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samedi, 03 février 2024

3 février. Saint Blaise, évêque de Sébaste et martyr. 316.

- Saint Blaise, évêque de Sébaste et martyr. 316.

Pape : Saint Sylvestre Ier. Empereur romain d'Orient : Licinius. Empereur romain d'Occident : Constantin Ier.

" Apprends, misérable, que je suis le serviteur de Notre Seigneur Jésus-Christ et que je n'adore pas les démons !"
Saint Blaise au gouverneur. Actes du Saint.


Saint Blaise. Hans Memling. Flandres XVe.

Maintenant que l'Eglise a clos pour nous la touchante Quarantaine de la Naissance du Sauveur, et qu'elle nous a ouvert la source des fortes et sérieuses méditations qui doivent nous préparer pour la pénitence, chaque Fête des Bienheureux doit nous apporter une impression propre à nourrir en nous l'esprit de ce saint Temps. Dans la période dont nous sortons, tous les amis de Dieu que nous avions à fêter, nous apparaissaient rayonnants des joies de la Naissance de l'Emmanuel ; ils formaient sa cour radieuse et triomphante. D'ici à la Résurrection du Fils de Dieu, nous aimerons à les considérer surtout dans les labeurs du pèlerinage de cette vie. Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est de voir et d'étudier comment ils ont vaincu le monde et la chair.

" Ils allaient, dit le Psalmiste, et ils jetaient la semence sur le sillon, l'arrosant de leurs pleurs ; mais ils reviendront dans l'allégresse, chargés des gerbes que leurs sueurs auront produites." (Psalm. CXXV.).

Espérons qu'il en sera de même pour nous, à la fin de cette laborieuse carrière, et que le Christ ressuscité nous saluera comme ses membres vivants et renouvelés. Dans la période que nous avons présentement à traverser, les Martyrs abondent, et nous débutons aujourd'hui par un des plus célèbres. Sébaste, en Arménie, fut honorée par ses vertus pastorales et par sa glorieuse Passion ; bientôt la même ville nous fournira dans un seul jour quarante soldats Martyrs. La dévotion envers saint Biaise est demeurée très vive en Orient, surtout en Arménie, et son culte, introduit de bonne heure dans les Eglises de l'Occident, y a toujours été très populaire. Sa fête n'est néanmoins que du degré simple.


Saint Blaise et saint Pantaléon. Psautier cistercien. XIIIe.

Blaise pourrait venir de blandus, doux, ou de belasius, bela signifie habitude et syor, petit. En effet saint Blaise fut doux en ses discours ; il eut l’habitude des vertus et il se fit petit par l’humilité de sa conduite.

L'histoire de saint Blaise nous apprend qu'il parut dès son enfance d'un bon naturel, qu'il fut modeste en sa jeunesse. Arrivé à l'âge mûr, il s'appliqua particulièrement à la médecine, et fut toujours pénétré par la crainte de Dieu.

Blaise excellait en douceur et en sainteté, et avait gagné l'affection de tout le peuple, ce qui le fit élire évêque de Sébaste ; ville de Cappadoce. Après avoir reçu l’épiscopat, il se retira dans une caverne où il mena la vie érémitique, à cause de la persécution de Dioclétien (Bréviaire). Les oiseaux lui apportaient sa nourriture, et s'attroupaient véritablement ensemble autour de lui, et ne le quittaient que quand il avait levé les mains pour les bénir. Si quelqu'un d'eux avait du mal, il venait aussitôt à lui et retournait parfaitement guéri.


Saint Blaise fuyant la persécution.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.

Le gouverneur du pays, Agricola, sous l'empereur Licinius, avait envoyé des soldats pour chasser des bêtes féroces en vue de les ramener à Sébaste et de leurs livrer les Chrétiens au cirque. Après s'être fatigués longtemps en vain, ils vinrent par hasard à l’antre de saint Blaise, où ils trouvèrent une grande multitude de bêtes rangées devant lui. Or, n'ayant pu prendre aucune d'elles, ils furent remplis d'étonnement et rapportèrent cela à leur maître, qui aussitôt envoya plusieurs soldats avec ordre de lui amener Blaise avec tous les chrétiens.


Eglise Saint-Blaise. Peinture de MM. Maisonade & Lapierre.
Javerdat. Limousin. XVIIIe.

Mais cette nuit-là même, Notre Seigneur Jésus-Christ était apparu au saint par trois fois en lui disant :
" Lève-toi et offre-moi le sacrifice."
Voici que les soldats arrivèrent et lui dirent :
" Sors d'ici, le gouverner t'appelle."
Saint Blaise répondit :
" Soyez les bienvenus, mes enfants ; je vois à présent que Dieu ne m’a pas oublié."

Pendant le trajet, qu'il fit avec eux, il ne cessa de prêcher, et en leur présence il opéra beaucoup de miracles. Une femme apporta aux pieds du saint son fils qui était mourant d'un os de poisson arrêté dans la gorge ; elle lui demanda avec larmes la guérison de son enfant. Saint Blaise lui imposa les mains et fit une prière pour que cet enfant, aussi bien que tous ceux qui demanderaient quoi que ce fût en son nom, obtinssent le bienfait de la santé ; et sur-le-champ, il fut guéri (Bréviaire).

Les esprits dits forts ne diront point qu'il s'agit là d'une invention récente car Aetius d'Amida sur le Tigre, médecin grec de la fin du Ve siècle, auteur du Tetrabiblos, vaste compilation où il a mis à contribution tous les médecins antérieurs connus, parmi les remèdes qu'il enseigne pour ce mal et les maux qui affectent la gorge en général, mentionne particulièrement l'invocation à saint Blaise.


Saint Blaise guérissant l'enfant dans la gorge duquel s'était fichée
une arrête de poisson. Graduel à l'usage de l'abbaye
Notre-Dame de Fontevrault. XIIIe.

Une pauvre femme n'avait qu'un seul pourceau qu'un loup lui ravit ; et elle priait saint Blaise de lui faire rendre son pourceau. Il lui dit en souriant :
" Femme, ne te désole pas : ton pourceau te sera rendu."
Et aussitôt le loup vint et rendit la bête à cette veuve.

Or, saint Blaise ne fut pas plutôt entré dans la ville que, par ordre du prince ; il fut jeté en prison. Le jour suivant, le gouverneur le fit comparaître devant lui. En le voyant, il le salua en lui adressant ces paroles flatteuses :
" Blaise, l’ami des dieux, soyez le bienvenu."
Blaise lui répondit :
" Honneur et joie à vous, illustre gouverneur ; mais n'appelez pas dieux ceux qui sont des démons, parce qu'ils seront livrés au feu éternel avec ceux qui les honorent."

Le gouverneur irrité le fit meurtrir à coups de bâton, puis rejeter en prison.
Blaise lui dit :
" Insensé, tu espères donc par tes supplices enlever de mon coeur l’amour de mon Dieu qui me fortifie lui-même ?"


Scènes de la vie de saint Blaise.
Speculum historiale. V. de Beauvais. François. XVe.

Or, la veuve à laquelle il avait fait rendre son pourceau, entendit cela ; elle tua l’animal, et en porta la tête et les pieds, avec une chandelle et du pain, à saint Blaise. Il l’en remercia, mangea, et lui dit :
" Tous les ans, offre une chandelle à une église qui porte mon nom, et tu en retireras bonheur, toi, et ceux qui t'imiteront."
Ce qu'elle ne manqua pas de faire ; et il en résulta en sa faveur une grande prospérité. Après quoi, le gouverneur fit tirer Blaise de sa prison ; et comme il ne le pouvait amener à honorer les dieux, il ordonna de le suspendre à un, arbre et de déchirer sa chair avec des peignes de fer ; ensuite il le fit reporter en prison.

Or, sept femmes qui le suivirent dans le trajet ramassaient les gouttes de son sang. On se saisit d'elles aussitôt et on les força de sacrifier aux dieux. Elles dirent :
" Si tu veux que nous adorions tes dieux, fais-les porter avec révérence à l’étang afin qu'après avoir été lavés, ils soient plus propres quand nous les adorerons."
Le gouverneur devint joyeux et fit exécuter au plus vite ce qu'elles avaient demandé. Mais elles prirent les dieux et les jetèrent au milieu de l’étang, en disant :
" Si ce sont des dieux, nous le verrons."
A ces mots le gouverneur devint fou de colère et se frappant lui-même, il dit à ses gardes :
" Pourquoi n'avez-vous pas tenu nos dieux afin qu'ils ne fussent pas jetés au fond du lac ?"
Ils répondirent :
" Vous vous êtes laissé mystifier par les paroles trompeuses de ces femmes et elles les ont jetés dans l’étang.
- Le vrai Dieu n'autorise pas les tromperies, reprirent-elles ; mais s'ils étaient des dieux, ils auraient certainement prévu ce que nous leur voulions faire."


Une des saintes martyres et son enfant, martyr lui aussi.
Vitrail. Soissonnais. XIIIe.

Le gouverneur irrité fit préparer du plomb fondu, des peignes de fer de plus, il fit préparer d'un- côté sept cuirasses rougies au feu, et il fit placer d'un autre côté sept chemises de lin. Il leur dit de choisir ce qu'elles préféraient ; alors une d'entre elles, qui avait deux jeunes enfants, accourut avec audace, prit les chemises et les jeta dans le foyer, ces enfants dirent à leur mère :
" Ô mère chérie, ne nous laisses pas vivre après toi ; mais de même que tu nous as rassasiés de la douceur de ton lait, rassasie-nous encore de la douceur du royaume du ciel."

Alors le gouverneur commanda de les suspendre et de réduire leurs chairs en lanières avec des peignes de fer. Or, leur chair avait la blancheur éclatante de la neige et, au lieu de sang, il en coulait du lait. Comme elles enduraient les supplices avec répugnance, un ange du Seigneur vint vers elles et leur communiqua une force virile en disant :
" Ne craignez point : un bon ouvrier qui commence bien et qui mène son œuvre à bien, mérite la bénédiction de celui qui le fait travailler ; pour ce qu'il a fait, il reçoit le prix de son labeur, et il est joyeux de posséder son salaire."
Alors le gouverneur les fit détacher et jeter dans le foyer ; mais Dieu permit que le feu s'éteignit et qu'elles sortissent sans avoir éprouvé aucune douleur. Le gouverneur leur dit :
" Cessez donc d'employer la magie et adorez nos dieux."
Elles répondirent :
" Achève ce que tu as commencé, parce que déjà nous sommes appelées au royaume céleste."


Martyre de saint Blaise. Sculpture en calcaire.
Agentan. Normandie. XVe.
 
Alors il porta une sentence par laquelle elles devaient avoir la tête tranchée. Au moment où elles allaient être décapitées, elles se mirent à genoux et adorèrent Dieu en disant :
" Ô Dieu qui nous avez ôtées des ténèbres et qui nous, avez amenées à cette très douce lumière, qui nous avez choisies pour vous être sacrifiées, recevez nos âmes et faites-nous parvenir à la vie éternelle."
Elles eurent donc la tête tranchée et passèrent au Seigneur.

Après cela, le gouverneur se fit présenter saint Blaise et lui dit :
" Adore à l’instant nos dieux, ou ne les adore pas."
Blaise lui répondit :
" Impie, je ne crains pas tes menaces ; fais ce que tu veux ; je te livre mon corps tout entier."

Alors il le fit jeter dans l’étang. Mais saint Blaise fit le signe. de la croix sur l’eau qui s'endurcit immédiatement comme une terre sèche ; et il dit :
" Si vos dieux sont de vrais dieux, faites-nous voir leur puissance et entrez ici."
Et soixante-cinq qui s'avancèrent furent aussitôt engloutis dans l’étang.
Mais il descendit un ange du Seigneur qui dit au saint :
" Sors, Blaise, et reçois la couronne que Dieu t'a préparée."


Saint Blaise et saint Guérin. Imagerie populaire.
Imagerie Pellerin. XIXe.

Quand il fut sorti, le gouverneur lui dit :
" Tu es donc bien déterminé à ne pas adorer les dieux ?
- Apprends, misérable, répondit Blaise, que je suis le serviteur de Notre Seigneur Jésus-Christ et que je n'adore pas les démons."
Et à l’instant l’ordre fut donné de le décapiter.

Quant à Blaise, il pria le Seigneur que si quelqu'un réclamait son patronage pour le mal 'de gorge, ou pour toute autre infirmité, il méritât aussitôt d'être exaucé. Et voici qu'une voix du ciel se fit entendre à lui, qu'il serait fait comme il avait demandé.

Ainsi fut décapité ce saint avec deux petits enfants des saintes femmes qui les avaient précédés, le 3 février de l'an 316.


Martyre de saint Blaise. Heures à l'usage du Mans. XVe.

CULTE

On met dans la main de saint Blaise une carde ou peigne de fer, ou bien une bougie roulée ; un peigne de fer parce qu'il endura, entre autres supplices, celui des ongles de fer, ce qui l'a fait choisir pour patron par les cardeurs de laine et même par les tailleurs de pierre, à cause d'un outil, appelé ripe, dont se servent ces derniers et qui ressemble à une carde ; un cierge, pour la raison que nous avons vue précédemment.

Les tisserands et les ouvriers en bâtiments de Paris l'ont pris pour saint patron.

Dans certains pays, comme on le sait, on fait bénir deux cierges le jour de la Chandeleur (jour où l'on fête la purification de notre Dame). Ceux qui veulent être délivrés de leurs maux de gorge pour lesquels on invoque spécialement saint Blaise, s'approchent du prêtre qui tient à la main les deux cierges bénits, les approche du cou des malades et prie sur eux en invoquant notre Saint.

On représente aussi saint Blaise avec un enfant, qu'il délivra de la strangulation qu'il risquait à cause de l'arrête de poisson fichée dans sa gorge, avec un cochon, qu'il força le loup à rendre à la pauvre femme dont il était toute la richesse, et en ermite entouré de bêtes féroces qui lui tenaient compagnie dans la caverne qu'il occupait.


Saint Blaise. Imagerie populaire. Imagerie Pellerin. XIXe.

En Orient, sa fête est d'obligation et se célèbre le 11 février.

Saint Blaise fait partie du groupe des quatorze saints dits secourables ; on appelle ainsi ceux d'entre eux qui sont plus particulièrement célèbres pour l'efficacité de leur invocation. Ces quatorze saints sont distribués deux à deux : saint Georges et saint Eustache ; saint Vit et saint Christophe ; saint Gilles et saint Cyriaque ; saint Erasme et saint Blaise ; saint Pantaléon et saint Achace ; saint Denis et sainte Marguerite ; sainte Catherine et sainte Barbe.

En Allemagne, la fête de saint Blaise se nomme messe de Blaise ou messe du vent, car le mot blas, en langue allemande, signifie également Blaise et vent. Autrefois, les marins scandinaves évitaient de prononcer le nom de cette fête, et les paysans danois regardent les vents qui soufflent ce jour-là comme présages de tempêtes tout au long de l'année.


Saint Blaise. Autel portatif à tablette de porphyre vert.
Abbaye de Fulda. Allemagne. XIe.

Saint Blaise est le saint patron, entres autres, de Comiso en Sicile, de Civitta di Penne et de Naples dans le royaume de Naples, de Raguse, de Mulhausen en Thuringe.

On invoque donc saint Blaise contre les affections de la gorge (dévotion particulière qui était chère à saint François de Sales) ; à cause du miracle du pourceau, on lui recommande aussi particulièrement l'espèce porcine et on l'invoque contre les bêtes farouches. En Russie, on l'invoque pour tout le bétail.

