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samedi, 11 janvier 2025

11 janvier. Saint Hygin, pape et martyr. 142.

- Saint Hygin, pape et martyr. 142.
 
Papes : Saint Télesphore (prédécesseur) ; saint Pie Ier (successeur). Empereur romain : Antonin le Pieux.

" Que celui qui ne reçoit pas les conciles oecuméniques comme les Evangiles soit excommunié."
Saint Théodore le Cénobiarque.


Saint Hygin. Rationnal des divins offices.
Guillaume Durantis. Bourgogne. XVe.

L’Eglise fait aujourd'hui la mémoire de saint Hygin, Pape et Martyr. Ce saint Pontife occupa la Chaire Apostolique sous le règne d'Antonin, et termina par le martyre un Pontificat de quatre années. Nous vénérons en lui un des anneaux de cette sublime succession de Pontifes qui nous rattache, par saint Pierre, à Notre Seigneur Jésus-Christ. Plein de fidélité et de force, il porta tout le poids de l'Eglise, à cet âge des persécutions durant lequel le Pontife suprême fut constamment une victime vouée à la mort. Il obtint de bonne heure la palme immortelle, et alla rejoindre, aux pieds de l'Emmanuel, les trois Mages qui avaient annoncé le salut à la Grèce, sa patrie. Prions-le d'accompagner de ses vœux l'offrande que nous faisons au divin Enfant, dans ces jours où il ne nous demande pas notre sang par le martyre, mais nos cœurs par la charité.

Sept jours après le martyre du pape saint Télesphore, dont nous solennisons la mémoire au 5e jour de janvier, saint Hygin, dont le père faisait profession d'enseigner la philosophie dans la ville d'Athènes, et qui l'avait cultivée lui-même; fut mis sur la chaire de Pierre au temps de l'empereur Antonin, surnommé le Pieux.

Durant quatre ans, trois mois et huit jours, ce très saint Pontife gouverna l'Eglise ; laquelle fut battue par deux horribles tempêtes. Premièrement, de la part des Gentils qui tenaient les Chrétiens pour des sacrilèges et des magiciens et s'imaginaient que toutes les disgrâces du monde venaient en punition du mépris des idoles ; aussi ne laissaient-ils échapper aucune occasion de leur faire du mal quand ils en avaient le pouvoir. Secondement, de la part des hérétiques qui faisaient une guerre intestine à l'Eglise ; car, dans ce temps-là, Valentin, après avoir publié ses rêveries en Egypte - la pluralité des dieux, jusqu'au nombre de trente, " d'où descendait Jésus-Christ " -, vint à Rome pour y semer la zizanie. Et quoiqu'il feignît d'être catholique et n'osât publier ouvertement ses blasphèmes, il les faisait néanmoins secrètement glisser en des conférences particulières.


Authentica. Etienne Bodart. Abbaye Saint-Aubin. Angers. XIIIe.

D'ailleurs, Cerdo, arrivé depuis peu des pays orientaux, où il avait prêché publiquement qu' " il y avait plusieurs premiers principes ", et nié la " réalité du corps de Jésus-Christ ", ne laissait pas de répandre son venin en cachette. Il admettait " l'existence de deux dieux, rejetait la plus grande partie des Ecriture et soutenait que Notre Seigneur Jésus-Christ n'était pas réellement né de la vierge Marie et ne s'était revêtu de la chair qu'en apparence ". Le saint pape Hygin, l'ayant découvert, le chassa de l'Eglise. Cerdon feignit d'être repentant de ses fautes, rétracta ses impiétés et fut reçu dans la communion des fidèles. Mais, comme sa pénitence n'avait point été sincère, il continua de dogmatiser en secret et fut excommunié une nouvelle fois.

Pour remédier plus efficacement à cette pernicieuse peste, Hygin écrivit sur ce même sujet quelques épîtres dont deux ont été conservées ; il y explique admirablement bien le mystère de l'incarnation, que les hérétiques entendaient si mal.

On y voit aussi qu'il établit un ordre parmi le clergé, le distribuant en de certain degrés : ce n'est pas que cet ordre ne fût déjà en l'Eglise dès le temps des Apôtres, mais il ajouta quelque chose et mit quelque nouvel ornement dans les cérémonies de leur ministère. Il déclara, de plus, de quelle manière le saint chrême devait être consacré et ordonna qu'il n'y eût qu'un parrain et une marr&aine au baptême. Il fit encore plusieurs autres réglements touchant la discipline ecclésiastique.

Enfin, après avoir consommé sa course, il reçut la couronne du martyre en l'an 142, le 11 janvier, comme il est remarqué dans tous les Martyrologes, et comme l'Eglise en fait la mémoire dans l'office. Il fut enterré au Vatican.


Decretum. Bartholomaeus Brixiensis. XIIIe.

ORAISON

Célébrons ce saint Pape, en disant avec l'Eglise :

Ant. " Ce saint a combattu jusqu'à la mort pour la loi de son Dieu, et n'a point craint les menaces des impies ; car il était fondé sur la pierre ferme."

" Dieu tout-puissant, regardez notre infirmité, et parce que nous sommes accablés sous le poids de nos péchés, faites que nous soyons fortifiés par la glorieuse intercession du bienheureux Hygin, votre Martyr et Pontife. Par Jésus-Christ notre Seigneur.
Amen."

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vendredi, 10 janvier 2025

10 janvier. Saint Guillaume, archevêque de Bourges.

- Saint Guillaume, archevêque de Bourges. 1209.
 
Pape : Innocent III. Roi de France : Philippe II Auguste.

" Lorsque vous jeûnez, ne soyez point tristes comme les hypocrites ; ils montrent un visage exténués afin que leurs jeûnes paraissent devant les hommes."
Math., VI, 16.


Saint Guillaume. Heures à l'usage de Rome. Paris. XVe.

Guillaume de Donjeon (ou Berruyer), issu de l'antique maison des comtes de Nevers, vint au monde vers le milieu du XIIe siècle au bourg d'Arthel. Il fut élevé avec soin dans la crainte de Dieu sous la conduite de son oncle, Guillaume, archidiacre de Soissons et surnommé l'Ermite à cause de ses vertus, auquel sa mère Maëncia l'avait confié. Le Seigneur lui avait donné toutes les dispositions de la nature et de la grâce nécessaires à l'accomplissement des grands desseins qu'Il avait sur lui ; aussi fit-il des progrès rapides et acquit-il en peu de temps des connaissances au-dessus de son âge et un trésor croissant de sainteté.

Le monde lui souriait, avec sa gloire et ses plaisirs ; il renonça à tout, il s'éloigna même des honneurs ecclésiastiques qui semblaient le poursuivre, tant comme chanoine à Soissons qu'ensuite à Paris. Il résigna ses bénéfices et parti au monastère de Grand-Mont d'abord, au diocèse de Limoges, puis à l'abbaye de Pontigny, deuxième fondation de Cîteaux à Chablis, car il avait fuit Grand-Mont à cause des querelles qui opposaient les moines autour de la place des affaires spirituelles soutenues par les moines de choeur par rapport aux affaires temporelles, soutenues par les frères converts.


Abbaye cistercienne de Pontigny.
IIe fondation de l'ordre de Citeaux. 1114.

Après avoir édifié Pontigny par ses vertus où il fut amené à en devenir l'abbé, il alla implanter deux fondations de Pontigny, l'abbaye de Fontaine-Jean au diocèse de Sens, où saint Guillaume fit tant l'admiration de ses frères qu'ils en firent leur prieur claustral. Il fut ensuite élu abbé de Fontaine-Saint-Jean, au diocèse de Sens. Et plus tard abbé de Chalis en 1136, qu'il fonda aussi. Ces monastères durent leur naissance, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, à la générosité du grand et trop méconnu roi Louis VI.

Tous les frères conservèrent de lui le souvenir d'un moine doux et gai, encore que constamment préoccupé de la mortification des sens et des passions. Au demeurant, il exerçait avec talent ses fonctions de gouvernement et enseignait bien. Il vécut dans cette sainte retraite de Chalis jusqu'en 1099.

Non content d'avoir quitté le monde, il en perdit jusqu'au souvenir, et vécut dans la présence continuelle de Dieu ; sa modestie, sa dévotion, sa régularité, ranimaient la ferveur de ses frères ; il suffisait de le regarder au choeur ou à l'autel pour être embrasé du saint désir de marcher sur ses traces. Il avait surtout un grand amour pour le Saint-Sacrement, près duquel il trouvait ses délices, et ses larmes ne tarissaient pas durant le saint sacrifice de la Messe.


Saint Guillaume. Chapelle Saint-Jean-Baptiste.
Saint Merd-la-Breuille. Limousin. XVIIe.

Or, il advint que mourut Henry de Sully, l'archevêque de Bourges, dont la succession s'avérait si difficile que le chapitre s'en remit à Eudes de Sully, évêque de Paris, pour choisir le nouvel archevêque entre les trois abbés de l'Ordre de Cîteaux.

Eudes de Sully se retira dans la prière puis s'en vint à Notre-Dame-de-Sales où, après écrit le nom de chaque abbé sur un papier différent, les déposa sur l'autel avant que de célébrer la messe. A la fin de la messe, il tira au sort et Guillaume fut désigné comme le nouvel archevêque de Bourges ; Eudes de Sully se rendit à Saint-Etienne de Bourges où l'attendait le chapitre qui proclama son nouvel archevêque le 23 novembre 1200.

Effrayé par le poids de sa nouvelle charge, il ne l'accepta, à la demande du légat pontifical, qu'en obéissance à l'abbé de Cîteaux. Il fut sacré en présence des évêques dont il devenait le primat pour la part de l'Aquitaine qui lui revenait. Notre saint dut donc bientôt se résigner à s'élever et répondre à l'appel du Ciel clairement manifesté. Sacré archevêque de Bourges, Guillaume montra, dès les premiers jours, toutes les vertus des plus illustres Pontifes. Il demeura moine dans son palais, moine par l'habit et plus encore par les austérités. Il sut concilier les exercices de sa piété avec les immenses occupations de sa charge ; il parcourait son diocèse, prêchait, instruisait les petits et les humbles, administrait les sacrements, visitait les hôpitaux, délivrait les captifs, et multipliait les prodiges. Quand on lui demandait un miracle, il disait : " Je ne suis qu'un pauvre pécheur " ; mais il cédait aux larmes des malades et les guérissait par sa bénédiction.


Saint Guillaume agenouillé devant l'évêque de Soissons.
Dessin de Giovanni Francesco Barbieri. XVIIe.

Archevêque, il continuait de vivre comme un moine, dans une grande austérité, touchant les cœurs par sa grande humilité, sa douceur et sa joie, autant que par ses mortifications et sa grande charité.

Dans l'exercice de sa charge pastorale, il se montrait toujours si ferme sur les principes qu'il s'attira la colère de Philippe II Auguste quand le roi était interdit par Innocent III pour avoir répudié Ingelburge et épousé Agnès de Méranie et que l'archevêque suspendit le culte dans son diocèse. Il connut aussi la haine d'une large partie de son clergé qui ne voulait pas se plier à la discipline. Philippe Auguste rentra enfin en lui-même et fit pénitence, recouvra par là la pleine amitié de saint Guillaume, et bien des clercs depuis firent pénitence publique.


Eglise Saint-Guillaume. Saint-Gonlay. Bretagne.

Saint Guillaume gouverna l'archidiocèse de Bourges pendant dix ans où il fut remarquable dans les missions qu'il prêchait contre des hérétiques de l'espèce manichéenne, et c'est en se préparant à partir pour une nouvelle tournée pastorale qu'il fut saisi par la maladie et dut s'aliter pour la première fois de sa vie, le 9 janvier 1209. Il dicta son testament, reçut les derniers sacrements et entra en agonie ; il eut encore la force de se lever pour recevoir la Sainte Communion à genoux sur le pavé ; il fit jurer à son chapitre de remettre son cadavre aux cisterciens, puis, au moment d'expirer, exigea qu'on le couchât par terre, sur la cendre, et mourut le 10 janvier 1209.


Saint Guillaume. Faïence de Nevers. Bourgogne. XVIIIe.

On a conservé de lui quelques belles paroles :
" Tel pasteur, telles brebis."
" J'ai à expier et mes propres péchés et ceux de mon peuple."

