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jeudi, 17 avril 2025

Le jeudi Saint.

- Le jeudi Saint.

Nous ne donnons ici que la messe du jeudi saint. Pour qui veut pénétrer plus avant dans ce jour sacré, il faut lire et méditer les belles pages de dom Prosper Guéranger : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/gueranger/anneliturgiqu...



Le lavement des pieds. Bas-relief dans le déambulatoire
de la cathédrale Notre-Dame. Paris. XIVe.

LA MESSE DU JEUDI-SAINT

La sainte Eglise se proposant aujourd'hui de renouveler, avec une solennité toute particulière, l'action qui fut accomplie par le Sauveur dans la dernière Cène, selon le précepte qu'il en fit à ses Apôtres, lorsqu'il leur dit : " Faites ceci en mémoire de moi ", nous allons reprendre le récit évangélique que nous avons interrompu au moment où Jésus entrait dans la salle du festin pascal.

Il est arrivé de Béthanie ; tous les Apôtres sont présents, même le perfide Judas, qui garde son affreux secret. Jésus s'approche de la table sur laquelle l'agneau est servi ; ses disciples y prennent place avec lui ; et l'on observe fidèlement les rites que le Seigneur prescrivit à Moïse pour être suivis par son peuple. Au commencement du repas, Jésus prend la parole, et il dit à ses Apôtres :
" J'ai désiré ardemment de manger avec vous cette Pâque, avant de souffrir." (Luc. XXII, 15.).

Il parlait ainsi, non que cette Pâque eût en elle-même quelque chose de supérieur à celles des années précédentes, mais parce qu'elle allait donner occasion à l'institution de la Pâque nouvelle qu'il avait préparée dans son amour pour les hommes ; car " ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, dit saint Jean, il les aima jusqu'à la fin " (Johan. XIII, I.).

Pendant le repas, Jésus, pour qui les coeurs n'avaient rien de caché, proféra cette parole qui émut les disciples :
" En vérité, je vous le dis, l'un de vous me trahira ; oui, l'un de ceux qui mettent en ce moment la main au plat avec moi est un traître." (Matth.XXVI, 21, 23.).
Que de tristesse dans cette plainte ! Que de miséricorde pour le coupable qui connaissait la bonté de son Maître ! Jésus lui ouvrait la porte du pardon ; mais il n'en profite pas : tant la passion qu'il avait voulu satisfaire par son infâme marché avait pris d'empire sur lui ! Il ose même dire comme les autres : " Est-ce moi, Seigneur ?" Jésus lui répond à voix basse, pour ne pas le compromettre devant ses frères : " Oui, c'est toi ; tu l'as dit ". Judas ne se rend pas ; il reste, et va souiller de sa présence les augustes mystères qui se préparent. Il attend l'heure de la trahison.



La Cène. Ozane. Calvaire de Pleyben. Bretagne. XVIIe.

Le repas légal est terminé. Un festin qui lui succède réunit encore à une même table Jésus et ses disciples. Les convives, selon l'usage de l'Orient, se placent deux par deux sur des lits qu'a préparés la munificence du disciple qui prête sa maison et ses meubles au Sauveur pour cette dernière Cène. Jean le bien-aimé est à côté de Jésus, en sorte qu'il peut, dans sa tendre familiarité, appuyer sa tête sur la poitrine de son Maître. Pierre est placé sur le lit voisin, près du Seigneur, qui se trouve ainsi entre les deux disciples qu'il avait envoyés le matin disposer toutes choses, et qui représentent l'un la foi, l'autre l'amour. Ce second repas fut triste ; les disciples étaient inquiets par suite de la confidence que leur avait faite Jésus ; et l'on comprend que l'âme tendre et naïve de Jean eût besoin de s'épancher avec le Sauveur, sur le lit duquel il était étendu, par les touchantes démonstrations de son amour.

Mais les Apôtres ne s'attendaient pas qu'une troisième Cène allait succéder aux deux premières. Jésus avait gardé son secret ; mais, avant de souffrir, il devait remplir une promesse. Il avait dit en présence de tout un peuple :
" Je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour la vie du monde. Ma chair est vraiment nourriture, et mon sang est vraiment breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui." (Johan. VI, 41-59.).

Le moment était venu où le Sauveur allait réaliser cette merveille de sa charité pour nous. Mais comme il avait promis de nous donner sa chair et son sang, il avait dû attendre l'heure de son immolation. Voici maintenant que sa Passion est commencée ; déjà il est vendu à ses ennemis ; sa vie est désormais entre leurs mains ; il peut donc maintenant s'offrir en sacrifice, et distribuer à ses disciples la propre chair et le propre sang de la victime.

Le second repas finissait, lorsque Jésus se levant tout à coup, aux yeux des Apôtres étonnés, se dépouille de ses vêtements extérieurs, prend un linge, s'en ceint comme un serviteur, met de l'eau dans un bassin, et annonce par ces indices qu'il s'apprête à laver les pieds à des convives. L'usage de l'Orient était qu'on se lavât les pieds avant de prendre part à un festin ; mais le plus haut degré de l'hospitalité était lorsque le maître de la maison remplissait lui-même ce soin à l'égard de ses hôtes. C'est Jésus qui invite en ce moment ses Apôtres au divin repas qu'il leur destine, et il daigne agir avec eux comme l'hôte le plus empressé. Mais comme ses actions renferment toujours un fonds inépuisable d'enseignement, il veut, par celle-ci, nous donner un avertissement sur la pureté qu'il requiert dans ceux qui devront s'asseoir à sa table.

" Celui qui est déjà lavé, dit-il, n'a plus besoin que de se laver les pieds " (Johan. XIII, 10.) ; comme s'il disait : Telle est la sainteté de cette divine table, que pour en approcher, non seulement il faut que l'âme soit purifiée de ses plus graves souillures ; mais elle doit encore chercher à effacer les moindres, celles que le contact du monde nous fait contracter, et qui sont comme cette poussière légère qui s'attache aux pieds. Nous expliquerons plus loin les autres mystères signifiés dans le lavement des pieds.

Jésus se dirige d'abord vers Pierre, le futur Chef de son Eglise. L'Apôtre se refuse à permettre une telle humiliation à son Maître ; Jésus insiste, et Pierre est contraint de céder. Les autres Apôtres qui, ainsi que Pierre, étaient restés sur les lits, voient successivement leur Maître s'approcher d'eux et laver leurs pieds. Judas même n'est pas excepté. Il avait reçu un second et miséricordieux avertissement quelques instants auparavant, lorsque Jésus, parlant à tous, avait dit :
" Pour vous, vous êtes purs, mais non pas tous cependant." (Johan. XIII, 10.).

Ce reproche l'avait laissé insensible. Jésus, ayant achevé de laver les pieds des douze, vient se replacer sur le lit près de la table, à côté de Jean.



Le lavement des pieds. Giotto. Chapelle des Scrovegni. Padoue. XIVe.

Alors, prenant du pain azyme qui était resté du repas, il élève les yeux au ciel, bénit ce pain, le rompt et le distribue à ses disciples, en leur disant :
" Prenez et mangez ; ceci est mon corps."
Les Apôtres reçoivent ce pain devenu le corps de leur Maître ; ils s'en nourrissent ; et Jésus n'est plus seulement avec eux à la table, il est en eux. Ensuite, comme ce divin mystère n'est pas seulement le plus auguste des Sacrements, mais qu'il est encore un Sacrifice véritable, qui demande l'effusion du sang, Jésus prend la coupe; et, transformant en son propre sang le vin dont elle est remplie, il la passe à ses disciples, et leur dit :
" Buvez-en tous ; car c'est le sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour vous."
Les Apôtres participent les uns après les autres à ce divin breuvage, et Judas à son tour ; mais il boit sa condamnation, comme tout à l'heure, dans le pain sacré, il a mangé son propre jugement (I. Cor. XI, 29.). L'inépuisable bonté du Sauveur cherche cependant encore à faire rentrer le traître en lui-même. En donnant la coupe aux disciples, il a ajouté ces terribles paroles :
" La main de celui qui me trahit est avec moi à cette table." (Luc. XXII, 21.).

Pierre a été frappé de cette insistance de son Maître. Il veut connaître enfin le traître qui déshonore le collège apostolique ; mais n'osant interroger Jésus, à la droite duquel il est place, il fait signe à Jean, qui est à la gauche du Sauveur, pour tâcher d'obtenir un éclaircissement. Jean se penche sur la poitrine de Jésus et lui dit à voix basse :
" Maître, quel est-il ?"
Jésus lui répond avec la même familiarité :
" Celui à qui je vais envoyer un morceau de pain trempé."
Il restait sur la table quelques débris du repas ; Jésus prend un peu de pain, et l'ayant trempé, il l'adresse à Judas. C'était encore une invitation inutile à cette aine endurcie à tous les traits de la grâce ; aussi l'Evangéliste ajoute :
" Après qu'il eut reçu ce morceau, Satan entra en lui." (Johan. XIII, 27.).
Jésus lui dit encore ces deux mots :
" Ce que tu as à faire, fais-le vite." (Ibid.).
Et le misérable sort de la salle pour l'exécution de son forfait.

Telles sont les augustes circonstances de la Cène du Seigneur, dont l'anniversaire nous réunit aujourd'hui ; mais nous ne l'aurions point suffisamment racontée aux âmes pieuses, si nous n'ajoutions un trait essentiel. ,Ce qui se passe aujourd'hui dans le Cénacle n'est point un événement arrivé une fois dans la vie mortelle du Fils de Dieu, et les Apôtres ne sont pas seulement les convives privilégiés de la table du Seigneur. Dans le Cénacle, de même qu'il y a plus qu'un repas, il y a autre chose qu'un sacrifice, si divine que soit la victime offerte par le souverain Prêtre. Il y a ici l'institution d'un nouveau Sacerdoce. Comment Jésus aurait-il dit aux hommes :
" Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez point la vie en vous " (Ibid. VI, 54.), s'il n'eût songé à établir sur la terre un ministère par lequel il renouvellerait, jusqu'à la fin des temps, ce qu'il vient d'accomplir en présence de ces douze hommes ?



La Cène. Le Tintoret. XVIe.

Or voici ce qu'il dit à ces hommes qu'il a choisis :
" Vous ferez ceci en mémoire de moi." (Luc. XXII, 19.).
Il leur donne par ces paroles le pouvoir de changer, eux aussi, le pain en son corps et le vin en son sang ; et ce pouvoir sublime se transmettra dans l'Eglise, par la sainte ordination, jusqu'à la fin des siècles. Jésus continuera d'opérer, par le ministère d'hommes mortels et pécheurs, la merveille qu'il accomplit dans le Cénacle ; et en même temps qu'il dote son Eglise de l'unique et immortel Sacrifice, il nous donne, selon sa promesse, par le Pain du ciel, le moyen de " demeurer en lui, et lui en nous ". Nous avons donc à célébrer aujourd'hui un autre anniversaire non moins merveilleux que le premier : l'institution du Sacerdoce chrétien.