RELIQUES

Le corps de saint Blaise et celui des deux petits enfants furent pris par une femme pieuse nommée Hélisée, qui les ensevelit au même lieu, d'où plusieurs de ces saintes reliques ont été, à l'époque des croisades, apportées en diverses églises de France ; comme le chef sacré de notre Saint en la ville de Montpellier. D'autres ossements furent rapportés à Mende, en Gévaudan, à Melun-sur-Seine au monastère de Saint-Pierre, à Paris, en léglise Saint-Jean-en-Grève. Quelques-uns encore au prieuré de Variville, de l'ordre de Fontevrault, au diocèse de Beauvais, et aussi au couvent des Minimes de Grenoble, qui porta ainsi le nom de Saint-Blaise.

Il y a aussi des reliques de saint Blaise à Metz, en l'église Saint-Eucaire. Il se faisait chaque année, le jour de la fête du Saint, une fête très populaire. A cinq heures du matin commençait l'office, et la grand'messe, qui se chantait à huit heures, on bénissait une grande quantité de pains, qui se vendaient à plus de dix lieues à la ronde, et qui se conservaient d'une année à l'autre. Ces pains étaient appelés les pains de saint Blaise.


Eglise Saint-Blaise. Montepulciano. Sienne. Toscane. XVe-XVIe.

PRIERE

" Nous unissons nos voix au concert de louanges que vous adressent toutes les Eglises qui sont sous le ciel, ô glorieux Martyr ! En retour de nos hommages, du sommet de la gloire où vous régnez, abaissez vos regards sur nous, et voyez les fidèles de la Chrétienté tout entière qui se préparent aux saintes expiations de la pénitence, et qui songent à revenir au Seigneur leur Dieu par les larmes et la componction. Souvenez-vous de vos propres combats, et assistez-nous dans le travail de renouvellement que nous allons entreprendre. Vous n'avez pas craint les tourments de la mort ; et quelque rude qu'ait été l'épreuve, vous l'avez subie avec courage.

Obtenez-nous la constance dans une carrière moins périlleuse. Nos ennemis ne sont rien auprès de ceux qu'il vous a fallu vaincre; mais ils sont perfides, et si nous les ménageons, ils peuvent nous abattre. Obtenez-nous le secours divin par lequel vous avez triomphé. Nous sommes les fils des Martyrs ; que leur sang ne dégénère pas en nous. Souvenez-vous aussi, saint Pontife, des heureuses contrées que vous arrosâtes de votre sang. La foi pour laquelle vous avez donné votre vie s'y était altérée ; des jours meilleurs semblent briller enfin. Par vos prières paternelles, rendez l'Arménie à l'Eglise catholique, et consolez, par le retour de leurs frères, les fidèles qui ont su s'y conserver orthodoxes, parmi tant de périls."


Saint Blaise et saint Guérin. Imagerie populaire. Epinal. XIXe.

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vendredi, 02 février 2024

2 février. La Purification de la très sainte Vierge Marie.

- La Purification de la très sainte Vierge Marie.

" Délivrez les captifs,
Eclairez les aveugles,
Chassez loin tous nos maux,
Demandez tous les biens."
Hymne.


La présentation de Notre Seigneur Jésus-Christ au Temple.
Andrea Mantegna. XVe.

Enfin les quarante jours de la Purification de Marie sont écoulés, et le moment est venu où elle doit monter au Temple du Seigneur pour y présenter Jésus. Avant de suivre le Fils et la Mère dans ce voyage mystérieux à Jérusalem, arrêtons-nous encore un instant à Bethléhem, et pénétrons avec amour et docilité les mystères qui vont s'accomplir.

La Loi du Seigneur ordonnait aux femmes d'Israël, après leur enfantement, de demeurer quarante jours sans approcher du tabernacle ; après l'expiration de ce terme, elles devaient, pour être purifiées, offrir un sacrifice. Ce sacrifice consistait en un agneau, pour être consumé en holocauste; on devait y joindre une tourterelle ou une colombe, destinées à être offertes selon le rite du sacrifice pour le péché. Que si la mère était trop pauvre pour fournir l'agneau, le Seigneur avait permis de le remplacer par une autre tourterelle, ou une autre colombe.

Un second commandement divin déclarait tous les premiers-nés propriété du Seigneur, et prescrivait la manière de les racheter. Le prix de ce rachat était de cinq sicles, qui, au poids du sanctuaire, représentaient chacun vingt oboles. Marie, fille d'Israël, avait enfanté ; Jésus était son premier-né. Le respect dû à un tel enfantement, à un tel premier-né, permettait-il l'accomplissement de la loi ?


Antiphonaire. Clermont-Ferrand. XVe.

Si Marie considérait les raisons qui avaient porté le Seigneur à obliger les mères à la purification, elle voyait clairement que cette loi n'avait point été faite pour elle. Quel rapport pouvait avoir avec les épouses des hommes, celle qui était le très pur sanctuaire de l'Esprit-Saint, Vierge dans la conception de son Fils, Vierge dans son ineffable enfantement ; toujours chaste, mais plus chaste encore après avoir porté dans son sein et mis au monde le Dieu de toute sainteté ? Si elle considérait la qualité sublime de son Fils, cette majesté du Créateur et du souverain Seigneur de toutes choses, qui avait daigné prendre naissance en elle, comment aurait-elle pu penser qu'un tel Fils était soumis à l'humiliation du rachat, comme un esclave qui ne s'appartient pas à lui-même ?

Cependant, l'Esprit qui résidait en Marie lui révèle qu'elle doit accomplir cette double loi. Malgré son auguste qualité de Mère de Dieu, il faut qu'elle se mêle à la foule des mères des hommes, qui se rendent de toutes parts au Temple, pour y recouvrer, par un sacrifice, la pureté qu'elles ont perdue. En outre, ce Fils de Dieu et Fils de l'Homme doit être considéré en toutes choses comme un serviteur ; il faut qu'il soit racheté en cette humble qualité comme le dernier des enfants d'Israël. Marie adore profondément cette volonté suprême, et s'y soumet de toute la plénitude de son cœur.

Les conseils du Très-Haut avaient arrêté que le Fils de Dieu ne serait déclaré à son peuple que par degrés. Après trente années de vie cachée à Nazareth, où, comme le dit l'Evangéliste, il était réputé le fils de Joseph, un grand Prophète devait l'annoncer mystérieusement aux Juifs accourus au Jourdain, pour y recevoir le baptême de la pénitence. Bientôt ses propres œuvres, ses éclatants miracles, rendraient témoignage de lui. Après les ignominies de sa Passion, il ressusciterait glorieux, confirmant ainsi la vérité de ses prophéties, l'efficacité de son Sacrifice, enfin sa divinité.


Bréviaire à l'usage de Besançon. XVe.

Jusque-là presque tous les hommes ignoreraient que la terre possédait son Sauveur et son Dieu. Les bergers de Bethléhem n'avaient point reçu l'ordre, comme plus tard les pêcheurs de Génésareth, d'aller porter la Parole jusqu'aux extrémités du monde ; les Mages, qui avaient paru tout à coup au milieu de Jérusalem, étaient retournés dans l'Orient, sans revoir cette ville qui s'était émue un instant de leur arrivée. Ces prodiges, d'une si sublime portée aux yeux de l'Eglise, depuis l'accomplissement de la mission de son divin Roi, n'avaient trouvé d'écho et de mémoire fidèle que dans le cœur de quelques vrais Israélites qui attendaient le salut d'un Messie humble et pauvre ; la naissance même de Jésus à Bethléhem devait demeurer ignorée du plus grand nombre des Juifs ; car les Prophètes avaient prédit qu'il serait appelé Nazaréen.

Le même plan divin qui avait exigé que Marie fût l'épouse de Joseph, pour protéger, aux yeux du peuple, sa virginité féconde, demandait donc que cette très chaste Mère vînt comme les autres femmes d'Israël offrir le sacrifice de purification, pour la naissance du Fils qu'elle avait conçu par l'opération de l'Esprit-Saint, mais qui devait être présenté au temple comme le fils de Marie, épouse de Joseph. Ainsi, la souveraine Sagesse aime à montrer que ses pensées ne sont point nos pensées, à déconcerter nos faibles conceptions, en attendant le jour où elle déchire les voiles et se montre à découvert à nos yeux éblouis.

La volonté divine fut chère à Marie, en cette circonstance comme en toutes les autres. La Vierge ne pensa point agir contre l'honneur de son fils, ni contre le mérite glorieux de sa propre intégrité, en venant chercher une purification extérieure dont elle n'avait nul besoin. Elle fut, au Temple, la servante du Seigneur, comme elle l'avait été dans la maison de Nazareth, lors de la visite de l'Ange. Elle obéit à la loi, parce que les apparences la déclaraient sujette à la loi. Son Dieu et son Fils se soumettait au rachat comme le dernier des hommes ; il avait obéi à l'édit d'Auguste pour le dénombrement universel ; il devait " être obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix " : la Mère et l'Enfant s'humilièrent ensemble ; et l'orgueil de l'homme reçut en ce jour une des plus grandes leçons qui lui aient jamais été données.


Sandro di Benozzo di Lese. XVe.

Quel admirable voyage que celui de Marie et de Joseph allant de Bethléhem à Jérusalem ! L'Enfant divin est dans les bras de sa mère ; elle le tient sur son cœur durant tout le cours de cette route fortunée. Le ciel, la terre, la nature tout entière, sont sanctifiés par la douce présence de leur miséricordieux créateur. Les hommes au milieu desquels passe cette mère chargée de son tendre fruit la considèrent, les uns avec indifférence, les autres avec intérêt ; mais nul d'entre eux ne pénètre encore le mystère qui doit les sauver tous.

Joseph est porteur de l'humble offrande que la mère doit présenter au prêtre. Leur pauvreté ne leur permet pas d'acheter un agneau ; et d'ailleurs n'est-il pas l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, ce céleste Enfant que Marie tient dans ses bras ? La loi a désigné la tourterelle ou la colombe pour suppléer l'offrande qu'une mère indigente ne pourrait présenter : innocents oiseaux, dont le premier figure la chasteté et la fidélité, et dont le second est le symbole de la simplicité et de l'innocence. Joseph porte aussi les cinq sicles, prix du rachat du premier-né ; car il est vraiment le Premier-né, cet unique fils de Marie, qui a daigné faire de nous ses frères, et nous rendre participants de la nature divine, en adoptant la nôtre.

Enfin, cette sainte et sublime famille est entrée dans Jérusalem. Le nom de cette ville sacrée signifie vision de paix ; et le Sauveur vient par sa présence lui offrir la paix. Admirons une magnifique progression dans les noms des trois villes auxquelles se rattache la vie mortelle du Rédempteur. Il est conçu à Nazareth, qui signifie la fleur ; car il est, comme il le dit au Cantique, " la fleur des champs et le lis des vallons ; et sa divine odeur nous réjouit ". Il naît à Bethléhem, la maison du pain, afin d'être la nourriture de nos âmes. Il est offert en sacrifice sur la croix à Jérusalem, et par son sang, il rétablit la paix entre le ciel et la terre, la paix entre les hommes, la paix dans nos âmes. Dans cette journée, comme nous le verrons bientôt, il va donner les arrhes de cette paix.


Graduel à l'usage de l'abbaye Notre-Dame de Fontevrault. XIIIe.

Pendant que Marie portant son divin fardeau monte, Arche vivante, les degrés du Temple, soyons attentifs ; car une des plus fameuses prophéties s'accomplit, un des principaux caractères du Messie se déclare. Conçu d'une Vierge, né en Bethléhem, ainsi qu'il était prédit, Jésus, en franchissant le seuil du Temple, acquiert un nouveau titre à nos adorations.

Cet édifice n'est plus le célèbre Temple de Salomon, qui devint la proie des flammes aux jours de la captivité de Juda. C'est le second Temple bâti au retour de Babylone, et dont la splendeur n'a point atteint la magnificence de l'ancien. Avant la fin du siècle, il doit être renversé pour la seconde fois ; et la parole du Seigneur sera engagée à ce qu'il n'y demeure pas pierre sur pierre. Or, le Prophète Aggée, pour consoler les Juifs revenus de l'exil, qui se lamentaient sur leur impuissance à élever au Seigneur une maison comparable à celle qu'avait édifiée Salomon, leur a dit ces paroles, et elles doivent servir à fixer l'époque de la venue du Messie :
" Prends courage, Zorobabel, dit le Seigneur ; prends courage, Jésus, fils de Josedec, souverain Prêtre ; prends courage, peuple de cette contrée ; car voici ce que dit le Seigneur : " Encore un peu de temps et j'ébranlerai le ciel et la terre, et j’ébranlerai toutes les nations ; et le Désiré de toutes les nations viendra ; et je remplirai de gloire cette maison. La gloire de cette seconde maison sera plus grande que ne le fut celle de la première ; et dans ce lieu je donnerai la paix, dit le Seigneur des armées "."

L'heure est arrivée de l'accomplissement de cet oracle. L'Emmanuel est sorti de son repos de Bethléhem, il s'est produit au grand jour, il est venu prendre possession de sa maison terrestre ; et par sa seule présence dans l'enceinte du second Temple, il en élève tout d'un coup la gloire au-dessus de la gloire dont avait paru environné celui de Salomon. Il doit le visiter plusieurs fois encore ; mais cette entrée qu'il y fait aujourd'hui, porté sur les bras de sa mère, suffit à accomplir la prophétie ; dès maintenant, les ombres et les figures que renfermait ce Temple commencent à s'évanouir aux rayons du Soleil de la vérité et de la justice. Le sang des victimes teindra encore, quelques années, les cornes de l'autel ; mais au milieu de toutes ces victimes égorgées, hosties impuissantes, s'avance déjà l'Enfant qui porte dans ses veines le sang de la Rédemption du monde. Parmi ce concours de sacrificateurs, au sein de cette foule d'enfants d'Israël qui se presse dans les diverses enceintes du Temple, plusieurs attendent le Libérateur, et savent que l'heure de sa manifestation approche; mais aucun d'eux ne sait encore qu'en ce moment même le Messie attendu vient d'entrer dans la maison de Dieu.


Heures à l'usage d'Angers. XVe.

Cependant un si grand événement ne devait pas s'accomplir sans que l'Eternel opérât une nouvelle merveille. Les bergers avaient été appelés par l'Ange, l'étoile avait attiré les Mages d'Orient en Bethléhem ; l'Esprit-Saint suscite lui-même à l'Enfant divin un témoignage nouveau et inattendu.

Un vieillard vivait à Jérusalem, et sa vie touchait au dernier terme ; mais cet homme de désirs, nommé Siméon, n'avait point laissé languir dans son cœur l'attente du Messie. Il sentait que les temps étaient accomplis ; et pour prix de son espérance, l'Esprit-Saint lui avait fait connaître que ses yeux ne se fermeraient pas avant qu'ils eussent vu la Lumière divine se lever sur le monde. Au moment où Marie et Joseph montaient les degrés du Temple, portant vers l'autel l'Enfant de la promesse, Siméon se sent poussé intérieurement par la force irrésistible de l'Esprit divin ; il sort de sa maison, il dirige vers la demeure sacrée ses pas chancelants, mais soutenus par l'ardeur de ses désirs. Sur le seuil de la maison de Dieu, parmi les mères qui s'y pressent chargées de leurs enfants, ses yeux inspirés ont bientôt reconnu la Vierge féconde prophétisée par Isaïe ; et son cœur vole vers l'Enfant qu'elle tient dans ses bras.

Marie, instruite par le même Esprit, laisse approcher le vieillard ; elle dépose dans ses bras tremblants le cher objet de son amour, l'espoir du salut de la terre. Heureux Siméon, figure de l'ancien monde vieilli dans l'attente et près de succomber ! A peine a-t-il reçu le doux fruit de la vie, que sa jeunesse se renouvelle comme celle de l'aigle ; en lui s'accomplit la transformation qui doit se réaliser dans la race humaine. Sa bouche s'ouvre, sa voix retentit, il rend témoignage comme les bergers dans la région de Bethléhem, comme les Mages au sein de l'Orient.
" Ô Dieu ! dit-il, mes yeux ont donc vu le Sauveur que vous prépariez ! Elle luit enfin, cette Lumière qui doit éclairer les Gentils, et faire la gloire de votre peuple d'Israël."

