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mercredi, 28 juin 2023

28 juin. Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.

- Saint Irénée, évêque de Lyon, docteur de l'Eglise, et ses compagnons, martyrs. 202.

Pape : Saint Zéphirin. Empereur romain : Septime Sévère.

" Irénée, successeur du martyr saint Pothin, donné pour évêque à la ville de Lyon par saint Polycarpe, m'apparaît avec une brillante auréole de vertus."
Saint Grégoire de Tours.

" Ô Bon Dieu, pour quels temps m'as-tu réservé, faut-il que je supporte de telles choses !"
Saint Polycarpe.


Saint Irénée. Fresque d'Auguste Cornu.
Chapelle du Palais de l'Elysée. Paris. XIXe.

L'Eglise de Lyon présente à la reconnaissante admiration du monde, en ce jour où l'on fête saint Léon II pape, son grand docteur, le pacifique et vaillant Irénée, lumière de l'Occident (Theodoret. Haeretic. fabul. I, 5.). A cette date qui le vit confirmer dans son sang la doctrine qu'il avait prêchée, il est bon de l'écouter rendant à l'Eglise-mère le témoignage célèbre qui, jusqu'à nos temps, a désespéré l'hérésie et confondu l'enfer ; c'est pour une instruction si propre à préparer nos cœurs aux gloires du lendemain, que l'éternelle Sagesse a voulu fixer aujourd'hui son triomphe. Entendons l'élève de Polycarpe, l'auditeur zélé des disciples des Apôtres, celui que sa science et ses pérégrinations, depuis la brillante Ionie jusqu'au pays des Celtes, ont rendu le témoin le plus autorisé de la foi des Eglises au second siècle. Toutes ces Eglises, nous dit l'évêque de Lyon, s'inclinent devant Rome la maîtresse et la mère.

" Car c'est avec elle, à cause de sa principauté supérieure, qu'il faut que s'accordent les autres ; c'est en elle que les fidèles qui sont en tous lieux, gardent toujours pure la foi qui leur fut prêchée. Grande et vénérable par son antiquité entre toutes, connue de tous, fondée par Pierre et Paul les deux plus glorieux des Apôtres, ses évêques sont, par leur succession, le canal qui transmet jusqu'à nous dans son intégrité la tradition apostolique : de telle sorte que quiconque diffère d'elle en sa croyance, est confondu par le seul fait." (Cont. Haeres. III, III, 2.).

La pierre qui porte l'Eglise était dès lors inébranlable aux efforts de la fausse science. Et pourtant ce n'était pas une attaque sans périls que celle de la Gnose, hérésie multiple, aux trames ourdies, dans un étrange accord, par les puissances les plus opposées de l'abîme. On eût dit que, pour éprouver le fondement qu'il avait posé, le Christ avait permis à l'enfer d'essayer contre lui l'assaut simultané de toutes les erreurs qui se divisaient alors le monde, ou même devaient plus tard se partager les siècles. Simon le Mage, engagé par Satan dans les filets des sciences occultes, fut choisi pour lieutenant du prince des ténèbres dans cette entreprise. Démasqué à Samarie par le vicaire de l'Homme-Dieu, il avait commencé, contre Simon Pierre, une lutte jalouse qui ne se termina point à la mort tragique du père des hérésies, mais continua plus vive encore dans le siècle suivant, grâce aux disciples qu'il s'était formés.

Saturnin, Basilide, Valentin ne firent qu'appliquer les données du maître, en les diversifiant selon les instincts que faisait naître autour d'eux la corruption de l'esprit ou du cœur. Procédé d'autant plus avouable, que la prétention du Mage avait été de sceller l'alliance des philosophies, des religions, des aspirations les plus contradictoires de l'humanité. Il n'était point d'aberrations, depuis le dualisme persan, l'idéalisme hindou, jusqu'à la cabale juive et au polythéisme grec, qui ne se donnassent la main dans le sanctuaire réservé de la Gnose ; là, déjà, se voyaient formulées les hétérodoxes conceptions d'Arius et d'Eutychès ; là par avance prenaient mouvement et vie, dans un roman panthéistique étrange, les plus bizarres des rêves creux de la métaphysique allemande. Dieu abîme, roulant de chute en chute jusqu'à la matière, pour prendre conscience de lui-même dans l'humanité et retourner par l'anéantissement au silence éternel : c'était tout le dogme de la Gnose, engendrant pour morale un composé de mystique transcendante et de pratiques impures, posant en politique les bases du communisme et du nihilisme modernes.

Combien ce spectacle de la Babel gnostique, élevant ses matériaux incohérents sur les eaux de l'orgueil ou des passions immondes, était de nature à faire ressortir l'admirable unité présidant aux accroissements de la cité sainte ! Saint Irénée, choisi de Dieu pour opposer à la Gnose les arguments de sa puissante logique et rétablir contre elle le sens véritable des Ecritures, excellait plus encore, quand, en face des mille sectes portant si ouvertement la marque du père de la division et du mensonge, il montrait l'Eglise gardant pieusement dans l'univers entier la tradition reçue des Apôtres. La foi à la Trinité sainte gouvernant ce monde qui est son ouvrage , au mystère de justice et de miséricorde qui, délaissant les anges tombés, a relevé jusqu'à notre chair en Jésus le bien-aimé, fils de Marie, notre Dieu, notre Sauveur et Roi : tel était le dépôt que Pierre et Paul, que les Apôtres et leurs disciples avaient confié au monde (Cont. Haeres. I, X, 1.).


Eglise Saint-Irénée telle qu'elle fut laissée après avoir été
pillée et ravagée par les bêtes féroces calvinstes en 1562.

" L'Eglise donc, constate saint Irénée dans son pieux et docte enthousiasme, l'Eglise ayant reçu cette foi la garde diligemment, faisant comme une maison unique de la terre où elle vit dispersée : ensemble elle croit, d'une seule âme, d'un seul cœur ; d'une même voix elle prêche, enseigne, transmet la doctrine, comme n'ayant qu'une seule bouche. Car, encore bien que dans le monde les idiomes soient divers, cela pourtant n'empêche point que la tradition demeure une en sa sève. Les églises fondées dans la Germanie, chez les Ibères ou les Celtes, ne croient point autrement, n'enseignent point autrement que les églises de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ou celles qui sont établies au centre du monde. Mais comme le soleil, créature de Dieu, est le même et demeure un dans l'univers entier : ainsi l'enseignement de la vérité resplendit, illuminant tout homme qui veut parvenir à la connaissance du vrai. Que les chefs des églises soient inégaux dans l'art de bien dire, la tradition n'en est point modifiée : celui qui l'expose éloquemment ne saurait l'accroître ; celui qui parle avec moins d'abondance ne la diminue pas." (Cont. Haeres. I, X, 2.).

Unité sainte, foi précieuse déposée comme un ferment d'éternelle jeunesse en nos cœurs, ceux-là ne vous connaissent point qui se détournent de l'Eglise. S'éloignant d'elle , ils perdent Jésus et tous ses dons.
" Car où est l'Eglise, là est l'Esprit de Dieu ; et où se trouve l'Esprit de Dieu, là est l'Eglise et toute grâce. Infortunés qui s'en séparent, ils ne puisent point la vie aux mamelles nourrissantes où les appelait leur mère, ils n'étanchent point leur soif à la très pure fontaine du corps du Sauveur ; mais, loin de la pierre unique, ils s'abreuvent à la boue des citernes creusées dans le limon fétide où ne séjourne point l'eau de la vérité." (Cont. Haeres. III, XXIV, 1-2.).

Sophistes pleins de formules et vides du vrai, que leur servira leur science ?
" Oh ! Combien, s'écrie l'évêque de Lyon dans un élan dont l'auteur de l’Imitation semblera s'inspirer plus tard (De Imitatione Christi, L. 1, cap. 1-5.), combien meilleur il est d'être ignorant ou de peu de science, et d'approcher de Dieu par l'amour ! Quelle utilité de savoir, de passer pour avoir beaucoup appris, et d'être ennemi de son Seigneur ? Et c'est pourquoi Paul s'écriait : La science enfle, mais la charité édifie (I Cor. VIII, 1.). Non qu'il réprouvât la vraie science de Dieu : autrement, il se fût condamné lui-même le premier ; mais il voyait que quelques-uns, s'élevant sous prétexte de science, ne savaient plus aimer. Oui certes, pourtant, mieux vaut ne rien du tout savoir, ignorer les raisons des choses, et croire à Dieu et posséder la charité. Evitons la vaine enflure qui nous ferait déchoir de l'amour, vie de nos âmes ; que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, crucifié pour nous, soit toute notre science." (Cont. Haeres. II, XXVI, 1.).

Plutôt que de relever ici, à la suite d'illustres auteurs, le génie de l'éminent controversiste du second siècle, il nous plaît de citer de ces traits qui nous font entrer dans sa grande âme, et nous révèlent sa sainteté si aimante et si douce.
" Quand viendra l'Epoux, dit-il encore des malheureux qu'il voudrait ramener, ce n'est pas leur science qui tiendra leur lampe allumée, et ils se trouveront exclus de la chambre nuptiale." (Ibid. XXVII, 2.).

En maints endroits, au milieu de l'argumentation la plus serrée, celui qu'on pourrait appeler le petit-fils du disciple bien-aimé trahit son cœur ; il montre sur les traces d'Abraham la voie qui conduit à l'Epoux : sa bouche alors redit sans fin le nom qui remplit ses pensées. Nous reconnaîtrons, dans ces paroles émues, l'apôtre qui avait quitté famille et patrie pour avancer le règne du Verbe en notre terre des Gaules :
" Abraham fit bien d'abandonner sa parenté terrestre pour suivre le Verbe de Dieu, de s'exiler avec le Verbe pour vivre avec lui. Les Apôtres rirent bien, pour suivre le Verbe de Dieu, d'abandonner leur barque et leur père. Nous aussi, qui avons la même foi qu'Abraham, nous faisons bien, portant la croix comme Isaac le bois, de marcher à sa suite. En Abraham l'humanité connut qu'elle pouvait suivre le Verbe de Dieu, et elle affermit ses pas dans cette voie bienheureuse (Cont. Haeres. IV, V, 3, 4.). Le Verbe, lui, cependant, disposait l'homme aux mystères divins par des figures éclairant l'avenir (Ibid. XX, II.). Moïse épousait l'Ethiopienne, rendue ainsi fille d'Israël : et par ces noces de Moïse les noces du Verbe étaient montrées, et par cette Ethiopienne était signifiée l'Eglise sortie des gentils (Ibid. 12.) ; en attendant le jour où le Verbe lui-même viendrait laver de ses mains, au banquet de la Cène, les souillures des filles de Sion (Ibid. XXII, 1.). Car il faut que le temple soit pur, où l'Epoux et l'Epouse goûteront les délices de l'Esprit de Dieu ; et comme l'Epouse ne peut elle-même prendre un Epoux, mais doit attendre qu'elle soit recherchée : ainsi cette chair ne peut monter seule à la magnificence du trône divin ; mais quand l'Epoux viendra, il l'élèvera, elle le possédera moins qu'elle ne sera possédée par lui (Cont. Haeres. V, IX, 4.). Le Verbe fait chair se l'assimilera pleinement, et la rendra précieuse au Père par cette conformité avec son Verbe visible (Ibid. XVI, 2.). Et alors se consommera l'union à Dieu dans l'amour. L'union divine est vie et lumière; elle donne la jouissance de tous les biens qui sont à Dieu ; elle est éternelle de soi, comme ces biens eux-mêmes. Malheur à ceux qui s'en éloignent : leur châtiment vient moins de Dieu que d'eux-mêmes et du libre choix par lequel, se détournant de Dieu, ils ont perdu tous les biens." (Ibid. XXVII, 2.).


Saint Polycarpe. Mosaïque. Basilique Saint-Apollinaire. Ravenne. VIe.

La perte de la foi étant, de toutes les causes de l'éloignement de Dieu, la plus radicale et la plus profonde, on ne doit pas s'étonner de l'horreur qu'inspirait l'hérésie, dans ces temps où l'union à Dieu était le trésor qu'ambitionnaient toutes les conditions et tous les âges. Le nom d'Irénée signifie la paix ; et, justifiant ce beau nom, sa condescendante charité amena un jour le Pontife Romain à déposer ses foudres dans la question, pourtant si grave, de la célébration de la Pâque. Néanmoins, c'est Irénée qui nous rapporte de Polycarpe son maître, qu'ayant rencontré Marcion l'hérétique, sur sa demande s'il le connaissait, il lui répondit :
" Je te reconnais pour le premier-né de Satan." (Ibid. III, 4.).
C'est lui encore de qui nous tenons que l'apôtre saint Jean s'enfuit précipitamment d'un édifice public, à la vue de Cérinthe qui s'y trouvait, de peur, disait-il, que la présence de cet ennemi de la vérité ne fît écrouler les murailles :
" Tant, remarque l'évêque de Lyon, les Apôtres et leurs disciples avaient crainte de communiquer, même en parole, avec quelqu'un de ceux qui altéraient la vérité." (Cont. Hœres. III, III,4.).