Sa mort fut digne de sa vie ; il expira revêtu du cilice qu'il avait toujours porté, et couché sur la cendre. Il avait commencé par ses écrits à mener le combat contre les ignobles cathares. Au moment de sa mort, il vit distinctement les anges battant des ailes au-dessus de sa tête, et il rendit l'âme en leur tendant les bras. Pendant ses obsèques, la foule aperçut au-dessus de l'église un globe de feu planant dans les airs.


Retable de saint Guillaume. Bas-relief en bois polychrome.
Chapelle Saint-Guillaume de Loudéac. Bretagne. XVIIe.

La population prit le deuil et refusa de rendre la dépouille du saint aux moines de Chalis qui s'inclinèrent à partir du moment où le pape Honorius III l'inscrivit au livre des saints, en 1218, et que son corps fut déposé dans une chasse magnifique derrière le maître-autel de sa cathédrale. Les moines de Chalis eurent un os du bras, et le collège de Navarre, puisque l'université de Paris avait choisi saint Guillaume comme patron et protecteur, eut une côte. Pendant les guerres de religion, les bêtes féroces calvinistes détruisirent la chasse, mais les reliques furent recueillies et exposées en l'église Saint-Léger-d'Auvergne, au diocèse du Puy, où elles opérèrent de nombreux miracles avant que d'être profanées et détruites par les non moins féroces bêtes de la révolution.

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jeudi, 09 janvier 2025

9 janvier. Sur saint Julien d'Antioche et sainte Basilisse. Saint Jean Chrysostome

Homélie sur saint Julien de saint Jean Chrysostome

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Miracle de saint Julien d'Antioche.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

1. Si les martyrs obtiennent de tels honneurs sur la terre, de quelles couronnes, après leur départ de cette vie, ne seront pas décorées leurs têtes vénérables ? S'ils jouissent d'une telle gloire avant la résurrection, de quelle splendeur ne seront-ils pas revêtus après la résurrection ? Si de simples hommes les honorent d'un tel culte, quelles marques de bienveillance ne recevront-ils pas de leur divin Maître? si nous, qui sommes méchants , nous accordons de pareils témoignages d'estime et d'admiration aux vertus de nos semblables, parce qu'ils ont combattu pour Jésus-Christ, combien plus notre Père céleste prodiguera-t-il ses faveurs à ceux qui se sont épuisés pour lui de peines et de travaux !

Ce n'est pas parce qu'il est libéral et magnifique dans ses dons, qu'il leur réserve de grandes récompenses, mais parce qu'il est leur débiteur. Les martyrs ne se sont pas immolés pour nous, et nous nous empressons d'honorer leur cendre. Mais si nous, pour lesquels ils ne se sont pas sacrifiés, nous courons à leur tombeau, que ne fera point Jésus-Christ, pour lequel ils ont dévoué leurs têtes ! Si Dieu a comblé de telles grâces des hommes auxquels il ne devait rien, de quels dons ne gratifiera-t-il pas ceux dont il est le débiteur ! Dieu ne devait rien auparavant à la terre : " Tous ont péché, dit saint Paul, tous ont besoin de la gloire de Dieu " (Rom. III, 23) ; ou plutôt il ne nous devait que des peines et des supplices. Toutefois, quoiqu'il ne nous dût que des peines et des supplices, il nous a accordé la vie éternelle. Si donc il a donné son royaume à des hommes auxquels il ne devait que des punitions, que ne donnera-t-il pas à ceux auxquels il doit la vie éternelle ! S'il a expiré sur la croix, s'il a répandu son sang pour ceux qui le haïssaient, que ne fera-t-il pas pour ceux qui ont répandu leur sang pour confesser son nom ! s'il a aimé des ennemis et des rebelles, jusqu'à mourir pour eux, quelles marques de bienveillance et de distinction ne réserve-t-il pas pour des hommes qui lui ont donné la plus forte preuve d'amour, puisqu'on ne peut prouver plus fortement à ses amis qu'on les aime qu'en leur sacrifiant sa vie ! (Jean, XIII, 15.).

Les athlètes des jeux profanes sont proclamés et couronnés dans la même lice où ils ont combattu et vaincu. Il n'en est pas de même des athlètes de la foi : ils ont combattu dans la vie présente, ils sont couronnés dans le siècle futur ; ils ont lutté sur la terre contre le démon, dont ils on triomphé, ils sont proclamés dans le ciel. Et afin que vous soyez convaincus de cette vérité que ce n'est pas sur la terre que les saints reçoivent leurs couronnes, mais que c'est dans le ciel que les plus magnifiques récompenses les attendent, écoutez saint Paul qui dit : " J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi : il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice (pour quel lieu et pour quel temps ?) que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce grand jour."
(II Tim. IV, 7 et 8). Il a couru sur la terre, il est couronné dans le ciel; il a vaincu sur la terre, il est proclamé dans le ciel. Vous avez encore entendu aujourd'hui le même apôtre s'écrier : " Tous ces saints sont morts dans la foi, n'ayant pas reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et les saluant de loin." (Héb. II, 13.).

D'où vient donc que pour les athlètes profanes, les couronnes suivent de près les victoires, tandis que pour les athlètes de la foi, les victoires sont séparées des couronnes par un long intervalle de temps ? Les saints ont éprouvé ici-bas des peines et des fatigues, ils ont reçu mille blessures, et ils n'ont pas été couronnés à l'instant même ! Non, sans doute ; parce que la nature de la vie présente ne comporte pas la grandeur de la récompense future. La vie présente est courte et fragile ; la récompense future est immense, infinie, éternelle. Si donc Dieu a enfermé les peines dans le court espace d'une vie passagère, s'il a réservé les couronnes pour une vie incorruptible et inaltérable, c'est afin que le fardeau des peines soit allégé par la brièveté du temps qui les termine, et que la jouissance des couronnes, sans être bornée par aucun terme, se prolonge dans l'éternité des siècles. C'est donc parce qu'il voulait les récompenser plus abondamment qu'il a différé la récompense ; c'est aussi afin qu'ils goûtent, par la suite, une joie plus pure. En effet, comme celui qui doit éprouver des afflictions, après avoir vécu dans les plaisirs et dans les délices, ne sent pas les charmes de l'abondance où il vit maintenant, par l'attente des maux dont il est menacé : de même celui qui doit obtenir des couronnes après les plus rudes combats , et des peines sans nombre, ne sent pas les maux présents, animé par l'espoir des biens futurs. Et ce n'est pas seulement par de espérances dans l'avenir que Dieu allège à ses saints les peines de la vie présente, mais c'est encore en plaçant la tribulation avant le plaisir, afin que la perspective d'une félicité future empêche qu'ils ne soient accablés par les maux présent.

C'est ainsi que les athlètes reçoivent des blessures avec courage, considérant moins les peines qu'ils éprouvent, que ta couronne qu'ils espèrent. C'est ainsi que les nautonniers, en butte aux périls et aux tempêtes, exposés aux guerres les plus cruelles contre les monstres de la mer et les brigands qui l'infestent, ne pensent à rien de cela, mais ne voient que les ports, et le commerce qui doit les enrichir. C'est ainsi que les martyrs, qui souffraient une infinité de maux, dont le corps était déchiré par mille tourments divers, ne voyaient rien de cela, mais ne soupiraient qu'après le ciel, après le bonheur d'une autre vie. Et afin que vous sachiez que ce qui est difficile et accablant par soi-même devient facile et léger par l'espoir des biens à venir, écoutez le Docteur par excellence , qui nous dit : " Le moment si court et si léger des afflictions de cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire (et comment, je vous le demande ?), si nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles." (II Cor. IV, 17 et 18.). Ce n'est pas au hasard que je vous prêche ces vérités : c'est pour votre instruction, c'est afin que, quand vous verrez le méchant, qui doit être puni dans un autre monde, jouir de toutes les délices, de tous les plaisirs de cette vie, ces plaisirs et ces délices ne vous le fassent pas trouver heureux, mais que plutôt vous le trouviez malheureux, en considérant les supplices qui l'attendent ; et aussi afin que, quand vous verrez dans l'affliction, dans la détresse, environné de tous les maux d'une vie passagère, un de ces hommes qui dans le ciel doivent être comblés de gloire et de bonheur, vous ne déploriez pas son sort à la vue des maux qu'il souffre actuellement, mais que les couronnes qui lui sont réservées dans les siècles éternels vous fassent regarder sa condition comme heureuse et digne d'envie.

2. Le saint martyr dont nous célébrons la mémoire naquit en Cilicie, où était né saint Paul ; il était compatriote de cet apôtre, et tous deux, sortis de cette région, se sont montrés de dignes ministres de l'Eglise. Dès que la carrière de la foi fut ouverte, et qu'il fallut soutenir des combats, il tomba entre les mains d'un gouverneur cruel et barbare. Et considérez les ruses qu'employa ce méchant homme. Comme il apercevait dans notre saint une volonté ferme, une âme courageuse, dont il était impossible de triompher par la violence des tourments, il diffère de jour en jour son supplice, il le fait paraître et retirer sans cesse. Il ne lui fait pas trancher la tête dès qu'il est instruit de ses dispositions, de peur que la promptitude de sa mort ne rende sa course plus facile ; mais il le fait amener devant lui à plusieurs reprises, lui fait subir de fréquents interrogatoires, le menace de mille tourments, cherche à le gagner par des paroles flatteuses, en un mot, emploie tous les moyens pour ébranler ce rocher inébranlable. Il le promena même durant une année entière par toute la Cilicie, comme pour lui faire affront; mais il ne faisait que manifester la gloire de ce généreux martyr, qui s'écriait avec saint Paul : " Je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous en tout lieu l'odeur de la connaissance de son nom."
(II Cor. II, 14.). Un parfum renfermé dans un espace étroit n'embaume de son odeur que l'air dont il est environné ; mais s'il est porté dans plusieurs lieux, il les remplit tous d'une odeur suave : c'est ce qu'on vit alors dans notre bienheureux martyr. Il était transporté de pays en pays pour être couvert de confusion ; et par toutes ces courses répétées, devenu un athlète plus illustre, il faisait admirer sa vertu à tous les habitants de la Cilicie.

Il était transporté partout, afin que les Ciliciens n'apprissent pas seulement par ouï-dire ses combats, mais qu'ils vissent de leurs propres yeux l'athlète couronné. Plus le gouverneur multipliait les courses de Julien, plus il augmentait sa gloire; plus il lui ouvrait de lices, plus il lui fournissait occasion de se signaler par des combats admirables ; plus il prolongeait ses souffrances, plus il mettait sa patience à l'épreuve. Plus l'or reste dans la fournaise, plus il devient pur; plus l'âme du saint était éprouvée, plus elle brillait avec éclat. En faisant conduire partout le martyr, le gouverneur ne faisait que montrer partout un trophée contre lui-même et contre le démon, une preuve de la cruauté des gentils, un témoignage de la piété des chrétiens, un signe frappant de la puissance de Jésus-Christ, une exhortation aux fidèles pour les engager à soutenir courageusement les mêmes combats, un héraut de la gloire divine, un maître dans la science de pareils assauts. Le saint excitait tous les hommes à imiter son zèle, moins par ses paroles que par ses actions, dont la voix retentissait partout avec éclat. Et comme les cieux annoncent la gloire du Très-Haut aux mortels qui les contemplent ; comme ils nous invitent à admirer le Créateur, non parles paroles qu'ils font retentir à notre oreille, mais par l'éclat dont ils frappent nos regards : de même le martyr annonçait la gloire du Très-Haut, étant lui-même un ciel, et un ciel plus éclatant que le ciel visible. Non, les choeurs des astres ne rendent pas aussi brillant le firmament qu'ils embellissent, que le sang qui sortait des blessures du martyr rendait son corps resplendissant ; et voyez comment les blessures du martyr brillaient avec plus de splendeur que les astres placés dans les cieux !

Les hommes et les démons envisagent le ciel et les astres qu'il renferme ; mais les blessures de Julien, que les fidèles peuvent envisager, les démons n'osent les regarder en face, et s'ils entreprennent d'y jeter la vue, leurs yeux éblouis ne peuvent supporter l'éclat qu'elles renvoient. C'est ce que je vais prouver par des faits dont nous sommes les témoins, sans recourir aux anciens prodiges. Prenez un homme furieux, tourmenté par le démon, amenez-le au tombeau respectable où sont déposés les restes du martyr, et vous verrez l'esprit impur abandonner le corps qu'il tyrannise, et prendre honteusement la fuite. Dès le seuil de la chapelle où le martyr est honoré, il s'enfuit comme s'il allait marcher sur des charbons, sans oser même regarder la châsse qui renferme ses reliques. Mais si aujourd'hui, que le saint n'est plus que cendre et poussière, les démons n'osent regarder en face le monument où reposent ses os dépouillés, il est clair que, lorsqu'ils le voyaient revêtu de son sang comme d'une pourpre royale, et brillant par ses blessures plus que le soleil par ses rayons, ils se sont retirés frappés de cette vue, les yeux éblouis. Voyez-vous comme les blessures des martyrs sont plus brillantes, plus admirables, et ont plus de pouvoir que les astres du firmament ?