Tout à coup survient, attirée aussi par le mouvement du divin Esprit, la pieuse Anne, fille de Phanuel, illustre par sa piété et vénérable à tout le peuple par son grand âge. Les deux vieillards, représentants de la société antique, unissent leurs voix, et célèbrent l'avènement fortuné de l'Enfant qui vient renouveler la face de la terre, et la miséricorde de Jéhovah qui, selon la prophétie d'Aggée, dans ce lieu, au sein même du second Temple, donne enfin la paix au monde.


Giovanni di Paolo di Grazia. XVe.

C'est dans cette paix tant désirée que va s'endormir Siméon. " Vous laisserez donc partir dans la paix votre serviteur, selon votre parole, Seigneur !" dit le vieillard ; et bientôt son âme, dégagée des liens du corps, va porter aux élus qui reposent dans le sein d'Abraham la nouvelle de la paix qui apparaît sur la terre, et leur ouvrira bientôt les cieux. Anne survivra quelques jours encore à cette grande scène ; elle doit, comme nous l'apprend l'Evangéliste, annoncer l'accomplissement des promesses aux Juifs spirituels qui attendaient la Rédemption d'Israël. Une semence devait être confiée à la terre ; les bergers, les Mages, Siméon, Anne, l'ont jetée ; elle lèvera en son temps : et quand les années d'obscurité que le Messie doit passer dans Nazareth seront écoulées, quand il viendra pour la moisson, il dira à ses disciples : " Voyez comme le froment blanchit à maturité sur les guérets : priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour la récolte ".

Le fortuné vieillard rend donc aux bras de la très pure Mère le Fils qu'elle va offrir au Seigneur. Les oiseaux mystérieux sont présentés au prêtre qui les sacrifie sur l'autel, le prix du rachat est versé, l'obéissance parfaite est accomplie ; et après avoir rendu ses hommages au Seigneur dans cet asile sacré à l'ombre duquel s'écoulèrent ses premières années, Marie toujours Vierge, pressant sur son cœur le divin Emmanuel, et accompagnée de son fidèle époux, descend les degrés du Temple.

Tel est le mystère du quarantième jour, qui ferme la série des jours du Temps de Noël, par cette admirable fête de la Purification de la très sainte Vierge. De savants hommes, au nombre desquels on compte le docte Henschenius, dont Benoît XIV partage le sentiment, inclinent à donner une origine apostolique à cette solennité ; il est certain du moins qu'elle était déjà ancienne au cinquième siècle.

L'Eglise Grecque et l'Eglise de Milan mettent cette fête au nombre des solennités de Notre-Seigneur ; mais l'Eglise Romaine Fa toujours comptée entre les fêtes de la sainte Vierge. Sans doute, l'Enfant Jésus est offert aujourd'hui dans le Temple et racheté ; mais c'est à l'occasion de la Purification de Marie, dont cette offrande et ce rachat sont comme la conséquence. Les plus anciens Martyrologes et Calendriers de l'Occident donnent cette fête sous le titre qu'elle conserve aujourd'hui ; et la gloire du Fils, loin d'être obscurcie par les honneurs que l'Eglise rend à la Mère, en reçoit un nouvel accroissement, puisque lui seul est le principe de toutes les grandeurs que nous révérons en elle.


Heures à l'usage d'Avignon. XVe.

HYMNE

" Salut, astre des mers,
Mère de Dieu féconde,
Salut, Ô toujours Vierge,
Porte heureuse du ciel !

Vous qui de Gabriel
Avez reçu l’Ave,
Fondez-nous dans la paix,
Changeant le nom d'Eva.

Délivrez les captifs,
Eclairez les aveugles,
Chassez loin tous nos maux,
Demandez tous les biens.

Montrez en vous la Mère,
Vous-même offrez nos vœux
Au Dieu qui, né pour nous,
Voulut naître de vous.

Ô Vierge incomparable,
Vierge douce entre toutes !
Affranchis du péché,
Rendez-nous doux et chastes.

Donnez vie innocente,
Et sûr pèlerinage,
Pour qu'un jour soit Jésus
Notre liesse à tous.

Louange à Dieu le Père,
Gloire au Christ souverain ;
Louange au Saint-Esprit ;
Aux trois un seul hommage.

Amen."

V/. Il avait été révélé à Siméon parle Saint-Esprit,
R/. Qu'il ne mourrait point sans avoir vu le Christ du Seigneur.

LA BÉNÉDICTION DES CIERGES

Après l'Office de Tierce, l'Eglise pratique, en ce jour, la bénédiction solennelle des Cierges, que l'on compte pour une des trois principales qui ont lieu dans le cours de l'année : les deux autres sont celle des Cendres et celle des Rameaux. L'intention de cette cérémonie se rapporte au jour même de la Purification de la sainte Vierge ; en sorte que si l'un des Dimanches de Septuagésime, de Sexagésime, ou de Quinquagésime, tombe le deux février, la fête est remise au lendemain ; mais la bénédiction des Cierges, et la Procession qui en est le complément, demeurent fixes au deux février.


Guido Reni. XVIIe.

Afin de réunir sous un même rite les trois grandes Bénédictions dont nous parlons, l'Eglise a ordonné, pour celle des Cierges, l'usage de la même couleur violette qu'elle emploie dans la bénédiction des Cendres et dans celle des Rameaux ; en sorte que cette solennelle fonction, qui sert à marquer d'une manière inviolable le jour auquel s'est accomplie la Purification de Marie, doit s'exécuter tous les ans, le deux février, sans qu'il soit dérogé à la couleur prescrite pour les trois Dimanches dont nous venons de parler.

L'origine de cette cérémonie est assez difficile à assigner d'une manière précise. Selon Baronius, Thomassin, Baillet, etc., elle aurait été instituée, vers la fin du Ve siècle, par le Pape saint Gélase, pour donner un sens chrétien aux restes de l'antique fête des Lupercales, dont le peuple de Rome avait encore retenu quelques usages superstitieux. Il est du moins certain que saint Gélase abolit, à cette époque, les derniers vestiges de la fête des Lupercales qui, comme l'on sait, était célébrée au mois de février, dans les siècles du paganisme.

Innocent III, dans un de ses Sermons sur la fête de la Purification, enseigne que l'attribution de la cérémonie des Cierges au deux février est due à la sagesse des Pontifes romains, lesquels auraient appliqué au culte de la sainte Vierge les restes d'un usage religieux des anciens Romains, qui allumaient des flambeaux en mémoire des torches à la lueur desquelles Cérès avait, selon la fable, parcouru les sommets de l'Etna, cherchant sa fille Proserpine enlevée par Pluton ; mais on ne trouve pas de fête en l'honneur de Cérès, au mois de février, sur le Calendrier des anciens Romains.

Il nous semble donc plus exact d'adopter le sentiment de D. Hugues Ménard, Rocca, Henschenius et Benoît XIV, qui tiennent que la fête antique connue en février sous le nom d'Amburbalia, et dans laquelle les païens parcouraient la ville en portant des flambeaux, a donné occasion aux Souverains Pontifes de lui substituer un rite chrétien qu'ils ont uni à la célébration de la fête dans laquelle le Christ, Lumière du monde, est présenté au Temple par la Vierge-mère.


Heures à l'usage de Langres. XVe.

Le mystère de cette cérémonie a été fréquemment expliqué par les liturgistes depuis le VIIe siècle. Selon saint Ives de Chartres, dans son deuxième Sermon sur la fête d'aujourd'hui, la cire des cierges, formée du suc des fleurs par les abeilles, que l'antiquité a toujours considérées comme un type de la virginité, signifie la chair virginale du divin Enfant, lequel n'a point altéré, dans sa conception ni dans sa naissance, l'intégrité de Marie. Dans la flamme du cierge, le saint Evêque nous apprend à voir le symbole du Christ qui est venu illuminer nos ténèbres. Saint Anselme, dans ses Enarrations sur saint Luc, développant le même mystère, nous dit qu'il y a " trois choses à considérer dans le Cierge : la cire, la mèche et la flamme. La cire, dit-il, ouvrage de l'abeille virginale, est la chair du Christ ; la mèche, qui est intérieure, est l'âme ; la flamme, qui brille en la partie supérieure, est la divinité ".

Autrefois, les fidèles s'empressaient d'apporter eux-mêmes des cierges à l'Eglise, le jour de la Purification, afin qu'ils fussent bénis avec ceux que les prêtres et les ministres portent à la Procession ; cet usage est encore observé en beaucoup de lieux. Il est à désirer que les Pasteurs des âmes recommandent fortement cette coutume, et qu'ils la rétablissent ou la soutiennent partout où il est besoin. Tant d'efforts que l'on a faits pour ruiner, ou du moins pour appauvrir le culte extérieur, ont amené insensiblement le plus triste affaiblissement du sentiment religieux, dont l'Eglise possède seule la source dans la Liturgie.

Il est nécessaire aussi que les fidèles sachent que les cierges bénis au jour de la Chandeleur, car tel est le nom populaire de la fête de la Purification, emprunté à la cérémonie même dont nous parlons ; que ces cierges, disons-nous, sont bénis, non seulement pour servir à la Procession, mais encore pour l'usage des chrétiens qui, en les gardant avec respect dans leurs maisons, en les portant avec eux, tant sur la terre que sur les eaux, comme dit l'Eglise, attirent des bénédictions particulières du ciel. On doit allumer aussi ces cierges de la Chandeleur auprès du lit des mourants, comme un souvenir de l'immortalité que le Christ nous a méritée, et comme un signe de la protection de Marie.


Peinture flamande anonyme du XVIe.

CANTIQUE DE SIMÉON

" C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur, selon votre parole.

Ant. Il sera la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël.

Parce que mes yeux ont vu votre Salut.

Ant. Il sera la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël.

Que vous avez destiné à être exposé aux regards de tous les peuples.

Ant. Il sera la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël.

Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit.

Ant. Il sera la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël.

Comme il était au commencement, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

Ant. Il sera la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël."

A LA MESSE

Aujourd'hui, le Seigneur est grand dans la Cité de David, sur la montagne de Sion. Siméon, figure du genre humain, reçoit dans ses bras Celui qui est la miséricorde que Dieu nous envoie.

ÉPÎTRE

Lecture du Prophète Malachie. Chap. III. :


Heures à l'usage de Rome. XVe.

" Le Seigneur Dieu dit : " Voici que j'envoie mon Ange ; et il préparera la voie devant ma face : et aussitôt viendra à son Temple le Dominateur que vous cherchez, et l'Ange de l'Alliance que vous désirez. Voici qu'il vient, dit le Seigneur des armées : et qui pourra seulement penser au jour de son avènement ; ou qui pourra en soutenir la vue ? Car il sera comme le feu qui purifie les métaux, et comme l'herbe dont les foulons se servent. Il s'asseyera comme un homme qui fait fondre et qui épure l'argent, et il purifiera les enfants de Lévi, et il les rendra purs comme l'or et l'argent qui ont passé par le feu, et ils offriront des sacrifices au Seigneur dans la justice. Et le sacrifice de Juda et de Jérusalem sera agréable au Seigneur, comme l'ont été ceux des siècles passés et des années anciennes. Ainsi parle le Seigneur tout-puissant "."

Tous les Mystères de l'Homme-Dieu ont pour objet la purification de nos cœurs. Il envoie son Ange, son Précurseur, devant sa face, pour préparer la voie ; et Jean nous criait du fond du désert :
" Abaissez les collines, comblez les vallées. Il vient enfin lui-même, l'Ange, l'Envoyé par excellence, sceller l'alliance avec nous ; il vient à son Temple ; et ce temple est notre cœur. Mais il est semblable à un feu ardent qui fond et épure les métaux."

Il veut nous renouveler, en nous rendant purs, afin que nous devenions dignes de lui être offerts, et d'être offerts avec lui, dans un Sacrifice parfait. Nous ne devons donc pas nous contenter d'admirer de si hautes merveilles, mais comprendre qu'elles ne nous sont montrées que pour opérer en nous la destruction de l'homme ancien, et la création de l'homme nouveau. Nous avons dû naître avec Jésus-Christ ; cette nouvelle naissance est déjà à son quarantième jour. Aujourd'hui il nous faut être présentés avec lui par Marie, qui est aussi notre Mère, à la Majesté divine. L'instant du Sacrifice approche ; préparons une dernière fois nos âmes.


EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Luc. Chap. II :


La présentation de Notre Seigneur Jésus-Christ au Temple.
Giovanni Bellini (d'après Mantegna). XVIe.

" En ce temps-là, quand les jours de la Purification de Marie, selon la Loi de Moïse, furent accomplis, ils portèrent Jésus à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, comme il est écrit dans la Loi du Seigneur : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur ; et pour offrir en sacrifice, comme l'ordonne la Loi du Seigneur, deux tourterelles, ou deux petits de colombes. Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon ; et cet homme juste et craignant Dieu attendait la consolation d'Israël ; et le Saint-Esprit était en lui. Et il lui avait été révélé par le Saint-Esprit qu'il ne verrait point la mort sans voir auparavant le Christ du Seigneur. Et par un mouvement de l'Esprit, il vint au Temple. Et comme les parents de Jésus l'y apportaient, afin d'accomplir pour l’Enfant ce qui était en usage selon la Loi, Siméon le prit dans ses bras, et il bénit Dieu, et il dit :
" C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur, selon votre parole ; parce que mes yeux ont vu le Sauveur que vous avez destiné à être exposé aux regards de tous les peuples, pour être la Lumière qui éclairera les nations, et la gloire de votre peuple d'Israël."

L'esprit divin nous a conduits au Temple comme Siméon ; et nous y contemplons en ce moment la Vierge-mère, présentant à l'autel le Fils de Dieu et le sien. Nous admirons cette fidélité à la Loi dans le Fils et dans la Mère, et nous sentons au fond de nos coeurs le désir d'être présentés à notre tour au grand Dieu qui acceptera notre hommage, comme il a reçu celui de son Fils.

Hâtons-nous donc de mettre nos sentiments en rapport avec ceux du Cœur de Jésus, avec ceux qui s'élèvent du Cœur de Marie. Le salut du monde a fait un pas dans cette grande journée ; que l'œuvre de notre sanctification avance donc aussi. Désormais, le mystère du Dieu Enfant ne nous sera plus offert par l'Eglise comme l'objet spécial de notre religion ; la douce quarantaine de Noël touche à son terme ; il nous faut suivre maintenant l'Emmanuel dans ses luttes contre nos ennemis. Attachons-nous à ses pas; courons à sa suite comme Siméon, et marchons sans relâche sur les traces de Celui qui est notre Lumière ; aimons cette Lumière, et obtenons par notre fidélité empressée qu'elle luise toujours sur nous.


HYMNE

L'antiquité liturgique a produit peu d'Hymnes sur la Purification de la Sainte Vierge. Nous donnerons la suivante, qui ne manque pas de grandeur, et qui est de saint Paulin, Patriarche d'Aquilée :


Psautier cistercien. XIIIe.

" Le quarantième jour de la jeune Mère étant arrivé, selon la Loi du Seigneur, Marie,cette Vierge, présenta au Temple, sur ses bras sacrés, le saint Enfant Jésus, Fils unique de la majesté du Père.

L'heureuse Mère portait sur ses chastes épaules un Dieu couvert du voile de la chair ; ses lèvres avaient imprimé de doux baisers sur le visage de ce Dieu, homme véritable, par l'ordre duquel tout fut créé.