Celui que les compagnons de Pothin et de Blandine nommaient dans leur prison le zélateur du Testament du Christ (Ep. Martyr. Lugdun. et Vienn. ad Eleuther. Pap.), était, sur ce point comme en tous les autres, le digne héritier de Jean et de Polycarpe. Loin d'en souffrir, son cœur, comme celui de ses maîtres vénérés, puisait dans cette pureté de l'intelligence la tendresse infinie dont il faisait preuve envers les égarés qu'il espérait sauver encore. Quoi de plus touchant que la lettre écrite par Irénée à l'un de ces malheureux, que le mirage des nouvelles doctrines entraînait au gouffre :
" Ô Florinus, cet enseignement n'est point celui que vous ont transmis nos anciens, les disciples des Apôtres. Je vous ai vu autrefois près de Polycarpe ; vous brilliez à la cour, et n'en cherchiez pas moins à lui plaire. Je n'étais qu'un enfant, mais je me souviens mieux des choses d'alors que des événements arrivés hier ; les souvenirs de l'enfance font comme partie de l'âme, en effet ; ils grandissent avec elle. Je pourrais dire encore l'endroit où le bienheureux Polycarpe s'asseyait pour nous entretenir, sa démarche, son abord, son genre de vie, tous ses traits, les discours enfin qu'il faisait à la multitude. Vous vous rappelez comment il nous racontait ses relations avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur, avec quelle fidélité de mémoire il redisait leurs paroles ; ce qu'il en avait appris touchant le Seigneur, ses miracles, sa doctrine, Polycarpe nous le transmettait comme le tenant de ceux-là mêmes qui avaient vu de leurs yeux le Verbe de vie ; et tout, dans ce qu'il nous disait, était conforme aux Ecritures. Quelle grâce de Dieu que ces entretiens ! j'écoutais avidement, transcrivant tout, non sur le parchemin, mais dans mon cœur ; et à l'heure qu'il est, parla même grâce de Dieu, j'en vis toujours. Aussi puis-je l'attester devant Dieu : si le bienheureux, l'apostolique vieillard, eût entendu des discours tels que les vôtres, il eût poussé un grand cri, et se serait bouché les oreilles, en disant selon sa coutume :
" Ô Dieu très bon, à quels temps m'avez-vous réservé !" Et il se fût levé aussitôt pour fuir ce lieu de blasphème."
(Ep. ad Florinum.).

 
Saint Irénée enseignant. Gravure du XIXe.

Au 2 juin, nous fêtions les saints martyrs de Lyon, saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons, immolés en 177. Les survivants, émus du trouble que suscitait le mouvement prophétique montaniste (1), né en Asie Mineure, envoyèrent des lettres aux Eglises d'Asie et de Phrygie (2), et au pape Eleuthère.

Ils demandèrent à Irénée d’être leur ambassadeur auprès du Pape ; Irénée était muni de cette recommandation :
" Nous avons chargé de te remettre cette lettre notre frère et compagnon, Irénée, et nous te prions de lui faire bon accueil, comme à un zélateur du testament du Christ. Si nous pensions que le rang crée la justice, nous le présenterions d'abord comme prêtre d'Eglise, car il est cela."

Le nom d'Irénée dérive du mot grec qui veut dire " paix ". Irénée recevait une mission de paix. Il serait toujours agent de liaison, d'union, de paix. A son retour, le vieil évêque Pothin était mort martyr (3), et Irénée fut élu pour lui succéder.

Irénée naquit en Asie proconsulaire , non loin de la ville de Smyrne. Il s'était mis dès son enfance à l'école de Polycarpe , disciple de saint Jean l'Evangéliste et évêque de Smyrne. Sous un si excellent maître, il fit des progrès merveilleux dans la science de la religion et la pratique des vertus chrétiennes. Il était embrasé d'un incroyable désir d'apprendre les doctrines qu'avaient reçues en dépôt tous les disciples des Apôtres ; aussi, quoique déjà maître dans les saintes Lettres, lorsque Polycarpe eut été enlevé au ciel dans la gloire du martyre , il entreprit de visiter le plus grand nombre qu'il put de ces anciens , tenant bonne mémoire de tous leurs discours. C'est ainsi que, par la suite, il lui fut possible de les opposer avec avantage aux hérésies. Celles-ci, en effet, s'étendant toujours plus chaque jour, au grand dommage du peuple chrétien, il avait conçu la pensée d'en faire une réfutation soignée et approfondie.


Saint Pothin et saint Irénée. Fresque.
Prieuré Saint-Romain à Saint-Romain-le-Puy. IVe.

Venu dans les Gaules, il fut attaché comme prêtre à l'église de Lyon par l'évêque saint Pothin, et brilla dans cette charge par le zèle,la parole et la science. Vrai zélateur du testament du Christ, au témoignage des saints martyrs qui combattirent vaillamment pour la foi sous l'empereur Marc-Aurèle, ces généreux athlètes et le clergé de Lyon ne crurent pouvoir remettre en meilleures mains qu'en les siennes l'affaire de la pacification des églises d'Asie, que l'hérésie de Montan avait troublées ; dans cette cause donc qui leur tenait à cœur, ils choisirent Irénée entre tous comme le plus digne , et l'envoyèrent au Pape Eleuthère pour le prier de condamner par sentence Apostolique les nouveaux sectaires, et de mettre ainsi fin aux dissensions.

Le saint évêque Pothin était mort martyr. Irénée lui fut donné pour successeur. Son épiscopat fut si heureux, grâce à la sagesse dont il fit preuve, à sa prière, à ses exemples, qu'on vit bientôt, non seulement la ville de Lyon tout entière , mais encore un grand nombre d'habitants d'autres cités gauloises, renoncer à l'erreur de leurs superstitions et donner leur nom à la milice chrétienne. Cependant une contestation s'était élevée au sujet du jour où l'on devait célébrer la Pâque ; les évêques d'Asie étaient en désaccord avec presque tous leurs autres collègues, et le Pontife Romain, Victor, les avait déjà séparés de la communion des saints ou menaçait de le faire, lorsque Irénée se fit près de lui le respectueux apôtre de la paix : s'appuyant de la conduite des pontifes précédents, il l'amena à ne pas souffrir que tant d'églises fussent arrachées à l'unité catholique, pour un rit qu'elles disaient avoir reçu de leurs pères.

Il écrivit de nombreux ouvrages , qui sont mentionnes par Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. Une grande partie a péri par injure des temps. Mais nous avons toujours ses cinq livres contre les hérésies, composés environ l'an cent quatre-vingt, lorsqu'Eleuthère gouvernait encore l'Eglise. Au troisième livre , l'homme de Dieu, instruit par ceux qui furent sans conteste les disciples des Apôtres, rend à l'église Romaine et à la succession de ses évêques un témoignage éclatant et grave entre tous : elle est pour lui la fidèle, perpétuelle et très sûre gardienne de la divine tradition. Et c'est, dit-il, avec cette église qu'il faut que toute église, c’est-à-dire les fidèles qui sont en tous lieux, se tiennent d'accord à cause de sa principauté supérieure. Enfin il fut couronné du martyre, avec une multitude presque innombrable d'autres qu'il avait amenés lui-même a la connaissance et pratique de la vraie foi ; son passage au ciel eut lieu l'an deux cent deux ; en ce temps-là, Septime Sévère Auguste avait ordonné de condamner aux plus cruels supplices et à la mort, tous ceux qui voudraient persévérer avec constance dans la pratique de la religion chrétienne.


Martyre de saint Irénée et de ses compagnons.
Vie des saints. V. de Beauvais. XVe.

L’esprit d’Irénée, formé à l'admiration " des témoins du Verbe de vie ", avait donc reçu à un haut degré le culte de la tradition. On comprend que les nouveautés gnostiques aient trouvé en lui un adversaire implacable et toujours victorieux. La gnose (ce mot grec signifie science, connaissance) prétendait offrir à une élite des connaissances supérieures sur Dieu et l'univers. Le passage difficile de l'infini au fini se faisait dans ce système grâce à des émanations d'êtres intermédiaires, les éons, dont les accouplements étranges faisaient revivre les théogonies mythologiques.

Saint Irénée écrivit contre la gnose (4) " La réfutation de la fausse science " qu'on appelle aussi " Adversus hœreses " (Contre les hérésies). Il s'excusait de son mauvais style grec :
" Nous vivons chez les Celtes, et dans notre action auprès d'eux, usons souvent de la langue barbare."
Mais le contact avec ces barbares, qui portaient, gravé dans leur cœur le message du salut, était salutaire. Pour vaincre les novateurs, il suffisait presque de révéler leurs doctrines. L'emploi de l'ironie, à propos de tous ces enfantements d'éons, eût été facile. Mais Irénée cherchait surtout à convertir les gnostiques :
" De toute notre âme, nous leur tendons la main, et nous ne nous lasserons pas de le faire."
En face des rêveries morbides de ses adversaires, comme sa théologie apparaît simple, saine et optimiste :
" Le Verbe de Dieu, poussé par l'immense amour qu'il vous portait, s'est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu'il est lui-même."


Gravure du XVIIe.

Sans négliger la théologie rationnelle, Irénée a exposé avec bonheur l'argument de la tradition :
" La tradition des apôtres est manifeste dans le monde entier : il n'y a qu'à la contempler dans toute église, pour quiconque veut voir la vérité. Nous pouvons énumérer les évêques qui ont été institués par les apôtres, et leurs successeurs jusqu'à nous : ils n'ont rien enseigné, rien connu qui ressemblât à ces folies. Car si les apôtres avaient connu des mystères cachés dont ils auraient instruit les parfaits, en dehors et à l'insu du reste (des chrétiens), c'est surtout à ceux auxquels ils confiaient les Églises qu'ils les auraient communiqués. Ils exigeaient la perfection absolue, irréprochable, de ceux qui leur succédaient et auxquels ils confiaient, à leur place, la charge d'enseigner... Il serait trop long... d'énumérer les successeurs des apôtres dans toutes les Églises ; nous ne nous occuperons que de la plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ; nous montrerons que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous, par des successions régulières d'évêques... C'est avec cette Église, en raison de l'autorité de son origine, que doit être d'accord toute Eglise, c'est-à-dire tous les fidèles venus de partout ; et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition apostolique." (St Ir. Adversus hœreses, III, III, 1-2.)

Irénée a écrit aussi un petit livre, " Démonstration de la prédication apostolique ". Il était perdu. On l'a découvert en 1904, dans une traduction arménienne. Dans la controverse sur la date de Pâques, Irénée penchait pour l'usage de l'Asie, qui fêtait la résurrection du Christ le dimanche, et non un autre jour. Mais il tenait aussi à sauvegarder la charité, la tolérance. Il essayait de retenir le pape Victor sur le point d'excommunier les dissidents. Il avait écrit :
" Il n'y a pas de Dieu sans bonté."


Nécropole Saint-Irénée. Lyon.

Avec le martyrologe hiéronymien, saint Grégoire de Tours et les anciens bollandistes (Tillemont, Ruinart), on peut affirmer qu'il fut martyrisé à l'occasion des fêtes des decennales du règne de Septime-Sévère. Saint Irénée, d'après saint Grégoire de Tours, fut enterré dans la crypte de la basilique Saint-Jean, sous l'autel. A cette basilique, succéda une église Saint-Irénée, qui a donné son nom à un quartier de Lyon (rive droite de la Saône, sud-ouest de l'ancienne cité). En 1562, les bêtes féroces calvinistes dispersèrent les reliques du saint. Un antique calendrier de marbre, retrouvé à Naples, marque la passion d'Irénée au 27 juin.

PRIERE

" Quelle couronne est la vôtre, illustre Pontife ! Les hommes s'avouent impuissants à compter les perles sans prix dont elle est ornée. Car dans l'arène où vous l'avez conquise, un peuple entier luttait avec vous ; et chaque martyr, s'élevant au ciel, proclamait qu'il vous devait sa gloire. Versé vingt-cinq années auparavant, le sang de Blandine et de ses quarante-six compagnons a produit, grâce à vous, plus que le centuple. Votre labeur fit germer du sol empourpré la semence féconde reçue aux premiers jours, et bientôt la petite chrétienté perdue dans la grande ville était devenue la cité même. L'amphithéâtre avait suffi naguère à l'effusion du sang des martyrs ; aujourd'hui le torrent sacré parcourt les rues et les places : jour glorieux, qui fait de Lyon l'émule de Rome et la ville sainte des Gaules !

