que catéchumène, m’a couvert de ce vêtement."

Le saint homme ne s'en glorifia point, mais connaissant par là combien Dieu est bon il se fit baptiser, à l’âge de dix-huit ans, et cédant aux instances de son tribun, qui lui promettait de renoncer au monde à l’expiration de son tribunat, il servit encore deux ans.

Saint Martin enseignant. Verrière de l'église Saint-Martin.
Trémeheuc. Bretagne.
 
Pendant ce temps, les barbares firent irruption dans la Gaule, et Julien César qui devait lui livrer bataille, donna de l’argent aux soldats ; mais Martin, dont l’intention était de ne plus rester au service, ne voulut pas recevoir cette gratification, et dit à César :
" Je suis soldat de Notre Seigneur Jésus-Christ ; il ne m’est pas permis de me battre."
Julien indigné répondit que ce n'était pas par religion, mais par peur de la bataille dont on était menacé, qu'il renonçait au service militaire. Martin répliqua avec intrépidité :
" Si c'est à la lâcheté et non à la foi que l’on attribue ma démarche, demain je me placerai, sans armes, au-devant des rangs, et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec le signe de la croix pour me protéger, et sans bouclier, ni casque, je pénétrerai sans crainte dans les bataillons ennemis."
On le fit garder, pour l’exposer sans armes, comme il l’avait dit, au-devant des barbares. Mais le jour suivant, les ennemis envoyèrent une ambassade pour se rendre eux et tout ce qu'ils possédaient. Il n'y a pas de doute que ce ne fut aux mérites du saint personnage que cette victoire ait été remportée sans effusion de sang. Il quitta donc le service pour se retirer auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers qui l’ordonna acolyte.

" De moine, toi, Martin, tu as été appelé à devenir évêque."
 
Quand Martin fut ordonné évêque, comme il ne pouvait supporter le bruit que faisait le peuple, il établit un monastère à deux milles environ de Tours, et il y vécut avec quatre-vingts disciples dans une grande : abstinence; personne en effet n'y buvait du vin, à moins d'y être forcé par le besoin : être habillé trop délicatement, y passait pour un crime : Plusieurs villes venaient choisir là leurs évêques.

Un homme était honoré comme martyr, et Martin n'avait pu trouver aucun renseignement sur sa vie et ses mérites ; un jour donc que le saint était debout en prières sur son tombeau, il supplia le Seigneur de lui faire connaître qui était cet homme et quel mérite il pouvait avoir. Et s'étant tourné à gauche, il vit debout un fantôme tout noir qui ayant été adjuré par Martin, répondit, qu'il avait été larron et qu'il avait subi le supplice pour son crime. Aussitôt donc, Martin fit détruire l’autel.

" Tu guéris quelqu'un de possédé du démon."
Cathédrale Saint-Martin de Lucques. Italie.

On lit encore dans le Dialogue de Sévère et de Gallus, disciples de saint Martin, livre où se trouvent rapportés une multitude de faits que Sévère avait laissés de côté (Ce Dialogue est l’oeuvre de Sulpice Sévère qui y prend le nom de Gallus), que, un jour, Martin fut obligé d'aller trouver l’empereur Valentinien ; mais celui-ci sachant que Martin venait solliciter une faveur. qu'il ne voulait pas accorder, lui fit fermer les portes du palais. Martin, ayant supporté un premier et un second affront, s'enveloppa d'un cilice, se couvrit de cendres pendant une semaine et se mortifia par l’abstinence du boire et du manger. Après quoi, averti par un ange, il alla au palais, et sans que personne l’en empêchât, il parvint jusqu'à l’empereur.

Bannière de saint Martin.
Eglise Saint-Martin d'Acigné. Haute-Bretagne.
 