3. Le saint est amené devant le tribunal ; il ne voit de toute part que tourments et supplices affreux, il ne voit que peines et douleurs dans le moment et pour la suite. Les bourreaux environnent son corps comme des bêtes féroces ; ils déchirent ses flancs, découpent ses chairs, mettent ses os à nu, pénètrent jusqu'aux entrailles. Mais malgré leurs recherches cruelles, ils ne peuvent lui ravir le trésor de la foi. Dans les palais des princes, dans les lieux où est déposé leur or et d'autres richesses immenses, si on perce les murs, si on ouvre les portes, on aperçoit aussitôt le trésor qu'ils renferment. Mais c'était tout le contraire pour notre saint, pour ce temple vivant de Jésus-Christ. Les bourreaux perçaient les murs ; ils ouvraient la poitrine sans pouvoir découvrir ni prendre les richesses cachées au dedans ; et de même que les habitants de Sodome, quoique à la porte de la maison de Lot, ne pouvaient en trouver l'entrée : ainsi, quoique les bourreaux ouvrissent de tous côtés le corps de Julien, ils ne pouvaient ni saisir ni ravir le trésor précieux de la foi qu'il tenait en réserve. Telles sont les vertus qui décorent l'âme des saints, qu'elles ne peuvent être ni saisies ni enlevées ; placées dans le courage et la constance, comme dans un asile sacré, ni les yeux des tyrans ne peuvent les découvrir, ni les mains des bourreaux ne peuvent les ravir ; mais quand ils perceraient le coeur, qui est le siège du courage, quand ils le couperaient par morceaux, loin d'épuiser les richesses de la grâce que possèdent les saints, ils ne feraient même que les augmenter.

La raison de ce prodige, c'est que, Dieu habite dans leurs âmes, et que, quand on fait la guerre à Dieu, il est impossible de triompher, il faut absolument qu'on se retire vaincu, couvert de honte et de confusion. C'est pour cela que, quoique les paroles ordinairement soient si faibles, et qu'elles aient si peu d'effet contre les attaques de la puissance, elles eurent alors une efficacité nouvelle, et triomphèrent de tous les efforts de la cruauté. Le tyran et les bourreaux employaient les fouets ; le fer, le feu, en un mot, tous les instruments des plus affreux supplices ; ils déchiraient de tout côté les flancs du martyr, qui ne prononçait qu'une parole , et cette parole seule triomphait de toutes les machines dressées contre lui. Une parole sainte sortie de sa bouche répandait une lumière plus éclatante que les rayons du soleil. Les rayons du soleil ne parcourent que l'espace qui est entre le ciel et la terre ; ou plutôt ils ne peuvent parcourir tout cet intervalle, lorsqu'interceptés et arrêtés par un toit, par un mur, par un nuage, ou par quelqu'autre corps, ils sont rompus par ces obstacles et ne peuvent aller plus avant. La dernière parole du martyr, sortie de sa bouche sainte, s'élance jusqu'au ciel, elle pénètre jusqu'aux cieux supérieurs ; les anges, les archanges, les chérubins, toutes les puissances célestes, se retirent pour la laisser passer ; et pénétrés pour elle de respect, ils la portent humblement au trône du Roi suprême.

4. Lorsque Julien eut prononcé sa dernière parole, le gouverneur voyant que tous ses moyens et toutes ses ruses étaient inutiles, qu'attaquer le saint c'était regimber contre l'aiguillon, c'était vouloir entamer un diamant, que fait-il ? Il prend dès lors le parti d'avouer sa défaite, de terminer les jours du martyr ; car la mort des martyrs est un aveu public que les tyrans font de leur défaite, et une victoire éclatante que les martyrs remportent sur ceux qui leur ôtent la vie. Voyez comme il imagine un genre de mort cruel, également propre à manifester la barbarie du tyran et la fermeté du martyr. Quel est donc ce genre de supplice ? Il fait apporter un sac, qu'il remplit de sable, de scorpions, de serpents, de vipères et de dragons ; il y fait mettre le saint, et le fait jeter à la mer. Un juste se trouva de nouveau enfermé avec des bêtes féroces ; je dis de nouveau, afin que vous vous rappeliez l'ancienne histoire de Daniel. L'un a été jeté dans une fosse, dont les ministres du prince avaient fermé l'entrée avec une pierre ; un sac a été la prison de l'autre, prison étroite où un gouverneur cruel l'a fait enfermer. Dans l'une et l'autre circonstance, les bêtes féroces respectent les corps des saints, pour condamner et confondre des êtres qui sont doués d'une nature humaine et raisonnable, et dont la férocité surpasse de beaucoup celle des brutes : tel était, sans doute, le tyran dont nous parlons.

On vit alors un prodige aussi extraordinaire que du temps de Daniel. Les Babyloniens furent étonnés de voir, après plusieurs jours, le prophète sortir plein de vie de la fosse aux lions ; les anges furent surpris de voir l'âme de Julien sortir du milieu des flots et du sac qui la renfermait, pour s'élever jusqu'aux cieux. Daniel a combattu et vaincu deux lions, mais matériels : Julien a combattu et vaincu un seul lion, mais spirituel. " Le démon, notre ennemi, dit saint Pierre, tourne sans cesse autour de nous, comme un lion rugissant, et cherche qui il pourra dévorer " (I Pierre, V, 8) ; mais il a été vaincu par le courage du martyr. Le martyr avait déposé le venin du péché ; aussi n'a-t-il pas été dévoré par l'esprit impur, et n'a-t-il craint ni la cruauté du lion, ni la fureur des bêtes féroces.

Voulez-vous que je vous rapporte une autre histoire encore plus ancienne, où un juste s'est trouvé avec des bêtes féroces ? Rappelez-vous le déluge arrivé du temps de Noé, et l'arche qu'il avait construite un juste, alors, et des bêtes féroces se trouvèrent ensemble. Mais Noé entra homme dans l'arche et en sortit homme ; Julien entra homme dans la tuer et en sortit ange. L'un entra de la terre dans l'arche et retourna sur la terre ; l'autre entra de la terre dans la mer, et de la mer s'éleva dans le ciel. La mer l'a reçu, non pour lui donner la mort, mais pour lui accorder la couronne ; et après qu'il a été couronné, elle nous a rendu cette arche sainte, je veux dire le corps du martyr. Nous avons conservé jusqu'à ce jour ce trésor précieux, la source d'une infinité de biens ; car le Seigneur a partagé, en quelque sorte, avec nous les martyrs ; il a pris leurs âmes et nous a laissé leurs corps, afin que nous ayons, dans leurs saintes reliques, un monument qui nous rappelle sans cesse leurs vertus. En effet, si en voyant les armes ensanglantées d'un guerrier, son bouclier, sa pique, sa cuirasse, l'homme le plus lâche est animé et enflammé, s'il soupire après la guerre, si la seule vue de ces armes l'excite à tenter les mêmes entreprises ; nous qui voyons, non les armes, mais le corps d'un saint qui a mérité d'être ensanglanté pour avoir confessé le nom de Jésus-Christ, quand nous serions les plus timides des hommes, comment ne concevrionsnous point la plus grande ardeur ? Comment cette vue n'embraserait-elle point notre âme, ne nous porterait-elle point à soutenir les mêmes combats ? Dieu nous a abandonné les corps des saints jusqu'au temps de là résurrection, afin qu'ils nous donnent de grandes leçons de philosophie chrétienne. Mais craignons de diminuer, par la faiblesse de nos discours, les louanges dues à un martyr, laissons au souverain Juge de ses combats à le louer : Celui qui couronne les martyrs les louera lui-même ; leur louange ne vient pas des hommes, mais de Dieu ; et tout ce que nous avons dit de Julien, ce n'est pas pour illustrer davantage un martyr, mais pour enflammer de plus en plus votre ardeur.

Nous allons donc laisser son éloge pour vous adresser la parole ; ou plutôt parler dans l'église d'objets instructifs, c'est faire l'éloge des martyrs. Ecoutez-moi avec attention : je veux détruire aujourd'hui un ancien abus, afin que nous imitions les martyrs, sans nous contenter d'honorer leurs tombeaux. Oui, l'honneur rendu aux martyrs ne consiste pas seulement à venir à leurs tombeaux, mais plus que cela encore, à s'efforcer d'imiter leur courage. Il faut dire, d'abord, quel est l'abus que j'attaque, parce que la maladie étant inconnue, il n'est pas facile d'appliquer le remède : je découvre d'abord la plaie, pour mettre ensuite l'appareil. Quel est donc l'abus dont je parle ?

5. Quelques-uns de ceux qui sont ici présents - car à Dieu ne plaise que mes reproches s'adressent à toute l'assemblée - nous abandonneront demain par lâcheté et par faiblesse, ils courront au faubourg de Daphné pour dissiper demain ce que nous avons recueilli aujourd'hui, pour détruire ce que nous avons édifié. Afin donc qu'ils ne soient pas venus ici inutilement, nous finirons par dire quelques mots sur cet objet : Pourquoi, je vous prie, courez-vous au faubourg d'Antioche ? C'est ici le faubourg de la Jérusalem d'en-haut, c'est ici le Daphné spirituel. Là-bas sont des fontaines d'eau, ici sont les sources des martyrs ; là-bas sont des cyprès, arbres stériles ; ici sont des arbres qui ont leurs racines en terre, et qui étendent leurs branches jusqu'au ciel. Voulez-vous voir le fruit de ces branches ? Ouvrez les yeux de la foi, et vous apercevrez aussitôt une espèce de fruit merveilleux. Non, le fruit de ces branches n'est pas corruptible et périssable, il ne ressemble à aucun de ceux que produit la terre : c'est la guérison des corps mutilés et des âmes malades, la rémission des péchés, l'abolition du vice, la prière continuelle, la confiance dans le Seigneur ; tout ici est spirituel, tout est rempli de biens célestes. Ces fruits sans cesse cueillis repoussent sans cesse, et ne trompent jamais l'espoir du cultivateur. Les arbres terrestres ne produisent qu'une fois l'année ; et aux approches de l'hiver, ils perdent leur beauté propre, leurs fruits, qu'on n'a pas cueillis, se corrompant et tombant d'eux-mêmes. Les arbres dont je parle ne connaissent ni hiver, ni été, ne sont pas sujets à l'inclémence des saisons : jamais dépouillés de leurs fruits, ils conservent toujours leur beauté, sans être exposés ni à la corruption, ni à la vicissitude des temps. Combien, depuis que ce corps est planté dans la terre, les fidèles ont cueilli de ce tombeau des guérisons, sans que le fruit ait jamais manqué ; ils ont moissonné les blés, et il reste encore une ample moisson ; ils ont puisé aux fontaines, et les eaux jaillissent toujours. La source est intarissable, elle ne manque jamais ; plus on y puise, plus on en voit couler de prodiges.

Et le tombeau du saint n'opère pas seulement des miracles, il produit encore la sagesse. Etes-vous riche, enflé d'orgueil, rempli d'arrogance ? Venez ici, voyez le martyr, considérez combien votre richesse diffère de son opulence ; et vous réprimerez bientôt votre fierté, vous vous en retournerez ayant déposé tout orgueil, et l'âme guérie d'une vaine enflure. Etes-vous pauvre, vous croyez-vous digne de mépris ? Venez ici, voyez la richesse du martyr, et dédaignant les biens de ce siècle, vous vous en retournerez plein d'une philosophie chrétienne. Oui, quand on vous aurait causé mille torts, quand on vous aurait accablé d'outrages et de coups, cette pensée, que vous n'avez pas encore souffert autant que le martyr, vous fera remporter d'ici une abondante consolation. Vous voyez quels fruits naissent de ces racines, combien ils sont inépuisables, combien ils sont spirituels, combien ils appartiennent à l'âme.