Rome et Lyon, la mère et la fille, garderont bonne mémoire de l'enseignement qui prépara ce triomphe : c'est aux doctrines appuyées par vous sur la fermeté de la pierre apostolique, que pasteur et troupeau rendent aujourd'hui le grand témoignage. Le temps doit venir, où une assemblée d'évêques courtisans voudra persuader au monde que l'antique terre des Gaules n'a point reçu vos dogmes ; mais le sang versé à flots en ce jour confondra la prétentieuse lâcheté de ces faux témoins. Dieu suscitera la tempête, et elle renversera le boisseau sous lequel, faute de pouvoir l'éteindre, on aura dissimulé pour un temps la lumière ; et cette lumière, que vous aviez placée sur le chandelier, illuminera tous ceux qui habitent la maison (Matth. V, 15.).

Les fils de ceux qui moururent avec vous sont demeurés fidèles à Jésus-Christ ; avec Marie dont vous exposiez si pleinement le rôle à leurs pères (Cont. Haeres. V, XIX.), avec le Précurseur de l'Homme-Dieu qui partage aussi leur amour, protégez-les contre tout fléau du corps et de l'âme. Epargnez à la France, repoussez d'elle, une seconde fois, l'invasion de la fausse philosophie qui a tenté de rajeunir en nos jours les données de la Gnose. Faites de nouveau briller la vérité aux yeux de tant d'hommes que l'hérésie, sous ses formes multiples, tient séparés de l'unique bercail. O Irénée, maintenez les chrétiens dans la seule paix digne de ce nom : gardez purs les intelligences et les cœurs de ceux que l'erreur n'a point encore souillés. En ce moment, préparez-nous tous à célébrer comme il convient les deux glorieux Apôtres Pierre et Paul, et la puissante principauté de la mère des Eglises.


Eglise Saint-Irénée aujourd'hui. Lyon.

NOTES

(1). Montan, prêtre païen converti, qui se mit à prophétiser la fin du monde et à prêcher la pénitence, vers 172, aux confins de la Mysie et de la Phrygie, et envoya des missionnaires dans toute l'Asie Mineure. Il en vint à prétendre être le Paraclet lui-même, venu compléter la révélation du Christ. Montan était mort avant 179. Le Montanisme est donc un mouvement de prophétisme et d'ascétisme. Il conservait à l'origine la foi commune, les Ecritures, l'attachement à l’Eglise, mais sa prétention à incarner la seule véritable Eglise de l'Esprit, comme son prophétisme incontrôlé, amenèrent une vive réaction de l'épiscopat, qui eut pour conséquence la séparation de Montan et de ses partisans d'avec l'Eglise. La propagande montaniste s'étendit dès le deuxième siècle jusqu’en Occident ; en Afrique au troisième siècle, elle entraîna Tertullien. La secte qui survécut plusieurs siècles, n’avait pas encore entièrement disparu au neuvième siècle.

(2). " Lettre des serviteurs du Christ qui habitent Vienne et Lyon, en Gaule, aux frères qui sont en Asie et en Phrygie, ayant la même foi et la même espérance de la rédemption."

(3). Le vénérable évêque de Lyon, Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, avait dû être porté jusqu'au tribunal où, interrogé par le légat sur ce qu'était le Dieu des chrétiens, il répondait :
" Tu le connaîtras, si tu en es digne."
Cette réponse lui valut d'être accablé d'injures, de coups de pieds et de coups de pierres, puis il fut de nouveau jeté en prison où il rendit l'âme quarante-huit heures plus tard.


(4). La gnose (d'un mot grec signifiant connaissance) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s'opposa à la gnose pour les principales raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l'Ancien Testament ; elle évacuait l'attente chrétienne de l'accomplissement eschatologique.

Rq : On lira et méditera Le traité contre les hérésies, lequel, faut-il insister, n'a rien perdu de son actualité, en particulier quant à la gnose, cette putréfaction intellectuelle, à l'origine d'un nombre effrayant d'hérésies :
http://www.jesusmarie.com/irenee_de_lyon.html

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mardi, 27 juin 2023

27 juin. Saint Ladislas Ier, roi de Hongrie. 1095.

- Saint Ladislas Ier, roi de Hongrie. 1095.
Les Hongrois l'appellent saint Lazlo. Les Francs l'honorèrent longtemps sous le nom de saint Lancelot.
 
Pape : Urbain II. Roi de France : Philippe Ier. Empereur germanique : Henri IV. Anti-empereur germanique : Conrad le Franc.
 
" Un bon prince doit être pour ses sujets ce qu'est un bon père pour ceux de sa maison."
 
 
Ce grand roi, Dieu l'a rendu plus illustre encore par d'insignes miracles. Quoique nous sachions peu de chose des vertus chrétiennes qu'il a pratiquées pendant sa vie, nous en connaissons assez pour dire qu'il n'a pas été moins relevé devant Dieu par sa sainteté, qu'il l'a été devant les hommes par le sage gouvernement de ses Etats.

Il ne descendait pas en ligne directe de saint Etienne, roi et apôtre de Hongrie, dont nous donnerons la vie au 20 août, mais de Ladislas, dit le Chauve, son cousin-germain, dont il était petit-fils. Béla, son père, fut quelque temps fugitif en Pologne, pour éviter la cruauté de Pierre le Germanique, gendre du même saint Etienne, que les Hongrois avaient fait leur roi. Mais André, son frère aîné et oncle de notre Saint, étant monté sur le trône, ce dernier revint en son pays, où il eut la qualité de duc, qui était la seconde de tout le royaume. Il avait épousé, en Pologne, pendant son exil, la fille de Mesco, duc de ce royaume, et il en avait eu deux fils : Geiza, l'aîné, et Ladislas, notre illustre confesseur ; il les amena tous deux avec lui.

L'éducation de ces enfants, tant en Pologne qu'en Hongrie, fut si avantageuse, qu'ils donnèrent, dès leur enfance, de grands présages de la vertu qu'ils ont fait paraître toute leur vie. Notre Saint était si chaste, si modeste, si dévot et si plein de tendresse et de charité pour les pauvres, qu'il était admiré de tout le monde.

Ce ne fut qu'avec douleur qu'il vit son père monter sur le trône, parce qu'il n'y monta qu'en faisant la guerre au roi, son frère, et en gagnant une victoire signalée contre lui car ce saint jeune homme était si éloigné de l'amour des grandeurs de la terre, qu'il eût mieux aimé vivre banni de son pays et dans la disette de toutes choses, que de posséder un royaume par des voies si peu légitimes. Il est vrai qu'André avait attenté à la vie de Béla, pour mieux assurer la couronne à Salomon, son fils, âgé seulement de douze ans ; mais Ladislas ne pensait pas que ce fût un sujet suffisant à son père pour prendre les armes contre son souverain, et il croyait qu'en cette rencontre il devait faire seulement comme David qui, poursuivi par Saùl, se contenta de fuir et de se cacher, sans jamais attenter à sa couronne ni à sa vie.
 

Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.

Aussi, après sa mort, il ne se laissa nullement aller à l'ambition de régner en sa place; au contraire, il céda très-volontiers cet honneur, premièrement à Salomon, flls d'André, son cousin-germain, et en second lieu à Geiza II, son frère aîné, quoique, le royaume étant en quelque manière électif, il eût pu y prétendre par la faveur de tous les gens de bien qui avaient une affection singulière pour lui.

Mais Geiza ayant chassé Salomon, prince cruel et sanguinaire, qui mutait tout à feu et à sang dans ses Etats, et lui-même étant mort depuis, dans la troisième année de son règne, tous les prélats, les seigneurs et les magistrats des principales villes de Hongrie, qui s'assemblèrent pour lui donner un successeur, supplièrent unanimement Ladislas d'accepter la couronne et de prendre le gouvernement du royaume. Il avait en effet toutes les qualités du corps et de l'esprit que l'on peut souhaiter dans un grand prince.

Il n'y avait personne dans toute la Hongrie, ni plus grand, ni d'un port plus majestueux que lui ; il était capable de toutes les affaires, tant de la paix que de la guerre, et il en supportait aisément toutes les fatigues. Il recevait tout le monde avec tant d'affabilité, que le moindre de ses vassaux avait la liberté de l'approcher et de lui représenter son droit. Il montrait tant de modération dans ses jugements, qu'on le regardait plutôt comme un père qui accommodait quelque différend de ses enfants, que comme un prince qui jugeait souverainement les causes de ses sujets ce qui lui avait fait donner le surnom de Pieux. La qualité de fils et de frëre de rois, ni celle de duc du premier duché du royaume, ne l'empêchèrent pas de se rendre familier avec les moins considérables de ses sujets, et de donner en toute occasion des marques d'une humilité vraiment chrétienne.

Statue de saint Ladislas. Hongrie.

Dans tous les besoins de l'Etat, qui fut souvent attaqué par les barbares, on le voyait toujours le premier à cheval pour le défendre, et, allant lui-même à la tête des armées sans rien craindre, il y remplissait le devoir du plus brave soldat et du plus intrépide capitaine ; il n'avait pas même fait difficulté, pour épargner le sang humain, d'appeler les généraux des armées ennemies en des combats singuliers dont il était toujours sorti victorieux.

Il demeura toujours très-chaste, malgré les dangers auxquels sa vertu fut exposée dans les cours. La sobriété était en lui la compagne inséparable de la continence, et, si sa qualité de prince l'obligeait ordinairement d'avoir une table bien servie, il n'y prenait que ce qui lui était absolument nécessaire pour vivre. Il jeûnait même souvent, couchait sur la dure et faisait d'autres mortifications pour dompter son corps et l'empêcher de se révolter contre l'esprit. S'il était si sévère à l'égard de lui-même, personne n'était plus doux et plus charitable que lui envers les nécessiteux.

Sa maison passait pour l'asile commun de tous les misérables, et, en effet, pas un n'en sortait sans y avoir reçu quelque soulagement à sa misère. Les pauvres montraient de tous côtés les habits dont il les avait revêtus et l'argent qu'il leur avait donné. Il prenait le soin de la subsistance des veuves, des pupilles et des orphelins, et leur faisait distribuer de grandes aumônes. Il mariait les pauvres filles qu'il voyait en danger de perdre leur honneur ; il relevait les familles ruinées par de fâcheux accidents ; et, pour tout dire en un mot, on trouvait auprès de lui un. secours assuré pour toute sorte de besoins. Les églises magnifiques qu'il avait fait construire après la défaite de Salomon, étaient une marque évidente de sa piété envers Dieu ; mais il l'avait fait paraître encore davantage en soutenant constamment par toute la Hongrie la religion chrétienne, pour laquelle la plus grands partie du peuple, et surtout des paysans accoutumés à leurs idoles, n'avaient pas grande inclination.



Vie de saint Ladislas. Manuscrit angevin de Hongrie. XIVe siècle.

Ce furent sans doute ces rares qualités qui obligèrent les seigneurs hongrois à lui présenter la couronne avec tant d'instance. Cependant il leur résista autant qu'il lui fut possible. Il considérait, d'un côté, que les rois sont exposés à une infinité de dangers de se perdre, parce que leurs obligations sont très-grandes et qu'ils ont devant les yeux mille attraits qui les empêchent de s'en acquitter ; et, d'autre part, il avait de la peine à prendre la qualité de roi pendant que Salomon, son cousin, à qui cette couronne semblait appartenir légitimement, était en vie ; et, en effet, Geiza, son frère, avant de mourir, avait tenté un accommodement avec ce prince, et n'était mort que dans la résolution de le faire s'il était possible.

Mais les Hongrois lui soutinrent que, ce royaume étant plutôt électif qu'héréditaire, ils avaient eu le droit de le donner à Geiza plutôt qu'à Salomon, et qu'ils avaient encore le droit de le préférer lui-même à ce prince cruel, qui ne pouvait monter sur le trône sans mettre toute la Hongrie en combustion ; d'ailleurs, ils lui protestèrent qu'ils n'auraient point d'autre roi que lui ; il fut donc enfin contraint de se rendre et d'accepter le gouvernement qu'ils lui offraient. Mais il garda encore en cela une modération digne d'un grand prince ; car, tant qu'il sut que son cousin était en vie, il ne voulut point être couronné ni porter le diadème montrant par là que, s'il était chargé de l'administration de l'Etat, il ne l'avait pas fait par un désir ambitieux de régner, mais seulement par nécessité et pour le grand amour qu'il portait à sa patrie.