Les parents portèrent deux blanches et tendres colombes, au plumage pur comme le lait ; ils offrirent pour lui au Temple deux tourterelles ; elles furent consumées dans un sacrifice, comme le prescrivait la Loi.

Un Prêtre de Dieu, homme humble et doux, était dans la ville, un vieillard vénérable, l'heureux Siméon; rempli de l'Esprit-Saint aux influences célestes, il arrive dans la sainte Maison, poussé par un mouvement divin.

Car dès longtemps l'Esprit-Saint lui avait répondu que la puissance de la mort ne viendrait pas le séparer de son corps qu'il n'eût vu, de son vivant, le Christ du Seigneur, envoyé par le Père du haut des cieux.

Il prit donc l'Enfant dans ses bras, il rendit grâces au Père céleste ; pressant sur sa poitrine ce nouveau-né, il bénit le Seigneur ; dans le transport de son amour, au milieu des douceurs dont son cœur était inondé, il s'exprima ainsi à haute voix :

" Laissez maintenant, Seigneur, aller en paix votre serviteur ; car j'ai pu voir de mes yeux le Sauveur que vous envoyez, Celui que votre suprême bonté a préparé à la face de tous les peuples.

Il est la Lumière qui brille aux yeux des nations, la gloire du peuple d'Israël ; il est placé pour être la pierre sur laquelle plusieurs se heurteront à leur ruine ; pour être le salut de ceux qui sont la fidèle race de Jacob, au jour où les secrets des cœurs se révéleront.

Mais un glaive, Ô sainte Mère , transpercera ton âme." Et Marie conservait dans son cœur de si hauts mystères, et, fidèle à croire les oracles célestes, elle repassait constamment ces paroles en elle-même.

Gloire au Père de Jésus, dans sa majesté souveraine ; gloire à toi, Fils unique du Père, Dieu, puissance, vertu, plus haut que les cieux ; au saint Paraclet louange infinie, honneur et empire à jamais !

Amen."

SÉQUENCE

Les Séquences pour la Purification sont aussi rares que les Hymnes dans les anciens livres liturgiques. Celle qui suit est de la composition de Notker, et elle est tirée de l'ancien Séquential de l'Abbaye de Saint-Gall :


Heures à l'usage de Rouen. XVIe.

" Ce peuple n'a qu'une voix pour te célébrer, Ô Marie ! Tous ces cœurs pieux te vénèrent.

De l'illustre Abraham tu es la fille auguste, issue de la race royale de David.

Très sainte dans ton corps, très chaste dans ta vie, la plus belle de toutes, Vierge des vierges.

Mère et Vierge glorieuse, réjouis-toi : docile à l'oracle de l'Archange Gabriel, toujours intacte tu as enfanté un Fils ;

Un Fils dont le sang très sacré purifie la race perdue tout entière, comme Dieu l'a promis à Abraham.

C'est toi, Ô Marie, que figure la Verge d'Aaron desséchée, puis tout à coup ornée d'une belle fleur ; il est la fleur, ce Fils que tu as enfanté contre les lois de la nature.

Tu es la Porte toujours fermée que célèbre la voix d'Ezéchiel : tu n'es accessible qu'à Dieu seul, Ô Marie !

Mais, aujourd'hui, voulant nous donner un exemple digne de la mère des vertus, tu t'es présentée pour l'expiation imposée aux mères que leur enfantement avait souillées.

Tu portas au Temple pour être purifié avec toi, le Dieu-Homme dont la naissance a ajouté à ta pureté, Ô Mère immaculée !

Réjouis-toi, Ô sainte Marie ! Toi que Celui qui sonde les reins et les cœurs a trouvée la seule demeure digne de lui.

Tressaille, Ô Marie ! Car il te sourit enfant, Celui qui seul donne à tous les êtres de se réjouir et d'exister.

Donc, nous qui célébrons la fête du Christ, Enfant pour nous, et de Marie sa tendre Mère,

Si notre faiblesse ne nous permet pas d'atteindre à une si profonde humilité d'un Dieu, que du moins sa Mère soit notre modèle.

Louange au Père de gloire, qui, révélant son Fils aux Gentils et à son peuple, daigne nous associer à Israël.

Louange à son Fils, qui, nous réconciliant au Père par son sang, nous associe aux habitants des cieux.

Louange aussi à l'Esprit-Saint à jamais.

Amen."

SEQUENCE

L'admirable Prose que nous donnons ci-après est d'Adam de Saint-Victor. Elle était demeurée inédite jusqu'à la publication qu'en a faite M. Léon Gautier, dans sa précieuse édition des œuvres poétiques de notre grand lyrique. Cette Séquence est cependant une des plus belles de son auteur, et l'un des plus gracieux hommages que le moyen âge ait offerts à la Vierge-Mère :


Heures à l'usage de Troyes. XVe.

" Ornons le temple intérieur ; dans un cœur nouveau, renouvelons la joie nouvelle du saint vieillard, qui, prenant sur ses bras l'Enfant divin, satisfait enfin les désirs qui le firent soupirer tant d'années.

Il est l'étendard qui ralliera les peuples, cet Enfant dont la présence illumine le Temple, inspire de si beaux cantiques, émeut les cœurs d'un si noble transport ; aujourd'hui c'est un enfant que l'on présente ; plus tard, sur la croix, ce sera un homme offert comme hostie du péché.

Là le Sauveur, ici Marie : saint Enfant, sainte Mère, quels objets d'allégresse mais portons en nous avec amour l'œuvre de lumière que représentent nos cierges allumés.

Le Verbe du Père est la lumière, la chair formée par la Vierge est la cire ; le cierge étincelant est le Christ lui-même ; c'est lui qui éclaire nos cœurs de la vraie sagesse ; par sa grâce, celui qui était le jouet de l'erreur et du vice s'élance dans le chemin de la vertu.

Celui qui par l'amour tient le Christ dans ses bras, porte vraiment le flambeau de cire allumé, et remplit pleinement le rite de la fête ; de même que le vieillard dont le cœur portait déjà le Verbe du Père, serra dans ses bras ce même Verbe fait chair que lui confiait l'auguste Mère.

Mère d'un tel Fils, réjouis-toi ; pure au dedans, chaste au dehors, sans tache ni ride ; femme que son Bien-Aimé a choisie d'avance, que l'amour d'un Dieu a chérie avant les siècles.

A qui contemple ta beauté, toute autre beauté n'est que ténèbres et difformité qui repousse ; à qui goûte ta saveur délicieuse, toute autre saveur n'est qu'amertume et objet de dégoût.

A qui respire tes parfums, toute autre senteur est nulle ou désagréable ; en celui qui cultive ton amour, tout autre amour s'efface, ou n'obtient plus que le second rang.

De la mer brillante Etoile, honneur éternel de toutes les mères, Ô Mère véritable de la Vérité, de la Voie, de la Vie, de l'Amour, remède de ce monde languissant, canal de ce vin délicieux qui est la source de vie dont tous doivent éprouver la soif ; dont le breuvage est doux à celui qui est sain comme à celui qui est malade : rends la force et la santé à celui qui défaille.

Fontaine scellée, verse tes ruisseaux de sainteté ; fontaine des jardins spirituels, arrose de tes eaux nos âmes desséchées. Fontaine abondante, inonde-nous, lave nos cœurs coupables. Fontaine limpide, source toujours pure, daigne purifier des souillures du monde, par ta pureté, le cœur de ton peuple.

Amen."

jeudi, 01 février 2024

Ier février. Saint Ignace, patriarche d'Antioche, Père de l'Eglise, martyr. 107 ou 116.

- Saint Ignace, patriarche d'Antioche, Père de l'Eglise, martyr. 107 ou 116.
 
Papes : Saint Alexandre Ier ; saint Sixte Ier. Empereur romain : Trajan.

" Ce glorieux martyr ouvre dignement la marche des saints et des saintes qui passeront devant nous dans le cours du mois de février, comme un pontife auguste à la tête de son clergé."


La veille du jour où va expirer notre heureuse quarantaine, c'est un des plus fameux martyrs du Christ qui paraît sur le Cycle : Ignace le Théophore, Evêque d'Antioche. Une antique tradition nous dit que ce vieillard, qui confessa si généreusement le Crucifié devant Trajan, avait été cet enfant que Jésus présenta un jour à ses disciples comme le modèle de la simplicité que nous devons posséder pour parvenir au Royaume des cieux. Aujourd'hui, il se montre à nous, tout près du berceau dans lequel ce même Dieu nous donne les leçons de l'humilité et de l'enfance.

Ignace, à la Cour de l'Emmanuel, s'appuie sur Pierre dont nous avons glorifié la Chaire ; car le Prince des Apôtres l'a établi son second successeur sur son premier Siège à Antioche. Ignace a puisé dans cette mission éclatante la fermeté qui lui a donné de résister en face à un puissant empereur, de défier les bêtes de l'amphithéâtre, de triompher par le plus glorieux martyre. Comme pour marquer la dignité incommunicable du Siège de Rome, la providence de Dieu a voulu que, sous les chaînes de sa captivité, il vînt aussi voir Pierre, et terminât sa course dans la Ville sainte, mêlant son sang avec celui des Apôtres. Il eût manqué à Rome quelque chose, si elle n'eût hérité de la gloire d'Ignace. Le souvenir du combat de ce héros est le plus noble souvenir du Colisée, baigné du sang de tant de milliers de Martyrs.


Saint Ignace d'Antioche. Menées des Grecs. Chypre. XIIIe.

Le caractère d'Ignace est l'impétuosité de l'amour ; il ne craint qu'une chose, c'est que les prières des Romains n'enchaînent la férocité des lions, et qu'il ne soit frustré de son désir d'être uni au Christ. Admirons cette force surhumaine qui se révèle tout à coup au milieu de l'ancien monde, et reconnaissons qu'un si ardent amour pour Dieu, un si brûlant désir de le voir n'ont pu naître qu'à la suite des événements divins qui nous ont appris jusqu'à quel excès l'homme était aimé de Dieu. Le sacrifice sanglant du Calvaire n'eût-il pas été offert, la Crèche de Bethléhem suffirait à tout expliquer. Dieu descend du ciel pour l'homme ; il se fait homme, il se fait enfant, il naît dans une crèche. De telles merveilles d'amour auraient suffi pour sauver le monde coupable ; comment ne solliciteraient-elles pas le cœur de l'homme à s'immoler à son tour ? Et qu'est-ce que la vie terrestre à sacrifier, quand il ne s'agirait que de reconnaître l'amour de Jésus, dans sa naissance parmi nous ?

Ignace est ainsi nommé, de ignem patiens, c'est-à-dire qu'il a enduré le feu de l’amour divin.

Saint Ignace fut disciple de saint Jean et évêque d'Antioche. On dit qu'il adressa à la Sainte Vierge une lettre conçue en ces termes :
" A Marie Porte-Christ, Ignace son dévoué. Vous avez dû fortifier et consoler en moi le néophyte et le disciple de votre Jean. J'ai appris en effet de votre Jésus des choses admirables à dire, et j'ai été stupéfait en les entendant. Or, j'attends de vous, qui avez toujours été unie d'amitié avec lui, et qui étiez de tous ses secrets, que vous m’assuriez la vérité de tout ce que j'ai entendu."


Saint Jean et saint Ignace d'Antioche. Legenda aurea.
Bx J. de Voragine. R. de Monbaston. XIVe.

Une autre leçon ajoute ce qui suit :
" Je vous ai déjà écrit plusieurs fois, et vous ai demandé des explications. Adieu, et que les néophytes qui sont avec. moi reçoivent force de vous, par vous et en vous."
Alors la Vierge Marie, mère de Dieu, lui répondit :
" A Ignace, son disciple chéri, l’humble servante de Jésus-Christ. Les choses que vous avez apprises et entendues de Jean, touchant Jésus, sont vraies ; croyez-les, étudiez-les, attachez-vous fermement à ce que vous avez promis à Jésus-Christ, et conformez-y vos moeurs et votre vie. Je viendrai avec Jean, vous voir et ceux qui sont avec vous. Soyez ferme et agissez avec les principes de la foi, pour que la violence de la persécution ne vous ébranle pas, mais que votre esprit soit fort et, ravi en Dieu voire sauveur ; ainsi soit-il."

Or, saint Ignace jouissait d'une autorité si grande que Denys lui-même, le disciple de l’apôtre saint Paul, qui fut si profond en philosophie et si accompli dans la science divine, citait les paroles de saint Ignace comme une autorité, pour prouver ce qu'il avançait.
En son livre des Noms divins, il rapporte que quelques-uns voulaient rejeter le nom d'amour en disant que dans l’s choses divines il y avait plutôt dilection qu'amour; il dit, en voulant montrer que ce mot d'amour devait être employé en tout dans les choses divines :
" Le divin Ignace a écrit : Mon amour a été crucifié."

On lit dans l’Histoire tripartite (Liv. X, ch. IX.) que saint Ignace entendît les anges chanter des Antiennes sur une montagne, et dès lors il ordonna qu'on chanterait des Antiennes dans l’Eglise et qu'on entonnerait des Psaumes sur les Antiennes. Après avoir longuement prié le Seigneur pour la paix de l’église, saint Ignace redoutant le péril, non pour lui, mais pour les faibles, alla au-devant de l’empereur Trajan, qui commença à régner l’an 100, alors qu'à son retour, après une victoire, il menaçait de mort tous lés chrétiens ; il déclara ouvertement qu'il était lui-même un Chrétien.
 

Martyre de saint Ignace d'Antioche. Gravure du XVIIe.

Trajan le fit charger de chaînes, le confia à dix soldats et ordonna de le conduire à Rome en le menaçant de le jeter en pâture aux bêtes. Or, pendant le trajet, Ignace préparait des lettres, destinées à toutes les Eglises et, les confirmait dans la foi de Jésus-Christ. Il y en avait une pour l’Eglise de Rome, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique, dans laquelle il priait qu'on ne fit rien pour, empêcher son martyre. Voici ses paroles :
" De la Syrie jusqu'à Rome, je combats avec les bêtes par mer et parterre, le jour et la nuit, lié et attaché au milieu de dix léopards (ce sont les soldats qui me gardent), dont la cruauté augmente en raison du bien que je leur fais : mais leur cruauté est mon instruction. Ô bêtes salutaires, qui me sont réservées ! Quand viendront-elles ? Quand seront-elles lâchées ? Quand leur sera-t-il permis de se nourrir de mes chairs ? Je les inviterai à me dévorer, je les prierai pour qu'elles ne craignent pas de toucher mon corps, comme elles l’ont fait à d'autres. Je ferai plus, si elles tardent trop, je leur ferai violence, je me mettrai dans leur gueule. Pardonnez-moi, je vous prie ; je sais ce qui m’est avantageux. Qu'on réunisse contre moi le feu, les croix, les bêtes, que mes os soient broyés, que tous les membres de mon corps soient mis en pièces, que tous les tourments. inventés par le diable soient amassés sur moi, pourvu que je mérite d'être uni à Jésus-Christ."

Arrivé à, Rome et amené devant Trajan, cet empereur lui dit :
" Ignace, pourquoi fais-tu révolter Antioche et convertis-tu mon peuple à la chrétienté ?"
Ignace lui répondit :
" Plût à Dieu que je puisse te convertir aussi, afin que. tu jouisses à toujours d'une autorité inébranlable."
Trajan lui dit :
" Sacrifie à mes Dieux et tu seras le premier de tous les prêtres."
Ignace répondit :
" Je ne sacrifierai point à tes dieux, et je n'ambitionne pas la dignité que tu m’offres. Tu pourras faire de moi tout ce que tu veux, mais jamais tu ne me changeras.
- Brisez-lui les épaules, reprit Trajan, avec des fouets plombés, déchirez-lui les côtés et frottez ses blessures avec des pierres aiguës."