Je n'empêche pas que vous vous rendiez au faubourg, mais je m'oppose à ce que vous y alliez demain. Pourquoi ? C'est afin que votre plaisir ne soit pas répréhensible, afin que votre joie soit pure, qu'elle ne vous attire pas de condamnation ; car vous pouvez, dans un autre jour, vous livrer sans crime à des divertissements honnêtes. Que si vous voulez goûter, même aujourd'hui, quelque plaisir, quoi de plus agréable que cette assemblée et ce spectacle spirituel ? Quoi de plus doux que la société de vos frères et de vos membres ? Mais voulez-vous même participer à une table matérielle ? Vous pouvez, lorsque l'assemblée sera séparée, vous asseoir près de la chapelle du martyr, sous un figuier ou sous une vigne, et procurer à votre corps quelque satisfaction, sans charger votre conscience d'un crime. Le martyr qui est présent et qui assiste à votre table, ne permet pas que la joie dégénère en licence : comme un maître attentif ou un bon père aperçu des yeux de la foi, il réprime les ris immodérés, il arrête les joies excessives, il empêche toutes les révoltes de la chair, inconvénients inévitables dans le faubourg de Daphné. Pourquoi ? C'est qu'il y aura demain des danses dans tout le faubourg. Or, la seule vue de ces danses entraîne le plus sage à imiter les mouvements indécents dont il est le témoin surtout lorsque le démon est de la partie ; et il est présent, appelé par les chants des prostituées, par les discours obscènes, par les pompes diaboliques qu'on y étale. Or, vous avez renoncé à toutes ces pompes, vous vous êtes attachés au culte de Jésus-Christ, du jour où vous avez été admis aux sacrés mystères. Rappelez-vous donc les paroles que vous avez prononcées, les engagements que vous avez pris, et craignez de violer vos promesses.

Mais je vais m'adresser à ceux qui ne se rendront pas à Daphné, et leur recommander le salut de leurs frères. Lorsqu'un médecin visite un malade, il dit peu de chose au malheureux gisant dans son lit : il s'adresse à ses proches, leur parle des remèdes, de la nourriture, et leur recommande les autres parties du traitement. Pourquoi ? C'est que le malade n'est point en état, pour l'heure, de recevoir des conseils, au lieu que celui qui est en santé, écoute, avec la plus grande attention toutes les ordonnances du médecin. Voilà pourquoi je veux m'adresser aussi à vous. Saisissons-nous demain des portes, assiégeons les chemins, que les hommes fassent revenir malgré eux les hommes, que les femmes ramènent malgré elles les femmes. N'ayons pas de honte, il n'y a pas de honte à avoir lorsqu'il s'agit du salut de notre prochain. Si nos frères ne rougissent pas de se rendre à une fête profane et criminelle, ne rougissons pas de les ramener à une solennité sacrée ; ne négligeons rien, lorsqu'il est question du salut de nos frères. Si Jésus-Christ est mort pour nous, nous devons tout supporter pour eux. Quand ils vous accableraient de coups et d'invectives, retenez-les, ne les quittez pas que vous ne les ayez ramenés au saint martyr.

Quand il vous faudrait prendre les passants pour juges, dites à ceux qui voudront l'entendre : Je veux sauver mon frère, je vois qu'il perd son âme, je ne puis négliger celui auquel je tiens de si près. Que celui qui le voudra m'accuse, que celui qui le voudra me condamne. Ou plutôt personne ne me blâmera, tous me loueront, tous me chériront, puisque ce n'est ni pour un vil intérêt, ni pour contenter un ressentiment personnel, ni pour aucun autre motif profane, que je dispute, mais pour le salut de mon frère. Qui n'approuvera pas ma conduite ? Qui ne l'admirera pas ? Quoique nous n'ayons ensemble aucune liaison de parenté charnelle, la parenté spirituelle nous rend plus chers les uns aux autres, que des enfants ne le sont à leurs parents. Si vous voulez même, prenons avec nous le martyr ; il ne rougira point de nous accompagner, et de sauver ses frères. Montrez-le à leurs yeux ; qu'ils craignent sa présence, qu'ils respectent ses prières et ses exhortations. Si Dieu exhorte ses créatures : " Nous faisons la charge d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, dit saint Paul, et c'est Dieu même qui vous exhorte, par notre bouche, à vous réconcilier avec lui " (II Cor. V, 20), à plus forte raison un serviteur de Dieu exhortera-t-il ses frères. La seule chose qui l'afflige, c'est notre perte, la seule chose qui le réjouisse, c'est notre salut; aussi ne se refusera-t-il à rien pour nous sauver. N'ayons donc pas de honte de nous-mêmes, et ne croyons pas en pouvoir trop faire.

Si des chasseurs parcourent les montagnes, les précipices, les gouffres et les abîmes, pour prendre quelques animaux terrestres, ou même des oiseaux sauvages ; vous qui devez ramener de la perdition, non un vil animal, mais votre frère spirituel, pour lequel Jésus-Christ est mort, vous rougissez, vous hésitez, je ne dis pas de franchir des forêts et des montagnes, mais de sortir simplement des portes de la ville ! Quelle excuse, je vous prie, vous restera-t-il ? N'entendez-vous pas l'avertissement d'un sage qui vous dit : " Il y a une honte qui conduit au péché " (Ecclés. IV, 25.). Mais vous craignez qu'on ne vous blâme ; rejetez toute la faute sur moi, qui vous ai donné le conseil ; dites que c'est votre maître qui vous l'a ordonné. Je suis prêt à me justifier devant ceux qui m'accuseront, et à rendre compte de ma conduite ; ou plutôt, aucun homme, quelque impudent qu'on le suppose, ne vous blâmera ni vous ni moi, mais tous nous approuveront, et applaudiront à nos soins. Tous les habitants d'Antioche, ceux même des villes voisines admireront la force impérieuse de notre charité et l'ardeur de notre zèle. Mais que parlé-je des hommes ? le Maître des anges lui-même nous donnera son approbation. Puis donc que nous savons quelle sera la récompense de nos peines, ne négligeons pas cette chasse spirituelle ; ne revenons pas seuls demain, mais présentons-nous chacun avec notre proie. Pourvu que nous nous rendions à l'heure où notre frère sortira de sa maison pour se mettre en chemin, et que nous l'engagions à visiter ce lieu, il n'y aura plus dès lors de difficulté. Lui-même vous en saura gré par la suite, tous les autres vous loueront, vous admireront, et, ce qu'il y a de plus essentiel, le Maître des cieux vous en récompensera abondamment, il vous comblera de biens et de louanges. Considérant donc l'avantage qui résulte pour nous d'une telle conduite, rendons-nous tous en foule aux portes de la ville, saisissons- nous de nos frères, ramenons-les ici, afin que demain l'église soit pleine, et que la solennité soit parfaite; afin que le bienheureux martyr, pour prix de notre zèle, nous reçoive avec confiance dans les tabernacles éternels. Puissions-nous obtenir cette faveur par la grâce et par la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit la gloire au Père et à l'Esprit-Saint vivifiant, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

9 janvier. Saint Julien d'Antioche et sainte Basilisse, mariés, religieux, vierges et martyrs, et leurs compagnons, martyrs. 313.

- Saint Julien d'Antioche et sainte Basilisse, mariés, religieux, vierges et martyrs, et leurs compagnons, martyrs. 313.

Pape : Saint Mechiade. Empereur romain d'Orient : Maximin Daïa II. Empereur romain d'Occident : Constantin Ier.

" Et ecce ego morior !"
" Quel bonheur de mourir !"

1 Reg., XIV, 43.


Saint Julien d'Antioche. Jean Hey ou Jean Pichore.
Heures à l'usage de Rome. XVe.

Avant que de donner quelques éléments de la vie de saint Julien, notons au préalable que nous avons un peu plus de soixante saints portant le prénom de Julien.

Il se peut donner sans difficulté à saint Julien et à sainte Basilisse les quatre titres de mariés, de vierges, de religieux et de martyrs, quoique sainte Basilisse ait fini ses jours en paix et dans la ferveur de la prière : mais elle beaucoup souffert pour Notre Seigneur Jésus-Christ et disposé une infinité de personnes à mourir pour la foi qui lui a valu cette qualité de martyre.

Saint Julien d'Antioche naquit de parents riches qui le voulurent marier. Il fit voeux de rester chaste et d'engager son épouse à le demeurer, ce qu'elle fit aussi. Il choisirent d'ailleurs de ne pas demeurer ensemble.


Sainte Basilisse, associée à saint Julien l'Hospitalier,
avec saint Jacques le Majeur dans une barque.
Eglise Saint-Fuscien et Saint-Gentien. Fléchy. Picardie. XVe.

Leurs parents respectifs étant mort, ils héritèrent tous deux de grands biens qu'ils vendirent pour le soulagement des pauvres et pour fonder chacun des établissements destinés à leur soulagement.
Plusieurs jeunes hommes demandèrent rapidement à venir seconder saint Julien dans ses oeuvres et de même de nombreuses jeunes filles voulurent suivre l'exemple de sainte Basilisse.

Bientôt, Maximin II renouvella, après Dioclétien, la persécution en Orient. L'empereur envoya à Antioche un lieutenant appelé Marcien, homme particulièrement cruel. Il fit comparaître Julien devant son tribunal et ne pouvant le réduire, fit mettre le feu aux quatre coins de la batisse qui servait de maison aux novices. De là ils montèrent au Ciel.

Marcien fit à nouveau comparaître saint Julien. La constance de notre saint fut la même, et avec une grande fermeté, il supporta d'être battu avec des cordes nouées (guérissant au passage un des soldats qui avait reçu accidentellement un coup de corde qui lui avait fait perdre un oeil). Marcien fit ensuite traîner saint Julien dans Antioche, chargé de fers, et le fit tourmenter tout au long du chemin.


Mariage de saint Julien d'Antioche et de sainte Basilisse.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Il se trouve que le fils de Marcien, âgé de sept ans, Celse, était avec d'autres écoliers pas les rues d'Antioche. Touché par l'héroïque constance du saint, il s'approcha de lui et lui demanda d'être admis dans la société de Notre Seigneur.

Marcien fit mettre saint Julien et son propre fils dans une basse-fosse afin d'essayer de venir à bout de leur patience. A peine arrivé dans ce lieu, une lumière divine vint les éclairer et l'odeur épouvantable de la fosse se changea en un parfum admirable. Ce fut la cause de la conversion de la vingtaine de gardes que Marcien avait préposé à leur surveillance. Marcien fit ensuite préparer un brasier fait d'huile et de résine afin d'exterminer cette sainte troupe.

Comme des Gentils passaient avec un mort sur le chemin qui menait des geoles au lieu du supplice, Marcien demanda à saint Julien qu'il ressucitât ce mort s'il le pouvait. Saint Julien, après avoir prié le Maître de Vie, le ressucita en effet. Le ressucité dit à l'instant du retour de sa vie terrestre, que Jésus-Christ était bien le seul et vrai Dieu et qu'il emploierait le restant de sa vie à expier ses péchés.

Marcien ne se laissa pas plus toucher par ce miracle que par les précédents. Il fit conduire la troupe au lieu du supplice et on mit le feu au brasier. Aussitôt, ce feu fut changer en une agréable source de raffraîchissement, et Marcien fut obliger de reconduire nos saints en prison.


Miracle de saint Julien d'Antioche. Speculum historiale.
V. de Beauvais. XVe.

Marcien envoya alors son épouse, Marcionille, visiter son fils Celse afin de l'engager à revenir aux idoles. Elle fut tellement touchée par la compagnie de nos saints qu'elle demanda le baptême et Celse fut choisi pour être le parrain de sa mère. Marcien fit alors décorer le temple le plus majestueux temple d'Antioche, dédié à Jupiter, et fit préparer une cérémonie solennelle. Il dit à saint Julien de demander à son Dieu qu'Il lui plût, s'il Lui était possible, de détruire le temple. Aussitôt, la terre souvrit et engloutit le temple et les prêtres de Satan qui étaient là.

Renvoyés en prison, la sainte troupe en fut retirée le lendemain et jetée aux bêtes féroces, qui ne voulurent toucher nos saints que pour les lécher et se faire caresser. Marcien finit par leur faire couper la tête, en même temps que des criminels de droit commun.


Martyre de saint Julien d'Antioche et de ses compagnons.
Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.

Sainte Basilisse put terminer ses jours, avec les religieuses qui l'entouraient, dans la paix du Seigneur, non sans avoir été tourmentée sa vie durant il est vrai.

La France, et particulièrement, le diocèse de Sens, fut honorée d'avoir le crâne de saint Julien d'Antioche. L'abbaye de Morigny le conservait. Malheureusement, l'invasion des abbés commandataires au XVIIe siècle, encouragée par le petit-fils de l'usurpateur Bourbon Henri de Navarre, produisit la ruine puis l'abandon de cette abbaye.