Quand celui-ci le vit venir, il se mit en colère de ce qu'on l’avait laissé passer, et ne voulut pas se lever devant lui, jusqu'au moment où le feu se mit au fauteuil impérial et brûla l’empereur lui-même dans la partie du corps sur laquelle il était assis. Alors il fut forcé de se lever devant Martin, en avouant qu'il avait ressenti une force divine ; il l’embrassa tendrement, lui accorda tout, avant même qu'il le demandât, et lui offrit de nombreux présents que saint Martin n'accepta point.
Dans le même Dialogue (ch. V.), on voit comment il ressuscita le troisième mort. Un jeune homme venait de mourir et sa mère conjurait avec larmes saint Martin de le ressusciter. Alors le saint, au milieu d'un champ où se trouvait une multitude innombrable de gentils, se mit à genoux, et sous les yeux de tout ce monde, l’enfant ressuscita. C'est pourquoi tous ces gentils furent convertis à la foi.

" Un feu apparaît sur la tête de Martin accomplissant le saint sacrifice."
Cathédrale Saint-Martin de Lucques. Italie.

Les choses insensibles, les végétaux, les créatures privées de raison obéissaient à ce saint homme :
1. Les choses insensibles, comme l’eau et, le feu. Il avait mis le feu à un temple, et la flamme poussée par le vent se portait sur une maison voisine. Martin monta sur le toit de la maison et se mit au-devant des flammes qui s'avançaient : tout à coup elles rebroussèrent contre la violence du vent, de sorte qu'il paraissait exister un conflit entre les éléments qui luttaient l’un contre l’autre.
Un navire était en péril, lit-on dans le même Dialogue (c. XVII.) ; un marchand qui n'était pas encore chrétien, s'écria :
" Dieu de Martin, sauvez-nous !"
Et aussitôt il se fit un grand calme.
2. Les végétaux lui obéissaient aussi de même. Dans un bourg, il avait fait abattre un temple fort ancien, et il voulait couper un pin consacré au diable, malgré les paysans et les gentils, quand l’un d'eux dit :
" Si tu as confiance en ton Dieu, nous couperons cet arbre, et toi tu le recevras, et si ton Dieu est avec toi, ainsi que tu le dis, tu échapperas au péril."
Martin consentit ; l’arbre était coupé et tombait déjà sur le saint qu'on avait lié de ce côté, quand il fit le signe de la croix vers l’arbre qui se renversa. de l’autre côté et faillit écraser les paysans qui s'étaient mis à l’abri. A la vue de ce miracle, ils se convertirent à la foi (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, c. X.).
3. Les créatures privées de raison, comme les animaux, lui obéirent, aussi plusieurs fois, ainsi. qu'on le voit dans le Dialogue cité plus haut (c. X.).

Saint Martin renonce aux armes. Simone Martini. XVIe.

Avant vu des chiens qui poursuivaient un levreau, il leur commanda de cesser de le poursuivre : et aussitôt les chiens s'arrêtèrent et restèrent droits comme s'ils eussent été attachés par leurs pattes. Un serpent passait un fleuve à la nage et Martin lui dit :
" Au nom du Seigneur, je t'ordonne de retourner."
Aussitôt et à la parole du saint, le serpent se retourna et passa sur l’autre rive. Alors Martin dit en gémissant :
" Les serpents m’écoutent et les hommes ne m’écoutent pas."
Un chien encore aboyait contre un disciple de saint Martin : et se tournant vers lui, le disciple lui dit :
" Au nom de Martin, je t'ordonne de te taire."
Et le chien se tut aussitôt, comme si on lui eût coupé la langue .

Saint Martin battu par des soldats.
Speculum historiale. J. de Vignay. XVe.

Le bienheureux Martin posséda une grande humilité ; car un lépreux qui faisait horreur, s'étant rencontré sur son chemin à Paris, il l’embrassa, le bénit, et cet homme fut guéri de suite (Dialogue, III, ch. IV.).
Quand il était dans le sanctuaire, jamais il ne se servit de la chaire, car personne ne le vit jamais s'asseoir dans l’église : il se mettait sur un petit siège rustique, qu'on appelle trépied.