Il resta immobile au milieu de ces tourments, et Trajan dit :
" Apportez des charbons ardents, et faites-le marcher dessus les, pieds nus."
Ignace lui dit :
" Ni le feu ardent, ni l’eau bouillante ne pourront éteindre en moi la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ."
Trajan ajouta :
" C'est maléfice cela, de ne point céder après de pareilles tortures."
Ignace lui répondit :
" Nous autres chrétiens, nous n'usons pas de maléfices, puisque dans notre loi, nous devons ôter la vie aux enchanteurs c'est vous, au contraire, qui usez de maléfices, vous qui adorez des idoles."
Trajan reprit :
" Déchirez-lui le dos avec des ongles, de fer, et mettez du sel dans ses plaies."
Ignace lui dit :
" Les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec la gloire à venir."
Trajan insista :
" Enlevez-le, attachez-le avec des chaînes de fer à un poteau, gardez-le au fond d'un cachot, laissez-le sans boire ni manger et dans trois jours, donnez-le à dévorer aux bêtes."

Le troisième jour donc étant venu, l’Empereur, le Sénat et tout le peuple s'assemblèrent pour voir l’évêque d'Antioche combattre les bêtes, et Trajan dit :
" Puisque Ignace est superbe et contumace, liez-le et lâchez deux lions sur lui afin qu'il ne reste rien de sa personne."
Alors saint Ignace dit au peuple présent :
" Romains, qui assistez à ce spectacle, je n'ai pas travaillé pour rien. Si je souffre, ce n'est pas pour avoir commis des crimes, mais c'est pour ma piété envers Dieu."
Ensuite il se mit à dire, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique :
" Je suis le froment de Notre Seigneur Jésus-Christ, je serai moulu par les dents des bêtes afin de devenir un pain pur."
En entendant ces mots, l’empereur dit :
" La patience des, chrétiens est grande ; quel est celui des Grecs qui en endurerait autant pour son Dieu ?"
Ignace répondit :
" Ce n'a pas été par ma vertu, mais avec l’aide de Dieu que j'ai supporté ces tourments."
Alors saint Ignace provoqua les lions pour qu'ils accourussent le dévorer. Deux lions furieux accoururent donc et ne firent que l’étouffer sans toucher aucunement sa chair. Trajan, à cette vue, se retira dans une grande admiration en donnant l’ordre de ne pas empêcher que l’on vint enlever les restes du martyr. C'est pourquoi les chrétiens prirent son corps et l’ensevelirent avec honneur. Quand Trajan eut reçu une lettre, par laquelle Pline le jeune recommandait vivement les chrétiens que l’empereur immolait, il fut affligé, de ce qu'il avait fait endurer à Ignace, et ordonna qu'on ne recherchât plus les chrétiens, mais que s'il en tombait quelqu'un entre les mains de la justice, il fût puni.


On lit encore que saint Ignace, au milieu de tant de tourments, ne cessait d'invoquer le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ Comme ses bourreaux lui demandaient pourquoi il répétait si souvent ce nom, il dit :
" Ce nom, je le porte écrit dans mon coeur ; c'est la raison pour laquelle je ne puis cesser de l’invoquer."
Or, après sa mort, ceux qui l’avaient entendu parler ainsi ; voulurent s'assurer du fait ; ils ôtent donc son coeur de son corps, le coupent en deux, et trouvent ces mots gravés en lettres d'or au milieu :
" Jésus-Christ ".

Ce qui donna la foi à plusieurs. Saint Bernard parle ainsi de ce saint, dans son commentaire sur le Psaume : Qui habitat.
" Le grand saint Ignace fut l’élève du disciple que Jésus aimait ; il fut martyr aussi et ses précieuses reliques enrichirent notre pauvreté. Dans plusieurs lettres qu'il adressa à Marie, il la salue du nom de Porte-Christ : c'est un bien grand titre de dignité et une recommandation d'un immense honneur !"


L'empereur Trajan ordonne la décollation de saint Ignace d'Antioche.
Vies de saints. Jeanne de Monbaston. XIVe.
 
PRIERE
 
" Ô pain glorieux et pur du Christ votre Maître ! vous avez donc obtenu l'effet de vos désirs ! Rome tout entière, assise sur les degrés du superbe amphithéâtre, applaudissait, avec une joie féroce, au déchirement de vos membres ; mais tandis que vos ossements sacrés étaient broyés sous la dent des lions, votre âme, heureuse de rendre au Christ vie pour vie, s'élançait d'un trait jusqu'à lui. Votre félicité suprême était de souffrir, parce que la souffrance vous semblait une dette contractée envers le Crucifié ; et vous ne désiriez son Royaume qu'après avoir donné en retour de sa Passion les tourments de votre chair. Que votre gloire est éclatante, dans la compagnie d'Etienne, de Sébastien, de Vincent, d'Agnès, et que votre palme est belle auprès du berceau de l'Emmanuel !

Prenez pitié de notre faiblesse, Ô Martyr ! Obtenez-nous d'être du moins fidèles à notre Sauveur, en face du démon, de la chair et du monde ; de donner notre cœur à son amour, si nous ne sommes appelés à donner notre corps aux tourments pour son Nom. Choisi dans vos premières années par ce Sauveur, pour servir de modèle au chrétien par l'innocence de votre enfance, vous avez conservé cette candeur si précieuse sous vos cheveux blancs ; demandez au Christ, le Roi des enfants, que cette heureuse simplicité demeure toujours en nous, comme le fruit des mystères que nous célébrons.

Successeur de Pierre à Antioche, priez pour les Eglises de votre Patriarcat ; rappelez-les à la vraie foi et à l'unité catholique. Soutenez l'Eglise Romaine que vous avez arrosée de votre sang, et qui est rentrée en possession de vos reliques sacrées, de ces ossements que la dent des lions n'avait pu broyer entièrement. Veillez sur le maintien de la discipline et de la subordination ecclésiastiques, dont vous avez tracé de si belles règles dans vos immortelles Epîtres ; resserrez, par le sentiment du devoir et de la charité, les liens qui doivent unir tous les degrés de la hiérarchie, afin que l'Eglise de Dieu soit belle d'unité, et terrible aux ennemis de Dieu, comme une armée rangée en bataille."

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mercredi, 31 janvier 2024

31 janvier. Saint Pierre Nolasque, cofondateur de l'Ordre de la Merci pour le rachat des captifs. 1256.

- Saint Pierre Nolasque, cofondateur de l'Ordre de la Merci pour le rachat des captifs. 1256.
 
Pape : Alexandre IV. Roi de France : Saint Louis. Roi de Castille et de Léon : Alphonse X. Saint Empire : Guillaume Ier, roi des Romains (1254-1256). Roi d'Angleterre : Henri III.

" La miséricorde donne un coeur compatissant pour la misère, chasse du coeur toute dureté, inonde le coeur d'une admirable suavité."
Saint Antoine de Padoue, Serm. XXII, après la Trinité.


Saint Pierre Nolasque. Anonyme français. XVIIe.

Le Rédempteur des captifs, Pierre Nolasque, vient s'associer aujourd'hui sur le Cycle à son maître Raymond de Pegnafort ; et tous deux présentent pour hommage au Rédempteur universel les milliers de chrétiens qu'ils ont rachetés de l'esclavage, par la vertu de cette charité, qui, partie de Bethléhem, a trouvé asile en leurs cœurs.

Né en France, dans notre Languedoc, Pierre a choisi pour seconde patrie l'Espagne, parce qu'elle offrait à son zèle une terre de dévouement et de sacrifices. Comme le Médiateur descendu du ciel, il s'est voué au rachat de ses frères ; il a renoncé à sa liberté pour procurer la leur ; et afin de leur rendre une patrie, il est resté en otage sous les liens de la servitude. Son dévouement a été fécond ; par ses efforts, un nouvel Ordre religieux s'est élevé dans l'Eglise, composé tout entier d'hommes généreux, qui, durant six siècles, n'ont prié, travaillé, vécu, que pour procurer le bienfait de la liberté à d'innombrables captifs, qui, sans eux, languissaient dans les fers, au péril de leurs âmes.


Vision de saint Pierre Nolasque. F. de Zurbaran. XVIIe.

Gloire à Marie, qui a suscité ces Rédempteurs mortels ! Gloire l'Eglise catholique, qui les a produits de son sein toujours fécond ! Mais par-dessus tout, gloire à l'Emmanuel, qui dit, en entrant dans ce monde :
" Ô Père ! Les holocaustes pour le péché de l'homme ne vous ont point apaisé ; suspendez vos coups ; me voici. Vous m'avez donné un corps ; je viens, je m'immole !" (Psalm. XXXIX, 8.).
Le dévouement du divin Enfant ne pouvait demeurer stérile. Il a daigné nous appeler ses frères, et s'offrir en notre place ; quel cœur d'homme pourrait désormais être insensible aux maux et aux dangers de ses frères ?

L'Emmanuel a récompensé Pierre Nolasque, en l'appelant à lui à l'heure même où, douze siècles plus tôt, il naissait à Bethléhem. C'est du milieu des joies de la nuit de Noël que le Rédempteur mortel est parti pour aller rejoindre l'immortel Rédempteur. Au dernier moment, les lèvres défaillantes de Pierre murmuraient leur dernier cantique de la terre ; et quand il fut arrivé à ces paroles :
"Le Seigneur a envoyé la Rédemption à son peuple ; il a scellé avec lui son alliance pour jamais, son âme bienheureuse s'envola libre au ciel."


Le pape Grégoire IX. Manuscrit du XIIIe.

La sainte Eglise a dû assigner à la mémoire de Pierre un autre anniversaire que celui de son heureux trépas, puisque ce jour appartient tout entier à l'Emmanuel ; mais il était juste que l'élu marqué par une si haute faveur que de naître au ciel à l'heure où Jésus naît à la terre, reçût une place sur le Cycle avant la fin des quarante jours consacrés à la Naissance du divin libérateur.

Saint Pierre Nolasque naquit d'une illustre famille, près de Castelnaudary, dans le village autrefois appelé Le Récaud (ou Recaudum) et aujourd'hui appelé Le Mas-Saintes-Puelles, à la fin du XIIe siècle, probablement en 1189. Il excella, toute sa vie, dans la pratique de la charité à l'égard du prochain. On raconte qu'en présage de cette vertu, lorsqu'il était encore au berceau, un essaim d'abeilles vint construire un rayon de miel dans sa main droite. Dès son adolescence il perdit ses parents.


Saint Pierre Nolasque embarque pour un voyage destiné à
racheter des captifs chrétiens retenus en esclavage
par les Maures musulmans. Francisco Pacheco. XVIIe.

L'hérésie des Albigeois ravageait alors le Midi de la France. Pour s'y soustraire, il vendit son patrimoine, et se retira en Espagne, où il était appelé par le roi Jacques d'Aragon. Il se rendit ensuite à Barcelone, et y consacra toute sa fortune au rachat des captifs enlevés sur mer par les Sarrasins. Mais le sacrifice de ses biens ne suffisait pas à sa charité. Il voulait encore se vendre lui-même pour délivrer ses frères et se charger de leurs chaînes. Dieu lui fit connaître combien ce désir Lui était agréable. Une nuit qu'il priait en songeant à la délivrance des captifs, la Sainte Vierge lui apparut et lui recommanda d'établir, en Son honneur, un Ordre religieux consacré à cette oeuvre de charité. Il s'empressa d'obéir à cet avertissement céleste, d'autant plus que le roi et Raymond de Pennafort avaient reçu en même temps la même révélation.

Il fonda l'Ordre de Notre-Dame de la Merci pour la Rédemption des Captifs avec le soutien de Jacques Ier d'Aragon dont saint Pierre Nolasque avait été le précepteur. Le pape Grégoire IX approuva la création de l'ordre en 1235 et leur donna la règle de saint Augustin. Le caractère particulier de cet Ordre, c'est qu'il joignait aux trois voeux ordinaires de Religion un quatrième voeu : celui de se livrer en gage aux païens, s'il en était besoin, pour la délivrance des chrétiens.


Statue de Jacques Ier d'Aragon. Madrid.

A cet exemple héroïque de charité il joignait celui de toutes les vertus. Favorisé du don de prophétie, il prédit au roi d'Aragon la conquête du royaume de Valence sur les Maures. Il était soutenu par de fréquentes apparitions de son Ange Gardien et de la Vierge Mère de Dieu.

Saint Louis, lors d'un voyage qu'il fit en Languedoc en 1243 pour combattre les Albigeois, insista pour recevoir notre saint qu'il tenait en très grande estime et affection au point de correspondre souvent avec lui et de recourir très fréquemment à sa prière et à sa bénédiction pour toutes ses entreprises.

Enfin, accablé par l'âge, le travail et la pénitence, il reçut l'avertissement de sa mort prochaine. Lorsqu'on lui eut administré les derniers sacrements, il exhorta encore ses frères à la charité envers les captifs. Puis, en disant ces paroles :
" Le Seigneur a envoyé la Rédemption à Son peuple."
Il rendit son âme à Dieu, au milieu de la nuit de Noël, l'an 1256.


Grégoire IX condamnant le Talmud et faisant brûler
les exemplaires saisis. XVe.
 
PRIERE
 
" Vous êtes venu apporter du ciel un feu sur la terre, Ô Emmanuel, et vous nous dites que votre plus ardent désir est de le voir s'enflammer. Votre désir a été comblé dans le cœur de Pierre Nolasque, et dans celui de ses enfants. C'est ainsi que vous daignez associer des hommes à vos desseins d'amour et de miséricorde, et qu'en rétablissant l'harmonie entre Dieu et nous, vous resserrez l'union primitive entre nous et nos frères. Nous ne pouvons vous aimer, Ô céleste Enfant, sans aimer tous les hommes ; et si vous venez à nous comme notre rançon et notre victime, vous voulez que nous soyons prêts aussi à nous sacrifier les uns aux autres.

Ô Pierre ! Vous avez été l'apôtre et le modèle de cette charité ; c'est pour cela que le Seigneur a voulu vous glorifier en vous appelant à la cour de son Fils, au jour anniversaire de la Naissance de ce Sauveur. Ce doux mystère qui, tant de fois, soutint votre courage, ranima vos dévouements, vous est apparu dans toute sa grandeur ; mais vos yeux ne voient plus seulement, comme nous, le tendre Enfant qui sourit dans son berceau ; c'est le Roi vainqueur, le Fils de Jéhovah dans sa splendeur divine, qui éblouit vos regards. Marie ne vous apparaît plus, comme à nous, pauvre et humblement penchée sur la crèche qui contient tout son amour ; à vos yeux, elle brille éclatante sur son trône de Reine, et resplendit d'un éclat qui ne le cède qu'à celui de la majesté divine. Et votre cœur n'est point troublé de cette gloire; car, au ciel, vous êtes dans votre patrie. Le ciel est le temple et le palais de la charité ; et la charité, dès ici-bas, remplissait votre cœur ; elle était le principe de tous ses mouvements."

Apparition de Saint Pierre à saint Pierre Nolasque.
Francisco de Zurbaran. XVIIe.

Priez, afin que nous connaissions davantage ce véritable amour de Dieu et des hommes qui nous rend semblables à Dieu. Il est écrit que celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui (I, Johan. IV.) ; faites donc que le mystère de charité que nous célébrons nous transforme en Celui qui fait l'objet de tous nos sentiments, dans ce temps de grâces et de merveilles. Donnez-nous d'aimer nos frères comme nous-mêmes, de les supporter, de les excuser, de nous oublier pour leur être utiles. Que nos exemples les soutiennent, que nos paroles les édifient ; que leurs âmes soient gagnées et consolées par notre affection ; que leurs corps soient soulagés par nos largesses.
 