Aussi, dès qu'il eut établi la paix et la piété dans le royaume, il n'épargna aucun moyen, ni divin, ni humain, pour gagner l'esprit de Salomon, et pour lui faire quitter cette humeur farouche et cruelle qui le faisait redouter de tout le monde ; il lui donna des pensions suffisantes pour entretenir, un train royal ; il lui envoya souvent des prélats et des hommes d'Etat qui devaient avoir du crédit sur son esprit, pour essayer de l'adoucir et de lui faire prendre des inclinations de père pour les peuples, et il était prêt à lui céder la couronne, s'il eût vu du changement dans ses moeurs.



Statue de saint Ladislas. Place des Héros. Budapest.

Mais ce prince, bien loin de correspondre aux saintes inclinations de Ladislas, fit ce qu'il put pour le détruire et lui dressa même des embûches où, sous prétexte d'un pourparler, il devait le tuer. Cela obligea notre Saint, averti de sa perfidie, de s'assurer de sa personne, et de le mettre en prison dans Vizzegrad, place forte de Hongrie; mais ce ne fut pas pour longtemps ; car, ayant appris d'une sainte religieuse que cette conduite n'était pas agréable à Dieu, et que c'était pour cela que la pierre du tombeau de saint Etienne, qu'il avait voulu faire lever pour transférer son corps sacré, était demeurée immobile, il le mit en liberté et le traita avec toute sorte d'humanité.

Depuis, ce roi dépouillé entra en diverses guerres contre les princes voisins, plutôt en chef de bandits qu'en grand capitaine ; mais, ayant un jour été entièrement défait, il fut contraint de s'enfuir tout seul dans une épaisse forêt, d'où il ne revint point. Les historiens disent qu'il y fut si puissamment touché de l'esprit de pénitence, qu'il y passa plusieurs années en solitude dans les larmes et des gémissements continuels, et sans avoir d'autre lit que les feuilles des arbres, d'autre vêtement qu'un cilice et quelques peaux de bêtes sauvages, ni d'autre nourriture que des herbes qu'il trouvait dans les bois, ou quelques pommes sauvages avec l'eau croupie des marais ; et qu'enfin il y mourut fort saintement et fut enterré à Pola, ville de l'Istrie. Cela nous donne sujet d'admirer la bonté infinie de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui abaisse les hommes pour les élever, qui les blesse pour les guérir, et qui les réduit à l'extrémité de la misère pour les faire entrer dans le chemin du véritable bonheur.

Salomon étant disparu de cette manière, Ladislas n'eut plus rien dans ses Etats qui pût s'opposer aux bons règlements qu'il y voulait établir. Ainsi il fit assembler un synode, où on fit en sa présence plusieurs belles ordonnances pour contenir ses sujets dans la justice et dans l'observance de la loi divine et elles furent ensuite réduites en trois livres que nous avons à la fin de l'Histoire de Hongrie, par Bonfinius. Son exemple fut encore plus efficace pour maintenir les Hongrois dans leur devoir, que toutes ses lois ; car il n'ordonnait rien qu'il ne fît le premier, et il était si fidèle observateur de tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'on pouvait l'appeler lui-même une loi vivante, qui représentait à chacun ce qu'il était obligé de faire. Son palais était si bien réglé, qu'on entendait ni jurement, ni blasphème, ni paroles déshonnëtes les jeûnes ecclésiastiques y étaient exactement gardés, et on y vivait avec tant de retenue, qu'il ressemblait plutôt à une maison religieuse qu'à la cour d'un roi.

Buste-reliquaire de saint Ladislas. Basilique Notre-Dame de Varadin.

Il avait été fort zélé à bâtir des églises, où les louanges de Dieu fussent chantées continuellement il en fonda encore d'autres depuis son avénement à la couronne, surtout la célèbre basilique de Notre-Dame de Varadin, qui fut érigée en évêché ; il assistait fort assidûment aux divins offices, et passait souvent plusieurs heures en prières en ces lieux de dévotion. Sa miséricorde pour les nécessiteux, bien loin de diminuer par son exaltation, s'augmenta au contraire notablement, et non-seulement il s'étudia a n'en point faire de nouveaux par la multiplication des impôts et des subsides, mais il s'appliqua aussi de tout son pouvoir à soulager ceux qui l'étaient ou qui le devenaient par le malheur de leurs affaires.

Il eut de grandes guerres pendant son règne il fut attaqué par les Huns, les Russes, les Polonais, les Bohémiens, et d'autres peuples voisins. Mais il les repoussa toujours, et remporta même sur eux des victoires signalées, principalement sur les Huns qu'il défit deux fois entièrement, et sur les Polonais, à qui il prit Cracovie, qui était la capitale du royaume. Avant de partir pour la guerre, il faisait toujours faire des prières publiques et un jeûne de trois jours; et, quoiqu'il eût soin d'assembler de bonnes troupes, qu'il marchât toujours à la tête et qu'il se jetât lui-même courageusement sur les ennemis, il ne mettait pas néanmoins sa confiance en ses forces, mais seulement dans le secours de Dieu, qu'il implorait avec de grandes instances. Il avait en particulier une grande dévotion à Notre Dame qui fut toujours sa meilleure alliée. Avant chaque bataille, il faisait toujours des prières publiques et les faisaient précéder de trois jours de jeûne.

Après tant de généreux exploits, son plus grand désir était de conduire une armée contre les infidèles, pour reprendre sur eux la Terre sainte, et délivrer de leurs mains le tombeau de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'espérance qu'il avait de répandre son sang pour la gloire de son Maître, et de devenir martyr l'animait principalement à cette expédition. Il s'en présenta une occasion très favorable car le célèbre Pierre l'Ermite avait prêché de-tous côtés la croisade par l'ordre du pape Urbain II. Les princes de France, d'Espagne et d'Angleterre, qui s'étaient croisés, envoyèrent une célèbre ambassade à notre saint roi, pour le prier d'être le chef de l'armée qu'ils préparaient, et qui ne devait pas être moindre de trois cent mille hommes.



La couronne de saint Etienne.
 
Ladislas reçut cette offre avec une joie incroyable, et, ayant aussi engagé le duc de Bohême, son neveu, dans une si noble entreprise, il s'y prépara avec toute la diligence possible mais Dieu en avait disposé autrement car, lorsqu'il n'attendait que le temps de l'aller faire régner dans la Palestine, en exterminant les Sarrasins, qui s'en était rendus les maîtres, il fut appelé lui-même dans le ciel pour y régner éternellement avec Jésus-Christ. Bonfinius dit que ce fut le 30 juillet et la dix-huitième année de son règne mais le martyrologe romain a mis sa mémoire le 27 juin, qui est le jour auquel se fit la translation de ses reliques.

On ne peut exprimer la douleur dont toute la Hongrie fut remplie lorsque la nouvelle de sa mort y fut répandue chacun le regrettait comme le père des pauvres, comme le soutien de l'Etat, comme le restaurateur de la piété et de la justice, comme le défenseur de la virginité, comme l'appui de l'Eglise et comme le modèle de toute sainteté. On en porta le deuil pendant trois ans, et, durant tout ce temps, on ne fit aucune réjouissance ni publique ni particulière dans tout le royaume.

Son corps fut porté solennellement à Varadin, pour y être enterré dans l'église Notre-Dame, qu'il avait fondée. Deux miracles rendirent le convoi fort célèbre. Ceux qui le conduisaient s'endormirent si profondément dans le dernier gîte, par la grande lassitude où ils étaient, qu'ils ne se levèrent qu'à trois heures de jour ; le chariot où était le saint corps marcha tout seul vers Varadin, sans être traîné par aucun cheval, et se rendit si vite au lieu que le bienheureux roi avait marqué pour sa sépulture, qu'il y arriva avant que les conducteurs le pussent atteindre. Quelqu'un de la troupe ayant dit que le même corps sentait mauvais, contre le témoignage de tous les autres, qui assuraient qu'il exhalait une odeur très agréable, la bouche lui tourna aussitôt, et son menton s'attacha tellement à son épaule, qu'il lui fut impossible de se lever jusqu'à ce qu'il eût reconnu sa faute et demandé pardon au Saint.

Statue du pape Urbain II (Eudes de Châtillon)
prêchant la première croisade. Châtillon-sur-Marne.
 
Depuis il se fit tant de miracles à son tombeau, que, personne ne pouvant douter de sa sainteté, le pape Célestin III, ou Innocent III, son successeur, le canonisa l'an il99; et, la même année, il donna des pieds et des mains à un petit enfant qui était venu au monde sans avoir aucun de ces membres.

On représente ordinairement notre Saint avec deux anges à ses côtés ce sont les deux anges protecteurs que Salomon, parent du jeune prince, vit auprès de Ladislas quand il lui faisait la guerre. On rapporte d'ailleurs que Ladislas étant mort, son cercueil fut porté par deux anges jusqu'à l'église que ce Saint avait fait bâtir en l'honneur de la très-sainte Vierge.

On le voit parfois tenant de la même main son chapelet et son sabre ; c'était sa manière ordinaire de charger l'ennemi ; heureuse et salutaire inspiration qui trouverait aujourd'hui bien des critiques, mais dont il n'eut jamais à se repentir. Assez ordinairement on le peint avec l'étendard hongrois, pour montrer que sa charité, ses prières et ses fondations pieuses ne l'empêchaient pas d'être un redoutable et vaillant prince. Rien n'empêche de lui mettre une église dans les mains, puisqu'il est le fondateur de nombreuses basiliques et notamment de la cathédrale dédiée à Notre-Dame dans la ville de Varadin. Les estampes hongroises nous le présentent fréquemment faisant jaillir d'une roche abrupte, avec sa lance, une fontaine d'eau vive dont il désaltère ses soldats qu'il conduit à la guerre.

Les artistes ne dédaignent pas de le peindre quelquefois avec le globe impérial timbré de la croix, parce qu'il refusa l'empire que lui offraient les princes allemands. Enfin, la hache d'armes ou la lance qu'on lui met assez souvent à la main est une allusion soit à son duel avec un chef ennemi, soit au coup de lance qui fit jaillir la fontaine miraculeuse dont nous avons parlé, soit, en général, à ses vertus guerrières.

Saint Ladislas. Statue. Budapest. Royaume de Hongrie.

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lundi, 26 juin 2023

26 juin. Saint Jean et saint Paul, frères, martyrs. 362.

- Saint Jean et saint Paul, frères, martyrs. 362.

Pape : Saint Libère*. Empereur romain : Julien l'Apostat.

" Ils étaient frères déjà et par le sang et par la naissance ; une même foi, une même mort, voilà ce qui a mis le dernier sceau à cette fraternité."
M. l'abbé C. Martin.


Bréviaire franciscain. XVe.

Parmi les sanctuaires nombreux qui décorent la capitale de l'univers chrétien, l'Eglise des Saints-Jean-et-Paul est restée, depuis sa lointaine origine, un des centres principaux de la piété romaine. Du sommet du Cœlius elle domine le Colisée. On a retrouvé dans ses substructions les restes primitifs de la maison même qu'habitaient nos deux saints. Derniers des martyrs, ils achevèrent la couronne glorieuse offerte au Christ par cette Rome qu'il avait choisie pour siège de sa puissance. La lutte où leur sang fut versé consomma le triomphe dont l'heure avait sonné sous Constantin, mais qu'un retour offensif de l'enfer semblait compromettre.

Aucune attaque ne fut plus odieuse à l'Eglise, que celle du César apostat qu'elle avait nourri. Néron et Dioclétien, violemment et dans toute la franchise de leur haine, avaient déclaré au Dieu fait homme la guerre du glaive et des supplices ; et, sans récrimination, les chrétiens étaient morts par milliers, sachant que le témoignage ainsi réclamé d'eux était dans l'ordre, non moins que ne l'avait été, devant Ponce Pilate et sur la croix, celui de leur Chef (I Tim. VI, 13.).

Avec l'astucieuse habileté des traîtres et le dédain affecté du faux philosophe, Julien se promit d'étouffer le christianisme dans les réseaux d'une oppression savamment progressive, et respectueuse du sang humain : écarter les chrétiens des charges publiques, les renvoyer des chaires où ils enseignaient la jeunesse, c'était tout ce que prétendait l'apostat. Mais le sang qu'il eût voulu éviter de répandre, devait couler quand même sur ses mains hypocrites ; car l'effusion du sang peut seule, selon le plan divin, dénouer les situations extrêmes, et jamais plus grand péril n'avait menacé l'Eglise : elle qu'on avait vue garder sa royale liberté devant les bourreaux, on la voulait esclave, en attendant qu'elle disparût d'elle-même dans l'impuissance et l'avilissement.

Aussi les évêques d'alors trouvèrent-ils à l'adresse de l'apostat, dans leur âme indignée, des accents que leurs prédécesseurs avaient épargnés aux princes dont la violence avait inondé de sang chrétien tout l'empire. On rendit au tyran mépris pour mépris ; et le dédain, dont les témoignages arrivaient de toutes parts au fat couronné, finit par lui arracher son masque de fausse modération : Julien n'était plus qu'un vulgaire persécuteur, le sang coulait, l'Eglise était sauvée.