Afin d'exprimer d'une manière sensible aux yeux du peuple fidèle la majesté et l'unité de cette Cène que le Sauveur donna à ses disciples, et à nous tous en leur personne, la sainte Eglise interdit aujourd'hui aux Prêtres la célébration des Messes privées, hors le cas de nécessité. Elle veut qu'il ne soit offert dans chaque église qu'un seul Sacrifice, auquel tous les Prêtres assistent ; et au moment de la communion, on les voit tous s'avancer vers l'autel, revêtus de l'étole, insigne de leur sacerdoce, et recevoir le corps du Seigneur des mains du célébrant.

La Messe du Jeudi saint est une des plus solennelles de l'année ; et quoique l'institution de la fête du Très-Saint-Sacrement ait pour objet d'honorer avec plus de pompe le même mystère, l'Eglise, en l'établissant, n'a pas voulu que l'anniversaire de la Cène du Seigneur perdit rien des honneurs auxquels il a droit. La couleur adoptée à cette Messe pour les vêtements sacrés est le blanc, comme aux jours mêmes de Noël et de Pâques ; tout l'appareil du deuil a disparu. Cependant plusieurs rites extraordinaires annoncent que l'Eglise craint encore pour son Epoux, et qu'elle ne fait que suspendre un moment les douleurs qui l'oppressent. A l'autel, le Prêtre a entonné avec transport l'Hymne angélique :
" Gloire à Dieu au plus haut des cieux !"

Tout à coup les cloches ont retenti en joyeuse volée, accompagnant jusqu'à la fin le céleste cantique ; mais à partir de ce moment elles vont demeurer muettes, et leur silence durant de longues heures va faire planer sur la cité une impression de terreur et d'abandon. La sainte Eglise, en nous sevrant ainsi du grave et mélodieux accent de ces voix aériennes, qui chaque jour parcourent les airs et vont jusqu'à notre cœur, veut nous faire sentir que ce monde, témoin des souffrances et de la mort de son divin Auteur, a perdu toute mélodie, qu'il est devenu morne et désert ; et joignant un souvenir plus précis à cette impression générale, elle nous rappelle que les Apôtres, qui sont la voix éclatante du Christ, et sont figurés par les cloches dont le son appelle les fidèles à la maison de Dieu, se sont enfuis et ont laissé leur Maître en proie à ses ennemis.

Le Sacrifice poursuit son cours ; mais au moment où le Prêtre élève l'Hostie sainte et le Calice du salut, la cloche reste déjà dans son silence, et rien n'annonce plus au dehors du temple l'arrivée du Fils de Dieu. La communion générale est proche, et le Prêtre ne donne pas le baiser de paix au Diacre, qui, selon la tradition apostolique, doit le transmettre aux communiants par le Sous-Diacre. La pensée se reporte alors sur l'infâme Judas, qui, aujourd'hui même, a profané le signe de l'amitié, et en a fait l'instrument du meurtre. C'est pour cela que l'Eglise, en exécration du traître, et comme si elle craignait de renouveler un si fatal souvenir en un tel moment, s'abstient aujourd'hui de ce témoignage de la fraternité chrétienne qui fait partie essentielle des rites delà Messe solennelle.



Le lavement des pieds. A. H.. Flandres. XVIe.

Mais un rite non moins insolite s'est accompli à l'autel, dans l'action même du Sacrifice. Le Prêtre a consacré deux hosties, et, après en avoir consommé une, il a réservé l'autre, et l'a placée dans un calice qu'il a soigneusement enveloppé. C'est que l'Eglise a résolu d'interrompre demain le cours du Sacrifice perpétuel dont l'offrande sanctifie chaque journée. Telle est l'impression que lui fait éprouver ce cruel anniversaire, qu'elle n’osera renouveler sur l'autel, en ce jour terrible, l'immolation qui eut lieu sur le Calvaire. Elle restera sous le coup de ses souvenirs, et se contentera de participer au Sacrifice d'aujourd'hui, dont elle aura réservé une seconde hostie. Ce rite s'appelle la Messe des Présanctifiés, parce que le Prêtre n'y consacre pas, mais consomme seulement l'hostie consacrée le jour précédent. Autrefois, comme nous le dirons plus tard, la journée du Samedi saint se passait aussi sans qu'on offrît le saint Sacrifice ; mais on n'y célébrait pas, comme le Vendredi, la Messe des Présanctifiés.

Toutefois, si l'Eglise suspend durant quelques heures l'offrande du Sacrifice éternel, elle ne veut pas cependant que son divin Epoux y perde quelque chose des hommages qui lui sont dus dans le Sacrement de son amour. La piété catholique a trouvé le moyen de transformer en un triomphe pour l'auguste Eucharistie ces instants où l'Hostie sainte semble devenue inaccessible à notre indignité. Elle prépare dans chaque temple un reposoir pompeux. C'est là qu'après la Messe d'aujourd'hui l'Eglise transportera le corps de son Epoux ; et bien qu'il y doive reposer sous des voiles, ses fidèles l'assiégeront de leurs vœux et de leurs adorations. Tous viendront honorer le repos de l'Homme-Dieu ; " là où sera le corps, les aigles s'assembleront " (Matth. XXIV, 28.) ; et de tous les points du monde catholique un concert de prières vives et plus affectueuses qu'en tout autre temps de l'année, se dirigera vers Jésus, comme une heureuse compensation des outrages qu'il reçut en ces mêmes heures de la part des Juifs. Près de ce tombeau anticipé se réuniront et les âmes ferventes en qui Jésus vit déjà, et les pécheurs convertis par la grâce et déjà en voie de réconciliation.

A Rome, la Station est dans la Basilique de Latran. La grandeur de ce jour, la réconciliation des Pénitents, la consécration du Chrême, ne demandaient pas moins que cette métropole de la ville et du monde.

EPÎTRE

Lecture de l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. I, Chap. XI. :



Saint Paul. Détail. Anonyme flamand. XVIe.


" Mes Frères, lorsque vous vous assemblez comme vous faites, ce n'est plus manger la Cène du Seigneur. Car chacun se hâte de manger son souper à part, en sorte que l'un n'a rien à manger, tandis que l'autre fait des excès. N'avez-vous pas vos maisons pour y manger et y boire ? Méprisez-vous l'Eglise de Dieu ? Voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres ? Que vous irai-je ? Faut-il vous louer ? Non, certes ; je ne vous louerai pas. C'est du Seigneur lui-même que j'ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit et dit :
" Prenez et mangez ; ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi."
Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant :
" Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez ; car tous les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne."
Ainsi donc, celui qui mangera ce pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur ! Que l'homme donc s'éprouve soi-même, et qu'il mange ainsi de ce pain, e boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement, ne faisant pas le discernement qu'il doit faire du corps du Seigneur.
C'est pour cela que parmi vous beaucoup sont malades et languissants, et que beaucoup même sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés ; mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur lui-même qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde."


Le grand Apôtre, après avoir repris les chrétiens de Corinthe des abus auxquels donnaient lieu ces repas nommés Agapes, que l'esprit de fraternité avait fait instituer, et qui ne tardèrent pas à être abolis, raconte la dernière Cène du Sauveur. Il appuie son récit, conforme en tout a celui des Evangélistes, sur le propre témoignage du Sauveur lui-même, qui daigna lui apparaître et l'instruire en personne après sa conversion. L'Apôtre insiste sur le pouvoir que le Sauveur donna à ses disciples de renouveler l'action qu'il venait de faire, et il nous enseigne en particulier que chaque fois que le Prêtre consacre le corps et le sang de Jésus-Christ, " il annonce la mort du Seigneur ", exprimant par ces paroles l'unité de sacrifice sur la croix et sur l'autel. La conséquence d'un tel enseignement est facile a déduire.

L'Apôtre nous la propose lui-même :
" Que l’homme donc s'éprouve, dit-il, et qu'ensuite il mange de ce pain et boive de ce calice."
En effet, pour être initié d'une manière si intime au sublime mystère de la Rédemption, pour contracter une telle union avec la divine Victime, nous devons bannir de nous tout ce qui est du péché et de l'affection au péché.

" Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui ", dit le Sauveur. Se peut-il rien de plus intime ? Dieu devient l'homme, et l'homme devient Dieu, dans cet heureux moment. Avec quel soin devons-nous purifier notre âme, unir notre volonté à celle de Jésus, avant de nous asseoir à cette table qu'il a dressée pour nous, à laquelle il nous convie ! Demandons-lui de nous préparer lui-même, comme il prépara ses Apôtres, en leur lavant les pieds. Il le fera aujourd'hui et toujours, si nous savons nous prêter à sa grâce et à son amour.

ÉVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. XIII.



Le lavement des pieds. Duccio di Buoninsegna.
Cathédrale de Sienne. XIVe.

" Avant le jour de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin. Et le souper étant fini, lorsque déjà le diable avait mis dans le cœur de Judas Iscariote de le trahir, Jésus sachant que son Père avait tout remis entre ses mains, et qu'il était sorti de Dieu, et retournait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et, ayant pris un linge, il se ceignit. Ensuite il mit de l'eau dans un bassin, et commença à laver les pieds de ses disciples, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Il vint donc à Simon Pierre ; et Pierre lui dit :
" Vous, Seigneur, vous me laveriez les pieds !"
Jésus lui dit :
" Ce que je fais, tu l'ignores présentement ; mais tu le sauras plus tard."
Pierre lui dit :
" Jamais vous ne me laverez les pieds."
Jésus lui répondit :
" Si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi."
Simon Pierre lui dit :
" Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tète."
Jésus lui dit :
" Celui qui est déjà lavé n'a besoin que de laver ses pieds, et il est pur et net dans tout le reste ; pour vous, vous êtes purs ; mais non pas tous."
Car il savait qui le trahirait ; c'est pourquoi il dit :
" Vous n'êtes pas tous purs ".
Après qu'il leur eut lavé les pieds, et qu'il eut repris ses vêtements, s'étant remis à table, il leur dit :
" Savez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m'appelez Maître et Seigneur,
et vous dites bien ; car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds,
moi Maître et Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns
aux autres. Car je vous ai donné l'exemple, afin que, comme je vous ai
fait, vous fassiez aussi."



Le lavement des pieds. Calvaire de l'enclos paroissial de Guimillau.
Léon. Bretagne. XVIIe.