Eglise Saintes-Puelles et Saint-Pierre Nolasque.
Le Mas-Saintes-Puelles,
village natal de saint Pierre Nolasque. Languedoc.

Priez pour la France, votre patrie, Ô Pierre ! Secourez l'Espagne, au sein de laquelle vous avez fondé votre sublime Institut. Protégez les restes précieux de cet Ordre par lequel vous avez opéré tant de miracles de charité. Consolez et délivrez les captifs que la main des hommes retient dans les prisons ou dans l'esclavage. Obtenez pour nous tous cette sainte liberté des enfants de Dieu dont parle l'Apôtre, et qui consiste dans l'obéissance à la loi de Dieu. Quand cette liberté régnera dans les cœurs, elle affranchira les corps. En vain l'homme extérieur cherche à être libre, si l'homme intérieur est asservi. Faites, Ô Rédempteur de vos frères, que les liens de l'erreur et du péché cessent d'enchaîner nos sociétés ; c'est alors que vous les aurez rendues à la vraie liberté, qui produit et règle toutes les autres."

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mardi, 30 janvier 2024

30 janvier. Sainte Martine, vierge et martyre. 236.

- Sainte Martine, vierge et martyre. 236.
 
Papes : Saint Antère (+236) ; saint Fabien. Empereurs romains : Alexandre Sévère ; Maximin Ier le Thrace (début de la période de l'anarchie militaire).

" Ses trésors furent pour les pauvres, sa beauté pour Dieu et son coeur pour tous ceux qui vivaient dans les larmes."
Mgr Philippe Gerbet. Rome chrétienne, T. Ier.
 

Sainte Martine refusant d'adorer l'idole.
Pierre de Cortone. Palais Pitti. Florence. XVIIe.

Une troisième Vierge romaine, le front ceint de la couronne du martyre, vient partager les honneurs d'Agnès et d'Emérentienne, et offrir sa palme à l'Agneau. C'est Martine, dont le nom rappelle le dieu païen qui présidait aux combats, et dont le corps glorieux repose au pied du mont Capitolin, dans un ancien temple de Mars, devenu aujourd'hui la somptueuse Eglise de Sainte-Martine. Le désir de se rendre digne de l'Epoux divin que son cœur avait choisi, l'a rendue forte contre les tourments et la mort, et sa blanche robe a été aussi lavée dans son sang. " L'Emmanuel est le Dieu fort, puissant dans les combats " (Psalm. XXIII, 8.) ; mais comme le faux dieu Mars, il n'a pas besoin de fer pour vaincre. La douceur, la patience, l'innocence d'une vierge lui suffisent pour terrasser ses ennemis ; et Martine a vaincu d'une victoire plus durable que les plus grands capitaines de Rome.


Sainte Martine avec ses attributs.
D'après une ancienne illustration latine.

Martine, Vierge romaine, de naissance illustre, était fille d'un père consulaire. Dès ses plus tendres années, elle perdit ses parents, et embrasée du feu de la piété chrétienne, elle distribua aux pauvres, avec une admirable libéralité, les richesses abondantes dont elle jouissait. Sous l'empire d'Alexandre Sévère, on lui ordonna d'adorer les faux dieux ; mais elle repoussa ce crime horrible avec une noble liberté. C'est pourquoi on la frappa de verges à plusieurs reprises, on la déchira avec des crocs, des ongles de fer, des têts de pots cassés, on lui lacéra tous les membres avec des couteaux aigus ; puis elle fut enduite de graisse bouillante, enfin condamnée aux bêtes de l'amphithéâtre. Mais avant été miraculeusement protégée contre elles, on la jeta sur un bûcher ardent, d'où elle sortit saine et sauve par un nouveau prodige.
 
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Sainte Martine refusant d'adorer l'idole, laquelle se brise sous
la puissance de la prière et du signe de la croix fait par notre sainte.
Martyre de sainte Martine. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Quelques-uns de ses bourreaux, frappés de la nouveauté de ce miracle, et touchés de la grâce de Dieu, embrassèrent la foi de Jésus-Christ ; et, après plusieurs tourments, ils eurent la tête tranchée, et méritèrent ainsi la palme glorieuse du martyre. Aux prières de la Sainte, il y eut des tremblements de terre ; des feux tombèrent du ciel au milieu des tonnerres, renversèrent les temples des faux dieux, et consumèrent leurs statues. Tantôt l'on voyait couler de ses blessures du lait avec du sang, et de son corps s'échappait une très brillante splendeur et une odeur très suave ; tantôt elle semblait élevée sur un trône royal, chantant les louanges de Dieu avec les Saints.


Notre Dame et son divin Fils avec sainte Martine.
D'après Pietro Berrettini dit Pierre de Cortone. Montauban. XVIIe.

Ces merveilles, et surtout la fermeté de la Vierge, exaspérèrent le juge, qui ordonna de lui trancher la tête. Aussitôt après, l'on entendit une voix d'en haut qui appelait au ciel la Vierge ; toute la ville trembla, et plusieurs adorateurs des idoles se convertirent à la foi de Jésus-Christ. Martine souffrit sous le Pontificat de saint Urbain Ier ; et sous celui d'Urbain VIII, on trouva son corps dans une antique église, avec ceux des saints martyrs Concordius, Epiphane et leurs compagnons, près de la prison Mamertine, sur le penchant du mont Capitolin. On disposa cette église dans une forme plus digne, on la décora convenablement, et on y déposa le corps de la Sainte, avec une pompe solennelle, en présence d'un grand concours de peuple, et aux cris de joie de la ville entière.

HYMNE

Cette illustre Vierge, l'une des patronnes de Rome, a eu l'honneur d'être chantée par un Pape. Urbain VIII est l'auteur des Hymnes que nous plaçons à la suite de la Légende. Nous donnons donc en les réunissant sous une seule doxologie, les trois Hymnes d'Urbain VIII, dans lesquelles la sainte Eglise prie chaque année pour la délivrance de Jérusalem. C'est le dernier cri de la Croisade :


Notre Dame et son Divin Fils avec sainte Martine et sainte Agnès.
El Greco. XVIe.

" Chante Martine, Ô Rome, célèbre son nom, applaudis à sa gloire ; chante l'illustre Vierge, célèbre la Martyre du Christ.

Issue de noble race, entourée des délices et des charmes séduisants d'une vie livrée au luxe, elle vécut au milieu des trésors d'un palais opulent.

Mais elle dédaigne ces jouissances d'une vie terrestre ; elle se donne au Seigneur ; et sa main généreuse, versant les richesses au sein des pauvres du Christ, cherche la récompense des cieux.

Ni les ongles de fer, ni les bêtes, ni les verges qui sillonnent cruellement ses membres, n'ont ébranlé son courage. Descendus du séjour des bienheureux, les Anges la fortifient par un pain céleste.

Le lion même, oubliant sa férocité, se prosterne paisible à tes pieds, Ô Martine ! Au glaive seul est réservé l'honneur de t'ouvrir la demeure des cieux.

Tes autels, sur lesquels l'encens s'élève en nuage odorant, font monter vers toi nos prières assidues ; ton nom vient effacer, par une pieuse relation, le souvenir profane d'une fausse divinité.

Protège le sol qui t'a vu naître ; accorde un repos paisible à la terre des chrétiens ; renvoie sur le pays infidèle des Thraces le bruit des armes et les cruels combats.

Rassemble tous les rois avec leurs bataillons, sous l'étendard de la croix ; délivre Jérusalem de la captivité, venge le sang innocent, et renverse à jamais les remparts du Turc notre ennemi.

Ô Vierge, notre appui, notre gloire éclatante, reçois l'hommage de nos coeurs. Agrée les vœux de Rome qui te chante et t'honore dans son amour.

Eloigne de nous les joies mauvaises, Ô Dieu, dont le bras soutient les Martyrs ; Unité, Trinité, donne à tes serviteurs cette lumière par laquelle tu daignes faire le bonheur des âmes.

Amen."


Eglise Sainte-Martine. Rome.
 
PRIERE
 
" C'est par ces chants, Ô Vierge magnanime, que Rome chrétienne continue de remettre entre vos mains le soin de sa défense. Elle est captive ; si vous la protégez, elle reprendra possession d'elle-même et reposera dans la sécurité. Ecoutez ses prières, et repoussez loin de la ville sainte les ennemis qui l'oppriment. Mais souvenez-vous qu'elle n'a pas seulement à craindre les bataillons qui lancent la foudre et renversent les remparts ; même dans la paix, des attaques ténébreuses n'ont jamais cessé d'être dirigées contre sa liberté. Déjouez, Ô Martine, ces plans perfides ; et souvenez-vous que vous fûtes la fille de l'Eglise romaine, avant d'en être la protectrice. Détruisez de plus en plus la puissance du Croissant ; affranchissez Jérusalem, amenez l'Europe à sentir enfin ses entrailles émues pour les Eglises de Syrie.

Demandez pour nous à l'Agneau votre Epoux la force nécessaire pour enlever de notre cœur les idoles auxquelles il pourrait encore être tenté de sacrifier. Dans les attaques que les ennemis de notre salut dirigent contre nous, prêtez-nous l'appui de votre bras. Il a ébranlé les idoles au sein même de Rome païenne ; il ne sera pas moins puissant contre le monde qui cherche à nous envahir. Pour prix de vos victoires, vous brillez auprès du berceau de notre Rédempteur ; si, comme vous, nous savons combattre et vaincre, ce Dieu fort daignera nous accueillir aussi. Il est venu pour soumettre nos ennemis ; mais il exige que nous prenions part à la lutte. Fortifiez-nous, Ô Martine, afin que nous ne reculions jamais, et que notre confiance en Dieu soit toujours accompagnée de la défiance de nous-mêmes."
 
Rq : Ce succinct résumé de dom Prosper Guéranger sera avantageusement complété par la consultation de la notice des Petits Bollandistes, T. II, pp. 116 à 119 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307324.r=petits+bol...). Les deux sont tirés du premier volume des Acta Sanctorum dans lequel les très savants Surius et Bollandus ont repris, après le rigoureux travail critique habituel, l'histoire du martyre de sainte Martine tirée des manuscrits de saint Maxime de Trèves.

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lundi, 29 janvier 2024

29 janvier. Saint François de Sales, évêque et prince de Genève, Docteur de l'Eglise. 1622.

- Saint François de Sales, évêque et prince de Genève, Docteur de l'Eglise. 1622.

Pape : Grégoire XV. Duc de Savoie, prince de Piémont : Charles-Emmanuel Ier. Roi de France : Louis XIII. Empereur du Saint Empire : Ferdinand II.

" Monsieur de Genève est vraiment le phénix des prélats. Il y a presque toujours chez les autres quelque côté faible : dans l'un c'est la science, dans un autre la piété, dans d'autres la naissance, au lieu que Monsieur de Genève réunit tout au plus haut degré, et naissance illustre, et science rare, et piété éminente."
Jugement de l'usurpateur Henri de Navarre, plus connu sous le nom d'Henri IV, roi de France.

" Si vous avez des hérétiques à convaincre, vous pouvez me les envoyer ; si vous en avez à convertir, adressez-les à M. de Genève."
Cardinal du Perron.


Eglise Saint-Thomas. La Flèche. Maine. XVIIe.

Voici venir au berceau du doux Fils de Marie l'angélique évêque François de Sales, digne d'y occuper une place distinguée pour la suavité de sa vertu, l'aimable enfance de son cœur, l'humilité et la tendresse de son amour. Il arrive escorté de ses brillantes conquêtes : soixante-douze mille hérétiques soumis à l'Eglise par l'ascendant de sa charité ; un Ordre entier de servantes du Seigneur, conçu dans son amour, réalisé par son génie céleste ; tant de milliers d'âmes conquises à la piété par ses enseignements aussi sûrs que miséricordieux, qui lui ont mérité le titre de Docteur.

Dieu le donna à son Eglise pour la consoler des blasphèmes de l'hérésie qui allait prêchant que la foi romaine était stérile pour la charité ; il plaça ce vrai ministre évangélique en face des âpres sectateurs de Calvin ; et l'ardeur de la charité de François de Sales fondit la glace de ces cœurs obstinés.


Saint Francois de Sales enfant se consacrant à Marie.

François de Sales parut donc, au milieu de son siècle, comme une vivante image du Christ ouvrant ses bras et convoquant les pécheurs à la pénitence, les errants à la vérité, les justes au progrès vers Dieu, tous à la confiance et à l'amour. L'Esprit divin s'était reposé sur lui dans sa force et dans sa douceur : c'est pourquoi, en ces jours où nous avons célébré la descente de cet Esprit sur le Verbe incarné au milieu des eaux du Jourdain, nous ne saurions oublier une relation touchante de notre admirable Pontife avec son divin Chef.

Un jour de la Pentecôte, à Annecy, François était debout à l'autel, offrant l'auguste Sacrifice ; tout à coup une colombe qu'on avait introduite dans la Cathédrale, effrayée des chants et de la multitude du peuple, après avoir voltigé longtemps, vint, à la grande émotion des fidèles, se reposer sur la tête du saint évêque : symbole touchant de la douceur de l'amour de François, comme le globe de feu qui parut, au milieu des Mystères sacrés, au-dessus de la tête du grand saint Martin, désignait l'ardeur du feu qui dévorait le cœur de l'Apôtre des Gaules.


Eglise Saint-Pierre de La Croisille-sur-Briance. Limousin. XIXe.

Une autre fois, en la Fête de la Nativité de Notre-Dame, François officiait aux Vêpres, dans la Collégiale d'Annecy. Il était assis sur un trône dont les sculptures représentaient cet Arbre prophétique de Jessé, qui a produit, selon l'oracle d'Isaïe, la branche virginale, d'où est sortie la fleur divine sur laquelle s'est reposé l’Esprit d'amour. On était occupé au chant des Psaumes, lorsque, par une fente du vitrail du chœur, du côté de l'Epître, une colombe pénètre dans l'Eglise. Après avoir voleté quelque temps, de l'historien, elle vint se poser sur l'épaule du saint Evêque, et de là sur ses genoux, d'où les ministres assistants la prirent. Après les Vêpres, François, jaloux d'écarter de lui l'application favorable que ce symbole inspirait naturellement à son peuple, monta en chaire, et s'empressa d'éloigner toute idée d'une faveur céleste qui lui eût été personnelle, en célébrant Marie qui, pleine de la grâce de l'Esprit-Saint, a mérité d'être appelée la colombe toute belle, en laquelle il n'y a pas une tache.

Quand on cherche parmi les disciples du Sauveur le type de sainteté qui fut départi à notre admirable Prélat, l'esprit et le coeur ont tout aussitôt nommé Jean, le disciple bien-aimé. François de Sales est comme lui l'Apôtre de la charité; et la simplesse du grand Evangéliste pressant un innocent oiseau dans ses mains vénérables, est la mère de cette gracieuse innocence qui reposait au cœur de l'Evêque de Genève. Jean, par sa seule vue, par le seul accent de sa voix, faisait aimer Jésus ; et les contemporains de François disaient :
" Ô Dieu ! Si telle est la bonté de l’évêque de Genève, quelle ne doit pas être la vôtre !"


Saint François de Sales écrivant. Gravure du XVIIIe.

Ce rapport merveilleux entre l'ami du Christ et François de Sales se révéla encore au moment suprême, lorsque le jour même de saint Jean, après avoir célébré la sainte Messe et communié de sa main ses chères filles de la Visitation, il sentit cette défaillance qui devait amener pour son âme la délivrance des liens du corps. On s'empressa autour de lui ; mais déjà sa conversation n'était plus que dans le ciel. Ce fut le lendemain qu'il s'envola vers sa patrie, en la fête des saints Innocents, au milieu desquels il avait droit de reposer éternellement, pour la candeur et la simplicité de son âme.