Ainsi nous est expliquée la reconnaissance que cette noble Epouse du Fils de Dieu n'a point cessé de manifester, depuis lors, aux glorieux martyrs que nous célébrons : parmi les chrétiens généreux dont l'indignation amena le dénouement de la terrible crise, il n'en est point de plus illustres. Julien eût été fier de les compter parmi ses familiers ; il les sollicitait dans ce sens, nous dit la Légende, et on ne voit pas qu'il y mît pour condition de renoncer à Jésus-Christ. N'auraient-ils donc pu, dira-t-on, se rendre au désir impérial, sans blesser leur conscience ? Trop de raideur devait fatalement indisposer le prince ; tandis que l'écouter, c'était l'adoucir, l'amener, peut-être, à relâcher quelque chose de ces malheureuses entraves administratives que son gouvernement prévenu imposait à l'Eglise. Et, qui sait ? la conversion possible de cette âme, le retour de tant d'égarés qui l'avaient suivie dans sa chute, tout cela ne méritait-il pas, tout cela n'imposait-il. pas quelque ménagement ?


Saint Jean et saint Paul avec Constance, fille de Constantin.
Legenda aurea. Bx J. de Voragine. R. de Montbaston. XIVe.

Eh ! oui : ce raisonnement eût paru à plusieurs d'une sage politique ; cette préoccupation du salut de l'apostat n'eût rien eu, sans doute, que d'inspiré par le zèle de l'Eglise et des âmes ; et, véritablement, le casuiste le plus outré n'aurait pu faire un crime à Jean et à Paul, d'habiter une cour où l'on ne leur demandait rien de contraire aux préceptes divins. Telle ne fut point pourtant la résolution des deux frères ; à la voie des ménagements, ils préférèrent celle de la franche expression de leurs sentiments qui mit en fureur le tyran et causa leur mort. L'Eglise jugea qu'ils n'avaient point tort; et il est, en conséquence, peu probable que la première de ces voies les eût conduits au même degré de sainteté devant Dieu.

Les noms de Jean et de Paul, inscrits au diptyque sacré, montrent bien leur crédit près de la grande Victime, qui ne s'offre jamais au Dieu trois fois Saint sans associer leur souvenir à celui de son immolation. L'enthousiasme excité par la noble attitude des deux vaillants témoins du Seigneur, a prolongé jusqu'à nous ses échos dans les Antiennes et Répons propres à la fête.

Autrefois précédée d'une Vigile avec jeûne, cette fête remonte au lendemain même du martyre des deux frères, ainsi que le sanctuaire qui s'éleva sur leur tombe. Par un privilège unique, exalté au Sacramentaire Léonien, tandis que les autres martyrs dormaient leur sommeil en dehors des murs de la ville sainte, Jean et Paul reposaient dans Rome même, dont la conquête définitive était acquise au Dieu des armées grâce à leurs combats. Un an jour pour jour après leur trépas victorieux (26 juin 363), Julien mourait, lançant au ciel son cri de rage :
" Tu as vaincu, Galiléen !"

De la cité reine de l'univers, leur renommée, passant les monts, brilla aussitôt d'un éclat presque égal en notre terre des Gaules. Au retour des luttes que lui aussi avait soutenues pour la divinité du Fils de Dieu, Hilaire de Poitiers propagea leur culte. A peine cinq années s'étaient écoulées depuis leur martyre, que le grand évêque s'en allait au Seigneur ; mais il avait eu le temps de consacrer sous leur nom l'église où ses mains pieuses avaient déposé la douce Abra et celle qu'elle avait eue pour mère, en attendant que lui-même vînt, entre elles deux, attendre la résurrection.

C'est de cette Eglise des Saints-Jean-et-Paul, devenue bientôt après Saint-Hilaire-le-Grand, que Clovis, à la veille de la bataille de Vouillé, vit sortir et se diriger vers lui la mystérieuse lumière, présage du triomphe qui devait chasser l'arianisme des Gaules et fonder l'unité monarchique. Les saints martyrs continuèrent de montrer, dans la suite, l'intérêt qu'ils prenaient à l'avancement du royaume de Dieu par les Francs ; lorsque l'issue de la seconde croisade abreuvait d'amertume saint Bernard qui l'avait prêchée, ils apparurent ici-bas pour relever son courage, et lui manifester par quels secrets le Roi des cieux avait tiré sa gloire d'événements où les hommes ne voyaient que désastres et fautes (Bern. Ep. 386, al. 333, Joannis Casae-Marii ad Bern.).


Missel romain. XIVe.

Jean et Paul étaient deux frères de haute famille ; ils demeuraient à Rome et remplissaient des emplois fort honorables dans la maison princière de Constance, fille de Constantin. Ils se faisaient remarquer par leurs oeuvres de piété et par une grande charité envers les pauvres.

Quand Julien l'Apostat fut monté sur le trône, ils renoncèrent à toutes leurs charges et se retirèrent dans leur maison du mont Coelius, dont on a retrouvé récemment des parties fort intéressantes et bien conservées, sous l'antique église construite en leur honneur et administrée encore aujourd'hui par les pseudo-Passionistes.

Julien n'était pas moins altéré de l'or que du sang des chrétiens, il résolut de s'emparer des biens des deux frères, qui avaient méprisé de le servir. Il leur fit demander de venir à sa cour, comme du temps de Constantin et de ses fils ; mais ils refusèrent de communiquer avec un apostat. Dix jours de réflexion leur sont accordés ; ils en profitent pour se préparer au martyre par les oeuvres de charité.

Ils vendent tout ce qu'ils peuvent de leurs propriétés, et distribuent aux pauvres argent, vêtements, meubles précieux, plutôt que de voir tous ces biens tomber entre les mains d'un homme aussi cupide qu'impie ; ils passent ensuite le reste de leur temps à prier et à fortifier les fidèles dans la résolution de mourir pour Jésus-Christ plutôt que d'abandonner la religion.

Le dixième jour, l'envoyé de l'empereur les trouve en prière et disposés à tout souffrir pour leur foi :
" Adorez Jupiter !", leur dit-il en leur présentant une petite idole de cette divinité.
" A Dieu ne plaise, répondent-ils, que nous adorions un démon ! Que Julien nous commande des choses utiles au bien de l'État et de sa personne : c'est son droit ; mais qu'il nous commande d'adorer les simulacres d'hommes vicieux et impurs, cela dépasse son pouvoir. Nous le reconnaissons pour notre empereur, mais nous n'avons point d'autre Dieu que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui sont un seul Dieu en trois personnes."

Le messager, voyant qu'il ne pourrait ébranler leur courage invincible, ordonna de creuser une fosse dans leur jardin ; il les fit décapiter pendant la nuit dans leur propre maison, et ensuite enterrer secrètement.


Décollation de saint Jean et saint Paul par Julien l'Apostat.
Livre d'Images de Madame Marie. Hainuat. XIIIe.

L'empereur, craignant que cette exécution ne soulevât la réprobation de Rome, répandit le bruit qu'il les avait envoyés en exil ; mais les démons publièrent leur mort et leur triomphe, et l'exécuteur des ordres de Julien, après avoir vu son fils délivré du démon par l'intercession des martyrs, se convertit avec sa famille.

ANTIENNES ET RÉPONS

Nous donnons à la suites Antiennes et Répons propres dont il est pairlé plus haut, et qui se trouvent quant à l'ensemble, avec quelques variantes, dans les plus anciens Responsoriaux et An-tiphonaires parvenus jusqu'à nous. Le personnage mentionné dans l'une de ces Antiennes,sous le nom de Gallicanus , est un consulaire qui fut amené par les deux frères à la foi et à la sainteté ; sa mémoire était célébrée hier même au Martyrologe :

" Paul et Jean dirent à Julien : Nous adorons un seul Dieu, qui a fait le ciel et la terre.

Paul et Jean dirent à Térentianus : Si Julien est votre maître, ayez la paix avec lui ; pour nous, il n'en est point d'autre que le Seigneur Jésus-Christ.

Jean et Paul, connaissant bien la tyrannie de Julien, se mirent à distribuer leurs richesses aux pauvres.

Esprits célestes et âmes des justes, chantez un hymne à Dieu. Alléluia.

Jean et Paul dirent à Gallicanus : " Faites un vœu au Dieu du ciel, et vous serez vainqueur mieux que vous ne l'avez été."


Eglise Saints-Jean-et-Paul. Mont Coelius. Rome.

Ant. de Magnificat aux premières Vêpres :

" Les justes se sont tenus devant le Seigneur, et n'ont point été séparés l'un de l'autre ; ils ont bu le calice du Seigneur, et on les a appelés amis de Dieu."

Ant. de Magnificat aux deuxièmes Vêpres :

" Ce sont là les deux oliviers et les deux chandeliers allumés qui sont devant le Seigneur ; ils ont la puissance d'empêcher le ciel de pleuvoir, et d'ouvrir ses portes ; car leurs langues sont devenues les clefs du ciel."

A Benedictus :

" Ce sont là les saints qui, pour l'amour du Christ, ont méprisé les menaces des hommes ; saints martyrs, ils tressaillent avec les anges dans le royaume des cieux ; oh ! qu'elle est précieuse la mort des saints, qui toujours se tiennent devant le Seigneur et ne sont point sépares l'un de l'autre !"

R/. Ce sont là les deux hommes de miséricorde, qui se tiennent devant le Seigneur " Souverain de toute la terre ".
V/. Ce sont là les deux oliviers et les deux chandeliers allumés, présents devant le Seigneur " Souverain de toute la terre ".

R/. J'ai vu, près l'un de l'autre, des hommes couverts de vêtements resplendissants ; et un ange du Seigneur m'a dit :
" Ce sont là les hommes pleins de sainteté, devenus les amis de Dieu."

V/. J'ai vu un ange de Dieu, plein de force, volant par le milieu du ciel, criant d'une voix retentissante et disant :
" Ce sont là les hommes pleins de sainteté, devenus les amis de Dieu."


Bréviaire à l'usage de Paris. XVe.

PRIERE

" Un double triomphe éclate au ciel et renvoie une double joie à la terre, en ce jour où votre sang répandu proclama la victoire du Fils de Dieu. C'est par le martyre de ses fidèles, en effet, que le Christ triomphe. L'effusion de son propre sang marqua la défaite du prince du monde ; le sang de ses membres mystiques garde toujours, et possède seul, la vertu d'établir son règne. La lutte ne fut jamais un mal pour l'Eglise militante ; la noble Epouse du Dieu des armées se complaît dans les combats ; car elle sait que l'Epoux est venu apporter sur terre, non la paix, mais le glaive (Matth. X, 34.). Aussi, jusqu'à la fin des siècles, proposera-t-elle en exemple à ses fils votre chevaleresque courage, et la franchise qui ne vous permit pas de dissimuler votre mépris au tyran apostat, de songer même aux considérations par lesquelles peut-être, en l'écoutant d'abord, votre conscience se fût tenue sauve.

Malheur aux temps où le mirage décevant d'une paix trompeuse égare les intelligences ; où, parce que le péché proprement dit ne se dresse pas devant elle, l'âme chrétienne abaisse la noblesse de son baptême à des compromis que répudierait l'honneur même d'un monde redevenu païen ! Illustres frères, écartez des enfants de l'Eglise l'erreur fatale qui les porterait à méconnaître ainsi les traditions dont ils ont reçu l'héritage ; maintenez la race des fils de Dieu à la hauteur de sentiments que réclament leur céleste origine, le trône qui les attend, le sang divin dont ils s'abreuvent chaque jour ; loin d'eux toute bassesse, et cette vulgarité qui attirerait, contre leur Père qui est aux cieux, le blasphème des habitants de la cité maudite ! Nos temps ont vu s'élever une persécution qui rappelle en tout celle où vous avez remporté la couronne : le programme de Julien est remis en honneur ; si les émules de l'apostat ne l'égalent point en intelligence, ils le dépassent dans sa haine et son hypocrisie. Mais Dieu ne fait pas plus défaut à l'Eglise maintenant qu'autrefois ; obtenez que de notre part la résistance soit la même qu'en vos jours, et le triomphe aussi sera le même.