Tour de Brunehaut et chapelle Saint-Julien. Morigny. Etampois.
Anciennement au diocèse de Sens. Gravure du XVIIIe.

Cette insigne relique se trouve probablement toujours au trésor de la cathédrale de Sens.

Rq : On trouvera des détails intéressants sur ces saintes reliques sur lien suivant : http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b10.html 

On lira et méditera avec fruit le magnifique sermon sur saint Julien de saint Jean Chrysostome : http://hodiemecum.hautetfort.com/archive/2011/01/09/saint...

 

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mercredi, 08 janvier 2025

8 janvier. Saint Séverin du Norique, Apôtre de l'Autriche et de la Bavière. 482.

- Saint Séverin du Norique, Apôtre de l'Autriche et de la Bavière. 482.

Pape : Saint Simplice. Empereur romain, d'Orient : Zénon. Chute de l'empire romain d'Occident : Julius Népos (+480) ; Romulus Augustule. Chef des Hérules, patrice romain, etc. : Odoacre. Roi des Francs Saliens : Clovis Ier.

" Quand vous aurez vaincu, ne tuez pas les ennemis."
Saint Séverin au chef de la garnison de Vienne.

Saint Séverin du Norique.
Maître de Saint-Séverin. Autriche. XVe.

Dans le Ve siècle, un Solitaire d'Orient, poussé par l'esprit d'en-haut, vint annoncer la pénitence et le royaume de Dieu aux peuples barbares du Septentrion. On ne put savoir sa patrie ; aux questions qu'on lui faisait à ce sujet, il répondait qu'un prédicateur de l'Evangile n'avait point d'autre âge que l'éternité, ni d'autre pays que le ciel. Toutefois, on reconnut facilement, à son parler et à ses manières, qu'il était Romain ou d'un endroit ou d'un endroit où l'on parlait encore le bon latin. Comme il était humble et qu'il refusait de dire la condition de sa famille, on crut, non sans raison, que ses parents étaient illustres selon le monde. Il faisait précéder sa prédication de l'exemple de sa vie ; il était pieux, austère et charitable envers les pauvres, les malades et tous les nécessiteux.

Au temps où vécut saint Séverin, il y a plus de treize cents ans, Attila, ce terrible roi des Huns, dont nous avons déjà parlé, venait de mourir. En mourant, il laissa plusieurs fils, qui se disputèrent l'empire, principalement dans les contrées situées le long des deux rives du Danube. Au loin régnaient la terreur et la désolation. Saint Séverin demeurait alors aux environs de la ville d'Astures ; il anonça aux habitants de cette ville qu'ils étaient menacés des horreurs de la guerre, et que leur cité serait détruite, à moins qu'ils ne fléchissent le ciel par des jeûnes, des prières et des aumônes. Pour leur malheur, les Asturiens n'écoutèrent pas les sàges exhortations du Saint, et leur ville fut ruinée de fond en comble, de sorte qu'aujourd'hui l'on ne sait plus même le lieu où elle s'est trouvée (d'aucuns pensent que Stockeraw, au nord de Vienne est située sur le site de l'ancienne Astures).

Saint Séverin. Gravure. XVIIIe.

Mais avant le désastre, saint Séverin s'était retiré dans une autre ville, appelée Cumanis (aujourd'hui Haynburg, à une vingtaine de kilomètres à l'Ouest de Vienne). Là il renouvela ses conseils et ses sinistres prédictions ; mais là aussi il ne fut pas écouté. Alors un vieillard, qui seul avait échappé ua massacre et à l'incendie d'Astures, raconta aux habitants de Cumanis tous les détails de l'horrible désastre dont il avait été témoin ; et il ajouta qu'avant l'événement un homme inconnu était venu leur prédire tout ce qui était arrivé, et les avait exhortés à détourner ces malheurs par la pénitence :
" Et c'est parce qu'on ne l'a pas cru, dit-il en terminant son récit, que tous ces malheurs sont venus sur ma patries !..."
Et le vieillard, ayant vu saint Séverin qui l'écoutait discrètement mélé à son nombreux auditoire, s'écria aussitôt :
" C'est lui-même, écoutez-le !"

Alors les Cumaniens lui demandèrent pardon de n'avoir pas voulu l'écouter d'abord et pendant trois jours ils implorèrent le secours du ciel par des prières, des jeûnes et des aumônes. Pendant ce temps les farouches ennemis s'étaient rapprochée de Cumanis mais vers la fin du troisième jour leur camp fut ébranlé par un terrible tremblement de terre, et ils s'enfuirent épouvantés. Pendant la nuit suivante, ils s'imaginèrent être poursuivis, et, prenant leurs compagnons pour des ennemis, ils s'entre-tuèrent.

Saint Séverin prêchant aux habitants de la ville de Cumanis.
Cathédrale neuve Notre-Dame. Linz. Autriche. XVIIe.

Une autre ville * plus loin sur le Danube  était désolée par la famine. C'était au cœur de l'hiver, et l'on attendait des vivres qui devaient arriver des pays qui sont près de l'Inn. Mais le fleuve était gelé, les bateaux qui devaient transporter les vivres ne pouvaient arriver. Or, les habitants de cette ville ayant entendu parler de la merveilleuse efficacité des prières de saint Séverin, le firent inviter à se rendre auprès d'eux.

Son premier soin, en arrivant, fut de les exhorter à la prière et à la pénitence. Et presque aussitôt l'on vit arriver une foule de bateaux chargés de vivres. Que s'était-il donc passé ? Le fleuve, qui depuis longtemps tenait les bateaux emprisonnés dans les glaces, s'était subitement fondu par l'effet d'un dégel miraculeux survenu à une époque tout à fait indue. Grande fut la reconnaissance des Viennois, et grandes furent aussi leurs actions de grâces.

Or, il y avait à Vienne une riche veuve nommée Procule qui avait caché, pendant une famine, une immense quantité de blé : l'Esprit de Dieu ayant révélé cet acte d'avarice à Séverin, le Saint reprit publiquement la veuve sans entrailles, lui reprocha d'être cause, par sa cupidité, de la mort d'un grand nombre de pauvres, et lui fit voir qu'elle se disait en vain chrétienne, puisqu'en adorant les richesses elle était tombée dans une détestable idolâtrie. Procule comprit l'énormité de sa faute et la répara en ouvrant gratuitement ses greniers.

Saint Séverin. Gravure. M. Haffner. Autriche. XVIIIe.

Dans le même temps, des barbares menaçaient cette ville par le fer et le feu tout ce qu'ils pouvaient saisir au dehors des murs, hommes et bêtes, ils l'emmenaient avec eux. La ville était presque entièrement dépourvue de soldats : saint Séverin harangua leur chef, lui disant d'avoir confiance en Dieu, et d'aller attaquer résolument l'ennemi, lui assurant que Dieu lui donnerait la victoire. Il ajouta encore ces paroles remarquables :
" Mais quand vous aurez vaincu, ne tuez pas les ennemis !"


Le capitaine partit aussitôt, plein de confiance en Dieu et dans les prières de son fidèle serviteur. Les barbares, en l'apercevant, furent saisis d'épouvante, jetèrent leurs armes et s'enfuirent. Ceux d'entre eux qu'on put emmener captifs, furent conduits devant saint Séverin, qui, après leur avoir reproché leurs brigandages, leur fit donner à boire et à manger, et puis les renvoya dans leur pays.

Plus tard saint Séverin se retira dans une solitude, avec le désir de ne plus vivre que pour Dieu mais il n'y demeura pas longtemps seul. Une foule de gens allaient le trouver pour lui demander aide et conseil dans leurs besoins spirituels ou corporels.

Saint Séverin. Tobia Gorio. XVIIe.

Un homme, nommé Rufus, était malade depuis douze ans : il souffrait horriblement dans tous les membres de son corps. Or, les moyens employés jusque-là avaient été infructueux. Sa mère le mit sur une voiture et le conduisit devant l'habitation du Saint. Elle le supplia de guérir son fils. Le Saint répondit :
" Dieu seul peut rendre la santé aux malades ; mais je vais vous donner un conseil donnez des aumônes, selon vos moyens."
Cette femme, n'ayant pour le moment aucune autre chose à donner, se dépouilla de ses habits pour les donner aux pauvres. Mais le Saint lui dit :
" Remettez vos habits ; votre fils va être guéri ensuite, quand vous serez retournée chez vous, prouvez votre foi par es oeuvres."
Saint Séverin se mit ensuite en prières ; et aussitôt, au grand étonnement de tous les assistants, le malade se leva guéri, et s'en retourna chez lui. L'étonnement de tous ceux qui le connaissaient était si grand, que plusieurs ne voulurent pas croire que ce fût le même homme qu'ils avaient vu si infirme.

La renommée de la sainteté et des miracles de saint Séverin se répandit au loin. Plusieurs cités pensèrent que si elles possédaient un tel trésor, elles seraient à l'abri de toutes les calamités. Le Saint fut donc appelé avec instance de divers côtés. Or, un jour il se trouvait dans une ville, où une partie des habitants s'adonnait à l'idolâtrie. Saint Séverin leur représenta combien grand était ce crime, mais personne ne voulut s'avouer coupable.

 
Alors il prescrivit un jeûne de trois jours, et ordonna que le troisième jour chaque famille se rendrait à l'église avec un cierge non allumé. Le Saint s'étant mis en prières avec les prêtres et le peuple, les cierges des vrais croyants s'allumèrent d'eux-mêmes, tandis que ceux des idolâtres demeurèrent non allumés. Etant ainsi miraculeusement convaincus, les idolâtres confessèrent leur péché ; et le chroniqueur, en rapportant ce fait, ajoute :
" Ô douce puissance de mon Créateur, qui alluma les coeurs en même temps que les cierges ! Car le feu se mit aussi aux cierges des coupables, après qu'ils eurent confessé leur faute et pendant que ce feu consumait la cire qu'ils tenaient en leurs mains, un feu immatëriel consumait leurs cœurs et faisait couler de leurs yeux des larmes de componction."

Eglise Saint-Séverin. Passau. Bavière.

Une autre fois les campagnes d'alentour furent ravagées par des nuée de sauterelles, et l'on supplia encore saint Séverin d'éloigner ce fléau par ses prières. Comme toujours, il recommanda d'avoir recours à la prière, au jeûne et aux aumônes ; en même temps il exigea que personne n'allât aux champs : " car, dit-il, vos soins intempestifs seraient faits pour éloigner le secours de Dieu plutôt que pour chasser les sauterelles ". Tous se conformèrent scrupuleusement aux prescriptions du Saint, à l'exception d'un tout pauvre homme, qui voulait absolument aller visiter son champ. Ce champ se trouvait environné de plusieurs autres, et le pauvre homme s'y rendit pour en chasser les insectes destructeurs. Mais la nuit même les sauterelles disparurent complètement, en laissant intacts tous les champs, à l'exception de celui du pauvre incrédule, sur lequel elles ne laissèrent pas un fruit, ni un brin d'herbe. Ce malheureux alors courut à la ville, en se lamentant devant tout le monde de ce qui lui était arrivé. Là-dessus tous sortirent, et virent avec étonnement que leurs champs avaient été préservés du fléau, et que seul le champ de l'incrédule avait été dépouillé.

Le Saint alors leur dit ces simples paroles :
" Apprenez par les sauterelles à obéir toujours à Dieu !"
Alors le pauvre dit en se lamentant :
" Je veux bien, à l'avenir, obéir fidèlement à Dieu, mais qui me donnera de quoi vivre, car mon champ est dévasté ?"
Le Saint s'adressant à la foule, dit :
" Il est juste que celui qui par son châtiment vous apprend à être humbles et obéissants, soit, pour cette année, nourri par vous."
Et il fut fait une collecte au profit du pauvre.

Statue de saint Séverin. XVe.
Eglise Saint-Séverin. Passau. Bavière.