Il jouissait d'une grande considération ; car on disait qu'il était l’égal des apôtres, et cela pour la grâce du Saint-Esprit qui descendit en forme de feu sur lui afin de lui donner de la vigueur, comme cela eut lieu pour lés apôtres. Ceux-ci le visitaient fréquemment comme s'il eût été leur égal. On lit en effet, dans le livre (Ibid., II, c. XIV.) cité plus haut, qu'une fois saint Martin étant dans sa cellule, Sévère et Gallus, ses disciples, qui attendaient à la porte, furent frappés tout à coup d'une merveilleuse frayeur, en entendant plusieurs personnes en conversation dans la cellule.
Ayant questionné plus tard à ce sujet saint Martin :
" Je vous le dirai, répondit-il, mais vous, ne le dites à personne, je vous prie. Ce sont sainte Agnès, sainte Thècle et la sainte Vierge Marie qui sont venues vers moi."
Et il avoua que ce n'était pas ce jour-là seulement, ni la seule fois qu'il eût reçu leur visite. Il raconta de plus que les apôtres saint Pierre et saint Paul lui apparaissaient souvent.

Saint Martin guérissant un possédé. Jacob Joardens. XVIIe.

Il pratiquait une haute justice ; car ayant été invité par l’empereur Maxime et ayant reçu le premier la coupe, tout le monde attendait qu'après avoir bu, il la passerait à l’empereur, mais il la donna à son prêtre, ne jugeant personne plus digne de boire après lui, et pensant commettre une chose indigne que, de préférer à ce prêtre ou bien l’empereur, ou bien ceux qui venaient après ce dernier.

Il était doué d'une grande patience. Tout évêque qu'il fût, souvent les clercs lui manquaient impunément ; il ne les privait cependant pas de sa bienveillance. Personne ne le vit jamais en colère, jamais triste, jamais riant.

Il n'avait jamais à la bouche que le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ ; jamais dans le coeur que la pitié, la paix, la miséricorde. On lit encore, dans ce Dialogue, qu'un jour Martin, revêtu d'un habit à longs poils et couvert d'un manteau noir qui pendait deçà et de là, s'avançait, monté sur un petit âne : des chevaux venant du côté opposé s'en étant effrayés, les soldats qui les conduisaient tombèrent à terre immédiatement ; puis saisissant Martin, ils le frappèrent rudement.

Or, le saint resta comme un muet, présentant le dos à ceux qui le maltraitaient : ceux-ci étaient d'autant plus furieux que le saint semblait les mépriser en ne paraissant pas ressentir les coups qu'ils lui portaient : mais à l’instant, leurs chevaux restèrent attachés par terre ; on avait beau les frapper à coups redoublés ; ils ne pouvaient pas plus remuer que des pierres, jusqu'au moment où les soldats revenus vers saint Martin confessèrent le péché qu'ils avaient commis contre lui, sans le connaître ; il leur donna aussitôt la permission de partir : alors leurs chevaux s'éloignèrent d'un pas rapide.

Saint Martin. Eglise Saint-Martin de Tohogne, Belgique. XVIe.

Il fut très assidu à la prière ; car, ainsi qu'on le dit dans sa légende, jamais il ne passa une heure, un moment sans se livrer ou à la prière ou à la lecture. Pendant la lecture ou le travail, jamais il ne détournait son esprit de la prière. Et comme c'est la coutume des forgerons, de frapper de temps en temps sur l’enclume pendant qu'ils battent le fer, pour alléger leur labeur, de même saint Martin, au milieu de chacune de ses actions, priait toujours.

Il exerçait sur lui-même de grandes austérités. Sévère rapporte, en effet, dans sa lettre à Eusèbe, que Martin étant venu dans 'un village de son diocèse, ses clercs lui avaient préparé un lit avec beaucoup de paille. Quand le saint se fut couché, il eut horreur de cette délicatesse inaccoutumée, lui qui se reposait d'ordinaire sur la terre nue, couvert seulement d'un cilice. Alors ému de l’injure qu'il croyait avoir reçue, il se leva, jeta de côté toute la paille et se coucha sur la terre nue. Or, vers minuit, cette paille prend feu ; saint Martin éveillé cherche à sortir, sans pouvoir le faire ; le feu le saisit et déjà ses vêtements brûlent. Mais il a recours, comme d'habitude, à la prière ; il fait le signe de la croix et reste au milieu du feu qui ne le touche pas ; les flammes lui semblaient alors une rosée, quand tout à l’heure il venait d'en ressentir la vivacité. Aussitôt les moines éveillés accourent et tirent des flammes Martin sain et sauf, tandis qu'ils le croyaient consumé.