L'action du Sauveur lavant les pieds à ses disciples avant de les admettre à la participation de son divin mystère, renferme une leçon pour nous. Tout à l'heure l'Apôtre nous disait : " Que l'homme s'éprouve lui-même " ; Jésus dit à ses disciples : " Pour vous, vous êtes purs ". Il est vrai qu'il ajoute : " mais non pas tous ". De même l'Apôtre nous dit " qu'il en est qui se rendent coupables du corps et du sang du Seigneur ".

Craignons le sort de ceux-là, et éprouvons-nous nous-mêmes ; sondons notre conscience avant d'approcher de la table sacrée. Le péché mortel, l'affection au péché mortel, transformeraient pour nous en poison l'aliment qui donne la vie à l'âme.



Le lavement des pieds. Verrière.
Eglise de la Madeleine. Strasbourg. XVe.

Mais si nous devons respecter assez la table du Seigneur, pour ne pas nous y présenter avec la souillure qui fait perdre à l'âme la ressemblance de Dieu et lui donne les traits hideux de Satan, nous devons aussi, par respect pour la sainteté divine qui va descendre en nous, purifier les taches légères qui la blesseraient.

" Celui qui est déjà lavé, dit le Seigneur, n'a besoin que de laver ses pieds."
Les pieds sont les attaches terrestres dans lesquelles nous sommes si souvent exposés à pécher. Veillons sur nos sens, sur les mouvements de notre âme. Purifions ces taches par une confession sincère, par la pénitence, par le regret et l'humiliation ; afin que le divin Sacrement, entrant en nous, soit reçu dignement, et qu'il opère dans toute la plénitude de sa vertu.

17 avril. Saint Anicet, pape et martyr. 161.

- Saint Anicet, pape et martyr. 166.

Papes : saint Pie Ier (prédécesseur) ; saint Soter (successeur). Empereurs romains : Antonin le Pieux ; Lucius Verus ; Marc-Aurèle.

" La vie des clercs tout entière doit se distinguer de celle des laïques."
Saint Anicet aux évêques des Gaules.

Un Pape martyr du deuxième siècle se montre aujourd'hui sur le Cycle. Les martyrs se sont donnés rendez-vous auprès de Jésus ressuscité. Ils sont ces aigles dont il nous parle dans son Evangile, et qui volent de concert vers l'objet de leurs désirs (Matth. XXIV, 28.). Anicet n'est pas le seul pape honoré de la palme que nous aurons à fêter en ces jours ; d'autres réclameront bientôt nos hommages.

Quant à lui, ses actions nous sont peu connues, tant il plonge avant dans les fondements même de l'Eglise. Sur la chaîne des Pontifes, il est le onzième anneau après saint Pierre ; mais sa sainteté et son courage ont rendu sa mémoire immortelle. On sait que le grand saint Polycarpe, dont nous avons honoré la mémoire au vingt-six janvier, vint de Smyrne à Rome pour visiter Anicet et conférer avec lui. Il est resté aussi quelques traces du zèle que le saint pape fît paraître pour défendre son troupeau contre les atteintes des deux hérésiarques Valentin et Marcion ; enfin nous savons qu'il fut martyr, et c'est assez pour sa gloire.

Saint Anicet était originaire du bourg d'Amisa, en Syrie. Son père se nommait Jean et était habitant du bourg d'Omise ; il gouverna l'Église sous Marc-Aurèle, et succéda, sur le trône pontifical, à Pie Ier. Il était le onzième sucesseur de saint Pierre.

Il arrivait à la tête de l'Église en des temps difficiles. Il eut à combattre le Gnosticisme, qui était alors à son apogée et dont le siège était à Rome, avec ses chefs, Valentin, Marcion et Apelles parmis les plus tristement fameux.

Ces hérétiques, qui avaient la prétention de prendre dans chaque religion, dans chaque système philosophique, ce qu'il y avait de " meilleur ", enseignaient erreur sur erreur, altérant toutes les vérités dans tous les dogmes, et se disant volontiers Chrétiens avec les Chrétiens, Païens avec les Paîens, etc.

Outre les pernicieuses doctrines qu'ils enseignaient, se donnant donc pour chrétiens, ils rendirent la religion odieuse par leur vie désordonnée et leurs actions infâmes. Saint Anicet s'opposa aux progrès de l'hérésie de toute la force de son autorité et de sa doctrine et Dieu, en même temps, le consolait par l'arrivée de plusieurs saints personnages.

C'est sous son pontificat que saint Justin le Philosophe (que nous fêtons le 13 avril) vint passer quelque temps à Rome et y composa cette seconde apologie de la religion chrétienne qui lui valut le martyre.

En 157, Hégésippe, Juif converti, vint à Rome et composa, à la demande de notre saint Pape, une histoire de l'Eglise, qui s'étendait depuis la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ jusqu'au pontificat de saint Anicet, et dont nous ne conservons hélas que les fragments qu'Eusèbe de Césarée à gardé dans son Commentaires sur les Actes des Apôtres.

La cinquième année du règne de Marc-Aurèle, Anicet reçut la visite de saint Polycarpe, évêque de Smyrne, en Asie, et ancien disciple de saint Jean l'Évangéliste. C'est lui, rappelons-le au passage, qui avait coutume de répéter, en se bouchant les oreilles et s'enfuyant du mauvais lieu où il lui arrivait de pouvoir se trouver :
"Dans quel siècle, mon Dieu ! M'avez-vous fait naître !"


Saint Polycarpe prêchant. Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Il s'agit entre autre d'une illustration, sinon de l'obligation, du moins de l'usage, dès le commencement de l'Eglise, de la visite Ad limina Apostolorum.

On voit en effet, et l'on peut citer une foule d'exemples, dès les premiers temps de l'Eglise, des évêques allant visiter les Papes, même ceux des catacombes ; mais on ne voit pas un seul Pape usant de réciprocité et allant visiter ou consulter un autre siège.

Et cela est tellement éloquent que la notoriété allait à l'époque pour saint Polycarpe, qui avait vécu dans l'intimité de saint Jean, tandis qu'Anicet n'était qu'un simple prêtre issu d'une ancienne colonie d'Athènes : c'est bien saint Polycarpe qui alla au Pape.

Saint Polycarpe vin aussi pour consulter saint Anicet sur la question de la célébration de la fête de Pâques, question qui ne fut décidée que sous le pape Victor.

Saint Anicet et saint Polycarpe ne purent s'entendre, mais cela ne troubla en rien leur bonne harmonie. Pour preuve, nous avons le témoignage de saint Irénée de Lyon qui rapporte que " Anicet voulut, pour rendre hommage à Polycarpe, que ce dernier célébrât les saints mystères dans l'église de Rome, en sa présence ".
Saint Polycarpe avait parlé au peuple assemblé, et sa parole avait converti grand nombre d'hérétiques ; l'insolence de Marcion avait été confondue par cette parole si connue du Saint :
" Je te connais pour le fils aîné de Satan."

Se séparant enfin et à regret, ils ne devaient plus se revoir qu'au ciel où le martyre les conduisit tous deux.

On attribue à ce pape un décret adressé aux évêques des Gaules qui " défendait aux clercs de laisser croître et d'entretenir leur chevelure ", et " leur ordonnait de couper leurs cheveux en forme de couronne sur le sommet de la tête ", ce qui est la tonsure.

Cette recommandation n'était ni vaine ni anecdotique. En effet, ce rappel de la première épître de saint Paul aux Corinthiens (XI, 14.), où l'Apôtre disait que " la nature elle-même nous apprend que c'est une honte, pour un homme, de laisser croître sa chevelure ", s'adressait opportunément aux évêques des Gaules, pays où il était une mode, un honneur, voire un besoin de porter les cheveux très longs.

Et encore, saint Germain de Constantinople rapporte à ce sujet une tradition qui a son importance :
" La couronne ou tonsure du prêtre, outre sa signification de renoncement aux frivolités du monde, rappelle un fait de l'histoire évangélique. Quand saint Pierre fut envoyé par le Sauveur pour annoncer l'avénement du Messie aux bourgades de Palestine, les Juifs, incrédules à sa prédication, se saisirent de sa personne, et par dérision lui coupèrent les cheveux en rond sur le haut de la tête. Au retour de cette première mission, le Christ bénit son apôtre, et cette bénédiction changea en couronne de gloire, plus précieuse que l'or et les perles, la couronne d'ignominies infligée à saint Pierre."

Enfin, la mention expresse de cette coutume se trouve dans le livre de la hiérarchie ecclésiastique de saint Denys l'Aréopagite.

Saint Anicet ordonna aussi qu'un prêtre ne pourrait être sacré évêque que par trois autres prélats, comme le Concile de Nicée l'a aussi défini plus tard, et que, pour le Métropolitain, tous les évêques de sa province assisteraient au sacre.

Saint Anicet fit cinq fois les ordres au mois de décembre, et ordonna dix-sept prêtres, quatre diacres et neuf évêques pour divers lieux. Il vécut dans le pontificat huit ans, huit mois et vingt-quatre jours. Il reçut la couronne du martyre pour la foi du Christ, et fut enseveli sur la voie Appienne, dans le cimetière qui fut depuis appelé de Calliste.

RELIQUES

Le corps de saint Anicet fut exhumé en 1604, par la permission de Clément VIII, et donné à Jean Ange, duc d'Altemps (qui était parent avec l'illustre famille des Borromée), qui le mit dans une chapelle de son palais, bâtie tout exprès et très richement ornée.

Le chef de saint Anicet fut donnée au duc de Bavière, et il existe une relique de notre saint Pape à Saint-Vulfran d'Abbeville.

Dans les représentation artistiques, on place près de saint Anicet une roue qui aurait été l'instrument de son supplice.

PRIERE

" Saint Pontife, admis depuis tant de siècles dans la gloire du Christ dont vous fûtes le vicaire et le martyr, nous célébrons aujourd'hui d'un cœur filial votre mémoire bénie. Nous vénérons en vous l'une des glorieuses assises de la maison de Dieu ; et si votre nom est venu jusqu'à nous sans être accompagné du récit des oeuvres par lesquelles vous avez mérité la palme, nous savons du moins qu'il fut cher aux fidèles de votre temps. Au ciel, vous conservez le zèle pastoral qui vous anima sur la terre pour la gloire de votre Maître : soyez-y propice, Ô Anicet, à l'Eglise de nos temps.

Plus de deux cents Pontifes se sont succédé après vous sur la Chaire de Pierre, et le juge du dernier jour n'est pas descendu encore. Assistez votre successeur qui est notre Père, et secourez son troupeau, au milieu des dangers inouïs, qui l'assiègent. Vous avez gouverné l'Eglise durant la tempête ; priez Jésus ressuscité, afin qu'il se lève et commande à l'orage ; mais demandez-lui pour nous la constance. Elevez nos pensées vers la patrie céleste, afin qu'à votre exemple nous soyons toujours prêts à obéir au signal divin. Nous sommes les fils des martyrs ; leur foi est la nôtre, notre espérance doit être commune."