Une autre fois une femme, après avoir été longtemps malade, entra en agonie quelques-uns de ceux qui l'entouraient, la croyant déjà morte, se mirent à se lamenter, suivant la coutume en pareille occurrence. Les autres, au contraire, leur imposèrent silence, et, emportant la malade, ils allèrent la déposer devant la porte de saint Séverin. Le Saint leur dit :
" Que me voulez-vous ?"
Ils répondirent :
" Nous vous prions de rendre à ta santé cette femme qui va mourir."
Le Saint reprit :
" Vous demandez trop à un pauvre pécheur comme moi. Je suis indigne de faire des miracles ; tout ce que je puis faire, c'est de prier Dieu de me pardonner mes péchés."
Ceux-ci répliquèrent :
" Nous croyons que si vous priez pour la malade, elle sera guérie."
Alors le Saint se mit à prier et aussitôt la malade put se lever. Et le Saint leur dit :
" Ce miracle n'est pas dû à mes mérites, mais à votre foi ; pareille chose arrive journellement en maint endroit, chez tous les peuples, par la toute-puissance de Dieu, qui seul peut guérir les malades et ressusciter les morts, afin que tous les peuples sachent qu'il est le seul vrai Dieu."

Trois jours après, cette même femme était si bien guérie, qu'elle put de nouveau vaquer à ses travaux habituels.

Mais, quoiqu'il fît ces prodiges pour gagner les peuples à Jésus-Christ, il ne voulut point guérir un mal d'yeux qui causait des douleurs très vives à Bonose, le plus cher de ses disciples ; il aurait cru, en lui enlevant la souffrance, le priver d'un moyen de perfection. Sa réputation alla si loin que les princes, même d'au-delà du Danube, infidèles ou Ariens, lui demandaient ses avis pour la conduite civile de leurs Etats, quoiqu'ils refusassent d'ouvrir les yeux à la vérité et de corriger les déréglements de leur vie.

Notre Père des cieux ressuscitant une femme morte par
l'intercession de saint Séverin et de la foi des fidèles. XVIe.

Il établit plusieurs monastères, dont le plus considérable était près de Favienne. Il le quittait souvent pour aller à deux lieues au delà, dans un endroit écarté, pour prier plus tranquillement. Mais la charité l'obligeait souvent d'aller en divers lieux, consoler les habitants dans leurs alarmes car ils se croyaient en sûreté quand il était avec eux. Il recommandait à ses disciples surtout l'imitation des anciens et l'éloignement du siècle ; ses exemples leur prêchaient plus encore que ses paroles. Car, excepté les fêtes, il ne mangeait qu'après le soleil couché, et en Carême une seule fois dans la semaine il dormait tout vêtu sur un cilice, étendu sur le pavé de son oratoire. Il marchait toujours pieds-nus, même lorsque le Danube était gelé. Plusieurs villes le demandèrent pour évêque, mais il ne voulut jamais se rendre à leurs instances :
" N'est-ce pas assez que j'aie quitté ma chère solitude pour venir ici vous instruire et vous consoler ?"

Il ne faut donc pas croire que notre Saint ait établi d'une manière définitive et durable, ni la religion catholique, ni la vie monastique dans ces pays ; ce n'était ni le lieu ni le moment. La Providence l'avait amené là, lui Romain, moine catholique, représentant du monde civilisé qui allait être enfin envahi, afin d'arrêter un instant, et d'adoucir les envahisseurs ; ainsi Attila trouva saint Léon au passage du Mincio, saint Aignan sous les murs d'Orléans, et saint Loup aux portes de Troyes ainsi saint Germain d'Auxerre arrêta Eocharich, roi des Allemands, au cœur de la Gaule.

L'anachorète qui défendit le Norique, veillait en même temps dans l'intérêt de toute la Chrétienté. Si le débordement des invasions se fût précipité d'un seul coup, il aurait submergé la civilisation. L'empire était ouvert, mais les peuples n'y devaient entrer qu'un à un et le sacerdoce chrétien se mit sur la brèche, afin de les retenir jusqu'au moment marqué, et pour ainsi dire jusqu'à l'appel de leur nom. c'était le tour des Hérules : saint Séverin avait contenu leurs bandes sur le chemin de l'Italie.

Odoacre consultant saint Séverin.
Leopold Kupelwieser. Vienne. XVIIIe.

Parmi ceux qui venaient demander sa bénédiction, se trouva un jour un jeune homme, pauvrement vêtu, mais de race noble, et si grand qu'il lui fallait, se baisser pour entrer dans la cellule du moine :
" Va, lui dit Séverin, va vers l'Italie ; tu portes maintenant de chétives fourrures, mais bientôt tu auras de quoi faire largesse."
Ce jeune homme était Odoacre, à la tête des Thurilinges et des Hérules ; il s'empara de Rome, envoya Romulus Augustule mourir en exil, et, sans daigner se faire lui-même empereur, se contenta de rester le maître de l'Italie. Du sein de sa conquête, il se souvint de la prédiction du moine romain qu'il avait laissé sur les bords du Danube, et lui écrivit pour le prier de lui demander tout ce qu'il voudrait. Séverin en profita pour obtenir la grâce d'un exilé.

Si Odoacre, maître de Rome, usa de clémence, s'il épargna les monuments, les lois, les écoles, et ne détruisit que le vain nom de l'empire, c'est qu'il se souvint, notamment, du moine romain qui avait prédit sa victoire et béni sa jeunesse.

Une autre fois, comme les Allemands ravageaient le territoire de Passau, où il se trouvait alors, il alla trouver Gibold leur roi, et lui tint un langage si ferme, que le barbare troublé promit de rendre les captifs et d'épargner le pays on l'entendit ensuite déclarer à ses compagnons que jamais, en aucun péril de guerre, il n'avait tremblé si fort. Saint Séverin était donc là comme un rempart céleste sur les rives du grand fleuve qui ne protégeait plus le territoire de l'empire. Quand une ville, une contrée de l'empire étaient menacées par une armée barbare, il entreprenait quelquefois la défense militaire avec le calme d'un vieux capitaine, rendant d'une parole le courage aux plus timides, se faisant obéir là où personne ne l'était plus ; s'il fallait reculer, il organisait la retraite ; s'il n'y avait plus espoir de salut, il se rendait au camp des vainqueurs, et, au nom de Dieu, il obtenait que les vaincus seraient respectés dans leurs personnes et dans leurs biens, et que tous vivraient en paix.

Odoacre consultant saint Séverin.
Gravure. Waldheim. Autriche. XIXe.

Il avait surtout le plus grand soin des captifs, d'abord à cause d'eux, en qui il voyait Notre-Seigneur dans les chaînes et la misère, mais aussi à cause du salut de l'âme des maîtres qui les opprimaient. Il plaida, selon son habitude, cette sainte cause auprès de Fléthée, roi des Rugiens, peuplade qui était venue, des bords de la mer Baltique, s'établir en Pannonie ; peut-être le cœur de ce barbare se serait-il laissé fléchir ; mais Gisa, sa femme, qui était arienne et plus féroce que lui, dit un jour à Séverin :
" Homme de Dieu, tiens-toi tranquille à prier dans ta cellule, et laisse-nous faire ce que bon nous semble de nos esclaves."
Mais lui ne se lassait pas et finissait presque toujours par triompher de ces âmes sauvages, mais non encore corrompues. Sentant sa fin approcher, il mande auprès de son lit de mort le roi et la reine. Après avoir exhorté le roi à se souvenir du compte qu'il aurait à rendre à Dieu, il posa la main sur le cœur du barbare, puis se tournant vers la reine :
" Gisa, aimes-tu cette âme plus que l'or et l'argent ?"
Et comme Gisa protestait qu'elle préférait son époux à tous les trésors :
" Eh bien donc, cesse d'opprimer les justes, de peur que leur oppression ne soit votre ruine. Je vous supplie humblement tous les deux, en ce moment où je retourne vers mon maître, de vous abstenir du mal et de vous honorer par vos bonnes actions."

Saint Séverin avait prédit à ses disciples le jour de sa mort, deux ans auparavant il les avertit en même temps que les habitants du Norique seraient obligés de se réfugier en Italie, et leur ordonna de les suivre et d'emporter son corps. Il fut attaqué d'une pleurésie le 5 janvier 482. Le quatrième jour de sa maladie, il demanda le saint Viatique ; puis, ayant fait le signe de la Croix et dit avec le Psalmiste : " Que tout esprit loue le Seigneur ", il s'endormit doucement dans le Seigneur.

Saint Séverin du Norique et saint Constantin, évêque de Linz.
Vitrail. Cathédrale neuve Notre-Dame. Linz. Autriche. XIXe.

CULTE ET RELIQUES

Six ans après, les disciples de saint Séverin furent, selon sa prédiction, obligés de fuir devant la fureur des barbares ; ils emportèrent le corps de leur bienheureux Père ; presque toute la contrée l'accompagna, et partout où il passait on courait lui rendre hommage, de sorte que c'était plutôt un triomphe qu'une retraite. Il fut déposé à Monte-Feltro, en Ombrie, d'où il fut transféré, cinq ou six ans après, à Lucullano, entre Naples et Pouzzolles, par l'autorité du pape saint Gélase.

Saint Séverin est invoqué particulièrement par les prisonniers, les vignerons et les tisserands.

Blason de la ville de San Severo. Pouilles. Italie.

On y bâtit un monastère dont Eugippe, auteur de la vie de saint Séverin, fut second abbé. En 910, ses saintes reliques furent transportées à Naples, dans un monastère de Bénédictins qui porte son nom. Saint Séverin du Norique est l'un des Patrons de la Bavière, de l'Autriche, et de Vienne où il est somptueusement fêté dans le quartier de l'Heiligenstadt, dans le district de Döbling. Il est aussi le saint patron du diocèse de Linz, de la ville italienne de San Severo.

Les Français, et plus particulièrement les Parisiens, prendront soin de ne pas le confondre avec saint Séverin d'Agaume, ou de Paris, ermite, qui, notamment, guérit Clovis miraculeusement. Ce saint Séverin, quasi-contemporain de notre Saint du jour, retourna à Notre Père des cieux en 540.

Vita Sancti Severini, par le bénédictin Eugippe (Ve).
Codex Vindobonensis. Xe.

* Probablement Vienne car le chroniqueur dont s'inspire cette notice - Eugippe, moine bénédictin de Naples du Ve siècle - nomme cette ville Favienna ou Fabienna. Or, il n'y a pas loin, philologiquement parlant, de Favienna ou Fabienna à Vienne qui reçut son nom du général romain Annius Fabianus. Il convient de mentionner que certains modernes, non sans raisons - lesquelles sont d'être suffisantes pour le soutenir sans doutes sérieux -, soutiennent qu'il pourrait s'agir de la ville de Mautern. Cependant, ce que les auteurs catholiques " intégraux " ont appelé au XIXe " l'hypercritique ", doit être prise en compte avec une grande prudence compte tenu du fait que ses zélateurs revisitaient tout au plan historique, hagiographique, etc. Cette hypercritique, résolument naturaliste, donnera des escrocs contemporains tels que les sinistres Prieur et Mordillat : leurs descendants directs ; vulgarisateurs de thèses monstrueuses et hérétiques."

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mardi, 07 janvier 2025

7 janvier. Saint Lucien d'Antioche, prêtre et martyr. 312.

- Saint Lucien d'Antioche, prêtre et martyr. 312.
 
Pape : Saint Miltiade. Empereur romain d'Orient : Licinius ; Maximin II Daïa. Empereur romain d'Occident : Galère ; Maxence (Rome) ; Constantin Ier.

" Seigneur, l'explication de votre parole éclaire et donne de l'intelligence aux petits."
Ps. CXVIII.


Saint Lucien d'Antioche. Bas-relief. Arles. XIe.

Ce grand personnage était Syrien de nation, d'une famille illustre de Samosate (d'après l'hagiographe Baillet, cette famille était d'Antioche). Ses parents, Chrétiens, prirent un soin particulier de l'élever dans la crainte de Dieu. Il devint orphelin de père et de mère à l'âge de douze ans et dès lors, jugeant que la vie religieuse était un port assuré contre les orages du monde, il se retira chez un saint personnage appelé Macaire, qui faisait profession d'étudier et d'interpréter les saintes écritures à Edesse. Lucien profita si bien à cette sainte école, qu'il se prescrivit dès lors une façon de vivre très austère. L'oraison et le silence étaient ses plus familiers entretiens, et, s'il lui échappait parfois une parole, elle était toujours puisée dans les saintes Ecritures.