Il témoignait une grande compassion pour les pécheurs, car il recevait dans son sein tous ceux qui voulaient se repentir.
Le diable lui reprochait en effet clé recevoir à la pénitence ceux qui étaient tombés une fois ; alors Martin lui dit :
" Si toi-même, misérable, tu cessais de tourmenter les hommes et si tu te repentais de tes actions, j'ai assez de confiance dans le Seigneur pour pouvoir te promettre la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ."

Statue de saint Martin. Eglise Saint-Martin de Nolay. Bourgogne.

Il avait une grande pitié à l’égard des pauvres.
On lit dans le même Dialogue (II, ch. I.) que saint Martin, un jour de fête, allant à l’église, fut suivi par un pauvre qui était nu. Le saint ordonna à son archidiacre de revêtir cet indigent ; mais celui-là ayant tardé à le faire, Martin entra dans la sacristie (Secretarium, c'était un lieu attenant à l’église où les clercs se réunissaient pour vaquer à la prière et à la lecture), donna sa tunique au pauvre en lui commandant de sortir aussitôt.

Or, comme l’archidiacre l’avertissait qu'il était temps de commencer les saints mystères, saint Martin répondit qu'il n'y pouvait aller avant que le pauvre n'eût reçu un habit. C'était de lui-même qu'il parlait. L'archidiacre qui ne comprenait pas, parce qu'il voyait saint Martin revêtu de sa chape de dessus, sans se douter qu'il eût été nu sur lui, répond qu'il n'y a pas de pauvre. Alors le saint dit :
" Qu'on m’apporte un habit, et il n'y aura pas de pauvre à vêtir."
L'archidiacre fut forcé d'aller au marché et prenant pour cinq pièces d'argent une tunique sale et courte, qu'on appelle pénule, comme on dirait presque nulle, il la jeta en colère : aux pieds de Martin, qui se retira à l’écart pour la mettre : or, les manches de la pénule n'allaient que jusqu'au coude et elle descendait seulement à ses genoux. Néanmoins, Martin s'avança ainsi revêtu pour célébrer la messe. Mais pendant le saint sacrifice, un globe de feu apparut sur, sa tête, et beaucoup de personnes l’y remarquèrent. C'est pour cela qu'on dit qu'il était l’égal des apôtres.

A ce miracle, Maître Jean Beleth ajoute (ch. CLXIII) que le saint levant les mains vers Dieu à la préface de la messe, comme c'est la coutume, les manches de toile venant à retomber sur elles-mêmes, parce que ses bras n'étaient ni gros, ni gras et que la tunique dont il vient d'être parlé, n'allait que jusqu'aux coudes, ses bras restèrent nus. Alors des bracelets miraculeux, couverts d'or et de pierreries, sont apportés par des anges pour couvrir ses bras avec décence. En apercevant un jour une religieuse :
" Celle-ci, dit-il, a accompli le commandement évangélique : elle possédait deux tuniques, et elle en a donné une à qui n'en avait point. Et vous ; ajouta-t-il, vous devez faire de même."

Messe de saint Martin. Eustache Le Sueur. XVIIe.

Il eut une grande puissance pour chasser les démons du corps des hommes. On lit dans le même Dialogue (II, ch. IX) qu'une vache, agitée par le démon, exerçait partout sa fureur, tuait beaucoup de monde et accourait, pleine de rage, dans un chemin ; contre Martin et ses compagnons le saint leva la main en lui commandant de s'arrêter. Cette bête resta immobile et Martin vit un démon assis sur son dos, et lui insultant :
" Va-t-en, méchant, lui dit-il ; sors de cet animal inoffensif, et cesse de l’agiter."

Le démon s'en alla aussitôt, et la vache vint se prosterner aux pieds du saint qui lui commanda de retourner tranquillement à son troupeau. Il avait une grande adresse pour connaître les démons qui devenaient pour lui si faciles à distinguer qu'il les voyait sous quelque forme qu'ils prissent. En effet les démons se présentaient à lui sous la figure de Jupiter, le plus souvent de Mercure, quelquefois de Vénus et de Minerve ; à l’instant il les gourmandait par leur nom : il regardait Mercure comme acharné à nuire ; il disait que Jupiter était un brutal et un hébété.