Jean et Paul, vous nous rappelez par vos noms et l'Ami de l'Epoux dont l'Octave poursuit son cours, et ce Paul de la Croix qui fit revivre au dernier siècle l'héroïsme de la sainteté dans votre maison du Coelius. Unissez votre protection puissante à celle que le Précurseur étend sur l'Eglise mère et maîtresse, devenue, en raison de sa primauté, le but premier des attaques de l'ennemi ; soutenez la milice nouvelle que les besoins des derniers temps ont suscitée près de votre tombe, et qui garde dans une commune vénération vos restes sacrés et le corps de son glorieux fondateur. Vous souvenant enfin du pouvoir que vous reconnaît l'Eglise d'ouvrir et de fermer les portes du ciel, pour répandre ou arrêter la pluie sur les biens de la terre: bénissez les moissons prêtes à mûrir; soyez propices aux moissonneurs, allégez leurs pénibles travaux ; gardez du feu du ciel l'homme et ses possessions, la demeure qui l'abrite, les animaux qui le servent. Ingrate, oublieuse, trop souvent criminelle, l'humanité n'aurait droit qu'à votre colère ; montrez-vous les fils de Celui dont le soleil se lève pour les méchants comme pour les bons, et qui fait pleuvoir également sur les justes et les pécheurs (Matth. V, 45.)."

* Rappelons toujours et encore que le pape saint Libère - ainsi de saint Marcelin et d'Honorius d'ailleurs - ne fut jamais hérétiques car un pape ne peut pas l'être, ne l'a jamais été et ne le sera jamais.

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dimanche, 25 juin 2023

25 juin. Saint Salomon, roi et martyr en Bretagne. 874.

- Saint Salomon, roi et martyr en Bretagne. 874.
 
Pape : Jean VIII. Rois de Bretagne : Erispoë (prédécesseur) ; Alain Ier le Grand (successeur après plusieurs conflits).
 
" Le soleil de justice, qui est Notre Seigneur Jésus-Christ même, s'est levé chez vous, et les ténèbres de l'infidélité se sont dissipées. Nous prions le Dieu tout puissant que, comme il vous a fait la grâce de connaître la vraie foi, il vous accorde aussi celle de produire de bonnes oeuvres."
Nicolas Ier, pape. Lettre à saint Salomon.
 
Saint Salomon accordant des privilèges à une terre qu'il donne pour
la fondation d'un monastère. Verrière de l'église Saint-Maxent.
Maxent. Bretagne.

Saint Salomon était de la race des anciens princes Bretons. Il était fort jeune, quand Rivallon, son père, mourrut, et son oncle Nominoé eut pour lui des soins et des bontés dont Salomon resta toujours reconnaissant.

Après la mort de Nominoé, en 851, il n'eut pas les mêmes égards ni le même attachement pour Erispoé, son successeur. Sous prétexte qu'il descendait du frère aîné de Nominoé, et qu'il avait plus de droits sur la Bretagne que son cousin, il se mit à caballer contre lui, et obtint du roi Charles-le-Chauve, en 853, le tiers de la Bretagne, sous la suzeraineté d'Erispoé.

Cette première satisfaction le rendit paisible pendant quelques années. Mais en 857, craignant de voir passer la couronne sur une autre tête, par le mariage de la fille de son rival, il ourdit une noire conspiration, et ne craignit pas de poursuivre Erispoé jusque dans une église, et de l'assassiner sur l'autel même.

Les Bretons, ignorant ce crime, acceptèrent Salomon pour roi, et l'aidèrent à repousser les Francs qui cherchaient à envahir la Bretagne. A part son crime, Salomon avait toutes les qualités que l'on peut souhaiter dans un prince : une taille majestueuse, la science de la guerre, un courage intrépide; il fît aussi paraître depuis beaucoup de justice et de piété.

Mais Dieu, qui ne laisse jamais le crime impuni, suscita à Salomon une foule d'affaires et d'épreuves qui servirent à expier son péché et à sanctifier son âme. Sans parler des guerres qu'il eût à soutenir contre les Francs et contre les Normands, il dût s'occuper des évêques injustement déposés, en 847, par Nominoé, et cette épineuse affaire lui occasionna bien des correspondances et bien des embarras, soit avec les évêques, soit avec le pape lui-même.
 

Eglise Saint-Salomon de Mezzer-Salün (" martyr de Salomon ")
et aujourd'hui " La Martyre ". Léon. Bretagne.

Sans compter les pénitences qu'il accomplissait, Salomon, pour se purifier de plus en plus, multipliait les bonnes oeuvres, bâtissait le monastère de Plélan ou de saint-Maixent, et le comblait de dons magnifiques.

Cependant, une conspiration se trâmait aussi contre Salomon : la peine du Talion lui était réservée. Surpris par les conjurés et incapable de résister, il prit la fuite et se réfugia dans un petit monastère aux confins du Poher et du Léon, dans une paroisse appelée jadis Mezzer-Salün (" martyr de Salomon "), et aujourd'hui " La Martyre " (Finistère).

Les rebelles investirent sa retraite le 23 juin 874. Un reste de religion les empêcha de rien entreprendre contre lui le jour suivant, fête de la nativité de saint Jean Baptiste. Ils lui envoyèrent seulement un évêque pour l'engager à quitter son asile et à se rendre volontairement pour éviter la profanation possible du lieu saint. Salomon, résigné à tout, se munit du Sacrement de l'Eucharistie et se présenta devant ses ennemis avec un courage magnanime. Les Bretons, frappés de respect, n'osèrent tirer l'épée contre lui, et ils le livrèrent à Fulcoald, et à quelques autres Français qui lui firent crever les yeux par son propre filleul.

Le vieux roi ne pût survivre à ce cruel supplice et fût trouvé mort le lendemain, 25 juin 874. C'est encore le jour où l'Eglise de Vannes honore sa mémoire.

Le corps du roi Salomon fût inhumé dans le monastère de Plélan ou de Saint-Maixent, conformément aux désirs qu'il avait exprimés de reposer auprès de la reine Wembrit. Plus tard, ce corps fut enlevé, probablement pendant les ravages des Normands, et transporté, paraît-il, jusqu'à Pithiviers, au diocèse d'Orléans, où une église fût érigée en son honneur. Cependant une partie de ses reliques resta ou revint en Bretagne, car l'église de Saint-Salomon, à Vannes, possédait quelques ossements de ce saint roi jusqu'à la révolution. Depuis la destruction de l'église de Saint-Salomon en 1793, les reliques ont été transférées à la cathédrale, où elles sont encore l'objet de la vénération des fidèles.

Rq : On lira avec fruit la conséquente notice que dom Lobineau consacre à saint Salomon dans " Les vies des saints de Bretagne " (pp 193 et suiv.) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114592x.pagination

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25 juin. Saint Guillaume de Verceil, abbé, fondateur de la congrégation du Monte-Vergine. 1142.

- Saint Guillaume de Verceil, abbé, fondateur de la congrégation du Monte-Vergine. 1142.
 
Pape : Innocent II. Empereur germanique : Conrad III Hohenstauffen.
 
" La solitude embellie par les vertus de l'homme juste est plus belle que la ville la plus magnifique, plus belle que l'univers entier."
Saint Jean Chrysostome. Hom. XXXIII sup Gen.
 

San Guillaume en oraison. Manuscrit napolitain du XVe.

Ce n'est pas seulement dans la gloire incomparable du martyre, que l'Emmanuel fait éclater la puissance de sa grâce et la force victorieuse des exemples laissés par son Précurseur au monde. Voici que s'offre tout d'abord à nos hommages, un de ces innombrables athlètes de la pénitence qui suivirent Jean au désert ; fuyant comme lui, dès le plus jeune âge, une société où leur âme pressent qu'elle ne trouverait que froissements et périls, consacrant leur vie au triomphe complet du Christ en eux sur la triple concupiscence, ils rendent témoignage au Seigneur par des œuvres que la terre ignore, mais qui réjouissent les anges et font trembler l'enfer. Guillaume fut un des chefs de cette milice sainte. L'Ordre du Mont-Vierge, qui lui doit l'existence, a bien mérité de l'institut monastique et de l'Eglise, en ces régions de l'Italie méridionale où Dieu voulut, à diverses reprises, opposer comme une digue à l'entraînement des sens le spectacle des plus austères vertus.

Personnellement et par ses disciples, Guillaume eut pour mission d'infuser au royaume de Sicile, qui se fondait alors, l'élément de la sainteté que tout peuple chrétien réclame à sa base. Au Midi comme au Nord de l'Europe, la race normande venait d'être providentiellement appelée à promouvoir le règne de Jésus-Christ. C'était le moment où Byzance, impuissante à protéger ses dernières possessions d'Occident contre l'invasion sarrasine, n'en prétendait pas moins garder les églises de ces contrées dans les liens du schisme, où l'avait récemment engagée l'intrigante ambition de Michel Cérulaire. Le Croissant s'était vu contraint de reculer devant les fils de Tancrède de Hauteville ; et la perfidie grecque fut déjouée à son tour parla rude simplicité de ces hommes, qui apprirent vite à n'opposer d'autre argument que celui de leur épée aux fourberies byzantines. La papauté, un instant hésitante, comprit bientôt également de quel secours lui seraient les nouveaux venus, dans les querelles féodales qui s'agitaient depuis deux siècles autour d'elle, et préparaient la longue lutte du sacerdoce et de l'empire.


C'était l'Esprit-Saint qui, comme toujours depuis les temps de la Pentecôte, dirigeait ici les événements au plus grand bien de l'Eglise. Il inspirait aux Normands d'établir leurs conquêtes sur la fermeté de la Pierre apostolique, en se reconnaissant les feudataires du Saint-Siège. Mais en même temps, pour récompenser la fidélité de ce début, pour les rendre aussi plus dignes de la mission qui eût continué de faire leur honneur et leur force, s'ils eussent continué de la comprendre, il leur donnait des saints. Roger Ier avait vu saint Bruno intercéder pour son peuple dans les solitudes de Calabre, et le sauver miraculeusement lui-même des embûches dressées par la trahison; Roger II eut pour le ramener dans les sentiers de la justice, dont il s'écartait trop souvent, l'exemple et les exhortations du fondateur du Mont-Vierge.


Saint Guillaume de Verceil en oraison. Gravure du XVIe.

Guillaume naquit de parents nobles, à Verceil en Piémont. A peine avait-il achevé sa quatorzième année, qu'embrasé des ardeurs d une merveilleuse piété, il entreprit le pèlerinage de Compostelle au célèbre temple de saint Jacques. Vêtu d'une seule tunique, ceint d'un double cercle de fer, nu-pieds, en butte aux rigueurs du froid et de la chaleur, de la faim et de la soif, il accomplit sa route en grand danger de la vie. De retour en Italie, il médite un nouveau pèlerinage au saint tombeau du Seigneur ; mais diverses sortes d'obstacles très graves s'opposent à son projet.

La divine Providence tournait à des desseins plus hauts et plus parfaits les religieux penchants du jeune homme. C'est alors qu'il passa deux ans au mont Solicchio, priant sans interruption, jeûnant, veillant, couchant sur la dure, soutenu du seul secours divin.

Ayant rendu la vue à un aveugle, le bruit du miracle se répandit, et Guillaume, qui ne pouvait plus rester caché, songea de nouveau à se rendre à Jérusalem. Plein d'ardeur, il se mit en route.

Mais Dieu, qui voulait de lui une vie plus utile et plus fructueuse pour l'Italie et d'autres contrées, lui apparut et l'avertit de renoncer à sa résolution. Gagnant donc le mont Virgilien, appelé depuis Mont-Vierge, il bâtit avec une rapidité étonnante un monastère au sommet, en dépit des difficultés que présente ce lieu inaccessible. Des compagnons, touchés de la grâce, s'adjoignent à lui, voulant vivre conformément aux préceptes et aux conseils de l'Evangile. Des règles empruntées en grande partie à saint Benoit, et, d'autre part, la parole de Guillaume et l'exemple de sa vie très sainte les aident admirablement à atteindre ce but.


Saint Guillaume de Verceil dirigeant les travaux du
monastère du Monte-Vergine. Gravure du XVIIIe.

D'autres monastères s'élevèrent dans la suite ; de jour en jour, éclatait davantage la sainteté du fondateur ; de toutes parts on venait à lui, attiré par le parfum de cette sainteté et la renommée de ses miracles. Car, à son intercession, les muets recouvraient la parole, les sourds l'ouïe ; la vigueur était rendue aux membres desséchés, la santé à tous ceux qu'affligeaient les plus diverses et les plus irrémédiables maladies.

Il changea l'eau en vin, et accomplit une multitude d'autres merveilles, entre lesquelles il faut citer la suivante : une femme perdue ayant été envoyée pour éprouver sa chasteté, il se roula sur des charbons ardents étendus à terre sans en éprouver aucun mal.
Roger, roi de Naples, ayant eu connaissance de ce fait, conçut une vénération profonde pour l'homme de Dieu. Il prédit au roi et à d'autres le temps de sa mort, et, illustre par ses vertus et miracles sans nombre, il s'endormit enfin dans le Seigneur, l'an du salut mil cent quarante-deux.


Le monastère de Monte-Vergine aujourd'hui.
 