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mercredi, 16 avril 2025

16 avril. Saint Paterne ou saint Pair, évêque d'Avranches, et saint Scubilion, le compagnon de sa solitude. 565.

- Saint Paterne ou saint Pair, évêque d'Avranches, et saint Scubilion, le compagnon de sa solitude. 565.

Pape : Jean III. Roi de France : Sigebert Ier.

" Efforcez-vous d'affermir votre vocation et votre élection par les bonnes oeuvres."
II Pet., I, 10.


Saint Paterne et saint Scubilion.
Verrière de l'église Saint-Patrice. Rouen. Normandie.

Saint Paterne, dit autrement saint Pair, naquit à Poitiers, ville de Guyenne, vers l'an 480, de parents fort illustres par leur noblesse et par les charges qu'ils possédaient. Son père y remplissait des fonctions importantes. Après la mort de celui-ci, Julite, sa veuve, éleva son fils dans les principes qu'une mère vertueuse peut inspirer à ses enfants, et le jeune Paterne fit de grands progrès dans l'exercice de la loi chrétienne.

Il avait ainsi atteint sa vingtième année, lorsque cédant à une inspiration du ciel, il prit l'habit religieux au monastère d'Ansion, appelé depuis Saint-Jouin-de-Marnes. Son esprit d'ordre, sa discrétion, son amour de la régularité persuadèrent à son abbé qu'il remplirait bien la charge de cellérier, et en effet il s'en acquitta de manière à prouver qu'un jour il pourrait diriger des affaires autrement importantes.

Bientôt, il voulut chercher une solitude plus retirée, afin d'y vivre selon une pratique plus parfaite de l'humilité, de la mortification et de la pénitence. Il s'en ouvrit à son confrère nommé Scubilion et ils s'enfuirent en secret dans une région lointaine pour se fixer dans la Normandie, non loin de la ville de Coutances, ville déjà pourvue d'un évêché. Il n'y vécurent pas longtemps sans que le peuple, attiré vers eux par des vertus qui l'édifiait, ne leur rendît bientôt importunes des visites journalières qui leur ôtaient la liberté de la prière et des saints exercices.


Eglise Saint-Pair. Saint-Pair-sur-Mer
(cette commune s'appelait autrefois Scicy). Cotentin.

Ils y vécurent quelques temps comme des ermites, en un lieu fort solitaire ; enfin, un homme de bien de ce pays les pria d'aller à un village nommé Scicy, pour en convertir les habitants qui vivaient encore dans les ténèbres du paganisme. Ils y allèrent et y semèrent le bon grain de l'Evangile ; mais cette terre, n'étant pas disposée à le recevoir, ne produisit pas le fruit qu'on pouvait en attendre. Au contraire, les habitants, féroces comme des bêtes sauvages, les accablèrent d'outrages.

Cependant, les deux saints personnages se retirèrent dans une caverne où il vécurent pendant trois. Au bout de ce temps, l'abbé d'Ansion, Générosus, qui, admirant l'excès de leur pénitence, essaya néanmoins de la modérer : il reconduisit saint Scubilion au monastère poitevin, et recommanda saint Paterne à l'évêque de Coutances, Léontien. Ce prélat, connaissant les talents que Dieu vait donné pour la prédication de l'Evangile à notre Saint, l'ordonna diacre d'abord, puis prêtre en 512.


Saint Paterne. Eglise Saint-Paterne.
Louvigné-de-Bais. Marches de Bretagne.

Saint Paterne fit bien profiter le talent du Seigneur et, rejoint par saint Scubilion sur ordre de l'abbé d'Ansion, il entreprit de convertir la contrée de Scicy, d'arracher les restes de l'idolâtrie, et, de faire ainsi pour toutes les contrées qu'il parcourut avec son saint confrère : le Cotentin, le Bessin, le pays du Mans, d'Avranches, de Rennes en Bretagne (à ce sujet, on ne confondra pas saint Patern, dit l'Ancien, premier évêque de Vannes au Ve siècle, que l'on fête au 15 avril, et dont une magnifique église de cette ville porte le nom et conserve une infime et précieuse partie de ses reliques). Il établit dans toutes ces provinces des monastères qu'il peupla de saints religieux dont il fut le supérieur et l'abbé.

Dieu l'honora de si grands et de si fréquents miracles, que le bruit de sa sainteté se répandit bientôt à la cour de Childebert, roi de France ; et ce prince l'envoya prier de venir à Paris. Ce ne fut sur son parcours que miracles : par ses prières et le signe de la croix, il rendait la vue aux aveugles, délivrait les possédés, etc.


Eglise Saint Paterne. Louvigné-de-Bais. Marches de Bretagne.

Après avoir satisfait à ce que le roi désirait de lui, il s'en retourna en sa première solitude du Cotentin, près de Scicy, jusqu'à ce que Notre Seigneur Jésus-Christ lui fit voir en songe trois saints évêques décédés depuis peu, saint Melaine, saint Léontien et saint Vigor le consacré lui-même évêques. Pensant être trompé par une illusion, saint Paterne n'en parla à personne, mais bientôt l'évêque d'Avranches décéda et il fut porté sur le siège épiscopal par la volonté unanime du clergé et du peuple.

Saint Paterne gouverna cette église l'espace de treize ans avec tout le zèle et toute la sollicitude d'un vigilant prélat. Il assista au troisième concile de Paris, en 557, et, de retour à Avranches, il tomba malade le lendemain de Pâques, alors qu'il se disposait à rendre visite au monastère de Scicy qu'il avait fondé et qui était si cher à son coeur puisque c'est saint Scubilion qui en était l'abbé.

Se sentant en danger, il envoya prier saint Scubilion de le venir assister en ce dernier passage. Mais son messager en rencontra un autre en chemin, qui venait de la part de ce saint abbé, aussi tombé malade, lui faire la même prière. Ainsi, l'évêque et l'abbé moururent le même jour, le 16 avril 565, pour se rencontrer ensemble à une même heure devant le tribunal de Dieu et dans la posssession de l'éternité bienheureuse.

Nos deux Saints choisirent leur sépulture dans l'église du monastère de Scicy. Il arriva de plus, que les convois, dont l'un était conduit par saint Lô (ou Laud), évêque de Coutances, et l'autre par Lascivius, évêque d'un autre lieu, arrivèrent ensemble et au même moment devant la porte de l'église du monastère.


Tombe renfermant le sarcophage de saint Pair.
Eglise Saint-Pair. Saint-Pair-sur-Mer. Cotentin.

RELIQUES

Les reliques de saint Paterne et de saint Scubilion se toruvent toujours dans l'église de Scicy - devenue aujourd'hui Saint-Pair-sur-Mer -, qui est depuis longtemps l'église paroissiale.

Des parties de ces reliques ont été détachées et ont été transportées à Issoudun et à Orléans, où l'on bâtit des églises du nom de saint Paterne. Il faut mentionner que celle d'Issoudun n'existe plus : elle fut ravagée pendant la tempête révolutionnaire. Les saintes reliques ont été sauvé par un brave homme et existent toujours et sont conservées dans l'église Saint-Cyr de la même ville. Cette ville avait aussi reçu des reliques de saint Patern l'Ancien, premier évêque de Vannes ; les bêtes sauvages révolutionnaires s'en emparèrent et les détruisirent.


Eglise Saint-Paterne. Orléans.

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mardi, 15 avril 2025

15 avril. Saint Pierre Gonzalez, appelé plus usuellement saint Elme ou saint Telme, dominicain. 1248.

- Saint Pierre Gonzalez, appelé plus usuellement saint Elme ou saint Telme, dominicain. 1248.
 
Papes : Clément III ; Innocent IV. Rois de Léon : Alphonse IX ; Ferdinand III, de Castille.
 
" Il est bon Seigneur que Vous m'ayez humilié."
Saint Elme.
 

Saint Pierre Gonzalez naquit, l'an 1190, dans la ville d'Astorga, en Espagne, d'une famille distinguée. Son oncle, évêque de Palencia, charmé de ses talents, le pourvut d'un canonicat et le fit ensuite nommer doyen du Chapitre de sa cathédrale.

Le jour de sa prise de possession, Gonzalez, naturellement vaniteux, voulut traverser la ville sur un cheval superbement paré. C'est là que la Providence l'attendait : sa vanité se repaissait des applaudissements de la foule, quand le cheval se cabra, renversant dans la boue l'orgueilleux cavalier, au milieu des huées de la populace. Cette humiliation fut un coup de la grâce. Pierre se releva tout confus, et dit à haute voix :
" Puisque le monde se moque de moi, je me moquerai de lui à mon tour."
Il tint parole.
 

Saint Pierre Gonzalez. Eglise Saint-Dominique.
San Cristobal de las Casas. Chiapas. Mexique. XVIIIe.

Dans la solitude, le jeûne et la prière, il dompta son orgueil et devint un modèle de pénitence et d'humilité. Décidé à rompre entièrement avec le siècle, il se démit de sa dignité pour se faire humble enfant de Saint-Dominique et employer ses talents à gagner des âmes au Ciel.

Il passait la plus grande partie des nuits à méditer, à prier, à étudier, et consacrait le jour à instruire les fidèles. Les libertins fondaient en larmes à ses sermons, et venaient à ses pieds avouer leurs désordres : il fut l'instrument d'une multitude de conversions.


Saint Ferdinand III de Castille et Leon. Enluminure anonyme. XIIIe.

Le roi d'Espagne, saint Ferdinand III (il fut canonisé en 1671), voulut attacher Gonzalez à sa personne et l'emmener partout avec lui, même à la guerre. Le saint religieux profita de la confiance du prince pour procurer la gloire de Dieu et il vint à bout de réformer bien des désordres, vivant toujours à la cour ou dans les camps, avec la même austérité et la même régularité que dans le cloître.

Notre Saint accompagna Ferdinand III dans toutes ses expéditions contre les Maures, et eut une grande part à ses victoires par ses prières, par ses conseils, mais aussi par les réformes qu'il lui inspira et qui touchaient aux moeurs des soldats et de leurs chefs.


Gravure de Manuel Pablo Nunez. XVIe.

La prise de Cordoue, en 1236, fut pour lui une occasion de déployer son zèle. Il modéra l'ardeur des vainqueurs, sauva l'innocence des vierges de l'insolence des soldats, et fit épargner le sang ennemi. Il exorcisa et purifia les mosquées dont beaucoup avaient été des églises aux premiers temps des Espagnes.