Saint Martin à la table de l'empereur Maxime.
Vie de saint Martin. Sulpice Sévère. XIVe.

Une fois le démon lui apparut encore sous la forme d'un roi, orné de la pourpre, avec un diadème, et des chaussures dorées ; la bouche sereine et le visage gai. Tous les deux se turent pendant longtemps.
" Reconnais, Martin, dit enfin le démon, celui que tu adores. Je suis le Christ qui vais descendre sur la terre ; mais auparavant, j'ai voulu me manifester à toi... "
Et comme Martin étonné gardait encore le silence, le démon ajouta :
" Martin, pourquoi hésites-tu de croire, puisque tu me vois ? Je suis Jésus-Christ."
Alors Martin, éclairé par le Saint-Esprit, répondit :
" Notre Seigneur Jésus-Christ n'a jamais prédit qu'il viendrait revêtu de pourpre et ceint d'un diadème éclatant. Je croirai que c'est le Christ, quand je le verrai avec l’extérieur et la figure sous lesquels il a souffert, quand il portera les stigmates de la croix."
A ces paroles, le démon disparut, en laissant dans la cellule du saint une odeur infecte (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, ch. XXV.).

Saint Martin démasquant le diable.
Vie de saint Martin. Sulpice Sévère. XIVe.

Martin connut longtemps d'avance l’époque de sa mort, qu'il révéla aussi à ses frères. Sur ces entrefaites, il visita la paroisse (Le texte copié sur Sulpice Sévère porte diocesin ; on appelait ainsi les paroisses éloignées de l’église cathédrale. de Candé pour apaiser des querelles (Sulp. Sév., ép. à Bassula). Dans sa route, il vit, sur la rivière, des plongeons (les plongeons sont des oiseaux au mode de pêche est éloquemment évoqué par leur nom...) qui épiaient les poissons et qui en prenaient quelques-uns :
" C'est, dit-il, la figure des démons : ils cherchent à surprendre ceux qui ne sont point sur leur garde ; ils les prennent sans qu'ils s'en aperçoivent ; ils dévorent ceux qu'ils ont saisis ; et plus ils en dévorent moins ils sont rassasiés."
Alors il commanda à ces oiseaux de quitter ces eaux profondes et d'aller dans des pays déserts.
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Saint Martin agenouillé devant le corps de saint Gatien.
Couvent des Ursulines Notre-Dame de l'Assomption. Tours.

Etant resté quelque temps dans cette paroisse, ses forces commencèrent à baisser, et il annonça à ses disciples que sa fin était prochaine. Alors tous se mirent à pleurer :
" Père, pourquoi nous quitter, et à qui confiez-vous des gens désolés ? Les loups ravisseurs se jetteront sur votre troupeau."
Martin, ému par leurs prières et par leurs larmes, se mit à prier ainsi en pleurant lui-même :
" Seigneur, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse point le travail ; que votre volonté soit faite."
Il balançait sur ce qu'il avait à préférer ; car il ne voulait pas les quitter comme aussi il ne voulait pas être séparé plus longtemps de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La fièvre l’ayant tourmenté pendant quelque temps, ses disciples le priaient de leur laisser mettre un peu de paille sur le lit où il était couché sur la cendre et sous le silice :
" Il n'est pas convenable, mes enfants, leur dit-il, qu'un chrétien meure autrement que sous un silice et sur la cendre si je vous laisse un autre exemple, je suis un pécheur."

Toujours les yeux et les mains élevés au ciel, il ne sait pas donner de relâche à son esprit infatigable dans la prière ; or, comme il était toujours étendu sur le dos et que ses prêtres le suppliaient de se soulager en changeant de position :
" Laissez, mes frères, laissez-moi regarder le ciel plutôt que la terre, afin que l’esprit se dirige vers le Seigneur."
Et en disant ces mots, il vit le diable auprès de lui :
" Que fais-tu, ici, dit-il, bête cruelle? tu ne trouveras en moi rien de mauvais : c'est le sein d'Abraham qui me recevra."