La place de François de Sales, sur le Cycle, était donc marquée en la compagnie de l'Ami du Sauveur, et de ces tendres victimes que l'Eglise compare à un gracieux bouquet d'innocentes roses ; et s'il a été impossible de placer sa mémoire à l'anniversaire de sa sortie de ce monde, parce que ces deux jours sont occupés par la solennité de saint Jean et celle des Enfants de Bethléhem, du moins la sainte Eglise a-t-elle pu encore placer sa fête dans l'intervalle des quarante jours consacrés à honorer la Naissance de l'Emmanuel.


C'est donc à cet amant du Roi nouveau-né qu'il appartient de nous révéler les charmes de l'Enfant de la crèche. Nous chercherons la pensée de son cœur, pour en nourrir le nôtre, dans son admirable correspondance, où il rend avec tant de suavité les sentiments pieux qui débordaient de son cœur, en présence des mystères que nous célébrons.

Vers la fin de l'Avent 1619, il écrivait à une religieuse de la Visitation, pour l'engager à préparer son cœur à la venue de l'Epoux céleste :

" Ma très chère fille, voilà le tant petit aimable Jésus qui va naître en notre commémoration, ces fêtes-ci prochaines ; et puisqu'il naît pour nous visiter de la part de son Père éternel, et que les pasteurs et les rois le viendront réciproquement visiter au berceau, je crois, qu'il est le Père et l'Enfant tout ensemble de cette Sainte Marie de la Visitation.


Saint François de Sales visitant des religieuses de la Visitation.
Emile Hirsch. Verrière de l'église Saint-Séverin. Paris. XIXe.

Or sus, caressez-le bien ; faites-lui bien l'hospitalité avec toutes nos sœurs, chantez-lui bien de beaux cantiques, et surtout adorez-le bien fortement et doucement, et en lui sa pauvreté, son humilité, son obéissance et sa douceur, à l'imitation de sa très sainte Mère et de saint Joseph ; et prenez-lui une de ses chères larmes, douce rosée du ciel, et la mettez sur votre cœur, afin qu'il n'ait jamais de tristesse que celle qui réjouit ce doux Enfant ; et quand vous lui recommanderez votre âme, recommandez-lui quant et quant la mienne, qui est certes toute vôtre.

Je salue chèrement la chère troupe de nos sœurs, que je regarde comme de simples bergères veillant sur leurs troupeaux, c'est-à-dire sur leurs affections ; qui, averties par l'Ange, vont faire l'hommage au divin Enfant, et pour gage de leur éternelle servitude, lui offrent le plus beau de leurs agneaux, qui est leur amour, sans réserve ni exception."


Saint François de Sales recevant les bulles du pape
Clément VIII confirmant son élévation à l'épiscopat. XVIIe.

La veille de la Naissance du Sauveur, saisi par avance des joies de la nuit qui va donner son Rédempteur à la terre, François s'épanche déjà avec sa fille de prédilection, Jeanne-Françoise de Chantal, et la convie à goûter avec lui les charmes de l'Enfant divin et à profiter de sa visite :

" Le grand petit Enfant de Bethléhem soit à jamais les délices et les amours de notre cœur, ma très chère mère, ma fille ! Hélas ! comme il est beau, ce pauvre petit poupon ! Il me semble que je vois Salomon sur son grand trône d'ivoire, doré et ouvragé, qui n'eut point d'égal es royaumes, comme dit l'Ecriture : et ce roi n'eut point de pair en gloire ni en magnificence. Mais j'aime cent fois mieux voir le cher enfançon en la crèche, que de voir tous les rois en leurs trônes.


Armoiries épiscopale de saint François de Sales.
Sa devise complète : " Nunquam excidet " que l'on peut traduire,
se raportant à la foi, à l'espérance et à la charité, par :
" Il ne tomde jamais ".

Mais si je le vois sur les genoux de sa sacrée Mère ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette, comme un petit bouton de rose, attachée au lis de ses saintes mamelles, Ô Dieu ! Je le trouve plus magnifique en ce trône, non seulement que Salomon dans le sien d'ivoire, mais que jamais même ce Fils éternel du Père ne le fut au ciel ; car si bien le ciel a plus d'être visible, la Sainte Vierge a plus de perfections invisibles ; et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons, vaut mieux que toutes les affluences des cieux. Le grand saint Joseph nous fasse part de sa consolation, la souveraine Mère de son amour : et l'Enfant veuille à jamais répandre dans nos cœurs ses mérites !

Je vous prie, reposez le plus doucement que vous pourrez auprès du petit céleste enfant : il ne laissera pas d'aimer votre cœur bien-aimé tel que vous l'avez, sans tendreté et sans sentiment. Voyez-vous pas qu'il reçoit l'haleine de ce gros bœuf et de cet âne qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque ? Comment ne recevra-t-il pas les aspirations de notre pauvre coeur, lequel, quoique non tendrement pour le présent, solidement néanmoins et fermement, se sacrifie à ses pieds pour être à jamais serviteur inviolable du sien, et de celui de sa sainte Mère, et du grand gouverneur du petit Roi ?"


Anonyme. Bavière. XVIIe.

La nuit sacrée s'est écoulée, apportant avec elle la Paix aux hommes de bonne volonté ; François cherche encore le cœur de la fille que Jésus lui a confiée, pour y verser toutes les douceurs qu'il a goûtées dans la contemplation du mystère d'amour :

" Hé, vrai Jésus ! Que cette nuit est douce, ma très chère fille ! Les cieux, chante l'Eglise, distillent de toutes parts le miel ; et moi, je pense que ces divins Anges, qui résonnent en l'air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel céleste sur les lis où il se trouve, sur la poitrine de la très douce Vierge et de saint Joseph. J'ai peur, ma chère fille, que ces divins Esprits ne se méprennent entre le lait qui sort des mamelles virginales, et le miel du ciel qui est abouché sur ces mamelles. Quelle douceur de voir le miel sucer le lait !


Portrait en tête d'une édition des oeuvres complètes
de saint François de Sales. Paris. 1866.

Mais je vous prie, ma chère fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges, de vous et de moi, se trouvèrent en la chère troupe de musiciens célestes qui chantèrent en cette nuit ? Ô Dieu ! S'il leur plaisait d'entonner derechef, aux oreilles de notre cœur, cette même céleste chanson, quelle joie ! Quelle jubilation ! Je les en supplie, afin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté.

Revenant donc d'entre les sacrés Mystères, je donne ainsi le bonjour à ma chère fille : car je crois que les pasteurs encore, après avoir adoré le céleste poupon que le ciel même leur avait annoncé, se reposèrent un peu. Mais, Ô Dieu ! Que de suavité, comme je pense, à leur sommeil ! Il leur était avis qu'ils oyaient toujours la sacrée mélodie des Anges qui les avaient salués si excellemment de leur cantique, et qu'ils voyaient toujours le cher Enfant et la Mère qu'ils avaient visités.


Saint François Sales remet les règles aux
sœurs de la Visitation. Anonyme. XVIIe.

Que donnerions-nous à notre petit Roi, que nous n'ayons reçu de lui et de sa divine libérait lité ? Or sus, je lui donnerai donc, à la sainte Grand'Messe, la très uniquement fille bien-aimée qu'il m'a donnée. Hé ! Sauveur de nos âmes, rendez-la toute d'or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d'encens en oraison ; et puis recevez-la entre les bras de votre sainte protection ; et que votre cœur dise au sien : " Je suis ton salut aux siècles des siècles "."

Parlant ailleurs à une autre épouse du Christ, il l'exhorte, en ces termes, à se nourrir de la douceur du nouveau-né :

" Que jamais votre âme, comme une abeille mystique, n'abandonne ce cher petit Roi, et qu'elle fasse son miel autour de lui, en lui, et pour lui ; et qu'elle le prenne sur lui, duquel les lèvres sont toutes détrempées de grâce, et sur lesquelles, bien plus heureusement que l'on ne vit sur celles de saint Ambroise, les saintes avettes, amassées en essaim, font leurs doux et gracieux ouvrages."

Saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal
priant le Sacré Coeur de Jésus.
Hospice des Ursulines de Baugé. Baugé. Maine. XVIIe.

Mais il faut bien s'arrêter ; écoutons cependant encore une dernière fois notre séraphique Pontife nous raconter les charmes du très saint Nom de Jésus, imposé au Sauveur dans les douleurs de la Circoncision ; il écrit encore à sa sainte coopératrice :

" Ô Jésus, remplissez notre cœur du baume sacré de votre Nom divin, afin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens, et se répande en toutes nos actions. Mais pour rendre ce cœur capable de recevoir une si douce liqueur, circoncisez-le, et retranchez d'icelui tout ce qui peut être désagréable à vos saints yeux. Ô Nom glorieux ! Que la bouche du Père céleste a nommé éternellement, soyez à jamais la superscription de notre âme, afin que, comme vous êtes Sauveur, elle soit éternellement sauvée ! Ô Vierge sainte, qui, la première de toute la nature humaine, avez prononcé ce Nom de salut, inspirez-nous la façon de le prononcer ainsi qu'il est convenable, afin que tout respire en nous le salut que votre ventre nous a porté.

Ma très chère fille, il fallait écrire la première lettre de cette année à Notre-Seigneur et à Notre-Dame ; et voici la seconde par laquelle, Ô ma fille, je vous donne le bon an, et dédie notre cœur à la divine bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette année, qu'elle nous serve de fondement pour l'année éternelle ! Du moins ce matin, sur le réveil, j'ai crié à vos oreilles : vive Jésus ! Et eusse bien voulu épandre cette huile sacrée sur toute la face de la terre."


Saint François de Sales écrivant.

Quand un baume est bien fermé dans une fiole, nul ne sait discerner quelle liqueur c'est, sinon celui qui l'y a mise ; mais quand on a ouvert la fiole, et qu'on en a répandu quelques gouttes, chacun dit : C'est du baume. Ma chère fille, notre cher petit Jésus était tout plein du baume de salut; mais on ne le connaissait pas jusqu'à tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair ; et lors on a connu qu'il est tout baume et huile répandue, et que c'est le baume de salut. C'est pourquoi saint Joseph et Notre-Dame, puis tout le voisinage, commencent à crier : Jésus, qui signifie Sauveur.

Plaise à ce divin poupon de tremper nos cœurs dans son sang, et les parfumer de son saint Nom, afin que les roses des bons désirs que nous avons conçus, soient toutes pourprées de sa teinture, et toutes odorantes de son onguent !"



Saint François de Sales est né le 21 août 1567 dans une famille catholique, au château de Sales près de Thorens-Glières, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Annecy. Son père, François de Sales, seigneur de Sales, de Boisy et de Nouvel, et sa mère, Françoise de Sionnaz (fille unique du seigneur Melchior de Sionnaz), appartenaient à de vieilles familles aristocratiques de la Savoie. François de Sales père servit comme officier dans l'armée du roi de France François Ier. Le futur saint était l'aîné de six frères. Lors de son baptême, il reçut le prénom de François en hommage à la vénération familiale pour saint François d'Assise. Durant les premières années de sa vie, il fut éduqué chez des nourrices dévotes puis par un précepteur et fit présager dès ses plus tendres années, par l'innocence et la gravité de ses mœurs, quelle serait un jour sa sainteté.

Il fut instruit dans les sciences libérales ; bientôt après, il se rendit à Paris, où il s'adonna à la Philosophie et à la Théologie ; et, afin que rien ne manquât à la culture de son esprit, il reçut, à Padoue, avec de grands applaudissements, le bonnet de docteur en l'un et l'autre Droit.

Il renouvela, dans l'église de Lorette, le vœu de perpétuelle virginité qu'il avait fait à Paris ; et jamais ni les artifices du démon, ni les attraits des sens, ne purent le détourner de la résolution qu'il avait prise au sujet de cette vertu.


Saint François de Sales, saint Antoine abbé,
saint Augustin et sainte Marie-Madeleine de Pazzi.
Ottavio Cambiaso. Cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption.
Bastia. Corse.

Il refusa une grande charge dans le Sénat de Savoie, et s'engagea dans la cléricature. Ordonné prêtre et fait Prévôt de l'Eglise de Genève, il remplit si parfaitement les devoirs de cette charge, que Granier, son Evêque, le destina pour travailler, par la prédication de la parole de Dieu, à la conversion des Calvinistes du Chablais, et autres lieux voisins de Genève. Ayant reçu cet office avec allégresse, il y eut à souffrir les plus rudes tribulations de la part des hérétiques, qui souvent le cherchèrent pour lui donner la mort, le poursuivirent de différentes calomnies, et lui dressèrent grand nombre d'embûches. Mais, au milieu de tant de périls et de combats, son inébranlable constance brilla toujours ; et, aidé du secours de Dieu, on rapporte qu'il ramena à la foi catholique soixante-douze mille hérétiques, parmi lesquels on en compte plusieurs qui étaient distingués par leur noblesse et leur science.

Après la mort de Granier, qui l'avait choisi pour coadjuteur, il fut consacré évêque, et répandit de tous côtés les rayons de sa sainteté, par son zèle pour la discipline ecclésiastique, son amour pour la paix, sa miséricorde envers les pauvres, et par toute sorte de vertus.


Apothéose de saint François de Sales.
Cathédrale Saint-Etienne. Cahors.

Pour l'accroissement du culte divin, il institua un nouvel Ordre de religieuses sous le nom de la Visitation Sainte-Marie, et sous la règle de saint Augustin, à laquelle il ajouta des Constitutions admirables par la sagesse, la discrétion et la douceur.

Il a éclairé l'Eglise par des écrits remplis d'une doctrine céleste, dans lesquels il enseigne un chemin sûr et facile pour arriver à la perfection chrétienne. Enfin, âgé de cinquante-cinq ans, comme il retournait de France à Annecy, après avoir célébré la Messe à Lyon, le jour de Saint-Jean l'Évangéliste, il fut atteint d'une maladie mortelle ; et, le jour suivant, il monta au ciel, l'an de notre Seigneur mil six cent vingt-deux.

On transporta son corps à Annecy, et on l'ensevelit honorablement dans l'église des religieuses dudit Ordre. Il éclata aussitôt par des miracles ; le Pape Alexandre VII, après en avoir constaté la vérité selon les règles, le mit au nombre des Saints, en assignant, pour sa fête, le vingt-neuvième jour de janvier ; et le Souverain Pontife Pie IX, de l'avis de la Congrégation des Sacrés Rites, a déclaré Docteur de l'Eglise universelle.


Basilique de la Visitation. Les reliques de saint François de Sales
y sont toujours vénérées. Annecy. Savoie.
 
PRIERE

" Conquérant pacifique des âmes, Pontife aimé de Dieu et des hommes, nous célébrons en vous la douceur de notre Emmanuel. Ayant appris de lui à être doux et humble de cœur, vous avez, selon sa promesse, possédé la terre (Matth. V, 4.). Rien ne vous a résisté : les sectaires les plus obstinés, les pécheurs les plus endurcis, les âmes les plus tièdes, tout a cédé aux charmes de votre parole et de vos exemples. Que nous aimons à vous contempler, auprès du berceau de l'Enfant qui vient nous aimer, mêlant votre gloire avec celle de Jean et des Innocents : Apôtre comme le premier, simple comme les fils de Rachel ! Fixez pour jamais notre cœur dans cette heureuse compagnie ; qu'il apprenne enfin que le joug de l'Emmanuel est doux, et son fardeau léger.