La grande mosquée de Cordoue fut ainsi changée en cathédrale. On y trouva les cloches et les ornements que les Maures avaient fait apporter de Compostelle, deux cents ans auparavant, sur les épaules des Chrétiens. Ferdinand III obligea les vaincus à les rapporter à Compostelle de la même manière.


Saint Pierre Gonzalez. Statue votive. Ecouen. XVIIe.

Quelques seigneurs licencieux résolurent de le perdre et gagnèrent à prix d'argent une courtisane pour le séduire. Gonzalez, comprenant les intentions de la malheureuse, allume un grand feu et se place au milieu, enveloppé de son manteau. A la vue de ce prodige, la misérable tombe à genoux et se convertit sincèrement ; les seigneurs qui l'avaient gagnée en firent autant.

Cependant, malgré toutes les sollicitations du roi, Gonzalez quitta la cour : ayant assez fait pour les grands, il aspirait à instruire et à consoler les pauvres habitants des campagnes. Il passa le reste de sa vie à les évangéliser, avec un incroyable succès : les montagnes les plus escarpées, les lieux les plus inaccessibles, la grossièreté ou l'ignorance des populations enflammaient sa charité ; des miracles accompagnaient ses paroles et leur faisaient porter de merveilleux fruits, surtout parmi les marins espagnols.


Un jour qu'il prêchait, le démon souleva un orage épouvantable, et la foule s'enfuyait déjà cherchant un abri, quand Gonzalez, par un grand signe de Croix, divisa les nuages, de sorte qu'il ne tomba pas une goutte d'eau. Il délivra très souvent par miracle des matelots qui avaient imploré son secours dans le danger.

Pierre Gonzalez connaissant, par révélation, sa fin prochaine, voulut se retirer à Compostelle, pour y mourir entre les bras de ses frères en religion ; mais il tomba gravement malade à Tuy où il prêchait le carême, et y mourut le jour de Pâques, l'an 1248, à l'âge de cinquante-huit ans. Ses reliques reposent dans la cathédrale de cette localité.


Cathédrale Sainte-Marie. Les reliques de saint Pierre Gonzalez
y sont toujours vénérées. Tuy. Galice. Espagne.

Saint Pierre Gonzalez, connu en Espagne sous le nom de saint Elme, est représenté marchant sur les eaux et tenant une flamme. Cette flamme désigne le feu de saint Elme. Il est quelquefois représenté avec cette flamme sur le front. Il est le patron des marins.

Le pape Innocent IV béatifia saint Pierre Gonzalez en 1254 et accorda au dominicains d'Espagne d'en faire l'office. Benoît XIV, au XVIIIe siècle, approuva son office pour tout l'Ordre de Saint-Dominique.

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lundi, 14 avril 2025

14 avril. Saint Prétextat, évêque de Rouen, martyr. 588.

- Saint Prétextat, évêque de Rouen, martyr. 588.

Pape : Benoît Ier ; Pélage II. Roi de France : Sigebert Ier ; Chilpéric Ier ; Clotaire II.


" La souffrance n'a de prix qu'autant qu'elle est supportée saintement ; et c'est de celle-ci que Jésus-Christ a dit " Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés "."
Matth. V, 5.

Concile de Paris : saint Prétextat et Chilpéric Ier.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Le roi d'Austrasie, Sigebert Ier, venait de succomber sous les coups des sicaires de Frédégonde, l'épouse de Chilpéric Ier, roi de Neustrie et roi de Paris ; il laissait une jeune veuve, la reine Brunehaut, qui eut le malheur de plaire au fils de sa rivale, le jeune Mérovée. Le mariage de Brunehaut avec Mérovée fut béni en 576, à Rouen, par saint Prétextat, qui était évêque de cette ville depuis l'année 549. Un pareil mariage était contraire aux Canons ; mais Prétextat, juge de la cause, accorda dispense et passa outre de là, grande colère à la cour de Chilpéric, où l'on fit entendre que le saint Evêque trempait dans la révolte de Mérovée. On ne tarda pas à lui faire son procès.

Le roi avait appris que cet évêque distribuait des présents au peuple ; il le manda à sa cour, et ayant découvert que la reine Brunehaut lui avait laissé ses trésors en dépôt, il les lui enleva et le fit garder en exil, jusqu'à ce qu'il eut fait terminer cette affaire par un jugement canonique. Il convoqua donc à ce sujet à Paris un concile de quarante-cinq évêques dans la basilique de Saint-Pierre, en 579.

Sigebert Ier, roi d'Austrasie.
Recueil des rois de France. Jean de Tillet. XVIe.

Le roi parut lui-même au milieu de l'assemblée, et, adressant la parole à Prétextat qui avait eu ordre de se rendre au Concile, il lui dit :
" A quoi avez-vous pensé, évêque, de marier Mérovée, qui aurait dû être mon fils, et qui est mon ennemi, avec sa tante, c'est-à-dire avec la femme de son oncle ? Ignorez-vous les dispositions des saints Canons à ce sujet ? Mais vous n'en êtes pas demeuré là : vous avez conspiré avec lui et donné des présents pour me faire assassiner ; vous m'avez fait un ennemi de mon fils, vous avez séduit mon peuple par argent, afin que personne ne me gardât la fidélité promise, et vous avez voulu m'enlever ma couronne."
Les Francs, qui étaient présents en grand nombre, frémirent à ce discours et voulaient ouvrir les portes de l'église pour en tirer Prétextat et le lapider ; mais le roi les en empêcha.

Ce saint Evêque nia avec fermeté tous les faits avancés contre lui, malgré les dépositions de faux témoins, qui montrèrent divers présents
qu'il leur avait faits pour les engager à être fidèles à Mérovée. Il répondit :
" Vous dites vrai je vous ai fait divers présents, mais ce n'a pas été en vue de tenter votre fidélité au roi. Vous m'aviez donné des chevaux de prix et plusieurs autres choses ; que pouvais-je faire de mieux que de témoigner ma reconnaissance par des présents mutuels ?"

Assassinat de Sigebert Ier par les sicaires de Frédégonde.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

On parut se contenter de cette réponse, et le roi, ayant ainsi terminé la première séance, se retira dans son palais pour y mieux concerter ses accusations. Après le départ de Chilpéric, les évêques demeurèrent dans la sacristie, et, comme ils conféraient ensemble, Aétius, archidiacre de l'Eglise de Paris, les y vint trouver et leur dit :
" Évêques du Seigneur, qui êtes assemblés, écoutez-moi, c'est maintenant que vous allez rendre votre nom illustre ou vous déshonorer à jamais. Personne ne vous regardera plus comme des évêques si vous manquez de fermeté et si vous laissez périr votre frère."

La crainte de Frédégonde avait fermé la bouche aux évêques ; ils demeurèrent dans le silence et se mirent le doigt sur les lèvres, comme pour faire entendre qu'ils ne voulaient point parler.
Alors Grégoire, évêque de Tours, prenant la parole, dit :
" Très-saints évêques, et vous surtout qui avez plus de part à la confiance du roi, écoutez-moi. Donnez à ce prince un conseil salutaire et digne des évêques, de peur qu'il ne perde son royaume et ne flétrisse sa gloire en suivant les mouvements de sa colère contre un ministre du Seigneur."
Les évêques gardèrent encore le silence.

Le Concile s'étant assemblé pour la seconde séance, le roi y vint dès le matin et dit :
" Les Canons ordonnent de déposer un évêque convaincu de larcin."
Les Prélats demandèrent quel était l'évêque accusé de ce crime. Le roi répondit :
" Vous avez vu ce qu'il nous a volé."
Il avait montré, en effet, trois jours auparavant, deux coffres pleins de meubles et de bijoux précieux, estimés plus de trois mille sous d'or, et un sac qui en contenait environ deux mille en espèces, prétendant que Prétextatles lui avait dérobés.

Brunehaut, veuve de Sigebert, roi d'Austrasie épouse Mérovée II,
fils de Chilpéric Ier et de Frédégonde, roi et reine de Neustrie.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Prétextat répondit :
" Je crois, prince, que vous vous souvenez qu'après que la reine Brunehaut eut quitté Rouen, j'allai vous trouver et que je vous dis qu'elle m'avait laissé en dépôt cinq coffres et qu'elle envoyait souvent ses gens me les demander ; mais que je ne voulais pas m'en dessaisir sans votre agrément. Vous me dites : " Défaites-vous de cela, rendez à cette femme ce qui lui appartient, de peur que ce ne soit une semence d'inimitié entre mon neveu Childebert et moi. Ainsi étant retourné à Rouen, je délivrai aux gens de Brunehaut un coffre ; car ils ne purent en emporter davantage. Etant revenus, ils demandèrent les autres. Je voulus encore avoir votre consentement, et vous répondîtes : " Défaites-vous de tout cela, Ô évêque, de peur que ce ne soit un sujet de scandale ". Je leur donnai encore deux coffres ainsi, deux sont demeurés chez moi. Pourquoi donc me calomniez-vous et nommez-vous larcin ce qui est un dépôt ?"
Le roi répliqua :
" Si c'était un dépôt, pourquoi avez-vous ouvert un de ces coffres, et partagé un drap d'or à des gens que vous vouliez engager à me chasser de mon royaume ?"
L'évêque reprit :
" Je vous ai déjà dit que j'avais reçu des présents de ces personnes, et que, n'ayant rien alors à leur donner, je pris quelque chose de ce dépôt : je regardais comme à moi tout ce qui appartenait à mon fils Mérovée, que j'ai tenu sur les fonts du baptême."

Assassinat de Sigebert Ier par les sicaires de Frédégonde.
Le roman de Renard le contrefait. XIVe.

Le roi demeura confus, et la simple vérité triompha cette fois de tous les artifices de la calomnie. Chilpéric, étant sorti du Concile, dit à quelques prélats qui étaient ses flatteurs :
" J'avoue que les réponses de l'évêque m'ont confondu, et je sais dans ma conscience qu'il dit vrai. Que ferai-je donc maintenant pour contenter la reine à son sujet ?"
Après y avoir pensé un moment, il ajouta :
" Allez et dites-lui comme de vous-mêmes et par manière de conseil Vous savez que le roi Chilpéric est plein de bonté et se laisse aisément uéchir humiliez-vous devant lui et dites que vous avez fait ce dont il vous accuse. Alors nous nous jetterons tous à ses pieds pour lui demander votre grâce."
Prétextat, que son innocence ne rassurait pas contre les intrigues de ses ennemis, donna dans le piége qui lui était tendu.