Avançant de plus en plus en âge et en vertu, il se fit ordonné prêtre à Antioche ; et, pour se faire utile au public, il entreprit d'instruire la jeunesse, tant dans les belles lettres que dans la pratique de la piété. Pour cet effet, il tint école ouverte, à l'exemple de son maître saint Macaire, afin que tous ceux qui voulait jouir de ses travaux le pussent faire sans aucune difficulté. De plus, pour avoir de quoi faire l'aumône aux pauvres, il s'acquit une telle facilité de bien écrire, qu'il y gagnait assez pour son entretien et celui des autres. Il entreprit en outre un ouvrage très difficile ; car, ayant observé que les hérétiques, traduisant diversement les livres sacrés, y avaient glissé beaucoup d'erreurs, il résolut d'en revoir toutes les traductions, et d'en faire une toute nouvelle de l'hébreu en grec. Cette édition mérita l'estime universelle et fut très utile à saint Jérôme qui rapporte que l'on s'en servait dans l'Eglise d'Orient, particulièrement depuis Constantinople jusqu'à Antioche.

C'est pour partie à saint Lucien d'Antioche que l'on doit l'invention des reliques de saint Etienne. Il vint un jour s'entretenir avec l'évêque de Jérusalem du lieu, qu'il avait vu en songe, où les précieuses reliques seraient découvertes.

Comme notre saint travaillait ainsi pour la religion, l'empereur Maximin renouvela les édits de ses prédécesseurs Dioclétien et Maximien, et continua de persécuter les Chrétiens. Sachant que ce très saint prêtre était un des plus fermes soutiens et une des plus fortes colonnes de l'Eglise catholique d'Antioche, et que les fidèles avaient pour lui beaucoup de déférence, il résolut de le faire arrêter. Le saint homme en ayant avis, pour ne pas s'exposer témérairement au péril, il sortit de la ville et se retira secrètement dans la campagne, pratiquant en cela le conseil du Sauveur qui dit à ses disciples (Matth. X, 23.) :
" Quand les hommes vous persécuterons en une ville, fuyez en une autre."


Saint Lucien d'Antioche. D'après une Icône grecque du Xe.

Cependant, ayant été dénoncé par un méchant apostat partisan de l'hérésiarque Sabellius, il fut fait prisonnier et conduit à Nicomédie en 303.

En passant par la Cappadoce, il rencontra quelque soldats de sa connaissance, qui, par crainte ou par la violence des tourments, avaient renoncé au Christianisme : notre saint, animé de ferveur et de zèle, leur fit une si vive et charitable remontrance, que, touchés de repentir, ils promirent de ne faire désormais que des actes de bons Chrétiens ; et de quarante qu'ils étaient, la plupart moururent courageusement pour Notre Seigneur Jésus-Christ ; les autres, triomphant de la cruauté des tourments, survécurent à la rage du tyran.

Le saint martyr ne produisit pas un moindre fruit quand il arriva à Nicomédie. Il trouva encore quelques Chrétiens qui avaient fait naufrage dans la foi. Il les ramena par ses ferventes exhortations et les fit rentrer dans le sein de l'Eglise. Aussi, ce très saint prêtre porte-t-il à très juste titre le nom de Lucien, qui vient de lux, lumière, brillant par l'éclat de sa foi, de sa doctrine et de ses vertus, non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres.

Il semble que Maximin craignait d'être éclairé par cette lumière s'il l'interrogeait lui-même ; en effet, il se couvrit pour ainsi dire d'un voile, et ne parla à Lucien que par un interprète. Il lui offrit de se l'associer au gouvernement de l'empire et de le faire son collègue et conseil s'il voulait " seulement " sacrifier aux idoles ; mais notre saint se moquant de ces vaines promesses, protesta hautement qu'il n'en ferait jamais rien. Alors Maximin, passant des promesses aux menaces, le fit conduire an prison, où, après plusieurs autres outrages, le saint confesseur eut à subir d'affreux traitements. On prépara une grosse pièce de bois, percée en quatre endroits différents, et après lui avoir fait entrer les jambes jusqu'aux genoux dans les deux trous de dessus, on les replia pour les faire entrer dans les trous de dessous, ce qui lui déboîta les os et força horriblement les jointures. Ensuite, on lui attacha les mains par-dessus la tête à une autre pièce de bois, afin qu'étant couché il ne pût nullement remuer, et, la place ayant été couverte de têts de pots cassés, on l'étendit nu sur ce lit de douleur pour lui faire souffrir sans relâche une torture insupportable.

Les bourreaux le laissèrent ainsi douze ou quatorze jours, sans rien lui donner à manger que les viandes qui avaient été présentées aux idoles ; mais, comme il eût plutôt souffert mille morts que de toucher un seul de ces morceaux, s'appuyant sur cette loi qu'on ne peut manger ce qui a été offert aux idoles s'il en doit résulter du scandale pour les faibles et si les Païens l'exigent comme un acte d'idolâtrie, il s'abstint sans défaillance.

Cependant la fête de l'Epiphanie approchait, et ses disciples qui le venait visiter, eussent bien voulu de le voir libre en ce jour afin de participer avec lui aux saints mystères de notre rédemption. Le saint le leur promit. Ainsi, le jour arrivé, il leur dit que sa poitrine servirait d'autel, et eux, d'église, en se rangeant autour de sa personne. Ils apportèrent donc le pain et le vin sur le sein du prêtre qui, après les prières accoutumées, les bénit l'un et l'autre, les consacra et reçut la sainte Eucharistie, qu'il fit distribuer ensuite à toute l'assistance. Chose admirable : Dieu ne permit pas qu'un seul Païen se présentât pour interrompre l'auguste cérémonie.
Ce fait, qui se trouve dans les Actes de saint Lucien, est aussi rapporté par Philostorge, historien arien (liv. II, ch. 12, 13).

Le lendemain, l'empereur, irrité de ce que le martyr vivait si longtemps, envoya voir s'il était mort ; mais d'aussi loin qu'il apercut les ministres d'iniquité, saint Lucien s'écria :
" Je suis Chrétien !"
Le bourreau, étonné de cette constance, lui demanda de quel pays il était :
" Je suis Chrétien !" répondit saint Lucien.
" Quelle est ta profession ?" demanda le ministre de Satan.
" Je suis Chrétien !" répondit le saint prêtre.
" Mais qui sont tes parents ?" ajouta encore le Païen.
" Je suis Chrétien !" reprit encore le généreux martyr.

Il n'eut pas si tôt fait cette dernière profession de foi que saint Lucien rendit son âme à Dieu : ce fut le 7 janvier de l'an 312.
 
Saint Lucien d'Antioche s'entretient avec l'évêque de Jérusalem au
sujet du lieu où se pourront découvrir les reliques de saint Etienne.
Détail. Tapisserie de la Légende de saint Etienne. Colyn de Coter.
Cathédrale Saint-Etienne d'Auxerre. XVIe.

On croit qu'il resta 9 ans en prison, puisque, au rapport d'Eusèbe, il en reçut la couronne du martyre qu'après la mort de saint Pierre d'Alexandrie arrivée en 311.

Saint Jean Chrysostome a écrit des merveilles sur cette admirable réponse de saint Lucien ; " parce que le disciple de Notre Seigneur Jésus-Christ, en disant qu'il est Chrétien, explique parfaitement bien, en un seul mot, quelle est sa patrie, sa famille et sa profession. Sa partie parce que, n'en ayant point sur la terre, il n'en reconnaît pas d'autre que la Jérusalem céleste ; sa famille, parce qu'il ne croit pas avoir d'autres parents que les Saints ; enfin sa profession, puisque toute sa vie est dans le ciel ".

Le tyran, écoutant sa rage, même après la mort de saint Lucien, commanda qu'on lui attachât une grosse pierre à la main droite, et que son corps fût jeté dans la mer, afin d'en ôter à jamais le souvenir. Mais le Créateur de toutes choses le conserva 14 jours dans les eaux, autant qu'il avait souffert de jours le martyre ; et au 15e, le saint apparut à l'un de ses parents qui était son disciple, Glycérius, pour lui dire qu'il allât en un tel endroit du rivage qu'il lui marquait, et qu'il y trouverait alors infailliblement son corps. Glycérius se rendit à cet endroit avec quelques autres Chrétiens. Ils n'y furent pas plus tôt arrivés, qu'ils apercurent un grand dauphin qui, portant ce précieux trésor sur son dos, le déchargea à leur vue sur le bord de la mer. On put facilement se convaioncre que ce dauphin n'était pas un fantôme mais un vrai poisson, car il expira qur le rivage aussitôt qu'il se fut déchargé, ainsi qu'il paraît par le dernier couplet d'une hymne que l'on chante en l'honneur de saint Lucien :

" Le dauphin, paraissant, se chargea du Martyr,
Et voulant à son corps rendre un pieux hommage,
Le porta sur son dos jusqu'au bord du rivage,
Où devant tout le monde il mourut de plaisir."

Ce saint corps fut reçut tout entier et sans aucune corruption ni mauvaise odeur, si ce n'est la main droite qui en avait été séparée par la pesanteur de la pierre qui y avait été attachée. Mais Dieu voulant ratifier par un nouveau miracle le travail de cette même main qui avait servi à la correction des erreurs introsuites dans les versions des saintes Ecritures, fit que peu de temps après, la mer l'ayant rapportée sur ses ondes, elle fut parfaitement réunie au corps de saint Lucien ; lequel reut les honneurs de la sépulture autant que ses disciples le pouvaient faire dans ces circonstances de persécutions.

Sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, passant par Nicomédie au retour de la visite des lieux saints, eut dévotion d'honorer le sépulcre du saint martyr Lucien, et fit bâtir une belle ville, qui changea son nom de Drépan et Hélenopolis, dans laquelle elle fit élever un beau temple dédié à saint Lucien.


Colonne Saint-Lucien. Vestige de l'église dédiée à saint Lucien.
Place du Forum. Arles.

Dans la suite des temps, saint Charlemagne fit apporter les saintes reliques de notre saint prêtre et martyr dans la ville d'Arles, en Provence, après y avoir fait bâtir une église en son honneur.

Après que les bêtes féroces de 1793 aient profané cette église, l'archevêque d'Aix, Mgr Bernet, reconnut néanmoins en 1839 les reliques qui avaient échapé aux outrages comme étant bien celles de saint Lucien et de saint Vincent.

L'église Saint-Lucien s'élevait autrefois sur la place du Forum, dans la partie occupée actuellement par le café Van Gogh. Elle était aussi désignée sous l'appellation de Notre-Dame-du-Temple ou Notre-Dame-de-la-Minerve à cause d'une tradition voulant qu'elle ait été fondée sur un ancien temple de Minerve dont une portion lui aurait servi de nef. Saint Charlemagne y fit placer des reliques de saint Lucien, ce qui lui conféra son nom.

Elle était au cœur d'une paroisse de gens aisés, principalement de négociants, majoritairement de merciers. Un escalier donnait accès à une chapelle basse, du XIIe siècle, dont on peut encore voir l'abside ainsi que la base de l'autel à l'extrémité de la galerie Nord des Cryptoportiques. Chapelle placée sous la dédicace de Saint-Michel.

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lundi, 06 janvier 2025

6 janvier. Epiphanie de Notre Seigneur Jésus-Christ.

- Epiphanie de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Extraits de L'année liturgique de dom Prosper Guéranger :


L'adoration des mages. Rogier van der Weyden. XVe.

Le jour des Mages, le jour du Baptême, le jour du Festin nuptial est arrivé ; les trois puissants rayons du Soleil de justice luisent sur nous. Les ténèbres matérielles sont aussi moins épaisses ; la nuit a déjà perdu de son empire, la lumière progresse de jour en jour. Dans son humble berceau, les membres sacrés du divin Enfant prennent accroissement et force. Aux Bergers, Marie le fit voir étendu dans la crèche ; aux Mages, elle va le présenter sur ses bras maternels. Les présents que nous avons à lui offrir doivent être préparés : suivons donc nous aussi l'étoile, et mettons-nous en marche pour Bethléhem, la Maison du Pain de vie.

CAPITULE
(Isaïe, LX.).


Lorenzo Monaco. XVe.

" Lève-toi, Jérusalem ! sois illuminée ; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi."

R/. br. " Les Rois de Tharsis et des îles lointaines lui offriront des présents : Alleluia, alleluia. Les Rois de Tharsis."

V/. " Les Rois de l'Arabie et de Saba lui apporteront des dons. * Alleluia, alleluia. Gloire au Père. Les Rois de Tharsis."

V/. " La foule viendra de Saba, alleluia, "

R/. " Lui apporter l'or et l'encens, alleluia."

A LA MESSE

A Rome, la station est à Saint-Pierre, au Vatican, près de la tombe du Prince des Apôtres, à qui toutes les nations ont été données en héritage dans le Christ.

EPÎTRE

Lecture du Prophète Isaïe. Chap. LX.