PRIERE
 
" A la suite de Jean vous comprîtes les attraits du désert, Ô Guillaume, et Dieu voulut montrer par vous l'utilité que renferment ces existences qui, dans leur fuite du monde, semblent se désintéresser des affaires humaines. Le détachement complet des sens, dégageant l'âme, la rapproche du souverain Etre ; la solitude, éteignant les bruits de la terre, permet d'entendre la voix du Créateur. L'homme alors, éclairé par l'Auteur même du monde sur les grands intérêts mis en jeu dans son œuvre, devient en ses mains un instrument aussi puissant que docile pour la poursuite de ces intérêts, qui ne sont autres que ceux de la créature elle-même et des nations. Ainsi devîntes-vous, illustre Saint, le boulevard d'un grand peuple qui trouva dans votre parole la règle du droit, dans vos exemples le stimulant des vertus les plus hautes, dans la surabondance de votre pénitence une compensation devant Dieu aux écarts de ses princes. Pour ce peuple nouveau, en qui le succès de ses armes excitait la violence et la fougue de toutes les passions, les miracles sans nombre qui accompagnaient vos exhortations avaient, eux aussi, leur éloquence : témoin ce loup qui, après avoir dévoré l'âne du monastère, fut condamné à le remplacer dans son humble service ; témoin la malheureuse qui, au jour où sur un lit de charbons ardents vous parûtes inaccessible à l'action de la flamme, renonça à sa vie criminelle et fut conduite par vous jusqu'à la sainteté.
 

Madonna del Monte-Vergine. Eglise Saint-Antoine.
Conca dei Marini. Royaume. Près Naples.

Bien des révolutions sont venues depuis lors montrer en cette contrée, dans laquelle vous aviez souffert et prié, l'instabilité des royaumes et des dynasties qui ne cherchent pas avant tout le royaume de Dieu et sa justice. Malgré l'oubli où trop souvent, depuis que vous avez quitté la terre, ont été mis vos enseignements et vos exemples, protégez le pays où Dieu vous accorda des grâces si grandes, et qu'il daigna confier à votre intercession puissante. La foi reste vive en ces peuples : conservez-la, malgré les efforts de l'ennemi contre elle en nos jours ; faites-lui produire ses fruits dans le champ des vertus. A travers bien des épreuves, votre descendance monastique a pu, jusqu'en notre siècle de persécution, se propager et servir l'Eglise : obtenez qu'avec toutes les autres familles religieuses, elle se montre jusqu'au bout plus forte que la tempête. Notre-Dame, dont vous avez bien mérité, se tient prête à seconder vos efforts : du sanctuaire dont le nom a prévalu sur les souvenirs du poète qui, sans le savoir, avait chanté ses grandeurs (Virg. Egl. IV.), puisse-t-elle sourire toujours aux foules qui chaque année gravissent la sainte montagne, célébrant le triomphe de sa virginité ; puisse-t-elle, à nous qui ne pouvons que de cœur accomplir le sacré pèlerinage, tenir compte du désir et de l'hommage que nous lui présentons par vos mains !"

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samedi, 24 juin 2023

24 juin. Saint Jean-Baptiste, précurseur de Notre Seigneur Jésus-Christ.

- Saint Jean-Baptiste, précurseur de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Empereur romain : Tibère. Roi de Judée : Hérode Antipas.

" Nul ne s'est jamais rencontré qui fut plus grand que saint Jean-Baptiste. Il surpasse tous les autres, il brille au-dessus de tous ; auprès de lui les prophètes et les patriarches ne sont que des ombres, et tout homme né de la femme sera toujours impuissant à l'égaler."
Saint Thomas d'Aquin. Part. III, quest. 38, art. 1.


Lucas Cranach l'ancien. XVe.

" Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez les sentiers du Seigneur ; voici votre Dieu !" (Isai. XL, 3, 9.).
Oh ! qui, dans notre siècle refroidi, comprendra les transports de la terre à cette annonce si longtemps attendue ? Le Dieu promis n'est point manifesté encore ; mais déjà les cieux se sont abaissés (Psalm. XVII, 10.) pour lui livrer passage. Il n'a plus à venir, celui que nos pères, les illustres saints des temps prophétiques, appelaient sans fin dans leur indomptable espérance. Caché toujours , mais déjà parmi nous, il repose sous la nuée virginale près de laquelle pâlit pour lui la céleste pureté des Chérubins et des Trônes ; les ardeurs réunies des brûlants Séraphins se voient dépassées par l'amour dont l'entoure à elle seule , en son cœur humain, l'humble fille d'Adam qu'il s'est choisie pour mère.

La terre maudite, devenue soudain plus fortunée que l'inexorable ciel fermé jadis à ses supplications, n'attend plus que la révélation de l'auguste mystère ; l'heure est venue pour elle de joindre ses cantiques à l'éternelle et divine louange qui, dès maintenant, monte de ses profondeurs, et, n'étant autre que le Verbe lui-même, célèbre Dieu comme il mérite de l'être. Mais sous le voile d'humilité où, après comme avant sa naissance, doit continuer de se dérober aux hommes sa divinité, qui découvrira l'Emmanuel ? Qui surtout, l'ayant reconnu dans ses miséricordieux abaissements, saura le faire accepter d'un monde perdu d'orgueil, et pourra dire, en montrant dans la foule le fils du charpentier (Matth. XIII, 55.) : " Voilà celui qu'attendaient vos pères !"

Car tel est l'ordre établi d'en haut pour la manifestation du Messie : en conformité de ce qui se fait parmi les hommes, le Dieu fait homme ne s'ingérera pas de lui-même dans les actes de la vie publique ; il attendra, pour inaugurer son divin ministère, qu'un membre de cette race devenue la sienne, un homme venu avant lui, et doué à cette fin d'un crédit suffisant, le présente à son peuple.


Anonyme flamand du XVe.

Rôle sublime, qui fera d'une créature le garant de Dieu, le témoin du Verbe ! La grandeur de celui qui doit le remplir était signalée, comme celle du Messie, longtemps avant sa naissance. Dans la solennelle liturgie du temps des figures, le chœur des lévites, rappelant au Très-Haut la douceur de David et la promesse qui lui fut faite d'un glorieux héritier, saluait de loin la mystérieuse lumière préparée par Dieu même à son Christ (Psalm. CXXI, 17.). Non que, pour éclairer ses pas, le Christ dût avoir besoin d'un secours étranger : splendeur du Père, il n'avait qu'à paraître en nos obscures régions, pour les remplir de la clarté des cieux ; mais tant de fausses lueurs avaient trompé l'humanité, durant la nuit des siècles d'attente, que la vraie lumière, s'élevant soudain, n'eût point été comprise, ou n'eût fait qu'aveugler des yeux rendus impuissants par les ténèbres précédentes à porter son éclat.

L'éternelle Sagesse avait donc décrété que comme l'astre du jour est annoncé par l'étoile du matin, et prépare sa venue dans la clarté tempérée de l'aurore ; ainsi le Christ lumière serait précédé ici-bas d'un astre précurseur, et signalé parle rayonnement dont lui-même, non visible encore, revêtirait ce fidèle messager de son avènement. Lorsque autrefois le Très-Haut daignait pour ses prophètes illuminer l'avenir, l'éclair qui, par intervalle, sillonnait ainsi le ciel de l'ancienne alliance s'éteignait dans la nuit, sans amener le jour ; l'astre chanté dans le psaume ne connaîtra point la défaite ; signifiant à la nuit que désormais c'en est fini d'elle, il n'éteindra ses feux que dans la triomphante splendeur du Soleil de justice. Aussi intimement que l'aurore s'unit au jour, il confondra avec la lumière incréée sa propre lumière ; n'étant de lui-même, comme toute créature, que néant et ténèbres, il reflétera de si près la clarté du Messie, que plusieurs le prendront pour le Christ (Luc. III, 15.).


Dirck Bouts. XVe.

La mystérieuse conformité du Christ et de son Précurseur, l'incomparable proximité qui les unit, se retrouvent marquées en maints endroits des saints Livres. Si le Christ est le Verbe, la parole éternelle du Père, lui sera la Voix portant cette parole où elle doit parvenir ; Isaïe l'entend par avance qui remplit d'accents jusque-là inconnus le désert, et le prince des prophètes exprime sa joie dans l'enthousiasme d'une âme qui déjà se voit en présence de son Seigneur et Dieu (Isai. XL.).

Le Christ est l’ange de l’alliance ; mais dans le texte même où l'Esprit-Saint lui donne un titre si rempli pour nous d'espérance, paraît aussi portant ce. nom d'ange l'inséparable messager, l'ambassadeur fidèle à qui la terre devra de connaître l'Epoux :
" Voici que j'envoie mon ange qui préparera le chemin devant ma face, et aussitôt viendra dans son temple le dominateur que vous cherchez, l'ange de l'alliance que vous réclamez ; voici qu'il vient, dit le Seigneur des armées." (Malach. III, 1.).

Et mettant fin au ministère prophétique dont il est le dernier représentant, Malachie termine ses propres oracles par les paroles que nous avons entendu Gabriel adresser à Zacharie, pour lui notifier la naissance prochaine du Précurseur (Ibid. IV, 5, 6.).


Hans Memling. XVe.

La présence de Gabriel en cette occasion, montrait elle-même combien l'enfant promis alors serait l'intime du Fils de Dieu ; car le même prince des célestes milices allait aussi, bientôt, venir annoncer l'Emmanuel. Nombreux pourtant se pressent les messagers fidèles au pied du trône de la Trinité sainte, et le choix de ces augustes envoyés varie, d'ordinaire, selon la grandeur des instructions que le Très-Haut transmet par eux au monde. Mais il convenait que l'archange chargéde conclure les noces sacrées du Verbe avec l'humanité, préludât à cette grande mission en préparant la venue de celui que les décrets éternels avaient désigné comme l’ Ami de l'Epoux (Johan. III, 29.).

Six mois après, député vers Marie, il appuyait son divin message en révélant à la Vierge très pure le prodige qui, dès maintenant, donnait un fils à la stérile Elisabeth : premier pas du Tout-Puissant vers une merveille plus grande. Jean n'est pas né encore ; mais, sans plus tarder, son rôle est ouvert : il atteste la vérité des promesses de l'ange. Ineffable garantie que celle de cet enfant, caché toujours au sein de sa mère, et déjà témoin pour Dieu dans la négociatio sublime qui tient en suspens la terre et les deux ! Eclairée d'en haut, Marie reçoit le témoignage et n'hésite plus :
" Voici la servante du Seigneur, dit-elle à l'archange ; qu'il me soit fait selon votre parole." (Luc. I.).


Juan Sariñena. XVIe.

Gabriel s'est retiré, emportant avec lui le secret divin qu'il n'est point charge de communiquer au reste du monde. La Vierge très prudente ne parlera pas davantage ; Joseph lui-même, son virginal époux, n'aura pas d'elle communication du mystère. Ne craignons point cependant : l'accablante stérilité dont le monde a gémi, ne sera pas suivie d'une ignorance plus triste encore, maintenant que la terre a donné son fruit (Psalm. LXXXIV, 13.). Il est quelqu'un pour qui l'Emmanuel n'aura ni secret, ni retard ; et lui saura bien révéler la merveille. A peine l'Epoux a-t-il pris possession du sanctuaire sans tache où doivent s'écouler les neuf premiers mois de son habitation parmi les hommes, à peine le Verbe s'est fait chair : et Notre-Dame, instruite au dedans du désir de son Fils, se rend en toute hâte vers les monts de Judée (Luc. I, 39.). Voix de mon bien-aimé ! Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes, franchissant les collines (Cant. II, 8.). A l'ami de l'Epoux sa première visite, à Jean le début de ses grâces. Une fête distincte nous permettra d'honorer spécialement la journée précieuse où l'Enfant-Dieu, sanctifiant son Précurseur, se révèle à Jean par la voix de Marie ; où Notre-Dame, manifestée par Jean qui tressaille en sa mère, proclame enfin les grandes choses que le Tout-Puissant a opérées en elle selon la miséricordieuse promesse qu'il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais (Luc. I, 55.).

Mais le temps est venu où, des enfants et des mères, la nouvelle doit s'étendre au pays d'alentour, en attendant qu'elle parvienne au monde entier. Jean va naître, et, ne pouvant parler encore, il déliera la langue de son père. Il fera cesser le mutisme dont le vieux prêtre, image de l'ancienne loi, avait été frappé par l'ange ; et Zacharie, rempli lui-même de l'Esprit-Saint, va publier dans un cantique nouveau la visite bénie du Seigneur Dieu d’Israël (Luc. I, 68.).


Notre Seigneur Jésus-Christ et saint Jean-Baptiste.
Giovanni di Paolo di Grazia. XVe.