Le lendemain matin, le roi, s'étant rendu à la troisième séance du Concile, dit à Prétextat :
" Si vous ne faisiez des présents à ces personnes que parce que vous en aviez reçu, pourquoi les engagiez-vous à prêter serment d'être fidèles à Mérovée ?"
L'évêque répondit :
" J'ai demandé, je l'avoue, leur amitié pour lui ; j'aurais appelé à son secours non seulement les hommes, mais les anges du ciel si je l'avais pu, parce qu'il était mon fils spirituel par le baptême, ainsi que je l'ai dit."
Comme sur cette réponse la contestation s'échauffait, Prétextat, suivant le conseil perfide qu'on lui avait donné, se prosterna tout à coup en disant :
" J'ai péché contre le ciel et contre vous, Ô prince très miséricordieux : je suis un infâme homicide, j'ai voulu attenter à votre vie et mettre votre fils sur votre trône."

Chilpéric Ier, roi de Neustrie et Frédégonde.
Recueil des rois de France. Jean de Tillet. XVIe.

Le roi, ravi de voir que son artifice avait réussi, se jeta de son côté aux pieds des prélats, et leur dit :
" Très pieux évêques, écoutez un criminel qui confesse un attentat exécrable."
Les évêques, les yeux baignés de larmes, relevèrent le roi, qui s'en retourna au palais après avoir donné ordre qu'on fît sortir Prétextat de l'église. Chilpéric envoya au Concile une collection de Canons, à laquelle on avait ajouté un nouveau recueil d'autres Canons qu'on disait être des Apôtres. On en lut cet article : " Que l'évêque convaincu d'homicide, d'adultère et de parjure soit déposé ". Prétextat, qui reconnut alors trop tard qu'on l'avait joué, demeurait interdit. Bertram, évêque de Bordeaux, lui dit en très-bon courtisan :
" Mon frère, puisque vous êtes dans la disgrâce du roi, vous n'aurez pas notre communion avant qu'il ne vous ait rendu sa bienveillance."

Chilpéric ne voulait pas en rester là il demanda qu'on déchirât la robe de Prétextat, ce qui était une marque ignominieuse de déposition ; ou bien qu'on récitât sur sa tête le Psaume CVIII contenant les malédictions lancées contre Judas ; ou du moins qu'on prononçât contre cet évëque une excommunication perpétuelle. Grégoire de Tours s'opposa avec courage à ces propositions et somma le roi de tenir la parole qu'il avait donnée de ne rien faire contre les Canons ; mais Prétextat fut enlevé du Concile et jeté dans une prison, d'où il tenta de s'évader pendant la nuit. On lui fit subir à cette occasion les plus rudes traitements, puis il fut relégué dans une île près de Coutances, apparemment dans l'île de Jersey. Mélantius, créature de Frédégonde, fut mis sur le siège de Rouen.

Telle fut l'issue du cinquième Concile de Paris, où l'innocence fut enfin opprimée par la puissance du roi, par la lâcheté de quelques évêques et par la simplicité même de Prétextat, qui, durant son exil, expia à l'aide de la pénitence, la faiblesse qu'il avait eue de confesser des crimes dont il était innocent. Il fit un saint usage de ses souffrances et donna le spectacle des plus héroïques vertus.

Assassinat de Chilpéric Ier par les sicaires de
la reine Frédégonde, son épouse.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Dès que les habitants de Rouen eurent appris la mort de Chilpéric, assassiné à son tour à Chelles en 584, ils rappelèrent de son exil leur évêque et le rétablirent sur son siége. Frédégonde s'y opposa de tout son crédit, et Prétextat crut devoir venir à Paris prier Gontran de faire examiner sa cause. Ce prince voulait convoquer un Concile pour ce sujet ; mais Ragnemsode, évêque de Paris, lui présenta, au nom de tous les autres évêques, que cela n'était nullement nécessaire, que le Concile de Paris avait à la vérité imposé une pénitence à Prétextat, mais qu'il ne l'avait pas déposé de l'épiscopat. Ainsi le roi le reçut à sa table et le renvoya à son Eglise.

Mélantius, qui avait été mis à sa place sur le siège de Rouen, en fut chassé, et il alla s'en consoler auprès de Frédégonde, que Gontran relégua au Vau-de-Reuil, à quatre lieues de Rouen.

Mais cette nouvelle Jézabel ne se tint pas tranquille du lieu où elle avait été reléguée, elle fit menacer Prétextat de le faire exiler une seconde fois. Il répondit avec fermeté :
" J'ai toujours été évêque jusque dans mon bannissement, et vous, vous ne serez pas toujours reine. L'exil me servira de degré pour m'élever au royaume céleste mais vous, de votre trône, vous serez précipitée dans l'abîme, si vous ne renoncez à vos péchés pour faire une salutaire pénitence."

On ne disait pas impunément de telles vérités à une reine du caractère de Frédégonde. Des avis si salutaires allumèrent toutes ses fureurs, et l'on en vit bientôt les funestes effets.

La reine Frédégonde ordonnant des supplices.
Chroniques françaises. Guillaume Crétin. XVIe.

Le dimanche suivant, le saint Evêque étant allé à l'église le matin plus tôt qu'à l'ordinaire, y chantait les louanges de Dieu, lorsqu'il se sentit frappé d'un coup de poignard par un assassin. Il jeta un cri pour appeler ses clercs mais, personne ne venant à son secours, il se traîna péniblement jusqu'à l'autel et y fit à Dieu par une courte et fervente prière le sacrifice de sa vie. Pendant ce temps-là, le peuple fidèle qui était dans l'église étant accouru à lui, on l'emporta dans sa maison et on le mit dans son lit.

L'artificieuse Frédégonde alla aussitôt lui rendre visite pour lui témoigner la part de douleur qu'elle prenait à ce funeste accident.
" Saint évêque, lui dit-elle, nous n'avions pas besoin, ni nous ni le reste de votre peuple, que ce malheur vous arrivât ; mais plût à Dieu qu'on pût découvrir l'assassin pour lui faire expier son crime dans les supplices."
Prétextat, qui n'était pas la dupe de ces indignes artifices, lui répondit avec une sainte liberté :
" Eh ! Quelle autre main a porté le coup que celle qui a tué les rois, qui a versé tant de sang innocent, qui a fait tant de maux à ce royaume ?"
Frédégonde, faisant semblant de ne pas l'entendre, lui répliqua :
" Nous avons d'habiles médecins, qui pourront vous guérir ; souffrez qu'on vous les envoie. Je sens, repartit l'évoque, que le Seigneur m'appelle ; mais vous, qui êtes l'auteur de tous ces crimes, vous serez chargée de malédiction en ce monde, et Dieu vengera mon sang sur votre tête."

Frédégonde s'étant retirée couverte de confusion, saint Prétextat expira après avoir réglé quelques affaires de sa maison, et Romachaire, éveque de Coutances, se rendit à Rouen pour faire la cérémonie des funérailles car c'était un devoir que les évoques voisins se rendaient les uns aux autres. Les citoyens de Rouen, et surtout les Francs qui étaient établis dans cette ville, furent consternés d'un meurtre si atroce.

Chilpéric Ier. Tranche canelée. Bronze. Jean Dassier. Paris. XVIIe.

Un seigneur franc eut le courage d'aller au palais de Frédégonde lui en faire de vifs reproches :
" Vous avez, lui dit-il, commis déjà bien des crimes, mais vous n'en avez pas commis de plus grand que de faire ainsi assassiner un si saint évêque. Que le Seigneur venge au plus tôt le sang innocent !
Pour nous, nous prendrons de si bonnes mesures, que vous ne serez plus en état de commettre de pareils attentats."


Après ce discours, il voulut se retirer ; mais Frédégonde, qui ne se possédait jamais mieux que quand elle méditait une plus cruelle vengeance, l'invita à dîner. Sur le refus qu'il en fit, elle le pressa de prendre un rafraîchissement, afin qu'il ne fût pas dit qu'il était sorti à jeun d'une maison royale. Il se rendit à ses instances et on lui présenta, selon l'usage des anciens Francs, du vin d'absinthe assaisonné de miel. Il s'aperçut aussitôt qu'il avait pris du poison et, après avoir averti ses gens de n'en point boire, il monta à cheval pour s'enfuir, mais le poison était si violent qu'il mourut avant d'arriver à sa maison.

Leudevalde (ou Leudovalde),  évêque de Bayeux (et précédemment de Coutances), premier suffragant de Rouen, écrivit une lettre circulaire à tous les évêques sur le scandale causé par l'assassinat de Prétextat, et, ayant pris conseil probablement des prélats de sa province, il fit fermer toutes les églises de Rouen et défendit d'y faire l'office jusqu'à ce qu'on eût découvert l'auteur du crime.
Cet exemple d'un interdit général sur toute une ville, est remarquable, et c'est le premier qu'on trouve dans l'histoire de l'Eglise en France. Leudovalde fit plus : il fit arrêter quelques personnes suspectes qui accusèrent Frédégonde, et peu s'en fallut que ce zèle ne lui coûtât la vie à lui-même, mais la fidélité de son peuple le défendit contre les embûches qu'on lui dressa.

Saint Grégoire de Tours, saint Prétextat et le roi Chilpéric Ier.
Grandes chronique de France. XVe.

Cependant, Frédégonde, pour se justifier, s'avisa d'un stratagème qui ne tourna qu'à sa honte. Elle fit prendre un de ses esclaves qu'elle savait être l'assassin et le fit cruellement fouetter. Ensuite elle le livra au neveu de Prétextat, croyant qu'il n'avouerait rien, comme sans doute il le lui avait promis. Mais la torture et sa mauvaise conscience lui arrachèrent la vérité. Il confessa qu'il avait reçu cent sous d'or de Frédégonde pour commettre le crime, cinquante de l'évêque Mélantius et cinquante autres de l'archidiacre de Rouen, et que de plus, on lui avait accordé la liberté.

Mais cette femme artificieuse, qui d'ailleurs disposait de toutes les faveurs, malgré des faits si atroces, maintint toujours son autorité ; et, ce qui est encore plus surprenant, elle fit rétablir Mélantius sur le siège de Rouen, encore teint d'un sang que cet indigne prélat avait contribué à faire verser.

Saint Prétextat est honoré par l'Eglise comme martyr le 24 février ; mais on croit qu'il mourut le 14 avril de l'année 588.

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14 avril. Sainte Lydwine de Schiedam, vierge. 1433.

- Sainte Lydwine de Schiedam, vierge. 1433.
Papes : Clément VII ; Eugène IV. Souverains de Hollande : Le comte Albert ; la comtesse Jacqueline.

" Lorsque les flots de la tristesse submergent votre coeur, au lieu de vous désespérer, cherchez promptement la miséricorde de Dieu, comme l'enfant affligé cherche le sein de sa mère."
Sainte Lydwine de Schiedam aux affligés qui venait la visiter.

Saint Lydwine de Schiedam. Gravure. Jean Valdor. XVIIe.

Issus d'ancêtres nobles, mais tombés dans la pauvreté, les parents de Lydwine n'avaient pas pour cela hésité à élever neuf enfants, huit garçons et une fille.