Réchauffez nos âmes au feu de votre charité ; soutenez en elles le désir de la perfection. Docteur des voies spirituelles, introduisez-nous dans cette Vie sainte dont vous avez tracé les lois ; ranimez dans nos cœurs l'amour du prochain, sans lequel nous ne pourrions espérer de posséder l'amour de Dieu ; initiez-nous au zèle que vous avez eu pour le salut des âmes ; enseignez-nous la patience et le pardon des injures, afin que nous nous aimions tous, non seulement de bouche et de parole, comme parle Jean votre modèle, mais en œuvre et en vérité (I Johan. III, 18.).
Bénissez l'Eglise de la terre, au sein de laquelle votre souvenir est encore aussi présent que si vous veniez de la quitter pour celle du ciel ; car vous n'êtes plus seulement l'Evêque de Genève, mais l'objet de l'amour et de la confiance de l'univers entier.

Hâtez la conversion générale des sectateurs de l'hérésie Calviniste. Déjà vos prières ont avancé l'œuvre du retour ; et le Sacrifice de l'Agneau s'offre publiquement au sein même de Genève. Consommez au plus tôt le triomphe de l'Eglise-Mère. Extirpez du milieu de nous lès derniers restes de l'hérésie Jansénienne, qui se préparait à semer son ivraie dans la France, aux jours mêmes où le Seigneur vous retirait de ce monde. Purgez nos contrées des maximes et des habitudes dangereuses qu'elles ont héritées des temps malheureux où cette secte perverse triomphait dans son audace.

Bénissez de toute la tendresse de votre cœur paternel le saint Ordre que vous avez fondé, et que vous avez donné à Marie sous le titre de sa Visitation. Conservez-le dans l'état où il fait l'édification de l'Eglise ; donnez-lui accroissement, dirigez-le, afin que votre esprit se maintienne dans la famille dont vous êtes le père. Protégez l'Episcopat dont vous êtes l'ornement et le modèle ; demandez à Dieu, pour son Eglise, des Pasteurs formés à votre école, embrasés de votre zèle, émules de votre sainteté. Enfin, souvenez-vous de la France, avec laquelle vous avez contracté des liens si étroits. Elle s'émut au bruit de vos vertus, elle convoita votre Apostolat, elle vous a donné votre plus fidèle coopératrice; vous avez enrichi sa langue de vos admirables écrits ; c'est de son sein même que vous êtes parti pour aller à Dieu : du haut du ciel, regardez-la aussi comme votre patrie."


Une édition des oeuvres complètes de saint François de Sales.
Paris. 1866.

Rq : On lira avec fruit les oeuvres de saint François de Sales sur ce lien : http://jesusmarie.free.fr/francois_de_sales.html
Le visiteur protestant, droit d'intention, sera mis sur le chemin de la conversion en lisant sa Lettre ouverte aux Protestants sur ce lien : http://jesusmarie.free.fr/francois_de_sales_lettre_ouvert...

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dimanche, 28 janvier 2024

Dimanche de la Septuagésime.

- Dimanche de la Septuagésime.



La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

La sainte Eglise nous rassemble aujourd'hui pour repasser avec nous le lamentable récit de la chute de notre premier père. Un si affreux désastre nous fait déjà pressentir le dénouement de la vie mortelle du Fils de Dieu fait homme, qui a daigné prendre sur lui la charge d'expier la prévarication du commencement et toutes celles qui l'ont suivie. Pour être en mesure d'apprécier le remède, il nous faut sonder la plaie. Cette semaine sera donc employée à méditer la gravité du premier péché, et toute la suite des malheurs qu'il a entraînés sur l'espèce humaine.

Autrefois l'Eglise lisait en ce jour, à l'Office de Matines, la narration simple et sublime par laquelle Moïse a initié toutes les générations à ce triste événement. La disposition actuelle de la Liturgie n'amène pas cette lecture avant le Mercredi de cette semaine, les jours qui précèdent étant employés à lire le récit des six jours de la création. Nous placerons néanmoins dès aujourd'hui cette importante lecture, comme le fondement des enseignements de la semaine.

Lecture du Livre de la Genèse. Chap. III. :



Eve écoute le serpent. Ars moriendi. XVe.

" Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait formés sur la terre. Il dit à la femme :
" Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du jardin ?"
La femme lui répondit :
" Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le jardin ; mais, pour ce qui est du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a commandé de n'en point manger, et de n'y point toucher, de peur que nous ne mourrions."
Le serpent dit à la femme :
" Assurément, vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que le jour où vous en aurez mangé, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal."
La femme donc considéra que le fruit de cet arbre était bon à manger, qu'il était beau et agréable à la vue, et, en ayant pris, elle en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi. Et en même temps, leurs yeux furent ouverts à tous deux.



Adam et Eve mange du fruit de l'Arbre.
Heures à l'usage de Rouen. XVIe.

Ayant reconnu leur nudité, ils entrelacèrent des feuilles de figuier, et s'en firent des ceintures. Et ayant entendu la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin après midi, à l'heure où il s'élève un vent doux, Adam et son épouse se cachèrent sous l'ombrage des arbres du jardin, pour fuir la face du Seigneur Dieu.
Et le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit :
" Où es tu ?"
Il répondit :
" J'ai entendu votre voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu ; c'est pourquoi je me suis caché."
Le Seigneur reprit :
" Qui t'a appris que tu étais nu, si ce n'est que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais commandé de ne pas manger ?"
Et Adam répondit :
" La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé."
Et le Seigneur Dieu dit à la femme :
" Pourquoi as-tu fait cela ?"
Elle répondit :
" Le serpent m'a trompée , et j'en ai mangé."



Dieu surprend Adam et Eve. Ars moriendi. XVe.

Et le Seigneur Dieu dit au serpent :
" Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et les bêtes de la terre. Tu ramperas sur ton ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne : elle t'écrasera la tête, et tu tâcheras de la mordre au talon."
Il dit aussi à la femme :
" Je multiplierai tes angoisses après que tu auras conçu ; tu enfanteras tes fils dans la douleur ; tu seras sous la puissance de l'homme, et il te dominera."
Il dit ensuite à Adam :
" Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais commandé de ne pas manger, la terre sera maudite à cause de ce que tu as fait : tu tireras d'elle ta nourriture à force de travail, tous les jours de ta vie. Elle te produira des épines et des ronces, et tu te nourriras de l'herbe de la terre. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes en la terre dont tu as été tiré : car tu es poussière, et tu rentreras dans la poussière."



Adam et Eve sont chassés du Paradis.
La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

La voilà cette page terrible des annales humaines. Elle seule nous explique la situation présente de l'homme sur la terre. Par elle aussi, nous apprenons l'attitude qui nous convient à l'égard de Dieu. Nous reviendrons sur ce lugubre récit dans les jours qui vont suivre ; dès à présent, il doit faire le principal objet de nos réflexions. Reprenons maintenant l'explication de la Liturgie d'aujourd'hui.

Dans l'Eglise grecque, le dimanche que nous appelons de la Septuagésime est désigné sous le nom de Prosphonésime, c'est-à-dire Proclamation, parce qu'il annonce au peuple le jeûne du Carême qui doit bientôt commencer. Il est aussi appelé le dimanche de l'Enfant prodigue, parce qu'on y lit cette parabole, comme une invitation aux pécheurs de recourir à la miséricorde de Dieu. Il faut observer néanmoins que ce Dimanche est le dernier jour de la semaine appelée Prosphonésime, laquelle commence dès le lundi précédent, selon la manière de compter des Grecs.

A LA MESSE

La Station, à Rome, est dans l'Eglise de Saint-Laurent-hors-les-Murs. Les anciens liturgistes font remarquer la relation qui existe entre le juste Abel, dont le sang répandu par son frère fait l'objet d'un des Répons des Matines d'aujourd'hui, et le courageux martyr sur le tombeau duquel l'Eglise Romaine vient ouvrir la Septuagésime.

ÉPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. Chap. IX.



La Cité de Dieu. Bourgogne. XVe.

" Mes Frères, ne savez-vous pas que, quand on court dans la lice, tous courent, mais qu'un seul remporte le prix ? Courez donc de telle sorte que vous le remportiez. Or, tout athlète garde en toutes choses la tempérance, et ils ne le font que pour gagner une couronne corruptible ; la nôtre au contraire sera incorruptible. Pour moi, je cours, mais non pas comme au hasard ; je combats, mais non pas en donnant des coups en l'air ; je châtie mon corps, et je le réduis en servitude ; de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne devienne moi-même réprouvé. Je ne veux pas que vous ignoriez, mes Frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous passé la mer ; qu'ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer ; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient de l'eau de la Pierre spirituelle qui les suivait ; et cette Pierre était Jésus-Christ. Mais cependant, sur un si grand nombre, il y en eut peu qui fussent agréables à Dieu."

La parole énergique de l'Apôtre vient augmenter encore l'émotion que nous apportent les grands souvenirs qui se rattachent à ce jour. Il nous dit que ce monde est une arène dans laquelle il faut courir, et que le prix n'est que pour ceux dont la marche est agile et dégagée. Gardons-nous donc de ce qui pourrait appesantir notre course et nous faire manquer la couronne.

Ne nous faisons pas illusion : rien n'est sûr pour nous, tant que nous ne sommes pas au bout de la carrière. Notre conversion n'a pas été plus sincère que celle de saint Paul, nos œuvres plus dévouées et plus méritoires que les siennes; toutefois, il le confesse lui-même, la crainte de devenir réprouvé n'est pas entièrement éteinte dans son cœur. Il châtie son corps, et il le réduit en servitude.

L'homme dans l'état actuel n'a plus cette volonté droite qu'avait Adam avant son péché, et dont cependant il sut faire un si malheureux usage. Un penchant fatal nous entraîne, et nous ne pouvons garder l'équilibre qu'en sacrifiant la chair à l'esprit.
Cette doctrine paraît dure au grand nombre, et c'est pour cela que beaucoup n'arriveront pas au terme de la carrière, et n'auront pas part à la récompense qui leur était destinée.

Comme les Israélites dont parle ici l'Apôtre, ils mériteront d'être ensevelis dans le désert, et ne verront pas la terre promise. Néanmoins, les mêmes merveilles dont turent témoins Josué et Caleb s'étaient accomplies sous leurs yeux ; mais rien ne guérit l'endurcissement d'un cœur qui s'obstine à mettre tout son espoir dans les choses de la vie présente, comme si leur périlleuse vanité ne se révélait pas d'elle-même à chaque heure.

Mais si le cœur se confie en Dieu, s'il se fortifie par la pensée que le secours divin ne manque jamais à celui qui l'implore, il parcourra sans faiblir l'arène de cette vie, et il arrivera heureusement au terme. Le Seigneur a les yeux constamment ouverts sur celui qui travaille et qui souffre.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. XX.



Les ouvriers de la dernière heure.
Nicolaes Cornelisz Moyaert. Pays-Bas. XVIIe.

" En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples cette parabole :
" Le royaume des cieux est semblable à un père de famille qui sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Etant demeuré d'accord avec eux d'un denier pour leur journée, il les envoya dans sa vigne. Et étant sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se tenaient sur la place sans rien faire, et il leur dit :
" Allez-vous-en aussi dans ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste."
Et ils y allèrent.
Il sortit encore sur la sixième et la neuvième heure, et il fit la même chose.
Enfin étant sorti sur la onzième heure, il en trouva d'autres qui étaient là, et il leur dit :
" Pourquoi demeurez-vous ici le long du jour sans travailler ?"
Et ils lui dirent :
" Parce que personne ne nous a loués."
Il leur dit :
" Allez-vous-en aussi dans ma vigne."
Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant :
" Appelle les ouvriers, et donne-leur le salaire, en commençant par les derniers et finissant par les premiers."

Ceux donc qui n'étaient venus que vers la onzième heure, s'étant approchés, reçurent chacun un denier. Ceux qui étaient venus les premiers pensèrent qu'ils allaient recevoir davantage ; mais ils ne reçurent que chacun un denier. Et en le recevant, ils murmuraient contre le père de famille et disaient :
" Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et vous leur avez donné autant qu'à nous qui avons porté le poids du jour et de la chaleur."
Mais il répondit à l'un d'eux :
" Mon ami, je ne vous fais point de tort. N'êtes-vous pas convenu avec moi d'un denier ? Prenez ce qui vous appartient et vous en allez ; mais je veux donner à ce dernier autant qu'à vous. Est-ce qu'il ne m'est pas permis de faire ce que je veux ? Votre œil est-il mauvais parce que je suis bon ? Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers, parce qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus."



Missel à l'usage de Saint-Didier d'Avignon. XIVe.

Il importe de bien saisir ce célèbre passage de l'Evangile, et d'apprécier les motifs qui ont porté l'Eglise à le placer en ce jour. Considérons d'abord les circonstances dans lesquelles le Sauveur prononce cette parabole, et le but d'instruction qu'il s'y propose directement. Il s'agit d'avertir les Juifs que le jour approche où leur loi tombera pour faire place à la loi chrétienne, et de les disposer à accueillir favorablement l'idée que les Gentils vont être appelés à former alliance avec Dieu.

La vigne dont il est ici question est l'Eglise sous ses différentes ébauches, depuis le commencement du monde, jusqu'à ce que Dieu vînt lui-même habiter parmi les hommes et constituer sous une forme visible et permanente la société de ceux qui croient en lui.

Le matin du monde dura depuis Adam jusqu'à Noé ; la troisième heure s'étendit de Noé jusqu'à Abraham ; la sixième heure commença à Abraham pour aller jusqu'à Moïse ; la neuvième heure fut l'âge des Prophètes, jusqu'à l'avènement du Seigneur. Le Messie est venu à la onzième heure, lorsque le monde semblait pencher à son déclin. Les plus grandes miséricordes ont été réservées pour cette période durant laquelle le salut devait s'étendre aux Gentils par la prédication des Apôtres.

C'est ce dernier mystère par lequel Jésus-Christ veut confondre l'orgueil judaïque. Il signale les répugnances que les Pharisiens et les Docteurs de la Loi éprouvaient en voyant l'adoption s'étendre aux nations, par les remontrances égoïstes que les ouvriers des premières heures osent faire au Père de famille. Cette obstination sera punie comme elle le mérite. Israël, qui travaillait avant nous, sera rejeté à cause de la dureté de son cœur; et nous, Gentils, qui étions les derniers, nous deviendrons les premiers, étant faits membres de cette Eglise catholique, qui est l'Epouse du Fils de Dieu.



Evangéliaire à l'usage de Cambrai. XIIIe.

Telle est l'interprétation donnée à cette parabole par les saints Pères, notamment par saint Augustin et saint Grégoire le Grand ; mais cet enseignement du Sauveur présente encore un autre sens également justifié par l'autorité de ces deux saints Docteurs. Il s'agit ici de l'appel que Dieu adresse à chaque homme pour l'inviter à mériter le Royaume éternel par les pieux labeurs de cette vie.

Le matin, c'est notre enfance ; la troisième heure, selon la manière de compter des anciens, est celle où le soleil commence à monter dans le ciel : c'est l'âge de la jeunesse.

La sixième heure, par laquelle on désignait ce que nous appelons Midi, est l'âge d'homme.

La onzième heure précède de peu d'instants le coucher du soleil : c'est la vieillesse.

Le Père de famille appelle ses ouvriers à ces différentes heures ; c'est eux de se rendre, dès qu'ils ont entendu sa voix ; mais il n'est pas permis à ceux qui sont conviés dès le matin de retarder leur départ pour la vigne, sous le prétexte qu'ils se rendront plus tard, lorsque la voix du Maître se fera entendre de nouveau. Qui les a assurés que leur vie se prolongera jusqu'à la onzième heure ? Lorsque la troisième sonne, peut-on compter même sur la sixième ? Le Seigneur ne convoquera au travail des dernières heures que ceux qui seront en ce monde lorsqu'elles viendront à sonner ; et il ne s'est point engagé à adresser une nouvelle invitation à ceux qui auront dédaigné la première.