HYMNE

Ce que l'on connaît mieux, est l'importance que la première de ces strophes a conquise dans l'histoire du chant grégorien et de la musique. L'air primitif sur lequel on chantait l'Hymne de Paul Diacre, offrait cette particularité que la syllabe initiale de chaque hémistiche s'élevait d'un degré sur la précédente dans l'échelle des sons ; on obtenait, en les rapprochant, la série des notes fondamentales qui forment la base de notre gamme actuelle. L'usage s'introduisit de donner aux notes elles-mêmes les noms de ces syllabes : Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La.
Gui d'Arezzo, par sa méthode d'enseignement, avait donné naissance à cet usage ; en le complétant par l'introduction des lignes régulières de la portée musicale, il fit faire un pas immense à la science du chant sacré, auparavant laborieuse et longue à acquérir. Il convenait que le divin Précurseur, la Voix dont les accents révélèrent au monde l'harmonie du Cantique éternel, eût cet honneur de voir se rattacher à son nom l'organisation des mélodies de la terre.

" Ut queant laxis resonare fibris
Mira gestorum famuli tuorum,
Solve polluti labii reatum, Sancte Johannes.

Nuntius celso veniens olympo.
Te patri magnum fore nasciturum,
Nomen et vitae seriem gerenda ;
Ordine promit.

Ille, promissi dubius superni,
Perdidit promptae modulos loquelae ;
Sed reformasti genitus peremptae
Organa vocis.

Ventris obstruso recubans cubili,
Senseras regem thalamo manentem :
Hinc parens, nati meritis, uterque
Abdita pandit.

Sit decus Patri, genitaeque Proli,
Et tibi, compar utriusque virtus Spiritus,
Semper, Deus unus, omni Temporis aevo.

Amen."


V/. Fuit homo missus a Deo,
R/. Cui nomen erat Johannes.


Raphaël. XVIe.

" Pour que d'une voix étendue et puissante vos serviteurs fassent retentir les merveilles de vos actes, bannissez, Ô saint Jean, l'indignité de nos lèvres souillées.

Un messager venu des célestes sommets annonce à votre père que vous naîtrez et serez grand ; le nom que vous porterez, la vie que vous mènerez, il expose par ordre toutes choses.

Lui doute des célestes promesses, et soudain il n'a plus le pouvoir d'articuler les sons ; mais, en naissant, vous restaurez l'organe de sa voix éteinte.

Reposant dans le secret des entrailles maternelles, vous aviez senti la présence du roi séjournant en sa couche nuptiale ; en suite de quoi, par le mérite de leur fils, votre père et votre mère découvrirent tous deux les mystères.

Honneur au Père, et au Fils qu'il engendre, ainsi qu'à vous, puissance éternellement égale aux deux, Ô Esprit, Dieu unique, dans toute la suite des âges.

Amen."


V/. Il y eut un homme envoyé par Dieu,
R/. Dont le nom était Jean.


Retable de saint Jean-Baptiste. Rogier van der Weyden. XVe.

PRIERE

" Précurseur du Messie, nous partageons la joie que votre naissance apporta au monde. Elle annonçait la propre naissance du Fils de Dieu. Or, chaque année, l'Emmanuel prend vie à nouveau dans l'Eglise et les âmes ; et, pas plus aujourd'hui qu'il y a dix-huit siècles, il ne veut naître sans que vous-même ayez, comme alors, préparé les voies à cette nativité qui donne à chacun de nous son Sauveur. A peine s'achève, au Cycle sacré, la série des mystères qui ont consommé la glorification de l'Homme-Dieu et fondé l'Eglise, que déjà Noël se montre à l'horizon ; déjà, dans son berceau, Jean tressaille et révèle l'approche de l'Enfant-Dieu. Doux prophète du Très-Haut, qui ne pouvez parler encore et déjà, pourtant, dépassez tous les princes de la prophétie, bientôt le désert, comme nous le redirons, semblera vous avoir ravi pour jamais au commerce des hommes. Mais dans les jours de l'Avent, l'Eglise vous aura retrouvé ; elle nous ramènera sans cesse à vos enseignements sublimes, aux témoignages que vous rendrez à Celui qu'elle attend. Dès maintenant, commencez la préparation de nos âmes ; redescendu sur notre terre en ce jour d'allégresse, venu comme messager de la prochaine arrivée du Seigneur, pourriez-vous un instant rester oisif devant l'œuvre immense qui vous incombe en nous ?

Chasser le péché, dompter les vices, redresser les instincts faussés de la pauvre nature déchue : tout cela devrait être accompli sans doute, tout cela serait achevé dès longtemps, si nous avions répondu fidèlement à vos labeurs passés. Il n'est que trop vrai pourtant ; c'est à peine s'il semble, en plusieurs, que le défrichement ait jamais commencé : terres rebelles, où les pierres et les ronces défient vos soins depuis des années. Nous le reconnaissons, dans la confusion de nos âmes coupables : nous confessons nos fautes à vous et au Dieu tout-puissant, comme l'Eglise nous apprend à le faire au début du grand Sacrifice ; mais, en même temps, nous vous prions avec elle d'intercéder pour nous auprès du Seigneur notre Dieu. Vous le proclamiez au désert : de ces pierres mêmes, Dieu peut toujours faire sortir des fils d'Abraham.


Retable de saint Jean-Baptiste. Rogier van der Weyden. XVe.

Chaque jour, les solennelles formules de l'oblation qui prépare l'immolation sans cesse renouvelée du Sauveur, nous apprennent la part honorable extrêmement puissante qui vous revient dans cet auguste Sacrifice ; votre nom, de nouveau prononcé lorsque la victime sainte est sur l'autel, supplie alors pour nous pécheurs le Dieu de toutes miséricordes. Puisse-t-il, en considération de vos mérites et de notre misère, être propice à la prière persévérante de notre mère l'Eglise, changer nos cœurs, et remplacer leurs attaches mauvaises par les attraits des vertus qui nous vaudront la visite de l'Emmanuel !

A ce moment sacré des Mystères, trois fois invoqué selon la formule même que vous nous avez apprise, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde aura lui-même pitié de nous et nous donnera la paix : cette paix précieuse avec le ciel, avec la terre, avec nous-mêmes, qui nous préparera pour l'Epoux en nous rendant les fils de Dieu (Johan I, 12 ; Matth. V, 9.) selon le témoignage que, chaque jour également, vous renouvelez par la bouche du prêtre au sortir de l'autel. Alors votre joie et la nôtre sera complète, ô Précurseur ; l'union sacrée, dont ce jour de votre nativité renferme pour nous l'espérance déjà si joyeuse, sera devenue, dès cette terre et sous les ombres de la foi, une réalité sublime, en attendant la claire vision de l'éternité."


Retable de saint Jean-Baptiste. Rogier van der Weyden. XVe.

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vendredi, 23 juin 2023

23 juin. Sainte Audrey ou Edeltrude ou encore Etheldrède, reine, vierge et abbesse d'Ely. 679.

- Sainte Audrey ou Edeltrude ou encore Etheldred, reine, vierge et abbesse d'Ely. 679.
 
Pape : Saint Agathon. Roi d'Est-Anglie : Ealdwulf. Roi de Northumbrie : Egfrid.
 
" A présent, Etheldred brille sur nos jours,
Répandant la lumière de la grâce sur toutes nos routes.
Née d'une noble et royale lignée,
Elle apporte du Christ son Roi une meilleure vie."
Bède le vénérable.
" Ô homme, quels fruits attends-tu dans un monde dont le fruit est la ruine, dont la fin est la mort ?"
Saint Bernard. Lib. Med, c. 17.
 

Pour ses amis et sa famille, cette autrefois célèbre sainte femme Anglo-Saxone était Etheldred. Son nom en Vieil Anglais était " Aethelthryth ", signifiant " noble force ", qui prendra la forme par la suite d'Etheldred puis d'Audrey. Baptisée par saint Félix, l'Apôtre de l'Est-Anglie, c'est aussi lui qui l'instruira dans la Foi. Pour le pauvre peulple, elle était Audrey ou Audry, et le terme " clinquant " vint à l'origine des colliers bon marchés vendus lors des fêtes de sainte Audrey et qui qu'on croyait à même de guérir les maladies du cou et de la gorge. Ceci parce qu'Etheldred avait eu à souffrir d'un cancer du cou, qu'elle attribua à une punition divine pour avoir eu un jour la vanité de porter un riche collier. Elle eut une énorme tumeur à son cou quand elle mourrut, mais selon saint Bède, quand sa soeur sainte Sexburge fit ouvrir sa tombe, on trouva son corps incorrompu et la tumeur avait guéri.

Etheldred était une femme de noble naissance, fille du roi Anna d'Est Anglie, et soeur des saints Sexburge, Ethelburge, Erconwald, et Withburge. Elle naquit à une époque où les religieux étaient incompris dans leur désir d'une conversion complète de leurs vies pour Dieu. Pour Etheldred, la prière, la Sainte Communion et les oeuvres de miséricorde étaient des parties essentielles de sa Foi en Jésus-Christ. Depuis sa jeunesse, elle s'était dévouée à la piété, la pûreté et l'humilité. Bien qu'elle sembla destinée à la vie du cloître, à deux reprises, sainte Etheldred sera mariée et libérée de ces liens non-souhaités.


Bannière de procession de sainte Audrey.
Cathédrale d'Ely. Angleterre. XVIIIe.

A l'âge de 14 ans, Etheldred fut mariée à Tonbert. Parfois certains saints avaient à fuir un mariage quand ils se sentaient voués à la vie religieuse, mais Etheldred fit confiance à Dieu. Elle accepta calmement le mariage, et trouva que Tonbert était aussi dévot qu'elle, et fut heureux qu'ils puissent vivre dans la continence. Après 3 (ou 5) années ensemble, Tonbert mourrut.

Durant un certain temps, elle profita d'une vie solitaire sur l'île d'Ely, qui avait été une partie de sa dot, mais par raison d'Etat, elle fut à nouveau mariée. Son second mari, Egfrid, fils du roi Oswy de Northumbrie, était encore enfant à l'époque. Etheldred, bien qu'étant elle-même encore jeune, le traitta comme son fils ou frère, plutôt que comme un époux. Elle lui enseigna le catéchisme et dirigea sa croissance spirituelle, essayant clairement de le préparer à accepter un mariage de continence.


Détail d'une fresque. Cathédrale d'Ely. Angleterre. XVIe.

Mais après 12 ans de relations, Egfrid, devenu adulte, tenta d'en faire sa femme dans les faits autant que dans le nom. Ceci alarma Etheldred, qui chercha alors le conseil de l'archévêque saint Wilfrid d'York. Il la libéra de son mariage et lui conseilla de se retirer dans l'abbaye Bénédictine de Coldingham. Enfin, elle pouvait accomplir les désirs de son coeur. Elle prit le voile à Coldingham sous sainte Ebba.

Au début, Egfrid tenta de persuader Wilfrid d'ordonner à sa femme de revenir auprès de lui, mais sans succès. En 672, elle fonda le double monastère, où se trouve à présent la cathédrale d'Ely, et elle le gouverna comme abbesse. Egfrid envoya des hommes d'armes à Ely pour tenter de la forcer à revenir, mais l'expédition fut sans succès.


Scènes de la vie de sainte Audrey. Robart Pigott. XVIe.

Après avoir fondé Ely, Etheldred cessa de porter des fins vêtements de lin et ne porta plus que des vêtements de laine. Sauf à Pâques, Pentecôte et Epiphanie, elle ne se lavait que dans l'eau froide. A moins d'être malade ou aux grandes fêtes d'Eglise, sinon elle se contentait d'un repas par jour. Elle priait pour ceux ne pouvant plus prier, et veillait souvent à l'église de minuit jusqu'à l'aube. Sept ans après la fondation de l'abbaye d'Ely, elle mourrut de la peste.

Saint Bède écrivit une longue hymne à la louange d'Etheldred qui, à voir le nombre d'églises et de calendriers comportant son nom, dû avoir été la plus vénérée de toutes les saintes femmes Anglo-Saxonnes. Ceci est en partie dû aux innombrables miracles qui résultèrent de son intercession, qui fit d'Ely un important lieu de pélerinage (Attwater, Bénédictins, Bentley, Encyclopaedia).


Scènes de la vie de sainte Audrey. Robart Pigott. XVIe.

Dans l'art, sainte Etheldred est couronnée, tenant une crosse, un livre, et un bâton bourgeonnant. Elle peut parfois être représentée :
- assoupie sous un arbre en fleurs ;
- avec un livre et un lys ;
- avec une fontaine jaillissant à ses pieds ;
- avec le démon qui la fuit.

Cathédrale de la Très Sainte et Indivisible Trinité.
Ely. Est-Anglie. Royaume d'Angleterre.

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