En disant ces mots, sous Ariade et Honorius, qui commencèrent à régner vers l’an du Seigneur 395, et de sa vie la quatre-vingt-unième, il rendit son esprit à Dieu. Le visage du saint devint resplendissant; car il était déjà dans la gloire. Un choeur d'anges se fit entendre, dans l’endroit même, de beaucoup de personnes.

Saint Martin chassant le démon. Speculum historiale. J. de Vignay. XVe.

A son trépas lés Poitevins comme les Tourangeaux se rassemblèrent, et il s'éleva entre eux une grande contestation. Les Poitevins disaient :
" C'est un moine de notre pays ; nous réclamons ce qui nous a été confié."
Les Tourangeaux répliquaient :
" Il vous a été enlevé, c'est Dieu qui nous l’a donné."
Mais au milieu de la nuit, les Poitevins s'endormirent tous sans exception ; alors les Tourangeaux faisant passer le corps du saint par une fenêtre, le transportèrent dans une barque, sur la Loire, jusqu'à la ville de Tours, avec une grande joie.

Enlèvement du corps de saint Martin. Vie de saint Martin.
Sulpice Sévère. Le Mans. XVe.

Saint Séverin, évêque de Cologne, faisait par un dimanche, selon sa coutume, le tour des lieux saints, quand, à l’heure de la mort du saint homme, il entendit les Anges qui chantaient dans le ciel, et il appela l’archidiacre pour lui demander s'il entendait quelque chose. Sur sa réponse qu'il n'entendait rien, l’archevêque l’engagea à prêter une sérieuse attention ; il se mit donc à allonger le cou, à tendre les oreilles et à se tenir sur l’extrémité de ses pieds en se soutenant sur son bâton.

Et tandis que l’archevêque priait pour lui, il dit qu'il entendait quelques voix dans le ciel, et l’archevêque lui dit :
" C'est monseigneur Martin qui est sorti de ce monde et en ce moment les anges le portent dans le ciel. Les diables se sont présentés aussi, et voulaient le retenir, mais ne trouvant rien en lui qui leur appartînt, ils se sont retirés confus."

Alors l’archidiacre prit note dit jour et de l’heure et il apprit qu'à cet instant saint Martin mourait. Le moine Sévère, qui a écrit sa vie, s'étant endormi légèrement après matines, comme il le raconte lui-même dans une épître, vit lui apparaître saint Martin revêtu d'habits blancs, le visage en feu, les veux étincelants, les cheveux comme de la pourpre et tenant, à la main droite le livre que Sévère avait écrit sur sa vie : et comme il le voyait monter au ciel, après l’avoir béni, et qu'il souhaitait y monter avec lui, il s'éveilla. Alors, des messagers vinrent lui apprendre que, saint Martin était mort cette nuit-là.

Translation de saint Martin. Speculum historiale. J. de Vignay. XVe.

Le même jour encore, saint Ambroise, évêque de Milan, en célébrant la messe, s'endormit sur l’autel entre la prophétie et l’épître : personne n'osait le réveiller, et le sous-diacre ne voulait pas lire l’épître, sans en avoir reçu l’ordre; après deux ou trois heures écoulées on éveilla Ambroise en disant :
" L'heure est passée, et le peuple se lasse fort d'attendre ; que notre Seigneur ordonne au clerc de lire l’épître."
Saint Ambroise leur répondit :
" Ne vous troublez point : car mon frère Martin est passé à Dieu ; j'ai assisté à ses funérailles, et je lui ai rendu les derniers devoirs ; mais vous m’avez empêché, en me réveillant, d'achever le dernier répons."
Alors on prit note à l’instant de ce jour, et on apprit que saint Martin était trépassé en ce moment.

Signalons que Baronius attaqua l’authenticité de cette vision en se basant sur ce que, d'après lui, saint Ambroise était mort lors du décès de saint Martin; mais saint Martin étant mort le 9 nov. 395 pouvait apparaître à saint Ambroise ne mourut qu’en 397 Baronius allait contre la tradition appuyée sur la liturgie, sur des historiens dignes de foi. Honorius d'Autun.