Joos van Wassenhove. Flandres. XVe.

" Lève-toi, Jérusalem ; sois illuminée ; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi. Les ténèbres couvriront la terre, une nuit sombre enveloppera les peuples ; mais sur toi le Seigneur se lèvera, et sa gloire éclatera sur toi. Et les Nations marcheront à ta lumière, et les Rois à la splendeur de ta clarté naissante. Lève les yeux, considère autour de toi, et vois : tous ceux-ci, que tu vois rassemblés, sont venus pour toi. Des fils te sont venus de loin, et des filles se lèvent à tes côtés. En ce jour, tu verras, et tu seras dans l'opulence, et ton cœur sera dans l'admiration, et il se dilatera : en ce jour où la multitude des nations qui habitent les bords de la mer se tournera vers toi, quand la force des Gentils viendra à toi. Les chameaux, les dromadaires de Madian et d'Epha, arriveront chez toi comme un déluge : la foule viendra de Saba t'apporter l'or et l'encens, en chantant la louange du Seigneur."

Ô gloire infinie de ce grand jour, dans lequel commence le mouvement des nations vers l'Eglise, la vraie Jérusalem ! Ô miséricorde du Père céleste qui s'est souvenu de tous ces peuples ensevelis dans les ombres de la mort et du crime ! Voici que la gloire du Seigneur s'est levée sur la Cité sainte ; et les Rois se mettent en marche pour l'aller contempler. L'étroite Jérusalem ne peut plus contenir ces flots des nations ; une autre ville sainte est inaugurée ; et c'est vers elle que va se diriger cette inondation des peuples gentils de Madian et d'Epha. Dilate ton sein, dans ta joie maternelle, Ô Rome ! Tes armes t'avaient assujetti des esclaves ; aujourd'hui ce sont des enfants qui arrivent en foule à tes portes ; lève les yeux, et vois : tout cela est à toi ; l'humanité tout entière vient prendre dans ton sein une nouvelle naissance. Ouvre tes bras maternels ; et accueille-nous, nous tous qui venons du Midi et de l'Aquilon, apportant l'encens et l'or à Celui qui est ton Roi et le nôtre.

EVANGILE

La suite du saint Evangile selon saint Matthieu. Chap. II.


Adoration des rois mages. Gérard David. Flandres. XVIe.

" Jésus étant né en Bethléhem de Juda, aux jours du roi Hérode, voici que des Mages vinrent d'Orient à Jérusalem, et ils disaient :
" Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer."
A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Et rassemblant tous les Princes des prêtres et les Docteurs du peuple, il leur demandait où le Christ devait naître.
Et ils lui dirent :
" En Bethléhem de Juda ; car il est écrit par le Prophète : " Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n'es pas la moindre entre les principales villes de Juda ; car de toi sortira le Chef qui régira mon peuple d'Israël."
Alors Hérode, ayant appelé les Mages en secret, s'enquit d'eux avec grand soin du temps auquel l'étoile leur avait apparu.
Et les envoyant à Bethléhem, il leur dit :
" Allez et informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que je vienne aussi l'adorer."

Ayant ouï ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l'étoile qu'ils avaient vue en Orient les précédait, jusqu'à ce que, étant arrivée sur le lieu où était l'enfant, elle s'y arrêta. Lorsqu'ils revirent l'étoile, ils furent transportés de joie, et étant entrés dans la maison, ils trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère, et se prosternant (ici on se met à genoux), ils l'adorèrent, et ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents l'or, l'encens et la myrrhe. Et ayant reçu en songe l'ordre de ne point aller trouver Hérode, ils s'en retournèrent dans leur pays par un autre chemin."


Albrecht Dürer. XVIe.

Les Mages, prémices de la Gentilité, ont été introduits auprès du grand Roi qu'ils cherchaient, et nous les avons suivis. L'Enfant nous a souri comme à eux. Toutes les fatigues de ce long voyage qui mène à Dieu sont oubliées ; l'Emmanuel reste avec nous, et nous avec lui. Bethléhem, qui nous a reçus, nous garde à jamais ; car à Bethléhem nous possédons VEnfant et Marie sa Mère. En quel lieu du monde trouverions-nous des biens aussi précieux ?

Supplions cette Mère incomparable de nous présenter elle-même ce Fils qui est notre lumière, notre amour, notre Pain de vie, au moment où nous allons approcher de l'autel vers lequel nous conduit l'Etoile de la foi. Dès ce moment ouvrons nos trésors ; tenons à la main notre or, notre encens et notre myrrhe, pour le nouveau-né. Il agréera ces dons avec bonté ; il ne demeurera point en retard avec nous. Quand nous nous retirerons comme les Mages, comme eux aussi nous laisserons nos cœurs sous le domaine du divin Roi ; et ce sera aussi par un autre chemin, par une voie toute nouvelle, que nous rentrerons dans cette patrie mortelle qui doit nous retenir encore, jusqu'au jour où la vie et la lumière éternelle viendront absorber en nous tout ce qui est de l'ombre et du temps.

 
SEQUENCE

Pour honorer la pure et glorieuse Mère de notre divin Roi, empruntons cette Séquence au pieux moine Herman Contract :

" Salut, glorieuse Etoile de la mer ; votre lever divin, Ô Marie, présage la lumière aux nations.

Salut, Porte céleste, fermée à tout autre qu'à Dieu ! Vous introduisez en ce monde la Lumière de vérité, le Soleil de justice, revêtu de notre chair.

Vierge, beauté du monde, Reine du ciel, brillante comme le soleil, belle comme l'éclat de la lune, jetez les yeux sur tous ceux qui vous aiment.

Dans leur foi vive, les anciens Pères et les Prophètes vous désirèrent sous l'emblème de ce rameau qui devait naître sur l'arbre fécond de Jessé.

Gabriel vous désigna comme l'arbre de vie qui devait produire, par la rosée de l'Esprit-Saint, l'amandier à la divine fleur.

C'est vous qui avez conduit l'Agneau-Roi, le Dominateur de la terre, de la pierre du désert de Moab à la montagne de la fille de Sion.

Vous avez écrasé Léviathan, malgré ses fureurs, et brisé les anneaux de ce tortueux serpent, en délivrant le monde du crime qui causa sa damnation.

Nous donc, restes des nations, pour honorer votre mémoire, nous appelons sur l'autel, pour l'immoler mystérieusement, l'Agneau de propitiation, Roi éternel des cieux, le fruit de votre enfantement merveilleux.

Les voiles étant abaissés, il nous est donné à nous, vrais Israélites, heureux fils du véritable Abraham, de contempler, dans notre admiration, la manne véritable que figurait le type mosaïque : priez, Ô Vierge, que nous soyons rendus dignes du Pain du ciel.

Donnez-nous de nous désaltérer, avec une foi sincère, à cette douce fontaine représentée par celle qui sortit de la pierre du désert; que nos reins soient ceints de la ceinture mystérieuse ; que nous traversions heureusement la mer, et qu'il nous soit donné de contempler sur la croix le serpent d'airain.

Les pieds mystérieusement dégagés de leurs chaussures, les lèvres pures, le cœur sanctifié, donnez-nous d'approcher du feu saint, le Verbe du Père, que vous avez porté, comme le buisson porta la flamme, Ô Vierge devenue mère !

Ecoutez-nous ; car votre Fils aime à vous honorer en vous exauçant toujours.

Sauvez-nous, Ô Jésus ! nous pour qui la Vierge-Mère vous supplie.

Donnez-nous de contempler la source de tout bien, d'arrêter sur vous les yeux purifiés de notre âme.

Que notre âme, désaltérée aux sources de la Sagesse, puisse aussi percevoir la saveur de la vraie Vie.

Qu'elle orne par les œuvres la foi chrétienne qui habite en elle, et que, par une heureuse fin, elle passe de cet exil vers vous, Auteur du monde.

Amen."


Il Corregio, le Corrège. Italie. XVe.

PRIERE

" Nous venons à notre tour vous adorer, Ô Christ, dans cette royale Epiphanie qui rassemble aujourd'hui à vos pieds toutes les nations. Nous nous pressons sur les pas des Mages ; car, nous aussi, nous avons vu l'étoile, et nous sommes accourus. Gloire à vous, notre Roi ! A vous qui dites dans le Cantique de votre aïeul David : " C'est moi qui ai été établi Roi sur Sion, sur la montagne sainte, pour annoncer la loi du Seigneur. Le Seigneur m'a dit qu'il me donnerait les nations pour héritage, et l'empire jusqu'aux confins de la terre. Maintenant donc, Ô rois, comprenez ; instruisez-vous, arbitres du monde !" (Psalm. II.).

Bientôt vous direz, Ô Emmanuel, de votre propre bouche : " Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre " (Matth. XXVIII) ; et, quelques années plus tard, l'univers entier sera sous vos lois. Déjà Jérusalem s'émeut ; Hérode tremble sur son trône ; mais l'heure approche où les hérauts de votre avènement iront annoncer à la terre entière que Celui qui était l'attente des nations est arrivé. La parole qui doit vous soumettre le monde partira ; elle s'étendra au loin comme un vaste incendie. En vain les puissants de la terre tenteront de l'arrêter dans son cours. Un Empereur, pour en finir, proposera au Sénat de vous inscrire solennellement au rang de ces dieux que vous venez renverser ; d'autres croiront qu'il est possible de refouler votre domination par le carnage de vos soldats. Vains efforts ! Le jour viendra où le signe de votre puissance ornera les enseignes prétoriennes, où les Empereurs vaincus déposeront leur diadème à vos pieds, où cette Rome si fière cessera d'être la capitale de l'empire de la force, pour devenir à jamais le centre de votre empire pacifique et universel.

Ce jour merveilleux, nous en voyons poindre l'aurore ; vos conquêtes commencent aujourd'hui, Ô Roi des siècles ! Du fond de l'Orient infidèle, vous appelez les prémices de cette gentilité que vous aviez délaissée, et qui va désormais former votre héritage. Plus de distinction de Juif ni de Grec, de Scythe ni de barbare. Vous avez aimé l'homme plus que l'Ange, puisque vous relevez l'un, et laissez l'autre dans sa chute. Mais si, durant de longs siècles, votre prédilection fut accordée à la race d'Abraham, désormais votre préférence est pour nous Gentils. Israël ne fut qu'un peuple, et nous sommes nombreux comme les sables de la mer, comme les étoiles du firmament. Israël fut placé sous la loi de crainte ; vous avez réservé pour nous la loi d'amour.

Dès aujourd'hui vous commencez, Ô divin Roi, à éloigner de vous la Synagogue qui dédaigne votre amour ; aujourd'hui vous acceptez pour Epouse la Gentilité, dans la personne des Mages. Bientôt votre union avec elle sera proclamée sur la croix, du haut de laquelle, tournant le dos à l'ingrate Jérusalem, vous étendrez les bras vers la multitude des peuples. Ô joie ineffable de votre Naissance ! Mais joie plus ineffable encore de votre Epiphanie, dans laquelle il nous est donné à nous, déshérités jusqu'ici, d'approcher de vous, de vous offrir nos dons, et de les voir agréés par votre miséricorde, Ô Emmanuel !

Grâces vous soient donc rendues, Enfant tout-puissant, " pour l'inénarrable don de la foi " (II Cor. IX, 15) qui nous transfère de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière ! Mais donnez-nous de comprendre toujours toute l'étendue d'un si magnifique présent, et la sainteté de ce grand jour où vous formez alliance avec la race humaine tout entière, pour arriver avec elle à ce mariage sublime dont parle votre éloquent Vicaire, Innocent III : " mariage, dit-il, qui fut promis au patriarche Abraham, juré au roi David, accompli en Marie devenue Mère, et aujourd'hui consommé, confirmé et déclaré : consommé dans l'adoration des Mages, confirmé dans le baptême du Jourdain, déclaré dans le miracle de l'eau changée en vin ". Dans cette fête nuptiale où l'Eglise votre Epouse, née à peine, reçoit déjà les honneurs de Reine, nous chanterons, Ô Christ, dans tout l'enthousiasme de nos cœurs, cette sublime Antienne des Laudes, où les trois mystères se fondent si merveilleusement en un seul, celui de votre Alliance avec nous :
" Aujourd'hui l'Eglise s'unit au céleste Epoux : ses péchés sont lavés par le Christ dans le Jourdain ; les Mages accourent aux Noces royales, apportant des présents ; l'eau est changée en vin, et les convives du festin sont dans la joie. Alleluia."