Lydwine vint au monde le 18 mars, dimanche des Rameaux, de l'année 1380, tandis que l'on chantait à l'église la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Elle recut le nom de Lydwine, nom véritablement prophétique par les deux syllabes qui le composent, Lyd et Wyt, qui signifient souffrir amplement.

Elle était une enfant gracieuse et forte, mais aussi d'une avenante beauté.
A l'age de 7 ans, elle commença à consacrer son corps et son âme à Notre Seigneur Jésus-Christ et à rejeter les divertissements de ses compagnes.
A douze ans, sa beauté était admirée de tout le monde.

Quand, à quinze ans, ses charmes et ses qualités lui attirèrent de nombreuses demandes de mariage, elle dit à son père qui envisageait de la marier :
" Je demanderais plutôt à Dieu de me rendre laide pour repousser les regards des hommes."
Son père abandonna son projet et laissa son admirable fille se consacrer ainsi à Notre Seigneur.
Dieu la prit au mot.

À la suite d'une chute où elle eut une côte brisée, on la transporta sur son lit ; elle ne le quitta plus jusqu'à sa mort. Malgré tous les soins prodigués, le mal ne fit qu'empirer. Un abcès se forma qui ne lui permettait plus de rester ni couchée, ni assise, ni levée ; perdant l'usage de ses jambes, elle se traînait sur les genoux, sur les coudes, se cramponnant aux meubles.

La chute de sainte Lydwine.
Gravure. Johannes Brugman. Vie de sainte Lydwine. XVe.

Malgré sa condition, qui n'allait qu'empirer, elle se dépouillait de tout ce qu'elle pouvait pour subvenir au soins des pauvres. Le duc Jean de Bavière, la princesse Marguerite de Hollande - et d'autres personnes de grandes conditions - lui faisaient des dons pour lui permettre de subvenir à son quotidien si douloureux et difficile : elle donnait tout à ses chers pauvres.

Ses pleurs, ses cris, ses gémissements effrayaient et éloignaient tout le monde, sauf ses admirables parents, qui ne cessèrent de la soigner avec amour. Peu à peu il lui devint même impossible de ramper ainsi. Trois plaies profondes s'ouvrirent dans son pauvre corps, dont l'une se remplit de vers, qui y grouillaient en telle quantité qu'on en retirait jusqu'à deux cents en vingt-quatre heures. Comme on soulageait les ulcères, une tumeur lui vint à l'épaule, à laquelle s'ajouta bientôt le " mal des ardents " qui dévora ses chairs jusqu'aux os.

À cette nomenclature incomplète de ses maux, il faut ajouter la torture des remèdes inventés par l'ignorante bonne volonté des médecins, qui ne réussirent guère qu'à remplacer une maladie par une autre.

Le céleste Epoux de notre Sainte voulut faire connaître par des miracles combien son endurance, sa fidélité et ses libéralités lui étaient agréables.

Ainsi Lydwine était couchée sur le dos, impuissante à se remuer, n'ayant que l'usage de la tête et du bras gauche, torturée sans cesse, perdant son sang, dévorée des vers, et pourtant vivant et gardant assez de forces pour ne pas mourir. Et au milieu de tout cela elle était heureuse, et se disait prête à souffrir ainsi pendant de longues années.

À partir de 1414, jusqu'à sa mort, c'est à dire pendant dix-neuf ans, elle ne se nourrit que de la Sainte Eucharistie. Jusqu'à la fin, ses maux s'aggravèrent ; mais ses plaies, ses vomissements n'exhalaient plus que des odeurs suaves et parfumées. Aussi on venait plus volontiers la voir, entretenir et écouter ses pieuses exhortations. Rien de plus ardent que sa charité, toujours au service des malheureux qu'elle secourait malgré son indigente pauvreté, et des affligés qui trouvaient auprès d'elle consolation.

Elle eut souvent la visite de son ange gardien, qui lui apparaissait souvent et ne contribuait ainsi pas peu à son soulagement. Il la transporta en esprit à plusieurs reprise à Jérusalem afin qu'elle pût adorer les Lieux Saints. Il lui dévoilait les peines que souffrent les âmes en efers et au purgatoire. Sainte Lydwine avait d'ailleurs particulièrement à coeur le soin de la délivrance de ces âmes.
D'autres anges lui apparaissaient en forme humaine ; elle leur parlait et connaissait les personnes qu'ils avaient en leur garde.


Bannière de procession de sainte Lydwine. XXe.

Enfin, Dieu lui fit connaître le moment de sa mort. Elle s'y prépara avec toute la dévotion possible. La veille de Pâques, Notre Seigneur Jésus-Christ lui apparut avec sa très sainte Mère et le choeur des Apôtres, et l'oignit d'un baume si précieux, que le lendemain, on sentait auprès d'elle une senteur toute céleste.

Le mercredi de Pâques, 14 avril 1433, ses vommissements ayant repris, elle se mit en oraison, et, dans l'ardeur de sa prière et de son élévation à Dieu, elle rendit son âme à son Epoux céleste, de la manière qu'elle avait désirée, seule, sans autre témoins qu'un petit enfant - qui était son neveu - qu'elle avait gardé auprès d'elle.

Après son trépas, on découvrit la ceinture de crin qu'elle portait en secret depuis sa jeunesse, et qui servit depuis à chasser les démons et autres esprits immondes des corps des possédés.
Son corps, difforme toute sa vie à la suite de ses maladies, devint parfaitement saint, d'une grande beauté et sans plus aucune trace de toutes les diverses et cruelles maladies qu'elle avait souffertes. Il en exhalait un parfum plus suave que jamais.

Sainte Lydwine fut enterrée à Schiedam, en l'église paroisssiale Saint-Jean-Baptiste.
On fit de la maison de son père un monastère de soeurs grises du Tiers Ordre de Saint-François, que même les bêtes féroces calvinistes ne profanèrent pas jusqu'au bout puisqu'elles finirent, parès expulsion violente des religieuse et saccages variés, par le transformer en orphelinat.

Sainte Lydwine de Schiedam. Vitrail. C. Bellot. XXe.
Les reliques de la bienheureuses Lydwine furent transportées à Bruxelles et enchâssées dans la collégiale Sainte-Gudule.

Son culte a été confirmé par Léon XIII en 1890.

Rq : Sa vie a été écrite par ses contemporains Jean Gerlac (qui était aussi son parent), Jean Gautier son confesseur et Jean Bruchmann provincial des Franciscains. Chacun des trois l'avait connu personnellement et aurent à admirer l'héroicité de notre Sainte.
A ce sujet, un livre sur sainte Lydwine de Schiedam est assez connu et a pour auteur, à la fin du XIXe siècle, l'écrivain français d'origine flamande, Joris-Karl Huysmans. On l'évitera. Parce qu'il donne une vision très équivoque de la sainte et que ses commentaires sont parfois du goût certain qu'avait cet auteur pour l'ésotérisme et l'obscurité.

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dimanche, 13 avril 2025

Le dimanche des Rameaux. Suite et fin.

- Le dimanche des Rameaux. Suite et fin.


L'Agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ dans
le Jardin des Olives. Andrea Mantegna. XVe.

Alors Jésus vint avec eux en un lieu appelé Gethsémani, et dit à ses disciples :
" Asseyez-vous ici, pendant que j'irai là pour prier. Et avant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença de tomber en grande tristesse. Alors il leur dit :
" Mon âme est triste jusqu'à la mort ; demeurez ici, et veillez avec moi."
Et s'étant éloigné un peu, il se prosterna sur sa face, priant et disant :
" Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; cependant, non pas comme je veux, mais comme vous voulez."
Ensuite il vint à ses disciples, et les trouvant endormis, il dit à Pierre :
" Ainsi vous n'avez pu veiller une heure avec moi ? Veillez et priez pour ne point entrer en tentation ; l'esprit est prompt, mais la chair est faible."
Il s'en alla une seconde fois et pria, disant :
" Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté se fasse."
Et il vint de nouveau, et les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. Et les laissant, il s'en alla encore, et pria une troisième fois, disant les mêmes paroles. Ensuite il revint à ses disciples, et leur dit :
" Dormez maintenant et reposez-vous ; voici que l'heure approche où le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons : celui qui doit me trahir est près d’ici."



L'Agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ dans
le Jardin des Olives. Ivoire. Flandres. XVe.

Il parlait encore, lorsque Judas, un des douze, arriva, et avec lui une troupe nombreuse, armée d'épées et de bâtons, envoyée par les princes des prêtres et les anciens du peuple. Or celui qui le livrait leur avait donné un signe, disant :
" Celui que je baiserai, c'est lui : arrêtez-le."
Et aussitôt, s'approchant de Jésus, il dit :
" Salut, Maître ! Et il le baisa."
Et Jésus lui dit :
" Mon ami, qu'es-tu venu faire ?"
Alors les autres s'approchèrent, mirent la main sur Jésus, et se saisirent de lui.


Et voilà qu'un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant la main, tira son épée, et, frappant un serviteur du prince des prêtres, lui coupa l'oreille. Alors Jésus lui dit :
" Remets ton épée en son lieu : car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. Penses-tu que je ne puisse pas prier mon Père, et il m'enverrait aussitôt plus de douze légions d'Anges ? Comment donc s'accompliront les Ecritures qui déclarent qu'il doit être fait ainsi ?"
En même temps Jésus dit à cette troupe :
" Vous êtes venus à moi avec des épées et des bâtons, comme pour prendre un voleur. Assis dans le Temple, j'y enseignais chaque jour, et vous ne m’avez pas pris. Or tout cela s'est fait pour que s’accomplisse ce qu'avaient écrit les Prophètes."
Alors tous les disciples, l'abandonnant, s'enfuirent.



Le baiser de Judas et l'arrestation de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Giotto. Chapelle Scrovegni. Padoue. XIVe.

Et les gens qui s'étaient saisis de Jésus l'emmenèrent chez Caïphe, prince des prêtres, où s'étaient assemblés les scribes et les anciens du peuple. Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du prince des prêtres ; et y étant entré, il s'assit avec les serviteurs pour voir la fin. Or les princes des prêtres et toute l'assemblée cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire mourir. Et ils n'en trouvèrent point, quoique beaucoup de faux témoins se fussent présentés. Enfin il vint deux faux témoins, qui dirent :
" Celui-ci a dit : " Je puis détruire le Temple de Dieu, et le rebâtir après trois jours "."
Et le prince des prêtres, se levant, lui dit :
" Vous ne répondez rien à ce que ceux-ci témoignent contre vous."
Et Jésus se taisait. Le prince des prêtres lui dit :
" Je vous adjure par le Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ Fils de Dieu."
Jésus lui répondit :
" Vous l'avez dit. Au reste, je vous déclare qu'un jour vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Vertu de Dieu, et venant sur les nuées du ciel."
Alors le prince des prêtres déchira ses vêtements, disant :
" Il a blasphémé ; qu'avons-nous encore besoin de témoins ! Vous venez d'entendre le blasphème. Que vous en semble ?"
Ils répondirent :
" Il mérite la mort."
Alors ils lui crachèrent au visage, et le frappèrent avec le poing ; d'autres lui donnèrent des soufflets, disant :
" Christ, prophétise-nous qui est-ce qui t'a frappé ?"