Cathédrale Saint-Gatien de Tours.

Maître Jean Beleth dit que les rois de France ont coutume de porter sa chape dans les combats ; de là le nom de chapelains donné aux gardiens de cette chape. Soixante-quatre ans après sa mort, le bienheureux Perpet ayant agrandi l’église de saint Martin, voulut y faire la translation de son corps; et après trois jours passés dans le jeûne et l’abstinence, on ne put jamais remuer le sépulcre.
On allait renoncer à ce projet, quand apparut un vieillard magnifique qui dit :
" Que tardez-vous ? vous ne voyez pas saint Martin prêta vous aider, si vous approchez les mains ?"
Alors ce vieillard souleva de ses mains le tombeau avec les assistants qui l’enlevèrent avec la plus grande facilité, et le placèrent à l’endroit où il est honoré maintenant. Or, après cela on ne rencontra ce vieillard en aucun lieu.
On célèbre la fête de cette translation le 4 juillet.

Scènes de la vie de saint Martin. Legenda aurea
Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

Saint Odon, abbé de Cluny, rapporte (De Translatione B. Martini a Burgundia, ch. X.) qu'alors toutes les cloches étaient en branle dans toutes les églises, sans que personne n'y touchât, et toutes les lampes s'allumèrent par miracle. Il rapporte encore qu'il y avait deux camarades dont l’un était aveugle et l’autre paralytique., L'aveugle portait le paralytique et celui-ci indiquait le chemin à l’autre, et en mendiant de cette façon, ils amassaient beaucoup d'argent.

Quand ils apprirent qu'une multitude d'infirmes étaient guéris auprès du corps de saint Martin, qu'on conduisait à l’église en procession ; ils se prirent à craindre que le saint corps ne fût amené vis-à-vis de la maison où ils demeuraient et que peut-être ils fussent guéris aussi ; car ils ne voulaient pas recouvrer la santé pour ne rien perdre de leurs bénéfices. Alors ils se sauvaient, d'une rue à l’autre, où ils pensaient que le corps ne serait pas conduit. Or, au milieu de leur course, ils se rencontrèrent tout à coup, à l’improviste avec le corps ; et parce que Dieu accorde beaucoup de faveurs à ceux qui n'en veulent pas recevoir, tous les deux furent guéris à l’instant malgré eux, quoiqu'ils s'en affligeassent grandement.
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L'église Saint-Martin de Tours profanée par les bêtes féroces
calvinistes en 1564. Dessin de Sébastien Leclerc. XVIIe.
 

Saint Ambroise s'exprime ainsi au sujet de saint Martin :
" Saint Martin abattit les temples de l’erreur, païenne, il leva les étendards de la piété, il ressuscita les morts, il chassa les démons cruels du corps des possédés ; il rendit le bienfait de la santé à des malades attaqués de nombreuses infirmités. Il fut jugé tellement parfait qu'il mérita de couvrir Notre Seigneur Jésus-Christ dans la personne d'un pauvre, et qu'il revêtit le Seigneur du monde d'un habit que pauvre il avait reçu lui-même. Ô l’heureuse largesse qui couvrit la divinité ! Ô glorieux partage de chlamide qui couvrit un soldat et son roi tout à la fois ! Ô présent inestimable qui mérita de revêtir la divinité. Il était digne, Seigneur, que vous lui accordassiez la récompense octroyée à vos confesseurs ; il était digne que les barbares ariens fussent vaincus par lui. L'amour du martyre ne lui a pas fait redouter les tourments d'un persécuteur. Que doit-il recevoir pour s'être offert tout entier, celui qui pour une part de manteau a mérité de revêtir Dieu et de le voir ? A ceux qui avaient l’espoir, il accorda la santé, aux uns par ses prières, aux autres par son regard."

Saint Martin. Jean Bourdichon.
Grandes heures d'Anne de Bretagne. XVIe.

Rq : On peut télécharger et lire la Vie de saint Martin par Sulpice Sévère sur le site de la Bibliothèque nationale : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102665j

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