Notre Seigneur Jésus-Christ devant Caïphe.
Email peint sur plaque de cuivre. XIVe.

Cependant Pierre était assis dans la cour, et une servante s'approchant, lui dit :
" Et toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. Mais il le nia devant tous, disant :
" Je ne sais ce que tu dis."
Et comme il était à la porte pour sortir, une autre servante le vit, et dit à ceux qui étaient là :
" Celui-ci était aussi avec Jésus le Nazaréen."
Il le nia une seconde fois avec serment, disant :
" Je ne connais point cet homme."
Peu après, ceux qui se trouvaient là, s'approchant de Pierre, lui dirent :
" Certainement toi aussi, tu es de ces gens-là : ton langage même te décèle."
Alors il se mit à jurer avec exécration qu'il ne connaissait point cet homme. Et aussitôt le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que lui avait dite Jésus : " Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ". Et étant sorti dehors, il pleura amèrement.



Le reniement de saint Pierre.
Duccio di Buoninsegna. Cathédrale de Sienne. XIVe.

Le matin étant venu, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir. Et l'ayant lié, ils l'emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Ponce Pilate. Alors Judas, celui qui le trahit, voyant qu'il était condamné, se repentit et reporta les trente pièces d'argent aux princes des prêtres et aux anciens, disant :
" J'ai péché, en livrant le sang innocent."
Mais ils lui dirent :
" Que nous importe ? C'est ton affaire."
Sur quoi, ayant jeté l'argent dans le Temple, il se retira, et alla se pendre.



Suicide de Judas. Sculpture. Gislebertus.
Cathédrale Saint-Lazare d'Autun. Bourgogne.

Mais les princes des prêtres ayant pris l'argent, dirent :
" Il n'est pas permis de le mettre dans le trésor, parce que c'est le prix du sang."
Et s'étant consultés entre eux, ils en achetèrent le champ d'un potier pour la sépulture des étrangers. C'est pourquoi ce champ est encore aujourd'hui appelé Haceldama, c'est-à-dire le champ du Sang. Alors fut accompli ce qu'avait dit le prophète Jérémie : " Ils ont reçu trente pièces d'argent prix de celui mis à prix suivant l'appréciation des enfants d'Israël ; et ils les ont données pour le champ d'un potier, comme le Seigneur me l'a ordonné ".



Notre Seigneur Jésus-Christ devant Pilate.
Email peint sur plaque de cuivre. XVe.

Jésus comparut donc devant le gouverneur ; et le gouverneur l'interrogea, disant :
" Etes-vous le Roi des Juifs ?"
Jésus lui répondit : " Vous le dites."
Et comme les princes des prêtres et les anciens l'accusaient, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit :
" N'entendez-vous pas combien de choses ils disent contre vous ?"
Mais à tout ce qu'il lui dit, il ne répondit rien, de sorte que le gouverneur s'étonnait grandement.
Au jour de la fête de Pâques, le gouverneur avait coutume de délivrer un prisonnier, celui que le peuple voulait. Il y en avait alors un fameux nomme Barabbas. Comme donc ils étaient tous assemblés, Pilate dit :
" Lequel voulez-vous que je vous délivre, Barabbas, ou Jésus, qu'on appelle le Christ ?"
Car il savait qu'ils l'avaient livré par envie. Pendant qu'il siégeait sur son tribunal, sa femme lui envoya dire :
" Ne prends aucune part à l'affaire de ce juste ; car j'ai été aujourd'hui étrangement tourmentée en songe à cause de lui."
Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barabbas, et de faire périr Jésus. Le gouverneur donc leur dit :
" Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ?"
Ils lui répondirent :
" Barabbas."
Pilate leur dit :
" Que ferai-je donc de Jésus, qu'on appelle le Christ ?"
Tous dirent :
" Qu'il soit crucifié."
Le gouverneur leur dit :
" Quel mal a-t-il fait ?"
Mais ils criaient encore plus fort, disant :
" Qu'il soit crucifié."
Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte croissait de plus en plus, se fit apporter de l'eau, et se lavant les mains devant le peuple, il dit :
" Je suis innocent du sang de ce juste : vous en répondrez."
Et tout le peuple dit :
" Que son sang soit sur nous et sur nos enfants."



Pilate se lavant les mains. Mattia Preti - Il Calabrese. XVIIe.

Alors il leur délivra Barabbas ; et, après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié.
Les soldats du gouverneur le menèrent dans le prétoire ; et toute la cohorte s'assembla autour de lui. Et, l'ayant dépouillé, ils jetèrent sur lui un manteau de pourpre. Et tressant une couronne d'épines, ils la mirent sur sa tête, et un roseau dans sa main droite ; et, fléchissant le genou devant lui, ils le raillaient, disant :
" Salut, Roi des Juifs."



La Flagellation et le Couronnement d'Epines de
Notre Seigneur Jésus-Christ. Maître de Cappenberg. Flandres. XVIe.

Et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau, et en frappaient sa tète. Après s'être ainsi joués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l'emmenèrent pour le crucifier.

Comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de la Cyrénaïque, nommé Simon, qu'ils contraignirent de porter sa croix. Et ils vinrent au lieu appelé Golgotha, qui est le lieu du Calvaire. Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec du fiel ; et, l'ayant goûté, il n'en voulut pas boire. Après qu'ils l'eurent crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, en les tirant au sort, afin que s'accomplit ce qu'avait dit le Prophète :
" Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort ".

Et s'étant assis, ils le gardaient. Et au-dessus de sa tête ils mirent un écriteau portant le sujet de sa condamnation : " Jésus, Roi des Juifs ". En même temps, ils crucifièrent avec lui deux voleurs, l'un à sa droite l'autre à sa gauche. Les passants le chargeaient d'injures, branlant a tête et disant :
" Eh bien ! Toi qui détruis le Temple de Dieu et le rebâtis en trois jours, que ne te sauves-tu toi-même ? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix."



Le Portement de la Croix. Jérôme Bosch. XVe.

Les princes des prêtres aussi, avec les scribes et les anciens, disaient en se moquant de lui :
" Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. S'il est le Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de sa croix, et nous croirons en lui. Il se confie en Dieu : que Dieu maintenant le délivre, s'il l'aime ; car il a dit : " Je suis le Fils de Dieu "."
Les voleurs qu'on avait crucifiés avec lui, lui adressaient les mêmes reproches.
Or, depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième, les ténèbres couvrirent toute la terre. Et vers la IXe heure, Jésus jeta un grand cri, disant :
" Eli, Eli, lamma sabacthani ?"
C’est-à-dire :
" Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ?"
Ce qu'entendant quelques-uns de ceux qui étaient là, ils disaient :
" Il appelle Elie."
Et aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge qu'il emplit de vinaigre et la mettant au bout d'un roseau, il lui présenta à boire. Les autres disaient :
" Attendez, voyons si Elie viendra le délivrer."
Mais Jésus, de nouveau jetant un grand cri, rendit l'esprit.


La Crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Lucas Cranach. XVIe.

Ici l'historien fait une pause dans sa lecture, pour honorer par un acte solennel de deuil la mort du Sauveur des hommes. Toute l'assistance se met à genoux, et demeure quelque temps dans le silence. En bien des lieux, on se prosterne et on baise humblement la terre. Le Diacre reprend ensuite son récit :



" Consumatum est." La Crucifixion sur le Golgotha.
Jean-Léon Gérôme. XIXe.

Et voilà que le voile du Temple se déchira en deux du haut jusqu'en bas, et la terre trembla : les pierres se fendirent, et les tombeaux s'ouvrirent ; et plusieurs corps de saints qui s'étaient endormis se levèrent, et sortant de leurs sépulcres après sa résurrection, ils vinrent dans la cité sainte, et furent vus de plusieurs.
Le centurion et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, voyant le tremblement de terre et tout ce qui se passait, furent saisis d'une grande crainte, et dirent :
" Celui-ci était vraiment le Fils de Dieu."



La descente de Croix.
Email peint sur feuille d'argent. Jean Penicaud. XVIe.

Il y avait là aussi, un peu éloignées, plusieurs femmes qui, de la Galilée, avaient suivi Jésus pour le servir, parmi lesquelles étaient Marie-Madeleine, et Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zebédée. Sur le soir, un homme riche d'Arimathie, nommé Joseph, qui était, lui aussi, disciple de Jésus, vint trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Pilate commanda qu'on le lui donnât. Ayant pris le corps, Joseph l'enveloppa dans un linceul blanc, et le déposa dans un sépulcre neuf, qu'il avait fait creuser dans le roc ; et ayant roulé une grande pierre à l'entrée du sépulcre, il s'en alla. Or, Marie-Madeleine et l'autre Marie étaient là assises devant le sépulcre.



Saint Joseph d'Arimathie et saint Nicomède demandant à Pilate
le corps du Christ. Maître de la Vierge parmi les vierges. Flandres. XVe.

Afin que la Messe de ce jour ne soit pas privée d'un rite essentiel, qui consiste dans la lecture solennelle de l'Evangile, le Diacre réserve une dernière partie du récit lugubre qu'il a fait entendre, et s'approchant de l'autel, il vient y faire bénir l'encens par le Prêtre et recevoir la bénédiction. Il se rend ensuite à l'Ambon ; mais les Acolytes ne l'accompagnent pas avec leurs flambeaux. Après l'encensment du livre, la narration évangélique se termine :



Mise au tombeau. Giotto. Chapelle Scrovegni. Padoue. XIVe.

" Le lendemain, qui était le Sabbat, les princes des prêtres et les pharisiens s'étant assemblés, vinrent trouver Pilate, et lui dirent :
" Seigneur, nous nous sommes souvenus que ce séducteur, lorsqu'il vivait encore, a dit : " Après trois jours je ressusciterai ". Commandez donc que l'on garde le sépulcre jusqu'au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent enlever le corps, et ne disent au peuple : " Il est ressuscite d'entre les morts " ; et la dernière erreur serait pire que la première."
Pilate leur dit :
" Vous avez des gardes ; allez, et gardez-le comme vous l'entendrez."
Ils allèrent donc, fermèrent soigneusement le sépulcre, en scellèrent la pierre, et y mirent des gardes."